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L’éveil des consciences Édition spéciale du Journal du Citoyen q mai 2013

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La force de l’expression citoyenne..........................................................05 RDC : la bonne gouvernance se fait toujours attendre...............................06 Démocratie en Afrique, une parenthèse ?..................................................10 53 ans, et toujours en quête d’expérimentés !.........................................12 Dialogue national, des absurdités............................................................14 Tous responsables, moi la première !............................................................. 16 Déliquescence de l’enseignement et clivage social. À qui profite le « crime » ?.18 RDC, l’heure a sonné pour la loi sur l’accès à l’information.......................22 Entre la droite et la gauche, les Congolais tanguent ?...............................26 Dix raisons pour créer sa propre « radio communautaire »........................ 28 Le système de quotas pour sauver la représentation des femmes en RDC.. 30 Les TIC, une menace pour le journalisme professionnel ?.......................... 34 La promotion du Genre, une nécessité absolue........................................ 38 Promotion des droits de la femme : la clef c’est la femme.........................41 Bientôt 20 ans…pourtant je ne comprends toujours pas !........................44 Travail des enfants à Kinshasa : les parents pointés du doigt....................48 SOS, la campagne congolaise se meurt !..................................................50 À chacun son toit................................................................................... 52 Le courant électrique : un casse-tête pour de nombreux Kinois !...............54 Chronique d’un enterrement douloureux et coûteux.................................. 58 Parole d’indigné.....................................................................................60 h Photo : Jacky Delorme

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La force de l’expression citoyenne h Photo Jacky Delorme

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ors des élections présidentielles de 2011, une trentaine de citoyens congolais avaient pris la plume pour écrire leur vision du Congo. Leurs ‘Paroles de Citoyens’ avaient abordé tous les aspects de la vie quotidienne du pays : enjeux culturels, économiques, sociaux, problèmes de gouvernance, vision éducative, défis sécuritaires… Cris de colère ou cris du cœur,

ces ‘Paroles’ libérées ont eu le mérite d’éveiller ou de réveiller certaines consciences, sans doutes assoupies par la lente concrétisation des chantiers du renouveau congolais. Arguments à l’appui, chacun a pu livrer sa recette pour que le Congo de demain soit différent et meilleur que celui d’aujourd’hui. Vu l’engouement suscité, cet espace d’expression citoyenne semble être une nécessité. Il li-

bère la pensée, structure les idées, construit des ponts vers un avenir meilleur. Les « Paroles de Citoyens » que nous vous proposons de lire dans les pages qui suivent sont tout aussi riches que les précédentes. Elles confirment tout le potentiel d’idées et de projets qui bouillonnent au sein de chaque Congolais, chaque Congolaise. Cette expression citoyenne,

vous pouvez également la retrouver sur notre site internet « Les Médias du Citoyen » (www. lesmediasducitoyen.cd) dans un espace intitulé « Reporters citoyens ». Ici, le citoyen se fait journaliste. Il témoigne de la vie quotidienne et poste des informations. Il illustre ses propos par des images, des sons ou des vidéos prises avec un téléphone portable. Le développement de l’internet et la démocratisation

des outils de productions facilitent désormais ce passage à l’acte. De consommateur, le citoyen devient producteur d’information… Une autre façon d’affirmer sa citoyenneté et sa participation à la vie publique. Bonne lecture, bonne découverte et si le cœur vous en dit, prenez la plume ou votre smartphone, « Les Médias du Citoyen » vous appartient.

o La rédaction

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Parole Depuis 15 ans environ, nous avons consacré l’essentiel de notre temps à la lecture étroite et à l’observation de la détérioration de la situation sociopolitique en République démocratique du Congo (RDC). Le constat est amer : la société congolaise a besoin de la bonne gouvernance pour se restructurer et se remettre dans son processus de développement raté depuis les événements qui ont suivi l’indépendance de la RDC en 1960, lequel processus est souhaité par tout le monde. epuis lors, les vices se sont implantés et se sont profondément fixés dans le système de gestion de la chose publique, s’y développant et détruisant toutes les pratiques sociales et politiques en les corrompant du sommet à la base. Sans aucun vrai mécanisme de contrôle et de sanction, les tares de la mégestion se répandent et prennent, petit à petit, la place de la vertu : l’interdit devient permis, le mal devient le bien. Ainsi, les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les syndicalistes, les manifestants, les opposants politiques et tous ceux qui se permettent de dénoncer le mal se voient subir la fronde du pouvoir,

D h Photo : Jacky Delorme

RDC : la bonne gouvernance se fait toujours attendre

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souvent déterminé à les y amener jusqu’au supplice. L’assassinat du défenseur des droits de l’homme Floribert Chebeya en 2010 illustre bien ces propos. Beaucoup d’autres ont connu, ou connaissent encore, la privation de leur liberté par des emprisonnements arbitraires et d’autres traitements inhumains. Par contre, chose étrange en RDC, l’intolérable est permis : les membres du gouvernement, les hauts fonctionnaires et autres chefs d’entreprises publiques peuvent, eux, s’enrichir impunément et puiser dans le denier public sans risque de se voir inquiété par qui que ce soit, si ce n’est par des simulacres de procès finissant toujours par des non-lieux ; les exemples de ce genre se multiplient et démontrent le pourrissement du système judiciaire congolais. Le dernier cas de la Cour suprême exigeant cinq mille dollars américains pour l’ouverture d’un dossier dans l’affaire de détournement des voix lors des dernières élections législatives en 2012 est choquant : beaucoup de candidats ont été lésés. Ils continuent à se plaindre que, malgré le payement du montant exigé, leurs dossiers n’ont toujours pas été ouverts alors que le mandat pour lequel ils ont postulé est à mi-chemin. Les exemples sont légion pour illustrer le niveau plus qu’avancé du délabrement de la gestion de la chose publique en RDC.

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Parole Dans un tel paysage socio-politique, il parait évident qu’il est nul d’évoquer la bonne gouvernance qui nécessite le respect de certaines règles de jeu qui font défaut au système de gestion en RDC. La bonne gouvernance est synonyme de démocratie. Une vraie démocratie, complète, c’est-à-dire une démocratie qui réserve une grande place à la justice sociale visant l’égalité des droits

au développement dans une telle impasse ? Les termes appropriés pour décrire le paysage sociopolitique actuel du Congo seraient l’absence d’un Etat de droit. On se trouve ainsi en présence d’un Etat qui semble se délecter d’une démocratie de la répugnance. Celle qui privilégie et brandit, avec opulence, l’aristocratie, l’oligarchie, la théocratie, voir une sorte de mo-

« Malgré les potentialités de ce pays, les Congolais sont toujours désespérément dans l’attente de la démocratie économique et sociale qu’on leur fait miroiter pendant que leurs droits au travail, aux soins de santé, au logement, à l’éducation, à l’alimentation de base, au bien-être, bref, tous leurs droits sociaux, ne leurs sont pas garantis... » pour tous. Une justice fondée sur la reconnaissance et le respect du droit des autres et prenant en compte l’éthique et la morale. A la place, on constate s’implanter de plus en plus, en RDC, un simulacre de démocratie. Une sorte de démocratie très loin de la solidarité collective, qui aurait eu pour objectif principal une distribution juste et équitable des richesses de tout genre dont regorge le Congo, au profit de tous. Du coup, malgré les potentialités de ce pays, les Congolais sont toujours désespérément dans l’attente de la démocratie économique et sociale qu’on leur fait miroiter pendant que leurs droits au travail, aux soins de santé, au logement, à l’éducation, à l’alimentation de base, au bien-être, bref, tous leurs droits sociaux, ne leurs sont pas garantis. Comment parler d’une gouvernance qui mène

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narchie absolue camouflée. Autrement dit, toutes les tares du système mobutiste (ancien régime) qui est à l’origine de l’enfoncement du Congo dans l’abîme social, de l’avis d’une nombreuse littérature spécialisée sur la question. Aussi, règlements de comptes, condamnations des plus faibles sans jugement, corruption des juges et magistrats au su et au vu de tous comme l’a démontré le dernier documentaire du journaliste Arnaud Zajtman sur le système judiciaire au Congo, dépendance de la magistrature, etc. Tout cela entache lourdement le principe d’égalité des droits qui doit garantir les même traitement pour tout le monde devant la loi, quel que soit le statut de chacun et favoriser l’instauration de la bonne gouvernance. Car c’est cela, la démocratie.

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h Photo : Jacky Delorme

La gouvernance impliquerait alors la liberté d’opinion, l’assainissement des mentalités, le recours aux bonnes pratiques sociales et politiques et la recherche du développement humain pour tout le peuple. Voilà qui devrait être l’objectif social pour la classe politique à la tête du Congo. Malheureusement, fort est de constater que seul l’enrichissement personnel et éhonté l’emporte et plonge le pays dans le chaos le

plus total. Ceux qui n’ont aucune parcelle de pouvoir n’existent plus, ils n’ont plus de voix aux yeux de la classe dirigeante pourrie. Pourtant, depuis plus d’un siècle, le peuple congolais vit une souffrance atroce et imposée, qui a fait dire à certains que « mieux valait la continuation de la colonisation que l’indépendance ». On peut les comprendre dans la mesure où ils n’ont jamais connu le bénéfice de l’accession à la

souveraineté nationale de ce grand et beau pays, la RDC. La joie de l’indépendance n’a duré que l’espace d’un sourire et s’est arrêtée au lendemain du 30 juin 1960. Le Congo a donc besoin d’une grande révolution intemporelle consistant en une prise de conscience du péril. Les Congolais sont condamnés, coûte que coûte, à récupérer la gestion du pays, confisquée jusque là par les forces du mal et ainsi faire régner le

respect des règles de la bonne gouvernance. Alors seulement ils pourront rire et danser « indépendance cha-cha » !

o Carly Kanyinda – 17/03/2013 Journaliste et acteur de théâtre-action, résidant en Belgique. Credo : « Partager les idées, les opinions, les extraits de mes nuits d’écritures, devenir humain, bannir la haine et le racisme, aimer l’amour, aimer les gens... »

Blog : http://kanyindacarly.blogspot.be/

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Démocratie en Afrique, une parenthèse ? h Photo : Jacky Delorme

L’histoire politique de l’Afrique et de la République démocratique du Congo en particulier a subi des profondes mutations. a conférence de Berlin1 avait posé les bases de l’actuelle configuration du continent. Des anciens royaumes ont progressivement émergé des États « modernes ». La balkanisation du continent a été suivie de la colonisation pour déboucher enfin sur l’autonomisation. Les indépendances africaines sont aujourd’hui plus que cinquantenaire et les modes de gestion et

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d’accès au pouvoir ont subi plusieurs évolutions. La succession par l’hérédité est tombée en caducité, les coups d’État jugés indignes ont été ensevelis sous les décombres du mur de Berlin, luimême emporté par le vent de la perestroïka. Ainsi donc, l’ancien Président Français, feu François Mitterrand, n’a pas hésité, lors de la conférence de la Baule en 1991, à présenter à ses homologues africains la nouvelle recette, le nouveau maître-mot : « Démocratie et bonne gouvernance». « L’Afrique

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des tribus et des clans » devait laisser la place à « l’Afrique des nations ». Quel joli tableau ! Mais c’était sans compter avec la situation de guerre qui va caractériser la décennie 1990. La vague des « conférences nationales » est vite passée, suivie soit par des élections souvent contestées, soit par des transitions interminables. Des situations qui ont fait le lit de rébellions ou de guerres de libération par ci, de guéguerres interethniques par là, de soulèvements de l’armée, de révolutions, … débouchant presque tous sur

des changements de régime. Plus de 20 ans après la Baule, la « démocratie » n’arrive pas à s’enraciner en Afrique. La recette proposée par le Président Mitterrand s’est tropicalisée, a pris les ingrédients locaux et perdu toute sa saveur. La justice distributive, l’égalité devant la loi, l’éradication de la corruption, de l’enrichissement illicite, de la barbarie militaire, ne sont encore qu’un vœu. 20 ans après la Baule, certains chefs d’État présents au sommet France – Afrique sont encore aux affaires. D’autres, décédés, ont été

remplacés par leurs progénitures à la suite d’élections « démocratiques » validées par la communauté internationale. La démocratie africaine ne rime pas toujours avec alternance. 20 ans après la Baule, le printemps arabe a emporté quelques dirigeants, mais pas forcément les systèmes qu’ils ont érigés. Mon pays fait toujours face à l’insécurité et à des rébellions dans sa partie orientale. Le Mali est amputé de la partie Nord de son territoire que la communauté internationale tente de récupérer.

20 ans après la Baule, un mouvement rebelle vient de prendre le pouvoir sous le regard « admiratif » des troupes africaines et françaises venues protéger l’ordre constitutionnel « démocratique ». En dépit de quelques exceptions qui, comme dirait l’autre, confirmeraient la règle, c’est à se demander si le continent n’est pas « démocraticide » ! o ROGER KALENGA - 29/03/2013 1 : Du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, cette conférence marque l’organisation et la collaboration européenne pour le partage et la division de l’Afrique.

