Paroles de citoyens 1

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Élection Présidentielle 2011 Quel avenir pour la RDC ? Le temps d’une campagne électorale, des citoyens s’expriment …

Édition spéciale du Journal du Citoyen q mars 2012


Un mot de la Rédaction..........................................................................04 Quel avenir pour la RD Congo ?............................................................05-07 La démocratie en marche en RD Congo............................................... 08-09 Le temps du changement ! ................................................................. 10-11 Élection et psychose sociale en RDC................................................... 12-13 Des élections sans objet ! .................................................................. 14-15 L’hystérie électorale.......................................................................... 16-17 Pourquoi le Congolais aime-t-il les élections libres ?............................18-19 Le Pari de la parité.............................................................................20-21 Élection oui, mais quel destin pour la jeunesse ?..................................22-23 La gestion des déchets. Que font les acteurs politiques ?.................... 24-25 La culture : le chantier du futur..........................................................26-27 Mon fils m’est revenu........................................................................ 28-29 L’éthique des TIC................................................................................ 30-31 Dol électoral......................................................................................32-33 Pour un développement intégral en RDC............................................. 34-35 Vivre à Kinshasa ou mourir.................................................................36-37 L’essentiel n’est pas dans l’urne........................................................ 38-39 Élection 2011 : un rendez-vous manqué ?.............................................40-41 Carte des résultats de l’élection présidentielle 2011........................... 42-43


La rédaction

Un mot de la rédaction.

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e novembre 2011 à janvier 2012, des citoyens congolais se sont exprimés sur le déroulement de la campagne électorale, du scrutin et sur l’incidence de ce rendez-vous démocratique sur le développement du pays. Entre espoir et réalisme, ces Paroles de Citoyens traduisent le sentiment d’une population mesurant le chemin parcouru …et à parcourir pour faire entrer la RDC dans le 21ème siècle.

Parallèlement à ces voix citoyennes, un œil a observé avec attention l’ensemble de la campagne électorale, celui du photographe Etienne Kokolo. Ces images, au cœur de Kinshasa ou de Lubumbashi, dans les meetings, dans les manifestations ou dans les 04

bureaux de vote, sont un témoignage vivant de l’engagement du peuple congolais à faire de ces élections un rendez-vous citoyen incontournable. Enfin, le coup de crayon caustique du caricaturiste Coksy, a ajouté un brin de malice à cette campagne 2011. Ces dessins nous permettent de sourire d’une actualité électorale tantôt cynique, tantôt morose. Après avoir été publié sur le site des Médias du Citoyen (www.lesmediasducitoyen.cd/), ces chroniques, ces dessins et ces photos sont aujourd’hui compilées dans cette édition spéciale du Journal du Citoyen. Nous vous en souhaitons une agréable découverte.

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o La rédaction du JDC

édito général La démocratie a souvent été définie comme « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». e qui m’intéresse dans cette définition, c’est la notion « par le peuple » et la réflexion sous-jacente : dans quelle mesure le peuple congolais a-t-il façonné sa démocratie depuis l’ouverture démocratique des années 90 jusqu’à présent ? L’a-t-elle marqué si fortement pour être capable d’en imposer le rythme et l’orientation. Les faiblesses des élections présidentielle et législatives de novembre 2011 lui ont-elles porté un coup si grand qu’elle ne puisse s’en relever ? Les paroles de citoyens présentées dans cette édition spéciale du Journal du Citoyen touchent à plusieurs dimensions et plusieurs secteurs de la société congolaise. A leur lecture, on y perçoit fréquemment l’expression d’un sentiment de frustration par rapport à ce récent round électoral. Un rendez-vous manqué pour la démocratie naissante dans le pays, lira régulièrement le lecteur. Mon point de vue est plus nuancé : la démocratie congolaise a certes été menacée, mais elle n’est pas morte. Elle est toujours debout, portée par un peuple congolais qui reste mobilisé, qui s’exprime par diverses et multiples voix et qui crée continuellement les mécanismes de son appropriation. Jugez plutôt. En 1990, les pressions populaires ont forcé le dictateur Mobutu à abandonner le parti-état en faveur

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du multipartisme. Il a été contraint de renoncer à la voix unique de la Radio et de la télévision nationale au profit des voix plurielles des médias, désormais libres. Il a du accepter que les libertés d’opinion et d’association s’expriment sans entrave. Après des années de lutte, le combat du peuple congolais a porté des fruits. Ces valeurs sont aujourd’hui des acquis qu’aucun régime ne peut balayer sans conséquences. Le principe de la légitimation populaire des dirigeants par les urnes est intimement lié à la notion de la démocratie. C’est pourquoi, depuis la Conférence Nationale Souveraine

Si on accepte généralement de qualifier les élections de 2006 de libres et transparentes et, de surcroît, organisées de manière satisfaisante, il faut aussi rappeler que le contexte dans lequel elles se sont déroulées était difficile. De toute évidence, les rivalités entre le président et ses quatre vice-présidents ne présageaient pas ce succès. La tension était réelle à Kinshasa et les conflits toujours ouverts à l’Est. Nonobstant ces sources d’inquiétude, le peuple congolais s’est mobilisé à travers tout le pays pour rejoindre massivement les bureaux de vote. Ce faisant, il a démontré son engagement pour la démocratie élective avec le succès

raison de la faible implication des citoyens mais à cause de grosses erreurs techniques commises par la Commission électorale nationale indépendante (CENI). A divers endroits du pays, ces lacunes ont été tellement flagrantes qu’elles ont semé le doute sur le bon déroulement du scrutin, et, bien entendu, sur le résultat final. Les nombreux exemples de tricherie et de dérapage ont exacerbé le sentiment de colère des électeurs, fragilisant l’envol démocratique qu’avait pris le pays depuis 2006. Au bout du compte, oui, les résultats ont été livrés, mais difficilement acceptés. A posteriori, on peut se poser la question de savoir s’il était opportun

jusqu’aujourd’hui en passant par les engagements politiques de Sun City, il a été convenu que les élections libres et démocratiques seraient désormais le seul et unique mode de prise de pouvoir en RDC. Mais aurait-on chaque fois oublié de bien qualifier la structure organisatrice des élections ? Se seraiton égaré lors de la définition de sa composition ou de son mandat ? Car des élections mal préparées peuvent porter un coup fatal à tout processus électoral et, dans la foulée, à l’élan démocratique. C’est ce que le peuple congolais a vécu en novembre 2011.

que l’on connait. Pour la première fois depuis l’Indépendance, un Président de la République était élu par le peuple et des institutions démocratiques installées. L’ère de la démocratie démarrait réellement. Par la suite, tant bien que mal, Président et députés ont travaillé de concert pendant cinq ans. En 2011, au terme de cette première législature, un autre processus électoral a démarré. Alternance démocratique l’oblige. Mais ce processus, loin de connaître l’enthousiasme de 2006, a laissé un goût d’amertume et pour certains de tristesse ! Non pas en

de maintenir ces élections, visiblement préparées dans la précipitation et truffées d’approximation technique et logistique. Mais si les élections n’avaient pas eu lieu à la date prévue, que serait devenu le pays et la démocratie ? Dans le contexte si particulier du Congo, plusieurs analystes reconnaissent qu’il fut préférable d’avoir organisé ces élections - même approximatives - que de ne pas les avoir organisées du tout. En réalité, le pays n’avait pas de choix : l’annulation du scrutin aurait ouvert la porte à la violence et au chaos, tant les relents guerriers et le souvenir

Quel avenir pour la RD Congo ?

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édito général des années difficiles de partition du pays étaient encore bien vifs. C’était donc prendre un risque absurde qui aurait pu plonger à nouveau le pays dans l’abîme du doute. En définitive, il n’est pas faut de croire que la tenue des élections a tout de même sauvé le processus interne de pacification. Dans ce concert de critiques, un élément à mettre à l’actif des autorités est le fait que le gouvernement a libéré la plus grande partie du budget nécessaire sans attendre l’aide de l’extérieur ! Pour rappel, les élections de 2006 avaient financées à 80% par la communauté internationale. En 2011, le gouvernement espérait une contribution extérieure de plus de 60%. Des promesses de la communauté internationale avaient été formulées en ce sens et relayées par les médias. Mais, comme par magie, plus le scrutin approchait et plus les partenaires internationaux semblaient devenir aphones, plaçant le gouvernement congolais devant ses responsabilités : ou le pays filait tout droit vers l’anarchie ou il fallait décaisser les fonds sans attendre. L’attentisme étant l’ennemi du développement démocratique, un pays ne peut abandonner aux forces extérieures la protection de sa souveraineté et la sauvegarde des ses intérêts supérieurs. C’est pourquoi il doit anticiper en permanence et mobiliser les moyens financiers propres pour construire sa démocratie et préparer ses échéances électorales. Bref, il doit éviter à tout prix le bricolage électoral.

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édito général Les rapports des missions d’observation électorale ont été unanimes sur point : les dirigeants politiques et sociaux de la RDC doivent assumer la responsabilité du succès ou de la faillite de leur système électoral. L’échec n’est pas à chercher auprès de bouc-émissaires éventuels. Les élections ont bien un objet. Elles ne sont pas une finalité en soit. C’est un passage obligé pour instaurer un système permettant d’atteindre le bien être de la population. Car le changement que le peuple veut imposer par l’élection de ses dirigeants doit se traduire en termes concrets : d’une part, à travers le renforcement de la paix et la stabilité sur l’ensemble du

Seules des élections libres, transparentes et organisées de manière impartiale seront un moteur pour la démocratie naissante en RDC. territoire permettant aux citoyens de vivre et de travailler avec quiétude et sérénité ; d’autre part, en garantissant un développement économique ayant une incidence directe sur le panier de chaque ménagère congolaise. Le progrès social du pays en dépend, se traduisant ensuite par le développement de l’emploi, d’une politique éducative ambitieuse pour les enfants, d’une couverture sanitaire plus efficace, de l’égalité entre les sexes, des libertés et les droits humains garantis à tous… Ces différents indicateurs sont les véritables chantiers du futur, les

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baromètres de la bonne gouvernance démocratique que les dirigeants issus des urnes se doivent de garantir. C’est pourquoi, il convient de tirer les leçons des récentes élections de novembre 2011 afin de préparer – sauver ? Les phases ultérieures du processus. Sinon, la patience de l’électeur sera émoussée et les attentes de la population fortement déçues. Ce qui risque de stimuler ce que Mgr Desmond Tutu appelle les moyens du désespoir. Aujourd’hui que le Président et que les députés sont élus, une question est sur toutes les lèvres : qui va gouverner le peuple dans les provinces, les territoires et les villes ? Les élections provinciales et locales doivent avoir lieu en 2012. Pourrontelles sauver le processus ou vont-elles le faire couler définitivement ? Pour le peuple congolais, cet échelon de pouvoir est essentiel. Ces élections à venir devraient donc être les plus décisives de l’ensemble du processus. Or, à Kinshasa, le Kinois n’a plus confiance dans la CENI actuelle. La colère gronde dans tous les quartiers. Les habitants attendent un gouverneur compétent, une personnalité de premier rang qui soit en mesure de gérer une mégapole de plus de 10 millions d’habitants, de proposer un avenir à sa jeunesse croupissant dans l’économie de la débrouille, de garantir un bon climat des affaires pour faire prospérer son secteur privé, d’améliorer la scolarité de ses enfants et de pouvoir offrir des soins de santé à sa population…

h Dès le 29 novembre, les résultats partiels des résultats sont affichés devant les bureaux de vote. (Photo : Etienne Kokolo)

