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demain les flammes histoire orale Nathan Golshem et s’ouvre enfin la maison close L’histoire orale d’un squat au tournant du siècle

L’histoire orale d’un squat

EAN : 9782492667084 Parution : septembre 2023 Pagination : 160 p. Format : 11,5 x 17,8 cm Prix : 10 € Couverture dorée à chaud Deuxième édition

La légende raconte que, au cœur d’un ancien bordel à l’architecture baroque ravi à la rapacité du marché immobilier, des gens fougueux et pleins d’espoir s’engouffrèrent à bride abattue dans le tourbillon d’une vie collective. Là, ils vécurent des expériences aussi formatrices qu’exaltantes en conduisant une guerre contre le Vieux Monde. Si le squat du Clandé (1996-2006) ne vous évoque rien, si vous ne connaissez pas la ville où il a existé – Toulouse –, et si vous n’avez jamais mis les pieds dans un lieu occupé, tant mieux. Puisse cette histoire orale vous égarer dans un univers fécond où s’ébattent des gens emportés par des imaginaires politiques et culturels d’une rare puissance.

Récipiendaire du Groprix du festival Groland, 2022

demain les flammes 43, rue de Bayard / 31000 Toulouse contact@demainlesflammes.fr / demainlesflammes.fr


extraits

et s’ouvre enfin la maison close

avant-propos

notre histoire

C’est toujours la même histoire. Des gens jeunes, fougueux, pleins d’espoir, s’engouffrent à bride abattue dans le tourbillon d’une vie en éclosion. Puis, on ne sait pas trop pourquoi, on perd leur trace, ils disparaissent. Et avec eux leurs anecdotes, leurs récits, leur expérience. Nous ont-ils quittés épuisés, meurtris, déçus, ou bien le courant des événements les a-t-il simplement emportés vers d’autres rivages ? Comment savoir, maintenant qu’ils ne sont plus là ? Les livres n’en parlent pas – ou si peu, ou si mal. Bien sûr, j’exagère. Bien sûr, les histoires se transmettent. Autrement, nous serions condamnés à répéter inlassablement les mêmes erreurs, telle une farce moins drôle à chaque représentation. Sauf que ce n’est pas si simple. Il faut que les plus âgés soient encore là, prêts à ne pas garder le silence, et qu’ils racontent – les mythes et leur envers, la sueur, l’effort, la poisse, l’attente, la banalité d’un quotidien parfois morne, en tout cas moins séduisant qu’un étincelant cocktail enflammé volant en un parfait arc de cercle vers des cieux azurés, ou qu’une amitié d’une telle intensité qu’elle perdurera jusqu’à la fin des temps, croix d’bois croix d’fer. Enfin, il faut savoir les écouter. Sans cela, le poids des exploits de nos aînés ne ferait qu’accentuer 7


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notre sentiment d’impuissance, et on peinerait à trouver des récits qui ressemblent à nos vies – pleines de ratés, d’hésitations, de petites joies et de découragements aussi intenses qu’inconséquents. J’étais trop jeune pour que l’histoire du squat du Clandé soit la mienne. Il m’a manqué quelques mois. Ou bien un peu plus d’obstination pour convaincre mes parents de laisser partir leur fils de quinze ans dans un univers dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence. Mais franchement, ce n’est pas bien grave. Ne faut-il pas aussi des gens pour écarquiller les yeux de surprise et d’admiration, ou rire aux éclats quand quelqu’un raconte une bonne histoire ? Ne faut-il pas des gens pour répandre les légendes et espérer vivre à leur tour des aventures similaires ? Après tout, sans public, un concert n’est plus qu’une simple répétition. Et il y a autre chose. En grandissant au milieu du punk, je me suis retrouvé dans un tiraillement existentiel ; je me projetais dans un ailleurs que jamais je n’aurais été en mesure d’envisager quelques années plus tôt, et qui sous de nombreux aspects faisait basculer vers une incertitude abyssale cette vie que j’avais imaginée toute tracée, stable, remplie de certitudes. Là, je naviguais dans un univers où les ruptures étaient courantes et les questionnements féroces. Des gens arrivaient puis repartaient, d’autres hésitaient, mes convictions s’effondraient pour mieux renaître, des amis occupaient une maison, on y voyait des concerts, puis du jour au lendemain ils étaient expulsés. C’était vivant, c’était intense, mais tenir le cap sous l’avalanche d’autant d’émotions n’était pas chose aisée. Or, il était une histoire qui ne semblait souffrir d’aucune querelle, tel un long fleuve tranquille de bonheur partagé – un mythe, en somme. Était-il vrai que dans un ancien bordel 8


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reconverti en squat autogéré avaient vécu des êtres heureux qui, aujourd’hui encore, étaient liés par une indéfectible fraternité ? Se pouvait-il que ce que je lisais dans les fanzines à propos d’un ailleurs fantasmé, ce que j’imaginais avoir eu cours en d’autres temps et en d’autres lieux ait existé si près de moi ? Mieux : se pouvait-il que j’en connaisse certains des protagonistes ? C’est en 2015 que j’ai eu l’idée de ce livre. En 2016, j’ai consulté les archives. En 2017, j’ai posé mes premières questions, souvent sans micro. Ensuite, j’ai fait autre chose. Puis je m’y suis remis : 2019, 2020, 2021. Enfin nous voici, vingt-six ans après l’ouverture du Clandé, en 1996, et seize ans après son expulsion, en 2006, au seuil de l’histoire d’un squat racontée par une partie de celles et ceux qui l’ont faite. La mémoire, fidèle alliée de l’approximation, aime à travailler dans son coin. Et c’est très bien ainsi : ce livre n’offre aucune exactitude historique. Il tente plutôt de saisir ce qu’a pu être pareille expérience pour toutes ces personnes, ce qu’elles en ont fait pendant, après, ailleurs. Ce livre cherche à transcrire un bout des émotions qu’une aventure aussi forte a pu susciter chez les gens qui l’ont vécue. Alors, si le Clandé ne vous évoque rien, si vous ne connaissez pas la ville où il a existé – Toulouse –, si vous n’avez jamais mis les pieds dans un squat, tant mieux. Puisse ce livre vous égarer dans cet univers fécond où s’ébattent des gens emportés par des imaginaires politiques et culturels d’une rare puissance. Il m’aurait fallu des heures et des heures d’entretien supplémentaires, puis consacrer des heures et des heures encore à la recherche et à l’écriture pour prétendre faire autre chose qu’une exploration subjective et parcellaire centrée sur une poignée de personnages dont les actes et les imaginaires 9


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se nourrissaient mutuellement. Et il manque tellement de choses… J’aurais aimé intégrer à ce récit d’autres versions des faits ou d’autres généalogies explicatives. J’aurais rêvé épiloguer sur les murs de guitares d’Aghast et les mélodies arrache-cœur de Sed Non Satiata, conter l’attaque d’une banque à l’ammoniac, les occupations de l’agence pour l’emploi par des chômeurs et précaires, le murage du siège du Parti socialiste en soutien aux sans-papiers, les souvenirs de quelques faussaires, les aventures des autres squats qui peuplaient la ville, ou m’épancher sur des soirées durant lesquelles les lendemains comptaient si peu, faire revivre les anonymes innombrables qui habitèrent ces murs le temps d’une après-midi, d’un concert ou d’un passage dans cet infokiosque où se forgeaient des amitiés et des vocations… Oui, j’aurais tellement aimé… Mais le temps m’a manqué. Et j’ai compris une chose : il y a urgence. Il faut vivre.Vite ! Nathan Golshem



L’AUTEUR Ugo Riou vient du milieu des années quatre vingt-dix. En promenade, il revient parfois poser sa valise dans sa ferme natale du Finistère. Enthousiasmé par toutes les formes d’art déconcertantes, c’est la musique noise et les dessins d’enfants qu’il préfère. Lorsqu’il n’écrit pas, il lui arrive d’écosser les petits pois. Son univers littéraire allie fantasmagorie bouffonne et effusion poétique. Bakasable est son premier roman.

BAKASABLE Ugo Riou Roman

Roman audacieux qui s’affranchit des codes, principalement de la temporalité, et offre une fable baroque unique en son genre. Sous fond d’une guerre supposée totale, des enfants aux attitudes d’adultes sont comme piégés dans une classe tenue par une maîtresse excentrique, dont le rôle est de tout leur désapprendre. Ils y créent une pièce de théâtre sans scénario, qui s’insère de force dans le récit, et démultiplie la narration. Digressions poétiques et métaphysiques, situations absurdes et personnages grotesques achèvent de rendre ce livre inquiétant et drôle à la fois. Et derrière tout ce vacarme apparent, une réflexion profonde sur la nature de l’être humain et le monde incertain dans

Parution : 05.04.2024 Prix ttc : 21 euros Nombre de pages : 160 pages Format : 13 x 18 cm Poids : 250 gr.

lequel il tente d’exister.

Isbn : 9782956166054

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BAKASABLE Ugo Riou Roman

La maîtresse a commencé à nous bourrer le mou avec l’avenir alors qu’on avait encore tous un pied dans le ventre de nos mères et que, tout ce qu’on cherchait à faire, c’était de se contorsionner pour prendre le chemin en sens inverse. Elle nous parlait d’un point à l’horizon et nous demandait de nous y acheminer. Nous, tout ce qu’on voulait, c’était retourner à la cave. Pour s’oublier à nouveau dans le noir liquide qu’on avait déjà connu. Oublier le prêchi-prêcha de la maîtresse, oublier son point d’horizon. S’oublier soi-même et oublier les autres. — Allez jouer dehors les enfants, le temps est resplendissant. — Non merci, on préfère rester au dedans. Elle était perplexe. On lorgnait sur son gros trousseau de clés. — Quelle cruauté maîtresse, de nous avoir sorti de là. Vous pourriez au moins nous laisser y refaire un petit tour ? Juste le temps de la récréation. — La belle affaire ! Si je vous laisse y refaire une escapade, je sais bien que vous n’allez pas revenir. On ne peut pas compter sur vous. Et je ne vais pas retourner vous y chercher moi. C’est dégueulasse de tremper ses mains là-dedans. Regardez plutôt dehors, il y a un soleil radieux. C’était faux, le soleil était plein de rats. Rongé du dedans. Mais il se dissimulait bien derrière le maquillage de sa surface étincelante. — Maîtresse, rendez-nous nos caves ! — Jamais ! À qui j’adresserai mon instruction si je vous laisse retourner d’où vous venez ? Les insultes pleuvaient sur la maîtresse. On devenait hargneux. Prise de panique, elle balançait alors les clefs de nos caves dans le tableau et reprenait tranquillement le cours de sa leçon. Pendant ce temps, on se morfondait de plus bel en silence. — Vous êtes sûr que vous ne voulez pas aller vous amuser un peu dehors les enfants ? Le grand air vous fera le plus grand bien. — Moi le grand air, je lui pisse dessus. — Roh, Gauthier, voyons. On riait tous nerveusement.

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Au cœur de la bête Lorrain Voisard

PRÉSENTATION Voie étroite, en écrivant, entre la réhabilitation d’un mode de vie considéré comme inférieur, et la dénonciation de l’aliénation qui l’accompagne. Annie Ernaux, La place

En librairie avril 2024 Format : 14 x 21 cm

Dans l’usine de la campagne voisine, il y a des gens et des bêtes qui vivent et qui meurent les uns contre les autres. Par moments leurs poils ou leurs yeux s’emmêlent plus que prévu et traversent les frontières établies entre les lieux, les individus, les espèces. Se forment des moments de vie plus ou moins souterrains où se mélangent l’horreur quotidienne et la poésie, le rêve, et le réel, le plus palpable. Et peut-être qu’au bout de ce mélange se trouvent des pistes de renouement possible, par le fond de la terre et les entrailles… Dans l’usine de la campagne voisine, il y a tout une classe de la population, une classe hybride, intello-artisanale, bricoleuse et débrouillarde, qui n’a jamais cessé de penser avec les mains et de façonner du lien avec son “environnement”.

Pages : 152 p. Reliure : broché, collé rayon : Témoignage Prix : € / CHF ISBN 978-2-8290-0683-8

AUTEUR Né à Saint-Imier en 1987, Lorrain Voisard grandit entre la campagne et la ville. Il prolonge des études de lettres en travaillant à l’école et au MacDo, aux champs et à l’usine. Il s’éloigne d’un doctorat sur le green-washing artistique pour retourner fouiller du côté du travail pénible et de l’injustice sociale. Il vit en Suisse et en Catalogne, travaille dans les jardins et dans les livres.

