Cahier médias pour la paix

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Le

Cahier médias

paix

pour la

DOSSIER f Les bonnes ondes d’OGL

Synthèse

f A l’écoute des auditeurs

Perspectives

f Paix et sécurité dans les Grands Lacs f Le développement économique en zone de conflit f Les effets de l’intégration régionale

Quand l’information dépasse les frontières


le Dossier OGL

La meilleure circulation d’une information professionnelle est un premier pas vers une paix durable.

Ondes Grands des

Lacs

Quand l’information dépasse les frontières.

Début 2009, sous l’impulsion de Domitille Duplat-Saunier et de Marie Soleil Frère, Panos Paris débutait la mise en œuvre du projet Ondes des Grands Lacs (OGL), un projet visant à soutenir le processus de paix et de réconciliation en cours entre le Burundi, le Rwanda et la RDC en favorisant la mise en réseau des médias de la région et en encourageant le dialogue transfrontalier sur des thématiques sensibles et communes. Ce projet était une réponse à un contexte politique, social et humanitaire tendu au sein ou entre ces trois pays depuis le début des années 90. En effet, les années de conflits avaient généré un ressentiment des communautés les une envers les autres, offrant aux seigneurs de guerre un terreau fertile à leur action de manipulation des esprits. Des tensions en constante évolution toutefois, grâce aux efforts de paix entrepris par les pays eux-mêmes, leurs sociétés civiles et les instances régionales et internationales. Durant ces 20 dernières années, les médias n’ont pas toujours été de simples observateurs des tragiques événements. Manipulés par les forces politiques, ils ont parfois joué un rôle néfaste dans l’attisement des tensions. A l’inverse, certains organes de presse et certains professionnels de l’information ont fait la preuve de leur capacité à se mobiliser pour le retour de la paix, à travers un journalisme responsable et professionnel. Le Projet OGL entendait soutenir cette mobilisation médiatique et accompagner les journalistes dans leur mission la plus noble : informer le public en toute indépendance et faciliter l’accès de ce public à l’information de qualité. Pour y parvenir, et par conséquent, contribuer à la réconciliation régionale, le projet avait pour objectif d’encourager une collaboration durable entre les médias de la région et de soutenir la production d’une information professionnelle facilitant la compréhension des enjeux locaux et régionaux et favoriser la circulation de l’information entre les trois pays. La conviction de Panos Paris était qu’une meilleure circulation d’une information professionnelle et non partisane sur les réalités et les problématiques régionales pouvait encourager un sentiment d’appartenance commun, une meilleure compréhension, par chaque population nationale, de l’histoire et du vécu des citoyens des deux autres pays, ce qui constitue le premier pas vers une paix durable.

Pari réussi ?

L’enthousiasme des associations et médias partenaires ainsi que l’énergie déployée durant trois ans par l’ensemble des équipes de Panos Paris coordonnée par Aziza Bangwene nous pousse à le croire. à travers les témoignages de journalistes, de chercheurs et les conclusions d’une étude d’auditoire menées dans cinq villes du Rwanda, du Burundi et de la RDC, ce Cahier des Médias pour la Paix va vous permettre de vous forger une opinion.

Bonne lecture.

Introduction


le Dossier OGL

Les bonnes ondes

d’OGL

Trois ans de projet OGL, 41 journalistes formés, plus de 3000 reportages audio postés et des défis à l’infini. Quel bilan dresser d’Ondes des Grands Lacs? Comment capitaliser? Quelles perspectives?

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le Dossier OGL

Les bonnes ondes

d’OGL Mission impossible. Dans le débriefing de ce projet par les principaux intéressés, une question moins déprimante est posée à chacun: comment voient-ils évoluer le projet au cas où il pourrait être reconduit? Les langues se délient. Les idées foisonnent. Mais revenons au point de départ. Au commencement était le verbe. C’est l’outil des journalistes pour le meilleur et pour le pire. Dans la région des Grands Lacs comme partout ailleurs dans les pays du Sud, la radio demeure de loin le médium le plus populaire en termes d’audience. Le foisonnement des radios communautaires et associatives témoigne du potentiel formidable et intact de ce vecteur de développement et de démocratie. Mais l’histoire récente et dramatique de la sous-région atteste aussi que des médias radiophoniques ont parfois attisé des tensions et répandu une propagande haineuse.

Réunion de rédaction OGL à Bujumbura

Trois ans de projet OGL, 41 journalistes formés, plus de 3000 reportages audio postés et des défis à l’infini. Quel bilan dresser d’Ondes des Grands Lacs? Comment capitaliser? Quelles perspectives? Hôtel de l’Amitié, le bien nommé, à Bujumbura, le 26 mai 2012. Le dernier atelier de la troisième et dernière année du projet OGL est terminé. Avant de rejoindre leurs foyers et leurs rédactions distants de quelques minutes pour les Burundais, de quelques heures pour les Rwandais, de deux ou trois jours de correspondances en combinant minibus et avions pour les Congolais de Bunia, Kisangani, Lubumbashi ou de Kinshasa, les douze journalistes d’Ondes des Grands Lacs (OGL) «saison 3» se réunissent une dernière fois, à la demande de Pierre Martinot de l’Institut Panos Paris (IPP) pour trouver la «chute» d’une aventure journalistique exceptionnelle.

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Depuis une dizaine d’années, l’Institut Panos Paris (IPP) s’est investi en Afrique centrale avec des activités intrinsèquement liées à son identité et à sa vision d’un monde «dans lequel s’édifient des sociétés ouvertes, démocratiques et durables qui aspirent à la justice sociale à l’intérieur des pays et entre eux, avec des flux libres et diversifiés d’information et de communication à travers des médias indépendants et pluriels.» Bien sûr et heureusement, IPP n’est pas le seul acteur sur ce terrain. D’autres ONG et bailleurs de fonds s’impliquent depuis des années à aider la presse de ces pays. En RDC, Radio Okapi, «la radio de la paix» qui a commencé à émettre le 25 février 2002, date de l’ouverture du dialogue intercongolais à Sun City n’est pas que la voix de la Mission de la paix des Nations unies (MONUC), elle a une assise nationale, est captée dans tout le pays avec des desks dans les cinq langues nationales. Mais demeure le défi de l’autonomie. Comme l’écrit Marie-Soleil Frère, spécialiste des médias en Afrique francophone et experte associée à IPP, «... issue d’une volonté exogène, elle peine à trouver les modalités d’une inscription durable dans le paysage médiatique congolais.» (1)

Près du marché de Muyinga lors d’un reportage conjoint Ondes des Grands Lacs.

La responsable de Panos Paris pour la RDC en 2006, Aziza Bangwene n’est pas prête d’oublier ces années de transition: «On partait de rien. Il fallait accompagner le pays vers les premières élections démocratiques. IPP a aidé à mettre en place l’instance de régulation et les organisations professionnelles des médias. Au niveau des organes de presse, nous avons organisé des formations des journalistes sur le traitement de l’information en période électorale, sur les questions de déontologie, nous avons renforcé les capacités matérielles avec, ce que nous avons appelé, les pôles d’appui Certaines radios ont eu leur premier aux radios indépendantes. ordinateur et se sont connectées à Certaines radios ont eu leur premier ordinateur et se sont Internet pour la première fois grâce à IPP connectées à Internet pour la première fois grâce à IPP.» Peu à peu, l’urgence a fait place à une réflexion plus stratégique sur le long terme. Au Burundi, Alice Hakizimana de Radio Bonesha FM, la première radio indépendante née après la guerre, se souvient de la frustration qui suivait immanquablement ses collaborations avec IPP: «Nous couvrions à plusieurs des événements comme le Forum social à Nairobi en 2006, la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs, nous entrions en contact entre journalistes de différents pays, collaborions pendant quelques jours, puis cela s’arrêtait, c’était ponctuel, insuffisant. J’avais envie d’aller plus loin et je n’étais pas la seule.»

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le Dossier OGL Il y avait des moments de grande tension, des disputes verbales, mais nous pouvions aisément parler avec tout le monde

Ravitaillement sur la route de Bukavu pour une équipe de reporters d’Ondes des Grands Lacs.

Porté par Domitille Duplat-Saunier d’IPP, le projet «Ondes des Grands Lacs» prend forme, avec le soutien de l’Union européenne, de la coopération suédoise (SIDA) et de Cordaid (2). « OGL était une réponse à un contexte politique, social et humanitaire tendu au sein ou entre les pays depuis le début des années 90. En effet, les années de conflits avaient généré le ressentiment des communautés les unes envers les autres, offrant aux seigneurs de guerre un terreau fertile à leur action de manipulation des esprits. Des tensions en constante évolution toutefois, grâce aux efforts de paix entrepris par les pays eux-mêmes, leurs sociétés civiles et les instances régionales et internationales. Durant ces 20 dernières années, les médias n’ont pas toujours été de simples observateurs des tragiques événements. Manipulés par les forces politiques, ils ont parfois joué un rôle néfaste dans l’attisement des tensions. A l’inverse, certains organes de presse et certains professionnels de l’information ont fait la preuve de leur capacité à se mobiliser pour le retour de la paix, à travers un journalisme responsable et professionnel» rappelle Domitille Duplat-Saunier. «C’était un projet plus pointu que ce que nous avions fait auparavant dans la région. IPP voulait travailler avec un nombre limité de partenaires et de manière plus approfondie: douze radios partenaires au sein d’un réseau transfrontalier visant à favoriser la production d’une information professionnelle sur des thématiques sensibles et communes pour soutenir le processus de paix et de réconciliation» explique Aziza Bangwene. Pratiquement, le projet prévu sur trois années vise une meilleure circulation de l’information et cible la formation journalistique d’un ou d’une journaliste par radio durant douze mois à l’occasion d’ateliers où le travail en équipe et la mise en commun sont favorisés. Les

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reportages produits sur des thématiques sensibles et communes aux trois pays alimentent l’agence de presse Echos Grands Lacs. Chez eux, les journalistes «ogélistes» mettent sur la plate-forme leurs sujets et ceux de leurs collègues qu’ils estiment susceptibles d’intéresser les autres radios. Le choix est validé par le rédacteur en chef de l’agence. Puis, dans le sens inverse, les journalistes ogélistes sélectionnent les sujets postés sur l’agence pour les proposer à la diffusion à leurs rédactions et pour réaliser des émissions hebdomadaires «Ondes des Grands Lacs». Le premier atelier se déroule à Bujumbura du 24 août au 4 septembre 2009. Sur papier, le projet est viable, budgétisé, planifié. Deux formateurs et un webmaster sont recrutés, Aziza Bangwene coordonne le projet. Et pourtant l’appréhension est générale. Lucien Maheshe, rédacteur en chef de Radio Neno La Uzima (RDC): «A l’époque, la tension était très palpable, les rancœurs tenaces entre les Rwandais et les Congolais. Je redoutais ces premiers contacts. En même temps, j’étais très curieux et impressionné de faire la connaissance d’Emmanuel Rushingabigwi, leformateur rwandais. Pour la petite histoire, la voix d’Emmanuel , je la connaissais depuis l’enfance. J’écoutais ses reportages sur la Deutsche Welle, alors le rencontrer en chair et en os!» Les douze premiers journalistes choisis et délégués par leurs directions au projet OGL ont beau être expérimentés et occuper des postes en vue dans leurs rédactions, ils n’en menaient pas large au moment de démarrer l’atelier. Mais le fait de travailler en équipe réduite permettait de désamorcer rapidement les conflits. Aziza Bangwene: «Il y avait des moments de grande tension, des disputes verbales, mais nous pouvions aisément parler avec tout le monde et les convaincre de se réconcilier.» Rémy Harerimana: «L’atelier

se déroulait chez moi à Bujumbura, et pourtant je partais dans l’inconnu. Il se disait que des Burundais avaient combattu en RDC. Comment ces Congolais allaient-ils me considérer? Nous avions les nerfs à fleur de peau. Je me souviens d’avoir, le premier jour, osé poser timidement une question à mon voisin congolais. En fin de compte, je réalisais que nous avions beaucoup de choses en commun.» Peu à peu, la curiosité envers l’autre -tout de même une qualité intrinsèque au métier- va l’emporter sur la peur. Alice Hakizimana: «Compte tenu des contentieux entre pays, les formateurs ont drôlement bien géré le groupe, les échanges sont devenus plus conviviaux et cela s’est accentué de mois en mois à travers le groupe de discussion Yahoo et les ateliers suivants». Au retour du premier atelier, de « Diffuser des sujets rwandais ici à nouvelles craintes surgissent. Com- Bukavu, c’était quasiment inimaginable. ment les collègues J’avais franchement peur. » et les auditeurs vont-ils apprécier ce virage dans le traitement de l’information? «Diffuser des sujets rwandais ici à Bukavu, c’était quasiment inimaginable. J’avais franchement peur», admet Lucien Maheshe. Tous les autres «pionniers» comme ils s’appellent encore aujourd’hui, ont connu ces mêmes craintes. A Kisangani, où la population n’est pas prête d’oublier le déluge d’obus meurtriers de juin 2000 quand les armées rwandaise et ougandaise s’y affrontèrent, les premiers reportages rwandais et burundais repris par OPED FM suscitent l’hostilité de plusieurs auditeurs. Son rédacteur en chef Rex Yenga Ngongo qui participe personnellement à la première année d’OGL garde le cap. Les émissions réalisées en groupe lors de l’atelier de Bujumbura sont elles aussi diffusées sur la station. Puis d’autres reportages passent sur les ondes et, peu à peu, les Durant un reportage conjoint en mai 2012, un commerçant de Muyinga, une ville proche de la frontière tanzanienne, est interrogé par l’équipe OGL.


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réactions changent, la méfiance fait place à la curiosité et même à l’intérêt des auditeurs pour ces informations souvent inédites en provenance de deux pays si proches et pourtant si différents. Aziza Bangwene: «C’est récurrent. Après les doutes et après avoir écouté ces reportages, les auditeurs demandent aux journalistes comment ils s’y prennent pour obtenir pareilles informations. En s’ouvrant mieux au monde extérieur, OPED FM est devenue la meilleure radio de Kisangani après Radio Okapi. D’autres radios partenaires d’OGL enregistrent les mêmes évolutions.» Les préjugés valent aussi pour les journalistes. Les trois reporters rwandais ne se montrent pas du tout enthousiastes, c’est un euphémisme, à l’idée de rejoindre Goma pour le second atelier OGL. Malgré sa détermination à passer des reportages faits au Rwanda par des Rwandais sur sa station, Rex Yenga Ngongo rechigne à participer au troisième atelier à Kigali. Mais une fois sur place, il s’affranchit des clichés, se rend compte que les Rwandais ne lui font pas de problèmes. Avant l’atelier de Goma, les journalistes ont les mêmes appréhensions. Mustafa Mulopwe de Radio Kivu 1 en profite pour chambrer ses camarades à propos de l’hôtel où les ogélistes seront logés: «Les amis, bonne santé à tous. Juste pour vous dire que Bungwe, c’est un bon hôtel. Son emplacement est très sécurisé. Car il se trouve en face du bureau de renseignements militaires (TD), en diagonale de la brigade judiciaire, derrière l’auditorat militaire et l’inspection provinciale de la police, entre le bureau de l’état-major de la huitième région militaire et le tribunal de grande instance, non loin du parquet, à moins de 200 mètres de la résidence officielle du gouverneur de province...» Alice Hakizimana se souvient: «Si on ne se rend pas sur place, c’est impossible de percevoir la réalité. En théorie, on aurait dû rester confinés à l’hôtel dès 16 heures. Au bout de deux jours, on s’est aventurés à pied à un kilomètre de là et on est finalement rentrés à une heure du matin! Il y aura toujours des gens pour créer de l’insécurité, parfois à dessein, dans la tête des autres.» Rappelons qu’on part d’une situation où les échanges d’information entre les médias des différents pays sont pratiquement inexistants en dehors de quelques activités éparses et ponctuelles. Dans son monitoring sur la couverture de l’actualité régionale par les médias des Grands Lacs, IPP pointe les obstacles au niveau des rédactions: des équipes restreintes, des descentes sur le terrain rares et difficiles, le peu de réseaux de correspondants locaux, une formation des journalistes insuffisante, des journalistes mal payés et une méfiance persistance (3). Il en résulte que les préjugés ont la vie dure. L’information diffusée est essentiellement locale et quand elle traite des pays voisins, il s’agit souvent de compte-rendus institutionnels, de conférences de presse, de séminaires, d’ anniversaires, de commémorations ou bien il s’agit d’une actualité violente, de lignes de front mouvantes, d’un nouveau groupe rebelle, de violations des droits humains, d’exactions contre des civils, toutes choses dont il faut évidemment parler, mais qui vont de toute façon être rapportées par l’ensemble des médias, même si ces nouvelles ne disent rien sur leurs causes intrinsèques qui font, elles, l’objet de très peu d’analyses et investigations. La presse radio, comme les autres médias, parle finalement fort peu du quotidien des populations, de la circulation des biens et des personnes. Il est dès lors remarquable de constater que les

Moment de détente pour Emmanuel Nyandwi le Rwandais de Radio Salus et Pacheco Kavundama, le Congolais de Radio Kivu 1 dans le studio spacieux et bien équipé du CERA à Bujumbura.

premiers reportages mis en ligne sur l’agence s’intéressent directement au vécu des gens et traitent des tracasseries douanières et de la corruption ambiante au poste frontière de Gatumba entre le Burundi et la RDC. Peu de temps plus tard, les litiges fonciers qui opposent les résidents et les rapatriés, une problématique ultra sensible au Burundi est traitée par Remy Harerimana (Radio Télévision Renaissance-Bujumbura). Les dossiers thématiques réalisés dans l’intervalle entre les ateliers mais avec le soutien et les conseils du rédacteur en chef de l’agence donnent les moyens aux journalistes de creuser des sujets d’intérêt régional. Pour Oped FM, pour l’agence et donc aussi pour toutes les radios du projet qui le souhaitent, Rex Yenga Ngongo va réaliser un reportage au long cours, inabordable pour les finances très limitées d’un organe de presse congolais, mais rendu possible

avec OGL. En janvier 2010, il gagne le Haut-Uélé, à plus de 750 kilomètres de Kisangani et de sa station pour réaliser un reportage non dépourvus de risques sur les éleveurs Mbororo. Depuis quelques années, ce peuple nomade pénètre avec ses troupeaux jusque dans les régions frontalières de la République centrafricaine et du Soudan à la recherche de pâturages. La cohabitation avec la population locale se passe mal. Les éleveurs sont armés et, selon les autochtones, se rendraient coupables d’exactions et détruiraient la faune et la flore de cette région. Le journaliste rencontre les éleveurs, la société civile et les dirigeants locaux, réalisant un reportage équilibré et professionnel qui va faire des remous jusqu’au gouvernement central, car Henriette Odia, la journaliste OGL de la RTGA, a repris et développé le sujet, contraignant les autorités à prendre position dans ce conflit épineux.

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s’y impliquer. Comme c’était moi l’intervieweuse, ça a marché. Les radios rwandaises ont diffusé le reportage sans problème.» A OGL, on apprend aussi à jongler et les journalistes burundais apportent leur expérience et une impertinence souvent salutaire. «L’actualité (note: cf. l’interview d’Ines Gakiza) montre bien que parler avec des rebelles est toujours considéré comme un crime au Burundi. La presse burundaise indépendante se bat pour mettre fin à cette logique de violence qui veut qu’on n’écoute pas les opposants et que leurs revendications soient systématiquement rejetées. Il en résulte qu’ils prennent éventuellement le maquis et les armes et on les taxe ensuite de «terroristes tribalo-génocidaires». Durant toutes ces années, c’était presque amusant et rassurant de constater qu’en fonction de nos investigations, nous pouvions être menacés tour à tour par les autorités ou par les groupes rebelles.» Discussion entre une animatrice de Radio Maendeleo (Bukavu) et des représentants de la société civile après un débat radiophonique le dimanche 2 juin 2012.