La liste des attentes est sans limite et il en va de même pour les autres villes du pays. En province, où les paysans congolais constituent près de 70% de la population, les problèmes sont tout aussi gigantesques. Depuis 50 ans, rien de substantiel n’a été apporté par le gouvernement pour améliorer leurs conditions de vie. Les Objectifs du Millénaire du Développement pointent à l’horizon 2015, mais pour la grande majorité des Congolais, ce ne sont que de vaines illusions. Après les élections présidentielle

et législatives et à la veille des échéances locales et provinciales, la tentation est grande de sanctionner par les urnes les candidats et leurs vaines promesses. Mais, de manière lucide et citoyenne, nombreux sont ceux et celles à vouloir promouvoir les candidats ayant prouvé un engagement réel à leurs côtés… C’est pourquoi leurs attentes vis-à-vis des élections à venir sont aussi très élevées. A travers les réflexions livrées dans cette publication, les citoyens et citoyennes qui ont décidé de

prendre la parole – et que nous remercions de s’être livrés envoient un message fort : seules des élections libres, transparentes et organisées de manière impartiale seront un moteur pour la démocratie naissante en RDC. Voilà, la CENI prévenue. A elle de ne pas compromettre le développement démocratique de notre pays.

o Baudouin Hamuli Kabarhuza Directeur du CENADEP (Centre national d’appui au développement et à la participation populaire)

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Parole Malgré quelques hésitations, la démocratie est en marche en République démocratique du Congo. lle s’apprête à consolider ses acquis de 2006 en posant un pas décisif : les élections du

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h Un candidat-député en campagne dans un quartier de Kinshasa.

Parole ceux qui prétendent pouvoir mieux exercer le pouvoir au nom et au bénéfice du peuple. De fait, dans une semaine, le peuple va être appelé à choisir ses dirigeants. Il pourra renouveler sa confiance aux hommes en place ou

se répartissent donc en deux camps : d’un côté, ceux qui convoitent le pouvoir et de l’autre, le peuple. Le peuple, en tant qu’électeur, s’est mobilisé lors des opérations d’enrôlement organisées par la Commission Electorale Nationale

(Photo : Etienne Kokolo)

mêmes qu’incarnent les prétendants au pouvoir à tous les niveaux, mais plus particulièrement à la magistrature suprême. Or, le pouvoir suprême, celui que confère le fauteuil présidentiel et qui doit coordonner tous les autres, est sollicité par onze prétendants bien décidés à atteindre leur objectif. D’un côté, la majorité présidentielle, monolithique, rangée derrière son leader et tenant le même discours. De l’autre, les candidats de l’opposition, protéiforme, visiblement fragilisée par son émiettement entre dix personnalités dont le discours n’est pas forcément convergent. On y retrouve quelques poids lourds capables de mobiliser chacun une bonne fraction du corps électoral acquis à l’opposition. Or, ceux que l’un gagne à sa cause, l’autre les perd. Donc, d’un côté le candidat du pouvoir en place et dont le discours s’appuie sur des « œuvres » que, pendant son mandat à la présidence, il s’est efforcé de rendre « visibles et lisibles » ; de l’autre, des hommes nouveaux, ou espérons-le, dont le discours

Néanmoins, il revient au seul peuple de choisir celui en qui il veut placer sa confiance. Voilà pourquoi, officieusement depuis quelque temps déjà (la « pré campagne ») et officiellement depuis le 28 octobre, le peuple est assidûment courtisé par les candidats des deux bords. Avec fracas par les uns, plus timidement par les autres. Peut-être faute de moyens politiques et/ou financiers. En effet, permettre à leur candidat de mener tambours battants une campagne nationale dans un pays aux dimensions continentales n’est pas nécessairement à la portée de tous les partis politiques en lice. D’autant plus que, pendant des années, une certaine pratique de

sans les œuvres, dénonce les faiblesses, réelles ou supposées, du pouvoir sortant et promet des jours meilleurs aux 70 millions de Congolais.

doivent tirer un profit personnel. Le président du parti finance son parti qui devient nôtre tant que nous pouvons en jouir financièrement ou par des services.

A une semaine des élections, il est temps que les candidats puissent se montrer sur le terrain et rencontrer de visu les citoyens. Et pas seulement à Kinshasa ! la politique a fait croire aux citoyens qu’un parti politique est une sorte d’entreprise dont les membres

Or, à ma connaissance, un parti politique est plutôt et avant tout une association de citoyens libres qui se reconnaissent des intérêts communs et partagent une même idéologie. En s’organisant et se structurant, ils s’engagent à soutenir leur association de leur poche afin que triomphe leur vision de la chose publique et de sa gestion. Quoi qu’il en soit, les jours passent et les échéances se rapprochent. Il est temps, à mon avis, que les prétendants au pouvoir suprême pensent à « sortir leur grand jeu » afin d’emporter l’adhésion du peuple. Il est grand temps que les citoyens puissent les voir ou les écouter dans les médias tant publics que privés afin de connaître leur programme politique. Et il est plus que grand temps qu’ils se montrent sur le terrain et rencontrent de visu les citoyens. Et pas seulement à Kinshasa ! Car la capitale n’est pas la seule ville du pays et gagner la capitale à sa cause n’est pas synonyme de remporter les élections. o Julien NYIMI PHANZU

La démocratie en marche en RD Congo 28 novembre 2011. En effet, cet événement tant attendu va constituer un test crucial pour jauger la maturité politique démocratique du peuple, de ses dirigeants et de

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leur en préférer d’autres, de nouvelles personnalités ou d’anciens baroudeurs bien connus dans le pays comme à l’étranger. Les acteurs de cette semaine cruciale

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Indépendante (CENI). Il n’est pas guidé par une idéologie unique – ce qui serait inique en démocratie – mais représente diverses tendances, parfois opposées, celles-là

Julien NYIMI PHANZU est Secrétaire Général Académique et professeur à l’Institut Supérieur Pédagogique de Boma dans le Bas-Congo. Détenteur d’un doctorat en philosophie, ses connaissances sur la vie politique du pays font autorité.

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Parole Nous y sommes. L’heure du choix a sonné. Dans quelques jours, les Congolais vont élire leur président de la République et 500 représentants au Parlement. ace à une situation sociale particulièrement difficile (taux de chômage très élevé, accès limité aux soins de santé primaires, système éducatif inapproprié, etc.) les candidats et les électeurs sont tous unanimes sur un mot: le changement ! Même si je crains qu’il ne résonne pas de la même façon dans la tête des candidats et dans celle des électeurs. Car si nous jetons un coup d’œil dans le rétroviseur, force est de constater que les changements politiques intervenus en 1997 à la chute du régime Mobutu, puis en 2003 lors des accords de Sun City et la mise en place du système «un plus quatre» et enfin en 2006 avec des élections

Parole

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Le temps du changement ! h Le Vélodrome de Kinshasa roule pour de très nombreux candidats. (Photo : Etienne Kokolo)

libres et transparentes ont surtout assuré …une continuité de la détérioration du tissu économique et social du pays. Cette descente aux enfers fait qu’aujourd’hui, la RDC occupe la 187ième place sur 187 pays suivant l’indice de développement humain défini par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Pour les politiciens congolais en revanche, le changement revêt une autre signification. Il implique avant tout le renouvellement du personnel politique mais aussi et surtout la possibilité de placer leurs proches au 10

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Bien plus que la démocratie, la société congolaise réclameune démocratie socialeoù les droits des citoyens seront garantis. Cela passe par des institutions plus stables, plus actives et plus professionnelles. sein des services étatiques placés sous leur autorité. En conséquence, l’administration publique – dont la vocation est pourtant d’assurer la continuité du fonctionnement du pays - subit elle aussi de plein fouet les changements induits par l’arrivée de nouveaux élus. Et pourtant, dans

tous les pays civilisés, l’administration publique survit aux régimes politiques. Car le développement se réalise dans la durée et il est important que l’expérience des fonctionnaires soit valorisée au fil des années et transmise aux nouvelles générations. Certes, l’administration (et tous les autres services publics) doit être réformée pour mieux répondre aux exigences du développement. Il revient aux gouvernants qui ont pris les rênes du pouvoir de donner cette nouvelle impulsion à l’appareil de l’Etat, mais dans la continuité. En effet, celui-ci ne doit

pas renaitre à chaque fois qu’il y a de nouvelles personnes au pouvoir. A ce moment précis de la campagne électorale, tout le pays est en veille. Le budget 2012 n’est pas encore voté. On apprend que les députés auraient conditionné l’examen et l’adoption de la loi financière 2012 au paiement de leurs indemnités de sortie, équivalentes à six mois de leurs émoluments. Partis en campagne pour une éventuelle réélection, la majorité d’entre eux se prétendent candidats du changement. Comment expliquer un tel niveau de désinvolture ? Priver l’Etat d’un outil de travail si important, c’est compromettre le fonctionnement harmonieux et transparent des institutions, c’est torpiller la bonne gouvernance et favoriser une gestion opaque de la chose publique. Pourtant tous claironnent que « le moment du changement est là ». Au-delà des élections, la société congolaise réclame une démocratie sociale. qui garantisse les droits et devoirs de tous les citoyens. Cela passe par des institutions plus stables, plus actives et plus professionnelles. Les élections baliseront la voie d’une nouvelle société congolaise si et seulement si les choix des électeurs sont respectés et les promesses des candidats tenues. o Par Maïsha Z. MUKUNDI Maïsha Z. MUKUNDI est cadre dans une entreprise publique en transformation. En tant que citoyenne, sa crainte est de voir le programme de réforme en cours remis en question à la suite du renouvellement des animateurs des institutions politiques.

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Parole Les contraintes de la victoire électorale en République démocratique du Congo (RDC) ont poussé les militants des partis politiques et certains de leurs leaders à s’engager sur la voie tortueuse de la violence sociopolitique. a violence des propos de certains leaders, les discours menaçants des formations politiques, les invectives et les injures, les bagarres rangées des militants et fanatiques, les promesses de purger l’armée et les forces de l’ordre, l’intention de tout rompre et casser (même les prisons), mais aussi le défi, sinon l’arrogance qui caractérise le discours

L

du président de la CENI, placent les élections du 28 novembre dans une nébuleuse. Ce comportement politique délibérément entretenu a fini par installer une grave psychose dans la société congolaise.