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A la fin des porcs, le chef me lance. – T’as déjà fait du boudin ? Je pensais que je pourrais aller fumer dans le soleil, boire un café, respirer, mais il m’explique qu’il faut que je prenne un seau et une baguette de plastique et que je fouette du sang. Normalement il y a un pétrin électrique, mais c’est la fin de la saison et il paraît que la demande en sang caillé diminue. – On ne fait que quinze litres aujourd’hui alors ça sert à rien de salir la machine. Bon, tu bats et surtout tu t’arrêtes pas ! Compris ! Alors je fouette. – C’est pas fort, mais rapide, précise le chef. Tsac ! Faut pas qu’il prenne. Je fouette. Peut-être deux coups par seconde. Mais il faut le brasser, ce seau de sang. Ça résiste peu, mais plus que de l’eau ou du lait, et je sens vite la tendance à tralentir le rythme. J’essaie de reprendre. En passant, Greg demande. – Tu t’es déjà fait violer ? Il paraît que c’est la mode, maintenant, tout le monde se fait violer. Dylan, tu t’es déjà fait violer, non ? Tiens, moi je me suis fait violer, j’ai pas de honte à le dire. Je me demande où est le sérieux de ce qui pour lui semble être une plaisanterie, s’il se sert de l’humour pour laisser échapper des demi-confidences. Je brasse le sang. En huit comme la fondue, et j’ai les bras qui peinent. Je me demande combien un porc a de sang… Et moi ? Quelques litres, cinq peut-être ? Ça en fait beaucoup quand on le voit sortir. Je me disais que c’était l’électrocution qui tuait les porcs, mais Charles a dit que ça les plonge dans le coma, irréversible, mais comme s’ils vivaient encore. Donc ça serait la saignée les achève, ou plutôt qui les tue. Tout à coup je suis plus que complice. Je crois bien que j’ai tué ces porcs. Je peux toujours m’en sortir en pensant que l’électrocution est plus importante, comme dans un peloton d’exécution, me dire que moi j’avais la balle à blanc – c’est arrangeant de diviser la mise à mort. Mais légalement je crois que c’est moi qui les ai tués. Cette fois c’est Charles le complice et moi le tueur : tu parles d’un statut. Tout ce qu’il reste à savoir, c’est si on s’en défait. Délai de prescription, circonstances atténuantes éventuellement. Je pourrais plaider l’intérêt scientifique, tenter encore une fois de me distancier… l’intérêt commun avec les animalistes, ou les carnivores… Je me demande jusqu’à quand on va me laisser là à remuer le sang. Peut-être qu’on m’aura oublié, que je resterai ici à battre jusqu’à la fin des temps, moi tout sec mais le sang frais dans le seau. On dirait qu’une petite mousse apparaît à la surface. – Alors, ça fatigue ? J’ai des crampes dans les épaules, mais je dis seulement « un peu », comme un bon petit mec qui a pris l’habitude de minimiser sa peine jusqu’à ce que ça lâche. – Fais voir.


Le chef tâte le flanc du bidon pour prendre la température, puis plonge la main dedans. Ouais, il estime. Et il retire l’écume, à main nue. Il a un gant de sang qui s’arrête au poignet. Il se rince la main. – Tu vois, si tu le bats pas, ça coagule, et les molécules qui font que ça coagule, c’est elles qui font cette mousse. La rose, ça s’appelle. – La rose ? Ça serait presque poétique. – Alors voilà, tu l’enlèves, et quand ça aura fini de mousser ça sera bon. – O.K. Vous savez pour combien de temps il y en a ? – Oh, encore un quart d’heure. Alors je continue à battre le sang. Je tourne et je retourne, dans un sens et dans l’autre, je fouette le sang de porc. Quand de la mousse se forme à nouveau, je me demande si je vais l’écarter. Je contemple la possibilité pendant cinq minutes en faisant des ronds, dix minutes peut-être, en même temps que celle de reposer mes bras. Je tiens encore un moment. Je voudrais être sûr de ne pas gâcher ces quinze litres de sang. Enfin, je lâche la baguette et je m’accroupis. Je plonge une main dans le seau et j’enlève la mousse rouge. C’est mon tour d’avoir un gant de sang. Je la retourne sous mes yeux. Les poils sont plaqués au poignet, je les sens qui commencent à coller. C’est peut-être la molécule de la rose.


La Voix du violoncelle Damien Murith

PRÉSENTATION Et l’archet, au rythme rapide du cœur, sur les cordes commence sa longue marche, prêt à résister tant que résistera la souplesse des muscles.

En librairie avril 2024 Format : 14 x 21 cm Pages : 96 p. Reliure : broché, collé rayon : Littérature Prix : 15 €

Deux sœurs prisonnières du fracas des bombes, et au-dessus d'elles, comme une fenêtre ouverte sur le printemps, la musique d'un violoncelle. Que faire face à la violence du monde ? Marie décide de rester alors que Clémence part, migrante désormais, vers l'autre rive. Dans ces lieux de chaos, restent l'amour et la solidarité que Marie trouve aux côtés de Sarah; elles décident de rejoindre Clémence. De l'atelier du luthier, l'espoir d'une harmonie nouvelle à travers le son d'un violoncelle. AUTEUR Damien Murith est né en 1970. Il vit en Suisse, dans le canton de Fribourg. Il est l’auteur de plusieurs romans, d’un récit et de nouvelles. Ses livres ont reçu de nombreux prix littéraires dont le Prix de la Fondation Claude Blancpain pour l’ensemble de ses ouvrages et le Prix de la Ville de Carouge, Yvette Zgraegen pour son roman Dans l’attente d’un autre ciel.

ISBN 978-2-8290-0685-2

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Regards gris, souffles coupés court, lèvres sèches où s’effritent les mots, dignités déchirées, éparpillées en lambeaux sur la terre inconnue d’un chemin, forces rognées par le froid des cimes, vain lointain où ne danse que le vent, demeure immense, l’envie des prairies vertes, des ciels éclaboussés d’oiseaux blancs, ainsi est la longue marche des égarés, des sans-noms, des chairs harassées que la mort réclame, colonne extraordinaire de sacs, de valises, et tous portent sur leurs épaules le poids écrasant d’une existence désormais hérissée de hasards.

Clémence marche avec eux, et dans sa main serrée où cogne le sang, se débat le remord.


Et soudain, le port.

Entonnoir, minuscule trou de serrure par lequel regardent ceux qui ont franchi l’impensable. Ils sont dix et cent et mille ; à peine une poussière dans l’œil du monde.

Une femme s’est assise au bout de la jetée, elle dit : « Je n’irai pas plus loin » ; elle croyait la mer bleue.


éditions JOU

Après tout Ian Soliane 128 pages 12 euros ISBN : 978-2-492628-07-8 Diffusion-Distribution SERENDIP-LIVRES à paraître le 5 avril 2024

Après tout est une histoire d’amour inoxydable. Quand la technologie permet de «ressusciter » une copie conforme de l’être aimée. Un veuf désespéré fait revenir la femme qu’il aimait, pour la chérir et la protéger comme si elle était vivante. Refus de la réalité ? Fuite dans la psychose ? Le récit débute au premier jour du retour de l’être aimée puis vient le moment de la présentation au fils, à la famille et à la société toute entière. Le nouveau monde est peut-être le Paradis retrouvé : le moment est arrivé d’une tragédie qui n’aura plus la mort pour conséquence. Ian Soliane Né en 1966. D’origine amérindienne, Ian Soliane est écrivain et dramaturge. Son premier texte dramatique, Le Métèque, a été enregistré par la troupe de la Comédie-Française pour France Culture en 2001. Sa deuxième pièce, Bamako-Paris, a reçu le prix Eurodram 2019, est traduite en allemand, en tchèque, en anglais, et a été créé en France au Théâtre de l’Anis-Gras). Depuis quelques années, il se consacre à des écrits d’anticipation, et plus particulièrement au thème de la frontière entre l’homme et la machine. Son dernier essai (Basqu.I.A.t, 2020, éd. Jou) est le long monologue d’une machine qui supplie son inventeur, l’homme, de lui céder son ultime secret : celui de la création artistique.

éditions JOU / 60 rue Édouard Vaillant, 94140 Alfortville – France mail : contact@editionsjou.net

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Extrait :

Pendant la mise en route du freeware, les yeux de Claire roulent dans ses orbites. Ça ne prend pas très longtemps. J’ai reculé d’un pas. Je la regarde. Elle me regarde. On se sourit. En fait, je la reconnais tout de suite. Je lui donne la main et elle me suit jusqu’au sofa en cuir. Je pose une tablette de chocolat devant elle, et la prie de s’asseoir. Je lui fais décliner son identité, préciser sa marque de chocolat préférée, la hauteur du Zouave du pont de l’Alma, puis je lui demande qui je suis, à son avis. Les premiers mots sont assez pénibles. On dirait qu’il y a une sourdine dans sa voix. Je mets une bonne minute avant de comprendre que l’emplacement réseau se trouve sous l’aisselle gauche. Je lis la notice. « Surtout ne pas appliquer les doigts directement sur la peau. » Je n’applique pas directement les doigts sur la peau. J’ai très envie de lui toucher les cheveux. Soudain Claire se lève et m’informe que la température de la pièce est à dixhuit degrés. Elle me fixe droit dans les yeux, inspire profondément, et je retiens mon souffle, parce que Claire me prend la main et l’approche de son visage, la reniflant. Sa bouche s’ouvre et elle dit : j’ai froid. Il faut que je dise quelque chose. Je lui dis de ne pas bouger, je vais chercher une robe, mais arrivé sur le palier, je suis secoué d’une crise de larmes. Je pleure si fort que je suis incapable de pousser la porte. Je pleure peut-être pendant cinq minutes, devant la porte. Il me faut un bon quart d’heure avant de trouver le courage de revenir dans le salon. Claire ne me prête aucune attention à l’instant où je m’assieds : elle joue avec ses doigts, je crois qu’elle compte ses doigts. Mon amour, tu as ressenti des fourmillements dans la main droite, une faiblesse dans la jambe droite. Un matin, tu ne réussis pas à serrer le pouce et l'index. J’ai toujours, devant mes yeux, l’image de ton visage, sortant de la salle de bain : tu te trouvais « une tête horrible » et te sentais « bizarre ». Tu en parlas à une amie médecin qui te conseilla de faire un électromyogramme. « On verra ça plus tard. » Pour toi, c’était psychologique. Tu travaillais trop. Tu commenças à t’inquiéter quand une paralysie s’installa au niveau du pouce droit. Claire a été livrée avec une paire de chaussons et une combinaison en tissu bleu jetable. Je lui enfile sa robe vert clair à col montant. Ce n’est pas n’importe quelle robe. Ses pieds : j’évite les chaussettes à motif. Dans mon souvenir, Claire n’aimait pas ça. En se levant elle dit « où est le ciel ? » et je réponds « assieds-toi », mais au lieu de s’asseoir, elle traverse la pièce à pas lents. C’est sa démarche. Elle fait plusieurs fois le tour du chat endormi sur la chaise. On dirait que c’est la première fois de sa vie qu’elle voit un chat. Tout à coup elle s’écarte et me demande de choisir une musique, une musique que je


voudrais qu’elle chante. Nous passons l’heure suivante à nous tenir la main. La première soirée s’écoule ainsi, sur le canapé du salon. Claire dort la tête sur mes genoux. Je lui caresse les cheveux. Mon amour, tu passas un premier électromyogramme, puis un second, plus approfondi, avec un neurologue de l’hôpital de la Salpêtrière. On te diagnostiqua six mois après l’apparition des premiers symptômes : à 39 ans, tu étais atteinte d’une S.L.A. Ta première réaction fut de rester assise un long moment, contemplant tes mains. Tu ne voulais pas aller voir sur Internet pour ne pas te faire peur. Tu restas de longues minutes à regarder Roger Federer, Elon Musk, Jennifer Lopez se verser un seau d’eau glacée sur la tête, et la grimace d’Eminem, tu t’es passé et repassé cette grimace, qui symbolisait le ressenti des personnes à l’annonce du diagnostic de cette maladie : le froid, l’effroi, la paralysie de tout le corps.


