Le magazine n°18 de l'Opéra national du Rhin : Mars / Avr. 2022

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Opéra national du Rhin Mars/Avr. 2022

Entretien Rocío Márquez, du flamenco à l’électro

Histoire Les Tsiganes : une nation européenne

Musique Mozart et les méandres du désir

Hommage Thierry Mugler, sublime extravagance

Littérature L’imaginaire tsigane, de Cervantès à Pouchkine

Le magazine, nº18


Titre courant

OnR, le magazine

nº18 Mars/avril 2022

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Éditorial 2 Entretien

Rocío Márquez. La chanteuse star du flamenco évoque sa soif intarissable de musiques plurielles, du classique à l’électro.

8 Le coin de l’Histoire

Les Tsiganes : une nation européenne Histoire, géographie et perception du peuple tsigane, de la chute de Constantinople à aujourd’hui.

12 Portfolio littéraire

Les Tsiganes dans la littérature européenne. Entre mépris et fantasmes, les Tsiganes fascinent et enflamment depuis des siècles l’imaginaire des plus grands auteurs.

24 Une histoire sans fin

La Petite Sirène. Plongée dans des eaux enchantées à la poursuite d’un personnage phare du folklore européen.

26 Top 3

Così fan tutte de Mozart. Trois airs incontournables sur les méandres de l’amour et le désir à écouter au moins une fois dans sa vie.

28 Hommage

Thierry Mugler. Né à Strasbourg et ancien danseur du Ballet de l’OnR, le créateur a révolutionné le monde de la mode par son audace et sa délicieuse extravagance.

34 Rencontres

Partage d’anecdotes et d’émotions artistiques avec six artistes du Chœur de l’OnR.

36 Face à une œuvre

Karine Deshayes. La mezzo-soprano française se raconte à travers sa passion pour Jérôme Bosch et son Jardin des délices.

38 Retour sur…

Ballets européens au XXIe siècle, Les Oiseaux & Les Rêveurs de la lune à l’OnR.

44 Brèves 47 Calendriers

Vertiges de l’amour Tandis que les jours s’allongent, que les températures se réchauffent et que les courbes de la pandémie s’affaissent, l’Opéra national du Rhin met à l’affiche des ouvrages frémissants de désirs divers. Le désir est la grande affaire de l’opéra. Il en est question dès l’origine du genre, quand Néron se consume pour Poppée ou que Jupiter convoite Calisto. Et cela n’a pas changé au XXIe siècle. Les ouvrages que l’OnR présentent en ce printemps de renouveau ont pour particularité d’être fort contrastés dans leur manière d’approcher ce mystère de la langueur et de la passion. Chez Mozart, le désir est toujours au coin de la rue, affleurant avec évidence d’une musique plus trouble qu’elle n’en a l’air, et tout spécialement dans Così fan tutte, sublime marivaudage qui, sous ses dehors de comédie invraisemblable, dissimule de vertigineux abîmes. Mozart y explore les failles du cœur humain, sans concession mais avec tendresse. Dans la nouvelle mise en scène de David Hermann, report de 2020 que nous sommes impatients de vous faire enfin découvrir, la question du désir s’inscrit dans un temps distendu. L’histoire de ces deux couples qui se confrontent à la question de la fidélité nous est racontée sur une période de quarante ans. La leçon est la même que chez Proust : le temps est l’agent de la désillusion, mais aussi celui de la régénérescence. Tel est aussi Così fan tutte : une « école des amants » qui va apprendre à de jeunes gens écervelés que la vie est douce-amère et l’amour comme une cigarette – il fait du bien, puis il s’arrête. On peut s’en désespérer. Mais on peut aussi l’accepter afin de vivre plus sereinement, et garder à l’esprit que l’inconstance est « necessità del core » – une « nécessité du cœur », comme le dit le personnage du philosophe dans cette fable (im)morale. Du côté de Manuel de Falla et Leoš Janáček, réunis le temps d’un spectacle original qui couple deux chefs-d’œuvre initialement détachés l’un de l’autre, le désir est brut. Que ce soit dans les raucités du flamenco de L’Amour sorcier ou dans les soupirs fulgurants du Journal d’un disparu, il s’exprime sans fard et finit par triompher. Il a tour à tour pour objet et pour sujet une Tsigane, figure de la liberté comme de l’authenticité. La Gitane ne se ment pas à elle-même, elle regarde son désir dans les yeux et tente d’entraîner sur son chemin l’homme qui la regarde avec fascination. La figure iconique de la Bohémienne, centrale dans ces deux œuvres uniques en leur genre, suffit à donner du sens à ce spectacle fort et neuf, lequel permet aussi à Daniel Fish, maître de la scène contemporaine d’Amérique, de faire ses débuts en France. Ce diptyque constitue le cœur de notre festival Arsmondo 2022, ambitieuse manifestation pluridisciplinaire que l’OnR produit depuis cinq ans, et bâtie autour d’une culture du monde. Jadis attachée à un pays lointain, sa programmation s’articule dès cette année autour d’une culture transnationale. En l’occurrence celle des Gens du Voyage, peuple qui, comme le désir, nous invite au vagabondage… Alain Perroux, directeur général de l’OnR


Rocío Márquez © J. Salas OnR, le magazine

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Entretien

Rocío Márquez Du flamenco à l’électro : décloisonner les genres Étoile montante de la scène flamenca actuelle, la cantaora n’a jamais autant chanté sa soif de musiques plurielles. Du flamenco aux créations contemporaines, du répertoire historique des musiques de tradition écrite à l’électro, cette aficionada des rencontres et des croisements artistiques multiplie les projets autour d’un vivifiant credo : l’ouverture interculturelle. Rencontre avec celle qui incarne la gitane Candelas dans L’Amour sorcier de Manuel de Falla, présenté au printemps à l’OnR dans un diptyque inédit avec Journal d’un disparu de Leoš Janáček. Par Stéphan Etcharry Vous voyagez dans le monde entier et avez notamment visité notre pays à de nombreuses reprises. Est-ce la première fois que vous venez à Strasbourg ?

le concert ou le spectacle provoque chez lui. Le public français est peut-être plus sobre, mais tout aussi sincère et chaleureux.

Non, j’ai eu la chance de visiter Strasbourg à plusieurs reprises, mais c’est la première fois que je vais y passer deux mois, en résidence pour les répétitions de L’Amour sorcier de Manuel de Falla et un concert.

Votre prénom a-t-il un lien avec la fameuse Vierge du Rocío, petit village dans le parc naturel de la Doñana, entre Séville et Huelva – votre ville d’origine ?

Oui, à Huelva, il est très courant d’appeler les filles Rocío en raison de cette grande dévotion à la Vierge. En ce qui me concerne, ma famille m’a prénommée ainsi en référence explicite et en hommage à cette figure populaire.

Sentez-vous, chez le public français, un rapport privilégié au flamenco ? Percevez-vous des différences de réception (dans l’écoute, les attitudes, les comportements, les réactions, etc.), entre les publics français et espagnol lors de vos concerts ?

C’est d’ailleurs vers cette Vierge du Rocío que converge chaque année, pour la Pentecôte, un pèlerinage, très suivi notamment par la communauté gitane. Avez-vous vous même des origines gitanes?

Oui, absolument. Je pense que le public français a une sensibilité et une ouverture singulières vis-à-vis de l’art flamenco, tant dans son expression musicale que dans sa danse. C’est pourquoi de nombreux artistes viennent fréquemment se produire dans ce pays voisin du nôtre. La différence avec le public espagnol réside peut-être dans cette autre façon d’exprimer les sentiments que OnR, le magazine

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Je n’ai pas d’origines gitanes dans ma famille. Cependant, j’ai de nombreuses relations amicales et professionnelles avec des personnes de cette communauté.

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Entretien Parallèlement au genre musical du flamenco dont vous portez les couleurs avec conviction, avezvous eu, à un moment donné de votre carrière, une formation en musique « classique » en prenant par exemple des cours particuliers ou en fréquentant une école de musique ou un conservatoire ?

Comment êtes-vous venue au chant flamenco ? Est-ce une histoire d’atavisme familial ou avezvous fréquenté des cours, des académies, des institutions d’enseignement de cette musique ? Quels ont été alors vos maîtres ? Quelles sont les figures emblématiques qui constituent votre propre panthéon artistique en la matière ?

Oui, j’ai suivi des cours au conservatoire et j’ai également étudié l’enseignement de la musique ; j’ai donc une relation avec la musique également d’un point de vue académique et pédagogique.

Disons que le flamenco m’est venu de manière naturelle, en raison de l’amour de la musique qui existait dans ma famille. J’ai des souvenirs depuis mon plus jeune âge où les réunions familiales se déroulaient au gré de chansons festives qui ont toujours retenu mon attention. J’ai donc dit à ma mère que je voulais apprendre à chanter et elle m’a inscrite dans une association de flamenco pour prendre des cours. Tout au long de mon enfance, de mon adolescence et de ma jeunesse, j’ai été formée par de nombreux maîtres et professeurs tels que Paco Taranto ou José de la Tomasa. Par ailleurs, certains artistes historiques ont profondément marqué ma façon de comprendre le chant flamenco : Pastora Pavón, Manuel Vallejo, Pepe Marchena ou Enrique Morente sont quelques-uns de ceux-là.

Vous êtes originaire de Huelva, en Andalousie. Le Gaditan Manuel de Falla a-t-il (ou a-t-il eu) une résonance particulière dans votre vie personnelle et artistique ?

Manuel de Falla a été une figure fondamentale de l’histoire du flamenco en raison de son influence en tant que compositeur mais aussi en tant que promoteur, aux côtés de Federico García Lorca notamment, du fameux Concours de Cante Jondo de Grenade, qui fête d’ailleurs son 100e anniversaire en 2022. En outre, au cours de ma carrière, j’ai eu l’occasion d’interpréter L’Amour sorcier à la fois en direct, avec des orchestres symphoniques internationaux, et dans un enregistrement discographique avec un ensemble baroque, l’Euskal Barrok ensemble.

C’est la célèbre danseuse flamenca Pastora Imperio (nom de scène de Pastora Rojas Monje) et des Gitans de sa propre famille qui créèrent au Teatro Lara de Madrid, le 15 avril 1915, la toute première version de L’Amour sorcier (« gitanerie musicale »), conçue sous la forme d’un spectacle scénique total pour chant, mélodrame, danse, pantomime et ensemble instrumental. Trop éloignée des canons de l’opéra ou de la zarzuela, cette première ne fut malheureusement pas un succès. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Pastora Imperio du point de vue de l’artiste flamenca que vous êtes, elle qui récitait, chantait et exécutait tout à la fois des numéros de danse lors de la première de L’Amour sorcier ?

Est-ce la première fois, dans votre parcours de chanteuse de flamenco, que vous abordez la musique d’un compositeur de musique de tradition « savante » ?

Comme je viens de le dire, j’ai déjà interprété Falla à de nombreuses reprises. J’ai également pu chanter Monteverdi, Granados, Albéniz… Fabien Touchard (compositeur français contemporain, né en 1985). Des compositeurs de musiques classique, baroque, contemporaine, nationale (c’est-à-dire espagnole) et internationale. Je me considère ainsi comme une privilégiée d’avoir pu côtoyer tous ces styles, toutes ces époques, toutes ces nationalités.

Pastora Imperio était une artiste dans le plein sens du terme, un talent scénique impressionnant qui utilisait toutes les ressources vocales, interprétatives, musicales et chorégraphiques à sa disposition pour exprimer et transmettre. Je pense qu’elle peut être considérée aujourd’hui comme une figure de référence pour les artistes actuels que nous sommes, afin que nous arrêtions de nous mettre dans des cases disciplinaires hermétiques et que nous nous ouvrions au contraire à l’exploration des différentes possibilités que nous offrent la scène et la vie. OnR, le magazine

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Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans cette œuvre ?

Ce qui me touche le plus, c’est la capacité de la partition à me faire vibrer à travers différents états émotionnels, en me permettant d’y entrer et d’en sortir avec le plus grand naturel.

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Entretien © J. Salas

Que pensez-vous du fait de faire appel à une cantaora issue du flamenco dans le cadre d’une œuvre de tradition savante ? N’est-elle d’ailleurs pas nécessaire précisément dans L’Amour sorcier ? Ou pensez-vous que l’on pourrait tout aussi bien la remplacer par un cantatrice (de bel canto) ?

Oui, je peux l’imaginer et cela pourrait être une relecture intéressante du projet d’origine.

« Le flamenco m’est venu de manière naturelle, en raison de l’amour de la musique qui existait dans ma famille. J’ai des souvenirs depuis mon plus jeune âge où les réunions familiales se déroulaient au gré de chansons festives qui ont toujours retenu mon attention. »

De quelle manière vous êtes-vous plongée dans l’univers de Manuel de Falla pour préparer votre travail d’interprète ? Dans quel état d’esprit avezvous travaillé la partition de L’Amour sorcier ?