On a l’impression que la campagne de chaque candidat ou formation politique a été entièrement conçue en fonction d’une stratégie de l’intimidation. Durant la campagne, la propagande démagogique, virulente et ironique a vite fait de transformer les

villes de Kinshasa, Masimanimba, Kasumbalesa, Lubumbashi, Mbuji-Mayi ou Kamina en champs de bataille dès qu’un candidat où ses sbires se produisaient. Les Congolais aimeraient se convaincre que l’envergure et les capacités de chaque candidat vont être déterminantes, en somme, «que le meilleur gagne». Mais au pays des Kabila, Tshisekedi, Kengo, Kamerhe et consorts, l’avis général est que ces élections de la dernière chance risquent d’être cadenassées. Grands témoins de l’histoire, les médias présentent les indices de la tragédie électorale qui se prépare. La date très attendue du 28 novembre 2011 passera et sera sans doute rapidement oubliée,

Election et psychose sociale en RDC

h A Lubumbashi, comme dans toutes les villes du pays, les candidats multiplient les opérations de séduction. (Photo : Etienne Kokolo)

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mais elle risque de laisser en lambeaux, si l’on n’y prend garde, ce «grand et beau pays». Malgré leurs déclarations dans les médias sur « des élections apaisées », il apparaît que chacun de nos candidats présidentiables est déterminé à « prendre son pouvoir ». Même si les pages de la tragique histoire politique du Congo doivent continuer de s’écrire avec le sang des Congolais, comme toujours, depuis 1958. On a l’impression que la campagne de chaque candidat ou formation

politique a été entièrement conçue en fonction d’une stratégie de l’intimidation. Tout porte à croire que des slogans tels que «le Congo d’abord», «Le peuple d’abord», «pour un avenir meilleur de la population», « le changement pour le développement du Congo» etc. sont des mots creux, des prétextes fallacieux pour le besoin de la cause. Le mot d’ordre pour chaque candidat est apparemment : « le pouvoir d’abord ! » Autant la date du 28 novembre 2011, jour de vote, fait peur, autant celle du

6 décembre 2011, jour de la publication des résultats, reste encore plus redoutée par les Congolais. o Par Akele Achile EKELE est un ancien journaliste connu pour son talent et son penchant pour la satire. Ce qui le pousse à créer successivement, et avec un groupe d’amis, les journaux « Le Grogon » et « Pot-pourri », les deux grands journaux satiriques que la RDC ait connu. Après une carrière de près de 25 ans dans la presse et un passage dans plusieurs cabinets politiques, c’est à la formation de la jeunesse qu’il se consacre aujourd’hui. M. EKELE enseigne le cours de presse écrite à l’IFASIC avec le grade de Chef des travaux.

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Parole Depuis le début de la campagne électorale en RDC, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ! t les interrogations fusent de partout : pourquoi les candidats aux élections présidentielle et législatives ne nous emballent-ils pas avec leurs grands discours nous offrant leur vision du

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Parole Congo de demain ? Pourquoi n’évoquent-ils jamais la misère qui accompagne le quotidien du Congolais depuis plusieurs décennies ? Pourquoi…. Pourquoi ? A ce genre de questions, je réponds toujours en deux temps. Tout d’abord, j’explique qu’au Congo il y a deux classes : la classe d’en haut, essentiellement composée du

président de la République, des ministres et des parlementaires. Cet ensemble de personnes constitue la classe dirigeante. Elle est opulente, arrogante et passablement incompétente. Tous les cinq ans, elle sort de sa léthargie et crie à la classe d’en bas : « Renouvelez encore notre opulence ! » Cette classe d’en bas, c’est le peuple congolais lui-même. Des dizaines de millions de prolétaires exclus de la mangeoire nationale, ne s’habillant qu’avec de la friperie, ne mangeant que les abats des poulets ou des vaches et confrontés, au quotidien, à l’eau non potable, à l’électricité délestée et aux soins médicaux inaccessibles ! Ces quatre-vingt-dix pour cent de Congolais oublient, cinq ans durant,

h Tous les moyens sont réquisitionnés pour les dernières heures de la campagne. (Photo : Etienne Kokolo)

Des élections sans objet !

h 29 novembre 2011, les opérations de comptage des bulletins de vote se poursuivent à Kinshasa. (Photo : Etienne Kokolo)

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que la politique existe… jusqu’à ce qu’on le leur rappelle, le temps d’une campagne électorale et d’un scrutin ! Classe d’en haut, classe d’en bas… L’impossible dialogue ! Et pour cause, il n’y a pas d’identité collective ! Le peuple et sa classe politique ne partagent ensemble aucune valeur commune. Il en résulte un manque de vision et de cohésion sociale. Les Congolais vivent comme des étrangers les uns envers les autres. Sans solidarité fondatrice, sans amour du prochain, sans ancêtre commun. Ils ne partagent ensemble, ni le passé, ni le présent, ni l’avenir ! Quand un peuple ne partage pas ces valeurs communes, il se fragilise :

sa classe politique en oublie l’intérêt général au profit de son intérêt personnel. Et l’on comprend dès lors mieux pourquoi la politique est devenue la coqueluche du Congolais: pour lui, c’est la seule possibilité d’enrichissement ! Ceci explique pourquoi les 500 misérables strapontins de parlementaires sont convoités par plus de 18.864 candidats députés. Leurs discours sont évasifs et leurs convictions inconnues… pourvu qu’on intègre la mangeoire nationale ! On comprend enfin pourquoi depuis le début de la campagne électorale, la classe d’en haut et la classe d’en bas

Les Congolais vivent comme des étrangers les uns envers les autres. Sans solidarité fondatrice, sans amour du prochain, sans ancêtre commun. Ils ne partagent ensemble, ni le passé, ni le présent, ni l’avenir !

ne parviennent pas à présenter au monde, dans leurs discours et dans leurs projets, l’image du Congo de demain : c’est que, tout simplement, le Congo n’est pas une valeur communément partagée ! Ainsi, en l’absence d’identité collective comme socle des valeurs communément partagées, les élections

deviennent simplement un moment de transaction. La classe d’en haut dit : « Prenez nos bières et nos haricots et votez pour nous ! » La classe d’en bas boit, mange les haricots et vote. Oui, vraiment des élections sans objet !

o Emmanuel Kabongo Malu Emmanuel Kabongo Malu est Docteur en Philosophie (Philosophie de l’Histoire et de la Culture), diplômé de l’Université Catholique du Congo. Il a consacré sa thèse à «La Renaissance africaine chez Cheikh Anta Diop». Il est directeur politique au groupe de presse « Le Potentiel » comprenant les trois médias Le Potentiel, Télé 7, Radio 7. Il est consultant international en régulation, réglementation et autorégulation des médias. Il enseigne à l’Université de Kinshasa. Il est aussi écrivain et analyste politique.

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Parole

Parole J’ai encore plus de mal à comprendre pourquoi les sept personnes qui dirigent la Commission électorale nationale indépendante (CENI) préfèrent fermer leurs oreilles et leurs yeux face aux nombreuses irrégularités formulées par les missions d’observation déployées sur le terrain, dont certaines à l’invitation de la CENI. Et lorsque cette maladie se répand,

provisoires ou définitifs, des actes, pour le moins violents et parfois intentionnels ont été commis par des supporters des partis politiques ou des membres des forces de l’ordre, frappés brusquement par cette nouvelle maladie. Une dizaine de jours sans travail, la circulation et les mouvements des populations perturbés, l’angoisse, la peur, les bavures, les coups de feu, les

sans retenue, sans aucun sens de responsabilité. Les quelques médecins appelés à la rescousse font partie d’un corps ex-

péditionnaire, dite la «Communauté internationale» dont le rôle consiste à condamner, critiquer, donner des injonctions, avaliser, réfuter, jusqu’au jour où, ses propres intérêts ayant été assouvis, il se retirera furtivement de la zone de l’épidémie pour aller offrir

L’hystérie électorale C’est une nouvelle pathologie qui devrait être inscrite dans la médecine politique, une nouvelle filière que s’apprête à faire accréditer la RDC au monde entier. e serait ainsi «notre» contribution à l’histoire de la démocratie, ce train que nous n’avons pu rejoindre que sur le tard. En effet, au sein de la classe politique congolaise, nombreux sont les acteurs à être frappés par une « vive excitation poussée jusqu’au délire ». C’est la meilleure définition que j’ai trouvé du mot hystérie et qui concorde parfaitement avec le comportement de la majorité de ceux qui, au nom de leur propre liberté, et semble-t-il, de la démocratie, se croient capables de «nous» diriger.

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Comment imaginer que des candidats, qui n’ont su battre campagne que dans une province ou deux, voire trois, se mettent en tête qu’ils pourraient remporter un scrutin dont la circonscription électorale comporte 11 provinces? Ayant semé la paresse,

Comment garder sa lucidité devant le choix de l’opposition de ne pas s’accorder sur un programme commun de gouvernance ? ils souhaitent récolter la victoire et dans le cas contraire, demander l’annulation du scrutin. Hystérique ! Ce n’est pas tout. Comment expliquer que des personnes censées appartenir au même camp politique, et donc partager la même opinion ou le même idéal, s’affichent publiquement en

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opposants viscéraux pendant la campagne électorale et laissent leurs partisans respectifs s’illustrer dans des bagarres de rue ? Comment accepter que deux frères du même district – le Sankuru par exemple, connus comme membres de la même famille politique, décident d’attiser le feu au sein de leur propre communauté ? Comment garder sa lucidité devant le choix de l’opposition de ne pas s’accorder sur un programme commun de gouvernance, jugeant vaine la devise belge « l’union fait la force », moins encore sur un déploiement complémentaire de témoins dans les bureaux de vote, lorsqu’à l’arrivée ils dénoncent en cœur «la présence des éléments et des faits non autorisés dans les bureaux ou centre de vote » ? Hystérie !

telle une épidémie, sur une bonne partie des 67 millions de Congolais, l’on est alors en face d’une «hystérie collective», définie dans le Petit Larousse illustré 2006 par « agitation, excitation, frénésie, parfois violente, qui gagne tous les membres d’un groupe, d’une foule». C’est le cas à Kinshasa et dans certaines autres villes du pays où, dans la fièvre des élections, puis de l’attente des résultats

pneus brûlés, les attaques à la machette, que sais-je encore... Voilà à quoi a mené récemment l’hystérie collective. Des enfants qui n’ont jamais demandé de naître dans ce pays et n’ont jamais voté pour qui que ce soit, sont tenus éloignés de leurs écoles. Et pour l’heure, personne ne sait de quoi demain sera fait. Ce sont encore et toujours des discours et contre-discours hystériques qui prennent le dessus,

ses services sur un autre théâtre. Et l’hystérie électorale se transformera alors en «hystérie meurtrière». Non, là je rêve ! Un rêve macabre qui, je l’espère, ne deviendra jamais une réalité. o Adelard Mambuya Obul’Okwess Obul’Okwess est Chef de travaux à l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (Ifasic). Il est par ailleurs chercheur et formateur en communication, droits humains et Gender.

h A Kintambo Magasin, les pubs électorales rivalisent avec les pubs commerciales. (Photo : Etienne Kokolo)

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Nombreux, très nombreux sont les Congolais qui appellent de tous leurs vœux l’installation de la démocratie dans le pays. ne démocratie constitutionnelle où la loi primera et où les institutions seront plus fortes que les hommes. Une démocratie politique dans laquelle le vote sera la voie privilégiée d’accès au pouvoir et où les cycles électoraux et la durée des mandats seront strictement observés. L’organisation des élections démocratiques constitue un grand rendez-vous entre les attentes d’un peuple et les programmes de candidats. Mais pour beaucoup de nos compatriotes, les élections sont plus qu’une rencontre à finalité citoyenne et politique. Il s’agit aussi d’une opportunité d’affaire à indice de rentabilité très élevée. Un marché compétitif où se retrouvent d’un côté des imprimeurs et des afficheurs et de l’autre, des annonceurs et clients « rêveurs ».

