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Le Centre Pompidou Fondation Cartier pour
RÉTROSPECTIVE AU CENTRE POMPIDOU
La planète « Baselitz »
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Oui, la planète Baselitz. Car comment mieux définir la singularité profonde de ce peintre inclassable, aujourd’hui octogénaire, qui poursuit avec une incroyable constance une œuvre dont l’inventivité, la violence et l’audace ne se sont jamais démenties depuis des décennies. Il y a eu, depuis vingt ans, une foule d’expositions en Europe, mais très peu en France. Beaubourg permet à Paris d’offrir enfin une rétrospective magique et magnifique (sans doute la plus vaste jamais organisée dans le monde), à la hauteur de la tempête permanente des toiles de ce dynamiteur né…
C’ est un signe qui ne trompe pas, pour nous qui avons la chance d’être à une portée d’arbalète du monde alémanique et qui suivons depuis longtemps les expos régulièrement consacrées à Georg Baselitz en Allemagne, Suisse (la Fondation Beyeler lui avait consacré une somptueuse exposition il y aura bientôt quatre ans) ou Autriche : les fans de ce peintre savent tous qu’il a réalisé lors de cette dernière décennie des toiles gigantesques, quasi titanesques, d’une dimension telle qu’elles ne pourraient être exposées que dans des salles exceptionnellement hautes. Et bien, Baselitz est à l’évidence trop grand, même pour le réputé Centre Pompidou. Ces toiles-là sont inéluctablement absentes, et, au fond, cette absence nous préserve sans doute de la violence de leur tragique puissance…
« Une résistance au monde… »
Si vous êtes amateur d’une peinture paisible, agréable et décorative, alors fuyez les cimaises de Beaubourg ! Il en va du paisible de vos nuits. Car les œuvres de Baselitz, littéralement, nous agressent, nous prennent à la gorge et ne nous lâchent plus jamais. Elles sont d’une brutalité totale et sauvage, elles sont outrancières, brutes, crues…
Hans-Georg Kern (son véritable nom) est né en 1938 en Allemagne, à Deutschbaselitz, un faubourg de la petite ville de Kamenz, en Saxe. Cette simple date fournit à elle seule une indication majeure : l’artiste a vu le jour au cœur de l’Allemagne nazie et de son totalitarisme bestial. Il a ensuite grandi au cœur des ruines du IIIe Reich, parti pour durer mille ans et qu’il aura fallu détruire à l’extrême pour tenter d’exterminer les puissances maléfiques qui l’animaient. Ce même totalitarisme, revisité façon communisme pur et dur, fut encore la toile de fond de l’adolescent puis du jeune adulte habitant de la RDA.
Admis à l’École des Beaux-Arts de Charlottenbourg à Berlin-Ouest (le mur n’avait encore pas été construit), c’est en 1961 qu’il prend le pseudonyme de Baselitz, du nom de son quartier de naissance.
Dans un entretien accordé à l’AFP au début de l’automne dernier, il raconte avoir développé très jeune « une résistance au monde ». Façon de décrire une évidence qui suinte de la violence et de la puissance qui, depuis toujours, animent ses toiles : toute sa vie, et avec une force encore intacte aujourd’hui, Georg Baselitz aura cherché à lutter contre toutes les idéologies.
« Oui, je suis un peintre monstrueux… »
Si son œuvre est souvent remplie de références subtiles à Goya, Piccabia, Courbet, Schiele ou autre Nolde, très vite, ce sont les corps mutilés et déchirés par les atrocités de la guerre ou du totalitarisme ou ceux, moins « atrocisés » des jeunes ou moins jeunes vieillards, qui se sont imposés sur les toiles, avec ce fameux « têteen-bas » devenu la marque distinctive de l’artiste dès la fin des années soixante. Une transgression de plus qui défie la lecture traditionnelle des œuvres et qui, l’air de rien, oblige le spectateur à établir une colossale distance avec le simple propos narratif suggéré par les toiles.
Il faut donc se laisser happer par la puissance de ces toiles que le Centre Pompidou nous propose à foison dans cette exceptionnelle rétrospective. Et se souvenir des mots de Baselitz, toujours dans ce même entretien à l’AFP : « L’émotion est toujours la porte d’entrée » (…) Les artistes devraient (...) détester tout ce qui est officiel, transgresser tous les interdits, être méfiants, incrédules. Oui, je suis un peintre monstrueux… » reconnait-il avec une tranquille assurance.
Preuve supplémentaire, s’il le fallait, les sculptures que Beaubourg présente « en
Oberon (1. Orthodoxer Salon 64 E. Neijsvestnij), 1963-1964
Oui, je suis un peintre monstrueux… »
majesté ». La violence est encore là, omniprésente. Pour la plupart, elles sont réalisées avec le bois comme support, ce bois découpé à la tronçonneuse, échardé, hérissé de pointes dangereuses d’où naissent des corps torturés, figés dans une violence exposée crûment. Plus récemment, Baselitz s’est mis à travailler le bronze, dans la même veine hyper expressionniste…
Avouons-le, on ressort de ce long parcours déambulatoire quasi groggy et sonné par autant de déconstruction systématique de nos façons de voir qu’on peut assimiler à un véritable acharnement qui est tout sauf gratuit, évidemment.
Lors de sa récente venue à Paris pour présenter « sa » rétrospective, Georg Baselitz a répété jusqu’à plus soif que non, il n’a jamais ressenti le besoin « d’exorciser une jeunesse et un passé pesant ». Il n’a jamais cessé de clamer qu’il refuse ce type d’interprétation de son œuvre.
N’empêche : pour être franc, on a bien su mal à s’abstraire du contexte de ses premières décennies de vie et de son rapport avec l’extrême violence de son histoire personnelle, au cœur des années de plomb du dernier siècle et du fascisme omniprésent qu’elles véhiculaient. Ne déclarait-il pas au journaliste Donald Kuspit : « Je suis né dans un ordre détruit, un paysage détruit, un peuple détruit, une société détruite. Et je n’ai pas voulu réinstaurer un ordre : j’avais assez vu de soi-disant ordre. J’ai été contraint de tout remettre en question, d’être “naïf”, de repartir de zéro. Je n’ai ni la sensibilité, ni la culture, ni la philosophie des maniéristes italiens, mais je suis maniériste au sens où je déforme les choses. Je suis brutal, naïf et gothique. »
Georg Baselitz va aujourd’hui sur ses 83 printemps. Il a encore eu ces mots, il y a peu : « Il y a une peinture linéaire et des peintres avec des lignes multiples. Moi j’ai suivi beaucoup de lignes parce que je n’étais pas certain d’être sur le bon chemin (...). Je continue, ça marche bien », avouait-il, avant d’ajouter qu’il pouvait encore peindre « deux à trois heures par jour, seulement par terre, plus rapidement qu’avant et avec plus de précision »…
Vous avez jusqu’au 22 mars prochain pour affronter cette expo hors du commun… c
Zwei Meißener Waldarbeiter (1967)
LE CENTRE POMPIDOU
Place Georges-Pompidou 75004 Paris
Accès : Métro Hôtel de Ville (Ligne 1) ou Rambuteau (Ligne 11) RER A-B-D Station : Châtelet–Les Halles
Ouvert tous les jours sauf le mardi Plein tarif : 14€ – Tarif réduit : 11€ Gratuit pour les moins de 18 ans
Réservation en ligne recommandée : www.billetterie.centrepompidou.fr