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Parole Dans les milieux politiques kinois, et même dans la presse, on parle de plus en plus par ces temps d’un remaniement gouvernemental. ertains ne jurent que par le départ de l’actuelle équipe gouvernementale, faute, affirment-ils, de résultats à cause de l’inexpérience de la plupart de ses ministres. Fallacieux prétexte, à mon avis. En réalité, le jour même de l’investiture du gouvernement Matata, les observateurs avertis savent que certaines officines politiques mijotaient et programmaient déjà son départ qu’elles souhaitaient imminent. Bien au-delà du cas de l’actuel gouvernement, dont je n’assure du

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que c’est? Nait-on avec ? Ne l’acquiert-on pas à l’exercice? Ceux qui ont déjà géré sont-ils nécessairement expérimentés ? Est-elle tou-

Pour ses 53 ans (bientôt) d’indépendance, la République Démocratique du Congo aura connu près de 80 équipes gouvernementales, soit une moyenne de 7 à 8 mois d’existence pour chaque gouvernement. jours positive, l’expérience en question ? Est-ce que novice ou néophyte rime toujours avec nul ?...

tion du Congo indépendant est globalement une catastrophe. Leur seul mérite notoire serait vraisemblablement leur enrichissement personnel. N’est-ce pas un non-sens que de faire l’apologie d’une personne et lui récuser en même temps l’objet sur lequel porte justement ladite apologie ? Sorti en 1997 de son maquis de plus de 35 ans, Laurent-Désiré Kabila, néophyte en matière de gestion publique, avait réussi, en moins de trois ans, quelques exploits que le précédent régime, vieux de 32 ans, peinait à réaliser. En 1998, par exemple, soit quelques mois seulement après sa prise de pouvoir, il a réalisé de fort belle manière, et sans assistance extérieure, la réforme monétaire. Par la même occasion, il

h Photo : Rachidi Mabandu

53 ans, et toujours en quête d’expérimentés ! reste la défense, je voudrais réfléchir à haute voix sur les raisons, parfois fallacieuses, souvent évoquées pour justifier les multiples remaniements enregistrés depuis bientôt 53 ans d’indépendance. Lesquelles raisons sont, toutes proportions gardées, avancées officiellement par ceux qui ont hâte de faire leur entrée ou de fêter celle de leurs alliés dans les nouvelles équipes ainsi remaniées. Le manque d’expérience et l’insuffisance de résultats demeurent les motifs souvent évoqués. A propos de l’expérience, qu’est-ce

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Voilà autant de questions que les tenants de la fameuse thèse de l’expérience et, avec eux, la plupart des congolais refusent de se poser. Je suis convaincu que lorsqu’on aura circonscrit toutes ces questions, on peut modérer quelque peu cette approche « expérientiste ». Et les exemples sont légion pour militer dans ce sens. Pour avoir été aux affaires plusieurs fois, il y a une catégorie de congolais qui ont acquis dans l’imaginaire collectif le statut des gens compétents, expérimentés… Pourtant, qui n’a pas fait le constat selon lequel la ges-

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réussissait la réunification de multiples zones monétaires contre lesquelles les gouvernements précédents s’étaient battus, sans succès. Comme quoi, les novices ne sont pas toujours nuls ; et les « expérimentés » n’ont pas toujours les solutions idoines. Comble de l’ironie, ceux dont on veut se débarrasser aujourd’hui pour leur inexpérience feront prévaloir demain leur court passage au gouvernement comme preuve d’expérience pour être considérés désormais comme « expérimentés ». C’est de la supercherie. Les vraies raisons,

j’en suis convaincu, sont loin d’être rationnelles. Elles ont toujours été plutôt, à quelques exceptions près, politiciennes ; et les choses ne m’ont pas l’air de vouloir changer de sitôt. Pour ses 53 ans (bientôt) d’indépendance, la République Démocratique du Congo aura connu près de 80 équipes gouvernementales, soit une moyenne de 7 à 8 mois d’existence pour chaque gouvernement. Entre juin 1960 et novembre 1965, le Congo a été administré par 9 gouvernements. Entre octobre 1966 et mai 1984, par exemple, il y a eu 35 gouvernements pour une durée to-

tale de 171 mois, soit une moyenne de moins de 5 mois pour chaque équipe. De mai 1990 à juillet 1991, soit 14 mois d’intervalle, le Maréchal Mobutu avait changé 7 fois les premiers ministres. Jusqu’avant le 1+4 , aucune équipe gouvernementale n’avait duré plus de 18 mois, alors que quelques unes d’entre elles n’ont vécu que pendant quelques jours. Ça s’appelle de l’instabilité institutionnelle caractérisée. Avec une telle instabilité institutionnelle et une telle précarité de la fonction ministérielle, avec tout ce que cela peut avoir de pervers sur le

mental des ministres, en plus de la complexité objective de la situation du pays, on ne devrait pas trop attendre, logiquement, de telles équipes gouvernementales. o Frantz LUTUMBA - 10/02/2013 est licencié en Droit et en Sciences Politiques et Administratives. Il est entrepreneur. Ce qui ne l’empêche de s’intéresser aux questions d’actualités nationales et internationales. *La formule «1+4» désigne le pouvoir partagé entre le président Joseph Kabila et ses quatre vice-présidents.

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Parole mocratique, il y en aura eu plus d’une quinzaine. En moyenne, une rencontre tous les trois ans. La politique, c’est l’art du compromis, disait le sage. Cependant, le comble est qu’en RDC les choses frappent par leur ressemblance et leur redondance, en dépit de la différence des temps, d’acteurs et des mœurs. On revient sur les mêmes choses sans avancer. Et chaque fois, ça commence de la même manière : tergiversations sur des questions de forme, principalement, mais aussi de fond. Ça se termine aussi de la même manière, souvent en catastrophe avec des gouvernements de coalition, d’union ou même de large union nationale, brassages et mixages des armées,

tions préliminaires, les exigences d’une partie de l’opposition et l’ordre du jour de ces énièmes consultations nationales. Dans le camp de la majorité, c’est une course – pour ne pas dire guerre – au leadership. Des consultations sont organisées séparément et parallèlement par deux cadres haut-placés. Au-delà de la guéguerre interne à la Majorité Présidentielle, on peut logiquement se poser la question sur la légitimité et l’issue d’une telle démarche initiée par un parti politique ou une plateforme politique, fut-elle de la majorité. Car les partis et cartels politiques restent, jusqu’à preuve du contraire, des faits privés. La logique aurait commandé que seules les personnalités revêtues du

second, pourquoi n’assurerait-il pas lui-même la médiation, d’autant plus que même l’opposition le reconnait au dessus des parties ? Ce qui est loin d’être semblable à la situation d’avant Sun-City. Le sort des résolutions du dialogue, deuxième problème de fond, dépend

missions et obligations des gouvernements élus de faire face aux crises et autres menaces, qu’elles soient internes ou externes ? N’est-ce pas pour ça qu’ils sont élus ? Quel théoricien, diantre, aurait suggéré qu’il faille nécessairement un gouvernement d’union nationale

N’est-il pas dans l’ordre normal des missions et obligations des gouvernements élus de faire face aux crises et autres menaces, qu’elles soient internes ou externes ? N’est-ce pas pour ça qu’ils sont élus ? non seulement de leur caractère juridique mais aussi du « compliqué statut » du chef de l’Etat. Serontelles exécutoires et opposables à tous ? A lui aussi ? S’il fait partie

pour résoudre des crises ? Beaucoup de théories et d’expériences, même congolaises, ont montré que ce type de gouvernements n’a pas toujours été des plus efficaces. D’ailleurs, ils

Dialogue national, des absurdités h Photo: Jacky Delorme

Tananarive, Coquilhat-ville, Lovanium, Luluabourg, Conférence Nationale Souveraine, Palais de marbre I et II, Lusaka, Sun-city, Goma, Kampala… ous ces noms évoquent des rencontres entre congolais pour, soit disant, trouver des solutions aux problèmes. Pour les 53 ans d’indépendance du Congo dé-

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avec des distributions de grades... Pourtant le sage avait également dit que le passé servirait à comprendre le présent et à anticiper l’avenir. Mémoire sélective ? A la suite de l’attaque de la ville de Goma par les hommes du M23, le chef de l’Etat a lancé un appel à la mobilisation nationale. Pour la classe politique, tout passe par la tenue d’un dialogue national – comme si la nation ne s’arrêtait qu’aux seuls acteurs politiques ainsi qu’à leurs collègues œuvrant sous le couvert de la société civile. Et aujourd’hui, comme autrefois, le « dialogue national » démarre sur fond de quelques absurdités : l’initiative de concerta-

sceau public, en l’occurrence le chef de l’Etat, prenne telle initiative ou en délègue expressément le pouvoir à un tiers, chargé de lui faire le rapport à l’issue des tractations. Dans cet imbroglio, une certaine opposition pose déjà des préalables : le chef de l’Etat, notamment, doit désigner un médiateur international. Absurde, car cela pose deux problèmes de fond : le sort des résolutions du dialogue et le statut du chef de l’Etat lui-même. Fait-il partie intégrante du dialogue ou bien est-il au dessus de la mêlée ? Dans le premier cas, comment peut-il avoir le privilège de désigner le médiateur du dialogue ? Dans le

prenante du dialogue, le problème se poserait moins. S’il n’est ni partie prenante ni médiateur, les résolutions auraient bien des difficultés à être exécutées et surtout à lui être opposées si celles-ci ne lui convenaient pas… Un vieux débat de la Conférence Nationale Souveraine. Autre absurdité, la finalité de ce dialogue. A quoi tient, en effet, l’organisation de ce énième dialogue quelques mois seulement après la tenue des élections présidentielles et législatives qui ont donné au pays une majorité pour le gouverner ? Il semble que le pays soit face à une grave crise, j’entends souvent dire. N’est-il pas dans l’ordre normal des

ont le mérite d’être souvent fragiles. Au-delà du fait d’avoir suspendu les guerres en donnant du travail et de l’argent aux belligérants, le désormais célèbre 1+4 n’a point fait preuve d’une gouvernance efficace. A ce jour, même ceux qui y ont participé n’en parlent toujours pas en des termes reluisants. En attendant, Rutshuru, Rumagabo et tant d’autres territoires de la province du Nord Kivu sont entre les mains des insurgés et l’espoir de voir se hisser le drapeau national s’effrite au fil des heures, des jours, des semaines, des mois, des dialogues. Loin s’en faut. o Raymond KENGA - 06/03/2013

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Parole Nous sommes tous responsables. On développe ou on attend ? e Congo des années 70, je ne l’ai pas connu mais au regard de ce qu’on en dit, je me pose des réelles questions. Le Congo des années 70 jusqu’à mi-80, on y croyait encore un peu, paraît-il ! La Gécamines avait été mise en

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Parole Chemins de Fer Zaïrois, on y croyait encore (ou on faisait semblant). On parlait de réhabiliter la « voie nationale » pour évacuer les minerais par Ilebo, et on rêvait de remettre en état le réseau ferré de l’Ituri. L’Onatra - Office National des Transports - assurait toujours, mais difficilement, la maintenance du matériel de traction dans ses ateliers de

nait toujours à Ndolo. Déjà, les policiers de roulage organisaient de véritables traquenards, pour prendre dans leurs filets quelques « conducteurs lambda » ne disposant pas de gros 4x4 aux vitres teintées. Courageux, nos roulages, mais pas téméraires ! Mais quand je regarde de très près aujourd’hui…

le temps où il fallait aller puiser l’eau du fleuve ! Des réseaux d’eau et d’électricité chiches, qui tiennent du miracle quotidien, malgré tout l’argent déversé par les bailleurs de fonds. Une voirie défoncée, urbaine mal entretenue et délaissée au profit de quelques belles nouvelles routes construites le temps d’une élection peut être.

« Des tas d’ordures à tous les coins de rue, des myriades de vendeurs à la sauvette, des taxis-bus indisciplinés et même dangereux. Une pollution à couper au couteau. » Même là, nous nous sommes souvent montrés incapables, aux yeux du monde. Une foire d’empoigne d’inté-

La bière qui coule à flot aide aussi à supporter et à oublier. Les seuls secteurs dynamiques où l’on trouve de vrais emplois, en dehors de la téléphonie mobile et de la bière, ce sont les partenaires, leurs programmes, leurs projets. Bien que là encore, il y ait fort à redire. Eh oui ! Nous sommes tous responsables d’avoir préféré la facilité et les

Tous responsables, moi la première !

h Mathieu Mokolo

coupe, réglée par le pouvoir de Mobutu. Ses cadres, en général très bien formés, la voyaient s’enfoncer petit à petit. Ils exprimaient une grande inquiétude sur l’évolution des mœurs ambiantes et la perte de toutes les valeurs de référence, telles que le travail, l’effort, l’honnêteté… Inquiétude, surtout par rapport à l’avenir de leurs enfants, eux qui avaient connu autre chose ! A la SNCZ - Société Nationale des

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Mbanza Ngungu ; Matériel hétéroclite, vieillissant, énormes difficultés d’approvisionnement en pièces détachées mais des convois circulaient quand les conditions étaient réunies… L’aéroport de N’Djili était encore très loin de la ville. Binza Ma Campagne, Centre-ville étaient des quartiers résidentiels où régnait la sécurité. Le bon temps ! L’armée avait encore quelques avions de chasse et l’Aéroclub fonction-

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Presque plus d’Etat pour gouverner le pays, plus de forces de sécurité pour le protéger, un peuple appauvri et de plus en plus inculte : les diplômes se négocient, les publications de référence se raréfient, les programmes d’enseignement se fossilisent sur des principes d’un autre siècle et tout le monde se plait à regretter le bon vieux temps. Plus de téléphonie fixe, mais une floraison d’opérateurs mobiles, est-ce cela le développement ? Il n’est pas loin

Des tas d’ordures à tous les coins de rue, des myriades de vendeurs à la sauvette, des taxis-bus indisciplinés et même dangereux. Une pollution à couper au couteau. Mais à qui donc allons-nous demander des comptes pour tout cela ? Nous sommes tous responsables. Les élections sont un moment privilégié dans chaque société moderne. C’est le moment où le peuple a la parole, le pouvoir. Mais pauvres de nous !

rêts bien égoïstes, mais dont on ne peut même pas sourire. J’aime bien regarder et je regarde souvent la télévision. J’apprécie énormément les débats politiques dans les grandes démocraties. Pourquoi pas cela chez nous ? Dans la vraie vie, je côtoie des gens qui galèrent sans mot dire. La population ne fait qu’espérer, encouragée par la floraison des églises de tout poil qui souvent ne sont qu’un racket de plus.

rentes au changement et à la préparation de l’avenir : politiciens, syndicalistes, fonctionnaires, enseignants, partenaires au développement, certaines communautés étrangères vivant au Congo… Alors, on fait quoi ? Cela fait 30 ans qu’on attend ! On se développe et on « entre dans la civilisation », ou bien ? Parole de citoyenne. o Susie Bakajika - 05/02/2013

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Parole h A Kinshasa comme en provinces, l’interdiction des tarifs forfaitaires dans les entreprises de télécommunications a déçu la population. (Photo JDC)

Déliquescence de l’enseignement et clivage social. À qui profite le « crime » ?