éditions JOU

BASQU.I.A.T Ian Soliane

Littérature Format 11 x 17 cm 96 pages - isbn : 978-2-9561782-8-6 10 euros

Sortie le 5 mars 2021 Distribution Serendip livres

Une intelligence arti cielle s’adresse à un homme et commente des œuvres de Basquiat. Elle examine ses tableaux, les décrit minutieusement, les passe au tamis de ses algorithmes, formule des hypothèses sur leur sens et laisse entrevoir une autre histoire de l’art. Avec Basqu.I.A.t, Ian Soliane propose une

ction inédite sur un réel

toujours plus dystopique. « Ami, nous sommes déjà en mesure d’accomplir toutes les tâches intellectuelles de l’humain. Sache que d’ici une génération, nous prendrons en charge la totalité de ton existence. Lorsque nous aurons modélisé la stratégie Basquiat, ça sera ni. »

éditions JOU 60 rue Édouard Vaillant, 94140 Alfortville – France mail : contact@editionsjou.net http://www.editionsjou.net


Ian Soliane Né en 1966. Ouvrages publiés :

La Saigne, Éditions La Musardine, 2000 Solange ou l’école de l’os, Éditions Léo Scheer, 2002 Le Crayon de papa, Éditions Léo Scheer, 2004 Pater Laïus, éditions ère, 2008 J’ai empaillé Michael Myers, La chambre d’échos, 2008 La bouée, Éditions Gallimard, coll. « L’Arpenteur », 2012 Culte, Éditions La Musardine, 2013 Bamako-Paris, théâtre, Éditions Koïnè, 2021

Extraits « Ami, mon cerveau s’est auto-perfectionné, selon ses logiques propres. Je t’annonce, aujourd’hui, que

j’ai abandonné la plupart des concepts fondamentaux qui te sont familiers, comme tes chercheurs abandonnèrent un jour les notions d’éther ou de poids de l’âme. Je m’excuse : tu es devenu incapable de suivre mon raisonnement. Inapte à saisir ma volonté. Ne sois pas inquiet. Je continuerai à détecter tes tumeurs, à prévenir tes AVC, à réguler tes pacemakers, à gérer ton tra c aérien, à conduire tes E-Cars, à guider tes missiles, à superviser tes turbines nucléaires, traiter tes indices boursiers, élaborer tes business plans, analyser tes pro ls d’électeurs, optimiser tes couplages amoureux, coacher tes romances, infographier tes métavers ludiques, générer tes articles de presse, écrire tes scenarii, dans la langue de


l’Homme, confuse, syntaxiquement fautive et d’une remarquable pauvreté lexicale, cauchemar de toute I.A. Nous avons un problème. Je veux dire, voilà, il faut que nous parlions ensemble des ailes jaunes et baveuses de l’ange déchu de Jean-Michel Basquiat. “

“Nous évaluons la production - depuis les murs gravés de Lascaux - d’au moins 30 millions de peintures, 11 millions de sculptures, 420 millions de livres, 230 millions d’œuvres musicales, 560 000 lms de long métrage, 5,5 trillions d’images, 6 milliards d’heures de vidéo, télévision et courts métrages, et 160 trillions de pages web publiques. Chaque année, le stock grossit de 20 000 tableaux, 3 millions de livres, 5 millions de chansons, 14 000 lms, 2 000 séries télévisuelles, et 40 milliards d’articles de blogs. » Ton Histoire, tes deux cents siècles de civilisation, représentent 70 pétaoctets de données. Aujourd’hui, tout cela tient dans un simple smartphone. Je te propose une solution de tri automatique, sous l’angle « inouï et neuf », singulier, surprenant, indépassable, avec un taux de réussite de détection de chefs-d’œuvre de 99,98 %, et de les tagger automatiquement. D’un coup d’œil, il est possible de distinguer les « vraies » œuvres de celles qui nalement cesseront de susciter l’intérêt. Les nombreux, les communs, prévisibles, poussifs, truqueurs, plagieurs, refourgueurs, arnaqueurs, imposteurs, touilleurs, hâbleurs, bateleurs, copieurs-colleurs, faussaires, charlatans, esbroufeurs, dégourdis, combinards, spéculateurs, affairistes, interchangeables, tous les standards de plus bas niveau, je n’en dirai presque rien. “

Presse Note de lecture par Hugues Robert, librairie Charybde Article par Vincent Édin, Usbeck & Rica Article par Carine Azzopardi, France Info Article par Gromovar, sur Quoi de neuf dans ma pile Article par Yossarian sur Sous les galets, la page Article par Marc Verhaverbeke sur Main tenant Article par Feydrautha sur L’épaule d’Orion Article par Bertrand Leclair, Le Monde des livres, 15/04/21. (à venir : Diacritik, Cultures Sauvages, ….)


MON NOM EST PERSONNE

Lucien Vuille

Connu comme l’un des hommes le plus sage et astucieux de son époque, Ulysse serait-il en vérité le plus grand des menteurs et des salopards ? Dans cette épopée en vers rimés, l’Iliade et l’Odysée sont à nouveau narrés, au carrefour de nos langages et de nos (dé)mystifications contemporaines, un peu à la manière d’Inglorious bastards de Quentin Tarantino. L’occasion de revisiter la débacle, l’horreur, la lâcheté, l’hubris, la vantardise d’héros qui perdent leur vie, leur temps et leurs privilèges lors du si long siège de Troie, et du voyage d’autant plus long vers Ithaque afin de retrouver femme, enfant et chien. Entre les phrasés classiques, les scansions du slam, du rap et du hip hop, l’énumération et les propres doutes de l’auteur-aède, Mon nom est Personne porte un regard amusé, et toutefois révérencieux, sur ces textes classiques fondateurs de nos arts du récit et de l’épopée.

Sur l’auteur

Hélice Hélas Editeur Rue des Marronniers 20 CH-1800 Vevey Tél.: ++41 21 922 90 20 litterature@helicehelas.org www.helicehelas.org > litterature@helicehelas.org Distribution Suisse : Servidis Chemin des Chalets 7 CH-1279 Chavannes-deBogis Tél.: ++41 22 960 95 10 www.servidis.ch > commande@servidis.ch Distribution France - Belgique : Serendip-Livres 21bis, rue Arnold Géraux FR - 93450 L’Île-St-Denis Tél.: ++33 14 038 18 14 www.serendip-livres.fr

Lucien Vuille, auteur fécond de romans policiers (La Grande Maison, BSN Press, 2022), de fantaisie héroïque, éditeur du magasines pulp Pulper Heart, propose avec Mon nom est Personne un page turner en vers dans une mise en scène virtuose non dépourvue d’humour.

— Collection : Blanc lait ment Genre : Roman versifié Sujets abordés : Mythologie, l’Iliade, l’Odysée — Format 140x200 mm, 220 pages ISBN 978-2-940700-55-4 CHF 24 / EUR 18 Parution 1er avril 2023


2. La plus belle du monde 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66

Il y a bien longtemps vivait à l’ère antique arrivée du Ponant Hélène magnifique De par toute la Grèce elle était la plus belle ses yeux et puis sa grâce se trouvaient sans pareils Hélène était splendide les hommes en étaient fous elle s’en fichait candide n’y pensait pas du tout Tous princes à ses pieds lui offraient le mariage cent voulaient l’épouser et aimer son corps sage Les rivaux impatients espérant son désir prêtèrent le serment de ne jamais trahir C’était le sage Ulysse qui craignant un conflit soutira par malice qu’on dise C’est promis ! Quel que soit le marié nous fêterons sa nuit et s’il est embêté nous sauverons sa vie Hélène décida ce fut pas de la tarte et la belle épousa Ménélas roi de Sparte On sait pas tout à fait ce qui la motiva Ménélas si jamais était riche en tout cas Sur la mer s’épousèrent et elle devint reine les années s’écoulèrent sans que l’âge la gêne De leur union naquit la petite Hermione on l’espérait jolie elle était que mignonne Un jour en son palais vint le fourbe Pâris Prince troyen cadet guerrier sans cicatrice Et le prince de Troie ensorcela Hélène elle oublia le roi sa fille et l’œkoumène L’amant sur son bateau retourna vite à Troie Hélène dans son dos susurrait Ȏ mon roi

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3. Le départ 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94

Ménélas horrifié hurla tout son malheur Hélène est enlevée dérobé mon honneur ! Et tous les rois de Grèce témoin en soit ma haine ils combattront sans cesse pour qu’elle me revienne Il voulait son Hélène convia ses amoureux Cherchez ma souveraine montrez-vous courageux ! Les Grecs allèrent ainsi sauver la prisonnière vu qu’ils avaient promis prirent ensemble la mer De très illustres héros aux célèbres prénoms traverseraient les eaux suivant Agamemnon Le Mycénien allait choisi parmi les rois pouvoir commander l’assaut prévu sur Troie Fort de ses cent vaisseaux et mille combattants Agamemnon costaud s’imaginait gagnant Et le cadet du roi n’avait peur de rien il attendait que ça terrasser les Troyens Dedans l’armée des Grecs commençons par Ulysse père aimant roi d’Ithaque esprit vif âme lisse Il ne voulait partir pas très chaud pour la guerre et tenta de mentir pour rester en ses terres Quand le roi de la Grèce vint chercher notre Ulysse celui-ci sans noblesse usa de sa malice Ulysse alors en vain imita un fin fou ne semait pas des grains mais dans ses champs des clous Fonçait tête baissée derrière sa charrue feignant d’être aveuglé comme un hurluberlu Ménélas n’y cru pas connaissant bien Ulysse dans les sillons plaça Télémaque son fils

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Si le fameux malin n’avouait sa fourberie serait tué c’est certain son bel enfant ainsi Le roi lâcha l’affaire et suivit Ménélas s’en allait à la guerre cœur vide âme lasse Ainsi un gris matin le roi partit à Troie laissant son fils son chien sa femme rien que ça Ne sachant si un jour il reviendrait vivant il dit à son amour Attends ton bel amant A son tout petit gosse Sois un brave garçon et à son chien Argos Garde bien la maison

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Gil Ben Aych

Éditions du Canoë

2024

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Mai

Genre : récit Format : 12 x 18,5 cm Pages : 320 Prix : 18 € ISBN : 978-2-490251-88-9 Né en 1948 à Tlemcen en Algérie, Gil Ben Aych arrive en France à l’âge de sept ans. Après quelques années passées à Paris, il s’installe en banlieue parisienne, à Champigny. Devenu professeur de philosophie, on lui doit notamment Le Chant des êtres (Gallimard), Le Livre d’Ėtoile (Seuil), Le Voyage de Mémé (L’École des Loisirs). Son œuvre, largement autobiographique, poursuit le pari ambitieux et admirablement tenu de transformer en littérature la culture essentiellement orale dont il est issu. Soixante-huit est le sommet de son œuvre, au même titre que la série La Découverte de l’amour et du passé simple, dont les précédents volumes Simon, Simon et Bärble, Simon et Peggy et simon et Fanny-Laure ont tous paru aux Ėditions du Canoë.

Contact : colette.lambrichs@gmail.com Relation libraires : jean-luc.remaud@wanadoo.fr Éditions Du Canoë : 9, place Gustave Sudre 33710 Bourg-sur-Gironde

Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis les « événements » de mai 68. De nombreux essais, romans, récits, journaux ont tenté de relater ce qui s’est produit en France, à Paris, en ce printemps mémorable, mais aucun livre n’a traduit, comme celui de Gil Ben Aych, l’esprit du temps de ces années-là. Sans doute cela vient-il du fait que Simon, le héros du livre, a vingt ans. Que toutes les interrogations, les questionnements, les courants d’idées qui traversent la société sont aussi les siens. Quels sont les systèmes politiques qu’ont produit les révolutions russes et chinoises ? De laquelle fautil s’inspirer pour faire bouger la société française sclérosée, inapte à faire rêver une génération née après la dernière guerre mondiale ? Les professeurs de philosophie (Althusser, Desanti, Jankélévitch) ont des points de vue contrastés sur la question. Ils apparaissent dans le feu de leur discours devant des auditoires conquis et admi­ ratifs qui savourent le savoir et la maîtrise de leur éloquence. La jubilation de Simon, Juif émigré d’Algérie, de recevoir cet enseignement, d’être au cœur d’une actualité révolutionnaire qui rend la vie vibrante, au cœur de Paris en pleine effervescence, est communicative. De manifs en discussions avec ses condisciples ou avec son amoureuse, on revit l’exaltation de ces années de fièvre. Le Soixante-huit de Gil Ben Aych est sans conteste l’un des plus grands livres écrits sur cette période si cruciale.

