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L’opéra contemporain À travers les yeux et les oreilles de Nicole Paiement

Cheffe émérite maintes fois récompensée et cheffe invitée principale du Dallas Opera, Nicole Paiement a fondé à San Francisco L’Opéra Parallèle, une compagnie dédiée aux œuvres contemporaines. Elle était à Montréal cet hiver pour diriger Ainadamar à l’Opéra de Montréal. Entre deux répétitions et avec une générosité hors du commun, elle a répondu à nos questions.

Je crois que chaque chef a sa propre définition. Pour moi, un opéra est contemporain lorsque le compositeur et le librettiste sont vivants et lorsqu’il y a une résonnance avec notre époque, non seulement dans l’histoire, mais aussi dans le langage musical. Vous savez, l’opéra au sens classique du terme a longtemps été considéré comme l’art ultime, un peu au-dessus de tout le reste. Au contraire, l’opéra du 21e siècle est conscient de tout ce qui se passe autour de lui. Il voyage avec les autres arts, le cinéma, les arts visuels, l’architecture et toutes les nouvelles disciplines qui prennent leur place dans la société. Il se mêle à eux plutôt que de régner sur eux. En un mot, il est moins cloisonné.

Par exemple, dans Ainadamar, il y a des éléments de flamenco. Dans Champion, qui a déjà été présenté à Montréal, on va retrouver des éléments empruntés au jazz. C’est ça l’opéra contemporain selon moi, c’est d’être ouvert aux autres formes d’expression artistique pour créer un spectacle hybride qui reflète l’esprit, les préoccupations et la curiosité de notre temps.

En quoi l’opéra contemporain diffère-t-il de l’opéra dit classique ou de l’opéra moderne ?

L’opéra traditionnel utilise un langage musical classique, le plus souvent tonal, et repose sur une orchestration conventionnelle. L’opéra moderne, lui, qui correspond grosso modo à l’opéra du vingtième siècle, se développe au travers d’une démarche très exploratoire. Les compositeurs utilisaient encore l’écriture traditionnelle –les notes, les portées – mais ils voulaient changer la façon d’utiliser ces outils. Ils étaient en quête d’un nouveau langage – parfois atonal –, de nouvelles couleurs. Ils pouvaient aussi introduire des instruments hors de l’ordinaire, comme les ondes Martenot, qu’on retrouve dans Messiaen.

J’adore l’opéra moderne, mais il faut reconnaître que c’est plus élitiste : il faut être un peu préparé pour l’apprécier. De ce point de vue, l’opéra contemporain est beaucoup plus accessible. Les compositeurs sont conscients de la société et conscients du public. Ils se demandent : « Est-ce que cette histoire va toucher l’auditoire ? Est-ce qu’elle est visuelle ? Comment je peux l’arrimer à d’autres arts comme le cirque, la danse ou même la sculpture ? »

Je remarque aussi que les nouvelles œuvres se veulent plus intimistes que pour l’opéra moderne ou classique. On est au 21e siècle, on est devenu plus individualiste, on veut pouvoir vivre le spectacle, pas juste y assister. On veut se sentir engagé ! Un espace comme le Théâtre Maisonneuve, par exemple, répond mieux à ce caractère d’intimité.

Comment l’opéra contemporain est-il perçu aujourd’hui ?

Y a-t-il encore des réticences de la part du public ?

Par définition, l’opéra contemporain est nou veau. Et comme tout ce qui est nouveau, cela peut faire peur. Mais l’opéra contemporain n’est pas une rupture dans l’histoire de la musique, c’est une évolution. On est arrivé là parce qu’avant, il y a eu l’opéra baroque, l’opéra classique, l’opéra romantique… Il y a une lignée dans la tradition opératique, et connaître cette généalogie peut aider à surmonter ces peurs.