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La République démocratique du Congo reste, décidément, un pays de contrastes. Et ce, quasiment dans tous les domaines de la vie. L’un des clivages les plus pertinents aujourd’hui est, sans conteste, celui qu’induisent les moyens de subsistance des citoyens. a République démocratique du Congo reste, décidément, un pays de contrastes. Et ce, quasiment dans tous les domaines de la vie. L’un des clivages les plus pertinents aujourd’hui est, sans conteste, celui qu’induisent les moyens de subsistance des citoyens. C’est précisément ce critère de discrimination opposant les nantis aux démunis, les riches aux pauvres, qui sous-tend la plupart des disparités observées dans le pays. D’autant plus que les riches sont toujours occupés à s’embourgeoiser davantage tandis que les pauvres se paupérisent chaque jour de plus en plus.

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Parole L’éducation et l’enseignement n’y échappent pas. Je note ici un fonctionnement à deux niveaux : celui des filles et fils des nantis, et celui des enfants d’extraction modeste. Les premiers vont soit étudier à l’étranger, soit, quand ils demeurent au pays, dans les écoles où le traitement des enseignants suscite la motivation et l’émulation, où le matériel didactique autorise un apprentissage plus rapide et plus approfondi de la matière, où le savoir-faire des enseignants est mis en valeur par les meilleures conditions de travail et où la gestion des enseignants et des enseignements est suffisamment saine. Par contre, les enfants des pauvres, les plus nombreux, doivent se contenter d’un enseignement de second ordre, je pourrais même dire « au rabais ». Leur école n’est pas toujours équipée du nécessaire, l’indispensable minimum doit leur suffire. Ainsi, certaines salles de cours sont encore de nos jours en pisé avec un toit en chaume. Les pupitres manquent-ils ? Une brique ou une grosse pierre va faire l’affaire, même si l’apprentissage de l’écriture va s’en trouver sérieusement handicapé. Donc, d’un côté, des enfants ayant reçu une bonne éducation et jouissant d’une formation culturelle et intellectuelle si solide qu’ils peuvent participer sans complexe aux concours internationaux d’orthographe, de motscroisés, de scrabble, de « questions pour un champion », de « génie en herbe », … De l’autre,

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des enfants éduqués pratiquement dans et par la rue et qui bénéficient d’un enseignement tronqué, dispensé par des enseignants démotivés, souvent non-qualifiés et au cœur partagé : ils prestent dans l’enseignement en attendant l’occasion de migrer vers des secteurs d’emplois plus rémunérateurs. Et, malheureusement, ces deux niveaux de notre enseignement produisent des diplômés de l’enseignement national. Des jeunes qui reçoivent le même diplôme national signé par le même Ministre, parfois avec des pourcentages très élevés (83%).

« La situation actuelle de l’enseignement en RDC fait penser à une lutte féroce opposant les nantis aux humbles. » Or, ces diplômes n’ont pas la même valeur. Car les uns, ceux qui étudient dans de bonnes écoles et universités, ont mérité leurs titres scolaires ou académiques. Ils ont réellement appris et savent. Les autres réussissent de moins en moins par leur propre ardeur au travail et doivent, pour réussir, compter de plus en plus sur le laxisme, sur la « compréhension » des membres des corps enseignants. Ils quittent les études presque aussi analphabètes qu’ils y entrent. Parmi eux – rien ne sert de se voiler la face – beaucoup ne savent même pas écrire correctement leur prénom ni conjuguer le

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verbe « être » ! Et, encore moins, rédiger une lettre de demande d’emploi. A se demander comment ils sont parvenus à la fin de leur formation, comment ils ont pu, par exemple, réussir à rédiger une dissertation française aux examens d’Etat ou un travail de fin de cycle à l’issue de leur formation universitaire, compte tenu de leur ignorance du français. Or, la non-maîtrise du français, la langue d’enseignement en RDC, suggère qu’ils n’ont pas correctement appréhendé les contenus des enseignements qui leur ont été dispensés. Qui plus est, ce sont précisément ces diplômés des « écoles du peuple » qui sont appelés à enseigner aux enfants du peuple, des pauvres et des moins nantis. Que peuvent-ils transmettre aux apprenants, eux qui ont payé des bulletins pour passer de classe ou qui se sont adonnés à la tricherie sous ses diverses formes ? Et les parents, ceux qui envoient leurs enfants à « l’école du peuple », se rendent complices de cet état des choses. Ils sont prêts à payer les points, eux-mêmes directement ou par l’entremise de leurs enfants, à acheter de faux bulletins et à protéger les faussaires pourvu que les enfants passent de classe. Les études coûtant très cher par rapport à la bourse du citoyen moyen, il n’est pas question que l’enfant redouble une classe. Bref, d’un côté des « filles et des fils de… », bien éduqués et solidement instruits – même si la moralité ne

suit pas nécessairement - qui, de par le sérieux même de leur formation, sont aptes à occuper les postes de commandement dans tous les domaines de la vie sociale : politique, scientifique, économique, des affaires… En face d’eux, les diplômés de « l’école et de l’université du peuple » qui, de par leur inculture larvée et leur formation lacunaire, sont appelés à des tâches subalternes, telle que transporter les mallettes des autres.

En y regardant de plus près, la situation actuelle de l’enseignement en RDC fait penser à une lutte féroce opposant les nantis aux humbles. Non seulement pour aujourd’hui, mais surtout pour l’avenir. Il me semble en effet que ceux–là soient occupés à préserver leurs intérêts et à s’assurer la permanence de leur mainmise sur les hautes structures du pays en préparant leur relève, la vraie parce que correc-

tement préparée, tandis que le peuple, ignorant et naïf, applaudit à cœur joie la destruction (programmée ?) de sa progéniture. La situation est déjà critique et empire chaque année. La question revient, lancinante : à qui donc profite la déliquescence de l’éducation et de l’enseignement en République démocratique du Congo ? o Victorine Khonde - 15/01/2013

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RDC, l’heure a sonné pour la loi sur l’accès à l’information

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La gestion et la détention de l’information a été à la base de tous les conflits dans le monde. La délicatesse de cette donnée amène certains politiques à en limiter ou carrément refuser l’accès. ’est le cas de la République Démocratique du Congo qui, jusqu’à ces jours, n’a aucune loi sur l’accès à l’information. Il est vrai que dans son article 24, la Constitution du pays reconnait le droit à l’information à toute personne. La prolifération des organes de presse depuis avril 1990 nous en donne l’une des preuves, même si ce droit n’est pas totalement effectif. Pour une mise en œuvre réelle, ce droit devrait être accompagné des lois telles que la loi d’accès à l’information. Une loi sur l’accès à l’information est censée définir et fixer les mécanismes permettant à tout citoyen, toute citoyenne, d’avoir accès à l’information détenue par des organes public et privé, par le pouvoir central et provincial, par des entités territoriales et toute autre personne morale. Ces mécanismes sont contenus dans certains instruments juridiques internationaux ratifiés par la RDC et qui affirment entre autres qu’en matière des droits humains et de libertés publiques l’accès à l’information est un droit universel. Ainsi le droit d’accès à l’information publique devrait s’appliquer à tous

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les services publics. Elle instaurerait l’obligation pour les responsables et préposés des services publics d’apporter leur assistance à tout citoyen désireux d’accéder à leurs archives, ainsi que l’obligation pour les institutions de mettre à disposition les moyens nécessaires permettant aux services publics de publier systématiquement à l’attention du citoyen l’information de base. Le droit à l’information comporte deux aspects. Le premier renvoie à la liberté de presse, la liberté d’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication. Le deuxième concerne un dispositif offrant à tout citoyen la possibilité de demander les informations ou d’accéder aux archives de tous les services publics. Par ailleurs, une loi sur l’accès à l’information constitue un droit humain fondamental et un outil important pour assurer un développement plus efficace, une bonne gouvernance démocratique, une réforme de l’administration publique et une bonne gestion des ressources naturelles. Elle permet de renforcer la transparence et de lutter contre la corruption. Elle garantit également l’inclusion sociale en encourageant l’échange et la diffusion de l’information à toutes les catégories sociales tels que les enfants, les jeunes et les femmes, et assure l’exercice des droits socio-économiques.

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Dans un pays comme la République Démocratique du Congo, qui connait des conflits armés à répétition et a organisé des élections critiquées parce que peu transparentes, une loi sur l’accès à l’information serait un élément déclencheur. En effet, la gestion du pays et la problématique de la gestion des ressources naturelles sont continuellement à la base de différentes crises. Les groupes armés, notamment à l’Est du pays, revendiquent plus de transparence. De leur côté, les partenaires demandent également plus de bonne gestion. Mais ces réclamations viennent aussi des citoyens. Un responsable d’un centre de santé privé dans une commune périphérique de Kinshasa m’a fait part, un jour, de son indignation devant l’attitude affichée par des agents de la Direction Générale des Impôts (DGI) face à l’augmentation d’une taxe. « Ils m’ont dit que l’ordre est venu de la hiérarchie et ils n’ont fait qu’exécuter », a-t-il rapporté. Comment expliquer que ce contribuable ne puisse pas avoir accès à cette information alors qu’il est à la base du fonctionnement de ce service public? Si ailleurs, le contribuable a le droit de savoir comment est géré l’argent qu’il donne à l’Etat pour le bien de tous, en RDC cela

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parait comme péché de lèse-majesté. Le citoyen bien informé est un citoyen responsable, capable de bien gérer le bien communautaire. Car l’ignorance, comme on le sait, ne peut conduire qu’à la mort, à la disparition de toute une communauté, d’un peuple. Des initiatives sont prises au niveau de la société civile et des médias pour que cette loi d’accès à l’information soit discutée au niveau de deux chambres du parlement. Mais la détermination de ces groupes ne peut aboutir que si toute la population

« Le citoyen bien informé est un citoyen responsable, capable de bien gérer le bien communautaire. » comprend le bien fondé de cette loi, qu’on peut qualifier de révolutionnaire. Cet aspect révolutionnaire ne peut nullement inquiéter le pouvoir en place parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde que cette loi travaillera. Les expériences d’autres pays en Afrique et ailleurs peuvent bien inspirer les uns et les autres. o Anselme Mampuya - 12/03/2013 Anselme Mampuya est un entrepreneur et un consommateur avisé des médias.

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Entre la droite et la gauche, les Congolais tanguent ? De par ma petite expérience, et au regard des échanges et discussions que j’ai l’occasion de développer avec mes amis et connaissances, je me suis forgé une conviction : les congolais, et par-delà les africains, sont foncièrement à Droite.

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es valeurs prônées par la gauche sont souvent perçues comme libertines et à contre-courant des croyances traditionnelles. Mais, dans le taxi où j’ai pris place le jour où l’assemblée nationale française, à majorité de gauche, venait finalement d’adopter le controversé « mariage pour tous »,

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ça fulminait de partout. La veille, Benoît XVI avait annoncé, à la surprise générale, son abdication. Le débat était très vif sur ces deux actualités qui, pour le chauffeur et mes co-passagers, entretenaient sans nul doute un lien. Le monde va tellement mal que le pauvre Joseph Ratzinger n’en peut plus, affirme le chauffeur.