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Pour beaucoup de Congolais, les élections sont une opportunité d’affaire à indice de rentabilité très élevée. Pour les faiseurs d’image, la balle est à saisir au bond. Les élections ne représentent que des moments épars de la vie d’une société. Sur les panneaux géants qui arpentent les grandes avenues de la capitale et des villes de 18

Pourquoi le Congolais aime-t-il les élections libres ? hLa campagne électorale, une période lucrative pour les sérigraphes du pays. (Photo : Etienne Kokolo)

province, les annonceurs traditionnels (brasseries et télécoms) ont cédé momentanément la place aux hommes politiques. Mais l’accessibilité à ces espaces publicitaires géants est réservée aux seuls poids lourds de la politique. A peine une vingtaine de candidats sur les 19.000 qui se présentent sont en mesure de trôner en taille XXL sur les avenues. Le choix n’est pas politique, c’est la loi du marché.

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Fort heureusement, le génie et l’opiniâtreté de l’artisanat congolais, boostés par cette conjoncture aussi favorable que passagère, s’accommodent des budgets plus limités de la plupart des candidats. En réalité, le profit qu’engendre la conception, l’impression des supports et l’affichage des innombrables candidats de la capitale, fait exploser, et de façon spectaculaire, les recettes quotidiennes de certains de nos

artisans ou opportunistes concitoyens. La réapparition de « petites et moyennes bureautiques » dans tous les quartiers de Kin est réelle depuis un mois. Dans ces PMB évoluent les opérateurs informaticiens, professionnels ou circonstanciels, qui subjuguent par l’originalité et la qualité des posters et affiches «made in Kinshasa». Les kiosques de sérigraphie sont pris d’assaut.

L’impression sur tee-shirts, képis ou banderoles des photos, noms, numéros d’ordre et slogans des candidats se fait de façon ininterrompue, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Les chauffeurs de taxi et taxi-bus ne sont pas en reste. Ils proposent de coller les posters des candidats sur les épaves de leurs véhicules roulants, contre une rémunération journalière comprise entre 1.000 et 2.500 francs

congolais. Certains jours, ils roulent pour tel candidat, d’autres jours pour tel autre. Il est aussi fréquent de voir ces transports publics faire la publicité de plusieurs candidats simultanément. Les marchands ambulants et les vendeurs de journaux bénéficient aussi de la campagne. Ils se font également payer pour porter les tee-shirts et casquettes des candidats ou se faire raccommoder des affiches sur le corps. Tout comme les accrocheurs de banderoles, les distributeurs de tracts, les aguicheurs dans les carrefours embouteillés prêts à encenser un candidat à la tête du client qui loue ses services le temps d’une harangue (conducteur prêt à débourser des sous si le candidat qu’il soutient est mis en vedette), les «sportifs» chargés de sécuriser les candidats ou leurs matériels de campagne, les musiciens payés pour chanter la gloire des candidats. On le voit, la liste est longue. Mais le clou de ce spectacle électoral, ce sont les panneaux d’affichage mobiles motorisés et humains. Des afficheurs inopinés qui entendent tirer avantage d’une situation on ne peut plus passagère. En conclusion, les Congolais raffolent des élections libres. Elles sont bénéfiques pour tous ceux qui savent s’y prendre. o Victor PAYANZO MABA Victor PAYANZO MABA est économiste de formation. Il est militant au sein de la Synergie Nationale des Mouvements des jeunes.

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h Les femmes se mobilisent pour soutenir leurs candidates. (Photo : Etienne Kokolo)

Les Congolaises à l’instar des autres femmes du monde se battent pour instaurer la parité de genre dans tous les domaines de la vie. n combat de longue haleine et loin d’être gagné. Sur la route vers l’égalité, combien de pièges à surmonter, de défis à relever et de défaites à assumer ? Une bataille de gagnée, c’est celle de la reconnaissance du droit à une représentation équitable au sein des institutions du pays. L’article 14 de la Constitution garantit et encourage en effet le respect de la parité entre les hommes et les femmes (« La femme a droit à une représentation équitable au sein des institutions nationales, provinciales et locales. L’Etat garantit la mise en œuvre progressive de la parité homme-femme dans lesdites institutions »). A la suite de la loi fondamentale, la loi électorale stipule en son

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article 13 que « Chaque liste est établie en tenant compte, s’il échoit, de la représentation paritaire homme-femme et de la promotion de la personne vivant avec handicap. Toutefois la non réalisation de la parité homme– femme au cours des prochaines échéances électorales n’est pas un motif d’irrecevabilité d’une liste ». Cette incise n’est pas du goût des défenseurs de la parité. Ceux-ci lui reprochent de fragiliser l’action en faveur d’une vraie parité stipulée dans la loi suprême en rendant non-contraignante la parité homme-femme. Ils qualifient de pariticide la dernière phrase de l’article. La grande mobilisation citoyenne organisée successivement devant les deux Chambres du Parlement lors de la révision de la loi électorale n’a malheureusement pas permis la suppression de cette phrase. Une bataille perdue, c’est celle de l’absence de candidatures

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féminines à l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. Le nombre de candidates à la députation nationale avoisine les 10% dans presque toutes les provinces du pays. L’Observatoire de la parité s’en désole et accuse les partis politiques d’avoir refusé de placer des femmes sur leurs listes électorales. Cinq ans après le désastre des élections de 2006, les élections à venir n’enverront donc pas plus de femmes dans l’hémicycle du Parlement. Comment surmonter les nombreux autres pièges qui balisent le chemin de la femme vers le pouvoir ? Comment promouvoir l’égalité des chances ? Faut-il se résoudre à aligner

à se déclarer pour briguer des mandats politiques. Sous-représentées à tous les échelons de pouvoir, les femmes ont pourtant toutes les qualités pour occuper des postes à responsabilité dans la sphère politique. En outre, une plus grande diversité dans les organes de décision conduit à de meilleures décisions, plus inclusives et moins discriminantes. Malheureusement, leur progression politique est souvent ralentie par divers obstacles qui font que, comme dans les autres domaines de la vie où les femmes se battent pour leur émancipation, elles doivent faire deux fois plus d’efforts que les hommes et ne

Le Pari de la parité des listes paritaires uniquement par conformisme juridique ? Doit-on opter pour un système de quotas électoraux avec des pourcentages obligatoires et / ou contraignants ?

En exigeant une représentativité paritaire, il faudrait aussi parallèlement briser les tabous et les barrières qui empêchent les femmes à se déclarer pour briguer des mandats politiques. En exigeant une représentativité paritaire, il faudrait aussi parallèlement briser les tabous et les barrières qui empêchent les femmes

peuvent s’autoriser aucune erreur. Ces obstacles qui empêchent les femmes de se lancer dans l’aventure politique sont connus de tous: le manque de temps à consacrer aux activités publiques vu les nombreuses responsabilités familiales assumées, le manque de formation et d’information sur la vie politique, le manque de confiance en elles, de moyens, d’intérêt ou de motivation, souvent liés à l’image négative que les femmes ont de la vie politique et des femmes qui s’y engagent. Pour les surmonter définitivement, il s’avère capital de renforcer les capacités des femmes par la sensibilisation de leurs droits

politiques. Il faut les aider à acquérir les connaissances et l’expertise dont elles ont besoin pour prendre des positions de leadership dans les organismes gouvernementaux. Pour ne pas donner raison à ceux qui estiment que « mwasi atongaka mboka te » (« la femme ne bâtit pas son pays »), il faut éviter de tomber dans la représentativité quantitative en oubliant la qualité du travail que tout élu(e) doit fournir. Pour assurer une représentativité qui pourra rehausser l’image de l’homme / femme politique d’aujourd’hui, il faut que cet élu(e) quel que soit son genre puisse être le défenseur et le porte-parole des aspirations du peuple et non un être robotisé présent dans l’hémicycle pour chahuter et/ou lever la main lors des votes. Après le scrutin législatif, notre pays organisera des élections provinciales (25 mars 2012) et locales (5 février 2013). Pour les élections provinciales, le dépôt des candida-

tures prendra fin le 21 novembre 2011. Espérons que les femmes ne manqueront pas ces rendez-vous de l’histoire et s’inscriront en masse sur les listes. Au nom de la parité mais aussi et surtout au nom du développement du pays. Que de chemin encore à parcourir… o Divine-Grâce Kingli Divine-Grâce Kingli est écrivaine et poétesse. Son œuvre inédite passe en revue les différents aspects de la vie. L’injustice y est décriée et l’amour sublimé. Sa conviction est que les préjugés rétrogrades et les abus devraient être combattus pour l’émergence d’une société respectant davantage les droits humains. Bien que ne se reconnaissant pas dans les mouvements féministes actuels qu’elle juge trop fanatiques, elle affirme que la femme en tant qu’être humain a un rôle important à jouer pour l’émergence d’une société de droit. L’Observatoire de la parité est une structure de la société civile congolaise qui a pour mission d’assurer un suivi permanent des progrès de la parité en RDC au niveau du pouvoir social, économique et politique en surveillant et en stimulant la mise en œuvre effective de la parité. www.observatoiredelaparite.org

h A Lubumbashi, une candidate prône l’altruisme. (Photo : Etienne Kokolo)

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Parole « Votez, votez, votez… » Ce refrain, extrait de la chanson de campagne d’un candidat à la présidentielle, ne quitte plus la bouche de mon fils ces dernières semaines. u haut de ses 44 mois, il participe à sa manière à l’effervescence qui a gagné la ville de Matadi depuis le 28 octobre et qui amplifie au fur et à mesure que le jour J approche. Victime inconsciente d’un matraquage médiatique sans précédent (pour son jeune âge), Ralda en vient même à me suggérer des noms de candidats pour qui voter. Si les choses pouvaient être aussi simples ! Si tout pouvait se limiter à la beauté des affiches et à la douceur de chansons ! Si, si ,si… Hélas, non ! Les élections sont bien plus que ça ! Elles doivent poser les

Parole avec la société » qui envahissent les rues et créent l’insécurité, ceux qui sont contraints aux travaux forcés dans les mines et d’autres encore incorporés dans les bandes armées. Je vois des enfants en bas âge qui, pour obéir à leurs parents, exécutent des travaux des champs beaucoup trop exigeants. Je vois des étudiants, finalistes du supérieur, contents de terminer leurs cursus universitaires mais effrayés par le stress du chômage assuré. J’ai le cœur serré pour tous ceux qui, après avoir bataillé et fait tout ce qu’il fallait, y compris usé de moyens qui n’ont rien à voir avec l’étude, sont largués dans l’univers impitoyable du travail avec comme seul bagage un diplôme. J’exagère. J’oublie qu’une partie de notre jeunesse n’a aucun souci à se faire. Elle est pleine d’assurance, il lui faut juste être vigilante et en-

h A Kinshasa, la publication des premiers résultats a entrainé de nombreux incidents. (Photo : Etienne Kokolo)

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Il incombe à chacun d’entre nous de nous assurer que les générations à venir hériteront d’un meilleur pays. Une société plus développée, où le système éducatif sera réformé et l’éducation primaire prise en charge par l’Etat, les droits de l’homme respectés, la liberté d’expression assurée, la torture et les arrestations arbitraires condamnées. Un pays où la jeunesse ne sera pas instrumentalisée mais protégée des abus des puissants. Un pays où les corrupteurs et les corrompus ne nargueront pas impunément leurs victimes.