Je me trouve actuellement dans un processus de recherche personnelle et artistique axé sur l’expansion et le déploiement de mes capacités expressives, vocales, corporelles et scéniques. Je prends donc cet Amour sorcier, qui est une pièce que je connais bien, d’un point de vue nouveau où j’essaie d’apporter un regard contemporain et frais à une œuvre centenaire, tout en voulant respecter cette intention flamenca dans l’interprétation vocale. OnR, le magazine

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Entretien Vous qui êtes issue du monde de la transmission orale auquel s’associe inévitablement une part plus ou moins importante d’improvisation, comment avez-vous géré ou tout simplement vécu le rapport au texte musical d’une partition écrite de musique de tradition savante ?

J’aime prendre la partition comme une référence, quelque chose que j’intériorise afin de développer mon chant à partir de là. J’aime donc toujours rester ouverte à l’introduction de variations plus ou moins subtiles qui découlent de l’improvisation. Bien entendu, il s’agit d’une question à gérer et à discuter avec le chef d’orchestre afin que l’ensemble ait un sens. Falla a-t-il selon vous saisi le sens profond du cante jondo à travers sa propre traduction musicale – notamment à travers sa notation et l’esthétique qui s’en dégage – : style général, échelles modales, inflexions, ornementations, intervalles mélodiques privilégiés, mode de déclamation / chant ?

Aucun doute là-dessus. Falla connaissait les codes du flamenco et les a inclus dans ses créations. Il y a une seule chose qui échappe à toute partition et qui est très présente dans le flamenco : l’improvisation. Je suis sûre qu’il aurait souhaité que nous nous permettions cette liberté au moment d’interpréter son œuvre. Comment situeriez-vous chez Falla – et dans L’Amour sorcier en particulier – le dosage et l’équilibre entre musique savante et musique populaire ? S’agit-il selon vous d’une simple cohabitation ou coexistence, ou percevez-vous des interactions voire des interpénétrations entre ces univers a priori aux antipodes ? Voyez-vous dans ce recours au flamenco une façon pour Falla de transmuer en profondeur la musique de tradition savante européenne du début du XXe siècle ?

© J. Salas

Je ne perçois pas ces deux mondes comme des compartiments étanches ; la « contamination » qui se produit est un facteur d’enrichissement. Chaque connexion entre différentes disciplines élargit le champ présent d’action. Pensez-vous que votre propre vocalité, vos inflexions musicales, votre énergie rythmique et artistique ainsi que la tradition flamenca que vous portez en vous aient un impact direct sur le jeu même des musiciens et la sonorité de l’orchestre qui sert d’écrin à votre voix dans L’Amour sorcier ?

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Entretien

« Il y a une seule chose qui échappe à toute partition et qui est très présente dans le flamenco : l’improvisation. » J’aime concevoir l’œuvre musicale comme un organisme vivant. Comme je l’ai déjà dit, la partition est une structure qui nous soutient, nous donne une référence, des repères, et nous permet de ne pas nous perdre. À partir de là, je pense que la texture de ma voix et mon attitude vocale influencent l’orchestre, et vice versa.

Retrouvez Rocío Márquez dans la programmation de l’OnR, dans le cadre du festival Arsmondo Tsigane : OPÉRA

L’Amour sorcier / Journal d’un disparu

Au-delà de vos tournées de chant flamenco, avezvous d’autres projets de collaboration avec des musiciens ou, plus généralement, des artistes provenant d’univers différents du vôtre ?

Oui, je prépare un nouvel album et un spectacle avec le producteur de musique urbaine et électronique Bronquio [pseudonyme de l’Andalou Santiago Gonzalo, artiste de la scène trap espagnole actuelle, né à Jerez de la Frontera et vivant à Séville]. Ce projet va être un grand défi dans ma carrière et il verra la lumière en mai. J’espère être en mesure de le présenter en France au cours de cette année 2022.

Mar. Jeu. Dim. Mar. Jeu.

15 17 20 22 24

mars mars mars mars mars

Strasbourg, Opéra

Mulhouse, La Sinne Ven. 1er avril Dim. 3 avril

20h 20h 15h 20h 20h 20h 15h

RÉCITAL DE FLAMENCO

Rocío Márquez Strasbourg, Opéra Ven. 18 mars

Stéphan Etcharry est maître de conférence à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, il travaille notamment sur les musiques françaises et espagnoles et les transferts culturels entre ces deux nations au tournant des XIXe et XXe siècles. OnR, le magazine

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Toute la programmation du festival : operanationaldurhin.eu

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20h


© Jeannette Gregori OnR, le magazine

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Le coin de l’Histoire

Les Tsiganes : une nation européenne

Par Henriette Asséo

L’historien ne peut contrer la puissance implacable des mythes. Au mieux son propos sera marginalisé, surtout s’il prétend faire entendre la voix des dominés. Or l’originalité de la culture tsigane tient précisément dans le choix assumé de la discrétion. Une histoire indissociable de la formation et de l’évolution des sociétés européennes depuis la Renaissance, mais une histoire paradoxale puisque l’enracinement pluriséculaire ne s’est pas accompagné d’un récit sur soi organisé par des élites.

munautés romani n’a pas changé, du moins jusqu’au début du XXe siècle. La structuration lignagère étant acquise par les ancrages territoriaux, plusieurs modèles sociaux et culturels se dessinent dès la Renaissance italienne pour s’étendre à toute l’Europe. Celui des Gitans d’Espagne et des Zingari d’Italie du Sud est citadin. Comme les Juifs, les Gitans ibériques subissent les édits des Rois catholiques dès 1492. Un deuxième modèle est dispersé et itinérant. Dans les États princiers comme la France, la Suède, la Prusse, l’Écosse ou l’Angleterre, la Pologne ou le royaume de Piémont, les Bohémiens ou Zigeuner forment des compagnies militaires, qui circulent au gré des lignes mouvantes de la guerre, à une époque où seule l’armée de Louis XIV comprenait un million d’hommes. Un troisième modèle concerne l’Europe centrale, il est domanial et rural. Dans les territoires de l’empire des Habsbourg, les Tsiganes sont attachés aux seigneuries avec un statut supérieur à celui des paysans, qui leur confère une liberté de mouvement. Enfin les Tsars de Russie mènent une colonisation aux marges européennes et la Couronne

L’inscription pluriséculaire dans la Res Publica Christiana

Un premier domaine qui sépare l’histoire et le mythe concerne l’origine des Tsiganes. Ceux qui se présentent dans les sources comme Aeg yptioni sive Cingani ou Cingari font partie intégrante des réfugiés chrétiens des États grecs et latins médiévaux, fuyant devant la pression de l’impérialisme ottoman après la chute de Constantinople. Ces migrations depuis l’ancien Empire byzantin s’étendent sur plus d’un siècle jusqu’aux années 1540. La géographie de l’implantation des comOnR, le magazine

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Le coin de l’Histoire Les malentendus de l’opinion savante : Sinti de l’ouest et Roms de l’est

de Russie crée l’administration des Tsiganes de Bessarabie. Dès l’époque moderne, tous les Tsiganes sont des hommes libres à l’exception notable de ceux du royaume historique de Roumanie. Si les princes de Transylvanie et de Serbie reconnaissent les Tsiganes comme hommes libres, partie intégrante de leur nation, il n’en est pas de même dans l’ancien royaume de Roumanie. Aux confins de l’Europe balkanique, les princes chrétiens de Valachie et de Moldavie ont établi un système esclavagiste unique en Europe chrétienne par son ampleur et sa durée. Avec l’autorisation du sultan de Constantinople, ces princes, concèdent à la noblesse locale des boyards et aux monastères orthodoxes un droit spécial d’exploitation d’hommes réduits en esclavage. La servitude des Tigani durera cinq siècles jusqu’aux derniers actes d’émancipation de 1856. Ainsi les Tsiganes forment l’une des plus anciennes « nations » au sens ancien, ce qui explique la diversité apparente des ethnonymes. Chaque langue européenne en formation traduit à sa manière les termes de Cingari ou Aegyptiani : Bohémiens ou Égyptiens en France, Zingari en Italie, Gypsies en anglais, Gitani et Cinganos dans la formation du castillan, Zigeuner dans l’espace germanique et toutes les variantes du terme générique de Cigani ou Ciganie dans pays de l’Europe centrale et orientale. Notons qu’en français, le terme Tsigane comme traduction de Cingani ne s’imposa qu’au XIXe siècle.

Depuis la Renaissance, l’usage de la langue romani était largement attesté dans toutes les sociétés européennes. Ceci laissa perplexe l’opinion savante qui refusa d’accorder aux Cingani le privilège de l’autochtonie. Pourtant chacun pouvait enquêter à sa porte. Au XVIIIe siècle, le patron de la Royal Society, Joseph Banks, interroge les Gypsies de son domaine anglais sans pour autant favoriser l’intégration des Bohémiens à l’ethnologie comparée naissante. De même, les matériaux rassemblés en 1784 dans les provinces orientales de la Prusse par l’ami de Kant et professeur à Königsberg, Christian Jakob Kraus, ne furent guère exploités, même si Kant lui-même y eut accès. Son informateur, le capitaine Christof Adam, alors âgé de soixante-cinq ans, appartenait à un groupe familial, celui des Manouches d’Alsace qui existe jusqu’à nos jours. Il qualifia en romani les différents groupes qu’il fréquentait, se disant luimême Sinto. L’enquête interne, celle qui éclairait la stabilité des communautés tsiganes (Sinte ou Manouches à l’Ouest et Roms à l’Est) fut ignorée. De même l’imaginaire de la mobilité ne permit pas de prendre la mesure d’une démographie considérable en Europe centrale et orientale. Le seul recensement des Roms du Royaume de Hongrie (Zigeuner-Conscription), en date du 31 janvier 1893, donne le détail des villages et quartiers urbains des 274 940 Ungrika Roma. Seulement 3% étaient des nomades « avec tentes ». Cette importance démographique explique l’intégration précoce des Tsiganes dans les cultures nationales. Ainsi l’initiateur de l’enquête, l’archiduc Joseph de Habsbourg (1833-1905), palatin de Hongrie,

À la rencontre des Tsiganes avec le festival Arsmondo

Créé en 2018 par l’Opéra national du Rhin, le festival Arsmondo explore chaque année une culture du monde sous ses différents aspects artistiques, historiques, sociologiques et politiques à travers une multitude d’événements (concerts, expositions, projections, lectures, conférences) présentée par les institutions culturelles de l’Eurométropole de Strasbourg. L’édition 2022 part à la rencontre des Tsiganes qui peuplent depuis des siècles la littérature, la peinture et les musiques européennes, en reflétant la fascination qu’ils exercent sur les arts les plus officiels, mais aussi en leur donnant la parole, en exposant leurs œuvres, en faisant résonner leur musique et leurs poèmes, rappelant ainsi qu’ils ne sont pas seulement citoyens du monde, mais aussi nos concitoyens. OnR, le magazine

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Le coin de l’Histoire entendait traiter les Tsiganes comme une composante à part entière de la Nation Hongroise. Sa grammaire tsigane fut publié en 1888 sous les auspices de l’Académie de Budapest , et il anima la section consacrée aux Roms dans la Société magyare d’ethnographie. Les idéologies organicistes contemporaines ont effacé de la mémoire magyare cette composante rom, que pourtant Franz Liszt ou Béla Bartók ont glorifiée en leur temps. Il en fut de même pour les Gitans et les cultures flamencas, ou les Gypsies anglo-romani qui pourtant ont essaimé aux Amériques avec succès. D’autant qu’un autre facteur contribua à brouiller les pistes. Durant le premier tiers du XXe siècle, la concomitance des mesures anti-tsiganes prises par l’ensemble des États européens entraina une transformation politique d’envergure. Dans les États autoritaires, l’Italie fasciste après 1922, l’Espagne de Franco après 1939, la France de Vichy et tous les États balkaniques après 1940, l’influence de la politique tsigane allemande, la Zigeunerpolitik, fondée sur la raciologie, conduit à des mesures arbitraires d’internement. Tout fut ruiné par la politique d’extermination nazie. Dans leur entreprise de remodelage intégral du continent européen les nazis ont exterminé 80% des familles Sinti et Roms du Grand Reich, et provoquaient la disparition de plus de la moitié des Tsiganes d’Europe.

divertissement à la fois russe et tsigane, fut dénoncée sous le double stigmate de décadence bourgeoise et d’abrutissement populaire. Seul subsista jusqu’à nos jours le théâtre Romen, ouvert le 4 octobre 1930 avec l’appui de l’avant-garde, dont Meyerhold. Ainsi, les traits culturels proprement romani ne sont pas constitués par des éléments fixes, confinés dans la tradition, déterminés par l’origine géographique, l’exercice de certaines professions ou le nomadisme. Une exceptionnelle résistance à la normalisation permit toutefois de maintenir l’autonomie de la culture romani sans le soutien des élites. Dans le beau récit de sa vie dans les années 1940-1950, Ilona Lackova, Romni de Slovaquie, exprime en ces termes ses valeurs : « mieux vaut une âme rassasiée qu’un intestin rassasié ».

Henriette Asseo est historienne (EHESS).