Se cristallisant en fin de comptes sur les homosexuels congolais, de plus en plus remarqués, le débat devient collectivement hystérique. Je préfère ne pas en faire écho dans une tribune comme celle-ci. Plus loin, la discussion chute sur l’actualité nationale : du dialogue national, en gestation à Kinshasa, aux négociations de Kampala, tout y passe. De la balkanisation du pays à l’usurpation de la nationalité congolaise. Comme la majorité des congolais, les débateurs ont été une fois de plus intransigeants sur la question de la « nationalité congolaise». La défense de l’identité nationale est un autre idéal que les congolais partagent avec la droite, particulièrement avec le FN français, qu’ils vilipendent pourtant. Alors, on dirait que les congolais ne sont à gauche que sentimentalement ? Ou, comme dirait l’autre, qu’ils ont la tête à droite et le cœur à gauche. En accord avec les valeurs de droite, ils préfèrent pourtant les dirigeants (occidentaux) de gauche. Malgré ses égarements, Bill Clinton est presqu’adulé ici. S’il était donné aux congolais d’élire le président des Etats-Unis, ils auraient installé Al Gore à la Maison Blanche contre Georges W. Bush en 2000. En 2004, ils lui auraient surement préféré John Kerry. Plus près de nous, l’« africain Barack » est aussi fortement soutenu grâce à son appartenance au Parti Démocrate, un parti de gauche.

S’agissant de la France, beaucoup de congolais, dirigeants comme population, ont toujours eu, on ne sait trop bien pourquoi, de la préférence pour les candidats socialistes. De Mitterrand à Hollande en passant par Jospin et Royal. A la dernière présidentielle, ils avaient vivement souhaité la victoire de Hollande sur Sarkozy. Tout en se définissant comme nationalistes et en étant farouche-

Tout en se définissant comme nationalistes et en étant farouchement opposés à des « valeurs » telles que la libre orientation sexuelle, le droit de vote des étrangers, le principe de double nationalité entre autres, des centaines de partis politiques congolais se réclament pourtant de gauche. ment opposés à des « valeurs » telles que la libre orientation sexuelle, le droit de vote des étrangers, le principe de double nationalité entre autres, des centaines de partis politiques congolais se réclament pourtant de gauche. La liberté, la démocratie et la justice étant devenues, avec le cours de l’histoire, des valeurs transversales à l’un et l’autre camp, la démarcation se resserre désormais plutôt autour de la promotion d’idéaux progressistes pour la gauche, et de conservatisme pour la droite.

Le tournant socio-démocrate entamé par des partis comme le PS français ou le SPD allemand a réduit le clivage sur les questions économico-politiques, notamment sur le capitalisme, l’Union Européenne ou le désendettement, au point que dans les pays occidentaux, conservatisme et progressisme désignent aujourd’hui davantage le positionnement quant aux mœurs, même si les thèses critiques du capitalisme n’ont pas disparu du débat politique. Ainsi, des partis politiques sociodémocrates comme le PS français mettent en avant un libéralisme des mœurs en se revendiquant solidaires de causes comme la défense des femmes ou l’extension des droits des « minorités ». La droite désigne généralement l’ensemble des courants politiques ayant une doctrine, une tradition ou une idéologie plutôt conservatrice, économiquement libérale ou non. Les partis de droite manifestent donc un certain attachement à l’ordre, considéré comme juste ou comme un moindre mal, et réprouvent les changements brusques, notamment sur les questions de société, les questions éthiques et autres. A y regarder de près, beaucoup de partis congolais ainsi que la majeure partie de la population sont plutôt de droite que de gauche. En tout cas, moi, je suis de droite o Martin-Pierre MUTEBA 13/03/2013

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Parole 5. Le promoteur d’une radio communautaire, lorsqu’il est un opérateur politique, peut abandonner son média, après des élections par exemple, sans une quelconque poursuite ou contrainte administrative et financière (problème de sortie du personnel envoyé au chômage, liquidation de l’entreprise de presse, etc.).

Dix raisons pour créer sa propre « radio communautaire »

6. La radio communautaire induit une bonne visibilité de son initiateur/propriétaire surtout lorsque celui-ci est un opérateur politique, religieux ou économique.

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Un beau matin, Songololo confie à Pakalala : « Mon cher ami, je suis lassé de travailler pour les autres. Je crée ma propre radio communautaire. Question pour moi d’assurer ma vieillesse et l’avenir de ma progéniture ».

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n RDC, la déclaration de Songololo ne paraît plus forcément insolite. Elle effleure non seulement la tête du professionnel de la presse, mais attise de plus en plus les appétits gloutons de maints opérateurs politiques, religieux, sociaux et économiques. En effet, dès qu’on réunit les moyens de l’avoir, comme Songololo, chacun veut installer sa radio communautaire et les raisons sont apparemment multiples. Déliant sa langue, Songololo s’est permis d’en énumérer quelques-unes :

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1. Le secteur associatif et communautaire jouissant d’une reconnaissance de fait (et non légale), le régime spécifique des radios communautaires est méconnu du législateur congolais. La Loi 96-002 du 22 juin 1996 qui fixe les modalités de l’exercice de la presse en RDC était votée sous le régime dictatorial et déliquescent du Maréchal Mobutu, alors que le pays ne comptait même pas une dizaine de radios communautaires. L’explosion du tiers secteur constatée à ce jour est postérieure à la libération des ondes hertziennes. Aussi est-il profitable d’évoluer dans ce cafouillage. 2. En ce qui concerne le fisc : comparée à la radio commerciale ou privée, la radio communautaire peut bénéficier de certains avantages tels que la fixation d’un barème de taxes plus souple et adapté, des exonérations à

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l’importation du matériel radio, des dons et legs des tierces personnes (physiques ou morales). 3. Avec la radio communautaire, il est possible d’avoir un cahier des charges moins contraignant. Il est aussi facile de faire de la publicité même commerciale en profitant d’un imbroglio entretenu vis-à-vis des radios commerciales. A défaut de faire de la publicité de manière directe, on peut recourir aux bons offices d’une régie financière qui captera des marchés dont les 40% reviendront à la radio diffuseuse. 4. La radio communautaire permet le camouflage de son vrai propriétaire (initiateur – directeur inamovible) qui feint de la dédier théoriquement à quelque communauté dont il se réclame.

7. L’initiateur/propriétaire de la radio communautaire gère personnellement son média à défaut d’en confier la gestion à une personne ou un groupe de personnes de son choix qui lui rendent compte. 8. La radio communautaire fait bénéficier à son propriétaire les avantages d’une association sans but lucratif (ASBL) alors qu’elle est en soi une entreprise privée. Les documents d’ASBL (statuts, règlement intérieur, organigramme, etc.) dont elle dispose sont à titre indicatif. La réalité se niche ailleurs.

public indéniable et se construire une notoriété conséquente. Telles sont les raisons, parfois occultes, du cynique Songololo, qui militent selon lui en faveur de l’expansion de la radio communautaire en RDC.

« Certains artisans des radios associatives et/ou communautaires s’écartent redoutablement du rôle et de la mission irréductibles de la radio communautaire. » On l’aura certainement compris, en parlant de la création de la radio communautaire de Songololo, ma démarche consiste non à vilipender les initiateurs des radios communautaires, mais à battre en brèche des pratiques atypiques, éhontées, illicites et inciviques. C’est avec audace que je me permets de tirer la sonnette d’alarme pour

interpeller les citoyens congolais et leurs dirigeants pour quelque recadrage dans la mesure où certains artisans des radios associatives et/ou communautaires s’écartent redoutablement du rôle et de la mission irréductibles de la radio communautaire. Et les sosies des radios communautaires gagnent du terrain et renforcent l’amalgame. Enfin, j’estime qu’il est temps que le législateur se penche rapidement sur l’épineuse question du tiers secteur des médias afin d’établir la distinction nette entre les radios associatives et communautaires, les médias audiovisuels privés et commerciaux. Aussi la FRPC (Fédération des radios de proximité du Congo) devrait-elle baliser la voie en procédant par un toilettage singulier et efficient pour doter la RDC de vraies radios associatives et communautaires, étant entendu que les radios de proximité peuvent être de type public, associatif, communautaire ou commercial. o Pierrette NDAKA NGUMA 26/03/2013

9. La radio communautaire peut recourir aux précieux services des bénévoles et, de ce fait, alléger sa charge aussi bien sur le plan financier que dans la division du travail. 10. L’initiateur/ propriétaire peut se targuer de desservir sa communauté à qui la radio rend un service

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Le système de quotas pour sauver la représentation des femmes en RDC

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Qu’on se le dise : la sous-représentation desfemmes en politique reste un sujet d’actualité pour la majorité des pays du monde ! De plus en plus, les voix de femmes et de certains hommes, défenseurs de l’égalité des droits, s’élèvent pour réclamer la réduction des écarts longtemps entretenus.

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ans mon pays, ce débat semble être occulté, après l’initiative lancée lors des élections de 2006 en faveur de listes « bloquées zébrées ». Il est vrai que la barre était placée très haut, mais c’était de bonne guerre pour engager des discussions et notamment faire accepter un recours aux quotas, car la République Démocratique du Congo accuse un grand retard, dans la mesure où le recours à ce système est de plus en plus répandu dans le

monde. Beaucoup de pays expérimentent différents types de quotas favorables aux femmes lors des élections parlementaires. La loi sur la mise en application de la parité adoptée au Sénat fait malheureusement un pas en arrière, par rapport à la Constitution qui consacre cette parité hommefemme : avec les 30% prévus par cette loi, la RDC recule alors qu’elle était déjà très avancée. Face à ce yoyo législatif, les Congolaises seront,

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peut-être, appelées à suivre ces Le système de quotas, que bon centage, dans les divers organes hauts et ces bas, tout en gardant leur nombre de pays appliquent, per- institutionnels tels que les asregard sur l’objectif à atteindre qui met aux femmes d’accéder à des semblées parlementaires, les est l’égalité des droits dans tous les fonctions politiques et de veiller commissions, les entreprises puà ce que l’élection d’une poignée bliques, le gouvernement, etc. domaines de la vie. Actuellement, le Coté statistiques, les « Coté statistiques, les études menées montrent système de quotas études menées que 18,4 % des parlementaires du monde entier vise à assurer une montrent que 18,4 % sont des femmes. Le Rwanda prend la tête avec présence de 30 à des parlementaires du 56,3% de femmes, suivi de la Suède qui marque 40% de femmes. monde entier sont des 47,3%. La RDC n’atteint même pas la moyenne Cet argument est femmes. Le Rwanda mondiale avec environ 9%. » combattu par cerprend la tête avec taines féministes 56,3% de femmes, suivi de la Suède qui marque 47,3%. de femmes ne serve pas seule- qui estiment qu’un quota difféCette dernière est longtemps restée ment de prétexte dans la vie po- rent de 50% n’est pas justifiable en tête avant d’être détrônée. La litique. Son principe se fonde sur car les femmes constituent la RDC n’atteint même pas la moyenne l’idée que les femmes doivent moitié de l’humanité. être présentes, selon un pour- En 2011, la discussion autour de mondiale avec environ 9%.

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la loi électorale en vigueur au parlement n’a pas permis à la RDC d’ériger des contraintes pour les partis politiques. Les hommes politiques sont, en effet, montés au créneau pour fustiger le manque d’engagement des femmes congolaises en politique : « On demande aux partis politiques d’aligner un nombre égal d’hommes et de femmes sur les listes électorales. Mais où sont ces femmes ? », s’interrogeait un politicien sur une chaîne de la place. Il est vrai que les Congolaises doivent davantage s’engager, mais rien ne nous confirme que les Rwandaises qui

sont représentées à plus de 50% au parlement sont plus engagées que les Congolaises. Il faut une volonté politique pour faire changer la situation. « Le système de quotas se présente comme un début de solution dans un environnement hostile comme celui que nous connaissons en RDC », explique une activiste des droits de la femme. Oui, les femmes doivent se battre pour trouver leur place sous le soleil, mais les hommes aussi ont leur part de responsabilité. Ainsi avec le système de quotas, ce ne sont pas les femmes elles-mêmes qui ont la charge du recrutement, mais elles deviennent les responsables de ce processus de recrutement grâce à une volonté politique exprimée des hommes et des femmes. Les plus farouches opposants soutiennent que ce système de quotas n’est pas démocratique parce qu’il se fonde sur le genre plutôt que sur les qualifications. Ils le trouvent donc contraire au principe d’égalité des chances pour tous du fait que les femmes sont, à leurs yeux, avantagées. Mais que pensent-ils du fait qu’en démocratie, ce sont les partis politiques qui décident des personnes qui seront élues, et non les électeurs, parce que ce sont eux qui désignent les candidats aux élections ? La démocratie a ses règles et le quota peut en être une.

Les quotas impliquent la présence de plusieurs femmes dans un organe donné, réduisant ainsi la pression exercée sur une « femme prétexte » qui serait seule. Les quotas de femmes ne sont pas discriminatoires, contrairement à ce que beaucoup croient. Ils servent plutôt à compenser les obstacles qui ôtent aux femmes la part des sièges qui leur revient. Les femmes ont droit, en tant que citoyennes, à une représentation équitable. L’expérience des femmes est nécessaire dans la vie politique parce que chaque sexe a ses spécificités, ses richesses à apporter à la communauté. Mais pour être efficace et bénéfique à la communauté, l’application de ce système doit être accompagnée d’un programme d’éducation civique auprès des syndicats, des associations, des universités et d’une politique d’implication des partis politiques. Il est question d’amener chaque personne à prendre la responsabilité de promouvoir systématiquement la participation des femmes. o Anna Mayimona Ngemba 15/01/2013 Anna Mayimona est licenciée en journalisme à l’Institut Facultaire de Science de l’Information et de la Communication (IFASIC). Elle est engagée dans le mouvement associatif à travers l’Union Congolaise des Femmes des Médias (UCOFEM) comme activiste des droits de la femme.