Pour les reportages en commun et les dossiers thématiques réalisés, les reporters d’OGL reviennent généralement sur des problématiques abordées durant les premiers jours des ateliers au cours desquels des experts, universitaires, chercheurs sont intervenus sur ces questions. Mais ils descendent sur le terrain, ne se contentent pas de rapports ou d’interviewer une autorité, ils vont à la rencontre des personnes concernées, leur donnent la parole, enregistrent des sons d’ambiance, etc. Bonne gouvernance, éducation, santé, VIH-sida, intégration régionale, paix et réconciliation, migrations, sécurité, liberté de presse..., aucun thème «lourd» n’est négligé, mais il est traité de telle sorte qu’il soit «audible». Le journaliste développe un sujet sous un angle donné. Avant tout, il raconte de façon rigoureuse une histoire qui peut se dérouler dans le Haut-Uelé comme au coin de la rue. Jean-Marie Jabo (Radio Contact FM-Rwanda) s’intéresse par exemple à un conflit frontalier local entre le Burundi et le Rwanda né du nouveau tracé qu’à pris la rivière Kanyaru et de ses conséquences pour les cultivateurs de part et d’autre du cours d’eau. Eugène Hagabimana (Radio Salus-Rwanda) décrit la vie au «Camp Zaïre» du nom de ce quartier de Gikondo dans la banlieue de Kigali, baptisé ainsi parce qu’il regroupe une importante communauté congolaise. Il peut s’agir de sujets ayant trait à la culture, comme ce reportage conjoint sur la survie du Ntore dans la ville minière de Kipushi dans la province du Katanga (RDC). Les autorités coloniales avaient déplacé des Rwandais et Burundais dans cette province pour travailler dans les mines. Près d’un siècle plus tard, les Hutus et les Tutsis toujours présents dans la région, continuent de pratiquer ensemble cette danse traditionnelle. Pour Laurent Passicousset qui en tant que journaliste et formateur accompagne le projet depuis le début, aucun sujet n’est anodin, c’est son traitement qui compte et la façon dont il peut contribuer à la compréhension mutuelle des populations des trois pays. Le fondateur d’Est-Ouest, un réseau d’études et de formation, s’applique à aider les journalistes en adoptant une méthode de travail faite de constants aller-retours entre les «fondamentaux»

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et la pratique sur le terrain, en combinant aussi l’appui individuel et l’appui au groupe, mais en rappelant aussi une évidence: «Ils aiment leur métier et sont curieux. J’insiste aussi toujours sur le fait qu’en progressant tous, ils font avancer le collectif, c’està-dire l’agence.» Le journaliste poursuit: «Là où au niveau des formateurs, nous avons dû beaucoup inventé, c’est sur l’idée de travailler «régionalement». C’est une constance à rappeler encore et encore: «est-ce que ce que je produis ici, à Bujumbura par exemple, peut intéresser des auditeurs congolais ou rwandais?»» Difficulté supplémentaire, les journalistes sélectionnés par leurs radios n’arrivent pas tous égaux dans le projet. C’est peu dire que le journalisme ne se vit pas de la même manière dans les trois pays. Pour Laurent Passicousset,«Il est clair que l’environnement de travail est plus dynamisant au Burundi qu’en RDC où la pratique du coupage n’est guère propice à la pratique du métier. Nous en parlons ensemble sans tabous et tous, nous en convenons: ce n’est pas normal de vendre sa production. Mais bon, si les journalistes ne sont pas payés, il leur faut bien trouver les moyens de vivre. Au Rwanda, les journalistes s’auto-censurent s’ils veulent éviter les ennuis. Quand il y a eu la vague d’élections dans les trois pays et que nous avons travaillé sur cette thématique lors d’un atelier, on se doutait qu’au Rwanda plus qu’ailleurs, elles seraient verrouillées. Cela s’est confirmé. C’est l’art du possible. Cette confrontation entre journalistes confrontés à des réalités différentes les amène à se questionner sur comment avancer malgré tout. C’est intéressant de voir les journalistes burundais qui n’ont pas peur de braver les autorités inciter leurs confrères rwandais à les imiter. La liberté de la presse au Rwanda n’est pas programmée pour demain et le coupage en RDC ne disparaîtra pas de sitôt mais les débats que nous tenons ont un impact. Il y a une plus grande prise de conscience et les pratiques évoluent peu à peu.» L’agence représente d’ailleurs un bel atout pour contourner l’auto-censure au Rwanda. Alice Hakizimana: «Du moment que le reportage est signé x ou y, journaliste congolais ou burundais, ça passe. A Goma, nous avons tendu le micro à des FDLR (4) qui parlaient de leur désir de rentrer au pays et de

Le niveau journalistique atteint par chaque reporter au moment d’intégrer OGL est aussi tributaire de l’employeur et de ses moyens. Si Radio publique africaine (RPA), Radio Isangarino au Burundi, Contact FM au Rwanda, RTGA en RDC sont bien équipées, émettent sur une grande partie du territoire de leurs pays, d’autres radios se débattent avec très peu de moyens, de technologies et des ressources humaines réduites et insuffisamment formées. La réussite des études supérieures en journalisme ou dans une autre discipline ne signifie nullement l’acquisition des compétences fondamentales, tous les reporters le concèdent: les stages, puis l’intégration à une rédaction et au projet OGL leur ont permis de franchir plusieurs paliers. Sur quelques mois, les progrès sont tangibles et c’est un des grands succès du projet d’avoir mis en réseau un mélange hétérogène de personnalités qui trouvent -en vrais journalistes qu’ils sont- à se nourrir de leurs échanges. Si les plus chevronnés intègrent OGL dans le sens d’une formation continue, d’autres y assimilent une expérience d’une richesse incomparable, comme le confirme Aziza Bangwene: «Lors des reportages conjoints par équipe de trois, l’entraide est très perceptible et se fait sur un mode convivial. Même les plus expérimentés comprennent qu’ils se laissent parfois enfermer dans des schémas de travail insatisfaisants, par exemple avec des notions d’angle et de titres pas assez développées.» C’est probablement sur le plan humain que le projet se révèle le plus enrichissant. Laurent Passicousset: «Lors des ateliers de Goma, nous avons pu travailler en très bonne intelligence sur des questions ultra-sensibles dans ces régions traversées par la violence et les raids armés. En écoutant les présentations d’experts, en prenant note du point de vue de chacun et en allant sur le terrain. C’étaient de grands moments.» Tout comme la couverture des élections congolaises de 2011 à Kinshasa par une équipe d’OGL et celle de beaucoup d’autres sujets d’actualités. Lors du dernier atelier de mai 2012 à Bujumbura, deux des reportages conjoints traitent des mauvaises récoltes dans plusieurs provinces du Burundi et de la situation de famine qui en résulte. Bien équipés et bien informés, les journalistes parviennent à réaliser aux confins du pays deux reportages de qualité où les réponses sans surprise, voire outrageantes des autorités -un fonctionnaire explique les mauvaises récoltes par la paresse de la populationne pèsent pas lourd face aux témoignages poignants de paysans en détresse et de familles endeuillées.

«Lors des ateliers, nous avons pu travailler en très bonne intelligence sur des questions ultra-sensibles dans ces régions traversées par la violence et les raids armés.»


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Le troisième groupe se rend que la déception principale Même à Lubumbashi, nous avons à la frontière tanzanienne émane du manque d’implicabesoin d’informations en provenance et dans la ville voisine de tion de certains partenaires. Muyinga pour rendre compte Après les déclarations du Rwanda et du Burundi. Par rapport des effets d’une mesure de d’intention et l’assurance à nos concurrents, nous disposons avec de participer au projet, des détaxation des importations de denrées alimentaires supdirecteurs n’ont plus joué posée améliorer le quotidien l’agence d’une source de news exclusive le jeu, considérant juste de la population. Très techOGL comme une source de nique, le reportage parvient néanmoins à faire comprendre aux financement parmi d’autres. Cela a contraint, par exemple, IPP auditeurs que cette mesure n’est pas suffisante dans un monde à écarter une radio burundaise du projet au profit d’une autre. interconnecté où c’est plutôt au niveau régional que les gouver- Aziza Bangwene dresse un constat similaire en ce qui concerne nements devraient agir. les échanges avec les instances de régulation des trois pays: «Ce sont finalement des organisations publiques avec leurs propres En trois années et plus de 3000 reportages, le projet a tissé sa agendas. Elles sont parfois sous l’emprise des autorités politiques. toile, l’agence a vu passer 41 journalistes et une trentaine d’entre Nous avons eu du mal à les associer au suivi du projet. il faut dire eux continue à l’alimenter en reportages. Dans leurs radios, ils qu’elles évoluent à des rythmes très différents. La Maison de la affirment leur appartenance à OGL en promouvant l’excellence presse au Rwanda ne respectait pas les engagements pris, nous et en restituant une part de leurs acquis à leurs collègues. Quand avons décidé de retirer cette instance du projet.» ils recherchent une information sur une thématique donnée dans un des trois pays, les ogélistes disposent d’un carnet d’adresses Sur la pérennité de l’agence, les cadres et les journalistes d’OGL d’amis à même de les assister dans leurs recherches afin de sont convaincus qu’un socle d’échanges peut perdurer, même leur permettre de récolter cette information et de la vérifier. sans grands moyens, il existe un noyau dur d’indéfectibles parteDurant les élections que connaissent les trois pays, ce réseautage naires et amis. Mais tous bien sûr souhaitent un renforcement des fonctionne à plein régime. La barrière des langues et dialectes moyens de l’agence. Les émissions hebdomadaires OGL prévues qui, d’ordinaire, empêche les journalistes de développer leurs dès le départ du projet en 2009 nécessiteraient une réflexion reportages peut être aisément franchie, les ogélistes se muant en tant au niveau des radios que de l’agence. Il s’agit trop souvent traducteurs pour leurs amis des autres régions et pays. Tous font de simples compilations des sujets postés. L’ambition serait de le pari de la solidarité pour continuer à progresser. Il en résulte réaliser des émissions interactives et performantes, sur le mode un traitement de l’information plus nuancé et plus professionnel. des clubs de la presse, permettant aux auditeurs d’intervenir Florent Ndutiye de Radio 10 (Kigali) explique qu’il a gagné en tout en évitant les dérapages toujours possibles. L’agence a une confiance: «Après la tenue d’un atelier OGL dans ma ville à forte identité «magazine», en revanche elle a souvent un temps Kigali, je me suis senti armé pour commencer à interviewer des de retard sur le terrain des «news» en comparaison des radios gens de la société civile. Quand Kabila est venu à Kigali, j’ai inter- internationales ou de Radio Okapi. Un approfondissement du viewé des ressortissants congolais vivant chez nous. Je pense réseau sur le plan technique, de meilleures connexions Internet que cela a encouragé ma rédaction à diffuser une émission en et -pourquoi pas?- une flotte téléphonique avec un opérateur langue française depuis quelques mois.» A Lubumbashi, Pascal commun, sont des pistes intéressantes, mais qui demandent des Luboya ne manque jamais de consulter le site de l’agence avant ressources financières complémentaires. De même, les reporters de présenter le journal télévisé de 23 heures sur Radio Télévision sont demandeurs de formations centrées sur la tenue de débats Mwangaza: «Même à Lubumbashi, nous avons besoin d’informa- ou sur le journalisme d’investigation. Ondes des Grands Lacs tions en provenance du Rwanda et du Burundi. Par rapport à nos pourrait s’étendre à d’autres pays vers l’Afrique de l’Est. La concurrents, nous disposons avec l’agence d’une source de news région est déjà tournée dans cette direction et des pays comme exclusive.» Cet avantage est exploité jusqu’à diffuser des sons l’Ouganda, la Tanzanie ou le Kenya partagent les mêmes enjeux. OGL dans les programmes de télévision des partenaires OGL La coordinatrice du projet, Aziza Bangwene n’est pas la moins qui misent sur les deux médias en les plaquant sur des éléments enthousiaste. Elle qui est née en RDC, a étudié au Rwanda et a visuels fixes servant de décor tels que des cartes géographiques. enseigné au Burundi sait mieux que quiconque que les paramètres entrant en ligne de compte dans le processus de réconciliation Mais la grande précarité dans laquelle se débattent les journa- sont innombrables; elle qui insiste pour que les journalistes qui listes entraîne aussi un risque bien réel pour OGL: celui de perdre reprennent des sujets ou des informations de l’agence n’oublient ses meilleurs éléments qui, une fois formés, quittent leurs radios pas de citer la source de façon à ce que les auditeurs connaissent ou la profession. Il est arrivé qu’une radio partenaire perde un mieux OGL, rappelle aussi que les appuis ne sont pas éternels, ogéliste avant d’avoir pu capitaliser sur ses connaissances. A que chacun doit contribuer à son niveau à l’édification d’une paix l’heure de tirer un bilan du projet, ses cadres admettent toutefois durable. Brique par brique.

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(1) et (3) La couverture de l’actualité régionale par les médias des pays des Grands Lacs, édité par IPP, décembre 2010. (2) Acronyme de Catholic Organisation for Relief and Development Aid. (4) Les Forces démocratiques de libération du Rwanda.

Deux enfants attendent de participer à une émission sur Radio Neno La Uzima à Bukavu.


Portrait Alphonse Muhire Munana Journaliste à Radio Isango Star (Kigali)

Alphonse Muhire,

le geek de l’information.

Avant, pour nos recherches, nous devions chercher l’information sur Internet, maintenant, j’ai un formidable réseau d’amis que je peux joindre en temps réel pour obtenir ces renseignements de première main.

Alphonse Muhire Munana a un point commun avec le président de son pays. Comme Paul Kagame, mais avec des moyens moindres, c’est un vrai «geek», passionné de nouvelles technologies dans un pays plutôt branché qui a investi dans un important réseau de fibre optique et qui ambitionne de devenir un pôle de hautes technologies. «A la différence des amis congolais et burundais, je n’ai pas de problème de connexion à Internet. C’est d’autant plus commode pour moi de travailler en réseau avec OGL. Mais j’ai d’autres problèmes.» Le sourire énigma-

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tique d’Alphonse renvoie aux graves restrictions à la liberté de la presse dans son pays, mais aussi au surcroît de travail que nécessite pour lui les traductions entre le français, l’anglais et le kinyarwanda. Et pourtant. Ce samedi 29 septembre, en rédigeant cet encadré sur Alphonse Muhire Munana, l’auteur écoute d’une oreille distraite la musique diffusée sur sa radio en ligne, www.isangostar.org. Soudain, durant le journal parlé de 13 heures en kinyarwanda, on entend la voix du responsable pour l’Afrique de Reporters sans frontières commenter en

Alphonse Muhire Munana est né en RDC. Aujourd’hui, le journaliste vit et travaille à Kigali à la radio Isangostar.

français les violations de la liberté d’information en citant la Somalie, le Rwanda, etc. Cela confirme que même au Rwanda où un lapsus à l’antenne peut mener en prison (1), il est possible -en étant prudent- de diffuser des informations qui ne plaisent pas aux autorités, comme l’expliquait Alphonse durant l’atelier OGL de Bujumbura: «En RDC, au Burundi et au Rwanda, il y a des sujets tabous que nous, journalistes n’avons pas le culot de traiter et de diffuser directement. Mais ce que je ne peux pas faire sur ma radio, parce que cela ne correspond pas à sa ligne édi-

toriale, rien ne m’empêche, si je brûle du désir de partager cette information, de la traiter et de la balancer sur un réseau tel qu’OGL où d’autres journalistes peuvent la reprendre et la diffuser. De tels partenariats seraient vraiment très importants dans des pays où, quelques fois, le régime en place n’hésite pas à contrôler les médias.» Brandissant son iPhone, Alphonse ajoute: «Avant, pour nos recherches, nous devions chercher l’information sur Internet, maintenant, j’ai un formidable réseau d’amis que je peux les joindre en temps réel pour obte-

nir ces renseignements de première main. C’est comme cela que, récemment, j’ai pu joindre par téléphone un de ces officiers congolais entrés en dissidence et passer son interview sur ma radio.» Comme Florent Ndutiye de Radio 10 (Kigali), Alphonse est né en RDC. Pour Alphonse, orphelin et rescapé du génocide de 1994, le retour au Congo à l’occasion de l’atelier de Goma ou de la couverture de l’élection présidentielle de 2011 à Kinshasa, avait une haute charge émotionnelle. «Oui, cela me permet de revoir le pays, mais, c’est vrai que lors de notre reportage à Kinsha-

sa, on l’a échappé belle. Si ces jeunes excités qui brûlaient des pneus nous avaient fait sortir du véhicule, nous aurions été pris au piège. Et comme ressortissant rwandais, je ne sais pas si j’aurais eu le temps d’expliquer que j’étais en reportage.» (1) Habarugira Epaphrodite, journaliste à la radio communautaire Huguka a été emprisonné durant trois mois en 2012. S’étant vraisemblablement trompé dans les termes utilisés lors la présentation d’un journal parlé, il était poursuivi pour «propagation de l’idéologie du génocide». En juillet, il a été acquitté, mais il a perdu son poste de travail.

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Portrait Isabelle Moengo

Journaliste à RTGA (Kinshasa)

Isabelle Moengo,

au coeur de l’info à Kinshasa Isabelle Moengo de RTGA (Kinshasa) durant le montage d’un reportage réalisé conjointement avec trois de ses confrères d’Ondes des Grands Lacs: de g. à dr., Justin Joël Maraeki de Radio Canal Révélation à Bunia, Florent Ndutiye de Radio 10 à Kigali et Eloge Willy Kaneza de Radio Bonesha FM à Bujumbura.

Souvent, les jeunes stagiaires viennent vers moi pour me demander de lire leurs papiers et de les corriger Le 28 mai 2012, lors d’un colloque organisé par I’Institut Panos Paris sur les nouvelles technologies, Isabelle Moengo, 165 cm sans talons, tendait très haut son micro vers Cedric Kalonji, un double mètre congolais et une pointure en journalisme multimédia. Le blogueur (congoblog.net) et chroniqueur sur RFI (Mondoblog) parle de l’évolution technologique qui impose aux journalistes africains de s’adapter à l’Internet et aux tablettes pour ne pas finir au chômage tech-

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nique. Isabelle Moengo encaisse l’avertissement sans broncher. Le lendemain, la jeune femme de 33 ans me confie spontanément: «A RTGA, je touche 91.000 francs congolais, l’équivalent de 100 US $, plus 100 € prélevés des 400 € reçus par la direction pour ma participation à OGL, plus les quelques billets de coupage récoltés, pas beaucoup parce que dans la capitale, les gens préfèrent la télévision et donc les enveloppes de coupage sont moins fournies pour les journalistes radios. Nous n’avons pas le choix. Dans beau-

coup d’autres médias, les journalistes ne reçoivent même pas de salaire, le coupage est leur seule rentrée financière. «Kala yi ngangu kala yi technique» dit-on en kikongo, ce qui signifie: «Pour durer, sois intelligent et développe les techniques». Malgré cela, c’est la galère pour vivre avec si peu à Kinsasha! La RTGA a beau être un média important qui couvre à peu près tout le territoire, je dois me battre pour avoir accès à une connexion Internet. La direction insiste pour que j’aie un accès prioritaire à la connexion, mais

quand il y a un embouteillage, souvent mon boss me donne l’argent pour me brancher à l’extérieur. En fin de mois, vous comprenez que c’est difficile pour lui comme pour moi». Avec sa belle voix et sa diction parfaite, Isabelle ferait le bonheur de beaucoup de radios mieux nanties. Elle reconnaît toutefois être repartie de zéro en démarrant avec OGL: «Je me berçais d’illusions sur la valeur de ma formation de journaliste, mais en démarrant le premier atelier OGL, j’ai compris que je n’étais nulle part. Quand j’arri-

vais sur un lieu d’activité, une conférence par exemple, je prenais tous les sons, je mêlais tout et à la radio, on trouvait ça bon alors que, vraiment, ce n’était qu’un compte-rendu, du grand n’importe quoi, sans angle, sans sons d’ambiance, avec des mauvais titres.» Douze mois plus tard, Isabelle se sent investie du besoin de restituer un peu de ce qu’elle a appris au contact des autres ogélistes et des formateurs: «Souvent, les jeunes stagiaires viennent vers moi pour me demander de lire leurs papiers et de les corriger.»

Proche du pouvoir, la RTGA laisse néanmoins, selon Isabelle, une certaine liberté éditoriale à ses journalistes, même si, à plusieurs occasions déjà, elle s’est sentie frustrée de ne pas pouvoir interviewer quelques «people», interdits d’antenne par la direction. Malgré tout, Isabelle ne s’imagine pas pouvoir travailler pour un autre média, sauf Radio Okapi, et surtout pas la Radio Télévision nationale congolaise (RTNC) qu’elle juge moins professionnelle et beaucoup plus inféodée aux autorités que la RTGA.

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Jusque là, je n’avais appris que des notions théoriques et abstraites sur le journalisme. Avec OGL, j’ai pu les mettre en pratique.

