L’essentiel YVES CROZET, ÉCONOMISTE DES TRANSPORTS
©© UNIVERSITÉ DE LYON
« Le financement des transports publics est une machine infernale » L’économiste des transports Yves Crozet tente de mesurer l’impact de la crise sanitaire sur le modèle économique des transports, qui est entré dans l’inconnu. Il apporte aussi son expérience de maire d’une petite commune de la Loire, Saint-Germain-la-Montagne, où il a été réélu au premier tour. Propos recueillis par Marc Fressoz
Bus&Car Connexion : Alors que la fréquentation des transports publics est au plus bas, le thème de la gratuité ne cesse de gagner du terrain. S’agit-il d’une solution crédible ? L’équilibre économique des transports collectifs est-il durablement menacé ?
Yves Crozet : Le trafic et les recettes du versement transport se sont effondrés avec la Covid-19. Le financement des transports publics, c’est la machine infernale : on est entré depuis une vingtaine d’années dans une logique de toujours moins de recettes commerciales, toujours plus d’investissements, sauf à Lyon, où le ratio recettes/dépenses a légèrement augmenté. En Île-de-France, il était déjà tombé à moins de 30 %. Depuis les municipales, dans 17 villes, les nouveaux élus envisagent la gratuité dans les transports collectifs. Ils appartiennent principalement à des coalitions écolo-socialistes, mais on trouve aussi des LREM qui y sont 6
4 au 17 septembre 2020 - Bus & Car - Connexion
favorables dans des petites villes. Pourquoi pas, là où il y a quelques lignes de bus ? Mais dans des grandes villes comme Montpellier, les élus risquent de se tirer une balle dans le pied, et de finir par reconnaître : « Je vais le faire, mais je ne pourrai plus investir. » À Lyon, ce ne sera peut-être pas la gratuité, mais la marche vers la gratuité qui peut commencer par une baisse des abonnements, la gratuité pour les jeunes, etc. Le ratio R/D n’arrête pas de baisser alors qu’en province, la fréquentation n’augmentait pas énormément jusqu’à cette crise. Quels moyens trouver pour faire revenir les gens dans les bus, les trams ou les métros ? BCC : À votre avis, la gratuité restera-t-elle un thème de la campagne des régionales de mars 2021 ?
Y. C. : Je pense qu’on ne va pas y échapper. Valérie Pécresse ne va pas pouvoir se représenter en annonçant :
« J’augmente le prix du passe Navigo. » En face d’elle, des gens diront : « Il faut parler de la gratuité. » La question financière va conduire à ce qu’il y ait davantage de contributions publiques dans le système. La Région Île-de-France va devoir compenser le manque à gagner d’Île-de-France Mobilités, en accroissant sa dette
« On est entré depuis une vingtaine d’années dans une logique de toujours moins de recettes commerciales, toujours plus d’investissements. » ou en levant des impôts supplémentaires. C’est le même schéma de translation fiscale que celui qui sous-tend la suppression de la taxe d’habitation, et qui conduit à augmenter la taxe foncière. On va faire porter le poids du transport collectif sur la fiscalité, nationale ou locale.