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Parole En tant que village planétaire, le monde vit une ère nouvelle dans le domaine de la communication et de l’information notamment avec la turgescence et l’expansion des TIC, les technologies de l’information et de la communication. et immense progrès, il est vrai, est source de satisfaction et de bonheur. Mais, il constitue en même temps un risque réel dont l’imminence pèse gravement, comme une l’épée de Damoclès, sur la profession journalistique. Cette dernière, en effet, court le risque d’être galvaudée avec cette deuxième forme de concession qui lui est imposée. La première concession a consisté à accepter dans le métier de journaliste des personnes n’ayant pas suivi à l’école de cours de journalisme, au motif que le diplôme ne confère pas impérativement, et encore moins automatiquement, à son détenteur le savoir et le savoir-faire. Il n’est rien à redire à ce sujet dans la mesure où les meilleurs journalistes ne sont pas nécessairement des sortants des

mesure où elle fait appel généralement à un respect plutôt spontané par les membres. La deuxième concession, à notre avis, se veut être l’intrusion (et l’acceptation) d’une seconde vague des « non-journalistes » dans la profession. Ce, avec l’essor des TIC, l’invention et l’adoption irréversible de l’Internet, le développement du multimédia… Or, les nouvelles techniques de l’information et de la communication alimentent, d’une certaine manière, une dualité entre le travail stricto sensu du journaliste professionnel et les nouvelles opportunités que les TIC offrent aux citoyens. Aujourd’hui, toute personne peut faire du journalisme, même inconsciemment (collecter, traiter et diffuser de l’information, quand bien même elle n’en tirerait pas une bonne partie de sa subsistance), sans pour autant avoir été préalablement et méticuleusement formée soit sur le tas, soit dans une école de journalisme. L’on parle, par exemple, des reporters-citoyens, des

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Les TIC, une menace pour le journalisme professionnel ? facultés de l’information et de la communication. Il n’y a donc pas d’exigence absolue d’être porteur d’un diplôme spécifique, auquel on pourrait aliéner l’octroi d’une

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carte de presse. Pour prester, tout le monde, y compris les « moutons noirs », sont tenus d’observer les règles éthiques et déontologiques de la profession journalistique.

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Néanmoins, il y a décidément une dissimilitude entre la déontologie des professions libérales – médecins, avocats, professeurs - et celle des journalistes. En effet,

avant d’exercer les professions libérales, l’on est tenu de suivre absolument une formation spécifique reconnue par le législateur qui, de surcroît, en impose le

mode d’affiliation et un contrôle permanent. Le cas du journaliste, lui, est complètement différent. En effet, la déontologie journalistique est d’ordre moral dans la

blogueurs, des photojournalistes indépendants… Tous informent les publics. Et chacun le fait quasiment à sa manière, selon ses intentions, ses convictions.

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Parole D’aucuns justifieraient la libéralisation ainsi observée dans le secteur des médias par le fait que les publics sont des grands demandeurs et consommateurs d’information. Plusieurs canaux et créneaux se sont développés aux côtés des médias traditionnels, tant dans la presse écrite que dans la presse audiovisuelle (journal, radio, télévision) pour répondre de manière optimale au besoin crucial des citoyens d’être informés et d’informer. L’information n’est plus, pour ainsi dire, l’apanage du journaliste seul. Voilà pourquoi le progrès réalisé devrait absolument se lotir de mesures d’encadrement qui aideraient, en principe, à éviter la dérive.

« Mais peut-on croire un seul instant que les usagers de l’internet qui se complaisent à informer copieusement les citoyens en général et les internautes en particulier, respectent, dans leur prestation, les exigences de la profession journalistique ? » Le journalisme, restitué dans son schéma classique, place, en fait, un « filtre » dans le circuit de l’information : le journaliste collecte l’info, la met en forme et la diffuse sur base des principes éthiques et déontologiques. Or, les citoyens qui livrent des infos via les TIC, ne tiennent pas forcément compte de toutes les exi

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gences du métier de journaliste. Parmi celles-ci, nous mentionnerons entre autres : la recherche objective de l’établissement des faits, la primauté de l’intérêt général sur le particulier, le respect des personnes (différence entre vie privée et vie publique), la séparation des faits et commentaires, la multiplicité et la vérifi-

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cation des sources. Le journaliste, quant à lui, a l’obligation de vérité, de responsabilité, d’indépendance, de respect de la dignité humaine, de solidarité. Mais peut-on croire un seul instant que les usagers de l’internet qui se complaisent à informer copieusement les citoyens en général et les internautes en particu-

lier, respectent, dans leur prestation, les exigences de la profession journalistique ? Pas forcément en tout cas. Voilà pourquoi, il serait plus qu’urgent de penser, pour les personnes désireuses d’emboîter le pas aux journalistes, une nouvelle forme de coercition à l’échelle planétaire. Le « filtre » de l’information ne

devrait pas du tout disparaître. Mais comment y parvenir ? Il s’agirait, à notre humble avis, d’imaginer une bonne politique au niveau planétaire, d’adopter un moyen efficace de conscientiser et de règlementer le secteur de l’information pour que toute personne qui manifesterait le désir d’évoluer dans ce domaine, quelle que soit la multi-

plicité des outils, des canaux, des créneaux ou des supports auxquels elle pourra recourir, puisse se sentir interpellée par le besoin de rendre honnêtement un service dans le respect des normes requises. L’on pourrait, par exemple, penser à un système sur l’internet qui n’offrirait un espace qu’aux seules personnes formées et pour lesquelles le quitus serait donné par des maisons de formation en ligne agrées sur le plan international. A défaut de le faire, on laisserait, comme c’est le cas aujourd’hui, le domaine de l’information non seulement entre les mains des professionnels attitrés, mais aussi entre des mains redoutablement inexpertes qui deviennent de plus en plus importantes sur le plan du nombre. De fâcheuses conséquences en résultent déjà. Il aura suffi, par exemple, de jeter un coup d’œil sur des photos et vidéos accompagnant certaines nouvelles (mort d’hommes, exhibitionnisme érotique, faits sensationnels, voyeurisme, etc.) diffusées sur internet pour s’en rendre compte. A temps, la presse devra donc ouvrir l’œil, et le bon en tout cas, pour garder son prestige et sa notoriété à travers le monde. o Léon NZITA - 10/04/2013 Ancien professeur d’Anglais et Préfet des études, Léon Nzita est actuellement Directeur de radio et Président du Réseau des Médias associatifs et communautaires du Bas-Congo. Personnage reconnu dans le tiers secteur des médias, ses analyses font autorité dans la province du Bas -Congo, qui l’a vu naitre, grandir et gravir tous les échelons de sa carrière de journaliste.

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« Car beaucoup de parents pensent encore que l’école n’est pas indispensable pour former une bonne femme. »

une paupérisation chroniques. L’agriculture, principale activité, illustre bien les criantes inégalités entre l’homme et la femme, notamment dans la répartition du temps de travail agricole. Ici, comme dans plusieurs tribus du Bandundu, la seule tâche qui soit véritablement réservée aux hommes est l’ouverture des champs de forêts, ce qui représente environ deux mois de travail. Toutes les autres sont effectuées par les femmes. Du fait des conflits fonciers, de la proximité des éleveurs et de la surexploitation de certaines terres, les champs en question se trouvent à des distances allant jusqu’à 40 Km. Faute de véhicules et même de vélos, les femmes parcourent ces distances à pied. Parfois, des cam-

femmes ne tirent elles-mêmes aucun profit personnel des revenus ainsi générés par leur propre travail. Car, dans la plupart des cas, elles n’ont aucun regard sur la gestion de ces revenus. Les mariages sont en général précoces et quasiment jamais enregistrés à l’état civil. Ils se révèlent être des unions précaires dont, d’ailleurs, le consentement des mariées n’est toujours pas requis au préalable. Dans ces ménages, souvent polygamiques, les femmes n’ont pas le droit de proposer à

pements se créent loin des lieux d’habitation, ce qui a des conséquences sur l’équilibre des familles et la sécurité des enfants. Les femmes ont donc la double responsabilité de ménage et de production des revenus. Ce qui justifie en partie la pratique de la polygamie. Leurs capacités de production sont surexploitées par « leurs hommes » qui les utilisent aussi bien à la production qu’à la commercialisation des produits agricoles, parfois, en faisant des voyages hautement risqués sur des baleinières non viables vers Kinshasa. Cependant, les

leurs maris l’utilisation des préservatifs, quelles qu’en soient les raisons. Oser pareille choses dénote l’irrespect et frise l’abomination. La téméraire femme risque l’opprobre au cas où son époux la dénoncerait. Bien que leur rôle dans la survie de la société puisse plaider pour un espace d’expression plus étendu, les femmes sont quasi absentes dans le processus décisionnel, tant moderne que traditionnel. Par exemple, au sein du Conseil Agricole Rural de Gestion (CARG), une émanation du Ministère de l’Agri-

culture, Pêche et Elevage pour structurer la vie du monde rural, les femmes représentent moins de 10%. Pareil pour le pouvoir traditionnel. Chez les Banunu, par exemple, la femme du chef est la gardienne de la tradition ; et peut, seule, parler avec les ancêtres. A part ce rôle, il n’y a plus rien pour elle, et encore moins pour les autres femmes. Au sujet de la scolarisation de la jeune femme, moins de 45 % des effectifs scolarisés au primaire sont des filles. Au secondaire, elles ne représentent plus que 30 %, soit une déperdition d’environ 15 %. Cette déperdition progressive serait due à l’arrêt de la scolarité pour cause de grossesses et même de mariages précoces, ainsi qu’au

La promotion du Genre, une nécessité absolue En voyant les inégalités entre hommes et femmes dans ma ville de résidence à Bandundu ville, je pouvais difficilement m’imaginer que la situation pouvait être pire ailleurs. Eh bien, je me trompais et mon expédition à Mbali me l’a montré. « Nina ya ndeke ! ». utrement dit : « Est-ce un oiseau ? » Ce fut la réaction d’une femme, la quarantaine révolue, à la question de savoir si elle avait déjà entendu parler du « gender », terme pourtant

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d’usage courant dans les grands centres urbains de la République Démocratique du Congo. Je n’oublierai pas de sitôt cette réaction enregistrée un jour de janvier 2012 dans l’église St Paul de Mbali, qui nous accueillait pour une des nombreuses conférences de sensibilisation des femmes aux questions de genre. Cette réaction révélait la méconnaissance, non seulement du terme, mais même du contenu du Genre. Mbali est le chef-lieu du secteur de Baboma-Nord dans l’ex-district du Mai-Ndombe, dans la province du

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Bandundu, à environ 60 km de la ville de Nyoki. Baboma-Nord est composé de trois groupements ou tribus : les Baboma, les Bampe et les Banunu. Le chef du groupement Baboma, tribu largement majoritaire, est aussi le chef du secteur. Baboma-Nord, qui vit essentiellement de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage. Ce secteur se caractérise aussi par les conditions précaires imposées aux femmes. Ces dernières contribuent à plus de 70% de la production des biens et revenus, mais restent marquées par une vulnérabilité et

manque d’argent pour soutenir la scolarité des filles. Car beaucoup de parents pensent encore que l’école n’est pas indispensable pour former une bonne femme. Comme quoi, dans la lutte pour l’égalité des chances entre les deux sexes, il y a encore du chemin à parcourir. o Simon Kabamba Bertine NDAA est avant tout nutritionniste et monitrice de santé publique. Elle est également membre d’un cartel des associations féminines de la province du Bandundu, qui a notamment pour mission de sensibiliser les femmes de l’arrière-pays.

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Promotion des droits de la femme : la clef c’est la femme Celui qui a dit « qu’éduquer

une

femme,

c’est

éduquer toute une nation » ne s’est pas trompé. Les réalités congolaises actuelles l’attestent bien.

E

t, si la lutte contre toutes les discriminations à l’égard de la femme tâtonne, j’incriminerai le manque d’éducation de la femme. Car à mon avis, promouvoir les droits de la jeune fille et de la femme passe d’abord par la femme elle-même.