Ainsi, le continent des ténèbres a recouvert de son manteau d’ignorance l’exceptionnel épanouissement de la « Gypsy way of life », qui convenait si bien au cosmopolitisme bien tempéré d’une certaine aristocratie européenne non-conformiste. Car la force de la culture tsigane bénéficia de la civilisation urbaine à son apogée. Déjà inscrite dans l’art baroque, le succès de la figure bohémienne, tenait à sa double dimension de figure plébéienne et aristocratique. Elle transcendait les assignations identitaires contribuant à l’engouement des avant-gardes. Mais là encore le reflux se fit violent à la mesure des espoirs mis dans les révolutions du XXe siècle. Nulle contrée n’avait poussé aussi loin l’osmose entre les Ruska Roma et l’aristocratie russe. Les élites roms qui accueillirent avec enthousiasme la Révolution bolchévique furent décimées par la répression stalinienne. La tsyganshchina, la culture dominante de OnR, le magazine

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Retrouvez dans le cadre du festival Arsmondo Tsigane : EXPOSITION

Jeannette Gregori Strasbourg, Lieu d’Europe Du 15 mars. au 3 avril Du mardi au dimanche de 10h à 18h VERNISSAGE & RENCONTRE

Mar. 15 mars .

18h & 19h

Toute la programmation du festival : operanationaldurhin.eu

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Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875), Zingara au tambour de basque (1865-1870) OnR, le magazine

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Portfolio littéraire Les Tsiganes dans la littérature européenne « Preciosa fut élevée en divers endroits de Castille, et, lorsqu’elle eut quinze ans, sa grand-mère putative la ramena à la capitale, et à son ancien campement, là où vont d’ordinaire les gitans, dans le faubourg de Santa Barbara, pensant vendre sa marchandise à la Cour où tout s’achète et tout se vend. Et la première entrée que fit Preciosa à Madrid, ce fut un jour de sainte Anne, patronne et avocate de la ville, sur une danse où évoluaient huit gitanes, quatre vieilles et quatre jeunes, et un gitan, grand danseur, qui menait le bal. Or, bien que toutes fussent nettes et bien attifées, l’élégance de Preciosa était telle que c’est elle qui peu à peu fit la conquête de tous les regards. Au milieu du son du tambourin et des castagnettes, au plus fort de la danse, s’éleva une rumeur pour célébrer la beauté et la grâce de la gitane, et les gamins accouraient pour la voir, et les hommes pour la regarder. » — Miguel de Cervantès, La Gitanilla (1613)

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Portfolio littéraire

Humanité blessée et sublime liberté Incarnation même d’une altérité de proximité autant désirée que rejetée, les Tsiganes peuplent l’imaginaire européen depuis le XVe siècle. Toujours qualifiés d’« étrangers », ils sont pourtant pleinement partie prenante d’un pan entier de la culture européenne, célébré ce printemps par les événements de la nouvelle édition du festival Arsmondo et les représentations du diptyque lyrique et inédit L’Amour sorcier / Journal d’un disparu. Par Louis Geisler

se sert notamment Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris (1831) pour ménager efficacement un rebondissement narratif dévoilant les véritables origines de la belle Esmeralda.

Hôtes devenus parias

Au XVe siècle, les cours royales et princières européennes accueillent avec respect et fascination les Tsiganes et n’hésitent pas à les engager comme mercenaires pour défendre leurs frontières. Mais leurs coutumes étrangères sont forcément suspectes et ils sont rapidement bannis des villes, tolérés uniquement pour les divertissements festifs qu’ils présentent contre quelques pièces. Cervantès est l’un des premiers auteurs européens majeurs à mettre en scène les Tsiganes. Parue en 1613 entre les deux volets des aventures de son Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, La Gitanilla extraite de l’une de ses Nouvelles Exemplaires raconte l’histoire d’un noble qui s’éprend d’une belle Tsigane danseuse de rue appelée Preciosa. Pour lui prouver son amour, il décide de tout quitter pour la suivre dans sa vie nomade et marginale avant de finalement découvrir que sa bien-aimée est d’origine noble et a été enlevée bébé. Reprenant une histoire d’origine italienne, Cervantès popularise le thème des Tsiganes voleurs d’enfants qui devient rapidement un topos classique de la littérature européenne – et un cliché tenace et méprisant – dont OnR, le magazine

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La Bohémienne, sirène de grand chemin

Au XIXe siècle, les artistes européens se passionnent plus que jamais pour les horizons lointains d’un « Orient » fantasmé, allant des déserts arides du Maghreb et des ruines helléniques jusqu’aux neiges éternelles du mont Fuji. Comme le note Hugo dans la préface de ses Orientales en 1829, « l’Orient est devenu une préoccupation générale » alors que les grandes puissances se lancent avec avidité dans une politique coloniale expansionniste. Nourri par ce goût pour l’exotisme et le pittoresque, un nouvel imaginaire se construit et s’incarne bien souvent sous les traits d’une femme étrangère séduisante au fort pouvoir érotique. Odalisques sortant du bain et autres fumeuses d’opium nonchalamment allongées sur des coussins peuplent les tableaux des salons parisiens, tandis que les auteurs et les compositeurs ressuscitent ou inventent des princesses antiques

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Portfolio littéraire confrontées à la tragédie de leur destinée. Au sein de ce sérail idéalisé émerge la figure de la Tsigane aux multiples identités syncrétiques – Gitane, Égyptienne, Bohémienne, Zingara –, réputée pour son caractère bien trempé, ses longs cheveux noirs et ses mœurs légères, symbolisées par sa chemise de garçon qui laisse entrevoir les courbes de sa poitrine. Contrairement à ses consœurs, elle n’habite pas des contrées lointaines aux noms imprononçables. Fille d’un peuple nomade aux origines obscures, toujours rejeté et jamais assimilé, elle est l’étrangère qui vit comme les bandits de grand chemin aux portes de la ville, aussi bien en Andalousie qu’au fin fond des Vosges, comme l’évoque Mérimée dans le dernier chapitre de Carmen. La Bohémienne, c’est l’autre exotique à portée de main. Et de lèvres. Telle une fleur du mal miraculeusement née d’une lignée toujours décrite comme laide et particulièrement rustre, elle séduit les hommes, malgré elle ou en pleine conscience, et les conduit irrémédiablement sur les sentiers de la perdition morale et sociale, transformant les fils les plus ingénus et droits en redoutables contrebandiers et assassins. Louis-Marie Baader (1828-1920), Tsigane à la porte de Brousse (1885)

L’amour sorcier

Tant de pouvoir sur les corps et les âmes ne saurait être naturel. La Bohémienne est forcément une magicienne versée dans la maîtrise des arcanes obscures. L’Isabelle d’Égypte d’Achim von Arnim qui séduit le puissant Charles Quint sacrifie un chien un soir de pleine lune pour transformer une mandragore en créature vivante, tandis que la Carmen de Mérimée lit l’avenir dans le tarot et autres grigris : « Dès que nous fûmes seuls, la bohémienne tira de son coffre des cartes qui paraissaient avoir beaucoup servi, un aimant, un caméléon desséché, et quelques autres objets nécessaires à son art. Puis elle me dit de faire la croix dans ma main gauche avec une pièce de monnaie, et les cérémonies magiques commencèrent. Il est inutile de vous rapporter ses prédictions, et, quant à sa manière d’opérer, il était évident qu’elle n’était pas sorcière à demi. » Bien qu’originaires de l’Est, les Tsiganes sont sensés venir du sud de la Méditerranée, fiers et arrogants dépositaires d’un savoir mystique et malfaisant venu d’Égypte, transmis oralement dans un dialecte incompréhensible, aussi impénétrable que les étranges hiéroglyphes que Champollion ne déOnR, le magazine

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« Telle une fleur du mal miraculeusement née d’une lignée toujours décrite comme laide et particulièrement rustre, elle séduit les hommes, malgré elle ou en pleine conscience, et les conduit irrémédiablement sur les sentiers de la perdition »

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Portfolio littéraire

En haut Henri Rousseau (1844-1910), La Bohémienne endormie (1897) À gauche Franz Hals (1580-1666), La Gitane (1630) 1613 Avec sa nouvelle La Gitanilla, Miguel de Cervantès lance la mode de l’imaginaire tsigane dans la littérature européenne, avec son lot de clichés, légendes et fantasmes. 1812 Achim von Arnim se fait l’écho dans Isabelle d’Égypte des pratiques magiques anciennes et occultes attribuées aux Tsiganes. 1845 Prosper Mérimée invente le personnage de Carmen, Tsigane envoûtante, libre et rebelle, devenue une icône du répertoire lyrique grâce à l’opéra de Georges Bizet. 1857 Charles Baudelaire identifie dans Bohémiens en voyage la figure du « poète maudit » à celle du peuple tsigane, rejeté par la société et envié pour sa « liberté » apparente. OnR, le magazine

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« On désire Carmen mais on l’honnit et la vilipende pour ce qu’elle est. Et on ne tue que ce que l’on aime. »

les artistes romantiques célèbrent les histoires et mélodies folkloriques « locales » mais finalement toujours un peu inspirées par celle du voisin – que resterait-il des œuvres des frères Grimm sans Perrault ou celles de La Fontaine sans Ésope ou Ibn al-Muqaffa, traducteur persan des fables indiennes de Kalila wa-Dimna ? De Walter Scott au Royaume-Uni à Alexandre Pouchkine en Russie, tous mettent en scène les Tsiganes et leur folklore dans leurs œuvres. On a beau les traiter en étrangers, leur culture a aussi « fait » la nôtre. Et finalement, qu’y a-t-il de plus européen et familier que le peuple tsigane ?

chiffrera qu’à grande peine dans les années 1820. Or, la « Petite Égypte » dont certains Tsiganes eux-mêmes prétendent venir ne serait qu’un lieudit médiéval, situé près de la ville de Methónie dans le Péloponnèse d’où partaient les chrétiens en pèlerinage vers les lieux saints, interdits à ce peuple hérétique qui aurait été condamné à l’errance perpétuelle après avoir forgé les clous utilisés pour crucifier le Christ – reprise lancinante et insupportable du thème délétère du « juif errant » qui leur collera à la peau, pour leur plus grand malheur.

Louis Geisler est le dramaturge de lʼOpéra national du Rhin. Il collabore régulièrement avec le Festival d’Aix-en-Provence, l’Opéra de Dijon et différents metteurs en scène.

Retrouvez dans la programmation : OPÉRA

Vie de bohême

L’Amour sorcier / Journal d’un disparu

Cette errance est le corollaire d’une liberté constamment mise en avant dans toutes les œuvres littéraires, musicales et picturales ayant trait aux Tsiganes, peuple haï et dénigré, dont on jalouse secrètement le manque d’attache apparente, et surtout l’audace de s’affranchir des règles qu’on aimerait voir tomber – on désire Carmen mais on l’honnit et la vilipende pour ce qu’elle est. Et on ne tue que ce que l’on aime… Alors que se développe ce désir honteux et inavoué, un nouveau mythe romantique est en train de naître. Celui des artistes maudits et incompris, mis au ban de la société. Et ils sont nombreux à passer devant les tribunaux : Baudelaire, Flaubert… Les Tsiganes calomniés deviennent le nouveau miroir d’une civilisation qui se cherche et ne se définit que dans la confrontation à l’« autre ». L’artiste moderne et avant-gardiste, jugé hier, célébré aujourd’hui, se sent Tsigane avant tout. Rejeté mais libre. Fier de sa « vie de bohème » que tout le monde lui envie et applaudit dans les théâtres. Alors que se construisent les états modernes, en quête de roman national et de symbole fédérateur, OnR, le magazine

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Mar. Jeu. Dim. Mar. Jeu.