Portrait Rachel Fuhara Bashige

Journaliste - Radio Neno La Uzima (Bukavu)

Rachel Fuhara,

vendeuse de beignets pour devenir journaliste. Sur le site web de l’agence Echos Grands Lacs , dans le menu «thématiques», il manque un mot-clé: «faim» ou plutôt «malnutrition». Trop stigmatisant sans doute, à moins qu’il ne se confonde avec tous les autres : «social», «santé», «femmes», «économie», «éducation», environnement», «paix et réconciliation», etc. Toutes ces matières sont traitées par l’une des journalistes ogélistes les plus actives, Rachel Fuhara Bashige, un brin de femme de trente ans qui, si elle voulait changer d’orientation professionnelle, pourrait en remontrer à bien des experts en développement. Au fin fond du Burundi, sur un étal de marché, pendant un reportage , il faut la voir humer discrètement une brassée de grains de riz pour intégrer le rapport qu’elle entretient avec les choses essentielles de la vie. Rachel ne vous le confiera pas volontiers, mais pour financer ses études supérieures en journalisme, il lui arrivait souvent de se lever à trois ou quatre heures du matin pour préparer des beignets que sa maman allait vendre ensuite. En fin d’après-midi, elle donnait des cours particuliers à des enfants de familles plus aisées. Un père décédé trop tôt, neuf frères et sœurs, les plans de carrière ne se profilent pas en individuelle

Rachel Fuhara Bashige durant l’enregistrement d’un de ses reportages à Radio Neno La Uzima (Bukavu).

en République démocratique du Congo, à moins d’avoir une volonté de fer ou «par la grâce du Seigneur», comme elle ponctue souvent ses phrases. Pudiquement, elle parle de l’exode rural qui pousse continuellement des familles d’agriculteurs, d’éleveurs et de pêcheurs à tenter l’aventure de la ville, mais c’est une expérience qu’elle-même et sa famille ont expérimentée, il y a une quinzaine d’années. Après un stage à Radio Maendeleo, la principale radio associative de Bukavu, Rachel parvient à trouver une place à la rédaction de Radio Neno La Uzima, un média de développement créé en 2004 et qui dépend de l’église pentecôtiste. La rédaction et le studio principal sont d’ailleurs mitoyens de la salle de culte. En août 2011, des milliers de fidèles et des pasteurs venus des pays voisins s’étaient rassemblés à Bukavu lors d’une campagne d’évangélisation pour dire non à la guerre et à toutes les formes de violence qui sévissent dans cette région du Congo. En 2010, Rachel succède à Lucien Maheshe, son rédacteur en chef, au sein du projet OGL. Comme elle n’a pas les moyens de poursuivre ses études de journalisme au-delà du graduat, elle mesure l’apport inestimable de son implication dans le projet :

«Jusque là, je n’avais appris que des notions théoriques et abstraites sur le journalisme. Avec OGL, j’ai pu les mettre en pratique. Au moment d’interviewer quelqu’un, j’étais souvent perdue, je ne savais pas par quoi commencer ou quel angle aborder. Maintenant, j’ai intégré les techniques d’interview et c’est un plaisir de se rendre compte que les réponses et les informations qu’elles contiennent sont aussi meilleures.» Rachel tire une grande fierté des marques de reconnaissance qui lui sont parfois envoyées de loin quand ses sujets sont repris par d’autres radios membres du projet OGL. «Un de mes dossiers thématiques donnait la parole à ces femmes obligées de parcourir des grandes distances pour se rendre à la maternité. Je sais que ce sujet a été apprécié, y compris par Panos.» L’accès à la santé, à l’éducation et à une vie décente sont les domaines de prédilection de Rachel et qu’elle aimerait encore pouvoir approfondir. Elle prépare un reportage sur la surexploitation agricole dans l’île d’Idjui, un bout de terre au milieu du lac Kivu, cerné par les conflits, mais jusqu’ici, miraculeusement préservé de la violence où cohabitent insulaires et réfugiés, Congolais et Rwandais.

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Ines Gakiza devant l’immeuble de la Radio Publique Africaine (RPA) à Bujumbura.

interview Ines Gakiza 26 ans, Radio publique africaine (Bujumbura)

Inès Gakiza

« La profession de journaliste m’a toujours fait rêver » Tu travailles pour la Radio publique africaine (RPA). Cela ne coule pas sous le sens, mais ta radio est privée et n’a rien d’un organe de presse officiel, n’est-ce pas ?

une société juste, solidaire et prospère. Nous voulons faire entendre la voix du petit peuple.

tendre que RPA est une radio populaire et très écoutée. Son indépendance de ton lui vaut d’ailleurs d’être fréquemment harcelée par les autorités. Son fondateur, Alexis Sinduhije, a travaillé pour la radio télévision nationale, il était journaliste au départ. En 2007, il a quitté ses fonctions à RPA pour démarrer une carrière politique. Comme opposant, il a fait de la prison. Il vit actuellement en exil. De ce fait, nous sommes continuellement harcelés par le pouvoir qui nous taxe de radio d’opposition, alors que nous essayons de traiter avec objectivité de tous les sujets, même les plus sensibles.

Non, pas personnellement. Mais les journalistes qui travaillent sur des sujets sensibles reçoivent des menaces sous la forme d’appels téléphoniques anonymes. Dans plusieurs de ses déclarations, le gouvernement accuse et menace ces journalistes. Il a coutume de prétendre que ce sont eux qui rédigent les rapports sur les violations des droits de l’homme pour le compte d’organisations internationales comme Human Right Watch. Les journalistes de RPA sont souvent calomniés dans les articles paraissant sur des sites internet liés au pouvoir, on y évoque leur vie privée, on les taxe de soutenir telle ou telle ethnie. Jetez un oeil sur www.nyabusorongo. org. C’est terrible, ce qui s’y écrit. Notre rédacteur en chef Bob Rugurika a été cité à comparaître neuf fois rien qu’entre juillet et novembre 2011! Un autre exemple édifiant

De quelle manière vous sentez-vous harcelés par le pouvoir? As-tu toi aussi Oui, par «publique», il faut en- été intimidée ?

Quelle est la ligne éditoriale de la RPA ?

Nous sommes la voix des sans voix. C’est ce qu’on peut lire sur le fronton du bâtiment qui abrite la radio. RPA veut oeuvrer pour

concerne notre émission Kabizi qui signifie «celui qui connait mieux». Elle passe sur antenne du lundi au vendredi de 10 heures 10 à 11 heures 10. Plus tard dans l’après-midi, les mêmes jours, Rema FM, une radio proche du pouvoir, diffuse une émission appelée Akabirya que je traduis par «Celui qui surpasse dans la connaissance», aux seules fins de contredire ce qui a été débattu dans la nôtre. Il faut aussi faire mention du fait que les radios privées collaborent de temps à autre pour creuser une thématique. Nous l’avons fait sur la question de la violation des droits humains, sur les tueries et tout récemment à propos d’un projet de loi sur la presse. Evidemment, le gouvernement insinue toujours que la RPA est l’instigatrice de ces synergies.

Plusieurs de vos reportages postés ces derniers mois sur l’agence, à toi et aux deux autres journalistes burundais participant à OGL, Eloge Willy Kaneza et Rémy Harerimana traitent de ce projet de loi, ainsi que de la condamnation à perpétuité de

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Je n’avais jamais voyagé. En dehors de ce type de projet, les occasions d’acquérir de l’expérience et de se frotter à l’actualité régionale sont rares.

votre confrère Hassan Ruvakuki de Radio Bonesha FM (une radio également membre du réseau OGL) et correspondant de RFI. Peux-tu revenir sur ces réalités peu réjouissantes pour le secteur des médias ? Hassan Ruvakuki a été arrêté et emprisonné. En juin 2012, il a été condamné pour actes de terrorisme. La justice détient des photos du journaliste prises en Tanzanie en novembre 2011 où on le voit avec les prétendus leaders d’un groupe rebelle. Selon les professionnels des médias, il n’a fait que son devoir. C’est normal qu’un journaliste aille à la recherche de l’information. Le gouvernement, quant à lui, explique aux diplomates et à qui veut l’entendre, que Ruvakuki se trouvait là en tant que membre de ce groupe rebelle et non en tant que journaliste. Or, sur ces photos, le journaliste a son matériel professionnel avec lui, son enregistreur, etc. Concernant le projet de loi portant sur la dépénalisation des délits de presse une demande formulée par les professionnels des médias lors des Etats généraux de la presse en 2011-, on constate que, depuis lors, le gouvernement ne les a plus associés à la rédaction du projet. Par rapport à la loi de 2003 qui nous régit actuellement, les sujets d’inquiétude sont multiples:

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les amendes pour remplacer les peines d’emprisonnement seraient très lourdes, menaçant la viabilité des médias; l’agrément passerait de cinq à trois ans pour les radios et de dix à cinq ans pour les télévisions; le secret des sources ne serait plus garanti; le Conseil national de la communication (CNC) dont le rôle est consultatif pourrait être doté de pouvoirs exorbitants, comme celui de fermer un organe de presse nonobstant tout recours.

Quel est ton parcours professionnel ?

Je n’ai que 26 ans. Il y a trois ans, je terminais une licence en administration quand j’ai entendu que RPA cherchait des stagiaires. La profession m’a toujours fait rêver. Je me suis présentée et j’ai été sélectionnée.

Connaissais-tu le projet et l’agence ?

Non. C’est la première année que RPA est associée à OGL. Nous remplaçons Radio Isanganiro et RPA m’a choisie. C’est un grand honneur. J’ai appris à réaliser des sujets de façon beaucoup plus professionnelle, des sujets aussi qui peuvent intéresser toute la sous-région. Je dirais que j’ai côtoyé un autre monde. Je n’avais jamais voyagé. En dehors de ce type de projet, les occasions d’acquérir de l’expérience et de se frotter à l’actualité régionale sont rares. J’ai été à Goma et j’ai couvert les élections congolaises à Kinshasa!

Décris-nous ce grand moment couvert par Ondes des Grands Lacs ?

Nous avons bien cru que notre dernière heure avait sonné (note: rires)! La veille des élections, le climat était très tendu, la violence bien présente. Nous avons appris que les derniers meetings prévus avaient été annulés par les autorités. Alors que nous faisions le tour des états-majors des principaux partis politiques, des supporters de l’UDPS d’Etienne Tshisekedi nous sont tombés dessus. Un attroupement s’est formé autour de notre véhicule. Nous étions bloqués à l’intérieur. On nous injuriait en lingala. Heureusement, avec les vitres fumées, ils n’ont pas eu le temps de s’apercevoir qu’à l’intérieur, il y avait deux Burundaises et un Rwandais (note: outre Ines, Alice Hakizimana, rédactrice en chef d’OGL et Alphonse Muhire) sinon cela

aurait chauffé encore plus! Ils ont exigé de l’argent. Un de nos confrères congolais à l’avant du véhicule leur a donné quelques billets. Au moment de passer, des pierres ont été lancées. Alice a été blessée au bras. Moimême, j’ai reçu un projectile. Mais plus de peur que de mal. Nous n’avions rien de cassé.

Tout se passe-t-il en bonne intelligence entre l’agence et RPA? Et entre journalistes du même pays participant à ce projet ?

Oui vraiment. Nous avons appris à nous apprécier Remy, Eloge et moi. Il n’y a pas de concurrence entre nous. Nos échanges sont harmonieux. Il faut être humble et jouer franc jeu. Si nous ne nous concertions pas au moment de creuser une thématique et de choisir notre angle d’attaque, ce serait de l’énergie bêtement gaspillée. Au final, Alice (la rédac-

trice en chef d’OGL) devrait de toute façon trancher. Pour ma radio, je suis en quelque sorte le point focal d’OGL, d’autant plus que je suis sa seule journaliste ayant participé au projet. Quand je dois travailler pour un sujet OGL, j’avertis mes chefs. Jusqu’ici, je n’ai jamais rencontré de problèmes. Par exemple, lors de cette mission à Kinshasa, j’ai dû m’absenter durant dix jours. Bien sûr, une fois là-bas, j’ai aussi alimenté ma radio avec des papiers et des reportages.

Justement, n’est-ce pas compliqué ces deux casquettes ?

Avec le temps, j’y arrive. Je sais que si c’est destiné à l’agence, il me faut enrichir davantage le sujet, le contextualiser pour que les auditeurs rwandais et congolais comprennent ce qui se passe ici au Burundi. Et lorsque je reprends des sujets OGL pour ma radio, j’attends de mes amis

qui les ont réalisés pour l’agence qu’ils fassent de même et qu’ils apportent ces informations nécessaires à la compréhension pour l’auditeur burundais.

Cela ferait-il parfois défaut ?

Nous en sommes tous conscients. Lors de ces ateliers où nous travaillons en équipe, on constate des différences de niveau. Chacun dans notre coin pour nos radios respectives, nous avons tous commencé en postant sur OGL des sujets tout juste «passables», mais en ateliers, les différences sont plus perceptibles. Il faut avoir été à Goma ou à Kinshasa pour comprendre que c’est le plus souvent le règne de la débrouille pour les journalistes congolais. Ce manque criant de moyens a évidemment un impact négatif sur la qualité de leurs reportages. Mais les échanges qui s’opèrent au cours de ces ateliers de formation nous enrichissent tous.

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En direct

Une journée Ce samedi deux juin, le bateaumouche en provenance de Bukavu accoste avec trente minutes de retard au port de Goma. La houle a rendu livide plusieurs passagers.

L

es eaux du lac Kivu sont très agitées et battent la berge à un niveau anormalement élevé en ce début de saison sèche. Après avoir glané quelques réactions de riverains, Pacheco Kavundama et Magloire Paluku de Radio Kivu 1 tente d’interviewer un officiel, mais au commissariat lacustre, à la vue des microphones, toutes les bouches se ferment. «C’est dingue, s’insurge Magloire, la situation est anormale, le seuil d’alerte est atteint et il n’y a personne pour expliquer si des mesures ont été prises.» Peu de temps plus tard,

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Magloire Paluku, le directeur-journaliste de Kivu 1 intervient par téléphone à un club de la presse de Radio Okapi.

ils parviennent à joindre le commissaire lacustre par téléphone. Magloire est content, il va pouvoir développer son sujet en deux parties très contrastées: car l’eau qui menace les rives de Goma manque en revanche à l’intérieur des terres, la Régie des eaux ne parvenant pas à alimenter correctement la ville. Autre sujet d’intérêt ce jour-là, la prison de Goma. Surpeuplée, elle est au bord de la mutinerie. Magloire: «depuis une semaine, Radio Kivu 1 reçoit des appels à l’aide de détenus. Ils se rebellent car ils n’ont plus d’eau pour se la-

ver, boire, se nourrir. C’est terrible ce qui s’y passe. On y retourne!» Devant l’entrée principale, c’est un va-et-vient permanent de femmes et d’enfants amenant à leurs proches les bidons avec l’eau nécessaire à leurs besoins les plus élémentaires. Pacheco tend son microphone, Magloire se charge de l’interview du directeur de la prison qui dit ne pas comprendre la contestation des détenus en arguant que la Protection civile supplée à la Régie en amenant régulièrement de l’eau. A travers une grille non surveillée, Magloire et Pacheco

à Kivu1

Les réfugiés ont fui l’arrière-pays de Masisi le 26 avril après lespremiers coups de feu des rebelles.

parviennent ensuite à parler avec quelques détenues. Elles affirment en chœur que le directeur ment et que la Protection civile n’a plus amené de l’eau depuis cinq jours. Dans la berline inadaptée aux routes défoncées du chef-lieu du Nord-Kivu, la radio diffuse en différé une version africaine des Guignols de l’info où Magloire parodie quelques acteurs-clés de la région. Le journaliste-directeur-comédien de Radio Kivu 1 passe le volant à Pacheco le temps de son intervention à un club de la presse sur Radio Okapi où il commente au téléphone

une actualité aussi sombre que la terre de lave de Goma. La région est de nouveau secouée par la violence: depuis quelques semaines, des exrebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) intégrés dans l’armée congolaise (FARDC) suite aux accords du 23 mars 2009, ont fait défection pour créer le Mouvement du 23 mars (M23) qui a rapidement pris le contrôle d’une zone située à la frontière du Rwanda et de l’Ouganda. Dans un rapport de la Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) dévoilé le

28 mai, il est fait état de l’implication de Rwandais dans le M23. Une demi-heure plus tard, nous sommes dans un camp de déplacés aménagé à la diable dans une école adventiste. Les réfugiés ont fui l’arrière-pays de Masisi le 26 avril après les premiers coups de feu des rebelles. Plusieurs adultes montrent les marmites vides et dénoncent au micro de Pacheco la corruption des autorités du camp et de la police qui auraient détourné la majeure partie de la farine, des haricots et de l’huile qui leur était destinés.

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Un tribune en direct à Kivu 1 où il est question de prévention du VIH/sida dans le milieu de la prostitution

En direct

Au retour du camp, une question de Magloire à Pacheco ne trouve pas de réponse. A l’arrière de la voiture, le jeune reporter, pris d’un coup de fringale, semble sonné. La lumière décline déjà et on a sauté le déjeuner. Une collation s’impose.

Dans un camp de déplacés près de Goma

Magloire parle fort, s’impatiente, rature beaucoup les dépêches et ne paie pas très bien, mais son expérience et son parcours inspirent le respect auprès de son staff. Quand en 1996, Laurent-Désiré Kabila sort de l’oubli d’un maquis de trente ans et s’apprête à marcher sur Kinshasa, Magloire a le flair d’être là au bon moment et de jouer le bon pion. Attaché au bureau de propagande de L-D Kabila, il participe d’abord à l’effort de guerre en recopiant, «tel un moine copiste» avoue-t-il, les discours fleuves de l’ancien rebelle

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marxiste, avant d’exercer quasiment comme attaché de presse. Mais l’ascension s’arrête à la mort de L-D Kabila. Début 2001, quand l’auto-proclamé président est assassiné par son garde du corps et que la chasse aux comploteurs est lancée, Magloire est en partance. «La présidence voulait professionnaliser ses jeunes protégés et elle m’avait octroyé une bourse d’études. J’étais cité à comparaître comme tout l’entourage présidentiel, mais malheureusement, ce n’était plus possible, j’étais déjà à l’étranger. Il n’en fallait pas plus pour dire que j’avais fui le pays. Cette histoire continue à me coller à la peau,» soupire Magloire conscient d’avoir raté le coche. Après sa traversée du désert aux Pays-Bas, la création d’une radio destinée à la diaspora, puis la réconciliation avec celle qu’il connaît le mieux dans

la famille Kabila, Jeannette, la sœur jumelle de Joseph, Magloire revient s’installer au pays et, après un passage par la RTGA, lance Radio Kivu 1 à Goma. «La Radio télévision d’Etat n’a de site web que depuis un mois. Nous cela fait trois ans!», jubile Magloire. Il est vrai que dans ce Far East de tous les dangers et de tous les trafics, les nouvelles technologies sont boostées par la fibre optique venue de l’Océan indien, alors que l’ouest du pays l’attend toujours. «On tweete, on poste nos videos sur Youtube, sans oublier Ondes des Grands Lacs!» ajoute le bouillonnant directeur dont le leitmotiv pourrait être de faire entendre une voix différente des autres radios, en restant rigoureux et suffisamment critique par rapport aux pressions de toutes sortes.

«Il m’a fait confiance dès la sortie de la fac, explique Gisèle. Qu’on ne s’y trompe pas, il peut être très marrant, mais au niveau du travail, c’est un patron rigoureux. Avec Laurent Passicousset (note: le formateur international d’OGL), c’est la personne qui m’a le plus appris. Grâce à eux, je me sens à présent à l’aise dans mes reportages et à ma place dans une salle de rédaction. Lire les billets des autres et faire lire les siens, c’est le truc infaillible pour progresser et éviter les erreurs. Et la mise en réseau au sein de la famille OGL, j’adore !» Mustafa Kemal, le responsable du desk swahili et Pacheco sont les deux autres journalistes ayant participé au projet OGL. Ce dernier doit d’ailleurs être le correspondant le plus actif avec ces trois derniers mois, quasiment un billet diffusé quotidiennement sur l’agence. Le jeune licencié en droit recruté l’an dernier se verrait bien en journaliste sportif, mais pour l’heure et pour les auditeurs burundais, rwandais et congolais des autres radios liées à OGL, ses

reportages couvrent l’actualité brûlante et font état de la résurgence de la violence, de nouvelles exactions, de rapports, de complicités et de mauvaise gouvernance. Dix-neuf heures. Une dizaine de journalistes et animateurs sont encore présents dans le local exigu de la rédaction. Certains sont là depuis un tour d’horloge, comme l’atteste la feuille de pointage. Au mur, radio commerciale congolaise oblige, le tarif des prestations est scotché: la diffusion d’un communiqué coûte 5 $, 10 $ pour une ONG, l’interview exclusive coûte 100 $, le reportage en dehors de Goma incluant la prise en charge du journaliste par le client est à 150 $ par jour. Pas d’hypocrisie, Radio Kivu 1 joue la transparence sur la pratique du coupage, aux antipodes des standards déontologiques de la profession, décriée à juste titre lors des ateliers de formation organisés par IPP mais une norme difficilement contournable pour une presse congolaise très pauvre. Dans le studio, deux pro-

Plusieurs adultes montrent les marmites vides et dénoncent au micro de Pacheco la corruption des autorités du camp et de la police qui auraient détourné la majeure partie de la farine, des haricots et de l’huile qui leur était destinés. fessionnelles du sexe répondent aux questions du journaliste. Un pasteur les accompagne, elles parlent de leurs activités de prévention du VIH/sida et des risques pris par certaines étudiantes et leurs professeurs. L’une d’elles allaite son bébé durant une émission en direct qui ne leur coûtera rien. Du pur journalisme comme c’est encore heureusement souvent le cas sur Radio Kivu 1.

