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Face à une œuvre
Face à une œuvre Sabine Devieilhe & Alexandre Tharaud
À l’occasion de leur venue à l’Opéra national du Rhin pour leur récital «Nuit d’étoiles», la soprano Sabine Devieilhe et le pianiste Alexandre Tharaud, évoquent une œuvre qui les touche particulièrement. Une autre façon de se raconter, grâce à l’art.
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Sabine Devieilhe, La Croix des Fiancés
La Croix des Fiancés, Belgique, 1931
«En guise d’œuvre d’art, j’ai choisi un petit monument: la Croix des Fiancés, qui se trouve dans les Hautes Fagnes de Wallonie. J’ai découvert cette croix si simple en faisant des recherches lorsque je préparais le cycle des Banalités, afin de comprendre l’un des poèmes d’Apollinaire mis en musique par Poulenc (que je chanterai lors de mon récital à Strasbourg). Les Fagnes forment une vaste lande marécageuse, à cheval entre la Belgique et l’Allemagne. Le 23 janvier 1871, deux jeunes gens venant à Jalhay, François et Marie, doivent franchir ces Fagnes pour aller se marier à Xhoffraix, en Prusse, une marche de plus de trois heures. Or on est en janvier, la neige et le brouillard vont perdre les amants. Deux mois plus tard, on retrouve leurs corps ensevelis. Dans le corsage de Marie, un mot laissé par François: “Marie est morte, et moi je vais le faire”. En hommage à ces pauvres amants, une croix a été érigée à l’endroit où ils ont été retrouvés. Elle célèbre le pouvoir de l’amour.»
La Forêt bleue, 2013. ©Jean-François Spricigo, Galerie Camera Obscura Paris
«Le bleu de cette forêt est naturel: il n’y a aucun filtre. La photo a été prise à 2000 mètres d’altitude, à 6h du matin. C’est ce qui lui a donné cette couleur étrange. Les branches des arbres sont de différentes tailles et vont dans tous les sens. Une pureté et une perfection apaisantes se dégagent de ce joyeux chaos. Cette photo me ressemble: j’ai besoin d’une forme de confusion pour me recentrer. Jean-François Spricigo photographie la nature comme des visages. Je vois dans cette photo comme un visage avec de belles rides, tendrement abîmé par le temps. C’est émouvant de regarder et d’avoir chez soi l’œuvre d’un ami. On peut passer un mois sans lui prêter attention, et puis tout d’un coup, c’est elle qui nous regarde et nous pose la main sur l’épaule. Madeleine Milhaud, la veuve du compositeur, m’a confié que, toute sa vie, elle a voulu être un édredon pour son mari: quelque chose de léger et qui tient chaud. Pour moi, c’est ça aussi être un ami.»