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mars mars mars mars mars

Strasbourg, Opéra

Mulhouse, La Sinne Ven. 1er avril Dim. 3 avril

20h 20h 15h 20h 20h 20h 15h

ET TOUTE LA PROGRAMMATION DU

Festival Arsmondo Tsigane Du 11 mars au 3 avril 2022 Renseignements et réservations : operanationaldurhin.eu

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Portfolio littéraire

Gitane dansant le vito sévillano Illustration de Gustave Doré (1832-1883) OnR, le magazine

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Portfolio littéraire

Notre-Dame de Paris Victor Hugo

Dans son roman historique, Victor Hugo met en scène le vol de la petite Agnès par des Bohémiens diseurs de bonne aventure. Son petit soulier oublié sur le sol permettra des années plus tard à sa mère Gervaise de la reconnaitre sous les traits d’Esméralda, bohémienne dont s’éprend Quasimodo, le sonneur de cloche de Notre-Dame. — Le conte est bel et bon, dit à mi-voix la Gervaise, mais où est l’Égypte dans tout cela ? — Voici, répliqua Mahiette. Il arriva un jour à Reims des espèces de cavaliers fort singuliers. C’étaient des gueux et des truands qui cheminaient dans le pays, conduits par leur duc et par leurs comtes. Ils étaient basanés, avaient les cheveux tout frisés, et des anneaux d’argent aux oreilles. Les femmes étaient encore plus laides que les hommes. Elles avaient le visage plus noir et toujours découvert, un méchant roquet sur le corps, un vieux drap tissu de cordes lié sur l’épaule, et la chevelure en queue de cheval. Les enfants qui se vautraient dans leurs jambes auraient fait peur à des singes. Une bande d’excommuniés. Tout cela venait en droite ligne de la basse Égypte à Reims par la Pologne. Le pape les avait confessés, à ce qu’on disait, et leur avait donné pour pénitence d’aller sept ans de suite par le monde, sans coucher dans des lits. Aussi ils s’appelaient Penanciers et puaient. Il paraît qu’ils avaient été autrefois sarrasins, ce qui fait qu’ils croyaient à Jupiter, et qu’ils réclamaient dix livres tournois de tous archevêques, évêques et abbés crossés et mitrés. C’est une bulle du pape qui leur valait cela. Ils venaient à Reims dire la bonne aventure au nom du roi d’Alger et de l’empereur d’Allemagne. Vous pensez bien qu’il n’en fallut pas davantage pour qu’on leur interdît l’entrée de la ville. Alors toute la bande campa de bonne grâce près de la Porte de Braine, sur cette butte où il y a un moulin, à côté des trous des anciennes crayères. Et ce fut dans Reims à qui les irait voir. Ils vous regardaient

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dans la main et vous disaient des prophéties merveilleuses. Ils étaient de force à prédire à Judas qu’il serait pape. Il courait cependant sur eux de méchants bruits d’enfants volés et de bourses coupées et de chair humaine mangée. Les gens sages disaient aux fous : N’y allez pas, et y allaient de leur côté en cachette. C’était donc un emportement. Le fait est qu’ils disaient des choses à étonner un cardinal. Les mères faisaient grand triomphe de leurs enfants depuis que les égyptiennes leur avaient lu dans la main toutes sortes de miracles écrits en païen et en turc. L’une avait un empereur, l’autre un pape, l’autre un capitaine. La pauvre Chantefleurie fut prise de curiosité. Elle voulut savoir ce qu’elle avait, et si sa jolie petite Agnès ne serait pas un jour impératrice d’Arménie ou d’autre chose. Elle la porta donc aux égyptiens ; et les égyptiennes d’admirer l’enfant, de la caresser, de la baiser avec leurs bouches noires, et de s’émerveiller sur sa petite main. Hélas ! à la grande joie de la mère. Elles firent fête surtout aux jolis pieds et aux jolis souliers. L’enfant n’avait pas encore un an. Elle bégayait déjà, riait à sa mère comme une petite folle, était grasse et toute ronde, et avait mille charmants petits gestes des anges du paradis. Elle fut très effarouchée des égyptiennes, et pleura. Mais la mère la baisa plus fort et s’en alla ravie de la bonne aventure que les devineresses avaient dite à son Agnès. Ce devait être une beauté, une vertu, une reine. Elle retourna donc dans son galetas de la rue Folle-Peine, toute fière d’y rapporter une reine. Le lendemain, elle profita d’un moment où l’enfant dormait sur son lit, car elle la couchait toujours avec elle, laissa tout doucement la porte entr’ouverte, et courut raconter à une voisine de la rue de la Séchesserie qu’il viendrait un jour où sa fille Agnès serait servie à table par le roi d’Angleterre et l’archiduc d’Éthiopie, et cent autres surprises. À son retour, n’entendant pas de cris en montant son escalier, elle se dit : Bon ! l’enfant dort toujours. Elle trouva sa porte plus grande ouverte qu’elle ne l’avait laissée, elle entra pourtant, la pauvre mère, et courut au lit… – L’enfant n’y était plus, la place était vide. Il n’y avait plus rien de l’enfant, sinon un de ses jolis petits souliers. Elle s’élança hors de la chambre, se jeta au bas de l’escalier, et se

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mit à battre les murailles avec sa tête en criant : — Mon enfant ! qui a mon enfant ? qui m’a pris mon enfant ? – La rue était déserte, la maison isolée ; personne ne put lui rien dire. Elle alla par la ville, elle fureta toutes les rues, courut çà et là la journée entière, folle, égarée, terrible, flairant aux portes et aux fenêtres comme une bête farouche qui a perdu ses petits. Elle était haletante, échevelée, effrayante à voir, et elle avait dans les yeux un feu qui séchait ses larmes. Elle arrêtait les passants et criait : Ma fille ! ma fille ! ma jolie petite fille ! Celui qui me rendra ma fille, je serai sa servante, la servante de son chien, et il me mangera le cœur, s’il veut. – Elle rencontra M. le curé de SaintRemy, et lui dit : — Monsieur le curé, je labourerai la terre avec mes ongles, mais rendez-moi mon enfant ! – C’était déchirant, Oudarde ; et j’ai vu un homme bien dur, maître Ponce Lacabre, le procureur, qui pleurait. — Ah ! la pauvre mère ! – Le soir, elle rentra chez elle. Pendant son absence, une voisine avait vu deux égyptiennes y monter en cachette avec un paquet dans leurs bras, puis redescendre après avoir refermé la porte, et s’enfuir en hâte. Depuis leur départ, on entendait chez Paquette des espèces de cris d’enfant. La mère rit aux éclats, monta l’escalier comme avec des ailes, enfonça sa porte comme avec un canon d’artillerie, et entra… – Une chose affreuse, Oudarde ! Au lieu de sa gentille petite Agnès, si vermeille et si fraîche, qui était un don du bon Dieu, une façon de petit monstre, hideux, boiteux, borgne, contrefait, se traînait en piaillant sur le carreau. Elle cacha ses yeux avec horreur. — Oh ! dit-elle, est-ce que les sorcières auraient métamorphosé ma fille en cet animal effroyable ? – On se hâta d’emporter le petit pied-bot. Il l’aurait rendue folle. C’était un monstrueux enfant de quelque égyptienne donnée au diable. Il paraissait avoir quatre ans environ, et parlait une langue qui n’était point une langue humaine ; c’étaient des mots qui ne sont pas possibles. – La Chantefleurie s’était jeté sur le petit soulier, tout ce qui lui restait de tout ce qu’elle avait aimé. Elle y demeura si longtemps immobile, muette, sans souffle, qu’on crut qu’elle y était morte. Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre sixième (1831)


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Carmen

Prosper Mérimée Archétype même de la gitane envoûtante qui fait tourner toutes les têtes et corrompt les jeunes hommes de bonne famille, la Carmen de Mérimée va conquérir les scènes du monde entier grâce à l’opéra éponyme de Georges Bizet. Un soir, à l’heure où l’on ne voit plus rien, je fumais, appuyé sur le parapet du quai, lorsqu’une femme, remontant l’escalier qui conduit à la rivière, vint s’asseoir près de moi. Elle avait dans les cheveux un gros bouquet de jasmin, dont les pétales exhalent le soir une odeur enivrante. Elle était simplement, peutêtre pauvrement vêtue, tout en noir, comme la plupart des grisettes dans la soirée. Les femmes comme il faut ne portent le noir que le matin ; le soir, elles s’habillent à la francesa. En arrivant auprès de moi, ma baigneuse laissa glisser sur les épaules la mantille qui lui couvrait la tête, et, à l’obscure clarté qui tombe des étoiles, je vis qu’elle était petite, jeune, bien faite, et qu’elle avait de trèsgrands yeux. Je jetai mon cigare aussitôt. Elle comprit cette attention d’une politesse toute française, et se hâta de me dire qu’elle aimait beaucoup l’odeur du tabac, et que même elle fumait, quand elle trouvait des papelitos bien doux. Par bonheur, j’en avais de tels dans mon étui, et je m’empressai de lui en offrir. Elle daigna en prendre un, et l’alluma à un bout de corde enflammé qu’un enfant nous apporta moyennant un sou. Mêlant nos fumées, nous causâmes si longtemps, la belle baigneuse et moi, que nous nous trouvâmes presque seuls sur le quai. Je crus n’être point indiscret en lui offrant d’aller prendre des glaces à la neveria. Après une hésitation modeste elle accepta ; mais avant de se décider, elle désira savoir quelle heure il était. Je fis sonner ma montre, et cette sonnerie parut l’étonner beaucoup. — Quelles inventions on a chez vous, messieurs les étrangers ! De quel pays êtes-vous, monsieur ? Anglais sans doute ? — Français et votre grand serviteur. Et vous mademoiselle, ou madame, vous êtes probablement de Cordoue ?

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— Non. — Vous êtes du moins Andalouse. Il me semble le reconnaître à votre doux parler. — Si vous remarquez si bien l’accent du monde, vous devez bien deviner qui je suis. — Je crois que vous êtes du pays de Jésus, à deux pas du paradis. ( J’avais appris cette métaphore, qui désigne l’Andalousie, de mon ami Francisco Sevilla, picador bien connu.) — Bah ! le paradis… les gens d’ici disent qu’il n’est pas fait pour nous. — Alors, vous seriez donc Moresque, ou… je m’arrêtais, n’osant dire : juive. — Allons, allons ! vous voyez bien que je suis bohémienne ; voulez-vous que je vous dise la baji ? Avez-vous entendu parler de la Carmencita ? C’est moi. J’étais alors un tel mécréant, il y a de cela quinze ans, que je ne reculai pas d’horreur en me voyant à côté d’une sorcière. — Bon ! me dis-je ; la semaine passée, j’ai soupé avec un voleur de grands chemins, allons aujourd’hui prendre des glaces avec une servante du diable. En voyage il faut tout voir. J’avais encore un autre motif pour cultiver sa connaissance. Sortant du collège, je l’avouerais à ma honte, j’avais perdu quelques temps à étudier les sciences occultes et même plusieurs fois j’avais tenté de conjurer l’esprit de ténèbres. Guéri depuis longtemps de la passion de semblables recherches, je n’en conservais pas moins un certain attrait de curiosité pour toutes les superstitions, et me faisais une fête d’apprendre jusqu’où s’était élevé l’art de la magie parmi les Bohémiens. Tout en causant, nous étions entrés dans la neveria, et nous étions assis à une petite table éclairée par une bougie renfermée dans un globe de verre. J’eus alors tout le loisir d’examiner ma gitana pendant que quelques honnêtes gens s’ébahissaient, en prenant leurs glaces, de me voir en si bonne compagnie. […] Quand nous nous remîmes en marche, il était nuit close ; la plupart des boutiques étaient fermées et les rues presque désertes. Nous passâmes le pont du Guadalquivir, et à l’extrémité du faubourg nous nous arrêtâmes devant une maison qui n’avait nullement l’apparence d’un palais. Un enfant nous ouvrit. La bohémienne lui dit quelques mots dans une langue à moi inconnue, que je sus depuis être la rommani ou chipe

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calli, l’idiome des gitanos. Aussitôt l’enfant disparut, nous laissant dans une chambre assez vaste, meublée d’une petite table, de deux tabourets et d’un coffre. Je ne dois point oublier une jarre d’eau, un tas d’oranges et une botte d’ognons. Dès que nous fûmes seuls, la bohémienne tira de son coffre des cartes qui paraissaient avoir beaucoup servi, un aimant, un caméléon desséché, et quelques autres objets nécessaires à son art. Puis elle me dit de faire la croix dans ma main gauche avec une pièce de monnaie, et les cérémonies magiques commencèrent. Il est inutile de vous rapporter ses prédictions, et, quant à sa manière d’opérer, il était évident qu’elle n’était pas sorcière à demi. Prosper Mérimée, Carmen (1845)

Quentin Durward Walter Scott

Dans sa fresque historique consacrée à la lutte entre Louis XI et Charles le Téméraire, Walter Scott se fait l’écho des légendes méprisantes entourant l’origine du peuple Tsigane. Pendant que Quentin avait avec les deux comtesses la courte conversation indispensable pour leur donner l’assurance que le personnage extraordinaire qui venait d’augmenter leur troupe était le guide qui devait leur être envoyé de la part du roi, il remarqua, car il était aussi alerte à observer les mouvements de l’étranger que celui-ci pouvait l’être à observer les siens ; il remarqua, dis-je, que cet homme, non-seulement tournait la tête en arrière autant qu’il le pouvait, pour jeter sur eux des regards de curiosité, mais qu’avec une agilité singulière, plutôt semblable à celle d’un singe qu’à celle d’un homme, il se tournait sur sa selle de manière à être assis presque de côté, afin de pouvoir les observer plus à son aise et plus attentivement. Peu satisfait de cette manœuvre, Quentin s’avança vers le Bohémien, et lui dit en le voyant reprendre la position convenable sur son cheval :


Portfolio littéraire — « Il me semble, l’ami, que vous ne nous serez guère plus utile qu’un guide aveugle : car vous regardez la queue de votre cheval plus souvent que ses oreilles. — Et quand je serais effectivement aveugle, répondit le Bohémien, je pourrais encore vous servir de guide à travers quelque province que ce soit du royaume de France ou de ceux qui l’avoisinent. — Cependant vous n’êtes pas né Français, dit Durward. — Non. — De quel pays êtes-vous donc ? — Je ne suis d’aucun pays. — Comment ! d’aucun pays ? — Non, d’aucun. Je suis un Zingaro, un Bohémien, un Égyptien, ou tout ce que les Européens, dans leurs divers langages, peuvent juger à propos d’appeler notre peuple ; mais je n’ai pas de pays. — Êtes-vous chrétien ? » Le Bohémien secoua la tête. « — Chien, » dit Quentin, car à cette époque l’esprit du catholicisme était peu tolérant ; « adores-tu Mahomet ? — Non, » répondit d’un air insouciant et d’un ton laconique le guide, qui ne parut ni offensé ni surpris de l’emportement du jeune homme. — « Êtes-vous donc païen ; qu’êtes-vous enfin ? — Je ne professe aucune religion. » Durward recula étonné ; car, quoiqu’il eut entendu parler de Sarrasins et d’idolâtres, il ne lui était jamais venu à l’idée qu’il pût exister une association d’hommes qui ne suivissent aucun culte. Cependant il revint de sa surprise, et demanda à son guide où il habitait ordinairement. — Partout où je me trouve, répliqua le Bohémien ; je n’ai pas de résidence fixe. — Comment conservez-vous ce qui vous appartient ? — À l’exception des habits que je porte et du cheval que je monte, je ne possède rien au monde. — Cependant votre habillement ne manque pas d’élégance et votre cheval est excellent. Quels sont vos moyens d’existence ? — Je mange quand j’ai faim, je bois quand j’ai soif, et je n’ai d’autres moyens d’existence que ceux que le hasard me fait rencontrer. — Sous les lois de qui vivez-vous ? — Je ne dois obéissance à personne qu’autant que cela me convient. — Qui est votre chef ? qui vous commande ? — Le père de notre tribu, s’il me plaît de lui obéir ; je ne connais point d’autre chef. — Vous êtes donc dépourvus de tout ce qui réunit les autres hommes ? » dit Quentin dont la surprise allait toujours croissant. « Vous n’avez ni lois, ni chef, ni moyens assurés