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en direct

Le YahooGroup

OGL

au centre de tous les échanges

«Bonjour tout le monde. Juste vous dire ma joie d’appartenir au réseau. A bientôt et pour longtemps...»

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L

e véritable lieu d’échanges s de l’agence Ondes des Grands Lacs est un groupe yahoo, une communauté née le trois septembre 2009 avec ce premier message d’Yvon Kabeya (Radio Télévision Mwangaza à Lubumbashi). Au lendemain du premier atelier de formation de Bujumbura, il fallait impérativement garder le contact. La salle de rédaction n’allait pas seulement devenir mobile et se catapulter d’une ville à l’autre au fur et à mesure que des ateliers seraient organisés, elle allait être le plus souvent virtuelle. Au début, la toile est fragile, le groupe compte onze journalistes pionniers, plus le formateur, le rédacteur en chef et la coordinatrice du projet. Les directions des radios ont sélectionné des «pointures», mais le groupe est déséquilibré. Pendant les premiers mois d’OGL «saison 1», Alice est la seule femme. Tout est à faire. Une charte circule. Les onze journalistes s’engagent à alimenter l’agence en papiers, reportages,

Rachel Fuhara Bashige lors d’un atelier de formation à Bujumbura

dossiers thématiques de qualité sur le fond et sur la forme, d’intérêt régional, valables sur le plan éthique et pouvant contribuer à la meilleure compréhension mutuelle des auditeurs des trois pays. Mais revenus dans leurs villes d’origine, nos pionniers ne bénéficient pas toujours, c’est un euphémisme, de conditions de travail optimales. Il faut jongler avec les impondérables, le travail en local pour l’employeur qui «oublie» volontiers les engagements pris de laisser les reporters développer leurs sujets pour OGL. Aziza Bangwene, la coordinatrice du projet ne se prive pas de tancer régulièrement ceux-ci, tableaux Excel et statistiques à l’appui: «Chers directeurs, nous revenons vers vous pour attirer votre attention quant à la remise des rapports par le journaliste ogéliste de votre radio... Bien entendu, les radios qui n’ont pas remis leurs rapports ne bénéficieront pas de leurs fonds mensuels (voir protocole IPP-radios).» Il faut tenir compte des délestages,

de la qualité technique qui s’arrête souvent à la connectique du matériel informatique fourni par le projet. Les nerfs de Diego Murangamizwa, le webmaster, sont mis à rude épreuve. «Help webmaster!», «Bonjour Diego-le-magicien, pourrais-tu corriger le son que je viens de t’envoyer?». Avec une patience infinie, celui-ci s’ingénue à résoudre les problèmes à distance. Tous ses soucis contraignent les journalistes à revoir leurs objectifs quelque peu à la baisse. Moins d’un mois après le lancement de l’agence, Eugide Abalawi Ndabelnzede (RTGA-RDC) fait défection. La mort dans l’âme, il vient de démissionner de sa radio. Ses chefs avaient consigné son PC portable, jugeant que ce matériel dernier cri devait servir à tout le monde. Alice Hakizimana (Radio Bonesha FM-Bujumbura) confirme le problème: les ogélistes devront parfois composer avec la jalousie de certains de leurs collègues et supérieurs.

Plus grave, en janvier, Aziza informe qu’Yvon a été agressé par deux inconnus armés de machettes. Blessé à la jambe, il passe plusieurs jours à l’hôpital. A peine rétabli, il est victime d’un cambriolage à son domicile, son matériel informatique est dérobé. Impossible de savoir s’il s’agit de deux actes isolés ou s’il est visé en tant que

extrême. En avril au Burundi, une équipe de Radio Télévision Renaissance est prise pour cible par des militants du parti au pouvoir qui assaillent le véhicule. En bon capitaine, Aziza demande à chacun de redoubler de prudence, mais de continuer à faire son travail: «Il faut faire attention, les pouvoirs en Afrique n’acceptent pas les voix discordantes, mais as voices of voiceless u must go ahead!»

« Bonjour Diego-le-magicien, pourrais-tu corriger le son que je viens de t’envoyer? » journaliste. Il décide en tous cas de déménager dans un lieu plus sûr. De Bujumbura, Alice signale que l’émission qu’elle présentait avec un confrère de Radio Isangarino et le soutien de plusieurs autres radios indépendantes au sujet de l’arrestation d’un groupe de militaires et le malaise au sein de l’armée a suscité la colère du gouvernement et que les journalistes sont à présent menacés. Les élections représentent des moments de tension

Message reçu par Mustafa Kemal Mulopwe de Radio Kivu 1 (Goma) qui, le trois mai, souhaite, sur un mode humoristique, une «bonne fête du travail» à ses amis ogélistes alors qu’il vient d’être molesté «comme un sac de patates douces» par les forces de sécurité en tentant d’interroger à l’aéroport de Goma un membre des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Dans cette région du monde, les professionnels de la presse savent que le danger est un compagnon de route qu’il faut à tout prix apprivoiser.

031

LE Cahier Médias pour la Paix - OGL


En direct

retrouvent en «réunion de rédaction OGL» via le chat de Facebook.

Dans les locaux de Radio Neno La Uzima, partenaire d’Ondes des Grands Lacs à Bukavu.

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LE Cahier Médias pour la Paix - OGL

En juin, un collègue d’Alice,un technicien de Radio Bonesha FM est tué par balles. Durant les élections congolaises, l’équipe OGL envoyée en reportage à Kinshasa en renfort d’Isabelle Moengo et de Georges Herady (RTGA) est prise à partie par des militants trop excités qui canardent de pierres leur véhicule et blessent légèrement Alice et Ines, les deux journalistes burundaises. Entretemps, d’autres journalistes ont pris la relève avec OGL saison deux, puis trois. La communauté OGL s’agrandit, forte à présent d’une quarantaine de membres. On s’y refile les bons tuyaux et des

contacts précieux pour les reportages en gestation. On s’inquiète du silence de certains. Au retour des ateliers, les ogélistes signalent qu’ils sont bien rentrés dans leurs villes d’origine, car il s’agit parfois de parcours du combattant plus longs et complexes qu’un simple vol international. Les événements heureux et malheureux se succèdent: mariages, naissances, réorientations de carrière, avancements... Alice devient la nouvelle rédactrice en chef après le départ d’Emmanuel Rushingabigwi. Lucien Maheshe est promu au même poste à Radio Neno la Uzima endeuillé par la disparition du très respecté Cléophas Mapendano.

Jean George Jibogora gravit les échelons, l’ancien correspondant local de Radio Bonesha FM et professeur de lycée à Gitega peut mettre à profit ses connaissances des interactions humaines et de la dynamique de groupe (il est psychologue de formation) à la tête de cette radio. Comme dans une famille éparpillée dans différents pays, les posts permettent aux membres de l’agence de conserver des liens étroits sans se ruiner au téléphone. Lucien Mahestre incite ses amis à relever leurs messages Skype et à s’y connecter plus régulièrement. Durant plusieurs mois, les ogélistes saison 3 parviennent même à libérer quelques minutes le matin et se

Mais la fonction essentielle du groupe de discussions est de permettre les échanges sur les reportages postés sur l’agence et en cours de réalisation. Les formateurs peuvent ainsi donner leur avis. Emmanuel Rushingabigwi le 15 décembre 2010: «Vital Kamerhe qui fonde son propre parti, le CNDP qui rejoint l’AMP (1), la Commission nationale pour les droits de l’homme au Burundi, le débat public sur l’espace politique au Rwanda, le robinet de l’info régionale coule à flot ces derniers jours sur notre chère agence. Félicitations à tous. Cependant, un petit regret, nous n’avons jusqu’à présent donné la parole qu’aux institutionnels... , notre info manque cruellement d’analyse et le point de vue du citoyen est aux abonnés absents sur ces événements. Où sont passés les politologues et autres analystes de vos pays? N’oubliez pas qu’un Julien Nimubona (2) du Burundi peut très bien s’exprimer sur l’actu de RDC et du Rwanda...» Les formateurs postent des articles de référence -ou considérés comme tels- sur des thématiques creusées au sein de l’agence. En août 2010, Alice Hakizimana commente l’article trouvé par Laurent Passicousset sur une affaire de corruption dans le secteur de la santé et du VIH/sida au Burundi: «Laurent, celui qui a rédigé cet article s’est fait avoir. Le problème de rupture de stock des médicaments est beaucoup plus complexe. Le journaliste est un ancien de ma radio, il est en Europe actuellement... Si quelqu’un veut des infos, je les lui donnerai, j’ai travaillé sur la pénurie des antirétroviraux ces derniers temps.» En réponse, Laurent remercie Alice et tire les leçons: «Re:sida, médicaments et corruption, important pour tous les oglistes. Voilà typiquement un exemple de bonne utilisation de la liste de

diffusion. Quelqu’un balance une info (ici: moi), l’un d’entre nous a des précisions ou rectifications à apporter et le fait savoir (Alice), ceux qui veulent aller plus loin, peuvent le faire avec Alice.» En août 2012, alors que la région des Grands Lacs est plus que jamais sous le feu de l’actualité avec les mouvements rebelles dans le Nord Kivu et les accusations de soutien au M23 par le Rwanda, la rédactrice en chef d’OGL redouble elle aussi d’activité: «Salut les amis. Il se passe des choses intéressantes dans la région. Quelqu’un peut -il avoir plus de détails sur ce qui se passe au Comité des sanctions du Conseil de sécurité? Y-aurait-il des journalistes du Rwanda ou de RDC sur place pour qu’on puisse les joindre? Kinshasa, Kigali, est-ce qu’on en parle dans vos médias? Merci de nous mettre au courant si vous avez des infos.»

Laurent, celui qui a rédigé cet article s’est fait avoir. Le problème de rupture de stock des médicaments est beaucoup plus complexe. Les papiers soumis sont patiemment décortiqués. Le 23 août, Pascal, qui ne fait partie d’OGL que depuis quelques mois et n’a pu participer qu’à un seul atelier reçoit les instructions d’Alice: «Salut Pascal. Je viens d’écouter l’élément de ton collègue que tu as mis sur l’agence. Il s’agit d’un compte rendu et pas d’un reportage. Il parle du M23, de l’implication du Rwanda, des élections, de la CENI, de la réforme de l’armée, de l’appui de la Belgique, du procès Chebeya (3)... Stp, nous en avons largement parlé à Bujumbura. La question de l’angle! On ne peut pas tout dire dans un même reportage.

033

LE Cahier Médias pour la Paix - OGL


En direct

Les journalistes OGL prennent leur pause lors d’un atelier

Il faut aussi écouter les éléments des autres...cf. le reportage d’Isabelle du 21 août... Il faut reprendre et faire des petits papiers séparés. Une parenthèse pour Isabelle. Dans l’interview de ton collègue, il y a une question qui pose problème. Il demande: «Quelle est la réaction de la Belgique par rapport à l’agression dont la RDC est victime de la part du Rwanda?» Il faut faire attention avec ce genre d’affirmation... En tant que journalistes, nous devons nous montrer neutres, même si nous nous sentons concernés d’une manière ou d’une autre par le conflit. Restons professionnels et nous allons changer les choses par notre attitude responsable. Ce n’est pas facile, mais il faut essayer dans la mesure du possible. Merci à tous et courage.» De Kigali, Alphonse Muhire enfonce le clou: «C’est vrai, Rédaf... Pascal, cites au moins tes sources. Là, ton collègue pouvait dire «selon le dernier rapport du groupe des experts de l’ONU.» Le 28 août, les mises au point de la rédactrice en chef concernent d’autres billets postés sur l’agence. Le chaudron de l’insécurité qui bouillonne en permanence dans la région des Grands Lacs, les violences faites aux femmes, les déplacements de population, la difficulté de vivre ensemble, la reconstruction perpétuellement en cours, les droits économiques et sociaux bafoués, les enjeux liés à l’implication de la société civile, les rouages... et les roueries de la politique, tout se passe parfois comme si l’urgence de traiter l’actualité débordante donnait le vertige aux membres du réseau. La question de l’angle tant abordée au cours des ateliers revient alors systématiquement. Mais quand ils ont un peu de temps et les moyens de creuser une thématique, les journalistes OGL s’avèrent redoutablement efficaces. En 2011 après un atelier à

034

LE Cahier Médias pour la Paix - OGL

« Laurent, nous sommes menés deux à zéro. Attendons de voir la seconde période. Je suis la partie par internet, radio et télévision. Tu comprends mon souci d’avoir le plus d’angles de vue possibles (je rigole)! » Goma centré sur les déplacements de population, Christophe Beau, un expert du Norwegian Refugee Council, une ONG très active et qui avait participé à l’atelier donne ses impressions après l’écoute des reportages réalisés par les ogélistes. «Ils sont vraiment de bonne qualité. Du point de vue du simple auditeur, je les ai trouvés clairs et intéressants. Du point de vue des personnes déplacées, j’ai aussi été frappé positivement par les aspects suivants: l’emploi des bons termes

et à bon escient, je suis heureux de voir qu’un réfugié est bien désigné comme tel, de même pour les personnes déplacées, je n’ai relevé aucune erreur, bravo; les références explicites à la Convention de Kampala...; l’intérêt porté aux populations déplacées les plus vulnérables... ; la dignité des personnes déplacées est mise en valeur, plusieurs interviews font ressortir ce que font ces personnes pour s’en sortir, loin des clichés des victimes passives. Bravo aux participants et

bonne continuation! Les sujets liés aux déplacements forcés ne manqueront pas dans la région, malheureusement. Mais je pense que vous êtes maintenant armés pour couvrir cette problématique avec acuité.» L’actualité peut aussi être plus légère. Le 14 décembre, le Tout Puissant Mazembe, le club de football de Lubumbashi, vainqueur en 2009 et 2010 de la Coupe d’Afrique des clubs champions affronte l’Inter de Milan en finale de la Coupe du

monde des clubs champions. De la ville du cuivre, Yvon Mbwebwe Kabeya grand amateur de football comme Laurent Passicousset, ancien joueur professionnel (Saint Etienne, France), ne perd pas son humour malgré la défaite qui s’annonce: «Laurent, nous sommes menés deux à zéro. Attendons de voir la seconde période. Je suis la partie par internet, radio et télévision. Tu comprends mon souci d’avoir le plus d’angles de vue possibles (je rigole)!»

(1) Le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), l’administration rebelle a rallié l’Alliance pour la majorité présidentielle, la coalition qui soutient Joseph Kabila à la suite d’un accord de paix conclu le 23 mars 2009, ses combattants ont été intégrés dans l’armée congolaise. Par la suite, une partie d’entre eux feront défection pour former le M23, un nouveau mouvement rebelle. (2) Julien Nimubona, politologue burundais, par la suite nommé ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sicientifique. (3) Le procès des tueurs présumés de Floribert Chebeya, militant des droits de l’homme, assassiné en 2010.

035

LE Cahier Médias pour la Paix - OGL


En direct

A l’écoute des auditeurs :

la radio propose, l’auditeur dispose…

L

e projet Ondes des Grands Lacs de l’IPP, comme de nombreux projets mobilisant les médias menés par d’autres ONG dans la régionvisait à améliorer l’offre d’information disponible dans les programmes des radios partenaires. Il s’agit là d’un objectif essentiel qui vise à accentuer le rôle de la radio dans les processus de paix et de consolidation de la démocratie et de la citoyenneté. Mais cet objectif ne peut être atteint que si le public est effectivement réceptif aux programmes proposés par les radios. Or quelles sont les habitudes de consommation des auditeurs de la région des Grands Lacs ? Quels sont leurs besoins et leurs attentes en matière de programmation radiophonique ? Ces attentes sont-elles rencontrées par l’offre des radios accessibles dans les différentes localités ? Force est de constater qu’il existe très peu de données disponibles sur les choix et habitudes de consommation médiatique des citoyens de la région des Grands Lacs. Si quelques études d’audience ont été menées de manière ponctuelle, celles-ci se contentent de présenter un classement des radios et de leurs parts de marché,

036

LE Cahier Médias pour la Paix - OGL

sans s’attarder sur les raisons qui poussent les auditeurs à se tourner vers tel ou tel programme. C’est à ce type de question qu’a tâché de répondre l’étude qualitative d’auditoire menée par l’Institut Panos Paris dans 5 villes où émettent les radios membres d’OGL : Bujumbura, Bukavu, Goma, Butare et Kigali.

Une étude par les auditeurs, pour les auditeurs La méthodologie de cette étude, menée de mai 2011 à novembre

2012, est qualitative, c’est-àdire qu’au-delà des chiffres, elle tente de décrypter les pratiques de consommation, les motivations des auditeurs qui aiment particulièrement un journaliste ou un programme, et de cerner les griefs ou les attentes du public envers les radios. L’étude a reposé sur 15 questions, accordant une attention particulière à la circulation de l’information concernant la région des Grands Lacs, étant donné son déploiement

dans le cadre du projet OGL. L’enquête a été menée grâce à la mobilisation d’auditeurs bénévoles, transformés en enquêteurs et en commentateurs critiques des résultats obtenus. Cinq panels d’auditeurs (un dans chaque ville) ont été mis en place : leurs membres ont été initiés à la manipulation du questionnaire et à

tion de la radio, en général, et des radios membres du projet « Ondes des Grands Lacs » en particulier. Au total, les panélistes des 5 villes ont permis de compléter 1.536 questionnaires, répartis de la manière suivante.

Villes

Bujumbura

Goma

Bukavu

Kigali

Butare

Total

Nombre de questionnaires

296

254

283

467

236

1.536

la collecte structurée d’informations ensuite discutées au sein de « focus groupes ». Les panels se sont réunis à quatre reprises (mai 2011, octobre 2011, mars 2012 et août 2012), dans chacune des 5 villes, chaque réunion rassemblant entre 10 et 30 participants. En sollicitant, entre deux réunions, les membres de leur entourage ou les habitants de leur quartier pour qu’ils réagissent aux 15 questions, les panélistes-enquêteurs ont permis de rassembler, puis de discuter, des témoignages de personnes au profil (professionnel, géographique, social, culturel…) diversifié, concernant leur consomma-

Chaque réunion de panel se clôturait par une petite « auto-réflexion » des panélistes sur le processus dans lequel ils étaient engagés, les difficultés rencontrées au cours de l’enquête et leurs interrogations sur leur positionnement en tant qu’enquêteurs. En travaillant durant 15 mois dans le cadre de ce projet, les panélistes disent avoir développé un véritable esprit critique vis-a-vis des médias : c’est une des retombées positives de cette activité. Le fait que ces enquêteurs aient compris que leur participation pouvait avoir un impact sur leur propre paysage médiatique a

été un moteur important de leur engagement. En effet, savoir que les résultats de leur travail seraient transmis aux radios a joué un rôle fondamental dans la perception par les panélistes de leur mission : leur participation est devenue un acte civique et les enquêteurs ont travaillé sans aucune forme de rémunération. Cet article ne constitue qu’un premier avant-goût du travail réalisé par les panélistes-enquêteurs : il se borne à présenter une synthèse des résultats des 4 premières questions, soit à peine un tiers du questionnaire. La finalisation de l’étude globale est en cours et devrait aboutir en avril 2013.

Médias préférés

Sans surprise, la radio est le média préféré des auditeurs interrogés dans les 5 villes concernées par l’enquête, suivie par la télévision, désormais rejointe (et même dépassée dans le cas de Kigali) par Internet. La presse écrite est nettement distancée.

