Le séisme de la cigogne

DE LA CIGOGNELE SÉISME

LE TRÈS VASTE UNIVERS DES BÉBÉS

Née en 1990 auprès de parents bienveillants, je garde d’heureux souvenirs affublée d’un jogging Pocahontas et d’un t-shirt Tie and Dye. J’ai joué pendant des heures avec un téléphone à tirer Fisher Price, des Polly Pocket, et un Tamagotchi. Au final, je n’ai jamais été très douée avec ma créature japonaise. Je me surprends aujourd’hui à observer le petit humain des autres, parce qu’un boutchou pousse dans mon ventre. Selon les calculs de ma sage-femme, la cigogne porteuse de bébés passera d’ici quelques jours. Je ressens déjà quelques grondements. C’est que le sol – mon sol – commence à trembler.

La plupart des réflexions cueillies au cours des derniers mois me portent à croire que devenir parent de nos jours apportera son lot de défis. À ce sujet, j’aimerais que le devoir social de la performance prenne le bord, et que l’envie que rien ne dépasse explose avec sérénité.

Sur la liste des petits miracles de la vie en milieu rural, j’ai découvert l’obtention d’une place en crèche. Afin d’être exaucées dans les meilleures conditions, une ribambelle de démarches administratives ont suivi le test de grossesse positif. La visite de différentes structures fut marquée par des tapis mousses, des chaises miniatures – sur lesquelles mon conjoint et moi avons été invités à nous asseoir pendant une heure – et des discussions éducatives. Chez certains, les activités prennent des airs de propositions pédagogiques. Identifier quelque chose avec précision, ou du moins, lui attriJ buer une série de mots qui donnent une impression de précision, ça fait toujours son petit effet chez les grandes personnes. Lors de cet échange, un

Espace Européen de l’entreprise - Bâtiment MIKADO - Schiltigheim

« LE POIDS ET LA TAILLE DE NOTRE BÉBÉ SEMBLENT AINSI PROMPTEMENT ATTENDUS PAR LA SOCIÉTÉ. »

J

coffre rempli de LEGO a perdu tout son charme. C’est que j’imaginais déjà la construction d’un château en briques créatives.

ULTRACRÉPIDARIANISME, ALGORITHMES ET FAIRE-PART DE NAISSANCE

Autour d’un ventre qui s’arrondit, fleurit un discours qui est parfois maladroitement amené. Intimement liées à un chiffre sur une balance, les femmes – j’insiste sur ce point – adorent papoter pesées. Commentaires, jugements et comparaisons fusent. Un véritable feu d’artifice numérique. La montée des ultracrépidariens n’aide en rien certes, mais la plupart des réflexions à ce sujet me laissent perplexe quant à leur utilité. De grâce, laissez les kilos au placenta, au fœtus, au liquide amniotique, et à tout ce qui permet d’accueillir un bébé dans les meilleures conditions. Si une femme enceinte n’initie pas de discussion autour de son poids, ne l’y engouffrez pas.

Afin de s’équiper progressivement, nous tâtonnons le très vaste univers des bébés, et ce qui gravite autour. À vrai dire, une pluie de marques liées à la puériculture s’est immiscée dans les publicités de mes navigations Internet. Magnifiquement futiles, elles permettent de créer une chambre poudrée, esthétique, et sécuritaire ; tout ce dont nous avons – a priori – besoin pour remplir notre rôle de parents dignes et attentionnés. Les algorithmes me fusillent de pyjamas de naissance avec broderies personnalisées, de préparateurs de biberons instantanés, et de lunettes de soleil réversibles – celles qui donnent inévitablement un air abruti.

En quête d’une poussette adaptée à nos sorties – toutes aussi rurales que la crèche – nous avons comparé les modèles avec curiosité. Et longtemps. Entre le cadre léger, les suspensions dites dynamiques, le rangement facile, et l’ombrelle adaptée – parce que nous n’aimons pas trop les petites lunettes réversibles –, nous avons découvert de véritables véhicules tout terrain.

Enfin sereins avec notre choix de carrosse – étant donné le prix, nous sommes en droit de croire qu’il est aussi magique que celui de Cendrillon – nous magasinons un joli faire-part de naissance qui prendra la route de l’imprimeur dans les prochaines semaines. C’est que certains amis de la famille ont démontré un vif intérêt pour cette tradition. Le poids et la taille de notre bébé semblent ainsi promptement attendus par la société. L’attente de l’indice de masse corporelle d’un boutchou me rend néanmoins perplexe ; je doute qu’elle soit une corrélation directe avec l’idée d’un bébé réussi.

En fin de grossesse, j’ai pris soin de diminuer les transports en commun. C’est qu’au détour de regards volontairement fuyants, certains utilisateurs – je précise ici que plusieurs genres s’accordent automatiquement au masculin – semblent désemparés à l’idée de laisser leur sainte place à une femme distinctement enceinte. Quelques sauts dans le tramway m’ont ainsi arraché un brin de foi en l’humanité.

Avec l’arrivée prochaine de notre bébé, j’ai une pensée pour mes grands-mères qui ont, à toutes les deux, cumulé près de vingt accouchements. Et qui ont élevé tout autant d’adultes responsables avec les moyens du bord. Lorsque je regarde certaines photos de mon enfance, j’accroche un sourire devant un flagrant goût passé pour les vêtements fluo, l’émulation discrète du stampfel bio, la considération favorable du lait industriel, et de la tétine. C’est que je n’en suis pas abîmée pour autant.

CONTRE TOUTE ATTENTE, LA CIGOGNE EST PASSÉE AVEC UNE HÂTE INESPÉRÉE.

Depuis plusieurs jours, ma routine s’en est allée, effritée par une merveilleuse expérience humaine. Elle se rebâtit paisiblement avec un marathon d’émotions et de premières fois. Malgré la course à ce qui est bien rangé, efficace, et doux dans la rétine, mon conjoint et moi accueillons mini-nous avec toutes nos imperfections. Et notre volonté de ne pas adhérer à un concept qui nous fait sourciller. Ces pensées grappillées ajoutent une couche de béton sous mes pieds. Encore tremblants. E

Toute l’équipe de Or Norme Strasbourg se réjouit de la venue au monde du petit Jules et félicite ses parents Jessica et Pierre : la vendange de 2022 a donc très bien débuté en mai et se poursuivra magnifiquement en septembre…