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d’existence, ni maison, ni demeure. Vous n’avez (que le ciel ait pitié de vous !), vous n’avez point de patrie, et (veuille l’Être suprême vous éclairer et vous pardonner !) vous n’avez point de Dieu. Que vous reste-t-il, privés comme vous l’êtes de gouvernement, de bonheur domestique et de religion ? — La liberté. Je ne rampe devant personne ; je n’obéis à personne ; je ne respecte personne. Je vais là où je veux, je vis comme je peux, et je mourrai quand mon heure sera venue. — Mais vous êtes exposé à être mis à mort à chaque instant, suivant le bon plaisir du juge. — Soit ! ce n’est que mourir un peu plus tôt. — Mais vous êtes exposé aussi à être emprisonné ; et où est alors cette liberté dont vous vous vantez ? — Dans mes pensées, qu’aucune chaîne ne peut entraver ; tandis que les vôtres, même lorsque vos membres sont libres, restent enchaînées par vos lois et par vos superstitions, par vos rêves d’attachement local, par vos visions fantastiques de politique civile : moi, mon esprit est libre lors même que mes membres sont enchaînés ; vous, votre esprit est captif lors même que vos membres jouissent de toute leur liberté. — Toutefois, la liberté de votre esprit ne peut alléger les chaînes qui pèsent sur vos membres. — C’est un mal qui peut s’endurer pendant quelque temps, et si je ne parviens bientôt à m’échapper, ou si mes camarades ne peuvent m’y aider, je puis toujours mourir : la mort est la liberté la plus parfaite. » Walter Scott, Quentin Durward, Chapitre XVI (1823) Traduction française : Albert Montémont (1838)

Les Bohémiens

Alexandre Pouchkine Dans ce long poème paru en Russie en 1824, Pouchkine met en scène Aleko, jeune Russe amoureux – bientôt malheureux – de la belle Tsigane Zemfira. C’est Prosper Mérimée qui en réalise la traduction trente ans plus tard.

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Dans une tente solitaire, un vieillard ne dort point encore. Assis devant quelques charbons, et recueillant leur mourante chaleur, il regarde la plaine où s’étend le brouillard de la nuit. Sa fille est allée courir la campagne déserte. Libre enfant, elle ne connaît que son caprice. Elle reviendra... mais voici la nuit et bientôt la lune va disparaître derrière les nuages à l’horizon. Zemfira ne revient pas, et l’humble souper du vieillard se refroidit à l’attendre. Mais, la voici. Derrière elle, sur la steppe, un jeune homme s’avance ; il est inconnu au bohémien : — Père, dit la jeune fille, j’amène un hôte. Derrière le Kourgane là-bas dans le désert, je l’ai rencontré et je l’amène au camp pour la nuit. Il veut devenir bohémien comme nous. La justice le poursuit, mais en moi il trouvera une bonne compagne. Il s’appelle Aleko ; il me suivra partout. LE VIEILLARD : Bien; reste jusqu’à demain à l’ombre de notre tente, plus longtemps, si tu veux. L’abri, le pain nous le partagerons. Sois des nôtres. Tu t’accoutumeras à nos façons, à notre vie errante, à la misère, à la liberté. Demain, au point du jour, un même chariot nous emportera tous les trois. Prends un métier, choisis : forge le fer ou chante des chansons en promenant l’ours de village en village. ALEKO : Je reste. ZEMFIRA : Il est à moi, qui pourrait me l’arracher ? Mais il est tard. La jeune lune a disparu. La brume couvre la campagne et mes yeux se ferment malgré moi. Il est jour. Le vieillard tourne à pas lents autour d’une tente silencieuse : « Debout, Zemfira, le soleil est levé ! Réveille-toi mon hôte, il est temps, il est temps. Quittez, enfants, la couche de la paresse. « Aussitôt, la horde s’épand à grand bruit. On plie les tentes, les chariots sont prêts à partir. Tout s’ébranle à la fois. Les voilà cheminant par les plaines désertes. Des ânes ouvrent la marche, portant dans des paniers des enfants qui se jouent. Derrière viennent les maris, les frères, les femmes, les filles, jeunes et vieux.


Portfolio littéraire Que de cris ! quel tapage ! Aux refrains de la Bohême se mêlent les grognements de l’ours qui mord impatiemment sa chaîne. Quelle bigarrure de haillons aux couleurs éclatantes ! Les chiens hurlent à la cornemuse qui ronfle, tandis que les roues grincent sur le gravier. Cohue, misère, sauvagerie ! Mais tout cela est si plein de vie et de mouvement ! Fi de notre mollesse inerte comme la mort ! fi de notre indolente langueur, monotone comme les chants de l’esclave ! Le jeune homme promène un regard découragé sur la plaine déserte. Il n’ose s’avouer à lui-même la cause de sa tristesse. Pourtant, Zemfira, la belle aux yeux noirs, est à ses côtés. Maintenant, il est libre et le monde est devant lui. Sur sa tête un radieux soleil brille dans sa splendeur de midi. Pourquoi le cœur du jeune homme tressaille-t-il en sa poitrine ? Quel secret ennui le tourmente ? L’oiselet du bon Dieu ne connaît ni souci ni travail. Pourquoi se fatiguerait-il à tresser un lit solide et durable ? La nuit est longue, un rameau lui suffit pour dormir. Vienne le soleil en sa gloire, l’oiselet entend la voix de Dieu, il secoue ses plumes et chante sa chanson. Alexandre Pouchkine, Les Bohémiens (1824) Traduction : Prosper Mérimée (1852)

Isabelle d’Égypte

Achim von Arnim En 1812, l’écrivain romantique allemand Achim von Arnim imagine dans un conte l’amour de jeunesse de l’empereur Charles Quint avec la gitane Isabella, dite Bella, fille du grand duc des Bohémiens. Mais quel embarras de fouiller dans ces livres, de lire toutes ces lois mystérieuses, toutes ces préparations auxquelles elle ne comprenait rien ; ces moyens de trouver la pierre philosophale, de citer les esprits, de guérir les maladies, d’enchanter les animaux, et même de faire de l’or. Moyen il est vrai si difficile, qu’il eût été, je crois, plus commode d’aller au soleil

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nº17 Janvier/février 2022

dans un char attelé de deux lunes. Après une semaine passée dans d’infructueuses recherches, [Bella] découvrit enfin, dans un de ces livres, le moyen d’avoir la racine de mandragore et d’en obtenir de l’argent ; c’est tout ce que peut désirer un être humain. Mais, bien que ce fût une des plus simples opérations de la magie, elle présentait cependant d’extrêmes difficultés. La magie, en effet, demande un rude apprentissage. Qui pourrait aujourd’hui affronter toutes les épreuves auxquelles il fallait se soumettre pour avoir la mandragore ? Qui pourrait les accomplir avec succès ? Il faut une jeune fille qui aime de toute son âme, qui, oubliant toute la pudeur de son rang et de son sexe, désire ardemment voir son bien-aimé ; condition qui, pour la première fois peut-être, se trouvait satisfaite dans Bella : regardée par les bohémiens comme un être d’un rang supérieur, elle s’était toujours considérée comme telle. L’apparition du prince l’avait tellement frappée, et elle l’avait vu avec une âme si pure, qu’aucune arrièrepensée n’eût pu s’éveiller en elle. Chez cette jeune fille doit couver un courage surhumain. Il faut au milieu de la nuit emmener un chien noir, aller sous un gibet où un pendu innocent ait laissé tomber ses larmes sur le gazon ; arrivé là, on doit se boucher soigneusement les oreilles avec du coton, et promener ses mains par terre, jusqu’à ce qu’on trouve la racine ; et malgré les cris de cette racine, qui n’est pas un végétal, mais qui est née des pleurs du malheureux, on se dépouille la tête, on fait de ses cheveux une corde dont on entoure la racine ; on attache le chien noir à l’autre extrémité ; on s’éloigne alors, de manière que le chien voulant vous suivre arrache la racine de terre et se trouve renversé par une secousse foudroyante. Dans cet instant, si l’on ne s’est pas bien bouché les oreilles, on risque de devenir fou d’effroi. Bella était peut-être la seule depuis bien des années, chez laquelle toutes ces conditions se trouvassent réunies. Qui était plus innocent que Michel son père, lui qui avait sacrifié son existence pour son peuple, et qui avait vécu constamment dans la souffrance et le besoin ? Quelle jeune fille aurait eu le courage de sortir ainsi la nuit, si ce n’est Bella qui depuis quatre ans, époque de la mort de sa mère, avait mené une

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existence cachée et nocturne, et qui était assez familière avec le cours de la lune et des étoiles pour trouver dans la nuit une consolation et une solitude animée ; quelle jeune fille avait comme elle un chien noir qu’elle détestât autant ? Car, depuis le jour où toute petite il l’avait mordue, elle ne pouvait le souffrir, maintenant même, que le chien lui obéissait avec un zèle exemplaire et veillait toujours sur elle, tout cela d’un air singulier, qui faisait dire à Michel qu’il y avait quelque chose du diable dans ce chien. Achim von Arnim, Isabelle d’Ég ypte (1812)

Bohémiens en voyage Charles Baudelaire

Dans ce poème extrait de la section « Spleen et Idéal » des Fleurs du mal, Baudelaire s’identifie à une mystérieuse troupe de gitans, peuple épris de liberté et en marge de la société, tout comme lui. La tribu prophétique aux prunelles ardentes Hier s’est mise en route, emportant ses petits Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes. Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes Le long des chariots où les leurs sont blottis, Promenant sur le ciel des yeux appesantis Par le morne regret des chimères absentes. Du fond de son réduit sablonneux le grillon, Les regardant passer, redouble sa chanson ; Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures, Fait couler le rocher et fleurir le désert Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert L’empire familier des ténèbres futures. Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (1857)


Études préparatoires pour les costumes de L’Amour sorcier / Journal d’un disparu © Doey Lüthi OnR, le magazine

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Une histoire sans fin

La Petite Sirène Fée polymorphe, femme-serpent ou à queue de poisson, la sirène revêt de multiples apparences dans le folklore européen, ensorcelant de son inquiétante étrangeté l’imaginaire fantastique d’artistes du Moyen Âge à aujourd’hui. Retour sur ses multiples avatars, à l’occasion de la présentation par les enfants de la Maîtrise de l’OnR de La Petite Sirène, pièce contemporaine du compositeur Bent Sørensen inspirée par le conte d’Andersen. Par Louis Geisler 1

La fée serpent Mélusine ou la noble histoire de Lusignan, roman de Jean d’Arras (1392-1394) La légende de Mélusine est mise par écrit à la fin du XIVe siècle par Jean d’Arras qui fait de cette fée la fondatrice mythique de la Maison de Lusignan dont les héritiers ont réellement régné sur les royaumes latins d’Orient. Selon cette tradition, le chevalier Raymondin rencontre dans les bois une très belle femme, Mélusine, qui lui promet le bonheur s’il l’épouse et accepte de ne jamais la voir le samedi. Leur mariage est des plus prospères mais la rumeur, rapportée à Raymondin par son frère, veut que Mélusine profite de sa liberté pour le tromper. Rongé par la jalousie, le chevalier épie sa femme et la surprend se baignant dans un bassin de marbre, avec une immense queue de serpent en guise de jambes. Trahie, Mélusine abandonne Raymondin à ses remords, prend la forme d’un dragon et s’envole dans les airs – métamorphose bientôt diabolisée par l’Église qui rappelle les sirènes ailées et griffues de l’Antiquité dont le chant poussait les marins à la noyade. 2

La femme sans âme Ondine, conte de Friedrich de La Motte-Fouqué (1811) Au début du XIXe siècle, l’écrivain allemand Friedrich de La Motte-Fouqué OnR, le magazine