Villes

Bujumbura

Bukavu

Goma

Kigali

Butare

Radio

84 %

85 %

78 %

58 %

56 %

Télévision

23 %

50 %

45 %

27 %

21 %

Presse écrite

5%

10 %

17 %

11 %

10 %

Internet

5.5 %

24 %

22 %

26 %

22 %

Sur le marché de Muyinga


En direct

Les raisons qui poussent les citoyens vers la radio sont liées à la fois à des qualités de ce média (utilisation des langues locales, posibilité d’écoute en déplacement, continuité de la programmation - émissions disponibles à tout moment), mais aussi au fait de l’indisponibilité des autres médias (trop chers, inaccessibles, absence d’électricité en ce qui concerne la télévision, couverture géographique restreinte). L’écoute de la radio sur les téléphones mobiles a rendu la consommation radiophonique plus individuelle, contrairement à la consommation télévisuele qui reste une pratique collective (en famille, chez les voisins). De nombreuses personnes interrogées ont dit préférer la télévision (l’attrait d’un média alliant Bujumbura (306)

Dans le studio de Radio Maendeleo

toutes les villes, Internet se positionne déjà comme un média très apprécié, essentiellement pour la grande diversité des données auxquelles il permet d’accéder, avec un succès croissant des réseaux sociaux qui deviennent une source d’information importante.

tions sur l’ensemble du pays, d’accéder aux informations officielles : elles sont accessibles facilement sur l’ensemble du territoire et accordent de l’importance à la culture burundaise ou rwandaise. En RDC par contre, la RTNC n’est que peu citée dans les radios favorites et n’apparaît pas parmi les 5 premières, alors que Radio Okapi, radio née dans le giron de la MONUC, vient en seconde position et est appréciée pour les missions de service public qu’elle remplit, son caractère apolitique, le professionnalisme de ses journalistes. Radio Okapi joue donc bel et bien le rôle attendu d’une radio « nationale » dans le contexte congolais. La place occupée par les radios internationales est également contrastée d’un pays à l’autre. Alors que RFI est très souvent citée en RDC

En ce qui concerne les radios particulièrement, les préférences présentent des différences importantes selon les pays et les localités où se déroulait l’enquête. Le tableau suivant présente les cinq premières radios les plus fréquemment citées comme favorites dans les 5 localités.

Bukavu (286)

Goma (225)

Butare (226)

58 %

Radio Maendeleo

64 %

Kivu One

37 %

Radio Salus

39 %

BBC

27 %

Radio nationale

13 %

Radio Okapi

36 %

Radio Okapi

34 %

BBC

28 %

Radio Rwanda

19 %

Radio Isanganaro

7%

RFI

31 %

RFI

30 %

Radio Rwanda

20 %

Isango Star

9%

Ivyizigiro

7%

Neno la Uzima

16 %

Mishapi Voice

26 %

RFI

5%

Contact FM

8%

Bonesha FM

7%

RTNK

9%

BBC

22 %

Radio 10

4%

KFM

7%

038

LE Cahier Médias pour la Paix - OGL

L’étude permet de cerner les raisons pour lesquelles les auditeurs aiment les radios qu’ils mentionnent comme favorites. Les radios privées locales (qui arrivent en tête partout sauf à Kigali) sont appréciées pour l’intérêt qu’elles portent aux informations de proximité et la possibilité qu’elles offrent de relayer la parole des auditeurs locaux et donc de faire entendre leurs préoccupations, y compris les critiques vis à vis de la gestion politique de la ville. La RPA à Bujumbura, Radio Maendeleo à Bukavu, Kivu One à Goma et Radio Salus à Butare sont préférées par un à deux auditeurs sur trois. Les radios nationales restent appréciées au Rwanda et au Burundi parce qu’elles permettent d’obtenir des informa-

Même si les goûts sont indéniablement marqués par l’âge, le sexe et la classe sociale des auditeurs interrogés, quelques émissions et personnalités journalistiques se détachent particulièrement dans chaque localité. Le tableau suivant présente de manière synthétique les 5 émissions les plus citées comme « préférées » dans les 5 localités. Bujumbura (306)

aux auditeurs sur les ondes d’une radio locale (Radio Maendeleo), nationale (Radio Okapi) et internationale (RFI). Les journaux parlés sont cités dans les cinq localités parmi les émissions favorites, ce qui montre que, alors que la radio est devenue en Europe essentiellement un média de divertissement, son rôle d’information reste capital dans la région des Grands Lacs. Mais, au Rwanda, on remarque que cette fonction d’information revient surtout aux radios étrangères puisque ce sont deux émissions de la BBC (l’émission de débat en kinyarwanda sur l’actualité

Bukavu (286)

Goma (225)

(par près d’une personne sur trois), c’est la BBC, qui propose une heure quotidienne en kinyarwanda, qui est populaire au Rwanda (écoutée par un peu moins d’un auditeur interrogé sur quatre). Outre leur capacité à donner de l’information détaillée sur la région et sur le monde entier, ces radios internationales sont citées pour leur liberté de ton, leur professionnalisme et l’indépendance de leurs journalistes. Les auditeurs de Bujumbura se réfèrent pour leur part peu aux radios internationales (elles ne figurent pas parmi les « préférées »), l’essentiel de leur intérêt se focalisant sur des radios burundaises qui paraissent combler suffisamment les principales attentes des auditeurs burundais en matière d’information.

ment (Maendeleo, Bukavu) près d’un sur trois et Faucon Faucon (Kivu One, Goma), un sur quatre. Certaines émissions ont suscité des discussions lors des panels car elles provoquent des appréciations très contrastées. Ainsi, les émissions sur la vie de couple et les problèmes amoureux, confinant parfois à l’éducation sexuelle (comme Nomukura he au Burundi ou Imenyenawe au Rwanda) sont à la fois très appréciées (par les jeunes et en particulier les jeunes filles, qui y trouvent de l’information sur des sujets tabous que l’on ne peut Butare (226)

Kigali (467)

Kabizi RPA

43 %

Paix et Développement Radio Maendeleo

28 %

Faucon Faucon Kivu One

25 %

Imvo n’imvano BBC

16 %

Imvo n’imvano BBC

25 %

Journal parlé RPA

29 %

Dialogue entre Congolais Radio Okapi

9%

Dialogue entre Congolais Radio Okapi

23 %

Journal parlé (49) -Gahuzamiryango (BBC)

22 %

Gahuzamiryango BBC

8%

Kigali (467)

RPA

l’image et le son est unanimement souligné), mais ne pas avoir la possibilité (technique, matérielle, financière) d’y accéder, se rabattant dès lors sur la radio. Dans

Emissions et journalistes préférés

10 %

Nomukura hé ? RPA

11 %

Journal parlé français et swahili (22)

8%

Bakolo Muziki RTNC

13 %

Emissions sportives (Toutes radios)

18 %

Sunday Night Isango Star

6%

Ninde (6%) RTNB

6%

Parole aux auditeurs Radio Okapi

8%

Journaux parlés (Toutes radios)

11 %

Imenyenawe Radio Salus

7%

Sport Radio 10 (Toutes radios)

6%

Appels sur l’actualité RFI

6%

Femmes d’ici et d’ailleurs Mishapi

7%

Salus Relax Radio Salus

6%

Abaduserikura RPA

5%

A nouveau, en dépit de l’imprécision de certains résultats, dues à la fragilité du codage des réponses par les enquêteurs, des différences importantes apparaissent selon les localités. A Bujumbura, toutes les émissions favorites émanent de radios burundaises et trois des cinq sont des émissions participatives, ouvertes à la contribution des auditeurs, diffusées sur une même radio : la RPA (Radio Publique Africaine). Les personnes interrogées mentionnent d’ailleurs ce caractère participatif comme un élément important de leur motivation à écouter ces émissions. Il en est de même à Bukavu où trois des émissions citées donnent la parole

régionale diffusée le samedi matin et le journal parlé quotidien en kinyarwanda Gahuzamiryango) qui sont le plus fréquemment citées comme favorites. Les émissions les plus appréciées sur les radios locales concernent le divertissement (musical ou théâtral) ou le sport, très suivi à Butare comme à Kigali. A Bukavu et Goma, comme à Bujumbura, l’émission favorite est un programme de débat participatif qui interpelle les hommes politiques locaux, leur donne la parole et suscite les discussions contradictoires : Kabizi (RPA, Bujumbura) remporte l’adhésion de près d’un auditeur sur deux, Paix et développe-

T héâtre radiophonique “Musekeweya” “Incina mico” Radio Rwanda

15 % 5%

pas aborder avec les parents), et très contestées (par la génération des plus de 50 ans qui sont choqués par les sujets abordés). Les émissions sportives (très appréciées par les hommes, en particulier les jeunes) ou religieuses (prisées par les femmes d’âge mûr) suscitent aussi des appréciations contradictoires, ce qui montre bien la grande diversité des auditoires et de leurs centres d’intérêt.

Les émissions les plus appréciées sur les radios locales concernent le divertissement

039

LE Cahier Médias pour la Paix - OGL


…la radio propose, l’auditeur dispose.

synthéses

Enfin, outre les préférences en matière d’émission, l’enquête a tenté de cerner qui étaient les journalistes préférés des auditeurs et les raisons pour lesquelles ces personnalités étaient particulièrement appréciées. Le tableau suivant reprend les noms des trois premiers journalistes cités dans les cinq localités. Sans surprise, les journalistes préférés sont souvent les animateurs des émissions citées comme favorites. Bujumbura

Londres, Ali Youssouf Mugenzi, qui est cité par un auditeur sur quatre à Butare et un sur cinq à Kigali. Les qualités appréciées chez ces journalistes se recoupent : sont évoqués le courage de dire qu’on pense, la préparation soignée des émissions, le fait de fournir des efforts considérables pour rechercher l’information, la maîtrise des sujets. En particulier au Congo, l’éloquence est mise en avant, qu’il s’agisse de journalistes travaillant en français ou en swahili. Les langues utilisées par les journalistes favoris constituent d’ailleurs une

Bukavu

Goma

interrogées ne font pas la distinction entre « journaliste » et « animateur » : plusieurs des « journalistes préférés » cités ne répondent pas aux critères de qualification professionnelle mais animent plutôt des plages de divertissement. Dans les trois pays, il est arrivé que des pasteurs, appréciés pour leurs prêches sur les ondes des stations confessionnelles, soient cités. D’autre part, lors de la restitution, certains analystes du secteur des médias ont remarqué que les journalistes considérés comme les plus professionnels par les Butare

Kigali

Domitille Kiramvu Journal parlé kirundi RPA

62 %

Jolly Kamuntu Paix et développement Radio Maendeleo

6%

Magloire Paluku Faucon Faucon, Journal Parlé, Club de Réflexion Kivu One

48 %

Ali Youssouf Mugenzi Imvo n’imvano BBC

23 %

Ali Youssouf Mugenzi Imvo n’imvano BBC

19 %

Serge Nibizi Kabizi RPA

35 %

Jean-Baptiste Baderha Paix et développement / Pleins feux Radio Maendeleo / Canal Futur

5%

Hubert Furuguta Faucon Faucon, Journal parlé Radio Colombe / Kivu One

10 %

Emma Claudine Imenye nawe Radio Salus

16 %

Ali Suddy Show Biz, Sunday Night Isango Star

6%

Gilbert Niyonkuru Nomukura Hé ? RPA

5%

Pacifique Zikomangane Journal des Radios Clubs Radio Maendeleo

5%

Juan Gomez Appel sur l’actualité RFI

12 %

Tidjara Kabendera Théâtre / Musique Radio Rwanda

6%

Tidjara Kabendera Théâtre / Musique Radio Rwanda

5%

Que nous enseigne l’enquête sur la manière dont les auditeurs perçoivent les qualités d’un bon journaliste ? D’abord, on constate que certaines personnalités sont de réelles vedettes dans les médias locaux. A Bujumbura, Domitille Kiramvu, présentatrice du journal parlé en kirundi de la RPA, est citée par 62% des personnes interrogées, soit près de deux personnes sur trois. A Goma, Magloire Paluku, directeur de la radio locale Kivu One et animateur de nombreuses émissions, dont l’émission politique Faucon Faucon, est cité par près d’une personne sur deux. Au Rwanda, c’est le journaliste rwandais de la BBC animant les tranches d’information en kinyarwanda depuis

040

LE Cahier Médias pour la Paix - OGL

nuance fondamentale : alors que les journalistes favoris au Rwanda et au Burundi s’expriment tous en kinyarwanda ou en kirundi, plusieurs des journalistes et émissions préférées au Congo sont en français. Cela semble logique dans un contexte de plus grand multilinguisme, alors que les auditeurs rwandais ou burundais parlent tous une même langue nationale. Les réponses à cette question ont également soulevé beaucoup de débat non seulement lors des réunions des panels, mais également lors de la restitution publique des résultats provisoires dans les trois pays en novembre 2012. D’une part, les panélistes-enquêteurs ont noté que de nombreuses personnes

auditeurs n’étaient pas forcément ceux qui bénéficiaient du plus de considération au sein de la profession. L’enquête permet cependant de comprendre pourquoi ces journalistes jouissent de la considération des auditeurs et quels sont les critères les plus importants à leurs yeux pour constituer des référents du professionnalisme. Le courage, l’audace de la critique, la visibilité à travers la présentation du journal l’emportent donc sur des critères plus endogènes à la profession comme le respect des démarches de recoupement et de vérification systématique de l’information, le devoir d’impartialité, la discrétion d’un travail de longue haleine de spécialisation pointue autour d’un dossier précis.

Conclusion Cette brève présentation ne présente que les premiers éléments de l’enquête qualitative menée par l’Institut Panos sur les auditoires des radios de cinq localités de la région des Grands Lacs. Il faut en effet veiller à mettre « auditoires » au pluriel, car il est apparu très vite que les différences de sexe, d’âge, de positionnement dans le monde professionnel ou d’ancrage géographique entrainent des distinctions majeures dans les goûts et habitudes d’écoute en matière radiophonique. Les premiers résultats de l’enquête révèlent des différences importantes dans les habitudes des publics des différentes villes : si la radio reste le média le plus prisé partout, la langue dans laquelle la radio est écoutée, les types de programmes suivis sur des radios locales, nationales ou internationales, les attentes formulées vis-à-vis des journalistes locaux et internationaux diffèrent d’une ville à l’autre. Tout projet visant à appuyer les radios de la région doit pouvoir tenir compte de ces différences et s’adapter aux spécificités et besoins de cette diversité de publics. Bien sûr, l’étude ne prétend à aucune ambition statistique : sa méthodologie, adaptée à la question essentiellement qualitative qui était posée, reposait sur la for-

mation sur le tas d’enquêteurs volontaires, ce qui a généré des imperfections dans les processus de collecte et de traitement des données. Mais l’essentiel ne résidait pas dans la précision des chiffres : il s’agissait de mieux comprendre les motivations des auditeurs et de mener une discussion collective sur leurs pratiques d’écoute. Même si on peut sans doute déduire de l’enquête des ordres de grandeur, des degrés de popularité, des priorités des auditeurs, le but était avant tout de savoir pourquoi les auditeurs aiment telle radio, quelles sont pour eux les qualités d’un bon journaliste, et, dans la partie de l’enquête encore en cours de dépouillement, quel est le rôle de la radio dans la société et quels sont les sujets régionaux sur lesquels ils sont ou souhaiteraient être mieux informés. Il ressort déjà de l’analyse des données des quatre premières questions que la radio reste un média fondamental pour faire circuler l’information dans la région des Grands Lacs, que les citoyens sont extrêmement sensibles aux opportunités qu’offre ce média de participation citoyenne et de débat. Un mode de consommation devenu plus individuel, grâce au transistor mais aussi, désormais, au téléphone portable, qui permet d’écouter la radio n’importe où

et n’importe quand, ainsi que la multiplication récente des radios privées ont entraîné une dispersion et une segmentation des auditoires. Mais quelques émissions et quelques personnalités journalistiques rassemblent encore un grand nombre d’auditeurs émanant de ces communautés disparates, et qui tiennent compte de la programmation de ces moments d’information dans l’organisation de leur journée afin de ne pas manquer ces rendez-vous considérés comme importants. Les données collectées dans le cadre de cette enquête, présentent un intérêt pour un grand nombre d’acteurs du secteur médiatique. Pour les ONG et projets d’accompagnement du secteur radiophonique, qui cherchent in fine, à atteindre efficacement le plus grand nombre d’auditeurs possibles. Mais aussi, dans un contexte où le marché se diversifie, pour les radios elles-mêmes qui savent l’intérêt qu’il y a à disposer de plus de données sur la configuration de leur auditoire et le succès de leurs émissions, afin de présenter des arguments convaincants à des annonceurs qui sont essentiels à la survie économique des stations. Cette étude se veut donc un premier apport à la réflexion sur ces publics d’Afrique centrale en mutation.

Reportage de Pacheco Kavundama de Kivu 1


perspectives

Paix et sécurité

dans la région des

Grands Lacs

Le défi ignoré

Théâtre de violences au temps de la décolonisation, de guerres civiles et de purifications ethniques au cours des décennies 60 et 70, et de génocide, guerre régionale et nouvelles guerres civiles à partir de la décennie 90, la région des Grands Lacs est devenue sans conteste une région martyre et meurtrie. Les victimes de ces atrocités répétitives se dénombrent aujourd’hui par millions ; et plus nombreuses encore sont les populations en déshérence, frappées par l’exil, le déplacement forcé, la faim, les intempéries, la misère toujours plus profonde, les violations graves des droits fondamentaux, la mauvaise gouvernance et parfois, l’absence de l’Etat tout court, et des services élémentaires qu’il devrait pourvoir à ses citoyens. La présente réflexion tente de situer les enjeux, d’examiner les avancées et les reculs en termes de paix et de sécurité ces dernières années dans la région des Grands Lacs, tout en attirant l’attention sur un défi insidieux et souvent ignoré, à savoir l’idéologie de haine et de suspicion dont la nuisance est certainement la cause majeure de la violence et de l’instabilité dans la région des Grands Lacs.

Clarifier les concepts et les enjeux

Par Privat Rutazibwa (Journaliste et chercheur indépendant)

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LE Cahier Médias pour la Paix - OGL

Dans le langage courant, les vocables paix et sécurité ont tendance à être confondus. La paix se définit sommairement comme « absence de violence ou de conflit », ce que d’aucuns considèrent comme une « définition négative » de la paix. Une définition plus large de la paix, appelée aussi « définition positive » implique l’absence des contraintes comme « la guerre, la menace de guerre, la pauvreté, la mauvaise éducation, l’oppression politique, etc. » La sécurité se définit tout aussi sommairement comme « absence de danger et sentiment d’une certaine quiétude. » Traditionnellement, la sécurité s’entendait au sens strictement militaire comme « protection du territoire de l’Etat. » Ce dernier était le principal concerné par la sécurité. Un rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a cependant promu à partir de 1994, le concept de « sécurité humaine » qui met l’accent non plus sur la seule protection du territoire de l’Etat, mais davantage sur la protection des individus et de la communauté, en élargissant l’éventail de ce qu’on peut considérer comme les questions sécuritaires.

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LE Cahier Médias pour la Paix - OGL


perspectives

Les avancées et les reculs en termes de paix et de sécurité dans la région des Grands Lacs

La sécurité humaine implique donc non seulement la liberté de vivre à l’abri de la peur (freedom from fear), mais aussi la liberté de vivre à l’abri du besoin (freedom from want). Elle équivaut à protéger les indivi-

dus contre des menaces telles que les conflits armés, l’arbitraire de l’Etat, les déplacements forcés, la violence politique et criminelle ; mais aussi, à les protéger contre la pauvreté, la famine, la maladie et les catastrophes environnementales. Certains ont tenté de mettre en rapport les deux concepts. Pour les uns, « la sécurité est quelque chose qui assure la paix ; et le bien-être de l’homme est la valeur intrinsèque que la paix doit maintenir ». Pour Yan Xuetong cependant, « la paix constitue seulement un des états de la sécurité. Les autres états de la sécurité sont la guerre et l’état de ‘ni paix ni guerre’ ». Pour cet auteur, la paix est une des voies de résolution de conflit mais pas nécessairement la plus efficace. « En conséquence », dit-il, « nous devrions faire attention à ne pas considérer le ‘maintien de la paix’ comme l’approche essentielle dans le renforcement de la sécurité nationale ». Et de rappeler que « de nombreuses guerres ont été menées en quête de sécurité et au prix de la paix ». La région des Grands Lacs, dont il est ici question, est pour sa part un espace géographique qu’il n’est pas toujours facile de circonscrire. L’expression « Afrique des Grands Lacs » a été utilisée à l’origine par des explorateurs venus à la recherche des sources du Nil, avant de céder le pas à celle d’ « Afrique inter-lacustre » dans les milieux de la recherche. L’expression reprendra un regain d’intérêt avec l’organisation en 1979 à Bujumbura d’un colloque consacré à la « civilisation ancienne des peuples des Grands Lacs ». Les pays considérés comme faisant partie de cet ensemble appelé aussi « région des Grands Lacs » sont à l’époque la Tanzanie, l’Ouganda, le Congo Kinshasa, le Burundi et le Rwanda. Sur le plan politique cependant, la « Communauté Economique des Pays des Grands Lacs » (CEPGL) avait déjà vu le jour à Gisenyi le 20 septembre 1976. Les pays membres de cette organisation étaient le Burundi, le Congo Kinshasa (alors Zaïre) et le Rwanda. La région des Grands Lacs s’est politiquement étendue sur onze Etats depuis l’inauguration officielle du Secrétariat Exécutif de la CIRGL (Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs) à Bujumbura en mai 2007. Les membres de la CIRGL sont l’Angola, le Burundi, la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Démocratique du Congo (RDC), le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan, la Tanzanie et la Zambie. Cette clarification des concepts permet une meilleure compréhension des enjeux de paix et de sécurité dans la région des Grands Lacs. Les débats actuels semblent dominés par une acception négative de la paix en tant qu’absence de guerre. Or la paix, c’est aussi l’absence de discrimination, d’oppression politique et de violation d’autres droits fondamentaux. Les débats sur la paix et la sécurité sont également dominés par une compréhension très restrictive de la sécurité en tant que protection du territoire de l’Etat. Or la sécurité, c’est aussi la protection des individus et des communautés, parfois contre l’arbitraire de l’Etat. Les débats actuels semblent enfin privilégier le « maintien de la paix » comme unique moyen de garantir la sécurité. Or, cette paix apparente qu’on tente de maintenir est parfois synonyme d’absence de sécurité pour certains, et le refus d’examiner les causes profondes du conflit éloigne davantage les perspectives d’une paix véritable.