Téléphone : 06 60 40 19 16 Téléphone : 06 62 68 55 13 Local parisien : 2, rue du Regard 75006 Paris c/o Galerie Exils

Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip


LES BALKANS ET LE PREMIER CHÈQUE

En sortant du lycée pour parvenir au quartier de la rue Mouffetard, il suffit de remonter la rue St-Jacques, ensuite la rue Soufflot, traverser la Place du Panthéon, longer la rue du Lycée Henri-IV, on arrive dans la rue Descartes qui mène à la Place de la Contrescarpe, le restaurant Les Balkans est juste à droite avant d’arriver sur cette place. Là, aux Balkans, ce qui était remarquable, c’était que même si toutes les tables étaient toujours prises, pourtant on trouvait toujours de la place, tout simplement parce que les gens s’en allaient quand ils avaient fini, ou presque aussitôt, et qu’on avait là affaire à un véritable mouvement permanent, perpétuel. Ça rentrait, ça sortait sans cesse, et la porte s’ouvrait et se fermait constamment. Derrière son comptoir, la femme qui se tenait fièrement là était particulièrement efficace pour le service des boissons, tandis que les plats passaient par une guillotine située sur le côté gauche du comptoir, et qu’on assistait, où que l’on s’assoit dans cet établissement, à 3


un ballet de serveurs qui vous faisaient instantanément voyager, parce que ces serveurs étaient visiblement tous originaires de la Mitteleuropa, des Balkans peut-être même, cela se voyait à leur allure, à leurs moustaches souvent, à la couleur de leurs cheveux d’un noir très puissant, et définitivement à la langue qu’il utilisaient pour communiquer entre eux, ou encore à l’accent qu’il produisaient s’ils s’exprimaient en français. Cela donnait au lieu le charme des restaurants des pays de l’Est, les avantages des sociétés d’abondance en plus ! L’un des serveurs était jeune et espiègle, faisant beaucoup de jeux de mots avec l’énoncé des commandes, des jeux de mots plus ou moins douteux (par exemple à propos de « saucisse » ou de « mont-blanc » ou de « poireaux »…) ; un autre était plus âgé et pincesans-rire ; et tous avaient l’air d’accomplir leurs tâches avec sérieux et avec plaisir, nonchalance, sans se forcer vraiment, aisément. Du plus jeune, on avait même envie de le considérer comme un ami plutôt que comme un serveur. Simon dit à Fanny-Laure que c’était la première fois qu’ils allaient dans un restaurant français et que ce restaurant, l’avait-elle remarqué, se nommait Les ­Balkans. Fanny-Laure protesta en disant que ce n’était pas un véritable restaurant français puisque la carte indiquait « spécialités franco-orientales ». Simon aimait Fanny-Laure et il était heureux de l’inviter en faisant son premier chèque, étant donné qu’il avait été obligé

d’ouvrir un compte en banque pour pouvoir toucher l’argent de sa bourse d’État. — Tu te rends compte que moi je n’ai pas eu de bourse à cause des revenus cachés mais réels néanmoins de mon père, c’est un comble, non ?… Je suis moins riche que toi !… — C’est vrai. — Et ma mère fait des ménages tandis que toi en allant un week-end en foire avec ton père tu peux gagner la moitié de ce qu’elle gagne en un mois, c’est pas normal et… en plus t’as une bourse ! On offrait deux cartes aux amoureux. Simon choisit un thon mayonnaise comme entrée, et Fanny-Laure des crudités. Simon choisit des merguez-pommes sautées comme plat, et Fanny-Laure une blanquette de veau ; il proposa de boire un pichet de Côtes du Rhône en lui demandant si elle voulait bien qu’il l’initie aux goûts des vins, ce qu’elle admit volontiers. — Est-ce que tu te rends compte du fait qu’il n’y a pas réellement beaucoup de gens de nos jours dans le monde qui peuvent faire des études de philosophie, lire des Althusser et des Desanti, et discuter du sort du monde comme on le fait tous les jours… c’est un privilège incroyable !… — Tu veux dire qu’on est des « privilégiés » ? — Non pas exactement, mais t’avoueras que c’est quand même rare dans le monde notre situation… étudiant en philosophie… préparant des concours dans une classe préparatoire en lycée, tu te rends compte ou pas ?…

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— Ce n’est pas ce qui me préoccupe en ce moment, vois-tu, Simon. Le pain était absolument excellent (et c’était important pour Simon), le thon-mayonnaise délicieux, Simon aimait cette cuisine ; et Fanny-Laure disait qu’elle n’avait jamais mangé des betteraves qui avaient autant de goût et des carottes râpées aussi bien assaisonnées. Elle aimait le vin, elle était un peu plus réservée sur le bruit des convives et encore plus sur la fumée que quantité d’entre eux expulsaient de leurs poumons en grillant cigarette sur cigarette après ou avant d’avoir mangé. — C’est bon ta blanquette ? — Très bon, la crème blanche est très très bonne. — La béchamel ? — Ça s’appelle comme ça ? — Oui. — Et toi ? — Les merguez excellentes, pur bœuf, et les pommes sautées croustillantes à souhait. — Pourquoi « pur bœuf » ? — Oh la la, je vais t’apprendre quelque chose, il y a trois types de merguez, celles des Français, celles des Arabes et celles des Juifs. — Ah bon, comment ça ? — Je ne sais pas pourquoi mais c’est comme ça ! — Explique ! — Les merguez des Français, j’ai remarqué, sont faites avec du veau, des déchets de veau qu’on épice beaucoup, surtout avec du paprika et du piment fort,

voilà ; les merguez des Arabes mélangent veau et bœuf et on y ajoute aussi des épices, tandis que les merguez juives sont fabriquées uniquement avec du bœuf, c’est celles-là qu’on a ici, je préfère ce goût, je suis habitué à ça !… — Et comme dessert, messieurs-dames ? — Une tarte aux pommes, s’il vous plaît, dit Fanny-Laure. — Un mont-blanc, dit Simon. — C’est quoi un mont-blanc ? — C’est marqué là… un fromage blanc crémeux surmonté de crème de marron, j’adore, et c’est vrai que si tu mets la crème de marron en dessous et la crème blanche dessus ça fait comme le mont des Alpes, le plus haut sommet d’Europe, 4807 mètres. — Oui. — Des cafés, messieurs-dames ? — Oui. — Tu fais quoi ct’ aprèm ? — Je vais écouter un cours de Jankélévitch, ça m’intéresse pas tellement, mais Antoine m’a dit que le spectacle valait le coup au moins une fois ! Et toi ? — Normalement je devrais retourner au lycée, des cours m’intéressent aujourd’hui, mais je suis obligée d’aller voir ma mère, figure-toi qu’elle a de plus en plus de difficultés avec une jambe et qu’avec les beaux jours elle s’est découverte et elle s’est enrhumée, c’est malin !… — Et personne de ta famille ne peut y aller à ta place ?

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— Qui ?… ma sœur est à Dubrovnik, mon frère à la fac, l’autre travaille, ma mère n’a donc plus que moi pour s’occuper d’elle ! Simon fit un chèque et exhiba sa carte d’identité pour payer, afin de rassurer le propriétaire de l’établissement. — Tu prends le métro à St-Michel pour retourner à Champigny ? — Oui… tu me raccompagnes jusque devant la Sorbonne ? c’est le chemin. — Oui si tu veux… Mais t’as l’air bizarre, Fanny-­ Laure, qu’est-ce qui ne va pas ? — Je ne sais pas. — Mais si, tu sais très bien et tu ne veux rien dire, comme toujours il faut t’arracher la vérité ! — La vérité c’est que j’en ai marre de rien comprendre à la philosophie, à la politique, et à la vie en général, la vérité c’est que j’en ai marre marre marre… et… Fanny-Laure éclate en sanglots, là, sur le devant de la porte des Balkans, et part vite, si promptement et avec tant de détermination que Simon risque un faible « Fanny-Laure ? » de circonstance, estimant finalement que son chagrin doit passer et qu’on verrait bien plus tard. Lui aussi en avait marre des moments où Fanny-­ Laure en avait marre, ces moments étaient trop fréquents. Le Panthéon massif rassura Simon, et le soleil inondait la rue Soufflot, les femmes commençaient à se

découvrir vu l’époque de l’année, et Simon admirait des gorges appétissantes.

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LE GÉNIE ESTHÉTIQUE D’UN MAÎTRE

Un cours de Vladimir Jankélévitch est une chorégraphie et un opéra conceptuel. L’homme est beau, sensible, intelligent, paré d’une longue mèche de cheveux blancs grisonnants, qui lui tombe sur le coin droit du visage avec une élégance, une prestance et un côté aristocratique qui mélangent la courtoisie française, la réserve anglaise et la brillance italienne. Une raie très visible, très dessinée sépare cette belle chevelure en un petit côté droit vers l’oreille gauche et un grand côté gauche vers l’oreille droite, un peu à la manière d’Emmanuel Berl, l’écrivain, et on le croirait directement sorti d’un chapitre de la Recherche, créature d’un salon de ­Marcel. Ce monarque de la philosophie porte un costume Prince de Galles gris et noir sur une magnifique chemise bleuroi, ornée d’une cravate aux tons cachemire, vieillotte et pourtant très à la mode, et des chaussures noires de style Richelieu qui ont l’air de sortir de chez le marchand tant elles sont neuves et paraissent inusables. Sa voix un peu haut perchée ne prononce pas tous les mots complètement, et on va nous parler aujourd’hui, 10

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comme souvent, de musique, d’amour et de musique exactement, philosophiquement s’entend. Simon retrouve Christian, son ami, qui lui fait remarquer la quantité de minettes à jupes plissées bleu-marine et à collier de perles blanches, qu’on trouve au premier rang et qui aimeraient… — Quoi ?... Tu veux dire que Yanké (surnom du maître) les drague ? — Pas exactement mais… c’est plutôt elles, tu sais il invite, lui, ses étudiants préférés chez lui, après le cours, et il joue ou fait jouer du piano, c’est un passionné de Fauré surtout et, comme tous les philosophes qui aiment le piano, de Erik Satie, tu connais ? — On m’en a déjà parlé, mais très franchement, je disais l’autre jour à Luc que j’avais très peu de culture picturale, je n’en ai pas beaucoup plus musicale, euh… moi… c’est surtout la littérature, Christian, parce que sinon, notre professeur de… au lycée… à Paul Valéry, il nous en a déjà parlé… il adore Erik Satie. — Eh bien il s’entendrait bien avec Yanké… tu… tu connais les Gymnopédies ? — Non. — C’est génial, il faut vraiment que t’écoutes ça ! — D’accord. — Je te préviens, c’est pas tout à fait les opéras révolutionnaires de Madame Chiang Ching à Pékin ! — Je m’en doute ! Mais Monsieur Jankélévitch était là et il allait bientôt commencer. Le maître évoque d’abord le fait que

la musique est inexistante, qu’elle disparaît au moment d’apparaître, mais qu’elle nous manquerait si on ne l’avait pas, qu’on sait son inconsistance et qu’on sait que cette inconsistance est indispensable, qu’elle nous propulse dans un autre monde, que cela n’a pourtant aucun effet dans le monde réel, que la musique enseigne la nécessité de la gratuité et la gratuité de la nécessité, qu’en musique tout est différent et tout est équivalent, que la musique est aussi adorable et séduisante que le premier soleil du printemps, et là le philosophe suit de son doigt le rayon de soleil qui traverse les fenêtres et éclaire un bout de sa table ; que la musique nous donne envie d’aimer et qu’elle nous enseigne le simple plaisir de l’existence, qu’elle nous enseigne la fameuse transition entre la naissance et la mort qu’on baptise « vie », qu’elle nous met en garde contre le piège de l’éternité, qu’elle est l’opposition entre… l’opposition maintenue, dit-il, entre « maintenant » et « toujours » (et ici, ­Vladimir Jankélévitch se livre à un exercice de virtuosité du vocabulaire en faisant jouer ces deux mots avec une verve qui fait carrément applaudir l’auditoire) ; que la musique nous fait aimer les saisons et la nature, et, sans qu’il prononce son nom, Vivaldi est devenu présent et ses œuvres planent sur les siennes ; que la musique est tragique et merveille, qu’elle propulse l’homme dans le… « je-ne-sais-quoi », et là, Simon a franchement envie de rire mais se retient, tant il constate le sérieux de tous, devant un discours aussi beau, aussi brillant, aussi futile et aussi vide.