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s’inspire pour son conte des nixes (nymphes du folklore germanique qui attirent les humains dans l’eau), du Livre des nymphes (1566) de l’alchimiste Paracelse pour qui les génies aquatiques sont dépourvus d’âme, et enfin de l’intrigue typique des récits dits « mélusiniens » – un être surnaturel épouse un humain, lui impose un interdit et repart dans son monde après la transgression de celui-ci. Ondine est ici un génie féminin des eaux qui commande aux éléments. Elle épouse le chevalier Huldebrand et acquiert une âme grâce à son amour, mais leur vie est menacée par son oncle Kuhleborn. Finalement rejetée par Hulebrand, elle l’enjoint de lui rester fidèle mais celui-ci se remarie. Ondine lui donne un dernier baiser qui ranime son amour et le tue d’extase. Lors des funérailles de son bien-aimé, elle se transforme en ruisseau ceinturant sa tombe afin de le serrer à jamais entre ses bras. À une époque où le romantisme triomphe en Allemagne, le conte de Fouqué rencontre un grand engouement. Il devient dès 1814 un opéra dont la partition est signée par E.T.A. Hoffmann, célèbre en France pour ses Contes fantastiques qui ont inspiré à Jacques Offenbach son dernier opéra, Les Contes d’Hoffmann. 3

Amour sacrificiel La Petite Sirène, conte de Hans Christian Andersen (1937) S’il existe dans la mythologie nordique un monstre marin terrifiant appelé Margygr (« géante des mers ») possédant un buste et une tête de femme, les sirènes scandinaves deviennent au Moyen Âge des vierges pourvues d’une queue de poisson. Andersen s’inspire de cette représentation et de l’histoire d’Ondine pour le personnage de son célèbre conte. Tombée amoureuse d’un prince qu’elle a sauvé de la noyade, la Petite Sirène passe un pacte avec une sorcière : au prix du sacrifice de sa langue et de terribles souffrances, elle sera transformée en humaine et devra épouser le prince pour recevoir une âme immortelle ou bien être transformée en écume. Mais la Petite Sirène échoue, presque devant

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l’autel. Pour la sauver, ses sœurs passent un nouveau marché impliquant le sacrifice de leurs magnifiques chevelures et la mort du prince, mais la Petite Sirène préfère se suicider. Pour son acte désintéressé, elle est transformée en « fille de l’air » et pourra obtenir une âme immortelle après trois cents ans de bonnes actions. 4

Fille de la lune Roussalka, opéra d’Antonín Dvořák (1901) S’enracinant dans l’imaginaire slave des roussalki (créatures féminines vivant à proximité des eaux douces dérivées du culte antique de Diane), le livret de Roussalka mélange des éléments narratifs empruntés à Ondine et à La Petite Sirène. Dvořák reprend dans sa partition des mélodies folkloriques tchèques et signe un tube du répertoire lyrique mondial, le « Chant à la lune », lointain clin d’œil au symbole de la déesse Diane. 5

La princesse émancipée La Petite Sirène, film d’animation des studios Disney (1989) En 1989, La Petite Sirène est le premier film d’un nouvel âge d’or pour les studios Disney, après deux décennies en demiteinte. Basé sur une version édulcorée du conte d’Andersen, le film d’animation renoue avec un modèle inspiré par les comédies musicales de Broadway qui feront les succès de La Belle et la Bête (1991), d’Aladdin (1992) et du Roi lion (1994). La jeune actrice américaine Alyssa Milano prête ses traits à Ariel, princesse au grand cœur en quête d’émancipation.

Retrouvez dans la programmation : HEURE LYRIQUE

Contes d’Andersen Strasbourg, Opéra Sam. 30 avril

19h


Top 3

Così fan tutte Après Les Noces de Figaro et Don Giovanni, Così fan tutte vient clore en 1790 la trilogie d’opéras issus de la collaboration de Wolfgang Amadeus Mozart et de Lorenzo da Ponte. Deux officiers, Guglielmo et Ferrando, fiancés à deux sœurs, Fiordiligi et Dorabella, s’offusquent de voir la fidélité de leurs promises raillée par le vieux philosophe Alfonso. Pour lui donner tort, ils acceptent le pari qu’il leur propose : feindre de partir à la guerre, et entreprendre, selon ses directives, de séduire les deux femmes sous les traits déguisés de deux nobles étrangers. Derrière les ficelles du marivaudage et de l’opéra buffa, les finesses dramaturgiques et musicales insufflent à cette « école des amants » la force d’une éducation sentimentale. (Re)découvrez trois airs cultes de cet opéra avant les représentations données à l’OnR à partir d’avril prochain et de la projection du film Closer, entre adultes consentants qui s’en inspire. Par Camille Lienhard 1

Soave sia il vento Le calme avant la tempête Instant suspendu gravé dans la postérité mozartienne, le célèbre trio d’adieu marquant le faux départ de Guglielmo et Ferrando se distingue au sein de l’ouvrage par une poésie tout à la fois picturale et intime. Restés sur la rive, les deux sœurs et Alfonso accompagnent de leurs pensées la barque des soldats qui vient de disparaître dans l’horizon : « Soave sia il vento, tranquilla sia l’onda » (« Que le vent soit suave, l’onde paisible »). Clarinettes et bassons doublent les voix qui s’élèvent tandis que, sur les tenues lointaines des cors, le dessin ondulant des violons entremêle l’imitation des flots et l’évocation des sentiments. Une telle métaphore, tout OnR, le magazine

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droit sortie de l’opéra baroque, se teinte ici de couleurs romantiques. Au déchirement de la séparation des numéros précédents, a succédé l’espoir apaisé en l’accord de la nature aux souhaits humains. Mais si c’était par ces derniers mêmes que s’immisçait le trouble, comme semble un moment le suggérer la dissonance qui s’étire et s’abîme déraisonnablement sur le mot « désir » ? 2

Un’aura amorosa La « noblesse » du sentiment Rassurés sur la fidélité de leurs fiancées par le refus outré qu’elles ont opposé au premier assaut de leurs doubles factices, Guglielmo et Ferrando tiennent déjà le pari pour gagné. Le premier veut dîner ; mais le second ne songe qu’à se nourrir de l’amour vainqueur. L’occasion, pour Mozart, de soustraire ces deux personnages à l’indifférenciation de leur gémellité dramaturgique en offrant à Ferrando un air de caractère, « Un’aura amorosa » (« Une brise amoureuse »), dans lequel il affirme une nature spirituelle, fervente et délicate qui le distingue du tempérament plus terre-àterre de son compagnon. Par là se révèle une nuance psychologique et sociale, codifiée par l’expression musicale de l’époque : contrairement à Guglielmo, qui demeure dans le registre buffa, le chant de Ferrando se charge des accents nobles d’un personnage d’opéra seria. Écrite dans le ton de la majeur, cher au compositeur dans l’évocation amoureuse, cette romance constitue une pièce incontournable du répertoire des ténors. 3

Per pietà, ben mio, perdona all’error d’un’alma amante La virtuosité vocale sur-mesure Le triomphe de l’idéal aura été prématuré. Au cours du second acte, la résistance des deux femmes ploie peu à peu sous les feux croisés des tentations et des manœuvres. Symétriquement au binôme masculin, Mozart affine ici la caractérisation des profils. Dorabella, plus simple, cède la première ; Fiordiligi,

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qui a l’étoffe de la prima donna, ne rend les armes qu’après un solo fleuve, brillant de l’éclat le plus racé du genre seria : « Per pietà, ben mio, perdona all’error d’un’alma amante » (« Par pitié, mon bien-aimé, pardonne l’erreur d’une âme qui t’aime »). L’air, qui est le plus long de la partition, suit la structure du rondò, en vogue à la fin du XVIIIe siècle : deux sections avec des tempi différents (lentvif), favorisant une variété expressive spectaculaire. Le choix de Mozart pour cette forme se destine tout particulièrement à la soprano Adriana Ferrarese, qui s’en était fait une spécialité au travers d’autres opéras d’après Da Ponte, tels que la reprise des Noces de Figaro ou La Cifra d’Antonio Salieri. Camille Lienhard est musicologue. Il enseigne aux universités de Strasbourg et de Lyon 2 et collabore régulièrement avec l’Opéra national du Rhin.

Retrouvez dans la programmation : OPÉRA

Così fan tutte Jeu. Sam. Mar. Jeu. Dim. Mar.

14 16 19 21 24 26

Ven. 6 Dim. 8

Strasbourg, Opéra avril. avril. avril. avril. avril. avril.

20h 20h 20h 20h 15h 20h

Mulhouse, La Sinne mai. mai.

20h 15h

Colmar, Théâtre Dim. 15 mai.

17h

FILM

Closer, entre adultes consentants Date et lieu.

à définir


Top 3

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Per pietà, ben mio, perdona all’error d’un’alma amante

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Un’aura amorosa

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Soave sia il vento

Wolfagang Amadeus Mozart (1756-1791). OnR, le magazine

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Claude Heidemeyer – Chrysler Building (New York), 1988 © Manfred Thierry Mugler OnR, le magazine

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Hommage

Thierry Mugler, mesure de la démesure « Ma mesure, c’est la démesure » aimait à dire Thierry Mugler. Né à Strasbourg, il intègre à l’adolescence le corps de Ballet de l’Opéra national du Rhin avant de faire une entrée fracassante dans l’univers de la mode qu’il révolutionne dans les années 1980 et 1990. Retiré des podiums en 2002 pour se consacrer au monde du spectacle, il s’est éteint à Vincennes le 23 janvier 2022. Par Louis Geisler

L’enfance alsacienne

(future Haute école des arts du Rhin – HEAR), avant de quitter son Alsace natale en 1969. Arrivé à Paris, Mugler fréquente le milieu de la nuit de Saint-Germain-des-Prés et se fait rapidement remarquer pour ses vêtements excentriques qu’il conçoit lui-même à partir de pièces chinées aux puces. Il commence à présenter ses créations et devient finalement styliste indépendant à l’âge de vingt-six ans. La révolution Mugler est désormais en marche.

L’histoire de Thierry Mugler commence en 1948 à Strasbourg. Le petit Thierry est un enfant solitaire et timide, qui grandit dans une famille bourgeoise et conservatrice. Sa vocation pour le monde des arts et du spectacle, il la doit au Ballet de l’Opéra national du Rhin dont il intègre les rangs à l’adolescence, contre l’avis de ses parents : « J’ai construit mon premier théâtre quand j’avais moins de dix ans ; réalisé mon premier film (épouvantablement dramatique) à douze. Comme j’étais très seul, enfant, je rêvais, je lisais des illustrés, je fuguais dans la forêt voisine pour vivre dans une grotte comme Timour, l’homme des cavernes. J’imaginais des mondes à l’opposé de celui de la bonne société strasbourgeoise, dont je désespérais de jamais sortir. J’ai eu de la chance : lorsque j’ai eu quatorze ans, on m’a engagé dans le corps de Ballet de l’Opéra national du Rhin. Mes parents ne me l’ont pas pardonné, mais cela m’a libéré. Et la magie de la scène ne m’a plus quitté. » (L’Express style, 13 novembre 2013). En plus de sa passion pour la danse, il suit des études d’architecte d’intérieur à l’École supérieure des arts décoratifs OnR, le magazine

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La naissance d’un style

Dans les années 1970, la mode inspirée du mouvement hippie se veut folklorique, fluide et déstructurée. À contre-courant des tendances, Mugler lance en 1973 sa première collection intitulée Café de Paris. Son inspiration est « la parisienne », femme citadine et sophistiquée, sexy et sûre d’elle, moderne mais qui cultive une élégance intemporelle. Silhouette féminine exacerbée, décolleté plongeant et taille de guêpe : le style Mugler est né. Et s’il va s’ouvrir à de nombreuses influences (constructivisme russe, super-héros des comics américains, âge d’or hollywoodien, futurisme et

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Hommage transhumanisme), il ne cessera de s’affirmer au cours des décennies, jusque dans ses dernières créations, comme en témoigne la robe de silicone corsetée transparente portée en 2019 par la starlette de téléréalité Kim Kardashian lors du très prisé Met Gala, organisé chaque année par la papesse de la mode Anna Wintour, incontournable rédactrice en chef de l’édition américaine de Vogue. Icône de la mode et des défilés-spectacles

Les années 1980 sont définitivement celles de Thierry Mugler qui défraie la chronique avec des collections audacieuses et visionnaires, suscitant parfois la polémique pour l’image hyper-sexualisée des femmes qu’elles véhiculent. Mais qu’importe : les grands noms du mannequinat, du cinéma et de la musique se l’arrachent. Il habille dès 1979 David Bowie pour le clip et les prestations télévisées de la chanson Boys Keep Swinging (1979) – les deux artistes entretiendront une longue collaboration – et signe les costumes de scène de la première tournée événement de Mylène Farmer en 1989, privilège refusé quelques années plus tard à Madonna et Michael Jackson. La muglermania atteint même la classe politique. Ardent défenseur de la mode hexagonale qu’il érige au rang de « patrimoine français », le ministre de la Culture Jack Lang fait scandale le 17 avril 1985 à l’Assemblée nationale en troquant la cravate réglementaire pour une veste à col mao commandée au couturier : « Je revenais d’Inde et j’avais une fois de plus été saisi par la beauté, l’élégance et la rigueur de ses vêtements pour homme. Je me souviens avoir dit à Thierry à quel point je trouvais le costume occidental moche et sans charme, et lui avoir demandé s’il ne pouvait pas imaginer un modèle qui s’inspire du style indien. J’ai été comblé par cette veste, si belle et austère à la fois, désormais exposée au musée des Arts décoratifs. Une veste, à la fois neuve et classique, dont on s’étonne qu’elle ait étonné. » Mugler est applaudi pour ses vêtements mais aussi pour ses défilés, conçus comme de véritables shows, bien avant que cela ne devienne le standard de toutes les fashions weeks de Paris, Londres, Milan et New York : « Lorsque je suis arrivé à Paris, j’ai découvert que la mode aussi était une mise en scène, une représentation. Avec mon équipe, on y est allé à fond. On a inventé

