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OMNIVORE 100 % JEUNE CUISINE
CARNET 2012
EN COUVERTURE : La cuisine de Sven Chartier (Saturne, Paris).
SOMMAIRE CARNET DE ROUTE
ÉDITO 005 LES PRINCIPES DU CARNET 006 LES OMNIVORISÉS 008 LES MILLÉSIMÉS 032 LES INFLUENCEURS 068 LES DÉFRICHEURS 098 LES ICONOCLASTES 128 LES REBELLES 162 LES TERRIENS 178 LES URBAINS 204 LES AUBERGISTES 238 LES NÉOCLASSIQUES 292 INDEX PAR CHEFS 354 INDEX PAR TABLES 358 INDEX PAR VILLES 362
ÉDITO
LE NEW DÎNE Et il arrive ce que l’on pressentait. 2012 sera le tournant de la Jeune cuisine : l’affirmation qu’une nouvelle génération a pris d’assaut les fourneaux de France mais aussi du monde entier. Née à la mi-temps des années 2000, biberonnée aux légumes de Passard, au solo underground de Barbot et à la mythologie de Bras. Boostée par le succès du Chateaubriand. L’histoire s’écrit désormais dans ces tables modestes mais robustes, formant un réseau dense et autant de propositions à découvrir. Si l’on se retourne, on voit bien l’évolution foudroyante des trois dernières années. Bien sûr cela reste parisien – Paris n’a jamais d’ailleurs été aussi vive, enlevée, riche de différences. Mais rien n’empêche que cette révolution-là ne gagne bien vite la province. Guillaume Foucault à Uzès, Jérôme Bigot à Lentry, Pierre Gianetti à Marseille, Nicolas Guiet à Nantes sont les pendants prometteurs des Sven Chartier, Bertrand Grébaut et David Toutain de Paris. Lyon s’éveille avec Effervescence, Marseille met son Grain de Sel, aucune raisons pour que d’autres grandes villes ne leur emboîtent pas la table. Pour peu que la jeunesse continue son travail conceptuel, créatif. Pour peu aussi que les futurs chefs, actuels étudiants d’école hôtelière, assument leur époque, de sa singularité frondeuse jusque dans ses faiblesses. Et que les mangeurs (et lecteurs) que vous êtes, continuent aussi à s’ouvrir, comprendre que la nostalgie n’est pas
digestible et que les goûts d’aujourd’hui et de demain demandent inlassablement à être remis en question, interrogés, chahutés. CARNET WORLD C’est pour mieux se concentrer sur l’hexagone que ce Carnet ne présente désormais que des tables françaises. Paradoxe au moment où Omnivore entame son Omnivore World Tour le menant en 2012 dans 12 pays, mais paradoxe assumé, envie – justement – aussi de revenir aux sources de chercher encore mieux et encourager plus les chefs qui s’installent. Mais que les mondialistes se rassurent : Omnivore prépare pour début 2013 un Carnet World en anglais recensant les 200 tables de la “Young cuisine” dans le monde. Vous retrouverez l’Espagne, l’Italie, la Belgique, le Danemark ou la GrandeBretagne parmi ces nations dont on admire la culture et la diversité. À l’heure où la supériorité de telle ou telle civilisation défraie la chronique, Omnivore s’obstine à voir dans le monde du goût un formidable réseau d’identités toutes différentes, singulières mais toutes indispensables les unes aux autres. C’est, définitivement, le New Deal, le New Dîne, pour la cuisine. Luc Dubanchet 5
La cuisine de la Grenouillère (La Madelaine-sous-Montreuil)
OMNIVORISÉS
ALEXANDRE GAUTHIER
LA GRENOUILLÈRE LA MADELAINE�SOUS�MONTREUIL
Rue de la Grenouillère, 62170 La Madelaine-sous-Montreuil Tél. : 03 31 06 07 22 // www.lagrenouillere.fr Carte : 55-110 € // Chambres : 140 €-215 €
CUISINE IMMERSIVE // ATMOSPHÈRE CAMPAGNE ROCK // AVEC AMIS & AMOUR // PRIX MOYEN 75 € MON VOISIN SÉBASTIEN DE LA BORDE P.244 MON COMPLÉMENT MICHEL TROISGROS P.116, 224, 251 MON CONTRAIRE THIERRY MARX P.146
OMNIVORE EVIAN/BADOIT CRÉATEUR