Pour l’instant, lorsque je pose mon regard sur ma progéniture et sur la jeunesse actuelle, une seule question taraude mon esprit: quel monde allonsnous leur léguer?

Election oui, mais quel destin pour la jeunesse ? jalons d’une société nouvelle, d’un avenir plus radieux pour Ralda et la jeunesse de notre pays. Nos enfants s’enthousiasment à regarder passer les caravanes décorées des candidats sur la route. Ils acceptent de gonfler le rang des partisans invités à un meeting de campagne. Chaque candidat tient à faire sienne cette vigueur. Mais dites-moi: avez-vous ouï un véritable projet de société dans lequel les forces vives de la Nation 22

puissent s’épanouir? Au delà des refrains et des slogans, combien de candidats ont-ils pris la peine de nous expliquer leurs ambitions en matière d’éducation, d’encadrement et de formation de la jeunesse ? Combien ont pris à cœur de nous divulguer leur stratégie pour abolir le travail des enfants, combattre les phénomènes « Kuluna » et « Shegué » ? Les choisirons-nous pour la qualité de leurs affiches, pour leur omniprésence dans nos

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médias ou bien en connaissance de cause ? Car pour l’instant, lorsque je pose mon regard sur ma progéniture et sur la jeunesse actuelle, une seule question taraude mon esprit: quel monde allons-nous leur léguer? Certes, quelques prémisses ont été posées. Pour les plus petits, par exemple, la Constitution du 18 février 2006 a consacré la gratuité de l’enseignement primaire. Le gouvernement a décrété sa mise en

application progressive dès la rentrée 2010. Mais après des débuts timides et limités au premier degré du primaire (première, deuxième et troisième année) dans huit provinces, le passage à la seconde phase, prévue pour septembre 2011, a été oublié dans la fièvre électorale et de nombreux enfants ont vu se briser leurs rêves d’une scolarité normale. La situation est encore plus compliquée pour les enfants en « conflit

tendre sonner « son temps ». Ces jeunes gens, minoritaires certes, sont prêts à prendre la relève dans un système injuste qui consacre l’assujettissement de la majorité. Portefeuille oblige, ils ont droit aux meilleurs établissements souvent (si pas toujours) en dehors du pays pour attendre, au frais, que leur heure arrive. Si l’injustice est érigée en norme, ce n’est pas en la subissant passivement que nous en viendrons à bout.

Idéaliste ? Peut-être, mais décidée à assurer un avenir meilleur pour ma progéniture. Les élections nous en donnent l’opportunité. o Raïssa MAHEMENE Raïssa MAHEMENE est mariée et mère de deux enfants. Maman le jour, étudiante le soir, elle ambitionne de se mettre à son compte en montant une entreprise, à Matadi, le chef-lieu de la province du Bas - Congo. Face à la situation actuelle du pays, comme tout citoyen elle s’interroge par rapport à l’avenir de sa progéniture.

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Parole De plus en plus de questions virulentes se posent sur la gestion de notre environnement social. Ce n’est un secret pour personne : nos familles et nos ménages sont devenus des entreprises de production des déchets. Kinshasa, chaque foyer produit en moyenne 5,5 kilos d’ordures ménagères par jour. Il est maintenant intéressant de se poser la question de savoir où vont réellement tous ces déchets ? Après de simples observations, il est évident que de nombreux ménages, faute d’une politique sociale et efficace sur la gestion des ordures, attendent souvent la tombée de la nuit ou une grande pluie pour s’en débarrasser, sur la voie publique ou dans des dépôts clandestins sans se soucier des conséquences de leur geste. Aucun point de collecte ni d’évacuation des ordures n’est indiqué dans les quartiers. Cette irresponsabilité des pouvoirs publics est à l’origine de maladies récurrentes susceptibles de frapper la plus grande partie de la population kinoise. Des sources du secteur de la santé de la ville de Kinshasa font état de d’une moyenne de 350 décès déclarés par jour. Beaucoup de ces pertes en vies humaines sont directement liées à un environnement insalubre. Selon les différents tableaux épidémiologiques, la malaria reste la première cause de décès à Kinshasa, suivie des maladies infectieuses, appelées communément les « maladies des mains sales ».

Parole 127.750 Kinois perdent la vie chaque année en raison, en grande partie, de l’insalubrité de la ville. Il s’agit là d’une catastrophe humanitaire, sans cesse répétée et pourtant évitable. Nous invitons donc nos acteurs politiques à changer de débat, à regarder leurs citoyens en face et à se demander quelles sont les vraies priorités pour leur population. C’est bien utile de construire des hôpitaux et des centres de santé, mais il est encore plus fondamental de s’intéresser à la cause de nos maladies.

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Parmi les acteurs politiques en campagne électorale ces derniers jours en RDC, très peu placent la gestion de l’environnement et celle des déchets comme une priorité de leur politique.

h Les bureaux de vote… et leur lot de déchets. (Photo : Etienne Kokolo)

La gestion des déchets. Que font les acteurs politiques ? Parmi les acteurs politiques en campagne électorale ces derniers jours en RDC, très peu placent la gestion environnementale comme priorité dans leur programme. Et pourtant, on ne pourra développer des vraies

Paroles Livret # de 1 q citoyens Mars 2012 q mars 2012

solutions en RDC que si l’on attaque les causes, car tous ceux qui seront élus ne vont pas gérer uniquement des cimetières mais aussi des villes et des villages peuplés de citoyens souhaitant vivre en bonne santé.

Pour être concret, si les déchets sont la cause de nombreux décès (bien plus que la guerre et l’insécurité), pourquoi nos élus s’en préoccupent-ils si peu ? En cette période électorale, nous attirons une fois de plus leur attention

afin qu’ils prennent leur responsabilité. Sans cela, l’ensemble de la population congolaise verra son espérance de vie diminuer. Si 350 personnes décèdent en moyenne chaque jour dans la capitale, cela signifie que

Quelle est la valeur humaine d’un homme bien habillé en propagande chez ses électeurs, si le repas qu’il partage avec eux est infesté par des moustiques et des mouches ? Soyons sérions ! Respectons notre population par des actions concrètes avec un impact immédiat sur le développement socio-économique de notre pays. Plus que jamais, l’homme doit être au cœur du débat politique. o Claude MASUMBUKO MUYUMBU Claude Masumbuko est responsable financier dans une organisation internationale.

# Paroles deLivret citoyens 1 q q Mars mars2012 2012

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La culture : le chantier du futur

Parole La République démocratique du Congo peut compter sur une richesse et une diversité culturelle unique au monde. e nombre et la variété de ses dialectes, rites et traditions ont imprégné ses artistes et font potentiellement du pays une puissance culturelle sous-régionale. A l’aube de ce processus électoral, il est important de le rappeler aux différents candidats mais aussi de préciser les attentes des opérateurs culturels. Elles sont nombreuses et légitimes. Actuellement, ce n’est un secret pour personne, le ministère de la Culture est vidé de sa substance. Sans programme, sans orientation et sans moyens, il ne peut offrir de subventions artistiques et ceux qui le dirigent se considèrent comme des damnés. Quel contraste avec la richesse du patrimoine culturel du pays et le foisonnement de sa production artistique, tant traditionnelle que contemporaine! Avec un tel potentiel artistique entre les mains, ce ministère devrait pourtant s’illustrer en faisant circuler ce patrimoine à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières. Car, oui, la culture de mon pays, ce n’est pas seulement le ndombolo national ou les télédramatiques. Elle est au contraire d’une richesse infinie et multidisciplinaire. Tantôt, elle est représentée par les voix de Madiata, d’Abeti, de Mpolo Love ou de Katiti, tantôt par les textes littéraires de Mudimbe, de Ngal ou de Lomami. Que dire des talents cinématogra-

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phiques de Mansevani, de Kwami, de Mongita ou encore de Djo Munga, dont le récent Viva Riva s’est illustré dans de nombreux festivals internationaux. Le regard satirique de Zamenga, de Djungu Simba, de Kash, de Mfumueto ou Thierry Landu reflètent à merveille l’esprit et l’humour congolais. Quant à Lufwa, Nginamawu, Liyolo, Tshamala ou Tsimba, leurs sculptures ne cessent d’impressionner les ama-

La culture est la mère du développement. Elle nous nourrit quotidiennement et c’est à travers elle que nous écrivons l’histoire.

h (Photo : Etienne Kokolo)

teurs congolais ou étrangers. Dans le domaine de la mode, notre libaya (camisole) et nos maputa (pagnes) cousus avec dextérité par Mily Mode se marient très bien avec nos abas-cost. Ce sont enfin les touches de couleurs et les coups de pinceau de Lema, de Mwenze, de Botembe ou des Pili Pili.

La force d’une nation réside très souvent dans la manière dont sa culture fait la fierté d’un peuple et dont les œuvres rayonnent sur la scène nationale mais surtout internationale. Avec amertume, force est de constater qu’en RDC, les gallons conquis par nos ainés de la rumba, de la peinture, de la coiffure, de l’architecture, du cinéma ou de la littérature ne sont que très peu valorisés. Comme si ces créateurs n’avaient jamais existés ! Aujourd’hui, nos artistes sont abandonnés à leur triste sort et se débattent comme des vieux diables. Obtenir une autorisation de production publique vaut les douleurs de l’accouchement. Exposer, publier ou se produire – la finalité de toute expression artistique – demeurent bien souvent du domaine du rêve. Quant à sortir du pays pour présenter son travail et représenter la nation, cela relève de l’exploit. Autant de constats navrants qui font bondir le philosophe congolais Kangafu en ces termes : Libérez la culture ! Ce cri du cœur est celui de tous les artistes congolais. Aux prétendants présidentiables ou législateurs, nous leur demandons donc humblement qu’ils se rappellent que la culture est la mère du développement. Elle nous nourrit quotidiennement et c’est à travers elle que nous écrivons l’histoire. o José BAU DIYABANZA José BAU DIYABANZA est Directeur de l’Atelier Théâtr’Action, troupe spécialisée dans l’éducation civique et le théâtre d’intervention.