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La tenue des élections générales (ou présidentielles uniquement) respectivement en 2005 et 2010 au Burundi, en 2003 et 2010 au Rwanda, et en 2006 et 2011 en RDC a marqué la fin de la transition dans les trois pays et ouvert la phase de consolidation institutionnelle. La capacité des trois Etats de délivrer des services essentiels au bien-être des citoyens, -une manière d’assurer la protection de la paix et de la sécurité humaine dans leur sens large- a été déployée de manière très diverse. Dans son Rapport sur le Développement Humain 2011, le PNUD classe respectivement le Rwanda 166ème, le Burundi 185 ème, et la RDC 187 ème (dernier de la liste) sur 187 Etats sur son Indice de Développement Humain (IDH). Ce dernier est bâti sur trois dimensions, à savoir la santé, l’éducation et le niveau de vie. Selon l’institut de sondage Gallup, le Rwanda est aussi le pays le plus sûr au monde: 92% des citoyens s’y sentent en sécurité ; la RDC est à la 5ème place à partir de la fin avec 38% de citoyens qui se sentent en sécurité, et le Burundi au milieu avec 65%. L’enquête de Gallup était conduite en 2011 et elle posait des questions relatives à la confiance dans les forces de sécurité, la possibilité de se promener seul la nuit sans peur, ou encore l’éventualité d’avoir fait l’objet ou non d’un vol au cours des 12 derniers mois. Le Rwanda apparait également à la deuxième place au monde après Singapour, avec un indice très réduit (12%) de la perception de la corruption du gouvernement par les citoyens. Cet indicateur dénommé « institutions et infrastructures » s’intéresse également à la manière dont les citoyens jugent les infrastructures comme le système de transport, l’état des routes, la qualité de l’eau, de l’air, du système de santé, du système éducatif, de la protection des enfants, de la disponibilité des téléphones et téléviseurs dans les foyers, ainsi qu’à la confiance des citoyens dans l’armée, le système judiciaire, le gouvernement et l’honnêteté des élections. (…)Les données de la Banque Mondiale affichent quant à elles 570$ (2011) comme PNB par habitant au Rwanda ; 250$ (2011) au Burundi et 190$ (2011) en RDC.(…) Enfin pour le Rwanda, la troisième Enquête Intégrale sur les Conditions de Vie des Ménages indique une réduction de la pauvreté de 12%, soit un peu plus d’un million d’individus tirés de dessous du seuil de pauvreté en cinq ans (…), soit de 2006 à 2011. Le bilan de la paix et de la sécurité dans la région des Grands Lacs se doit cependant aussi d’être envisagé sous l’acception restreinte et traditionnelle de ces vocables, à savoir le rapport aux conflits armés. La signature des accords de Lusaka (10/07/1999) et de Pretoria (30/07/2002) avait conduit au désengagement total du Rwanda au terme de la deuxième guerre du Congo (1998-2002), avec le retrait du dernier soldat rwandais du territoire congolais par le poste frontalier de Gisenyi le 05 octobre 2002. Les troupes des autres pays impliqués dans la guerre au Congo avaient fait de même, y compris le Burundi, même si ce dernier n’a jamais accepté d’être considéré comme belligérant au Congo. Il semble que les incursions de son armée en territoire congolais n’avaient jamais dépassé les zones en bordure du Lac Tanganyika et qu’elles visaient uniquement à y garantir la liberté de navigation. Avec la fin de la deuxième guerre au Congo, les relations tendaient à se normaliser entre le Rwanda et la RDC. Avec la fin de la deuxième guerre au Congo, les relations tendaient à se normaliser entre le Rwanda et la RDC, du moins coté rwandais. En visite à Kinshasa en octobre 2003, le ministre rwandais des affaires étrangères Charles Muligande avait convenu avec les autorités congolaises de l’ouverture prochaine des ambassades respectives. Le Rwanda avait aussitôt désigné son ambassadeur à Kinshasa, mais les autorités congolaises avaient continuellement différé la validation de son accréditation, au prétexte que « l’opinion publique congolaise n’était pas préparée à l’accueillir ». Sur le plan intérieur congolais, le CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple) ainsi désigné en 2006 mais opérationnel déjà en 2004 lors de son attaque sur Bukavu, s’imposera à l’est de la RDC comme une puissante rébellion face aux FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) jusqu’au 22 janvier 2009, date de l’arrestation au Rwanda de son commandant Laurent Nkunda. Le combat du CNDP a

une visée nationale, mais il a également la particularité de défendre le droit à la vie et à la nationalité des populations rwandophones, spécialement Tutsi victimes de discriminations, de persécutions et de l’arbitraire de l’Etat et d’une classe politique tribaliste, mais également des attaques génocidaires des FDLR (Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda). Pour expliquer cette double dimension de son combat politique, Nkunda comparait souvent la RDC à un vaste hôpital dont les pensionnaires, -à savoir l’ensemble de la population congolaise-, souffrirait de mauvaise gouvernance, les populations rwandophones se trouvant aux soins intensifs ! Alternant avec des combats parfois très rudes, comme l’attaque du CNDP en direction de Goma fin 2006 stoppée par l’aviation de la MONUC (Mission de l’Organisation des Nations Unies au Congo) qui lui avait infligé un massacre d’environ 400 soldats, des négociations entre Kinshasa et le CNDP se déroulent à Nairobi et à Goma. Elles débouchent d’abord sur le communiqué de Nairobi (7 novembre 2007) et sur les « Actes d’engagement » de Goma (23 janvier 2008) qui traitent respectivement du rapatriement des FDLR, du cessez-le-feu et de la démobilisation des combattants congolais. Des opérations de mixage sont tentées entre

soldats du CNDP et des FARDC , mais l’intégration n’est pas réussie. Les pourparlers se poursuivent toutefois et débouchent sur l’accord du 23 mars 2009 obtenu avec la co-facilitation d’Olusegun Obasanjo et de Benjamin Mkapa, respectivement Envoyé Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour la Région des Grands Lacs et Envoyé Spécial de l’Union Africaine et de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs. Entretemps, un rapprochement spectaculaire et inattendu s’est produit entre Kigali et Kinshasa. Une opération militaire conjointe rwando-congolaise avec nom de code « Umoja Wetu » (notre unité) se déroule du 20 janvier au 25 février 2009 sur le territoire de la RDC pour neutraliser les FDLR et rapatrier leurs combattants ainsi que des civils rwandais qu’ils prennent en otage. Le 22 janvier 2009, Laurent Nkunda est arrêté sur le sol rwandais par l’armée rwandaise et il y est détenu jusqu’à ce jour. Il est remplacé à la tête du CNDP par Bosco Ntaganda et c’est ce dernier qui mènera l’intégration de l’ANC (Armée Nationale Congolaise), branche armée du CNDP, au sein des FARDC. Le réchauffement des relations entre Kigali et Kinshasa se poursuit avec la nomination d’un nouvel ambassadeur rwandais à Kinshasa en mai 2009, une initiative que les autorités congolaises accueillent cette fois avec enthousiasme après de nombreuses années de refus. Kinshasa nomme peu après son propre ambassadeur à Kigali. Si le rapprochement entre Kigali et Kinshasa est salué comme l’ébauche d’une ère de concorde par ceux qui rêvent depuis longtemps de paix dans la région, il ne fait pas pour autant l’enthousiasme de tous. La MONUC, initialement exclue des négociations entre les deux pays et interdite d’accès aux zones d’opération de « Umoja Wetu » se serait sentie profondément humiliée et frustrée. Une partie de l’opinion congolaise travaillée par une propagande de suspicion contre le Rwanda n’est pas en reste. Même des intellectuels congolais habituellement respectés pour leur modération et leur perspicacité dépassionnée dans l’analyse des relations rwando-congolaises dénoncent l’entrée des troupes rwandaises de « Umoja Wetu » comme une honte et une humiliation pour le peuple congolais.

Le conflit actuel en RDC : ses enjeux, son évolution et les tentatives de résolution.

La rébellion du M23 proclamée le 06 mai 2012 est née d’un mauvais calcul du Président Kabila et de ses conseillers occidentaux. Il voulait procéder à l’arrestation du général Bosco Ntaganda et par la même occasion, affaiblir ou détruire complètement la structure militaire des anciens soldats rwandophones du CNDP dont l’influence au Kivu était mal perçue aussi bien par Kinshasa que par certains de ses partenaires occidentaux. Un rapport des experts des Nations Unies révèle –involontairement peut-être- cette étonnante synchronisation des efforts entre Kinshasa et certains acteurs de la Communauté internationale.

Les débats actuels semblent dominés par une acception négative de la paix en tant qu’absence de guerre. Or la paix, c’est aussi l’absence de discrimination, d’oppression politique et de violation d’autres droits fondamentaux.


perspectives

Ce groupe des experts dirigé par Steven Hege relate avec précision comment, au cours de son mandat de 2010 et 2011, il avait dénoncé « le pouvoir grandissant et disproportionné des commandants et unités de l’ex-CNDP au sein des opérations Amani Leo des FARDC dans les Kivus. » Les mêmes experts précisent dans leur rapport, qu’au début de 2012, « au milieu de la pression internationale et locale renouvelée en faveur de l’arrestation du général Ntaganda, les FARDC ont cherché à profiter de la situation pour affaiblir progressivement le rôle et l’influence du CNDP au sein de l’armée. » D’autres faits troublants viennent corroborer cette synchronisation. Dans une de ses conférences de presse mensuelles au village Urugwiro ainsi qu’au cours d’un entretien avec des cadres de son parti, le Front Patriotique Rwandais à l’hôtel Sports View à Kigali en juillet 2012, le Président Paul Kagame a révélé, mais sans les nommer, des représentants de la Communauté internationale qui l’avaient contacté peu avant l’éclatement du conflit en RDC pour demander la coopération du Rwanda à l’arrestation de Bosco Ntaganda. Le Président rwandais avait alors appelé peu après son homologue congolais Joseph Kabila au téléphone, pour lui demander s’il était au courant de cette démarche et s’il l’approuvait. Ce dernier avait reconnu dans une réaction embarrassée qu’effectivement les mêmes personnes l’avaient contacté au sujet de l’arrestation de Ntaganda, mais qu’il n’avait pas l’intention de le livrer à la Cour Pénale Internationale (CPI). Il envisageait plutôt de l’arrêter et le faire juger par la justice congolaise pour faits d’indiscipline. Alors que le M23 n’est pas encore né, mais que l’armée congolaise a déjà engagé l’offensive contre Bosco Ntaganda retiré dans sa ferme du Masisi à partir du 07 avril 2012, le directeur général de Human Rights Watch, Kenneth Roth envoie ce message au Président rwandais Paul Kagame et à la ministre des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo sur le site de microblogging Twitter le 08 avril 2012: « Les Congolais meurent en raison des crimes de Bosco. Tout le monde connaît l’échec à endiguer [la rébellion] par crainte de la réaction du Rwanda. Quelle est votre position là-dessus ?» Réponse de la ministre rwandaise : « Les Congolais meurent à cause des génocidaires que vous avez soutenus pendant 18 ans, vous et ceux qui sont à vos côtés à New-York. » Comme en écho à la frustration des experts onusiens ainsi qu’à l’entreprise des FARDC « d’affaiblir l’influence du CNDP », le ministre belge des affaires étrangères pouvait ainsi déclarer en août dernier: « il faut mater les mutins », ou encore : « il faut les reconvertir, ailleurs que dans l’armée.» L’immense unanimité dans la stigmatisation et la condamnation de la nouvelle rébellion congolaise étonne également bien des observateurs. Dans un podcast publié en juin 2012, la Haute Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme « craint que le M23 entraîne une recrudescence des viols et des meurtres en RDC », et son porte-parole M. Colville

qualifie les dirigeants du M23 de « belle collection d’assassins notoires.» Cette initiative de la commission des Nations Unies sera qualifiée d’ « inhabituelle » par certains médias ! Le journal Le Monde du 26 décembre 2012 a publié une tribune signée par des personnalités françaises dont la Première Dame de France ainsi que la ministre déléguée à la Francophonie. Le document stigmatise le M23 pour viol et recrutement des enfants soldats ; ce qui a suscité une réaction indignée de l’écrivain J.F Dupaquier dans Libération du 29 et 30 décembre 2013. Au cœur de cette campagne de condamnation et d’indignation contre le nouveau mouvement rebelle, une journaliste de Libération s’étonne de découvrir à Goma, que l’ONG Human Rights Watch distribue de l’argent à des volontaires affamés qui accepteraient de témoigner contre le M23. Maria Malagardis raconte : « Dans ce dispensaire de quartier, les femmes l’affirment sans détour : elles ont faim. Alors elles acceptent la petite compensation financière offerte par Lane, enquêteur américain de l’ONG Human Rights Watch. «Il cherche des témoignages contre le M23», explique maladroitement Assumpta, la responsable du lieu. Le jeune Américain est servi : «La nuit, les infiltrés du M23 continuent à tuer, à égorger», s’insurgent les femmes en chœur. Où sont les corps des victimes ? «On les mange», murmure Assumpta, en roulant des yeux. » Ce sont là quelques échantillons de la synergie entre le gouvernement de Kinshasa et la communauté internationale pour « détruire le pouvoir grandissant et disproportionné » des anciens soldats du CNDP. Avant l’éclatement du conflit, le Président Kabila avait pour sa part essayé d’associer le Rwanda au projet d’arrestation du général Ntaganda et surtout de démantèlement de la structure militaire de l’ancien CNDP ; et il espérait certainement la coopération de Kigali comme il l’avait eue au moment de l’arrestation de Laurent Nkunda en janvier 2009. Des émissaires avaient été envoyés à Kigali pour cette mission précise dès décembre 2011, et de nombreuses réunions de haut niveau entre délégations congolaises et rwandaises ont eu lieu à Kigali, à Rubavu (Gisenyi) et à Kinshasa. Dans une réunion tenue à Rubavu le 08 avril 2012 réunissant des envoyés du Président Kabila, des anciens soldats du CNDP dont le futur chef du M23 Sultani Makenga et une délégation rwandaise conduite par le ministre James Kabarebe, les ingrédients du conflit naissant avaient été analysés et des recommandations pratiques formulées. La délégation gouvernementale congolaise avait exposé les cas d’indiscipline de Bosco Ntaganda également accusé d’empêcher ses officiers d’exécuter les ordres de la haute hiérarchie militaire. La délégation des officiers rwandophones avait quant à elle étalé une série de plaintes et revendications, indiquant que leur refus d’être déployés en dehors du Kivu n’était pas liée à l’indiscipline de Ntaganda. Ils évoquaient des questions

de traitement discriminatoire au sein de l’armée en ce qui concerne les salaires et les grades. Ils dénonçaient aussi des persécutions fondées sur une idéologie extrémiste de haine en disant qu’une fois déployés en dehors du Kivu, les soldats rwandophones et particulièrement tutsis étaient visés et parfois tués par leurs collègues de l’armée ainsi que par la population civile. Ils dénonçaient enfin l’inertie de la haute hiérarchie militaire qui n’était pas motivée à leur donner les moyens logistiques pour combattre les FDLR, en l’accusant d’avoir gardé la vieille complicité avec ces forces génocidaires auxquelles elle passait des informations sur les attaques imminentes avant les opérations ! Au terme de cette rencontre de Rubavu, il avait été convenu d’arrêter immédiatement les hostilités qui avaient éclaté dès le 1er avril 2012 dans le Sud-Kivu entre FARDC et un nombre très restreint de soldats fidèles à Ntaganda. Les Rwandais recommandaient également aux deux délégations congolaises de mettre en place une commission technique pour résoudre les problèmes administratifs et opérationnels soulevés par la délégation des anciens du CNDP. S’agissant de Ntaganda dont la délégation gouvernementale congolaise disait que le Président Kabila était fatigué du mauvais comportement, la facilitation rwandaise rappelait la résolution d’une précédente réunion à Kigali avec une délégation congolaise qui recommandait que le Président Kabila maintienne l’amnistie en faveur de Ntaganda et qu’en échange, ce dernier renonce à l’indiscipline, qu’il affiche profil bas et qu’il se retire de Goma. Il était enfin recommandé que le redéploiement des soldats ex-CNDP et ex-PARECO se fasse initialement au Kivu pour éviter l’escalade, et que le redéploiement dans les autres provinces se fasse graduellement. Le Président Kabila ne va toutefois pas suivre les conseils des autorités rwandaises. Dans un entretien avec des officiels dont des représentants de la société civile de Goma à l’hôtel Ihusi le 11 avril 2012, il promettait des « changements dans l’armée » ainsi que l’arrestation du général Bosco Ntaganda. Aux autres militaires rwandophones qui lui avaient adressé un mémorandum le 24 mars 2012 contenant leurs principaux griefs et revendications, Kabila répondait que « dans l’armée, la revendication collective n’existe pas. » Pourtant, la nature particulière des problèmes abordés dans ce mémorandum de deux pages exigeait peut-être du Président congolais une dérogation à cette règle bien connue dans toutes les armées du monde et dont même les auteurs étaient bien conscients en prenant soin de ne pas signer le document ! Ils y exposaient entre autres cet incident : « Quarante six (46) militaires de l’EX-CNDP déployés à Dungu ont été tués sans cause seulement à cause de leur morphologie. Ce qui frise la confiance d’être déployé en dehors de notre rayon d’opération. (Sic !). Comme on pouvait s’y attendre, le conflit a vite dégénéré. L’armée gouvernementale a choisi la manière forte, s’attaquant d’abord à Ntaganda et son groupe restreint de fideles dans sa ferme de Masisi, mais sans pouvoir les désarmer ni les capturer. Rapidement, les autres soldats rwandophones ont senti qu’ils étaient menacés. Le colonel Sultani Makenga qui était demeuré loyal à l’armée gouvernementale et qui avait même conseillé à certains officiers rwandophones mutins dans le sud-Kivu de négocier la reddition plutôt que de rejoindre Ntaganda a finalement décidé de déserter le 04 mai 2012 en se retirant dans le maquis de Runyonyi en territoire de Rutshuru. Plus populaire que Ntaganda qui avait remplacé Nkunda dans des conditions obscures à la faveur d’un arrangement entre Kigali et Kinshasa, Makenga attirera vers lui des milliers d’autres soldats des FARDC dans sa désertion, et le conflit gagnera en ampleur et en intensité. Le 6 juillet 2012, exactement un mois après la création du M23, ce mouvement s’empare de la ville frontalière de Bunagana, puis de Rutshuru, et d’autres bourgades avant de prendre la capitale provinciale Goma le 20 novembre et Sake le 22 novembre 2012. La prise de Goma contraint finalement le gouvernement de Kinshasa à négocier. Les rebelles acceptent de quitter la ville après 11 jours d’occupation et les pourparlers commencent à Kampala à partir du 09 décembre 2012 sous les auspices de la CIRGL présidée par le Président ougandais.

Comme on pouvait s’y attendre, le conflit a vite dégénéré. L’armée gouvernementale a choisi la manière forte, s’attaquant d’abord à Ntaganda et son groupe restreint de fidèles dans sa ferme de Masisi, mais sans pouvoir les désarmer ni les capturer.