LE CHEF ET L’ARCHITECTE Vendredi 2 décembre 2011, déjeuner. À première vue, rien n’a changé. Immuable longère depuis cent cinquante ans. On peut s’attarder dans le salon, l’ancienne salle-à-manger. Boiseries noires, fresque peinte, classée et intouchable. On y voit des grenouilles croquées comme des humains en train de faire bombance. Borderline. Mais la porte ouverte à côté de l’accueil happe le visiteur. La lumière qui se concentre dans un long couloir sombre, propulse vers la nouvelle salle, mi cathédrale mi forge sous un haut plafond conique constitué d’un enchevêtrement de poutres métalliques. C’est une impressionnante tarentule qui aurait tissé sa toile de centaines de mètres de câbles suspendus entres les poutrelles délivrant en leur extrémité la lumière douce de la fibre optique. Elle éclaire de minces plateaux de bois bruts tendus d’une fine peau de cuir. 10 OMNIVORISÉS
Chaque table possède sa propre forme organique, ni ronde, ni carrée. Les assises, en cuir elles aussi, s’effacent. Tout autour le jardin, comme livré à l’œil qui s’habitue à la lumière avant de glisser vers un lourd rideau de mailles métalliques qui obstrue le regard tout en laissant deviner l’intention des cuisines. De la pénombre jaillit l’inox des plans de travail et des fourneaux où s’affaire la brigade. On pense à Peter Greenaway et à son loufoque et sombre film “Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant.” Le cuisinier Alexandre Gauthier reste muet, encore étourdi par cette maison qu’il n’osait plus rêver. Lui et l’architecte Patrick Bouchain l’ont pourtant accouché. Tout comme les 7 chambres enterrées telles des cabanes de chasse. De
Alexandre Gauthier et Patrick Bouchain.
MILLÉSIMÉS
JERÔME BIGOT
LES GRÈS LINDRY
9 rue du 14 juillet, 89240 Lindry // Tél. : 09 52 31 64 10 Fermé lundi et mardi, ouvert dimanche soir sur réservation Menu : 13,50 €-45 €
CUISINE INSTINCTIVE // ATMOSPHÈRE CAMPAGNE // AVEC AMIS // PRIX MOYEN 30 € MON VOISIN LAURENT CHAREAU P.160 MON COMPLÉMENT IÑAKI AIZPITARTE P.80 MON CONTRAIRE LAURENT PEUGEOT P.150
SON BEAT ET SON COUTEAU Mardi 14 février 2012, déjeuner. On n’est pas du genre à se précipiter sur les nouvelles tables qui font le buzz dans le microcosme. On aurait même tendance à les fuir, histoire de laisser respirer des cuisiniers en rodage. À toute règle son exception. Intrigué par un fulgurant murmure, on est allé voir Jérôme Bigot du côté de Lindry. Il a débarqué en décembre 2011 dans ce village bourguignon qui revit peu à peu à mesure qu’ Auxerre la voisine, se vide. Il est arrivé sans bagage ni CV ronflants, si ce n’est celui d’artiste peintre, organiste à ses heures, avec, dans la rubrique loisirs, quelques extras pour le bistrot clodoaldien de son frère, et un gros appétit pour la littérature culinaire (mais pas que). Arty show. Totalement décomplexé, entre hip hop, techno et jazz, il mixe en liberté avec des produits trouvés quasi exclusivement autour de lui. Il compense le manque d’expérience et de technique par une inventivité permanente. Tout n’a pas la même intensité, demande quelques réglages, mais la truite marinée dans le sel et l’eau, puis au Nikka White, avec une vinaigrette au miso, c’est du miel. Le tartare de veau, œufs de truite, estragon, raifort et jus de poulet, se mâche en férocité. Et l’on pousse un petit cri d’extase, renversé par la sensualité du ris de veau, célerisotto à la tomme et truffes. Une telle spontanéité pour un tel plaisir, ça méritait vraiment une entorse à la nécessaire méfiance omnivorienne. 36 MILLÉSIMÉS
RE�CRÉATION Né citadin, Jérôme Bigot vit désormais une existence d’ascète à la campagne. En immersion. Pour être sûr que telle est sa voie. Mais… Maman vit à 15 km et aide au service. Le beau-père, agent EDF reconverti en céramiste doué, crée avec lui toutes les assiettes. Le frère remplit, lui, la cave voûtée de vins plutôt naturels. Et les potes squattent les chambres d’hôte du village. Ni un exil ni une fuite mais bien une quête d’équilibre.