Mais au-delà des réticences, il y a la confiance. Si le public fait confiance à sa maison d’opéra, il sait que les œuvres qui sont au programme valent la peine d’être vues, même s’il ne les connaît pas. Cette relation avec l’auditoire se bâtit avec le temps et avec des idées, comme l’organisation de rencontres avant chaque représentation. L’Opéra de Montréal le fait très bien d’ailleurs : on sent qu’il y a un souci constant d’élargir l’horizon musical du public et de l’accompagner vers de nouvelles expériences.

À tous ceux qui hésitent encore face à une œuvre contemporaine, j’ai envie de dire : osez. Osez essayer et donnez-vous une chance d’aimer. Peut-être n’aimerez-vous pas. Mais est-ce qu’on aime tous les opéras de Verdi ?

Le public des opéras contemporains est-il le même que celui des opéras classiques ?

Pas toujours, mais l’opéra contemporain, étonnamment, peut constituer une porte d’entrée inattendue pour de nouveaux publics à l’opéra. Souvent, le public des œuvres contemporaines est plus jeune. Ce qui les incite à venir, c’est le côté nouveau et inédit de l’expérience. Ils arrivent ouverts et sont prêts à tout, surtout à aimer ! À la sortie d’une représentation, j’ai une fois entendu un jeune spectateur s’exclamer : « Je ne le savais pas, mais en fait, j’adore l’opéra ». Ainsi, ils apprivoisent l’opéra et développent peu à peu leur curiosité… y compris pour l’opéra classique !

Champion (2019)

Est-ce pour cela que la plupart des maisons d’opéra programment aujourd’hui des opéras contemporains ?

C’est difficile de garder un art vivant si on n’est tourné que vers le passé. La grande responsabilité des opéras aujourd’hui, c’est de s’assurer que l’opéra vive encore longtemps, qu’il demeure pertinent, intéressant, actuel ; c’est d’en faire une discipline du 21 e siècle. Et cela passe par des créations contemporaines. Pour renouveler le public, bien sûr, mais aussi pour fidéliser le public actuel. Les spectateurs actuels demeurent attachés aux chefs-d’œuvre du répertoire – les Carmen, les Bohème, les Don Giovanni mais ils ont également soif de nouveauté, de découverte.

Et je dois dire qu’à ce titre, l’Opéra de Montréal joue très bien son rôle de leader et d’éclaireur. Il mise sur la diversité des œuvres pour nourrir la curiosité de son public. Il est très à l’écoute de notre époque, des tendances artistiques, des forces de la ville aussi. Vous le savez comme moi, Montréal carbure à la nouveauté et à la créativité… j’adore cette ville ! Et l’Opéra de Montréal sait tirer parti de cette richesse en collaborant avec des artistes d’ici pour engendrer de nouvelles œuvres. C’est très avant-gardiste et c’est ça qui va inspirer des compagnies plus petites à se lancer à leur tour.

Qu’aimeriez-vous dire aux fidèles de l’Opéra de Montréal, qui sont aussi donatrices et donateurs ?

Un énorme merci ! C’est grâce à leur générosité et leur audace qu’on peut créer de nouveaux opéras qui, demain peut-être, deviendront de grands classiques. Grâce à eux qu’on est capable de poursuivre la tradition opératique, et de s’assurer que dans cent ans, on verra encore de l’opéra.

Je crois sincèrement que l’opéra contemporain est la clé de cette longévité. Parce qu’il respire l’air du temps, qu’il est facile d’accès, qu’il est proche des gens. Il est amené à devenir de plus en populaire. C’est l’avenir de l’opéra !

En plus de contribuer à la création de nouvelles œuvres, L’Opéra de Montréal programme régulièrement des opéras contemporains. Qu’on pense à Dead Man Walking, JFK, Champion, Silent Night, Les Feluettes ou encore Written on Skin, Pour la saison 2023-2024, deux nouvelles œuvres seront à l’affiche : Enigma, adapté des Variations énigmatiques d’Éric-Emmanuel Schmitt, et La Reine-garçon, tirée de la pièce de Michel Marc Bouchard.

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