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h De jeunes adolescents ont massivement été ‘recrutés’ par les candidats. (Photo : Etienne Kokolo)

Mon fils, comme tous les adolescents du Congo démocratique qui fréquentaient l’université de Kinshasa, était en butte à divers problèmes. insi, même quand la fiche de présence attestait de sa participation à un examen, mon fils n’était pas sûr d’avoir sa cotation! Alors, il recourait à une manœuvre sordide hypocritement dénommée « branchement ». En d’autres termes : « tu n’as pas de cotation, alors tu paies l’équivalent en espèces sonnantes.»Comme pour beaucoup de parents du grand Congo démocratique, assujettis au paiement de frais académiques faramineux pour leurs rejetons, la bonne volonté ne suffit pas quand on est mal payé, voire pas payé du tout. C’est ainsi qu’un jour, faute de moyens parentaux pour permettre à mon fils d’honorer les « branchements », il a cessé de fréquenter les amphithéâtres. Comme tout adolescent, chômeur et sans revenu, mon fils vivait alors de la solidarité paternelle pour fumer une cigarette, boire une bière de temps en temps et même manger un bon repas. Curieusement, depuis début

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novembre, je voyais de moins en moins mon fils. Les mégots de cigarettes qui constituaient autant de moments privilégiés d’échange et de complicité, végétaient dans mes poches. Pendant un mois, je me suis senti quelque peu trahi. Mon fils ne dépendait plus de moi. Il échappait à mon contrôle paternel. Ainsi, un matin, je le vis habillé d’un tricot neuf à l’effigie du candidat à l’élection présidentielle dénommé Vital Kamerhe. Il n’attendait aucune question de ma part et me lança, désinvolte

comme tous ceux qui n’ont pas de soucis d’argent : « Je soutiens Kamerhe parce qu’il est jeune. » Le goujat n’attendit même pas ma réplique. Il était déjà dans la rue à discourir. Mortifié, j’ai préféré l’attendre au tournant convaincu qu’il ne tarderait pas à revenir vers moi avec des problèmes de liquidité. Mais à la place, il revint un peu plus tard avec des tricots et des banderoles à l’effigie du candidat à l’élection présidentielle Léon Kengo Wa Dondo. Il m’expliqua plein d’assurance et

Je me suis fait une raison : mon fils qui maîtrise la rue, roule pour les candidats les plus offrants. d’impertinence : « je soutiens Kengo. Il a de l’expérience.» Perfide, je lui dis qu’il devait aussi avoir de l’argent. « Ça, papa, on le verra», me répondit mon fils en claquant la porte de sa petite chambre qui jouxte la petite porcherie familiale. Et puisqu’il ne me réclama ni cigarette ni bière, alors je lui en demandai. Il m’offrit non pas une

cigarette mais un paquet et plusieurs bouteilles de bière ! Un véritable nouveau riche. Un matin, j’entendis des bruits devant la maison. Mon fils était en train d’haranguer la foule non pas au bénéfice de Kamerhe, Kengo ou même Kabila mais du « peuple d’abord » c’est-à-dire de Tshisekedi. Comme tout parent qui vit de l’élan philanthropique de son entourage, je me persuadai que mon fils jouait une partition cohérente. Je l’en félicitai : « Bravo ! Tu n’es plus un apprenti. Tu es un spécialiste de la

Mon fils m’est revenu

campagne électorale. Tu es parti du plus jeune (Kamerhe) au plus riche (Kengo) en passant par le plus offrant (Kabila) et aujourd’hui tu es avec le plus vieux.» Puisqu’il était financièrement autonome, donc ne craignait personne, mon fils me répondit crânement : « Tu ne comprends vraiment rien. » Je me fis une raison : mon fils maîtrisait la rue et roulait pour les candidats les plus offrants. Il s’en mettait plein les poches. Lui-même avait une autre vision de son vagabondage politique monnayé : « Lumumba a dit qu’on pouvait prendre l’argent des candidats et voter dans l’isoloir selon sa conscience. » Et de loin, comme pour me convaincre que le Congo n’était pas perdu, je me dis que ce professionnel de la campagne électorale qui s’offrait au mieux disant, apprenais dans la rue le combat démocratique. Il n’était peut-être pas un spin-doctor pontifiant et sûr de luimême, il était «la rue», celle qui votait. Le Congo n’était donc pas perdu. La démocratie s’y installait par le bas. Mais le soir du vote, l’oreille scotchée aux programmes d’information de quelques radios étrangères encore captables sur mon vieux récepteur de poche, j’entendis sourdre une voix aussi hésitante que timide : « tu n’as pas une sèche » ? C’était mon fils. J’ai compris. La campagne avait pris fin deux jours auparavant. Et donc mon fils m’était revenu. o Thierry MBONGO Maçon de son état, Thierry Mbongo est marié et père de sept enfants. Il raconte l’histoire de son fils, devenu Expert en mobilisation. Le temps d’une campagne électorale.

h Samedi 26 novembre, la campagne prend fin. Dernier tour de ville pour les partisans d’un candidat. (Photo : Etienne Kokolo)

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Parole En RDC comme ailleurs, nous nous réjouissons aujourd’hui des innovations technologiques. arginal il y a dix ans à peine, le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) connaît un développement inimaginable, au point que l’Afrique, parmi tous les autres continents, est le marché le plus florissant du monde pour la téléphonie mobile. Ordinateurs et téléphones portables, smartphones, tablettes, internet et intranet, connexions à haut débit et autres outils offrent une connectivité et une liberté géographique et temporelle presque totales aux utilisateurs. Sans parler des réseaux sociaux qui mobilisent une attention croissante des plus jeunes générations. Les TIC augmentent donc la capacité de chacun de communiquer, d’accéder à l’information, de partager les idées, d’acquérir le savoir mais aussi de contribuer au partage des données. Elles induisent de nouvelles manières d’être présent

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L’éthique des TIC

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Le développement de l’agence de régulation des TIC apparaît comme l’une des priorités des pouvoirs publics congolais afin de réglementer le marché de l’information. 30

h Les pylônes ont été réquisitionnés pour assurer la promotion des candidats. (Photo : Etienne Kokolo)

à distance par la mise en réseau des machines et donc de leurs utilisateurs. C’est la facette novatrice et exaltante de la révolution numérique. Mais en même temps, les TIC favorisent l’émergence de pratiques moins nobles, voire totalement répréhensibles. L’escroquerie, la pornographie, la pédophilie, la xénophobie, la traite et l’exploitation d’êtres humains constituent la part d’ombre des TIC.

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Cette facette moins reluisante appelle, de toute évidence, l’introduction d’une dimension éthique dans la gestion et l’utilisation des TIC. Les contenus d’internet en particulier font débat, notamment dans le cadre de la lutte contre la cybercriminalité et le terrorisme. Il en est de même des atteintes à la vie privée et aux données confidentielles des particuliers, des entreprises, voire des Etats.

Après tout, même les Etats unis ont été obligés de conclure un cessez-le-feu avec Wikileaks. Pour promouvoir un développement constructif des TIC et préserver les valeurs universelles (liberté, égalité, solidarité, tolérance) ainsi que le partage des responsabilités, il faut une gouvernance mondiale des TIC et une adaptation des politiques destinées à encadrer leur croissance.

Sur le plan national, le développement de l’agence de régulation des TIC apparait comme l’une des priorités des pouvoirs publics congolais afin de réglementer le marché de l’information tout en configurant le monde virtuel selon un modèle libéral. C’est à la fois un défi et un enjeu pour la communauté, et tout particulièrement, pour ceux d’entre ses membres qui sollicitent notre suffrage.

o Georges-Jérémie Wawa Georges-Jérémie Wawa est Docteur en sciences de l’information et de la communication. Agé de 56 ans, il fait partie de ceux qui ont passé plus d’un quart de siècle à l’Institut Facultaire des Sciences de l’Information et de la Communication (IFASIC). En 1986, à 30 ans à peine, il y est admis comme Assistant en presse écrite. Il a ensuite gravi tous les échelons avant de décrocher son titre de Docteur en sciences de l’information et de la communication en novembre 2011.

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h « Ton vote compte ». La CENI est également présente sur le terrain. Ses animateurs rappellent les procédures de votes.

Dol électoral Terme essentiellement juridique, le dol est défini comme l’ensemble des agissements trompeurs ayant entraîné le consentement qu’une des parties à un contrat n’aurait pas donné, si elle n’avait pas été l’objet de ces manœuvres. lus simplement, le dol désigne un comportement malhonnête qui consiste à gruger quelqu’un. Cette tromperie peut prendre la forme d’une manœuvre frauduleuse, d’un

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mensonge ou parfois d’une réticence. Le contrat n’est pas que commercial ou civil. Il peut être politique, électoral et, dans ce cas, aura pour objet un programme de gouvernement qu’il ne faut nullement confondre avec un projet de société, ou encore moins une idéologie. Un programme de gouvernement est une programmation raisonnée et cohérente des objectifs à atteindre, des actions à mener, des ressources nécessaires à mobiliser

Paroles de citoyens q mars 2012

ainsi que d’un chronogramme conséquent pour ce faire. Un projet de société est, par contre, la projection d’un mode de vie que l’on entend instaurer dans ladite société. Il demeure un idéal à atteindre dicté par l’idéologie du parti. A ce titre, il est permanent, quasi intemporel; tandis que le programme de gouvernement reste ponctuel et dynamique, réalisable dans un temps précis afin de tendre vers la société rêvée.

De toute la vie politique, la période de campagne électorale demeure la meilleure occasion de marchandage de contrats entre candidats concurrents et électeurs. C’est le moment par excellence du déploiement de la communication politique. Sur ce terrain, les candidats rivalisent et mobilisent toutes les formes et tous les supports possibles et imaginables. De la communication interpersonnelle, à travers les meetings politiques et le porte-à-porte, à la communication la plus médiatisée, à travers la radio, la télévision, le mobile et Internet, tout cet arsenal est utilisé pour vendre les programmes. Pourtant, lors de la campagne électorale qui s’est clôturée le 26 novembre dernier, de nouveaux paradigmes de communication politique ont vu le jour. Les candidats ont visiblement évité tout contact physique avec l’électorat, au profit des clips et jingles promotionnels ainsi que des banderoles, tracts, affiches et panneaux publicitaires qui n’ont de place que pour des slogans lapidaires. Vraisemblablement par manque de programme cohérent et convaincant. Autant ne pas se frotter aux foules quand on n’a pas de discours, au risque d’essuyer des critiques frontales. C’est la stratégie. Le cardinal Monsengwo l’a d’ailleurs dénoncé dans une conférence de presse. Bien plus, les clips, jingles, calicots et affiches de la plupart des candidats omettent de mentionner les dénominations des formations

ou tendances politiques auxquelles ils appartiennent. Seuls, les noms des candidats apparaissent. Parfois, les calicots ne mentionnent que le numéro d’ordre sur les listes électorales. Pire, des candidats s’y réclament parfois des forces politiques adverses.