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perspectives

Dans son allocution au 19eme sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de France et d’Afrique tenu à Ouagadougou du 04 au 05 décembre 1996, le premier ministre zairois d’alors, Mr Léon Kengo wa Dondo avait condamné la « redéfinition des frontières et la création d’Etats à composante mono-ethnique » avant de déclarer : « il est en effet de plus en plus clair aujourd’hui qu’on cherche à constituer un glacis allant de la plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu aux frontières sud du Soudan en passant par les forets du Maniema, le Nord-Kivu, les terres de Bunia, Watsa, Isiro, dans le haut-Zaire. » Il prêtait ces intentions à la rébellion de l’AFDL, mais surtout au Rwanda. Son ministre de l’intérieur et vice-premier ministre, Gérard Kamanda wa Kamanda pouvait accréditer « l’idée de la création d’un empire hima » qui selon lui « cherche à prendre corps des bords du Kenya englobant l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda et une partie de la Kagera tanzanienne et du Zaire. Les Tutsi se retrouveraient là, et les Hutu seraient déversés dans les pays voisins. »

Le Rwanda, le Burundi et la RDC ont réalisé ces dernières années des avancées remarquables ou timides selon les domaines et selon chaque pays, en ce qui concerne la paix et la sécurité humaine dans leur acception la plus large

Un défi ignoré : le racisme anti-tutsi et la suspicion contre le Rwanda

L’idéologie de haine contre le Tutsi et de suspicion contre le Rwanda continue de vicier les analyses sur ce conflit. Dans leur rapport, les experts de l’ONU ont affirmé que la « nouvelle guerre du M23 visait la sécession des deux Kivu » et que le Rwanda appuyait ce mouvement; ce qui a entrainé la suspension ou la coupure de l’aide au développement de ce pays par ses principaux bailleurs de fonds internationaux. Or, il apparait clairement que c’est le gouvernement de Kinshasa qui avait un plan de guerre, avec un double objectif : démanteler l’ancienne structure militaire du CNDP dans la foulée de l’arrestation de Bosco Ntaganda. La rébellion du M23 ne s’est formée que par réaction, et cette analyse est attestée par le caractère chaotique et hésitant des premiers jours de la mutinerie marqués par des désertions limitées ainsi que des redditions de nombreux mutins ex-CNDP et PARECO aux forces gouvernementales, avant que la rébellion du M23 ne se forme un mois plus tard après la désertion du colonel Sultani Makenga.

Quant à l’accusation de balkanisation du Congo ou de sécession de l’est de ce pays, il faut remarquer qu’elle n’est pas du tout nouvelle. Elle

était déjà en vogue dans les années 1980 au Zaïre de Mobutu, lorsqu’a commencé la propagande systématique de persécution et de marginalisation contre les Tutsis, articulée autour du thème de la « nationalité douteuse.» Les coupables de la balkanisation à cette époque déjà, c’étaient les Tutsi globalement considérés comme des refugiés et des étrangers. Même les Banyejomba des zones de Rutshuru (Bwisha) et Bwito, les Bagogwe du Masisi, et les Banyamulenge des zones de Mwenga (Itombwe), Fizi (Minembwe), Uvira (Bijombo) et Nord-Shaba (Vyura) qui n’ont que le Zaire comme patrie sont malicieusement assimilés aux quelques familles de refugiés Tutsi exilées du Rwanda en 1959 et 1973. La thèse de la balkanisation était principalement véhiculée par le fameux « Plan de Colonisation Tutsi au Kivu et région centrale de l’Afrique. » Présenté et diffusé comme un document secret des Tutsis, ce faux est en réalité une fabrication des milieux extrémistes hutus du Nord-Kivu (Masisi et Rutshuru) pilotés par les services secrets rwandais de l’époque à travers une pseudo-coopérative dénommée MAGRIVI (Mutuelle des Agriculteurs des Virunga). L’historien et africaniste français Jean-Pierre Chrétien compare ce document au « protocole des sages de Sion », un faux fabriqué par la police tsariste en Russie et largement diffusé dans le monde.

Attribué indûment aux juifs comme leur plan de domination sur le monde, il a servi de prétexte à de nombreux pogroms et autres persécutions contre ce peuple. Le « Plan de la colonisation Tutsi au Kivu et région centrale de l’Afrique » a servi pour sa part à alimenter des tensions et des troubles violents contre les Tutsi, dans les universités et instituts supérieurs notamment. C’est ainsi que dans les années 80, une chasse aux étudiants Tutsi avait été organisée au campus universitaire de Kinshasa. La campagne appelée « Opération Herbe » avait été précédée d’une distribution de tracts dont l’un s’intitulait « Vive la nation zaïroise ! A mort les usurpateurs de notre nationalité ! » Outre les graves injures et menaces de mort contre les Tutsi, le tract s’insurgeait- à cette époque déjà!- contre la « balkanisation » du Congo dont le Rwanda est accusé aujourd’hui. Il traitait les Tutsi Congolais (Zairois à l’époque) de « groupe d’imposteurs et d’usurpateurs de nationalité (qui) réclame même l’autonomie sur le territoire national, de certaines entités du sol zaïrois. Il s’agit notamment des zones de Masisi, Rutshuru, Goma, Idjwi, Kalehe, et une partie des zones d’Uvira, de Fizi et de Mwenga, toutes dans la région du Kivu, qui sont pourtant parties intégrantes de notre pays, mais aujourd’hui, réclamés par ce peuple tutsi ;… Ces haïs qui veulent nous entamer la géographie de notre pays. » La thèse de la balkanisation du Congo cédera le pas à la théorie plus vaste de la « création d’un empire Hima-Tutsi » à partir de 1990. Le Front Patriotique Rwandais (FPR) venait de faire son apparition sur la scène politique rwandaise, et la propagande du régime de Habyarimana voulait mobiliser la sympathie et la solidarité régionale et « raciale bantou » en présentant son principal adversaire comme une menace non seulement contre le Rwanda, mais également contre les autres peuples des pays voisins. Le fameux rapport Vangu Mambweni issu d’une mission parlementaire zaïroise réalisée au Kivu en 1994 revient, dans ses conclusions, sur l’idée d’un « empire hamite. » « Créant des poches d’expansion tutsi à travers toute la région des pays des Grands Lacs même en utilisant les Hutu par leur appartenance à l’Etat rwandais et non à la nation rwandaise référentiellement (sic) à la notion qu’ont les Tutsi de celle-ci, les tutsi de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et tous les autres Tutsi qui vivent au Zaire, au Kenya et en Tanzanie projettent, dans le futur proche, la naissance d’un empire hamite qui pour des raisons de camouflage, s’appellerait la République des Volcans ou les Etats-Unis d’Afrique Centrale si leur union fédéraliste relie effectivement Dar-es-Salam à Matadi. »

La thèse de la « balkanisation » du Congo (et sa variante d’ « empire Hima-Tutsi ») ne constitue donc pas une découverte de la part des enquêteurs de l’ONU, mais plutôt une répétition et une tentative de cautionner par l’ONU une vieille obsession de certains milieux politiques. Et cette obsession s’est développée sur fond de propagande raciste anti-Tutsi et plus tard, sur fond de suspicion contre le FPR et contre le Rwanda post-génocide; ce qui induit à penser que cette idéologie ethniste anti-Tutsi demeure la cause profonde de l’instabilité en RDC et dans toute la région des Grands Lacs. Le Rwanda, le Burundi et la RDC ont réalisé ces dernières années des avancées remarquables ou timides selon les domaines et selon chaque pays, en ce qui concerne la paix et la sécurité humaine dans leur acception la plus large, à savoir l’absence de conflit et les conditions de bien-être des citoyens. S’agissant de conflit cependant, la RDC est demeurée vulnérable à des rébellions récurrentes, et depuis avril dernier, le gouvernement est en guerre avec le M23 dans le Nord-Kivu à l’est du pays. Des initiatives diplomatiques ont été entreprises pour tenter de mettre un terme à ce conflit, et à l’heure actuelle, les pourparlers entre les deux parties se poursuivent à Kampala sous les auspices de la CIRGL. La communauté internationale ne semble cependant pas jouer toujours un rôle positif dans ce processus. Les analyses ainsi que les politiques menées dans la région ne semblent pas promouvoir la paix et la concorde à l’intérieur de la RDC, moins encore le rapprochement avec son voisin le Rwanda. Une analyse qui prendrait également en compte la dimension de la haine contre le Tutsi et de la suspicion contre le Rwanda très marquée dans l’opinion congolaise ainsi que dans certains milieux internationaux pourrait contribuer pourtant à libérer la région d’une grave menace sécuritaire. NDLR : l’article peut être lu dans son intégralité sur : http://www.panosparis.org/spip.php?page=projet&id_article=59

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Le développement économique en zone de conflit : cas du Nord Kivu L’Est de la RDC n’est pas qu’une terre dévastée par les conflits. Dans un contexte coutumier complexe, le développement économique y est réel, notamment dynamisé par les femmes.

Lorsqu’on évoque la région des Grands Lacs, les premières images venant à l’esprit sont celles des conflits interminables, des guerres cycliques avec leur lot de camps de déplacés, de réfugiés, de femmes violées, de morts dont les statistiques évoluent chaque année au gré des rapports successifs des différentes organisations internationales qui ont trouvé en cette région un terreau fertile pour expérimenter la perspicacité de leurs experts.

Par Onesphore SEMATUMBA Directeur Information et Plaidoyer Pole Institute – Goma (RDC)

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Cette approche apocalyptique occulte cependant une autre face, plus positive, qu’il conviendrait de valoriser davantage, surtout en ce qui concerne l’Est de la RD Congo et la province du Nord Kivu. Il s’agit de la vitalité économique des populations qui, en dépit -ou à cause- d’un contexte extrêmement difficile, inventent au jour le jour des mécanismes de survie qui leur permettent de ne pas sombrer corps et biens. Et le rôle central qu’y jouent les femmes qui suppléent au quotidien l’impuissance –économique - des hommes réduits au chômage ou à des emplois mal ou pas du tout rémunérés. Dans cet article, nous allons d’abord présenter brièvement les conflits dans la province du Nord Kivu qui nous semble être le condensé de toute la conflictualité des Grands Lacs, basée essentiellement sur le triangle meurtrier Terre- Pouvoir- Identité. Nous décrirons ensuite la

Les conflits ont persisté, moins médiatiques certes, mais parfois plus meurtriers que ceux qui font la une des médias et la préoccupation des diplomates.

façon dont les conflits, et notamment les dernières guerres de l’Est de la RD Congo, ont significativement remodelé le paysage économique du Nord Kivu, une province qui, du jour au lendemain, est passée du statut de « grenier de la RDC » à celui de pourvoyeuse de « minerais de sang ». Nous terminerons par la description de l’économie au quotidien, « au taux du jour », telle qu’elle est vécue par les femmes gagne-petit, qui n’hésitent pas à dépasser les frontières en conflits.

Les conflits au Nord-Kivu, microcosme des Grands Lacs

La province du Nord Kivu, à l’est de la RDC et aux confins du Rwanda et de l’Ouganda, est le microcosme de tous les conflits qui agitent les Grands Lacs depuis maintenant plus d’un demi-siècle. En effet, depuis l’accession des pays de cette région aux indépendances autour des années 60, chacun d’eux a connu ses périodes de conflits inter-ethniques, de guerres civiles, de massacres à grande échelle et même de génocide, comme celui perpétré au Rwanda en 1994.

Vers la fin du 20ème siècle, on a assisté à une sorte de régionalisation assumée des violences avec les guerres régionales impliquant des armées des pays tiers dans les crises de leurs voisins. On l’a vu en 1996, lorsque les armées rwandaise, ougandaise et burundaise sont intervenues dans l’ex-Zaïre pour des raisons diverses, provoquant la chute du régime de Mobutu en 1997 et l’avènement de l’Alliance des forces pour la libération du Congo-Zaire (AFDL) de Laurent Désiré Kabila au pouvoir à Kinshasa. L’année suivante, en 1998, le Rwanda et l’Ouganda accompagnaient une autre rébellion congolaise, le Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD) qui visait le renversement de Laurent Désiré Kabila. Ce dernier parvint à sauver son pouvoir en invitant d’autres puissances à son secours, notamment l’Angola et le Zimbabwe. Laurent Désiré Kabila a par la suite été assassiné et remplacé par son fils Joseph Kabila qui dut signer un accord de partage du pouvoir avec les rébellions qui occupaient une grande partie de cet immense territoire à Sun City (Afrique du Sud) en 2002.


perspectives

Le territoire de Masisi est d’une beauté incomparable, en temps de paix, il offre des opportunités incommensurables ; certains n’hésitent pas à le qualifier de « Suisse de l’Afrique ».

Depuis lors, deux élections présidentielles ont été organisées, respectivement en 2006 et en 2011, et à chaque fois Joseph Kabila a été proclamé élu. Jusqu’à la guerre actuelle entre le gouvernement de Kinshasa et la nouvelle rébellion du Mouvement du 23 mars (M23, la RDC en général et la province du Nord Kivu n’étaient donc plus en guerre et le pays était considéré comme étant en période post-conflit. Et pourtant, les conflits ont persisté, moins médiatiques certes, mais parfois plus meurtriers que ceux qui font la une des médias et la préoccupation des diplomates. Bien avant 1996 et la guerre de l’AFDL, le Nord Kivu était en proie à des oppositions meurtrières entre certaines communautés ethniques, en territoires de Masisi et de Rutshuru. Ces conflits présentés globalement comme inter-ethniques sont en réalité une compétition pour le pouvoir entre des communautés présentées comme « allochtones » ou carrément « étrangères » et celles qui se considèrent comme « autochtones ». Les premières comprennent les Hutu et les Tutsi, appelés aussi Banyarwanda du fait qu’ils parlent le kinyarwanda (la langue du Rwanda) ; les « autochtones » constituant le reste des communautés du Nord Kivu. Au plus fort de la crise entre les deux blocs, on a même parlé de G2 (les deux communautés banyarwanda) et de G7 (les sept communautés non- banyarwanda). Le pouvoir, dans une région dont l’économie est essentiellement et traditionnellement agricole, est symbolisé par la terre. Dans la plupart des coutumes locales, seul le « Mwami », le Chef coutumier, est détenteur de la terre, il est le seul à la distribuer, étant le seul à détenir le pouvoir. Les conflits dans cette province du Nord Kivu, ceux qui sont les plus présents devant les cours et tribunaux, sont des conflits fonciers. Mais lorsque ces types de conflits engagent des communautés entières, il s’agit plutôt de conflits de pouvoir qui, lorsqu’ils sont mal gérés ou instrumentalisés, peuvent être à la base des situations inextricables et servir de déclencheurs à des violences meurtrières. Cette dimension n’est pas généralement prise en compte par la plupart des experts de cette région qui cherchent à réduire les conflits récurrents du Nord

Kivu et de l’Est de la RDC à des entreprises de pillage des ressources minières au profit des pays voisins et des multinationales. La réalité est plus complexe.

De la vache au coltan : les conflits et la reconfiguration de l’économie traditionnelle au Nord Kivu

Au plus fort du boom du coltan en 2000, une boutade circulait à Goma, la ville chef-lieu de la province du Nord Kivu. On disait que Dieu avait vraiment gâté le territoire de Masisi : il n’avait plus de vaches, mais la bouse de celles-ci était extraite sous forme de coltan. Cette boutade en dit long sur l’économie de cette province qui est passée du statut de grenier du pays à celui de pourvoyeuse de « minerais de sang ». En effet, cette province jouit d’un climat et d’un sol extrêmement propices à l’agriculture et à l’élevage. Le colon belge ne s’y était pas trompé en privilégiant des plantations (quinquina, thé) et des fermes. Le territoire de Masisi est d’une beauté incomparable, en temps de paix, il offre des opportunités incommensurables ; certains n’hésitent pas à le qualifier de « Suisse de l’Afrique ». Mais c’est aussi le plus instable, où se sont commis et se commettent encore les pires violences entre les communautés. Cette situation d’instabilité a remodelé le paysage de certains espaces, y compris au sens propre. Les anciennes fermes ont été détruites, d’immenses crevasses ont pris la place des prairies ; là où paissaient des vaches se sont installés des carrés miniers artisanalement exploités. Ce nouveau type d’activité économique est en réalité une activité de substitution, qui ne profite guère ni à la communauté, ni aux creuseurs qui tirent « la matière » des entrailles de la terre. Les véritables bénéficiaires se trouvent loin en aval, dans les bureaux des intermédiaires installés dans les pays voisins climatisés des multinationales ou plus près, dans les cercles des généraux, des colonels et d’hommes politiques congolais qui profitent d’une exploitation anarchique d’un secteur qui pourrait pourtant être plus rentable avec un minimum de régulation.

A l’époque de la rébellion du RCD (1998-2002), un autre secteur a connu une activité remarquable. Il s’agit de celui de l’aviation intérieure. Du jour au lendemain, des compagnies d’aviation ont vu le jour, dont aucune ne disposait de plus d’un appareil, généralement pris en location avec leurs pilotes en Ukraine, en Russie ou ailleurs dans l’exURSS. Ces vieux avions qui n’auraient pas pu voler dans aucun autre ciel du monde assuraient des rotations entre les différentes petites villes qui étaient sous le contrôle du mouvement rebelle et servaient au transport des produits manufacturés de la grande ville (Goma, Bukavu, Kisangani) vers les petites villes (Lodja, Kalemie, Kindu, etc.) et ramenaient des matières brutes (minerais, huile de palme) destinées à l’exportation. Cette économie de guerre ne profitait donc qu’à une poignée de Congolais (des politiciens et des officiers militaires) qui avaient des connexions avec des étrangers.

Mécanismes de survie ordinaire en temps de guerre : la vie au taux du jour et économie solidaire

La ville de Goma compte à peu près un million d’habitants. Elle a connu une démographie exponentielle du fait de la persistance de l’insécurité dans les territoires périphériques qui a occasionné un afflux important de déplacés vers ce qui était resté un relatif havre de paix dans une zone tourmentée, avant sa récente occupation par la rébellion du M23. De ce million d’habitants, seule une poignée (10%, selon les estimations) a accès à un emploi et très peu d’emplois peuvent nourrir leur homme. A titre d’exemple, un enseignant licencié (bac+5) a un salaire mensuel de 40 000 francs congolais (près de 40 USD) et la solde d’un général de l’armée est de 62 USD. On peut donc estimer que 90% des Gomatraciens (les habitants de Goma) vivent en marge de tout travail officiellement reconnu et que ceux qui travaillent ne peuvent pas vivre décemment de leur gain. Un tel tableau pourrait laisser croire qu’on compte des morts de faim à chaque coin de rue et que la misère se lit sur la plupart des visages.

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Chaque jour, ce sont de longues files de Congolais - majoritairement des Congolaises - qui traversent pour aller acheter de la viande, des tomates, des chèvres, des volailles qu’ils reviendront revendre à Goma.

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La réalité est tout autre ! Goma, par sa vitalité, ressemble à une ruche. Confrontés à une insécurité devenue chronique et qui les contraint à rentrer tôt le soir, les Gomatraciens se lèvent à l’aube pour aller « lutter », c’est-à-dire se battre pour survivre. Selon une boutade, l’espérance de vie d’un Congolais est de 24 heures renouvelables ! Sur le plan économique, une autre dit qu’on vit au taux du jour. Ici, il n’y a ni vacances ni repos. Les femmes sont devenues particulièrement actives économiquement. Dans nombre de foyers, elles sont devenues les principales pourvoyeuses de fonds. Interrogées sur ce renversement des rôles, certaines d’entre elles disent que leur principale vertu économique, c’est leur modestie. Les hommes, disent-elles encore, dédaignent certaines activités. Ainsi, ils ne vendraient pas de l’huile de palme, ni du poisson, ni encore du charbon de bois, alors que ce sont les produits les plus rentables. Elles disent aussi dépasser plus facilement les barrières, y compris les frontières des pays voisins. Il est particulièrement remarquable de constater la vitalité des échanges économiques transfrontaliers entre Goma et Gisenyi (Rwanda) malgré les tensions diplomatiques et politiques entre Kigali et Kinshasa. Chaque jour, ce sont de longues files de Congolais- majoritairement des Congolaises- qui traversent pour aller acheter de la viande, des tomates, des chèvres, des volailles qu’ils reviendront revendre à Goma. Leur capital dépasse rarement

les 20 USD et leur profit ne va pas au-delà de 5 USD par jour. « J’affecte une partie du bénéfice à la nourriture, j’épargne le reste pour payer les études de mes enfants », nous a déclaré une femme vendeuse de tomates. En face, les Rwandais – dont une majorité de femmes- forment les mêmes queues pour venir au Congo où ils vendent les mêmes produits (tomate, viande) dans la rue ou font du porte à porte dans les quartiers et les avenues, des pratiques qui ne sont pas tolérées dans leur pays. A part quelques rafles occasionnelles organisées par la Police pour décourager ce commerce à la sauvette, cette concurrence ne semble pas occasionner de conflits entre les commerçants eux-mêmes. Nous avons même identifié à Goma et dans d’autres centres urbains une pratique économique qu’on pourrait appeler « commerce sans capital ». Le principe est le même. La femme –parce qu’il s’agit principalement de femmes- se lève tôt et va prendre place devant un entrepôt ou un grand magasin. Le propriétaire de l’entrepôt lui cède une petite quantité de marchandise (1 demi-sac de sucre de 25 kilos de sucre, par exemple) qu’elle va revendre au détail sur place (par verre, par gamelle ou par seau). A la fin de cette revente, la femme remet au commerçant le prix d’un demi-sac de sucre et garde le bénéfice pour elle, avant de revenir le lendemain. L’unique

capital dans ce cas est fait de confiance et d’assiduité, le bénéfice étant généralement insignifiant ; certaines le prennent parfois en nature, surtout lorsqu’il s’agit des produits alimentaires comme le haricot ou la farine de maïs ou de manioc qui constituent la base de l’alimentation localement.