Jerry Hall – Collection Les Insectes 1997 © Dominique Isserman

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Hommage

1948 Naissance à Strasbourg de Thierry Mugler. 1962 Passionné par la danse, il intègre à quatorze ans le Ballet de l’Opéra national du Rhin contre l’avis de ses parents. 1973 Il signe sa première collection intitulée Café de Paris. Silhouette féminine exacerbée, décolleté plongeant et taille de guêpe : le style Mugler est né. 1984 Premier défilé ouvert au grand public organisé devant 6 000 personnes au Zénith de la Villette pour les dix ans de sa marque. 2002 Retrait des podiums de Thierry Mugler pour se consacrer au monde du spectacle et du cabaret. Manfred Thierry Mugler – Reinier RDVA © 2021

des matériaux, des techniques de coupe, on a travaillé le latex, le métal, le plastique, on a fait des shows formidables. Au fond, il s’agissait toujours de ma seule vraie vocation : le spectacle, en effet. » (L’Express style, 13 novembre 2013). Pour les dix-ans de sa maison en 1984, il organise devant 6 000 personnes au Zénith de la Villette, le premier défilé ouvert au grand public intitulé L’Hiver des anges. Il surenchérit en 1995 avec un défilé-spectacle au Cirque d’hiver des plus extravagants, réunissant soixante-quinze mannequins dont Jerry Hall, Naomi Campbell, Claudia Schiffer ou encore l’héroïne hitchcockienne des Oiseaux, Tippi Hedren. James Brown assure le show sur scène, des gogo dancers en string diamant se trémoussent tandis qu’une pluie de pétales de rose se répand sur les mille deux cents invités, parmi lesquels Danielle Mitterrand. OnR, le magazine

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Les années 1990 de Mugler sont marquées par le lancement de son premier parfum, Angel, élixir bleuté tombé du ciel, vendu dans un flacon transparent en forme d’étoile à cinq branches. Encore une fois, Mugler innove en signant le premier parfum « gourmand », dominé par des notes de fruit de la passion, cacao, vanille et patchouli, dont les ventes rivalisent rapidement avec celles de l’indétrônable N°5 de Chanel. Et il y a également l’immense succès de la collection haute couture printemps-été 1997, Les Insectes, sorte de chant du cygne du créateur, qui continue de briller aux côtés de la nouvelle génération de stylistes menée par John Galliano et Alexander McQueen, mais qui s’est lassé de cet univers désormais contrôlé par les financiers et les exigences de rentabilité : « La mode a été un vrai véhicule émotionnel et artistique dans les années 1970, 1980 et 1990. Le

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Hommage

« Au tournant du nouveau millénaire, le jeune retraité des podiums souhaite embrasser pleinement son goût pour le spectacle et entamer un nouveau chapitre de sa vie. »

look était extrêmement important. C’était un vrai jeu, mais ça ne l’est plus. J’ai poussé la mode à son maximum, mais aujourd’hui, la création est limitée par l’argent, le marketing et le rythme fou des collections. » Après une dernière collection coup de griffe en 2001 intitulée Les Fauves, il tire sa révérence du monde de la mode. Music-hall et métamorphose

Au tournant du nouveau millénaire, le jeune retraité des podiums souhaite embrasser pleinement son goût pour le spectacle et entamer un nouveau chapitre de sa vie. Il disparaît de Paris pour vivre à New York, cette ville qu’il décrit comme « accrochée à un rocher de silex au bord de l’Atlantique ». Tel un papillon dans sa chrysalide, un nouveau Mugler est en gestation. Après des années sans apparition publique, il revient complètement métamorphosé sur la scène médiatique, le corps bodybuildé à l’extrême, avec un nouveau visage remodelé par la chirurgie esthétique suite à un accident survenu lors d’une séance d’entrainement qui l’a laissé défiguré. Désormais, il faut l’appeler Manfred T. Mugler. Marchant dans les pas du mythique entrepreneur américain de P. T. Barnum, il collabore avec le Cirque du Soleil en 2002, devient le directeur artistique de la tournée mondiale I Am… Tour de Beyoncé en 2009, déploie son univers fantasmagorique dans la revue parisienne Mugler Follies en 2013 puis dans le spectacle The Wyld au FriedrichstadtPalast de Berlin, présenté comme le show le plus cher du monde après ceux des hôtels de Las Vegas. En 2019, le Musée des beaux-arts de Montréal lui consacrait la rétrospective Thierry Mugler, Couturissime. Présentée au Musée des arts décoratifs de Paris depuis septembre 2021, elle constitue un hommage émouvant au travail passionné de cet avant-gardiste devant l’éternel.

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Jerry Hall – Nouveau-Mexique, 1995 © Manfred Thierry Mugler OnR, le magazine

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Rencontres

Le Chœur de l’OnR

Venus des quatre coins du monde, chacun avec une personnalité et un parcours différents, les artistes du Chœur de l’Opéra national du Rhin dirigés par leur chef Alessandro Zuppardo présentent chaque année des opéras et des concerts au public alsacien. Rencontre avec six d’entre eux, pour évoquer ensemble leur passion et leur métier.

Violeta Poleksic

Dominic Burns

Emmanuelle Schuler

L’origine de votre vocation ? Je suis née en Serbie. Mon père travaillait comme ouvreur à l’Opéra national de Belgrade parallèlement à ses études en biologie moléculaire. Il connaissait toutes les œuvres par cœur. Il m’a emmenée voir Carmen à l’âge de sept ans et ça a été un véritable coup de foudre – mais de toute façon c’est un art qui ne laisse personne indifférent. À dix-sept ans, j’ai gagné le Premier Prix au Concours fédéral de l’ex-Yougoslavie. C’est ce qui m’a décidée à embrasser cette carrière.

Votre dernière émotion artistique ? Je collectionne les disques 78 tours. J’ai dans ma collection beaucoup de chanteurs des années 1920 jusqu’aux années 1950. Maintenant, j’aime plus la musique orchestrale. J’écoute très peu d’opéra à la maison. En dehors de la musique, j’aime particulièrement la sculpture industrielle. Les « gros trucs en métal », comme The Angel of the North en Angleterre. Et même la Tour Eiffel !

Votre coup de cœur dans la saison ? La Reine des neiges de Hans Abrahmsen ! C’est une découverte, une écriture nouvelle, riche, profonde et immense qui transporte l’auditeur dans un monde fantastique ! Cette partition parcourt toutes les possibilités vocales pour décrire avec justesse les sentiments des personnages du conte d’Andersen. C’est un chemin initiatique d’une moitié d’âme, à la recherche de son autre.

L’origine de votre vocation ? Je composais quand j’étais jeune. Je suis tombé dans le chant complètement par hasard. Je chantais avec la chorale au collège et, après un de nos concerts, on m’a dit que j’avais une « bonne voix ». Au lieu d’aller au conservatoire pour étudier la composition, je suis allé faire du chant, au Royal College of Music and Drama de Cardiff où j’ai découvert l’opéra !

L’origine de votre vocation ? Je me souviens avoir annoncé à mes parents à l’âge de quatre ans que je voulais être chanteuse. À sept ans, je cassais les oreilles de tout le monde avec l’air de la Reine de la nuit. Puis un jour, un 21 juin, j’ai découvert le Chœur de l’OnR sur les marches de l’opéra. Un coup de foudre instantané. Je me suis dit : « C’est ce que je veux faire de ma vie. »

Le meilleur aspect de votre métier ? Je suis une vraie bête de scène ! Jouer devant le public est une vraie passion. C’est ce qui m’a le plus manqué pendant cette période de pandémie.

Le meilleur aspect de votre métier ? Ouvrir une nouvelle partition, me plonger dans l’univers du compositeur et chercher la meilleure version de moimême pour honorer l’œuvre. Vient ensuite le moment d’enfiler un costume, pour permettre au metteur en scène de réaliser sa vision artistique. Et cerise sur le gâteau, mon petit moment précieux : m’installer sur le fauteuil pour le maquillage avant le spectacle. C’est un instant sacré pour oublier le trac !

(alto – serbie)

Vos compositeurs préférés ? J’ai une prédilection pour les œuvres de la seconde partie du XIXe siècle. C’est une période très riche ! J’aime l’école italienne (Verdi, Puccini), française (Debussy, Fauré, Saint-Saëns, Satie), russe (Borodine, Rachmaninov, Tchaïkovski, Prokofiev) et tchèque (Smetana, Dvořák, Janáček). Le meilleur aspect de votre métier ? J’ai choisi un métier magnifique. C’est un travail rempli de joie, de larmes et de remises en question permanente, comme celui des sportifs de haut niveau. Le plus beau moment pour moi est l’ouverture du rideau. Le rêve peut enfin commencer pour le public, après des heures de travail musical et scénique. Et on a besoin plus que jamais de rêver.

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( baryton – royaume -uni )

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(soprano – france)


Rencontres

Namdeuk Lee

Nathalie Gaudefroy

Fabien Gaschy

Vos compositeurs ou opéras préférés ? J’aime les œuvres des compositeurs italiens Verdi et Puccini. J’aime aussi particulièrement Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer. C’est un opéra français que j’ai eu la chance de chanter à l’Opéra national de Paris. Le contenu historique de l’opéra est tragique, mais la belle mélodie de l’air principal du ténor ne m’a pas quitté pendant un moment.

Vos compositeurs préférés ? J’ai toujours aimé les répertoires du Lied, de la mélodie, de la musique de chambre et de l’oratorio. L’opéra m’est apparu plus intéressant et accessible au fur et à mesure des années passées à chanter. J’ai une affection toute particulière pour Francis Poulenc mais chaque compositeur peut amener des émotions singulières.

L’origine de votre vocation ? Ma vocation a grandi avec moi et mes expériences musicales successives. J’ai tout d’abord commencé à chanter à l’âge de huit ans dans la Maîtrise de garçons de Colmar dans laquelle j’ai passé sept années. J’ai découvert différents répertoires musicaux et appris la vie de groupe et le chant en chœur. J’ai ensuite découvert le chant soliste, techniquement très différent du chant choral, d’abord à Colmar au conservatoire puis à celui de Strasbourg, où j’ai achevé mon cursus, aux côtés d’Henrik Siffert, capable de transmettre à ses élèves son expérience et son amour de la scène.

( ténor – corée du sud)

Votre coup de cœur dans la saison de l’OnR ? Assurément Les Oiseaux de Walter Braunfels, spectacle dans lequel j’ai joué le rôle du Flamant rose. L’origine de votre vocation ? Au début, je me suis spécialisé en génie chimique à l’université. Après avoir servi dans l’armée, j’ai travaillé comme assistant pour un spectacle lyrique en même temps que pour une société de divertissement. J’ai donc dû faire un choix. C’était une décision importante à prendre dans ma vie. Savoir si j’avais réellement du talent ou non pour le chant n’était alors pas si important. Votre dernière émotion artistique ? Le film Parasite réalisé par Bong Joon-ho et Palme d’or à Cannes en 2019. C’est un film très intéressant sur les problèmes de la société coréenne qui a connu une croissance économique trop rapide.

(soprano – france)

Votre coup de cœur dans la saison de l’OnR ? Cette saison a été une succession de coups de cœur. Je ne connaissais ni La Reine des neiges, ni Stiffelio, ni Les Oiseaux. Ces spectacles m’ont vraiment réjouie scéniquement et musicalement. L’origine de votre vocation ? J’ai commencé la musique très jeune, inspirée par ma maman violoniste à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. J’ai appris le violon et le piano mais j’ai tout arrêté après avoir échoué aux examens du conservatoire. Pour assouvir mon besoin de musique, j’ai donc porté ma voie sur la voix – le seul instrument que l’on peut commencer à pratiquer à l’âge de quinze ans sans se retrouver avec des petits enfants ! Je n’aurais jamais imaginé en faire mon métier à ce moment là. Le meilleur aspect de votre métier ? C’est un beau métier où l’on ne s’ennuie jamais. Mais un métier passion, est-ce encore un métier ?

( baryton – france)

Le meilleur aspect de votre métier ? C’est pouvoir chanter tous les jours et partager cela avec le public. Il y a forcément des œuvres qui nous plaisent moins mais il y a toujours des spectateurs touchés et émus par ce qu’on leur propose. J’aime également le travail de groupe, la mise en place des partitions pupitre par pupitre, pour arriver au résultat final et au spectacle bien sûr. Votre dernière émotion artistique ? C’est lorsque nous sommes retournés sur scène après le confinement en juillet 2020. C’était lors de notre entrée en scène pour Solveig. Le public nous a réservé un accueil vraiment chaleureux et a applaudi lorsque nous avons enlevé nos masques pour chanter. J’en ai été très ému.