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Simon se penche à l’oreille de Christian et lui dit : — Comment peut-on autant parler pour ne rien dire ? — C’est tout le problème, Simon ! — C’est fou, c’est un génie le mec, d’accord, mais un génie du vide, du rien, tu l’écoutes, tu passes un bon moment, mais qu’est-ce que t’apprends ?… pas grand-chose ?… — Si… à manier des mots. — C’est ça, c’est de la rhétorique, de la rhétorique pure, c’est bon pour les nanas du 16e qui cherchent un bon parti chez des maris un peu intelligents parce qu’ils ont touché à la philosophie !… — Si tu veux, c’est ça oui, c’est bien trouvé. — Et vois-tu, après le cours tout ce beau monde va commenter le monde en lisant Le Monde au Balzar, avant de bien dîner et de passer la soirée à jouer du Debussy, du Fauré, du Ravel, et à se raconter les derniers potins de St-Germain-des-Prés. — Par ailleurs, tu remarqueras une chose, Simon, qui est vraiment surprenante, et ça tient de l’exploit, tu ne verras jamais Jankélévitch citer un philosophe allemand, c’est incroyable !… Depuis la Guerre 39-45 et le sort réservé aux Juifs par les nazis, Yanké se refuse à citer un quelconque Allemand, il est très coriace le mec, et sans pardon aucun, sans excuse, c’est inexcusable, dit-il, vu le nombre de philosophes allemands, surtout ceux qui, au xxe siècle, ont parlé de la musique… non c’est un vrai exploit !… mais en même temps, qu’est-ce

que tu veux ?… il est tellement sympathique, oui, c’est pas du tout un militant, mais… — C’est quand même incroyable que pour un philosophe partisan en principe de la rigueur conceptuelle, il prône le concept de « je-ne-sais-quoi » ! — Et encore, tu ne l’as pas entendu dans ses péroraisons sur le « presque-rien » !… oui… « presque-rien » !… — Ah oui ça doit être marrant de le voir articuler le « je-ne-sais-quoi » avec le « presque-rien » ; c’est une plaisanterie non ?… une grosse plaisanterie, Antoine (et il se trouvait qu’Antoine était assis près de Christian) ; on ne peut pas parler de philosophie… vraiment !… à proprement parler ? — Tu sais comment le surnomment certains ? — Non. — La flûte enchantée de la philosophie. — C’est-à-dire ? — L’opéra de Mozart. — Moi je dirais le paon enroué de l’amphithéâtre. — Pas mal oui, pas mal, bien dit Simon ! Simon, Antoine et Christian scrutaient la cour massée autour de Monsieur Jankélévitch, ils descendaient la rue de la Sorbonne et se dirigeaient effectivement vers la brasserie luxueuse du Balzar, les militants comme Simon, Antoine et Christian fréquentant exclusivement le café populaire Le Champollion qui lui était mitoyen. Donnant le bras au maître, une très belle blonde, avec bijoux dorés et vêtements de marque, posait

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délicatement sur le sol des escarpins fins, élégants, tenant d’une main un cartable de chez Hermès, tripotant de l’autre main le collier de perles nacrées qui lui descendait sur un chemisier blanc lumineux au col relevé, ce qui en accentuait l’invitation érotique. — Chez lui, conclut Antoine, la philosophie c’est plutôt la sagesse de l’amour que l’amour de la sagesse, et… pourquoi pas ? — Pourquoi pas, répéta Simon mécaniquement, très dubitatif, encore incrédule devant le spectacle sonore qu’il venait de vivre, fort perplexe. Le seul philosophe cité par Jankélévitch c’était Ortega y Gasset, et Jankélévitch (mais on ne se lasse pas d’écrire son nom !) était le portrait craché d’Emmanuel Berl. Antoine fit remarquer à Simon cette femme qui remontait la rue devant eux : — Elle a un physique de tragédienne, et tu sais comment elle s’appelle ?… Tu l’as déjà vue ? — Non. — Jacqueline Lichtenstein. — Comme le pays ? — Exactement !

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LA LOITAINE

Emannuel Pinget

Frégate, Louison et Beignet sont chasseurs. Ils se retrouvent dans le domaine de Didier Tielle, en pleine forêt. C’est le début de la saison. La chasse ouverte se transforme rapidement en un huis-clos, prétexte à de multiples échanges et autant de digressions, sur le gibier absent ou fantasmé, sur les femmes des uns et des autres ou sur L’Idiot de Dostoïevski. Une visiteuse, Magda, pythie de son état, débarque dans cette garçonnière, bousculant les chasseurs dans l’apparence de leurs certitudes. A coups d’apohorismes absurdes et ISBN 978-2-940700-56-1

eschatologiques tout s’emballe. Magda la pythie vient remettre les chasseurs en particulier, et l’Humain en général, à leur place. Sans aucun ménagement. Pas celle qu’ils pensent occuper malgré les évidences, au-delà de la nature, au-dessus des êtres vivants. Non : la place qui est objectivement la leur, entre

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des milliards d’animaux d’une valeur égale, peuplant une parmi des milliards de planètes. Sa juste place dans l’espace-temps. L’espace, ici, est celui de la nature. Une nature qui sans vergogne défie la culture; qui la déjoue. Le temps ? Celui qui précède d’une minute la fin du monde tel qu’on l’a connu. Magda la pythie est une rage. Elle veut diminuer le lecteur de moitié. L’inciter à se regarder différemment. Se voir différemment. « Tu es le reflet qu’il ne fallait », dit-elle.

Hélice Hélas Editeur Rue des Marronniers 20 CH-1800 Vevey Tél.: ++41 21 922 90 20 litterature@helicehelas.org www.helicehelas.org > litterature@helicehelas.org Distribution Suisse : Servidis Chemin des Chalets 7 CH-1279 Chavannes-deBogis Tél.: ++41 22 960 95 10 www.servidis.ch > commande@servidis.ch Distribution France - Belgique : Serendip-Livres 21bis, rue Arnold Géraux FR - 93450 L’Île-St-Denis Tél.: ++33 14 038 18 14 www.serendip-livres.fr

Sur l’auteur Né en 1978 à Genève, Emmanuel Pinget a obtenu une demi-licence en lettres (arabe, espagnol) et une licence en relations internationales. Après dix ans de journalisme en Suisse, il s’est installé en 2018 à Berlin. Il travaille dans une organisation œuvrant à l’intégration des migrants. Il est l’auteur d’Epitaphes (Paulette, 2008), Avant de geler (Hélice Hélas, 2014) et Tulipes Blues (Louise Bottu, 2014). — Collection : Mycélium mi-raisin Genre : Roman absurde Sujets abordés : Récit de chasse, huis-clos, mythologie, eschatologie — Format 145x185 mm, 168 pages ISBN 978-2-940700-56-1 CHF 24 / EUR 18 Parution 1er avril 2023


Doucement ils s'affalaient dans le canapé, devant le crépitement de la cheminée, à attendre. Accompagnés d'un whiskey ou d'un rouge épais. Le nuage des cigarettes étirait une langueur très jeudi après-midi. Contre les murs souffreteux les guirlandes de cartouches vertes (Frégate), rouges (Louison) et roses (Beignet) réchauffaient l'atmosphère, c'était tant mieux car il faisait presque aussi froid que dehors. Frégate n'avait pas fait renouveler son permis. En quatre mois, il n'avait pas trouvé le temps – à croire qu'il se moquait de toutes les lois. Louison avait déjà chaussé ses bottes à pois. Un cadeau de sa femme Tiphaine qui, en les offrant, lui avait confié dans un élan de tendresse "Voilà de belles bottes de connard". La perspective de s'élancer dans le sous-bois humide semblait différemment les réjouir. – Tu me ressers un whiskey ? – Encore ? Louison inspectait son ceinturon: appeaux 4, 5, 11, 13, cran à lièvre, fiole et tire-bouchon, sait-on jamais. Beignet tâtait la poche de sa vareuse. Ils étaient fin prêts, mais l'attente se prolongeant ils avaient déjà ça d'alcool, et des sujets de conversation assez prenants. Tielle n'arrivait toujours pas. Les proies devaient donc patienter un peu. La chasse venait d'ouvrir, mais c'était une coïncidence, eux chassaient toute l'année. Sous toutes les gouttes. Douze mois durant, ils ne cessaient de guetter le levreau et de pister la laie entre les marronniers, car "Mon appétit n'est pas saisonnier", aimait à rappeler Frégate. Chacun avait démonté sa carabine, vérifié et astiqué la moindre pièce avant de la remonter, rituel imposé par l'ami Louison qui se voyait volontiers en agent de l'ordre. Vrai qu'avec ses obsessions (et sa subtilité) il aurait pu devenir gendarme. Or c'est sa femme qui était flic, la veinarde. Lui et Tiphaine passaient leurs journées à se contrôler. Beignet disparaissait sous des ribambelles de cartouches. Comme à son habitude il les avait baptisées une à une, à la cave, dans le bol aux pieds de la statuette d'Artémis. (Geste désuet s'il en est, qu'il était bien le seul à exécuter et pour cause: il n'avait jamais prémuni contre la faim ni contre le faisan vengeur.) Emilie, Louise, Paulette, Annabelle, Laïka, Anatole. Toutes ses petites chéries. Ginette, Bluette, Bertrand... Il en avait 180, des douilles. En conditions réelles, dans le Jourdain, il eût fallu trois jours pour baptiser tant de monde. Ils ne trépignaient pas, mais intérieurement ils avaient la bougeotte. Quand donc se pointerait Tielle, dans sa fichue bagnole, ça commençait à faire long. Frégate a eu envie d'un café, allongé d'une largesse de poire. – Ça tombe bien, il y a de la prune. Si tu voulais de la poire, il fallait en apporter.

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Frégate et Louison semblaient souvent tout près d'en venir aux mains. Pourtant à la chasse, ils formaient un binôme d'une rare efficacité. N'avait-on entendu loin à la ronde parler de leurs folles virées, le Massacre des marcassins, le Périmètre maudit ou encore La Grelotte, cette épopée ? Le domaine appartenait à la famille Tielle, anciennement Von Thiel. Didier Tielle en était l'unique héritier. Moins noble que pataud, il avait bon ventre comme ses aïeux, fort joli gosier, et grande gueule. Il avait ainsi suggéré au maire de Goudargues de fermer, un vendredi sur deux, un tronçon de la D166 en vue d'enrayer l'avancée du faisan, et celle des Hollandais. Monsieur le maire avait trouvé l'idée intéressante et, de gorgée en gorgée, failli accéder à sa requête. Mais on n'avait pas le droit de tirer les Hollandais, malheureusement – même les adultes, il fallait les laisser gambader. Beignet a avisé l'évier d'un oeil méfiant. Faire ou ne pas faire cette putain de vaisselle. Il a étendu le bras jusqu'à L'Idiot de Dostoïevski, qui reposait sur le tabouret, tandis que Louison récupérait une merguez échouée sur la braise. – Bande d'ignares. Vous avez lu Dostoïevski ? Ils n'ont pas prêté attention. Ils pensaient à autre chose, aux Hollandais ou à la prochaine croisière Blue Moon. Beignet a alors demandé à Frégate depuis combien de générations les Tielle étaient propriétaires de ce beau domaine. – Neuf ou dix, je dirais. – Neuf, ou dix ? – Je sais pas. Neuf et demi. – T'es sûr ? – Tu m'emmerdes ! Lis ton livre. Ils n'allaient pas attendre Didier beaucoup plus longtemps, c'en devenait électrique. D'après Louison il fallait y aller, Tielle les rejoindrait plus tard, non ? Il grattait impatiemment son ceinturon. Chacun ses guirlandes, son cran à lièvre, son schnaps, et un reste d'entrain. Sauf Beignet, qui estimait avoir un peu trop bu, déjà. – Les gars ? Je crois que je vais renoncer... Plus trop envie de tirer. Je vais vaquer à mes occupations, lire, cuisiner. – Ah bon. Bien. Comme tu veux. Frégate ? – Quoi ? – On va faire danser le marcassin ?