De la toute la vie politique, la période de campagne électorale demeure la meilleure occasion de marchandage de contrats entre candidats concurrents et électeurs. C’est le moment par excellence du déploiement de la communication politique. A Kinshasa par exemple, quelques formations politiques, victimes de telles astuces, ont dénoncé ces pratiques frauduleuses en tout début de la campagne électorale. Apparemment, sans succès. Pourtant, au-delà des programmes et de la valeur intrinsèque des candidats, les électeurs suivent aussi les tendances politiques. Le phénomène « fourmi » observé à Kinshasa en 2006 est, à ce point, très éloquent. Beaucoup d’électeurs kinois avaient voté pour des gens qu’ils ne connaissaient guère, en l’occurrence les candidats du Mouvement pour la Libération du Congo qui avait alors le vent en poupe dans la capitale congolaise. Cette réticence à aller à la rencontre des électeurs et la langue de bois utilisée sur quasi tous les sup-

ports de communication cachent mal une supercherie. Elle aurait pour objectif de dissimuler les carences des programmes, le positionnement ou l’appartenance politique des candidats. Cela corrompt le contrat électoral, étant donné que les électeurs, l’autre partie au contrat, ne sont pas mis dans les meilleures conditions pour donner leur consentement. Mais à présent que se dessinent les premières tendances postélectorales, et que les secrets des urnes se dévoilent au rythme des bulletins compilés, l’on s’attend à ce que les anonymes d’hier se mettent en évidence et revendiquent des couleurs, programmes et « idéologies » politiques qu’ils n’ont pu assumer pendant la campagne. Même si ça peut être politiquement correct, c’est loin de l’être moralement. o Claude Mukeba

h (Photos : Etienne Kokolo)

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Parole

Parole pour transformer ses potentialités en richesses; elle peine surtout à donner de la place aux masses laborieuses dans le processus de création des richesses nationales. Cela s’explique selon moi parce que les axiomes de base de notre processus de développement reposent sur l’extraversion mentale, productive et managériale. Notre gouvernance politique, économique, sécuritaire et électorale, pour ne citer que cela, est bâtie avec des référents extérieurs à la société congolaise. Elle est surtout voulue pour rassurer l’extérieur et moins pour impliquer la nation dans l’idéal de bâtir un pays commun. Tenez. Des tracteurs ont été distribués. Peut-on aujourd’hui savoir dans quel état ils se trouvent ? Peut-on connaitre la superficie emblavée et la production qui en résulte? Peut-on dire que cette

La RDC tangue en cette période de vive tension électorale et les défis de son développement intégral ne font pas partie, de manière explicite, des débats ni des candidats, ni de la société. n dépit des ressources de son sol et de son sous-sol, qui lui ont valu le qualificatif de « scandale géologique », ce pays de plus de deux millions de km2 n’est toujours pas en mesure d’offrir des conditions de vie décentes à ses concitoyens. Les quelques 67 millions de Congolais dont plus de 70 % vivent en milieu rural, sont dans leur grand nombre désœuvrés faute d’une réflexion globale traduite en stratégie claire de mobilisation sociétale autour de l’idéal non seulement de vivre ensemble, mais de mieux vivre tout simplement. Cela passe par la restitution aux communautés rurales et

E

politiques pensées sans lui, aucun véritable progrès économique ne se fera jour. Ni demain, ni aprèsdemain. Or, la participation des populations à leur propre bien-être ne peut être qu’un processus d’appropriation de leur propre destin. Dès le départ, il importe de les

Si le citoyen n’est pas acteur du développement et qu’il est cantonné à l’unique rôle de consommateur de décisions politiques pensées sans lui, aucun véritable progrès économique ne se fera jour. associer à l’identification de leurs besoins, à leur hiérarchisation en termes de priorités, à l’élaboration des voies et moyens pour résoudre leurs difficultés et à la mise en

Pour un développement intégral en RDC périurbaines essentiellement des capacités d’initiatives et d’actions. Car rien ne garantit que les imposants ouvrages publics en cours d’édification génèrent du mieux-être pour le plus grand nombre. En effet, le développement d’une nation procède d’un processus laborieux par lequel les instances de production accroissent leurs capacités et où la circulation des capitaux, des biens et services 34

répondent à des utilités sans cesse croissantes. L’accumulation de la richesse produite de manière optimale est relayée par un processus de redistribution entre acteurs et au sein de la société de telle sorte que les retombées de cette accumulation sont généralisées. Hier et aujourd’hui, la RDC peine à rassurer les investisseurs sérieux à cause d’un climat d’affaires peu rassurant; elle peine davantage

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mécanisation-là était LA solution ? Peut-on savoir comment ont été menées les consultations qui ont conduit à privilégier l’achat des tracteurs en lieu et place de l’amélioration des voies de desserte agricole et de la facilitation des débouchés pour ce qui est déjà produit en milieu rural ? C’est dire que si le citoyen n’est pas acteur du développement et qu’il est cantonné à l’unique rôle de consommateur de décisions h (Photo : Etienne Kokolo)

application de ces mesures. Ainsi, se sentant eux-mêmes impliqués au processus de leur propre bienêtre, les citoyens s’investiront à atteindre effectivement ce bienêtre collectif. Tels sont les défis du développement intégral de la RDC au cours de la décennie à venir. o Didier MUBINZI K.Naken Didier Mubinzi est chercheur en bonne gouvernance, en gestion des projets de développement et en management des organisations.

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Parole

Parole

Vivre à Kinshasa ou mourir ! h A Kinshasa, la Place de la Victoire est prise d’assaut par les candidats et leurs banderoles. (Photo : Etienne Kokolo)

Combien d’âmes compte la ville-province de Kinshasa ? Nul ne le sait avec précision. C’est la guerre des chiffres entre statisticiens. es projections des uns avancent le chiffre de dix millions d’habitants, quand d’autres sources évoquent le chiffre de huit millions. Oui, Kinshasa étouffe sous le poids de l’exode rural. Cela se voit et cela se vit aux quatre coins de la capitale. Qui n’a pas été marqué par les marées humaines aux abords du boulevard Lumumba, dès l’arrivée à Kinshasa par l’aéroport de N’Djili ? Place Victoire, rond-point Ngaba, centre-ville Gombe, Place Kitambo magasin, Beach Ngobila…

L

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Tous ces quartiers de la capitale démontrent combien Kinshasa est saturé. Quatre cent mille habitants en 1960 lors de l’accession du pays à l’indépendance, dix millions en 2010 lors de la célébration du Cinquantenaire.

Pour beaucoup de Congolais, les élections sont une opportunité d’affaire à indice de rentabilité très élevée Kin-la-belle est rapidement devenue Kin-la-poubelle par la force de choses. De l’est à l’ouest du pays et du nord au sud, chaque Congolais n’a qu’un objectif : s’établir à Kinshasa. Pourquoi ?

Paroles de citoyens q mars 2012

Je ne vais pas tenter de répondre à cette question, ni tenter de savoir comment nous en sommes arrivés à ce chiffre donnant le vertige. Je veux simplement rappeler qu’avec l’augmentation démesurée de la population, la qualité de la vie du Kinois a considérablement baissé. L’air devient irrespirable, la salubrité laisse à désirer, la mobilité est apocalyptique. Comment apporter des solutions à ces différents problèmes et donner à Kinshasa une allure présentable aux yeux des Congolais et des étrangers. En dehors des théories économiques qui présentent les mesures à prendre pour ralentir l’exode rural, je précise aussi que certaines décisions politiques peuvent également contri-

buer à soulager la population kinoise. Jugez plutôt. Toutes les institutions nationales (ou la majorité d’entre elles) et internationales ont leurs sièges à Kinshasa : la Présidence de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat, la Primature, les cours et tribunaux, la Banque du Congo, les banques commerciales, les régies financières, la direction générale des migrations, les multinationales… Bref toute la vie politique, sociale, judiciaire et économique de la RDC est centralisée à Kinshasa. Cette concentration de l’activité amène de nombreux Congolais, fonctionnaires ou non, à passer des semaines ou des mois dans la capitale pour la gestion

d’un dossier administratif ou dans l’attente d’une simple autorisation. C’est Kinshasa ou rien ! En conséquence, tout le monde veut vivre à Kinshasa. A ce rythme, il n’est pas impossible que la ville atteigne 15 ou 20 millions d’habitants d’ici quelques années ! Seule une décision de l’État peut inverser la tendance. Pourquoi ne pas décentraliser les cours et les tribunaux à Kisangani, le Sénat à Kananga, l’Assemblée nationale à Lubumbashi, la Direction des affaires à Matadi ? Est-ce surréaliste d’imaginer cette dispersion des structures ? Dans une certaine mesure, non. L’Afrique du Sud, la France, l’Allemagne ou encore l’Union européenne nous offrent des exemples réussis de répartition géographique de leurs institutions. Vous allez évoquer l’absence de confort dans certaines régions de la RDC, mais les institutions n’ont-elles pas l’obligation d’améliorer l’image ou les com-

modités de leur ville d’adoption, afin de la rendre plus agréable à vivre et d’attirer vers elle de nouveaux habitants ? Pourquoi le Kanangais chercherait-il le confort de Kinshasa s’il trouve un cadre de vie agréable et fonctionnel à Kananga ? Chaque province de la RDC devrait être en mesure d’attirer le Congolais pour une raison bien déterminée. Il y a quelques années, on allait à Lubumbashi pour certaines études et à Kisangani pour d’autres. Gérer, c’est prévoir. Les nouveaux élus devront se soucier du bien-être de la population et penser à son avenir. La mise en valeur des villes de provinces pourrait être une solution pour freiner l’éternel exode des populations vers Kinshasa, déjà largement saturée. o Simon Kabamba Simon Kabamba Muamba est technicien en développement communautaire, journaliste-chroniqueur des questions de développement, cofondateur de l’ONG «PAFSID» à Mbuji Mayi. Ancien Rédacteur en chef à la RTDK, il actuellement Directeur de la radio RTG@

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Parole Les élections ont eu lieu et le président élu a prêté serment. Après quelques jours de vive tension, les choses commencent à rentrer progressivement dans leur ordre normal. es enfants ont repris le chemin de l’école, les routes ont renoué avec les embouteillages, les bistrots attendent de nombreux clients pour les fêtes de fin d’année. Bref, la parenthèse des élections se referme sans que les vrais problèmes n’aient été discutés ou tout simplement évoqués. Sur les calicots, affiches, banderoles, dépliants ou panneaux géants nous avons vu les visages souriants et séducteurs des candidats, lu des slogans de campagnes savamment formulés, mais sans vraiment connaitre leurs programmes pour les cinq prochaines années. Et lorsqu’ils avaient l’occasion de nous les présenter dans les médias, très souvent nous n’avons eu droit qu’à des démonstrations intellectuelles sans liens directs avec notre indi-

Parole

L

En dehors d’une infime minorité qui détient illégitimement le pouvoir économique et financier au détriment de la majorité, il est surprenant de remarquer qu’en RDC, chômeurs et fonctionnaires, vivent quasiment de la même manière: les uns et les autres doivent se couper en quatre pour satisfaire les besoins de base. 38

h A Lubumbashi, le ciel est serein pour le candidat Kabila. (Photo : Etienne Kokolo)

L’essentiel n’est pas dans l’urne gence qui ne nous permet pas de goûter à leur brillante rhétorique. En effet, nul n’ignore l’importance du pouvoir d’achat dans la vie sociale. S’il faut le comprendre comme la quantité des biens et services à acquérir avec un revenu salarial, le pouvoir d’achat d’un individu constitue un indicateur essentiel qui mesure le niveau de vie d’un peuple ainsi que la santé de son économie et de son bien-être. Le revenu salarial vient du travail. Celui-ci est un facteur indispensable de la production et de la croissance.