MILLÉSIMÉS 37
PATRICE GELBART
8 rue Vicq d’Azir, 75010 Paris Tél. : 01 83 89 12 63 Menus : 18 €-35 €
YOUPI&VOILÀ PARIS X
CUISINE SANS LIMITES // ATMOSPHÈRE EN DEVENIR // AVEC AMIS // PRIX MOYEN 30 € MON VOISIN CYRIL BORDARIER P.266 MON COMPLÉMENT GUILLAUME SALVAN P.186 MON CONTRAIRE SVEN CHARTIER P.20
AVANT�PREMIÈRE Nous ne sommes pas allés chez Gelbart. Tout simplement parce qu’il n’avait pas encore ouvert son espace parisien. À quelques jours près, nous aurions pu vous en parler d’autorité mais nous nous contenterons de ses explications et surtout de la connaissance du bonhomme. Car nous n’avons pas attendu Paris pour découvrir son accent et son talent. Longtemps, Patrice Gelbart en a bavé. Fermé l’hiver pour cause d’isolement dans son Auberge du Cérou qu’il avait patiemment bâtie, il a fini par quitter le Tarn pour monter à Paris. Coup au cœur puis coups de cœur. Il a finalement décidé de rester à Paname. D’abord réfugié au Verre Volé, bistrot gastronomique connu de tous les initiés du vin nature, il s’y est employé à montrer sa cuisine “Kilomètre Zéro ”, en direct du producteur au transformateur, du jardinier au chef. Justement, Gelbart est un chef. Il voulait son espace. Après un an, il l’a enfin trouvé. Budget minima, huile de coude et immense volonté pour pouvoir irriguer les abords du quai de Jemmapes de sa cuisine de légèreté végétale. On le sait d’avance, il y aura toujours des touches iconoclastes dans les suggestions du jour, avec une nette préférence pour le rayon “cru” : tomates green zebra, jaunes, pourpre en salades acides et multicolores, thon à peine cuit accompagné de pousses végétales et de pourpier. Lui qui n’a pas non plus son pareil pour cuisiner le cabillaud frais ou l’encornet nacré, assurera, c’est certain, dans son chez-lui parisien l’exigence et le décalage qui nous l’ont fait l’aimer à 700 bornes du Canal Saint-Martin. Bienvenue à Paris, enfin ! 52 MILLÉSIMÉS
RÉSISTANCE Quinze ans : c’est le temps qu’aura mis Patrice Gelbart avant de baisser les bras. Trop dur, trop épuisant de tenir tête et d’imposer coûte que coûte, contre l’envie même d’une région, une cuisine exigeante et délurée. “J’avais plus d’urbains et d’étrangers que de régionaux”, regrette ce chef pourtant attaché à son territoire. Son exemple n’est hélas pas une exception. La France “des régions” demeure une terre trop sûre de son goût et fermée à ceux des autres. Parisianisme honteux ? Non simple réalisme. Les milliers de kilomètres parcourus depuis la création de ce Carnet nous permettent de l’écrire. Triste tropisme.