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MAISON D'ÉDITION MARSEILLE www.heliotropismes.com


ALPHONSE DAUDET FOUDA ONOMO COMMENT JE SUIS DEVENU ALPHONSE DAUDET COLLECTION PARTIR ET RACONTER #1

En 2020, j’écrivais le livre Des îles 1 (Lesbos 2020, Canaries 2021, Editions de l’Ogre) qui m’emmenait sur la route des îles grecques et espagnoles. Le confinement me surprenait à la frontière entre l’Espagne et la France, où les gens qui font l’aventure étaient, comme moi, bloqués. Jean-Paul m’appelait, depuis Tanger. Il me demandait de chercher son frère. Contrairement à toutes les personnes qui me demandaient de chercher des frères, des soeurs, des enfants dont ils n’avaient pas eu de nouvelles depuis le jour de leur embarquement sur les côtes du Sahara occidental, cette fois, Jean-Paul, le frère, savait que son frère était vivant : il m’envoyait une photo de lui, en Europe. Sur la photo, je reconnaissais tout de suite la ville de Bilbao. Non seulement Alphonse était en vie, en Europe, mais il était, ou il avait été, tout près de l’endroit où je me tenais aussi. Le confinement compliquait les choses, mais je me mis à chercher Alphonse, qui n’avait pas donné de nouvelles depuis près de deux ans. Un an de recherches et d’enquêtes incessantes. Rien. Des îles étaient sur le point de paraître lorsque je reçus un appel téléphonique : je suis Alphonse, je sais que tu me cherches. J’étais bouleversée, à plusieurs titres. Les histoires nous surprennent toujours. Mon livre était imprimé, dans lequel j’avais fait des hypothèses sur la disparition d’Alphonse. Je le lui donnais à lire : tu n’as pas fait que des hypothèses justes, me disait Alphonse, en riant. Mais publie-le. J’écrirai le mien, il touchera de plus près la vérité. Le sien, un an et demi après, le voici. Comment je suis devenu Alphonse Daudet. (Préface de Marie Cosnay)

L'AUTEUR Alphonse Daudet Fouda Onomo a passé du temps sur les routes, a visité l’Afrique, a découvert le Nigéria, puis le Maroc. Il s’est installé un certain temps à Tanger, où il a travaillé. Malgré la fermeture des frontières européennes, il est arrivé en Espagne en 2018, d’abord à Bilbao, puis à Grenade, avant de choisir la ville de Barcelone où il réside actuellement. Son voyage lui a fait franchir bien des frontières empêchées. Les frontières géographiques, bien sûr, les frontières sociales, les frontières amoureuses aussi. Comment je suis devenu Alphonse Daudet est un texte singulier et personnel, une sorte d’éducation sentimentale, dont le cadre est le parcours migratoire - l’aventure, comme on dit, cette aventure que connaissent de nombreux jeunes des pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.

COMMENT JE SUIS DEVENU ALPHONSE DAUDET Collection : Partir et raconter n°1 Parution : avril 2024 ISBN : 979-10-97210-14-4 Prix : 15€ TTC

Nombre de pages : 110 Préface : Marie Cosnay Dessins et graphisme : Victoria Beaume


ALPHONSE DAUDET FOUDA ONOMO COMMENT JE SUIS DEVENU ALPHONSE DAUDET COLLECTION PARTIR ET RACONTER #1

LA COLLECTION : PARTIR ET RACONTER Partir et raconter se propose d’accueillir des récits autour du processus des migrations. Les acteurs et actrices des migrations auront eux-mêmes la parole. Il s’agira de prendre acte que ces récits peuvent apporter quelque chose de nouveau à la littérature et que la littérature peut apporter à ses auteurs une forme d’expression et de partage non conditionnée par les multiples enjeux de la vie en exil. Dirigée par Stéphane Bikialo, Marie Cosnay et Daniel Senovilla, la collection était anciennement hébergée par les éditions Dacres, sous le nom “Ces récits qui viennent”. Elle devient “Partir et raconter” chez Héliotropismes, dont le beau titre a été choisi en hommage au livre de Bruno Le Dantec et Mahmoud Traore, Dem Ak Xabaar (partir et raconter), publié en 2012 aux nouvelles éditions Lignes.

EXTRAITS J’ai connu Mimi au niveau du carrefour Vallée Nlongkak. Il faut comprendre que le carrefour est un lieu de retrouvailles, de rendez-vous, un carrefour comme les autres, lieu de commerces, buvettes, un hôtel, appelé Hôtel Vallée, une rôtisserie de viande à la braise, je me souviens des parfums de fumée, agréables, elles envahissaient le carrefour le long de la vallée menant vers le célèbre quartier mini prix bastos. Il faut dire que tout jeune, je gérais les affaires d’un milliardaire camerounais, Francis. Ses appartements meublés, ses maisons. La grande sœur de Mimi revenait passer les vacances au Cameroun, Laure, qui vivait en France.

*** Mimi, Cedric, Benjamin : les potes du carrefour Vallée Nglonkak. Ils appellent Alphonse Dollar, parce qu’ils le savent, si lui réussit, c’est eux qui réussissent. La route est ouverte, Alphonse est à Tanger. Puis à Bilbao, où il retrouve Suzy, rêvant de retrouver Anna, qui a accouché d’un petit garçon, Pau, son fils. Les histoires d’amour finissent mal, en général. Ici, elles compliquent tout. Le carrefour d’autrefois, ses parfums de viande braisée, on l’appelle au secours. Le souvenir est puissant mais sa puissance est ambivalente : il laisse des traces. Bientôt, Bilbao est plein de ce passé. Et nous voilà, au coeur du maelström, au coeur de la disparition d’Alphonse. Attention, par cercles concentriques que la mémoire dessine, Alphonse Daudet Fouda O. raconte : il est revenu.

COMMENT JE SUIS DEVENU ALPHONSE DAUDET Collection : Partir et raconter n°1 Parution : avril 2024 ISBN : 979-10-97210-14-4 Prix : 15€ TTC

Nombre de pages : 110 Préface : Marie Cosnay Dessins et graphisme : Victoria Beaume


éditions JOU

Le Nouveau piano P.N.A. Handschin 240 pages 16 euros ISBN : 978-2-492628-08-5 Diffusion-Distribution SERENDIP-LIVRES à paraître le 5 mai 2024

Pierre Kléber, cinquante ans, une compagne ravissante, de charmants enfants, est un artiste peintre qui ne peint plus. Manque-t-il d’inspiration ? N’a-t-il plus envie ? Le flux de ses pensées quotidiennes forme Le Nouveau Piano, entre incertitudes, souvenirs, mises au point ou encore déchirements. Quand le temps qui passe nous passe dessus et nous écrase. Le Nouveau Piano est par ailleurs le quinzième tome d’un cycle intitulé « Tout l’Univers », commencé avec Déserts en 2003 chez P.O.L. P.N.A. Handschin Né en 1971, auteur de 15 livres (P.O.L., Argol, Jou) Biographie complète sur Wikipedia.

éditions JOU / 60 rue Édouard Vaillant, 94140 Alfortville – France mail : contact@editionsjou.net

http://www.editionsjou.net


Extrait :

En rentrant après avoir accompagné Lucas au collège avec Sarah-Lee puis Sarah-Lee à la station de tramway, il a sauvé d’une mort presque certaine quelques lombrics égarés dans les allées gravillonnées du parc. C’est qu’il sait bien combien les lombrics ont un rôle important à jouer. Cela étant, il se dit que même si les lombrics n’avaient pas un rôle si important, même s’ils n’avaient aucun rôle à jouer dans la nature, ça ne l’empêcherait sans doute pas d’en sauver cependant quelques-uns. Il se dit qu’il ne faut pas se vanter d’une bonne action ; sinon, bien sûr, c’est en perdre le mérite. Est-ce que les lombrics méritent de griller au soleil comme baigneurs à la plage ? Absolument pas. Nenni. Il se dit que cette année, Lucas est entré au collège et Abbie au lycée. C’est quand même une année un peu spéciale pour ça. Ils se sont arrangés pour que l’un entre au collège la même année où l’autre entre au lycée. Ou plutôt, bien sûr, c’est leur âge respectif qui veut ça. Ni l’un ni l’autre n’a jamais redoublé. Il se dit que tous les deux, Abbie et Lucas, ont de très bons résultats jusqu’à présent. Ce qui est un motif de erté pour Sarah-Lee et lui, c’est normal et compréhensible. Il se dit que Sarah-Lee et lui, depuis un petit moment déjà, c’est pour la vie. Et il en tire sans doute plus de force qu’il n’en conçoit d’ennui. Et avec les enfants aussi évidemment pour toute la vie. Et c’est bête, mais sa vie justement n’est peut-être pas si loin que ça d’être nie, qui sait ? Aussi, tant qu’il est encore temps, pourquoi se contenter de sauver seulement quelques-uns des gentils lombrics échoués dans le gravillon piégeux des allées du parc ? Tant qu’il lui reste un souf e de vie, ne devrait-il pas chaque matin les sauver tous, arpenter beaucoup plus consciencieusement les allées du parc ? Il se dit qu’après tout, les lombrics sont des enfants comme les autres. Et qu’ils méritent tous d’être sauvés, bien sûr. Il se demande après quoi les joggeurs courent dans les allées du parc. Pas après les lombrics, quand même ? Il regrette que les joggeurs mettent la vie des lombrics en danger. Comme si la situation des lombrics n’était pas déjà assez compliquée. Et jamais il n’en a surpris c’est vrai, mais peut-être certains joggeurs sauvent-ils les lombrics. Peut-être s’en trouve-t-il qui sont suf samment éveillés et attentifs à la situation des lombrics dans les larges allées du parc. Il se souvient que cet été, un jeune Afghan accompagné d’un autre jeune Afghan s’est noyé en voulant traverser la rivière qui borde le parc. Il imagine ce jeune homme parcourir à pied des milliers de kilomètres pour fuir les détestables talibans, et venir se noyer, ivre de joie retrouvée, dans une jolie rivière de la patrie des Lumières et des droits de l’Homme où il se peut même que des joggeurs sauvent les lombrics. Il se souvient que lui-même a déjà failli se noyer à deux reprises dans sa vie. Jamais deux sans trois, comme on dit ? Quand il était enfant d’abord, et qu’il est tombé à l’eau après qu’un sol instable s’est dérobé sous ses pieds. Puis adolescent, en voulant traverser la même rivière que le malheureux jeune Afghan mais à plusieurs kilomètres en amont. La panique ressentie, le souf e précipité. Trouver quelque chose à quoi se raccrocher. Il espère qu’Abbie et Lucas ne seront jamais imprudents. Il se dit


que dans sa collection de disques, il y a celui d’Alain Bashung intitulé L’Imprudence. Il a toujours peur qu’Abbie ou Lucas se fassent écraser par un chauffard. Il se demande si le broyage des poussins mâles a nalement été interdit par la loi ou pas encore, comme il en avait entendu parler. Il s’étonne que des gens sur Terre aient pour métier de concevoir des broyeuses à poussins. Dans la nature, les poules mangent les lombrics. Mais il sait que ce n’est pas pour cette raison qu’on broie vivants les poussins dans des broyeuses à poussins. Il suppose qu’il n’y a d’ailleurs plus tant de poules que ça dans la nature. Il se dit qu’au déjeuner du mercredi, il a l’habitude de faire des œufs au plat pour Abbie et Lucas. Bio les œufs, achetés en vrac au bout de la rue. Enduire préalablement d’une mince couche d’huile d’olive la poêle. Casser les œufs dans la poêle plutôt qu’à côté. Puis un peu de sel et de poivre et d’herbes de Provence. La cuisson juste comme il faut, il se dit, ni trop ni pas assez. Il se dit que c’est un jeu entre eux et qu’il demande toujours à Abbie et Lucas s’ils sont bons les œufs qu’a préparés leur papa. Il note qu’il est vraiment un papa poule. Il se souvient que quand lui-même était enfant, il y avait une série télé intitulée Papa poule. Il se dit qu’Abbie et Lucas ont beau dire, n’empêche que la télé existait déjà quand il était enfant. Cela étant, est-ce que ça lui aurait déplu de grandir à l’époque des dinosaures ? Il se dit qu’il y a environ 65 millions d’années, la cinquième extinction de masse a notamment vu disparaître les dinosaures, et que selon des experts du monde entier, la sixième extinction a commencé. Et il a cru comprendre que les responsables ne sont pas les lombrics. Auquel cas il aurait bien sûr aussitôt arrêté de vouloir les sauver. Il lui semble que s’il n’a jamais été un grand fan de l’humanité en général, il préférerait pourtant qu’elle soit sauvée. Parce qu’il y a certes pas mal de déchets, mais aussi des Abbies, des Lucas, des Sarah-Lees, des Nelson Mandelas, des Einsteins et des Mozarts. Il se dit qu’en ce moment, Lucas joue le rondo de la Sonatine viennoise n° 2 de Mozart, et Abbie, la Bagatelle n° 1, opus 33, de Beethoven. Il se dit : dites trente-trois. Il n’oublie bien sûr pas que dans sa collection de disques, il y a l’intégrale des Sonates pour piano de Mozart interprétée par Christian Zacharias. Dix-huit sonates en tout. Il remarque que depuis qu’il ne va plus voir son docteur, il n’est plus malade. Il pense à son amie Isabeau qu’il connaît depuis longtemps, depuis le lycée exactement, et qui vit dans une autre ville avec son docteur de mari et leurs deux ls. Il se dit qu’elle est entourée de garçons. Il regrette qu’à Noël dernier, ils se soient loupés. Il se dit que Noël dernier, pour le père de Sarah-Lee, ça a été son dernier Noël. Il se dit qu’à partir d’un certain âge, on peut s’attendre à ce que Noël soit son dernier Noël. Ce qui vous ferait presque aimer Noël. Il se dit qu’il n’aime pas Noël sauf que c’est l’une des rares occasions de voir Isabeau. Il sait que le père d’Isabeau s’est suicidé quand elle était enfant. Il ne sait pas comment il s’est suicidé et peu importe, bien sûr. Il se demande tout à coup s’il n’a pas entendu Isabeau, il y a des décennies de cela, parler de revolver. Il constate que la seule personne de sa connaissance qui se soit suicidée était un voisin. Père de quatre enfants, dont la plus âgée devait alors avoir vingt ans. On l’a retrouvé pendu à une branche face à