Paroles de citoyens q mars 2012

En RDC, plus de 70% de la population active n’est pas concernée par le travail productif au sens qu’il génère un revenu salarial repris dans la comptabilité nationale. En termes simples, cela signifie que le gros de la population congolaise est chômeur. On touche là à l’essence d’un peuple frappé par une misère ou une pauvreté accentuée: le manque de données statistiques et la difficulté des programmes de lutte contre la pauvreté à chiffrer par exemple le nombre

d’emplois à créer pour résorber le chômage. Un premier défi pour les « futurs » gouvernants ! En dehors d’une infime minorité qui détient illégitimement le pouvoir économique et financier au détriment de la majorité, il est surprenant de remarquer qu’en RDC, chômeurs et fonctionnaires vivent quasiment de la même manière: les uns et les autres doivent se couper en quatre pour satisfaire les besoins de base (manger, se loger, se soigner, se vêtir), scolariser les enfants

(beaucoup ne vont plus à l’école, sinon à tour de rôle), sans même parler de l’épargne, totalement inexistante dans un tel contexte. Pourtant, les rares fois où il y a eu un débat de fond, le gouvernement sortant s’est empressé de revendiquer, sans le démontrer, une croissance économique à deux chiffres. Mais l’exploit sur papier, n‘a pas été ressenti comme tel par la population. En 2005, avec un salaire de 12.500 FC, un huissier de l’Etat pouvait acquérir un sac de manioc ou un

carton de mpiodi. Mais en 2011, avec 50.000 FC, le même huissier ne peut y parvenir. Or, en termes absolus, son revenu nominal a augmenté tandis que la quantité des biens et services à acquérir, c’est-à-dire son pouvoir d’achat a baissé. Dans ce cas, quel est l’impact de la croissance à deux chiffres sur la vie de cet huissier ? La réponse saute aux yeux : il est négatif. Pour survivre, le pauvre chômeur ou fonctionnaire qui a une famille à charge n’a d’autre choix que de voler et frauder. Prenons un autre exemple. Entre 2002 et 2011, le prix de transport en commun est passé de 50 FC à 350 FC. L’Etat ne subventionne plus l’importation des produits pétroliers. Dès lors, c’est à la population de payer cette mauvaise gouvernance chronique des affaires publiques. Ces quelques chiffres en disent long sur les maux qui rongent notre pays. En participant massivement aux élections du 28 novembre, les Congolais ont exprimé leur soif de changement. Gageons que le message ait été entendu par nos dirigeants. o JOHN MUNIE KITOKO John Munie Kitoko est économiste.

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Parole Décidément, la tenue d’élections transparentes permettant le renouvellement démocratique de notre classe dirigeante n’est toujours pas une habitude ancrée dans les mœurs politiques et sociales de la RDC. inq ans après des élections placées sous la haute surveillance de la Communauté internationale, celles-ci revêtaient à nouveau une importance énorme et devaient contribuer à l’enracinement d’une culture politique démo-

C

Parole fierté nationale, le gouvernement avait pris l’option de donner une couleur nationale au scrutin, en prenant en charge 80 % de son budget, contre seulement 20% en 2006. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) avait reçu la mission de mener à bien ce défi et, aux dires de son président, les moyens financiers mis en œuvre ont été à la hauteur des ambitions nationales. Mais plus de trois semaines après la tenue du scrutin, la paix a du

h Un camion roule pour plusieurs candidats. Tout est possible !

tous état de nombreuses irrégularités qui ont émaillé le processus électoral, mais sont très nuancés sur la gravité et la portée de ces fautes. Pour le Centre Carter, pour l’Eglise catholique et pour la Mission d’observation électorale de l’Union européenne, il y a lieu de déplorer le manque de transparence et les irrégularités dans la collecte, la compilation et la publication des résultats. « Il incombe aux acteurs politiques et aux institutions congolaises de mener leur propre

Pourtant, le gouvernement de la République, à la suite de la CENI, tout en reconnaissant quelques irrégularités, s’est dit satisfait du bon déroulement du scrutin et pense que le peuple congolais peut être fier d’avoir relevé le défi et réalisé ce que le président de la CENI qualifie de «miracle électoral congolais». Ce constat est largement partagé par la mission d’observation de la Communauté de développement d’Afrique australe. Au-delà de la crédibilité du processus, la confirmation des

h Vendredi 9 décembre. Le Président de la CENI annonce la victoire de Kabila avec 48,95 % des voix.

tiative de la majorité au pouvoir, laissent planer des suspicions de fraudes planifiées. Cela ouvre un débat encore plus complexe, celui de la légitimité du président élu.

La raison se chamaille avec la conscience, l’intérêt commun est mis à mal par mon amour-propre d’électeur leurré.

On le voit, ce n’est pas à un choix que nous sommes confrontés, mais à des dilemmes: faut-il fermer la parenthèse des élections et poursuivre avec le sentiment d’avoir peut-être cautionné la fraude ou faut-il exiger la « vérité des urnes » au risque d’ouvrir une épreuve de force avec des « institutions légalement établies » ? Dans mon esprit, les théories de la libération et de la résistance s’affrontent avec celles de la nonviolence et avec mes vertus d’homme de paix. La raison se

h A l’issue de sa prestation de serment, le Président Kabila reçoit les chefs traditionnels.

Elections 2011 : un rendez-vous manqué ? cratique basée sur l’Etat de droit. Nous étions donc nombreux à espérer que ce rendez-vous permettrait de tourner définitivement la page de près de deux décennies de guerre. Fort de ce challenge et dans un élan de 40

mal à conquérir nos esprits troublés par la complexité de la situation générée par les élections, comme s’il nous restait un choix cornélien à faire. Les rapports d’observation et d’organisation des élections font

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examen des résultats des élections et d’identifier les solutions à la situation ». L’archevêque de Kinshasa va plus loin en affirmant que « les résultats publiés ne sont conformes ni à la vérité, ni à la justice ».

résultats par la Cour suprême a ouvert la voie à une opposition entre légalité et légitimité. En effet, les irrégularités relevées plus haut, sur fond d’une révision constitutionnelle précipitée opérée en début d’année à l’ini-

Et comme dans le premier cas, le citoyen doit se prononcer soit en faveur du droit dit par la Cour suprême et ignorer les irrégularités relevées, soit en faveur de la démocratie et exiger plus de transparence de la part de la CENI.

chamaille avec la conscience, l’intérêt commun est mis à mal par mon amour-propre d’électeur leurré. o Effy MASINY Effy Masiny est fonctionnaire au sein de l’administration fiscale provinciale de Kinshasa et libre penseur.

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Élection présidentielle2011 République du Démocratique Congo

Nombre d'électeurs inscrits 32 024 640 Nombre de bulletins validés 18 143 104 Bulletins blanc ou nul 768 468 Taux de participation 58,81%

Résultats par province BANDUNDU Nom

KABILA KABANGE JOSEPH TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE KAMERHE LWA-KANYIGINYI VITAL

BAS CONGO Nom

TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE KABILA KABANGE JOSEPH KAMERHE LWA-KANYIGINYI VITAL

EQUATEUR Nom

KENGO WA DONDO LEON TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE KAMERHE LWA-KANYIGINYI VITAL

KASAI OCCIDENTAL Nom

TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE KABILA KABANGE JOSEPH ANDEKA DJAMBA JEAN

KASAI ORIENTAL Nom

TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE KABILA KABANGE JOSEPH ANDEKA DJAMBA JEAN

42

Livret

#

1 q Mars 2012

Voix 1 419 619 378 182 32 251

% 73,40 19,55 1,67

REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

ÉQUATEUR

Voix 1 026 528 295 477 6 319

% 75,67 21,78 0,47

Voix 976 145 366 380 7 610

% 70,41 26,43 0,55

NORD KIVU

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO Bandundu

BANDUNDU

KINSHASA Matadi

% 39,89 19,55 1,67

Voix obtenues 8 880 944 5 864 775 1 403 372 898 362 311 787 285 273 128 820 126 623 92 737 78 151 72 260

KASAI ORIENTAL

Voix 1 162 183 544 529 67 288

% 64,09 30,03 3,71

Voix 433 482 36 308 14 548

% 86,67 7,26 2,91

Voix 712 317 423 376 389 350

% 38,78 23,05 21,20

Voix 599 825 558 564 132 826

% 44,74 41,67 9,91

Voix 1 279 912 282 184 155 232

% 62,28 13,73 7,55

OUGANDA

MANIEMA

Goma Bukavu

Pourcentage 48,95% 32,33% 7,74% 4,95% 1,72% 1,57% 0,71% 0,70% 0,51% 0,43% 0,40%

Résultats par province TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE KABILA KABANGE JOSEPH KAMERHE LWA-KANYIGINYI VITAL

Kisangani

Mbandaka

CONGO (Brazaville)

% 74,04 19,86 1,58

Voix 772 202 378 182 32 251

Kabila Joseph Tshisekedi Etienne Kamerhe Vital Kengo Léon Mbusa Antipas Mobutu François Andeka Jean Bombole Adam Kakese François Mukendi Josué Kashala Lukumuena

Nom

PROVINCE ORIENTALE

BAS CONGO

Candidats

KINSHASA

CAMEROUN

GABON

Voix 626 482 168 000 13 404

SOUDAN

Résultats nationaux

RWANDA

Kindu SUD KIVU BURUNDI

MANIEMA

Nom

KABILA KABANGE JOSEPH KAMERHE LWA-KANYIGINYI VITAL TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE

KASAI OCCIDENTAL

Kinshasa

Kananga

TANZANIE

Mbuji Mayi

Nom

KABILA KABANGE JOSEPH KAMERHE LWA-KANYIGINYI VITAL TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE

KATANGA

ANGOLA

SUD KIVU Nom

Lubumbashi

KABILA KABANGE JOSEPH KAMERHE LWA-KANYIGINYI VITAL TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE

ZAMBIE

KATANGA Nom

KABILA KABANGE JOSEPH TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE KAMERHE LWA-KANYIGINYI VITAL

NORD KIVU

Voix 2 823 234 378 182 34 297

% 89,97 19,55 1,09

PROVINCE ORIENTALE Nom

KABILA KABANGE JOSEPH TSHISEKEDI WA MULUMBA ETIENNE KAMERHE LWA-KANYIGINYI VITAL Livret

#

CENI 1 q Mars 2012 Source :43


Élection Présidentielle 2011 en RDC

Cette édition spéciale du Journal du Citoyen a été réalisée dans le cadre du projet « Dispositif d’urgence pour la couverture médiatique des élections - DUEL », mis en œuvre par Panos Paris en RDC.

Avec le soutien du Programme interbailleurs Médias pour la démocratie et la transparence en RDC

Retrouvez le Journal du Citoyen, le Rendez-vous du Citoyen, les photos de la campagne ainsi que toute l’actualité congolaise sur www.lesmediasducitoyen.cd

f Edition spéciale du Journal du Citoyen f Mars 2012


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