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Quelques attitudes affichées par certaines Congolaises montrent clairement que le pays a encore du chemin à faire pour rejoindre le niveau atteint par les autres nations. Le comble est qu’on les retrouve dans toutes les catégories sociales : jeunes, grandes personnes ou personnes de troisième âge, instruites ou non, activistes des droits de la femme ou non, etc. Le fait que j’ai vécu à l’Institut Supérieur de la Gombe il y a

quelques mois n’est pas isolé. C’est en quelque sorte le quotidien dans les milieux universitaires en RDC. Sur un banc est assise une étudiante, pas du tout pressée et pourtant c’est l’heure de cours. Elle est presque en train de supplier son voisin, un revendeur des cartes de communication prépayées, pour avoir des crédits gratuitement. Elle lui fait des yeux doux pour atteindre son objectif. C’est le langage du revendeur qui m’interpelle : « Vous

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Parole les femmes, c’est connu, même si vous faites de grandes études, vous resterez toujours femmes ». Renseignement pris, notre revendeur s’est arrêté à décrocher son diplôme d’Etat. Le coût élevé des études à l’université l’a désorien-

h Photo : Jacky Delorme

té. Mais pour l’étudiante, l’important est qu’elle ait ses crédits d’une valeur de deux à trois dollars américains. Les propos du revendeur lui importent peu. Dans un autre chapitre, c’est une activiste de droits de la femme

qui entre en scène. Lors d’une discussion sur les stratégies à mettre en place pour lutter contre les discriminations faites à la femme, elle voulait influencer le groupe sur le fait qu’on ne puisse pas accorder tous les droits à la femme. Malheureusement pour le groupe, la position de notre activiste étant importante, elle a influencé le cours de la rencontre. Conséquence : la réunion s’est terminée en queue de poisson. Autre cas : celui d’une avocate à qui la belle famille a ravi tous les enfants après le décès de son mari. Toute avocate qu’elle était, elle n’a pas su défendre ses droits. Elle s’est retrouvée du jour au lendemain sans mari, décédé, et sans enfants. Même le bébé qu’elle allaitait lui a été arraché parce que la belle famille en a décidé ainsi. Elle s’est laissée décourager par sa propre mère qui lui rappelait que les choses se passent toujours de cette manière, qu’elle était jeune et qu’elle pouvait encore avoir d’autres enfants. Lors d’une émission sur la chaîne publique, deux députés – l’une du pouvoir et l’autre de l’opposition – ont estimé que la femme se trouvait suffisamment représentée au sein des institutions, et pourtant plusieurs études ont démontré que les partis politiques sont à la base de la sous représentation des femmes. Les partis politiques exploitent l’image de la femme quand il s’agit de mobiliser la masse. Mais pour les postes

de décision, le langage change. Tous ces cas révèlent bien l’état d’esprit de la majorité des Congolaises. Mais ce comportement a bien une origine : de l’éducation à la culture en passant par l’ignorance et la peur. La jeune fille congolaise est d’abord élevée pour le mariage. Et dans le mariage, ce n’est pas d’abord son épanouissement qui est important. Les parents, surtout le père ou l’oncle, espèrent recevoir la dot. Et dans certains cas, cette dot est une assurance pour le frère qui va l’utiliser pour son mariage. On entend souvent aussi la Congolaise dire : « je travaille pour aider mon mari ». C’est noble et légitime, mais ne doit pas s’arrêter à cette aide, une personne travaille aussi pour s’épanouir, se savoir importante dans la communauté, s’affirmer. Et il n’y a pas d’insoumission ou de honte à cela. Avec cette approche, la jeune fille grandit avec une seule idée « se marier », peut importe avec qui ou dans quelles conditions. Plusieurs femmes mariées vivent un mariage cauchemardesque. Mais elles ses résignent pour éviter le scandale, éviter d’être indexées dans la société et méprisées par leurs familles. Conséquences de cette situation : elles donnent à la communauté des filles qui vont facilement accepter de vivre la même chose, faisant ainsi perpétuer les violences faites aux femmes.

Si dans les milieux urbains, la tendance évolue peu à peu, dans les milieux ruraux, c’est la règle. Seul le renforcement de l’éducation en faveur de la jeune fille et

Plusieurs femmes mariées vivent un mariage cauchemardesque. Mais elles ses résignent pour éviter le scandale, éviter d’être indexées dans la société et méprisées par leurs familles. de la femme peut sortir les Congolaises de ce carcan. Cela doit commencer au niveau de la famille avec l’implication de la mère d’abord. Ce n’est pas pour rien qu’elle est considérée comme pilier dans l’éducation des enfants. C’est elle qui leur apprend généralement les rudiments de la vie. A ce titre, elle doit être positive pour ses enfants, surtout les filles. Elle doit leur apprendre à connaitre, c’est-à-dire sortir de l’ignorance ; leur apprendre à agir parce l’action ennoblit la personne ; leur apprendre à vivre en communauté parce qu’une personne ne s’affirme comme individu que dans la relation avec l’autre, et enfin leur apprendre à être parce que l’avenir d’un individu se construit en permanence par l’affirmation de la personnalité. o Charlie Muziri Ngemba 28/03/2013 Graduée en communication de l’université Bel Campus et militante, Charlie Muziri Ngemba est bénévole dans une association de défense de droits de la femme. Paroles de citoyens q MAI 2013

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Bientôt 20 ans…pourtant je ne comprends toujours pas ! Bientôt 20 ans que la région de l’est du pays échappe au contrôle du Gouvernement central, principalement en ce qui concerne l’exploitation des ressources minières dont elle regorge. es aventuriers de tout acabit y pullulent autant que des groupuscules armés. Bientôt 20 ans que le Rwanda poursuit sans répit les FDLR (Ndlr : Forces démocratiques de libération du Rwanda) en territoire congolais. Bientôt 20 ans que des enfants apprennent à survivre seuls, que des familles errent ballotées d’un camp à l’autre dans leur propre pays, que des femmes de tout âge subissent les pires sévices sexuels – car le viol est utilisé comme arme de guerre, arme psychologique et physique, qui tue moralement autant les femmes que les hommes censés les protéger… Bientôt 20 ans que l’on fait estimation sur estimation quant au nombre réel des victimes, qui se comptent par millions. 20 ans… Voilà pourquoi, à chaque fois que j’en parle, je ne peux retenir ma colère. Je ne peux com-

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prendre que pour des intérêts financiers, des vies humaines ne comptent pour rien. Je ne peux comprendre que nos gouvernants, qui pour la plupart ont pris part aux différentes rebellions, aient un tel mépris pour la quiétude de leurs administrés. Je ne peux comprendre que durant toutes ces années, le prétexte FDLR fasse toujours recette, et qu’au nom de celuici, des millions de personnes soient dépossédées de leurs terres… Je ne peux comprendre le discours d’un certain dirigeant occidental qui parle de « partage équitable » des ressources de la RDC avec ses voisins pour que la paix y règne. Puisque depuis deux décennies, chaque intrigant a la latitude de se servir au Congo ! Le Congolais ne jouissant même pas de ces richesses, n’est-ce pas du cynisme que de lui demander de partager ce qui lui est volé au fil des années ? Peut-être que la communauté internationale n’a pas fini de payer sa dette suite au génocide qui s’est produit sous ses yeux au Rwanda en 1994. Mais alors la vie des Congolais n’a-t-elle pas de valeur ?

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Parole J’ai trente-sept ans. Je vis à Matadi actuellement. Je ressens à divers degrés dans ma chair les différentes guerres d’agression dont est victime mon pays. A chaque fois, mes espoirs de nouveau départ et de reconstruction pour ma patrie meurent avant

même d’avoir germés… me laissant un goût amer de déception… Lorsque, au cours de débats entre amis, je prends la parole, c’est toujours la rage au ventre que je critique ceux qui ont pour mission de protéger le pays. Et parfois, beaucoup ne comprennent pas une telle irritation. En 1994, avant le déclenchement du génocide rwandais, je vivais à Bukavu avec ma famille. J’avais de nombreux amis. Certains ont brusque

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ment traversé la frontière pour rejoindre le « front » dans le cadre de l’effort de guerre. Avec mon âge « accompli » (19 ans), je ne comprenais pas très bien ce qui se passait et cela me peinait de savoir que de si jeunes adultes, comme moi et mes amis, allaient prendre les armes pour une

Lorsque, au cours de débats entre amis, je prends la parole, c’est toujours la rage au ventre que je critique ceux qui ont pour mission de protéger le pays. Et parfois, beaucoup ne comprennent pas une telle irritation.

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guerre qui ne devrait pas les concerner. Pourquoi certains partaient et d’autres non ? Ceux qui restaient m’expliquèrent que leurs parents avaient les moyens de payer financièrement cet effort de guerre. Je me disais toujours que cela allait vite passer, que je re-

trouverais très vite mes amis pour vivre tranquillement nos rêves. Ah oui, rêves d’enfant ! Lors de l’afflux des réfugiés, fuyant l’arrivée du nouveau pouvoir à Kigali, j’ai de nouveau assisté au départ d’autres amis, parmi ceux qui étaient restés dans la ville… sans un mot. Les récalcitrants, souvent des jeunes qui ne se sentaient pas concernés par la guerre au Rwanda, ont été ramassés dans des camions et évacués

de l’autre côté de la frontière. Nous les regardions partir comme des prisonniers et nous étions affectés par la manière forte utilisée. On nous disait que les génocidaires étaient mêlés aux réfugiés et ils organisaient pendant la nuit des excursions punitives. Mes amis étaient dès lors en danger à Bukavu. Aussi, devaient-ils retourner au Rwanda et devenaient de fait Rwandais… En 1996, lorsque les troupes de l’Alliance des Forces démocratiques de Libération (AFDL) entamaient leur percée en RDC, alors Zaïre, je venais d’arriver à Kinshasa pour entamer mes études universitaires et toute ma famille était restée à Bukavu. Nous étions sans nouvelles de nos familles et n’avions aucun moyen de communiquer. Et ce qui nous parvenait par médias interposés n’était guère encourageant. De nombreuses familles firent le pied de Bukavu à Kisangani pour échapper au mouvement de l’AFDL. Ma famille se réfugia chez les jésuites et, grâce au ciel, tous étaient vivants. En août 1998, je me trouvais en famille à Bukavu lorsque le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) lançait son offensive militaire à partir de Goma. Bukavu fut la deuxième grande ville conquise sans difficulté par le RCD. Nous habitions sur la grande route à Nguba, un quartier proche de la frontière avec le Rwanda donnant sur Cyangungu. Un bon matin sous des tirs nourris, des

rangées de soldats venant du Rwanda firent leur entrée dans la ville. Ma jeune sœur, âgée de 7 ans à peine, m’expliqua comment éviter d’être touché par des balles perdues. Il fallait, me disait-elle, se coucher contre le mur sous la fenêtre si l’on tenait à la vie. Et la peur dans le ventre, j’exécutais ses instructions. Elle avait vécu la guerre de 1996 et savait de quoi elle parlait. Parce que certains reflexes, reflexes de survie, ne s’oublient jamais, même à 5 ans… Aujourd’hui, en 2012, les bruits de bottes avec leurs corollaires, les exactions sur les populations civiles se font encore entendre. Aujourd’hui, je vis à Kinshasa et toute ma famille aussi vit loin de cette partie du pays qui subit depuis plus de 18 ans les affres de la guerre. Aujourd’hui, le Mouvement du 23 mars (M23) est entré en guerre contre la RDC parce que cette dernière n’a pas appliqué l’accord signé avec le Congrès National Démocratique pour le Progrès (CNDP). Comme pour toutes les précédentes « rebellions », la main du Rwanda et de l’Ouganda suscitent ces mouvements dits démocratiques. La raison principale évoquée est la poursuite des génocidaires, les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) qui seraient toujours en activité en RDC et projetteraient de déstabiliser le Rwanda par un autre génocide. Vous comprendrez pourquoi je dis ne pas comprendre. Oui, près de 20 ans après !

o Ricky K. BONGONGA 16/01/2013 A 37 ans, Ricky K. BONGONGA est fonctionnaire depuis 10 ans au sein de l’administration publique à Matadi (Bas-Congo). Les différentes occupations professionnelles de son père ont conduit la famille à sillonner de nombreuses villes de l’Est de la RDC, Bukavu, Beni, Butembo, Walikale, Uvira, Goma, Kisangani, … dont il garde plein de souvenirs, de tout genre.

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Travail des enfants à Kinshasa : les parents pointés du doigt

h Photo : Patient Ndoole

Il était bien plus connu sous son prénom junior que sous son nom de famille, ce petiot d’une douzaine d’années, vendeur d’eau en sachet, transporteur des divers produits des femmes marchandes dans le marché situé aux alentours du Rond-point Ngaba.

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l était un « tous travaux ». Il prenait soin des ses parents désœuvrés et de ses cadets… Il est mort, il ya peu, de la tuberculose, une maladie pourtant guérissable ! Il y a de nombreux « juniors » à travers la ville de Kinshasa, qui sont de réels responsables de familles alors qu’ils devraient seulement fréquenter le chemin de l’école.