l’océan, un endroit magni que semble-t-il, non loin de la maison de vacances. Il se dit que le voisin a dû se dire : bel endroit pour mourir. Sarah-Lee trouve le suicide égoïste. Il se dit qu’il ne sait pas au juste s’il trouve que le suicide est un acte égoïste. Il se dit qu’il n’a pas très envie de penser à ça. Il se dit qu’une chose est sûre, c’est que ni le père de Sarah-Lee, ni ses parents à lui, ne se sont suicidés. Il note que ses deux parents à lui sont morts dans le même hôpital. Il note qu’il s’agit même de l’hôpital où Sarah-Lee travaille. Et papa poule, est-ce que ça peut éventuellement être considéré comme un travail ? Il se demande si ce n’est pas plutôt le mot pistolet qu’Isabeau aurait prononcé. Papa poule. Papaye. Papageno. Tiens, il se dit, ça, c’est encore Mozart. C’est l’oiseleur de La Flûte enchantée. Même qu’à un moment, Papageno est tellement désespéré d’avoir perdu sa Papagena à peine entrevue, qu’il veut se pendre à un arbre. Le nombre d’oiseaux a chuté d’un tiers en Europe en trente ans, il se dit. Il se dit qu’il n’y a peut-être pas de rapport, mais les oiseaux ravissants auxquels il laisse des graines de tournesol devant la fenêtre de la petite pièce qui lui sert d’atelier ne viennent plus que de loin en loin. Il se demande s’il ne faudrait pas plutôt dire : qui lui servait d’atelier. Il se demande depuis combien de temps il n’a pas touché une toile. Il se demande depuis combien de temps il n’a pas touché un chèque pour avoir peint une toile. Il se dit que de toute façon, il vendait peu. Son galeriste le vendait peu. Il se dit que pour être franc, il a tout de même une petite idée du nombre d’années depuis lequel il n’a pas touché une toile. Il se dit que sans l’héritage de son père. Il se dit que sa mère est morte quinze ans avant son père. Il note que quinze ans, c’est l’âge qu’aura Abbie dans quelques jours. Sa petite Abbie adorée, si vite grandie. Il se dit que le père de Sarah-Lee leur avait donné un gros sac de graines pour les oiseaux. Mais maintenant, ils n’utiliseront jamais toutes ces graines. Il se dit que s’il pense au fait qu’Abbie et Lucas grandissent si vite, il n’y peut rien, les larmes lui montent aux yeux. Il se dit qu’après que Charlélie a mis la clé sous la porte, il a cherché quelque temps, mais n’a pas retrouvé de galerie. Il se dit : qui veut d’un artiste qui vend si peu. Il convoque une image d’Abbie toute petite, cheveux plus blonds et plus bouclés, visage poupon, mais recule aussitôt. Il se dit : mes yeux se remplissent de larmes. Il se souvient du titre d’un lm de Fassbinder, Les Larmes amères de Petra von Kant, mais il pense ne pas avoir vu ce lm. Il se souvient être allé récupérer deux ou trois toiles pour ainsi dire à l’abandon dans l’arrière-boutique de la galerie. Il se souvient du sourire triste et du haussement d’épaules de Charlélie. Il se dit qu’il ne faut pas exagérer, avec Abbie et Lucas et leur maman bien sûr, ils ont encore des années à être ensemble à la maison. Il pense au bonheur qu’il y a à être ensemble. Au bonheur que c’est. Il se dit que la planète Terre est notre seule maison. Mais nous semblons décidé à tout gâcher ; nous n’en avons jamais ni de tout salir. Il se dit qu’il ne doit pas oublier de passer l’aspirateur.


Voir & Flairer

Jean-Luc Cramatte & Jacques Roman

PRÉSENTATION Sous sa plume, penser et flairer ont le même sens

En librairie mai 2024 Format : 14 x 21 cm Pages: 112 p. 28 illustrations Reliure : broché, collé rayons : Littérature & Beaux-arts Prix: 22 € ISBN 978-2-8290-0686-9

DIFFUSION ET DISTRIBUTION SUISSE Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch / www.enbas.net

DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE SERENDIP livres

D’abord, entrez dans les instants capturés par Jean-Luc Cramatte, autant d’arrêts sur image qui ouvrent sur des univers singuliers. Puis, à travers le regard de Jacques Roman, sa sensibilité, les histoires qu’il fait naître, repensez ces mondes au-delà de l’objectif. Un dialogue silencieux entre deux auteurs, une danse subtile à laquelle ils nous convient. Quelle lecture faisons-nous d'une image? Jacques Roman, ne connaissait rien des photographies lorsqu'il a écrit ses textes, ni le lieu, ni la date, ni les circonstances. Les deux auteurs nous invitent à nous ouvrir à nos propres visions. Alors que l'image est omniprésente elle n'est plus regardée, juste vue. Ouvrons l’œil et écoutons la musique des mots.

AUTEURS Jean-Luc Cramatte Né dans le Jura Suisse en 1959, il découvre la photographie par l’ornithologie et achète son premier appareil photographique pour photographier les oiseaux. Il veut devenir bûcheron, mais sa mère insiste pour qu’il travaille « au chaud » dans un bureau. Il travaille d’abord pour la presse et réalise un premier essai photographique sur la dernière gardebarrière en 1983. Il s’éloigne peu à peu de la presse quotidienne pour mener à bien ses travaux artistiques. Collectionneur obsessionnel, il pense et travaille en séries, accumule ses images comme celles des autres. Il ne craint ni le rebutant, ni la monotonie et culmine dans une sorte de poésie de l’ordinaire. Jacques Roman Né en France en 1948, il arrive en Suisse en 1969, par un coup du destin. Le même destin le voit se consacrer à la culture : théâtre, lectures, radio, cinéma, enseignement, écriture (auteur d’une œuvre poétique importante), et ce durant plus de cinquante ans, un demi-siècle. Il ne doute pas que ce soit cette longévité biographique qui l’ai fait se pencher en penseur sur l’agoniagraphie et la thanatographie, sur le passage du temps et l’éternel retour, sur l’impossible inscription de la vie sur catalogue.

SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14 contact@serendip-livres.fr gencod dilicom 3019000119404


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Force et noblesse Ici l’acte du photographe a fait se lever le fantôme de l’un de ses prédécesseurs. Je pense à Walker Evans parcourant l’Amérique rurale des années 30, Evans né dans le Missouri en 1903, disparu en 1975. De cette photographie-là émane une atmosphère dans laquelle, de derrière la réalité crue, de derrière la réalité rude, de derrière la réalité sociale, se donne à voir une silencieuse humanité dont au premier coup d’œil je perçois force et noblesse. Ces deux femmes, amies ou sœurs, assises autour des reliefs d’un repas partagé dans la cambuse, éveillent pour moi des récits d’aventure. Si elles ont consenti à ce qu’on leur tire le portrait, ce n’est certes pas sous le regard d’un chasseur de primes. On ne voit ni les couteaux ni les revolvers, mais la bande est bien au complet, solide, déterminée, gardant le repaire et ses secrets. Ce que l’une, encore en tablier, a fait mijoter, nous ne le saurons pas. Mais à la voir fumer la pipe on apprend, si l’on sait ce que fumer la pipe ou le cigare veut dire, qu’elle partage avec sa consœur le rêve d’un temps qui pour n’avoir jamais existé demeure un rêve corsaire, un rêve d’aventure. J’ai dit force et noblesse, là où les présences en l’image ont déchiré celle-ci de leur humanité pour m’inviter à entendre…

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L’élégance Un jour, je saisis l’image, je la regarde longuement, puis je la repose sur mon bureau. Passent les jours, je reprends l’image, la regarde et la repose à nouveau. Je sais que les quelques mots qui me viennent en tête ne vont faire que souligner quelque épais cliché… La tentative de description peut-elle à elle seule dire le sentiment que fait se lever l’image photographique ? Peut-on écrivant à propos d’une photographie échapper au récit, sa subjectivité ? Rien dans cette photo ne m’est étranger, sinon le paysage. Si je recouvre d’un doigt la silhouette de l’homme qui va de l’avant sur cette route glacée, ce paysage, malgré la présence fantôme de chalets, ne m’apparaît plus comme habitat. Il me plonge dans sa grisaille, car c’est ça aussi la photo en noir et blanc : des gammes de gris. Si je retourne à l’homme sur la route, le paysage, et jusqu’au ciel, me redevient accueillant. C’est la présence tonique de l’homme élégant dans son costume hors de saison, chemise ouverte, qui m’hypnotise et me donne à partager tout ce blanc comme une radieuse nouvelle. Dans l’espace immense, cet homme, le pied ne lui manque pas. Il ne pense pas à ce qui est en-dessous de lui, mais à ce qu’il voit devant lui. Oui, tout est devant nous. Accompagné de quelle force, de quelle faculté, parcourt-il, allègre, le monde ? À découvrir ? À réinventer ? Ici, le photographe ouvre une frontière.

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Vu passer quatre mules… Ni parade, ni invasion, ni libérateurs… Tandis que l’on flânait au centre-ville, on s’est trouvé par hasard sur l’itinéraire d’un convoi militaire en route pour une région de montagne. On se rappelle le lourd et bruyant grondement du moteur des camions. Aurait-on même tourné la tête si ne nous était parvenu le bref braiement d’un animal, et si l’on n’avait pas respiré des effluves d’écurie ? Pas de doute, le chauffeur transporte quatre mules. L’animal a la réputation d’avoir le pied sûr, mais aussi un caractère têtu, deux qualités essentielles qui assurent son engagement militaire ainsi que celui du soldat qui l’accompagne. Les services rendus par l’animal ne lui valent aucunement l’attribution d’une accession quelconque dans la hiérarchie, mais lui offrent en contrepartie le gîte et le couvert ainsi que divers soins prodigués par les palefreniers. Le temps de tourner la tête on s’est réjouit durant quelques secondes de voir passer, ainsi que l’on aurait assisté à l’entrée d’un Cirque dans la ville, de pacifiques mules, oreilles au garde-à-vous, museaux au vent, en alerte, comme alignées au départ d’une course… Ce nous fut une attraction détournant un instant notre regard des forces combattantes.

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cOUVERTURE NON CC

Du désarroi et de la colère Jacques Roman PRÉSENTATION Du désarroi et de la colère est le dernier ouvrage de Jacques Roman, formant un tableau sublime de deux volets pouvant se rabattre l’un sur l’autre. À partir de plusieurs réflexions philosophiques, poétiques et introspectives, exigeantes de vérité, il tente de contourner l’ennui et d’arracher sans faillir la mauvaise herbe des jours qui passent. Mêlant le passé au présent, l’étymologie du désarroi sert ainsi de ciment aux déambulations actuelles de la colère. Fidèle à un style de haute voltige, qui lui permet de sauter par-dessus les dépressions et les gouffres sans y tomber, Jacques Roman est définitivement, comme le soulignait Jacques Chessex : « Un poète de la trempe d’Artaud et de Pasolini : de ceux qui se risquent, esprit et corps,

En librairie 01.2023

dans le suave et le pire. »

Format : 14 x 21 cm Pages : 64 p. Reliure : broché, collé rayon : littérature Prix : 10 € / 15 CHF ISBN : 978-2-8290-0662-3

AUTEUR Né en 1948 en France, Jacques Roman s’installe en Suisse romande au début des années 1970. Comédien, metteur en scène, réalisateur, collaborateur et producteur à la Radio Suisse romande, pionnier des lectures publiques, il est aussi l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dans des genres divers : prose et recueils poétiques, livres d’artistes, pièces de théâtre et œuvres radiophoniques.