Miser sur le futur : le défi de la gouvernance

Les conflits dans la région des Grands Lacs et plus spécifiquement ceux qui sont devenus chroniques à l’Est de la RD Congo ont une incidence néfaste sur l’économie en général, au point que même les campagnes dont la vie était naguère rythmée par les saisons culturales connaissent désormais le phénomène de chômage, un chômage rural dû à l’inaccessibilité des terres à cause de l’insécurité. Face à une vie quotidienne devenue une lutte sans merci pour la survie, les populations ordinaires, c’est-à-dire la majorité de cette région potentiellement si riche déploient des trésors d’énergie et inventent des stratégies pour ne pas sombrer, en attendant des temps plus cléments où la vie économique -et la vie tout court- va redevenir normale. A condition, évidemment, que ceux qui profitent de ces conflits pour s’enrichir ou manipulent les identités pour à des fins politiciennes ne continuent pas à avoir prendre en otage une région qui mérite un meilleur sort.


perspectives

Le Burundi a adhéré à l’East African Community (EAC) le 1er juillet 2007, en même temps que le Rwanda. Les perspectives de développement sont bonnes et les étapes se suivent à la faveur des protocoles signés entre Chefs d’Etat, Ministres et Parlementaires régionaux. Cependant, deux questions se posent : tout cela ne va-t-il pas trop vite et les populations, notamment burundaises, en tirent-elles les bénéfices attendus ? Cet article propose une analyse économique des impacts des accords signés au sein de l’EAC sur l’économie burundaise. Il comprend trois parties. La première relève les étapes théoriquement suivies et leurs fondements ; la deuxième présente les faits marquants et la troisième analyse les perspectives d’avenir du bloc régional.

Croire aux effets d’une intégration régionale

Les effets de l’intégration régionale L’East African Community (EAC) est une réalité et facilite désormais les échanges économiques entre les pays membres. L’intégration régionale se vérifie-t-elle au Burundi ? Par Gilbert NIYONGABO Professeur d’économie à l’Université du Burundi

Une des raisons qui pousse les pays à échanger par le commerce est la spécialisation. En effet, selon la théorie défendue par D. Ricardo (1817), tous les pays peuvent produire tous les biens mais en y consacrant des ressources différentes. Le pays le plus compétitif est celui qui produit à moindres coûts et cela en vertu des avantages technologiques. D’autres analystes ont complété cette théorie en se fondant sur l’abondance des ressources dans certains pays plus que dans d’autres. Ainsi, les pays riches en pétrole ou minerais se spécialiseraient facilement dans l’exportation de ces produits, bien qu’il puisse y avoir des effets induits liés aux revenus investis dans les secteurs diversifiés. Cependant, l’un des principaux effets négatifs ressentis est la transmission des inégalités. En effet, la théorie de Samuelson-Balassa (1948) stipule que l’existence des ressources inégalement réparties dans un pays conduit à une inégale répartition des revenus. Par conséquent, les pays peuvent craindre de s’ouvrir au marché international à cause de la domination des pays développés, forts de leurs avantages technologiques. Les pays sous développés seraient réduits à fournir les matières premières, souvent mal rémunérées, à cause de la concurrence atroce des pays fournisseurs. Dans le but de gérer les effets inéluctables liés aux échanges commerciaux, de nombreux pays se sont organisés en groupements. Ainsi en 1947, le GATT est créé par une vingtaine de pays pour négocier les traités sur les tarifs douaniers mais aussi pour servir de cadre d’accords commerciaux négociés de manière multilatérale. Il vise aussi à supprimer tous les obstacles au commerce mondial. Petit à petit, les accords négociés se transforment en politiques commerciales non tarifaires et les pays se réunissent pour des négociations (appelées à l’époque rounds). Le GATT va alors connaître huit rounds et le dernier, tenu en 1994, va donner naissance l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). En tant qu’organisme international, l’OMC va alors consacrer la promotion du libre-échange ave des règles de conduite applicables à tous les pays dès 1995. C’est dans ce contexte de rude compétition mondiale et de mondialisation des échanges commerciaux que certains pays préfèrent se regrouper en blocs selon leur proximité géographique ou leurs similitudes économiques. L’objectif visé est notamment celui de l’élargissement du marché. Ainsi, le Burundi, de par sa position géographique, a adhéré à plusieurs organisations régionales dont la Communauté économique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) en 1976, la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) en 1983, le Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA) en 1994 et l’East African Community (EAC) en 2007.

Malgré, la multitude des accords signés, le suivi de ces accords et le volume des échanges commerciaux constituent les indicateurs de l’importance du groupe auquel un pays appartient. Ils sont aussi les étapes successives pouvant conduire à une union monétaire : La Zone d’Echanges Préférentiels (ZEP) caractérisée par des tarifs douaniers faibles ou moins élevés pour tous les pays membres ; La Zone de Libre-Echange (ZLE) dans laquelle les tarifs douaniers sont nuls pour les importations en provenance des pays membres ; L’Union Douanière (UD) où il y a libre circulation des biens et des services au sein des pays membres qui adoptent aussi Tarif extérieur commun (TEC) pour des produits provenant en dehors de la zone ; Le Marché commun (MC) se caractérise par la libre circulation des biens et des services mais également celle des facteurs de production, entre autres le capital et la main d’œuvre. Le marché commun consacre le libre établissement des entreprises et des personnes physiques ; L’Union économique et monétaire se caractérise par une harmonisation des politiques monétaires, budgétaires et par la création d’une monnaie unique. La sixième étape, rarement atteinte, est la constitution d’une Fédération politique au sein de laquelle toutes les politiques sont harmonisées avec un seul pouvoir de décision.

Quelques faits marquants des groupements régionaux.

Le Burundi fait partie des principaux regroupements régionaux. Pour comprendre leur rôle spécifique, il est utile de les passer en revue. - La CEPGL : La Communauté Economique des Pays des Grands Lacs regroupe la RD Congo, le Rwanda et le Burundi, soit d’anciennes colonies belges. Il est le regroupement le plus ancien et qui a le moins bien fonctionné depuis sa création. Créée en 1976, la CEPGL dispose de cinq organes dont une banque. Minée par l’instabilité politique et les conflits entre les pays membres, elle peut seulement compter sur la SINELAC, la Société Internationale de l’Energie des Grands Lacs. Les autres organes comme l’IRAZ chargé des recherches agronomiques et zootechniques ou la Banque BDEG ont soit disparu ou n’existent que de nom. La CEPGL est basée sur des objectifs assez généraux comme la sécurité, la coopération et la libre circulation des personnes et des biens. Seule la circulation des personnes est permise, celle des biens est toujours soumise au tarif douanier et ne dispose de mécanisme de contrôle. - La CEEAC : La Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale regroupe dix pays : l’Angola, le Burundi, le Cameroun, la République de Centrafrique, le Gabon, le Congo, République Démocratique du Congo, la Guinée Equatoriale, São Tomé et Principe et le Tchad. Malgré l’existence de relations diplomatiques assez soutenues, les relations économiques sont fragiles compte tenu de leurs faibles productions et du manque de mesures incitatives à des investissements communs. Créée en 1983, la CEEAC a néanmoins comme objectif d’étendre l’union douanière (troisième étape théorique de l’intégration régionale) existant entre les pays de l’Afrique Centrale afin de consolider la CEPGL. Mais à l’heure actuelle, ce lien n’a pas eu de mécanisme de suivi. - Le COMESA : Le Marché Commun pour l’Afrique Orientale et Australe (ou Common Market for Eastern et Southern Africa) est le groupe le plus important en termes du volume d’échanges économiques, de prospérité économique et du nombre d’adhérents (19 pays membres). Il a été créé en 1994 pour renforcer les échanges entre l’Afrique australe et orientale. Le bloc est caractérisé par une population estimée à plus de 390 millions d’habitants et une production de 170

Les pays sous développés seraient réduits à fournir les matières premières, souvent mal rémunérées, à cause de la concurrence atroce des pays fournisseurs.

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milliards USD en 2006 (Statistiques du Comesa). La force principale du COMESA est l’établissement d’une zone de libre échange, une extension de la zone d’échanges préférence ou la PTA (Preference Trade Area). Le COMESA a renforcé la libre circulation des biens avec un tarif nul, une assurance extraterritoriale, une banque (PTA Bank) et des mécanismes compensatoires des recettes douanières perdues. En général, les importations et les exportations du COMESA sont respectivement de 32 milliards USD et 82 milliards USD, tandis que les échanges intra-communautaires sont passés de 5,7 milliards USD en 2005 à plus 17 milliards USD en 2009. C’est donc un groupe basé sur des organes fonctionnels et efficaces qui voit ses échanges progresser de manière considérable. - L’EAC : L’East African Community est née en 2000 de trois anciennes colonies britanniques (Kenya, Ouganda et Tanzanie) rejointes par le Burundi et le Rwanda, le 1er juillet 2007. Il faut rappeler que l’EAC renait de ses cendres. En effet, une première fondée en 1967, cette communauté a été dissoute en 1977 suite à des divergences d’ordre politique entre les Etats membres mais aussi en raison de l’absence de participation du secteur privé et de la société civile. Partant de cet échec, les trois pays fondateurs ont fait une deuxième tentative de coopération dès 1996, débouchant sur la signature du Traité établissant la Communauté Est Africaine en 1999, traité qui est entré en vigueur le 7 juillet 2000. Ce traité envisage l’intégration régionale en différentes étapes, dont l’Union douanière, le Marché commun (étapes déjà franchies) et enfin l’Union monétaire avec une monnaie unique à l’horizon 2015. A ce jour, c’est le groupement le plus dynamique avec une production approchant les 60 milliards USD. Les moteurs économiques sont le Kenya (20 Milliards USD) et la Tanzanie (21 milliards USD), suivis par l’Ouganda (13,5 milliards USD), le Rwanda (4 milliards USD) et le Burundi (1,2 milliards USD). En termes d’exportations, les échanges sont également dominés par le Kenya et la Tanzanie. Malgré cette croissance économique, de manière générale, le revenu par habitant moyen reste faible, 400 USD par habitant. En bas de tableau figure le Burundi avec un revenu de 133 USD par habitant.

La place de l’économie burundaise.

De manière globale, l’économie burundaise est largement dépendante de ses exportations de matières premières, en l’occurrence le café et le thé, deux produits introduits à l’époque coloniale. Le coton, cultivé dans la région d’Imbo, semble disparaître progressivement au profit des cultures vivrières. Le café, représentant depuis plusieurs décennies plus de 80% des recettes à l’exportation, est souvent marqué la chute des cours, influençant négativement les prix payés aux producteurs. Depuis 1990, des réformes sont en cours pour libéraliser toute la filière café afin d’inverser l’impact subi de la baisse de la production. Depuis l’indépendance en 1962, la production varie mais stagne globalement: 13 000 T en 1962, 20 000 T, en 1970 et 19 000 T en 2012. Par contre, la production théicole évolue positivement. De 2 229 T dans les années 80, elle a grimpé à 8 817 T à la fin de l’année 2011, représentant une valeur de 29 milliards de Fbu selon les données de la BRB(2011). Malgré une longue expérience dans la production et l’exportation de ces deux matières premières, le secteur agricole ne s’est pas modernisé et les paysans n’ont jamais été propriétaires des usines implantées dans leurs localités. Malgré l’absence de modernisation, le secteur agricole burundais pèse lourd dans l’économie nationale, près de 50% de la production nationale représentant près 2 000 milliards Fbu en 2012, soit 1,2 milliards USD.

Seul le secteur tertiaire lui fait un peu concurrence avec une production annuelle de près 700 milliards Fbu, un écart qui se réduit toutefois au fil des années. En retard, le secteur secondaire, quant à lui, ne décolle pas. Il s’agit du secteur qui aurait le plus besoin d’apport technologique ou financier extérieur pour soutenir l’économie nationale. L’intégration régionale va certainement combler ce vide existant entre le manque d’investissements dans ce domaine. Les usines burundaises vont viser la filière agricole de transformation de produits alimentaires qui sont actuellement largement importés. En absence d’une production suffisante, les échanges avec l’extérieur sont donc fortement déséquilibrés et marqués par une inflation augmentant de manière constante, plus de 10% chaque année entre 2007 et 2012 selon les rapports de la BRB (Bulletins mensuels, 2012). Les échanges avec l’extérieur dépassent de très peu les 100 milliards Fbu et sont dominés par les exportations de café (80 milliards) et de thé (20 milliards). Le montant des importations avoisine quant à lui les 900 milliards Fbu (2011), en provenance d’Asie essentiellement. Dans ce contexte, il ne faut pas minimiser les importations en provenance d’Afrique. Elles se sont accrues en 2011 et proviennent en général de l’EAC (180 milliards) et du COMESA (la Zambie fournit pour 44,6 milliards). Les importations de la CEPGL sont faibles, avec la RD Congo (6,7 milliards) et le Rwanda (7,5 milliards). Au Burundi, l’équilibre de la balance commerciale est rendu possible grâce à l’aide extérieure, soit des dons (sous forme de projets de développement) ou d’appuis au budget de fonctionnement de l’Etat. Le volume des dons a dépassé les 407 milliards Fbu depuis 2007, à la suite de la stabilisation politique retrouvée.

Vers la monnaie unique ?

L’évolution de l’EAC en Marché Commun permettra au Burundi de tirer profit de la mobilisation des ressources, financières et technologiques entre autres. L’implantation de nombreuses banques en provenance de la région est une preuve suffisante de l’efficacité du marché, même si les entrepreneurs locaux doivent aujourd’hui faire face avec une forte concurrence régionale. Toutefois, l’étape de l’Union monétaire prévue à l’horizon 2015 s’avère exigeante car il subsiste beaucoup de critères de convergence à respecter avant d’arriver à la monnaie unique. En effet, l’expérience récente de l’euro avec la crise que l’Europe traverse, montre la rigueur de la convergence monétaire en termes de politique économique. En effet, les critères de convergence proposés par le Traité de Maastricht auxquels l’EAC semble se référer sont très formels. Ils portent sur différentes variables à savoir l’inflation, la dette publique, le déficit public, la stabilité du taux de change et la convergence des taux d’intérêt. Les seuils fixés pour l’Union Européenne sont les suivants : - le taux d’inflation ne doit pas dépasser 1,5 % par rapport à celui des trois États membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix ; - interdiction d’avoir un déficit public annuel supérieur à 3 % du PIB par rapport à l’année précédente et d’une dette une dette publique supérieure à 60 % du PIB par rapport à l’année précédente ; - système de change fixe comme passage obligé ; - les taux d’intérêt de long terme ne doivent pas dépasser 2 % par rapport à ceux des trois États membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix. De manière globale, les critères suivis sont gérables par les institutions politiques des pays membres. Toutefois, la politique monétaire pure est sous l’autorité des Banques Centrales et de la Banque Centrale Européenne. Celle-ci dispose alors d’un pouvoir monétaire exceptionnel et se veut indépendante vis-à-vis des autorités politiques, ce qui ne manque pas d’attirer des critiques.

Pour le cas de l’EAC, le Comité des Affaires Monétaires s’est fixé trois étapes pour mettre en place ces critères de convergence macroéconomique. Pour la première étape (entre 2007 et 2010), les critères étaient le déficit budgétaire (hors dons) ne devant pas dépasser les 6,0% du PIB, un taux d’inflation annuel moyen ne dépassant pas les 5% et les réserves extérieures minimales de 4 mois d’importations de biens et services non facteurs. Des critères secondaires ont été ajoutés et ont porté sur la stabilité du taux de change réels, la réalisation et l’entretien de base des taux d’intérêt du marché et la croissance économique minimale de 7,0 % ainsi que la gestion de la dette publique. La deuxième étape est prévue pour la période 2011-2014. Elle soit permettre de resserrer davantage les critères. Le déficit budgétaire serait alors ramené à 5% au plus, et l’inflation ramenée aussi au même taux et les réserves à plus de six mois d’importation. La troisième étape doit conduire à la monnaie unique, introduite et diffusée dès 2015. Bien entendu, tous ces délais ont été rallongés et d’aucuns peuvent se poser la question de savoir si cette convergence sera atteinte et durant combien de temps elle sera respectée.

Priorités nationales ou communautaires ?

L’intégration de l’économie burundaise à l’EAC a permis de relever beaucoup de défis notamment ceux relatifs à la compétitivité des entreprises burundaises et des secteurs de croissance. En adhérant à ce bloc, le Burundi profite de la mobilité des ressources disponibles dans la région et bénéficie des investissements régionaux comme les routes, les chemins de fer et d’autres infrastructures communes. Ces avantages ne sont pas exclusifs, il est possible de tirer profit de tous les groupements comme la CEPGL pour l’énergie en pensant à d’autres infrastructures comme les routes et les ports pour encourager même le commerce transfrontalier. Néanmoins, l’étape ultime de l’union monétaire de l’EAC prévue en 2015 (date déjà reportée au vu des étapes précédentes) est un défi à relever par les pays membres. Il influence leur politique économique, leur impose une discipline budgétaire rigoureuse et un abandon de la politique monétaire au profit d’une Banque Centrale Unique. Le Burundi pourra-t-il s’adapter à des critères de convergence aussi stricts ? Et encore, cette rigueur imposée et ce manque de flexibilité de politique économique inhérents à la monnaie unique ne risquentils pas de pénaliser les investissements sociaux tels que l’on observe dans d’autres régions du monde ? En réalité, chaque pays devrait peser les avantages et les inconvénients pour son économie avant de passer à l’étape suivante de l’intégration pour éviter un pur formalisme. Mais la réussite des étapes de l’EAC pourra servir de modèle à d’autres groupements régionaux souvent réduits à une administration publique.

L’étape de l’Union monétaire prévue à l’horizon 2015 s’avère exigeante car il subsiste beaucoup de critères de convergence à respecter avant d’arriver à la monnaie unique dans la zone EAC.

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LE Cahier Médias pour la Paix - OGL


Quand

l’information dépasse Début 2009, Panos Paris débutait la mise en œuvre du projet Ondes des Grands Lacs (OGL)

Un projet visant à soutenir le processus de paix et de réconciliation en cours entre le Burundi, le Rwanda et la RDC en favorisant la mise en réseau des médias de la région et en encourageant le dialogue transfrontalier sur des thématiques sensibles et communes. Ce projet était une réponse à un contexte politique, social et humanitaire tendu au sein ou entre ces trois pays depuis le début des années 90. En effet, les années de conflits avaient généré un ressentiment des communautés les unes envers les autres, offrant aux seigneurs de guerre un terreau fertile à leur action de manipulation des esprits. Des tensions en constante évolution toutefois, grâce aux efforts de paix entrepris par les pays eux-mêmes, leurs sociétés civiles, les médias et les instances régionales et internationales. Le Projet OGL entendait soutenir la mobilisation médiatique et accompagner le secteur des médias dans leur mission la plus noble : informer le public en toute indépendance et faciliter l’accès de ce public à l’information de qualité. La conviction de Panos Paris était qu’une meilleure circulation d’une information professionnelle et non partisane sur les réalités et les problématiques régionales pouvait encourager un sentiment d’appartenance commun, une meilleure compréhension, par chaque population nationale, de l’histoire et du vécu des citoyens des deux autres pays, ce qui constitue le premier pas vers une paix durable. Pari réussi ? Ce Cahier des Médias pour la Paix apporte des éléments de réponses, à travers les conclusions d’une étude d’auditoire menée à l’échelle des trois pays, ainsi que les témoignages de journalistes et de chercheurs. Retrouvez l’actualité des Grands Lacs sur l’agence de presse en ligne Echos Grands Lacs sur : www.echos-grandslacs.info - alimentée par les 12 radios du projet Ondes des Grands Lacs à rtetrouver sur le site : www.panosparis.org Cette publication a été réalisée avec l’appui de l’Union européenne, de Sida et de Cordaid Son contenu relève de la seule responsabilité de Panos Paris et des auteurs et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’Union européenne ni d’aucun autre bailleur. Photos et rédaction : Jacky Delorme Coordination : Pierre Martinot et Sayfonh Khamphasith Graphisme & Mise en page : Sébastien Guérin

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