Propos recueillis par Louise Hueber, Zoé Broggi et Louis Geisler.

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Face à une œuvre

Karine Deshayes Passionnée par la peinture et les musées qu’elle arpente aux quatre coins du monde entre deux répétitions, la mezzo-soprano française Karine Deshayes évoque sa fascination pour l’artiste néerlandais Jérôme Bosch. Elle donnera un récital à l’Opéra de Strasbourg en avril prochain avec le pianiste Philippe Cassard et le clarinettiste Philippe Berrod. « J’ai énormément de plaisir à voir et revoir ce tableau au musée du Prado lorsque je me rends à Madrid pour des spectacles. Je suis toujours émerveillée de le voir en vrai, si grand, de pouvoir tourner autour et découvrir la création du monde peinte sur le verso de ses battants, d’une grande sobriété qui contraste avec le foisonnement du panneau central. On pourrait passer des heures à scruter tous les détails de ce paradis terrestre, avec ses paysages très variés et ses nuées de personnages fantastiques, d’anges et de chimères. À chaque fois, on découvre de nouvelles scènes jusqu’alors cachées ou inaperçues. J’ai presque l’impression d’être face à une multitude de dessins de bande-dessinée issus d’un album de science-fiction de Mœbius ou de La Quête de l’oiseau du temps. Je suis aussi très sensible aux couleurs utilisées par Bosch, notamment ce rose très doux utilisé pour les étranges châteaux à l’arrière-plan. Cela m’évoque le goût sucré de la barbe à papa et des odeurs de printemps. C’est incroyable de réaliser que cette œuvre a été peinte au début du XVIe siècle. Je me suis toujours demandé d’où venait tant d’originalité et de génie. »

Retrouvez dans la programmation : RÉCITAL

Karine Deshayes Strasbourg, Opéra Jeu. 28 avr. OnR, le magazine

20h

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Face à une œuvre

Jérôme Bosch Le Jardin des délices (1494-1505) Musée du Prado

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Retour sur…

Ballets européens au XXIe siècle « Les Trois Gnossiennes » Hans van Manen Présenté par le Ballet de l’Opéra national de Paris Janvier 2022 © Agathe Poupeney

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Titre courant

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Retour sur…

Les Oiseaux Walter Braunfels DIRECTION MUSICALE

Aziz Shokhakimov & Sora Elisabeth Lee (en alternance)

MISE EN SCÈNE

Ted Huffman Janvier 2022 © Klara Beck

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Retour sur…

Les Rêveurs de la lune Howard Moody DIRECTION MUSICALE

Howard Moody

MISE EN SCÈNE, DÉCORS, COSTUMES

Sandra Pocceschi et Giacomo Strada Février 2022 © Klara Beck

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Titre courant

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Brèves

Les membres de Fidelio, l’association pour le développement de l’Opéra national du Rhin, ont pu bénéficier le 10 février d’une rencontre exclusive avec Bruno Bouché, directeur artistique du Ballet de l’Opéra national du Rhin, à l’occasion de la création mondiale du ballet Alice à La Filature de Mulhouse.

Jean-François Sivadier, metteur en scène du Carmen récemment donné sur les scènes de l’Opéra national du Rhin, est de retour en Alsace avec Sentinelles. Conçue pour trois acteurs, cette nouvelle pièce écrite, mise en scène et scénographiée par JeanFrançois Sivadier, conte l’histoire de trois jeunes artistes, pianistes et virtuoses, qui se rencontrent dans leur adolescence et deviennent inséparables. À découvrir les 23 et 24 mars prochain à la Comédie de Colmar. * * * Le Ballet de l’OnR a le plaisir de repartir en tournée avec deux spectacles en mars et avril prochains. La compagnie dansera Les Ailes du désir de

* * * Bruno Bouché a eu la joie de nommer deux nouveaux solistes au sein du Ballet de l’OnR : Marwik Schmitt et Ryo Shimizu, arrivés respectivement dans la compagnie en 2014 et 2019. Nous les félicitons !

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Bruno Bouché les 29 et 30 mars à la Maison des arts de Créteil ; et Maria de Buenos Aires de Matias Tripodi les 22, 23 et 24 avril à l’Opéra national de Bordeaux.



Brèves « No more shall moon light up the waters, no more shall dreams be matched with stars » Les Rêveurs de la lune, Scène 1 Commandé par l’Opéra national du Rhin, Les Rêveurs de la lune du compositeur britannique Howard Moody a été créé dimanche 27 février à la Cité de la Musique et de la Danse de Strasbourg. Un fabuleux projet réunissant 155 élèves issus des classes à horaires aménagés de l’école de la Canardière et du collège Lezay Marnésia de Strasbourg, les maîtrisiens du Conservatoire de Strasbourg et les enfants de l’Institut Bruckhof. Tous ont unis leurs voix angéliques à celles des quatre solistes de l’Opéra Studio : Brenda Poupard (la Cigogne), Floriane Derthe (le Rossignol), Damian Arnold (le Paon) et Oleg Volkov (la Huppe fasciée). Tous ces artistes, grands

et petits, étaient accompagnés par l’orchestre de la Haute école des arts du Rhin (HEAR) placés sous la direction du compositeur. La mise en scène onirique était quant à elle signée par Sandra Pocceschi et Giacomo Strada. Aucun n’a ménagé ni son temps, ni ses efforts et ce depuis le début de l’année scolaire. Une belle aventure que chacun d’entre eux n’est pas prêt d’oublier…

Votre winstub traditionnelle et historique vous accueille à l'issue des représentations de l'Opéra national du Rhin! * *sur réservation

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Calendrier du festival Arsmondo Tsigane Retrouvez toute la programmation sur operanationaldurhin.eu Strasbourg Concert

Tsiganes d’opérette

12 mars 11h

Projection

La Place

13 mars 15h

Projection

L’Amour sorcier de Carlos Saura

14 mars 20h

Vernissage

Jeannette Gregori, photographe

15 mars 18h

Rencontre

Jeannette Gregori, photographe et Claire Auzias, historienne

15 mars 19h

Opéra

L’Amour sorcier de Manuel de Falla et Journal d’un disparu de Leoš Janáček

15 mars 20h

Conférence

« Roms en Europe : état des lieux » par Ana Oprisan

16 mars 18h30

Projection

J’ai même rencontré des Tsiganes heureux d’Aleksandar Petrović

16 mars 20h

Opéra

L’Amour sorcier de Manuel de Falla et Journal d’un disparu de Leoš Janáček

17 mars 20h

Concert

Rocío Márquez

18 mars 20h

Concert

Jazz manouche en fête!

19 mars 17h

Concert

Du Polygone à la place Broglie

19 mars 20h

Opéra

L’Amour sorcier de Manuel de Falla et Journal d’un disparu de Leoš Janáček

20 mars 15h

Projection

Gadjo Dilo de Tony Gatlif

20 mars 18h

Concert

Musiques du voyage

21 mars 19h

Opéra

L’Amour sorcier de Manuel de Falla et Journal d’un disparu de Leoš Janáček

22 mars 20h

Conférence

« Ce que la musique des gitans nous apprend sur les gitanes » par Yoanna Rubio

23 mars 19h

Opéra

L’Amour sorcier de Manuel de Falla et Journal d’un disparu de Leoš Janáček

24 mars 20h

Rencontre

Alexandre Romanès, poète et circassien

25 mars 17h30

Projection

Geronimo de Tony Gatlif

26 mars 18h

Projection

Le Temps des gitans d’Emir Kusturica

27 mars 17h15

Concert

Duende!

31 mars 19h

Projection

La BM du seigneur de Jean-Charles Hue

1er avril 14h

Conférence

« Les Roms par la bande-dessinée » par Kkrist Mirror (à Bischwiller)

1er avril 18h

Projection

Mange tes morts de Jean-Charles Hue

1er avril 18h

Concert

A traves del Humo, Papusza

1er avril 19h

Concert

Chants bohémiens du Romantisme

2 avril 11h

Conférence

« Les Roms par la bande-dessinée » par Kkrist Mirror

2 avril 15h

Jeune public

Journée des enfants

3 avril dès 10h

Opéra

L’Amour sorcier de Manuel de Falla et Journal d’un disparu de Leoš Janáček

1er avr. 20h

Opéra

L’Amour sorcier de Manuel de Falla et Journal d’un disparu de Leoš Janáček

3 avr. 15h

Tsiganes d’opérette

20 mars 15h

Mulhouse Colmar Concert

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Calendrier

Mars Mer. 2 Ven. 4 Ven. 11 Sam. 12 Lun. 14 Mar. 15 Mer. 16 Jeu. 17 Ven. 18 Ven. 18 Sam. 19 Dim. 20 Dim. 20 Mar. 22 Mer. 23 Jeu. 24

Strasbourg Les Rêveurs de la lune Les Rêveurs de la lune Les Rêveurs de la lune Heure lyrique / Tsiganes d’opérette Rencontre autour de L’Amour sorcier / Journal d’un disparu L’Amour sorcier / Journal d’un disparu Mercredi découverte / La voix côté Chœur L’Amour sorcier / Journal d’un disparu Les Rêveurs de la lune Récital / Rocío Márquez Les Rêveurs de la lune L’Amour sorcier / Journal d’un disparu Heure lyrique / Tsiganes d’opérette L’Amour sorcier / Journal d’un disparu Avec mon cous(s)in / En chœur ! L’Amour sorcier / Journal d’un disparu

Mulhouse

Colmar

CMD 15h / 19h CMD 19h La Sinne 19h Opéra 11h Librairie Kléber 18h Opéra 20h Opéra 14h Opéra 20h Théâtre 19h Opéra 20h Théâtre 15h/19h Opéra 15h Comédie 15h Opéra 20h Opéra 14h Opéra 20h

Avril Ven. 1er Sam. 2 Dim. 3 Mar. 5 Sam. 9 Mer. 13 Mer. 13 Jeu. 14 Sam. 16 Mar. 19 Jeu. 21 Sam. 23 Dim. 24 Mar. 26 Jeu. 28 Sam. 30

L’Amour sorcier / Journal d’un disparu Heure lyrique / Chants bohémiens du Romantisme L’Amour sorcier / Journal d’un disparu Heure lyrique / Mozart en chassé-croisé Heure lyrique / Mozart en chassé-croisé Mercredi découverte / Un costume d’opéra Rencontre autour de Così fan tutte Così fan tutte Così fan tutte Così fan tutte Così fan tutte Cafés lyriques Così fan tutte Così fan tutte Récital / Karine Deshayes Heure lyrique / Contes d’Andersen

La Sinne 20h Opéra 11h La Sinne 15h Théâtre 12h30 Opéra 11h Opéra 14h Librairie Kléber 18h Opéra 20h Opéra 20h Opéra 20h Opéra 20h Café de l’Opéra 11h Opéra 15h Opéra 20h Opéra 20h Opéra 19h

Dans le cadre du festival Arsmondo Tsigane

Avec le soutien financier du ministère de la Culture Direction régionale des affaires culturelles du Grand-Est, de la Ville et Eurométropole de Strasbourg, des Villes de Mulhouse et Colmar, du Conseil régional Grand Est et de la Collectivité européenne d’Alsace. Directeur de la publication Alain Perroux Directrice de la communication, du développement et des relations avec les publics Elizabeth Demidoff-Avelot Rédacteur en chef Louis Geisler Iconographie et secrétariat de rédaction Julien Roide Conception graphique Twice studio Illustrations Maïté Grandjouan Impression Ott Imprimeurs Magazine imprimé à 15 000 exemplaires Licences Cat. 2 – PLATESV-D-2020-007052 Licences Cat. 3 – PLATESV-D-2020-007055

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Mécènes Supporters Banque CIC Est, R-GDS, Rive Gauche Immobilier Associés Electricité de Strasbourg, ENGIE Direction Institution France et Territoires, Fondation Société Générale C’est vous l’avenir, Groupe Yannick Kraemer, Humanityssim, Seltz Constructions-Hôtel Cinq Terres Amis Avril, Caisse des dépôts, Crédit Agricole Alsace Vosges Partenaires Café de l’Opéra, Cave de Turkheim, Champagne Moët et Chandon, Chez Yvonne, Cinéma Vox, Kieffer Traiteur, Les fleurs du bien… Artisan fleuriste, Parcus, Weleda Fidelio Les membres de Fidelio, Association pour le développement de l’OnR

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Partenaires institutionnels BNU-Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, Bibliothèques idéales, Cinéma Odyssée, Espace Django, Festival Musica, Goethe-Institut Strasbourg, Haute école des arts du Rhin, Institut Culturel Italien de Strasbourg, Librairie Kléber, Maillon, Musée Würth France Erstein, Musées de la Ville de Strasbourg, Office de tourisme de Strasbourg et sa région, POLE-SUD, CDCN, TNS-Théâtre national de Strasbourg, Université de Strasbourg Partenaires médias 20 Minutes, ARTE Concert, Alsace 20, Canal 32, Coze, DNA – Dernières Nouvelles d’Alsace, France 3 Grand Est, France Bleu Alsace, France Musique, L’Alsace, My Mulhouse, Moselle tv, Or Norme, Pokaa , Radio Accent 4, Radio Judaïca, RCF Radio, RTL2, Szenik.eu, Top Music, Vosges tv


Titre courant

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