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«Ballon prisonnier»
CHRISTINE LOEHLÉ ENSEIGNE LE SPORT EN PRISON DEPUIS TRENTE ANS
Professeur agrégée d’éducation physique et sportive à la Faculté des sports de Strasbourg, Christine Loehlé enseigne depuis plus trente ans la maison d’arrêt de l’Elsau. «Base-ball et badminton en complément des éternels muscu, foot et ping-pong», raconte-t-elle en évoquant ses débuts…
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Depuis 1989, date de ses premiers pas en pénitentiaire dans le cadre d’un stage de maîtrise, Christine n’a jamais lâché ces rendez-vous bihebdomadaires où elle était et est encore « la prof ». « Être une femme n’est pas un handicap, au contraire cela permet d’éviter les bagarres », assure-t-elle en évoquant aussi ces conversations nées en marge des séances, dans cet « espace bienêtre de la salle » où quelqu’un « du dehors » vient à la rencontre de celles et ceux qui restent « dedans ».
« En trente ans, je n’ai jamais parlé de la pluie et du beau temps avec les détenues et détenus », raconte Christine. « J’ai toujours écouté, sans complaisance, mais avec bienveillance, en me refusant de juger des gens qui l’ont déjà été ». Des trop-pleins de colère, d’émotions ou de simples échos du fil des jours qu’elle a su accueillir.
De ces échanges, elle semble avoir puisé une force, un regard forgé au feu du réel le plus âpre sans pour autant perdre en pétillance.
Elle raconte aussi le blocage rencontré avec un détenu radicalisé. J’aurais voulu lui demander « pourquoi tuer des innocents ? Toutes les religions l’interdisent… », mais la distance était trop grande. « Il y a des personnes qu’on ne peut pas comprendre… » dit celle qui n’a pas hésité passer les portes de la prison pour partager sans compter son écoute et sa pratique sportive. Elle fut la première femme à le faire en France.
UN CORPS COURBATURÉ QUI NE SE RÉDUIT PLUS À UN NUMÉRO D’ÉCROU
« BALLON PRISONNI ER »
Le sport, explique Christine, permet de se « vider la tête ». Les tensions de ce milieu très dur qu’est la prison ne disparaissent pas, mais elles s’estompent. « La fatigue est un bon indicateur, l’objectif est atteint lorsque quelqu’un s’aperçoit qu’il est aussi un corps courbaturé et pas seulement un numéro d’écrou ».
De cette expérience hors du commun est né un récit de vies : la sienne, celle d’un milieu carcéral qui a connu bien des évolutions et surtout celles de détenus et détenues souvent brisés dès l’enfance.
On la suit entre le quartier femmes et le quartier hommes, parfois chez les mineurs, au fil des étés de canicules, des années sida, de l’après-11 septembre, etc.
Elle est dans chaque page, énergique et clairvoyante. Incroyablement solide. Un livre de témoignage(s) complété des lectures de sociologues et philosophes qui ont nourri son activité dans un « milieu carcéral difficile à appréhender » et qu’elle ne voulait pas « mal penser ». Un livre nécessaire pour sortir de nos propres schémas hérissés de préjugés. E
Avec en couverture une photo de Pascal Bastien sur fond bleu comme le ciel. Christine Loehlé, Ballon prisonnier - Prof de sport en prison depuis 30 ans, Éditions L’Harmattan, 232 pages, 24,50 €