INFLUEN CEURS
ALAIN PASSARD
L’ARPÈGE PARIS VII
84 rue de Varenne, 75007 Paris // Tél. : 01 47 05 09 06 www.alain-passard.com Fermé samedi et dimanche
CUISINE ALTERECOLO // ATMOSPHÈRE LUNCH CLUB // AVEC LOVE EXTRACONJUGUAL // PRIX MOYEN 200 € MON VOISIN WILLIAM LEDEUIL P.114 MON COMPLÉMENT ARNAUD DAGUIN P.108 MON CONTRAIRE EMMANUEL RENAUT P.30
PASSARD AU CHAMP Jeudi 01 décembre 2011, déjeuner. Moment d’exception : il est seul en cuisine avec deux commis. Cuisine : plutôt un cagibi de quelques mètres carrés, fourneau ronflant surchargé de casseroles. Lui, exulte au milieu de l’apparent capharnaüm, soigne avec les manières d’une mère la betterave jaune et le radis à peine cueilli du matin, un peu de beurre, une fleur de sel. Il sert lui-même à table. Passard en sa demeure, sur ses terres, pour un déjeuner rare dans l’un de ses trois jardins. Si on vous raconte ce moment de grâce – et, oui, très happy few – c’est pour prolonger et dire mieux encore la jubilation d’Alain Passard. À 55 ans, en pleine maturité, jamais on ne l’a vu si heureux, prolixe, inventif. Tuilage. A l’heure où d’autres sont déjà atteints par la limite d’âge, il n’en finit plus de créer ces bonheurs éphémères, ravivés chaque jour par la production du jardin et l’envie inextinguible de travailler ces produits primaires. Ensuite, couleurs, saveurs : l’assiette s’assemble, les textures se tuilent, les sensations s’ajoutent sans jamais se perturber. L’équilibre, voilà, il a atteint ce point si rare en cuisine. Ne se souciant ni des dogmes – il les a en partie pulvérisés à la fin des années 90 –, ni de l’avis des clients. Ils reviennent de toute manière, justement parce que cette spontanéité et ce savoir sont uniques. 78 INFLUENCEURS
MAÎTRE POTAGER Il s’appelle Sylvain Picard et est tout aussi passionnant que son “maître”. Surintendant en jardins, oeil et mains du chef en terre de Fillé-sur-Sarthe, le premier domaine planté pour l’Arpège. Bio jusqu’au bout des ongles terreux, Picard possède la même curiosité, la même envie de repousser les limites. Et le même amour du “vivant”. On devrait lui donner une chair au Collège de France.
JEAN�FRANÇOIS PIÈGE
HÔTEL THOUMIEUX PARIS VII
79 rue Saint-Dominique, 75007 Paris // Tél. : 01 47 05 79 00 www.thoumieux.fr // Fermé samedi et dimanche Menus : 70-90-115 € // 15 chambres : 250 €
CUISINE NATURE ET SOPHISTIQUÉE // ATMOSPHÈRE LOVE PARIS // AVEC AMOURS // PRIX MOYEN 90 € MON VOISIN ALAIN PASSARD P.78 MON COMPLÉMENT INAKI AIZPITARTE P.80 MON CONTRAIRE ADELINE GRATTARD P.106
PIÈGE IDENTITAIRE Jeudi 17 novembre 2011, déjeuner. Il y a deux ans, il reprenait “Thoumieux”, institution des Invalides, pour la transformer avec son partenaire Thierry Costes en brasserie contemporaine. Succès fulgurant, clientèle régénérée par les costumes APC des serveurs, l’encornet carbonara où la pizza revisitée par le chef. En un an les prix n’ont pas augmenté, la brasserie ne désemplit pas. Il était donc temps pour lui d’ouvrir la deuxième partie de Thoumieux, au premier étage. Et d’y insuffler cette légèreté gagnée sur la vie, venue avec le succès, la notoriété et même un mariage. Thoumieux V2, version “grand” restaurant et hôtel, passe par la droite de la brasserie. Un petit escalier aussi discret qu’un club privé, aboutit au premier étage à un lobby cosy signé India Madhavi, stools, comptoir en bois, fauteuils profonds, moquette moelleuse à motifs géométriques répondant aux dorures 1900 de Thoumieux. Un étage encore et voici les 82 INFLUENCEURS
chambres, spacieuses et simples bien que chargées de papiers peints, marbres et tissus chatoyants. Un iPad fait office de room list. On prend un bain, on bouquine avant de rejoindre la salle à manger du premier étage. “J’ai voulu faire une maison de province”, dit joyeusement Jean-François Piège. Il a gardé le même parfait tablier et le tour de cou des grands chefs. Mais sa silhouette affinée et surtout son visage laissent entrevoir enfin la sérénité. oui, il est heureux, dans son métier, dans la vie tout court. Il le dit, ça se voit et c’est communicatif. On découvre soudain
Ce n’est qu’un aperçu du Carnet Omnivore 2012 Commandez le sur www.omnivore.com 22 euros (hors frais de port)
OMNIVORE 100 % JEUNE CUISINE
CARNET
2012 9 782953 865011
22 €
ISBN : 978-2-9538650-1-1 23-21-7614-01-3
Le Carnet Omnivore est un guide de restaurants indépendant. Réalisé et écrit par des journalistes professionnels, il est depuis huit ans l’accompagnateur de la Jeune cuisine. Une cuisine d’auteurs, contemporaine, qui va puiser ses racines dans le territoire proche et son imagination dans un partage mondial des connaissances et des techniques. Vous ne voyez pas vraiment ? Lisez ce Carnet Omnivore et vous comprendrez.