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S’il est admis que le travail est pour chacun un droit et un devoir, il constitue une obligation morale pour tous ceux qui n’en sont pas empêchés par l’âge ou par l’inaptitude au travail constaté par un médecin. Selon la loi n° 015/2002 du 16 octobre 2002, portant sur le code du travail en République Démocratique du Congo, le travail forcé ou obliga-

toire est interdit, y compris toutes les formes de travail des enfants, telles que l’esclavage ou toutes pratiques analogues, la traite des enfants, la servitude pour dettes, le recrutement forcé ou obligatoire des enfants dans les conflits armés, l’utilisation des enfants à des fins de prostitution, de production de matériel pornographique ou de danses obscènes, dans les mines ou les plantations, etc. Les travaux qui, par leur nature et par les conditions de leur exercice, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité et à la dignité ou à la moralité de l’enfant. Malgré ces prescrits du code du travail, le travail des enfants se porte bien et semble avoir de bons jours à venir en République Démocratique du Congo. Et dans un pays où plus de 90% sont des chômeurs, plus d’un parent se demande pourquoi envoyer les enfants à l’école, quand on sait d’avance le sort qui les attend après les études. Certains choisissent donc de prendre le raccourci en incitant leur progéniture à « se prendre en charge ». Car selon une conception générale, soutenue sans

Malgré ces prescrits du code du travail, le travail des enfants se porte bien et semble avoir de bons jours à venir en République Démocratique du Congo.

doute par la défaillance du système de sécurité sociale, l’enfant est un investissement, une garantie pour combler les vieux jours de ses parents. On n’envoie pas l’enfant à l’école simplement pour sa formation et son épanouissement, mais pour lui donner les moyens de mieux subvenir aux besoins de ses parents arrivés à leur vieil âge. Mais, terriblement défiés par la misère, certains parents n’ont pas la « patience d’attendre » et préfèrent envoyer leurs enfants dans la rue parce que celle-ci offre quelques garanties de survie. Il n’est pas rare d’entendre des parents dire à leur enfant : « okoki te kobanda koluka lokola bana mosusu ? » Littéralement : « Ne peux-tu pas commencer à chercher comme les autres enfants ? » Ou encore « Okoki te kokende kosengaka lokola bana ya baninga ? », « Ne peux-tu pas aller mendier comme les autres

enfants ? » L’enfant comprend bien ces insinuations. Les filles, elles, comprennent qu’elles doivent se lancer dans la prostitution et les garçons dans la « débrouillardise ». Selon le recoupement des certaines informations, l’on se rend bien vite compte qu’au niveau des familles, tous les ingrédients sont réunis pour que les enfants se « sauvent » dans la rue et se prennent en charge par la débrouille : familles nombreuses, promiscuité, décrochage scolaire, absence de rémunérations salariales et faiblesse criante du pouvoir d’achat. Tout ceci n’a que trop duré. o Maurice - Fiston KIALA BONGA 11/04/2013 est licencié en Droit et en Sciences Politiques et Administratives. Il est entrepreneur. Ce qui ne l’empêche de s’intéresser aux questions d’actualités nationales et internationales. *Chiffres à relativiser. D’après une étude du Programme des Nations Unies pour le Développement en 2005, le taux de chômage était de 17.8%. Malgré tout, les estimations varient fortement en fonction des sources et montent parfois au-delà des 80%.

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SOS, la campagne congolaise se meurt !

h Photo : Jacky Delorme

De ma longue itinérance d’inspecteur agricole dans plusieurs districts de la province agricole du Bandundu, j’ai assisté et assiste encore à la déliquescence, toujours grandissante, de l’arrière-pays congolais.

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j

’ai beaucoup vécu dans la cité de Mushie, du territoire du même nom dans l’ex-District des Plateaux. La situation de ce territoire, que je décris ici, est, à maints égards, semblable à celles de plusieurs autres contrées de ce vaste pays. Ce territoire se situe à la bifurcation des rivières Nfimi, Kasaï et Kwa. Avec une superficie de 10.504 Km² et une population de 189.000 habitants, sa

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densité demeure très faible. 46% de sa population vit dans la cité de Mushie. Son sol, tantôt sablo-limoneux, tantôt sablo-argileux et marécageux, lui donne de fortes potentialités agro-écologiques. L’agriculture, la pêche et l’élevage sont les principales activités, avec une prépondérance pour l’agriculture, soit 60% de population. Malgré le fait qu’elle soit l’activité de la majorité de la popula-

tion, l’agriculture souffre cependant d’une faible diversification. La population cultive essentiellement du manioc, aliment de base. Le maïs, l’arachide et le haricot sont certes cultivés, mais rarement consommés et prioritairement destinés à la commercialisation. Cette agriculture reste, par ailleurs, traditionnelle et rudimentaire, le plus souvent en forêt, avec un matériel aratoire vétuste et des semences non améliorées. La présence d’un nombre important de concessionnaires oblige les agriculteurs à exploiter des terres le plus souvent éloignées de près de 30 Km de la cité. Ce qui multiplie les campements hors villages. La transformation des produits agricoles souffre du manque de rappeuses et de systèmes modernes de séchage. Leur évacuation est aussi handicapée par le mauvais état des infrastructures routières; tandis qu’il n’existe pas, non plus, de sites d’entreposage. La pêche, seconde activité génératrice de revenus, se révèle être un paradoxe, tant les réserves disponibles sont à la fois surexploitées (petits poissons) et inexploitées (poissons de profondeurs). De façon générale, la pêche est artisanale, traditionnelle est peu rentable. Le non- respect des règles de la pêche est à la base de la pollution des eaux et de l’empoisonnement de la chaine alimentaire. Il n’existe ni magasin d’achat d’intrants, ni dépôt, ni parking spécifiques pour pêcheurs. Les prix sont aléatoires, et la situation économique des pêcheurs davantage précaire. À Mushie, il se pratique trois types d’élevages : moderne, traditionnel ou

De façon générale, la pêche est artisanale, traditionnelle est peu rentable. Le non- respect des règles de la pêche est à la base de la pollution des eaux et de l’empoisonnement de la chaine alimentaire. paysan et l’élevage par transhumance sur les bans de sable. La communauté d’éleveurs est composée essentiellement d’anciens bouviers ou chauffeurs de JVL et SEBO qui font face au manque de produits pharmaceutiques ainsi qu’aux tracasseries des chefs traditionnels des terres et des autorités politico-administratives. Le manque d’infrastructures routières viables et l’absence d’une sérieuse piste d’aéroport font de la voie navigable le principal moyen d’accès. Sur le plan économique, Mushie reste particulièrement pauvre. Aucune entreprise. La présence, sur le territoire voisin, de quelques entreprises n’a aucun impact direct sur la situation de pauvreté et de vulnérabilité des populations mushoises. Il y a une faible circulation de la monnaie et une tendance au troc en dehors de la cité de Mushie. La santé publique reste précaire, et les soins de santé de qualité peu appréciable. La sous-alimentation généralisée cause beaucoup de maladies, et les pénibles conditions de travail des femmes, beaucoup d’accouchements par césarienne. Le patrimoine scolaire de Mushie est fait de 8 écoles maternelles, 121 pri-

Parole maires et 87 secondaires. Réparties sur 13 réseaux, officiels et conventionnés, ces écoles ne le sont, en majorité, que de nom. Faute d’infrastructures et d’enseignants qualifiés, l’enseignement est globalement de niveau peu recommandable. En matière de presse, le territoire a deux radios émettant depuis la cité de Mushie vers quelques villages environnants. Leur ancrage politique et le manque d’expertise locale en font plus des instruments de propagande que de moteurs de développement. Mushie n’est quasiment pas arrosé par les médias de Bandundu-ville. Seuls Digital Congo FM, Africa n°1 et la radio nationale centrafricaine y sont quelques fois captés. Ainsi dépeint, ce tableau de la campagne ne peut nullement dissuader les candidats à l’exode rural. Lequel n’a pas fini d’être un fléau qui handicape le développement de la RDC. Pourtant, pendant les élections, rares moments où on peut les voir, les politiciens viennent nous gaver de promesses. h Photo : Jacky Delorme

o Guillain MANUANA - 08/02/2013 ingénieur-agronome de formation et inspecteur agricole de fonction. Dans l’exercice, justement, de cette fonction, il a parcouru la province agricole du Bandundu et en a tiré une rigide expérience.

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À chacun son toit

h Photo : Michaël Mfundu

La forte croissance démographique de la ville de Kinshasa est une donnée plus ou moins récente. ertains analystes l’attribuent à la précarité économique et sociale doublée d’une insécurité quasi-permanente dans certaines provinces, particulièrement celles frappées par des affrontements armés à répétition. La capitale de la RDC compte environ 10 millions d’âmes vivant dans une ville qui en comptait 300. 000 en 1960. Mais à y regarder de près, la villecapitale accuse d’énormes difficultés

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à s’adapter à cette évolution rapide et vertigineuse de sa population, puisqu’elle ne dispose pas de politiques de logements sociaux, ni de santé immobilière. Les réalisations de l’Office National de Logement, qui a construit jadis les quartiers ONL, la Cité Maman Mobutu ou Cité Salongo ne sont que de lointains souvenirs. Conséquence : la forte demande de logement consécutive à l’exode kinoise a engendré un boom immobilier dont il n’est pas inutile de mesurer la véritable ampleur sur l’écosystème et à l’échelle sociétale.

Des baux hors de prix Le « boom démographique » de Kinshasa a propulsé le loyer à des niveaux très élevés. Tenez : un studio (une pièce de moins de 10 m2) est passé, dans les quartiers populaires proches du centre-ville, de 10 dollars à 25 dollars le mois ; tandis que les communes de Kintambo, Kasa-Vubu, Lemba, Matete, Limete ont vu les prix de leurs loyers multipliés par dix. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles les propriétaires essayent de diviser leurs parcelles afin de rentabiliser la location : en installant des petites maisons « à louer » dans la cour, ou encore en mettant des kiosques à exploitation commerciale sur les devantures des parcelles, etc. Mais dans un cas comme dans l’autre, personne ne semble se préoccuper des conditions d’hygiène que générera cette promiscuité. Conséquence : certaines maisons mises en location sont sans sanitaires, et dans d’autres cas on voit des parcelles qui déversent des matières fécales dans les caniveaux et rigoles des avenues à chaque pluie. Par ailleurs, la surenchère du prix de location des maisons fait que ceux qui disposent d’un peu plus de moyens cherchent à tout prix à acquérir une habitation propre. Et là encore, les yeux semblent se braquer vers les quartiers situés à proximité du centre-ville (où se concentrent l’activité commerciale et où se situent tous les bureaux administratifs, les grands hôpitaux ainsi que les missions et représen-

tations diplomatiques). Pourtant, la ville compte de nouveaux quartiers à lotissement tels que Mikonga, Mpasa, Mitendi mais qui ne semblent pas intéresser ou attirer certaines personnes, étant trop éloignés du centre-ville. La dictature de l’offre a conduit inévitablement à une inflation des demandes de terrains, à construire dans les parcelles déjà bâties que les propriétaires acceptent de morceler. Les gilettes (maisons construites sur des parcelles morcelées) sortent de terre et « envahissent » tous les quartiers, renforçant l’encombrement sans que personne ne s’interroge sur les conséquences de cette surexploitation du sol. Pour les « vendeurs des gilettes » les raisons sont multiples : chasser de la pauvreté la plupart des personnes retraitées, ou bien les héritiers au chômage qui peinent à démarrer une activité commerciale, à s’assurer une auto prise en charge, à faire face à la scolarité des enfants, à apaiser les querelles entre les héritiers, à faire voyager un ou deux enfants dans une aventure en Europe... Et après on se demande pourquoi il y a tant d’inondations après de fortes pluies diluviennes ? Pourquoi la ville est elles menacée par tant d’érosion ? Pourquoi la gestion des ordures ménagères pose-t-elle autant de problèmes ? Peut-être faudrait-il commencer à se demander si une situation n’en entraîne pas une autre…

h Photo : Michaël Mfundu

Conséquence : certaines maisons mises en location sont sans sanitaires, et dans d’autres cas on voit des parcelles qui déversent des matières fécales dans les caniveaux et rigoles des avenues à chaque pluie.

o Christian KAZADI - 04/04/2013 Paroles de citoyens q MAI 2013

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Le courant électrique : un casse-tête pour de nombreux Kinois ! Elles sont plurielles, les paroles, comme les femmes. lles se taisent depuis trop longtemps, elles restent dans le « Protégeons la famille », elles portent sur leurs épaules tout le poids des ratés et ratages qui constituent la configuration actuelle de ce pays, elles culpabilisent : « Si je lui avais appris ci, si je lui avais dit ça… » Tout porte à croire aujourd’hui que la Société Nationale d’Électricité (SNEL), chargée en RDC de la production et de la distribution de l’énergie électrique, soit dépassée par sa mission. Au regard de la rareté de cette denrée et de la fréquence des interruptions du courant chez les abonnés domestiques et ceux d’exploitation commerciale, de nombreuses questions s’imposent : - Le service technique de la SNEL est il conscient que le nombre des pannes signifie un manque de suivi réel et non programmé des installations ? - Y a-t-il un réel souci d’améliorer la qualité de service aux abonnés de la SNEL ?

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- Y a-t-il encore moyen d’identifier les abonnés de la SNEL de ceux non abonnés mais bénéficiant du courant électrique gratuitement, et de calculer la proportion en terme d’écarts ? - Arrive-t-il aux dirigeants de la SNEL d’évaluer la période de renouvellement des équipements sans attendre des pannes brusques avec effet immédiat sur le marketing de la Société et dans le retard de l’activité économique du pays ? - Y a-t-il encore des techniciens qualifiés au sein de notre société d’électricité ? Quelles que soient les réponses à ces questions, nous sommes invités à réfléchir à l’organisation du système actuel de distribution de l’énergie électrique auprès des abonnés de la SNEL et de gestion des pannes récurrentes du courant fourni. En attendant, c’est par coup de chance que l’on reçoit du courant électrique chez soi. La rareté du courant semble avoir légitimé le fait de recourir à des méthodes répréhensibles, qui ont toutes des conséquences immédiates dans la

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Parole production et la distribution de l’énergie électrique. Raccordement frauduleux, ou dépannage impromptu prennent la forme d’un business sans visage entre les usagers et les dépanneurs improvisés qui pullulent dans la ville au vu et su de tout le monde. Dans cet imbroglio, difficile de pouvoir bien identifier les agents qualifiés de la SNEL. Tout le monde s’improvise technicien, garde les clés de la cabine du quartier ou a des stocks de fils chez lui ou d’autres matériaux de dépannage en urgence. Les grands jours de fêtes et surtout les weekends, ces techniciens pénètrent chez les abonnés de la SNEL pour demander, sans avoir froid aux yeux, de l’argent à leur tarif pour une réparation ou un dépannage quelconque. D’une avenue à l’autre, ils rançonnent des pauvres populations et créent, quand ils le veulent, des pannes dans le circuit électrique. Les normes liées à la bonne gestion de l’énergie électrique ne sont plus respectées, ni même la sécurité des installations électriques et celle de la population qui est facilement exposée aux risques d’électrocution permanente. Ainsi des fils nus sont tirés de toute part sans notion d’isolement du fil, qui, dans la tradition électrique, facilite la distribution normale du courant électrique. Les abonnés ne savent plus à qui se confier en cas de fourniture, par exemple, d’une double phase dans une installation domestique

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adéquate : les appareils électroménagers sont endommagés chaque jour sans que personne ne puisse donner la vraie explication à cette question. C’est seulement lors des dépôts des factures que les vrais agents sont identifiés par leurs abonnés. Toutes les épreuves endurées par les abonnés sont ignorées par ces agents qui n’ont qu’un seul souci : celui de recouvrer les factures au compte de leur Société. Faudrait-il encore vérifier si ces paiements atteignent réellement les caisses de la SNEL ?

Les normes liées à la bonne gestion de l’énergie électrique ne sont plus respectées, ni même la sécurité des installations électriques et celle de la population qui est facilement exposée aux risques d’électrocution permanente. Certains abonnés se demandent quelle sera la durée de cette politique au sein de cette grande société d’électricité de notre pays. C’est chaque jour qu’il y a une promesse d’amélioration, sans impact réel sur les abonnés, et c’est aussi chaque jour que les sans-emplois récupèrent pour leur compte le travail de maintenance des installations au détriment de l’abonné qui paie le prix double : le prix de la facture SNEL et le prix de l’en-

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tretien de la ligne de distribution. L’attitude irresponsable de certains agents de la SNEL, voire même de leurs responsables à plusieurs niveaux, nous pousse à aller plus loin dans nos analyses : - Quelle est la finalité de cette Société, si ce n’est de fournir une bonne distribution de l’énergie électrique à ses abonnés ? Pour rappel, il y a de cela plusieurs années, nous savions que les installations électriques, et même celles de distribution d’eau de la REGIDESO, étaient des domaines à part et privilégiés de la politique gouvernementale. L’accès à ces installations était tellement normalisé que personne ne pouvait vraiment s’y hasarder pour faire du n’importe quoi. Cette question, pour nous, reste sensible car cette légèreté et cette absence de rigueur dans la gestion de la chose publique interpelle tous les citoyens et remet en question toute une politique gouvernementale qui n’a aucun impact dans la vie quotidienne de la population congolaise. Faudrait-il aller jusqu’à informer le Conseil de sécurité de l’ONU, ou encore solliciter des financements auprès de la Banque Mondiale pour interdire l’accès aux installations de la SNEL par tous ces incompétents inciviques ? Comment la SNEL compte-elle améliorer ses capacités à court, moyen et long terme si elle n’a pas la maîtrise de charge de la consommation électrique ? Qui arrêtera tous ces individus se servant – et servant – du

courant électrique comme des pains au petit marché du coin ? Nous pensons, de toute évidence, qu’il est urgent et important de professionnaliser cette Société de grande importance dans notre pays. Les normes doivent être strictes et applicables à tous les niveaux ainsi que la sécurité des abonnés et de toute la population en générale. Le personnel à tout niveau devra être recruté selon les normes et porter la Société dans son cœur, car l’emploi de plusieurs

facture. Des mesures doivent être prises auprès de tous les fraudeurs du courant électrique – car c’est de cette façon qu’il faut désormais les appeler – en les transférant auprès des autorités compétentes. Personne n’a le droit de se brancher sur la ligne SNEL sans contrat. Car moi je suis fatiguée de compter les agences de la SNEL dans tous les coins de rue et de ne rien tirer des nombreuses prises installées dans mon atelier.

h Photo : Jacky Delorme

jeunes encore étudiants aujourd’hui en dépend. La confiance auprès de toute sa clientèle ne pourra être rétablie que par ses résultats : un abonné satisfait n’hésitera plus à payer sa

o Prisca RIZIKI MUYUMBU 16/01/2013 couturière et responsable de l’atelier de Couture « Prisca et ses Anges ».

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Chronique d’un enterrement douloureux et coûteux « Funérailles en RDC ; quand les morts dépouillent les vivants » ! e me souviens encore des discussions et commentaires de tous genres qu’a suscité la lecture de cet article, publié, en octobre dernier, dans un journal kinois dont Kasho avait pris l’habitude de nous amener les photocopies au bureau. La discussion était vive et les avis partagés sur l’attitude à adopter face aux rites modernisés des funérailles, ce nouveau phénomène qui fait recette à Kinshasa, en dépit de la crise et de l’appauvrissement général des foyers. Personne, mais alors personne parmi les collègues ne pouvait s’imaginer que nous allions, de sitôt, expérimenter cette dure réalité. Dans la nuit du 15 février dernier, c’est le coup de fil de Fabrice, frère cadet de Kasho, mon meilleur ami, qui m’a réveillé : « Vieux Féfé, ton ami vient d’être admis à la réanimation, il va mal…Prions pour lui », me dit-il, très abattu. En effet, Kashozi, de son vrai nom, était hospita-

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lisé depuis près d’une semaine pour tension due surement à un de ses excès de travail. J’ai fait aussitôt une prière spéciale pour laisser, entre les mains du Médecin des médecins, le sort de ce malade que je connais depuis une quarantaine d’années. Kasho et moi, nous avons fait les mêmes humanités, décroché ensemble le diplôme d’Etat. Admis à la faculté des sciences le même jour, nous en sommes ensemble sortis, avec mention Distinction, et avons été engagés dans l’administration publique sur le même arrêté.

« Vieux, je ne pleure pas sur le défunt, mais justement sur la suite », me reprend-t-il entre deux sanglots. « Comment l’enterrer sans argent ? » Le lendemain matin, je commence par l’hôpital avant le bureau. A quelques mètres de l’entrée principale, j’entends des pleurs. Une ambiance normale dans les hôpitaux. J’étais loin d’imaginer que le bête

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malaise avait pu emporter Firmin Kashozi. D’ailleurs, il allait davantage mieux. La veille, nous avions même cogité autour du 20, désormais date de la paie des fonctionnaires. En avançant, je reconnus la voix de Fabrice, pleurant. « Vieux, pourquoi nous as-tu fait ça ? », répétaitil. Arrivé sur le lieu, je le tins à l’épaule et l’entrainai à l’écart. «Un homme ne pleure pas comme ça. Kasho a tiré sa révérence. Maintenant il faut penser à la suite » lui ai-je murmuré. « Vieux, je ne pleure pas sur le défunt, mais justement sur la suite », me reprend-t-il entre deux sanglots. « Comment l’enterrer sans argent ? » Tel un éclair, la question me traversa l’esprit. Près d’un quart de siècle de service, Kashozi n’a pu ni investir ni épargner. Son compte bancaire, octroyé dans le cadre de la bancarisation de la paie, ne lui servait que pour retirer son maigre salaire. Lequel devait subir, selon les promesses du gouvernement, une augmentation de 17 000 FC dans le budget 2013, renvoyé au

h Photo : Alain Wandimoyi

parlement, pour seconde lecture, par le chef de l’Etat. Soudain, un agent de l’hôpital l’interpelle : « Monsieur, les formalités… ! ». Il faut régler les factures d’hospitalisation et de soins. J’ose m’enquérir auprès de l’agent. La note est salée : 162 $, sans lesquels nous ne pourrons avoir notre cadavre et le conduire à la morgue. Une expresse cotisation entre les

membres de famille présents, Fabrice et moi rapporte 150 $. On nous fait grâce de 12 $, le défunt ayant été fonctionnaire. Acheminé à la morgue, le corps pourra rester le temps que famille, amis et employeur trouvent les moyens de lui organiser des obsèques dignes : communiqué nécrologique à la télé, cercueil, croix, lingerie, catafalque, chapelles ar-

dentes, chaises, sono, location d’une place mortuaire, corbillard, bus, caveau, croque-morts, bain de consolation… Chaque nuit en plus à la morgue alourdit les frais. Le plus dur commence alors pour Fabrice et moi. Lui, doit rappeler les quelques membres de familles qu’il peut, particulièrement ceux se trouvant en Europe (et surnommés à Kinshasa les professionnels, référence faite aux footballeurs auxquels l’on fait appel pour les grandes compétitions internationales). Moi, je dois secouer l’employeur et contacter des amis communs. Le salaire ne peut tomber qu’à partir du 20. Là aussi, les choses ne sont pas si simples, car seul Kasho pouvait accéder à son compte. A la Direction des Ressources Humaines, les procédures sont lourdes pour un résultat maigre : le plus minable des cercueils et un rafraichissement post mortuaire pour les collègues de service. Un vieil ami du collège, devenu journaliste, a diffusé le communiqué. Un autre a donné sa sono. Les autres dépenses avoisinent, au bas mot, 2.500 $. Introuvables. Le corps a dû rester environ deux semaines au frais. Au final, l’enterrement de Kasho a dû coûter, providence aidant, un budget global de plus de 3.000 $. Somme, jamais palpée par lui de toute sa carrière, à laquelle il aura tout donné au point d’en mourir. o Ferdinand CIMPALANGA 26/02/2013

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Parole d’indigné Je suis (un) indigné. ndigné face au manque de politiques culturelles en RD Congo entrainant l’absence de soutien aux initiatives privées, l’indifférence du public vis-à-vis des manifestations, au jeu de « je t’aime, moi non plus » joué par les partenaires extérieurs, qui visent pourtant comme objectif l’éradication de la pauvreté par la culture. Oui, je suis (un) indigné face à cette irresponsabilité de tous. Cette indignation est tirée de la leçon du grand prêtre du mouvement « Indignez-vous ! », Stéphane Hessel, qui vient de nous quitter.

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Pour nous, l’action de notre indignation nous recommande la réflexion. Laquelle réflexion devra nous amener à la mise en place des structures susceptibles de pallier les lacunes du moment. Certes, il existe deux académies de Beaux-arts, l’une à Kinshasa et l’autre à Lubumbashi, pour former les artistes. Pour bien embrasser leur métier, une fois leurs études terminées, ces derniers-cités doivent bénéficier d’un cadre de travail sur lequel s’appuyer. A titre illustratif, il faut des musées disposant des moyens, non seulement pour la conservation

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de tout ce qui est art ancien mais aussi faire la promotion de l’art contemporain. Il faut tenir compte aussi du fait que l’art a besoin d’une presse spécialisée où œuvrent critiques d’art compétents et journalistes faisant un travail d’analyse et pas toujours de reproduction de communiqués de presse rédigés par le tout venant. Que les privés qui commercent dans l’art sachent monter des galeries répondant aux normes requises et non nous mettre en place des boutiques où, pêlemêle, sont exposées des œuvres ne faisant pas la distinction

entre l’art et l’artisanat. Qu’un marché local où, comme acheteurs, les nationaux occuperont une place prépondérante, soit mis en place afin de faire découvrir au monde ce qui se fait en RD Congo. Que ces nationaux sachent que les œuvres ont besoin de respirer, c’est-à-dire que la diffusion soit accompagnée d’une grande promotion. On n’achète pas les œuvres pour s’assoir dessus. Je suis et continue d’être (un) indigné. Indigné par vous, partenaires extérieurs, car vos actions sur le terrain sont quasiment nulles. Sinon, comment expliquer qu’un

comment expliquer qu’un pays comme la RDC où l’on trouve des artistes de tout genre et des œuvres foisonnantes, ne puisse organiser une grande manifestation culturelle bénéficiant d’un soutien à la hauteur de sa grandeur artistique ? pays comme la RDC où l’on trouve des artistes de tout genre et des œuvres foisonnantes, ne puisse organiser une grande manifestation culturelle bénéficiant d’un soutien à la hauteur de sa grandeur artistique ?

Certains nous rétorqueront que c’est la faute des Congolais, qu’il y a eu des essais avérés infructueux. A cela, nous répondons que les bases des ces essais n’étaient pas saines car assises sur le clientélisme… Chers partenaires extérieurs, peut être qu’il faudra que nous fassions sans vous. Alors, arrêtez de nous utiliser pour la récolte de fonds ! Fonds qui, après tout, ne profitent qu’à vous… o Pierrette NDAKA NGUMA 26/03/2013

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Coordination : Mathias Ruttens, Sayfonh Khamphasith, Pierre Nsana, Yves Kalikat, Pierre Martinot Graphisme et mise en page : Sébastien Guérin

Cette publication bénéficie du soutien du Programme Interbailleurs ‘Médias pour la Démocratie et la Transparence en RDC’ (PMDT), mis en œuvre par France Expertise Internationale, grâce à l’appui des coopérations britannique, suédoise et française.

f Edition spéciale du Journal du Citoyen f Mai 2013 03-PDC-V2-A5-C.indd 62

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