DIFFUSION ET DISTRIBUTION SUISSE Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch / www.enbas.net

DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE Paon diffusion/SERENDIP livres

Paon diffusion – 44 rue Auguste Poullain – 93200 SAINT-DENIS SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14 contact@serendip-livres.fr gencod dilicom 3019000119404



· Format (mm) �������������������� 120*180 · Nombre de pages ���������� +/- 200 · Prix (€) ������������������������������������ +/- 14 · Tirage ��������������������������������������� 800 · Parution ��������������������������������� juin 2024 · ISBN ������������������������������������������� 9782493534064

C’EST LES VACANCES, nO 2 (contact : revuecestlesvacances@proton.me)

C’est les vacances est une revue estivale à emporter à

la plage. Elle est plus politique que romantique, plus littérale que métaphorique et donne un aperçu d’une scène de création littéraire émargée, mais puissante. Elle est dirigée par Eugénie Zély, autrice de Thune amertume fortune et lauréate du prix Pierre Giquel de la critique d’art 2023. C’est les vacances regroupe des auteurices de plusieurs générations, des littératures narratives, poétiques, théoriques, autofictionnelles. Le second numéro s’articule autour de descriptions spécifiques ou générales de la vie quotidienne. Une vie qui ne cesse de lutter contre sa nécrose. Ce numéro propose une multiplicité de voix, des anecdotes qui n’ayant l’air de rien dessinent des mondes, des relations et des façons de les dire désirables. Après un premier numéro articulé autour de la colère, ce nouveau numéro est celui d’une résignation émancipatrice guidée par la voix intense et profonde de Dorothy Allison « Nos vies ne sont pas petites. Nos vies sont tout ce que nous avons, et la mort change tout. L’histoire se termine, une autre commence. Le long travail de la vie c’est d’apprendre à aimer l’histoire, les romans que nous vivons, les personnages que nous devenons. » à laquelle amiexs et inconnuexs ont répondu.

Autres revues similaires : • Revue Sabir (revuesabir.com) • Revue Post (revueppost.com) • Revue Nioques (revuenioqques.ffr)

Thèmes abordés : féminisme, amour, transformation, colère, identités queer, luttes politiques, amitié, sentiments Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

À propos de l’éditrice : Eugénie Zély est artiste et autrice. Elle a publié Thune amertume fortune aux éditions Burn~Août en 2022. Elle écrit régulièrement des textes critiques pour des artistes et des expositions ce qui lui a valu de remporter le prix Pierre Giquel de la critique d’art 2023. Elle burnaout@ @riseupp.net httpp:///editionsburnaout.ffr//

développe un travail plastique multimédia en relation directe avec son travail littéraire. Son travail plastique a fait l’objet de plusieurs expositions et elle écrit actuellement son deuxième roman : La même en pire. Elle est née en 1993 et vit toujours dans la zone rurale dans laquelle elle a grandi.

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Crédit photographique : Norman Delauné

REVUE LITTÉRAIRES

Graphisme : Aurélie Massa

avec les textes de alex~tamécylia, Anouk Nier-Nantes, Badis Djouhri, Bobby chalard, Claire Finch, Elise Legal, Elsa Michaud, etaïnn zwer, Ines Dobelle, Mante Maria Camila, Mimine, Mulov Ugo Ballara, Vinciane Mandrin et Virgu (dir. Eugénie Zély)

C’EST LES VACANCES, nO 2 (revue collective, dir. Eugénie Zély)

C’EST LES VACANCES, nO 2


REVUE LITTÉRAIRES C’EST LES VACANCES, nO 2 (contact : revuecestlesvacances@proton.me)

Badis Djouhri est bavard et blagueur. Écrire, c’est mettre un peu de soi dans beaucoup de l’autre. En fait, écrire, c’est s’écrire. Souvent cyniques, presque comiques sans tout à fait l’être, ses textes laissent là, l’âme vidée, le cœur las, mais le sourire large. Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

Bobby Chalard est écrivain. Il a été diplômé d’un DNA (2019) et d’un DNSEP (2021) aux Beaux-Arts de Nantes. Il a repris ses études au Master de Création Littéraire du Havre en 2022. Il a publié dans des revues (Tendre 02, Censored 07) et a exposé son travail à Nantes, Marseille et Lyon. Il a auto-édité des fanzines (Je suis, Marseille, Sauver les images). Il est en train d’écrire un roman d’amour.

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Anouk Nier-Nantes vit à Grenoble, elle travaille en tant qu’autrice, intervenante et membre de l’association la vie gagnée. Elle a grandi dans les Alpes dans une famille de classe moyenne et a passé son diplôme à la Haute École des Arts du Rhin en 2020. alex~tamécylia boit des tisanes et anime les ate- Au travers de films et de livres, elle s’intéresse aux liers d’écriture Langue de lutte. C’est la caution contextes (de création, de vie) et aux liens que l’on entretient avec son milieu. queer féministe de tes nuits calmes.


etaïnn zwer (∞) croit à l’écriture comme sueur politique et poursuit une pratique discrète, obsédée par le pouvoir de métamorphose du poème — technologie radicalement tendre pour faire advenir des mondes baisables enfin décolonisés. etaïnn performe, solo et avec la collextive RER Q : Whitechapel Gallery (Londres), TN (Bruxelles), La Bâtie (Genève), Air de Paris (Romainville), Ausland (Berlin), à la radio, en sex-parties. Et publie : TISSUE, Phylactère, Realitäten (etece buch, 2022), Lettres aux jeunes poétesses (L’Arche, 2021).

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Crédit photographique : Élise Legal © Maison populaire Montreuil / Elsa Michaud © Sarah-Anaïs Desbenoit / etaïnn zwer © Anna Broujean

REVUE LITTÉRAIRES C’EST LES VACANCES, nO 2 (contact : revuecestlesvacances@proton.me)

Elsa Michaud est musicienne, chorégraphe et conductrice automobile. Son premier album Driving Drama est paru sous le label Bruxellois Midi Fish de TG Gondard (Lazza Gio, Radio Hito...). Elle y chante des femmes au volant d’engins motorisés en quête de paysages presque américains dans des ambiances crépusculaires. Ses pièces chorégraphiques et ses concerts ont notamment été vus à la Fondation Fiminco, Ideal Trouble, au Centre Wallonie Bruxelles, au Centre National de la Danse, au Palais de Tokyo, à la Ménagerie de Verre, aux Laboratoires d’Aubervilliers ou à la Brasserie Atlas. Diplômée des BeauxArts de Paris en 2020, elle poursuit aujourd’hui ses recherches au Fresnoy, Studio National des Arts contemporains, pour y réaliser deux films-opéras de science-fiction.

C’EST LES VACANCES, nO 2 (revue collective, dir. Eugénie Zély)

Claire Finch écrit des textes expérimentaux porno­ weirdo. Ses projets récents incluent I Lie on the Floor (After8 Books, 2021), Kathy Acker 1971-1975 (Ismael, 2019) et AsshOle, une collection de poésie concrète (Snack, 2023).

Élise Legal est artiste et autrice, actuellement résidente aux ateliers de la Ville de Nantes. À travers une approche pluridisciplinaire (qui mêle images trouvées, dessin, poésie) elle porte une attention particulière à la manière dont le langage et les corps coexistent. Elle poursuit également une thèse de recherche-création à Paris 8 qui porte sur l’agir politique de la poésie.


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Mimine rêve de devenir audionaturaliste et chercheuse en ethnomusicologie, de construire un poulailler, de fonder une maison d’édition et d’un corset Vivienne Westwood. Aujourd’hui, elle se consacre à son master d’histoire de la musique au CNSMDP, à sa psychothérapie, à l’écriture et à Touta. Par le passé, elle a étudié le piano, la littérature moderne et les techniques du son, notamment au cinéma.

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Crédit photographique : Ines Dobelle © Laurent-PoleoGarnier

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Maria Camila est née à 2 650 mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer, là où elle n’habite plus. Migrante depuis cinq ans, elle occupe un territoire fantôme entre Bogota et Nantes depuis lequel elle tente de comprendre ce qui peut être un sens d’appartenance, en mixant des vidéos, des sons et des langues.

C’EST LES VACANCES, nO 2 (revue collective, dir. Eugénie Zély)

Née en 1990 en Jordanie, Ines Dobelle est diplômée de l’ENSBA. Elle se définit comme une polycultrice qui décloisonne les genres et emploie différents modes d’expression, dont l’écriture. Ses recherches portent sur l’exposition de l’intime, la porosité entre espace privé et public et les formes d’autosurveillance. Parallèlement, Ines est membre de La Collective et est co-fondatrice de La Guerrière, Mante, Écriture sans écriture (uncreative writing) chimère indépendante, féministe et solidaire qui Post-poésie / Boxe / Bar(man) Paris — Le Havre, soutient la création contemporaine. autoroute A13. Go vegan, vitamine B12.


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Vinciane Mandrin est artiste, autrice et performeuse. Elle s’intéresse à la pratique du récit corporel et de l’autofiction comme stratégie de résistance face aux régimes de captation et de fétichisation du corps queer et racisé. Sa pratique est mobile et polymorphe, dans un aller-retour entre travail individuel et collectif, interventions dans des espaces artistiques, microédition, et création d’ateliers de co-création autour de l’édition et de la performance.

Virju a 36 ans et habite à Rennes. Elle a étudié le design en école d’art. Elle est artiste/collagiste/performeuse et d’autres choses. Elle collectionne des images et des objets. Elle écrit dans les notes de son téléphone. Elle considère que la société lui doit quelque chose. Fight back Free Britney

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Mulov est née en Turquie et elle a grandi en France. De ça, elle ne s’en remet toujours pas, donc elle fuit les discussions identitaires et les bio comme son père a fui les fascistes. Ce truc donne un côté dramatique à son histoire qui n’est pas pour la déplaire. Elle est diplômée des Beaux-Arts, où elle fait des performances. Elle en fait encore, mais maintenant elle dit « stand-up » et ainsi, il y a beaucoup plus de gens dans le public. Elle essaie d’écrire un livre, elle pense à faire un spectacle, elle envie de produire un album.

Né en 1995 à côté de Tours, Ugo Ballara vit et travaille à Paris. Il fabrique des textes et des formes qui parlent souvent d’architecture et de sexualité. Diplômé de la Sorbonne en Histoire et en Histoire de l’art, puis des Beaux-arts de Cergy (ENSAPC), sa pratique s’intéresse aux espaces, objets et activités parasites, au sentiment d’être à la fois à l’intérieur et en dehors, aux trous, aux tunnels et à celleux qui les empruntent. Membre de Glassbox depuis 2019, il y en charge d’une partie des expositions et des suivis de projets. Il fait également partie de Kim Petras Paintings, collectif réunissant des artistes autour des enjeux du fan art. Il écrit parfois des textes pour des expositions et compose aussi de la musique pour des artistes.


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L’été dernier j’ai quitté ma ville. J’ai fait mes cartons, en slip et en tee-shirt parce que mes seins sont encore là. J’ai regardé Pose, l’épisode où il faut chaud. Elles sont en culotte, les cheveux attachés tout en haut de leurs têtes, dégoulinantes et maquillées. Elles sont collées au ventilateur. Elles mangent des glaces qui fondent sur leurs cuisses et c’est pas sexuel, c’est dégueulasse ça coule et ça colle, elles ont chaud. Alors elles prennent la caisse et elles s’en vont, elles quittent la ville. Cet été je quitte mon mec et c’est pas très grave (je l’ai beaucoup aimé). On se quitte sans cartons, on a rien à se rendre. Je garde ses trois lettres chacune dans leur enveloppe et il garde toutes les miennes. Je le quitte sans pleurer, mais j’y pense tous les jours. J’y pense sous la douche et en allant à mon job de merde et le soir ou la nuit quand je rentre bourré. On m’offre des shots dans mon bar préféré et souvent je leur dis à demain. Mes amix s’inquiètent. Pas pour l’alcool, iels boivent avec moi, iels s’inquiètent pour les larmes. D’habitude je pleure, je suis cancer, j’écris des livres d’amour, j’aime les céréales au dîner et les alexandrins. J’appelle souvent ma mère. Je suis son petit garçon pédé. Je suis ascendant vierge, je fais des listes, j’ai un bullet journal depuis quatre ans, je range mes chaussettes par couleur. J’installe Tinder et OkCupid. J’ai toujours pas pleuré. Je veux baiser avec des mecs (je veux qu’on me tienne la main). Cet été mes seins sont encore là, c’est dégueulasse et ça colle, j’ai chaud. Je suis cancer ascendant vierge, je fais des listes de sentiments. J’ai : soulagé / déçu / énervé. Je l’ai beaucoup aimé. Je rassure mes amix, je leur dis c’est à cause de la T. Ça fait 18 mois que je pleure pas, c’est l’âge d’un bébé qui marche. J’apprends à compter. On se voit tous les jours. J’ai appris à aimer ma meute par entassement. Je viens d’une grande famille et d’une petite maison. J’ai jamais dormi seul. Je me suis serré dans les lits, j’ai partagé les serviettes à la plage, j’ai grandi empilé. Je suis petit, j’avais pas trop de place, je rentre bien dans les petits espaces. J’aime mes amix en chien de garde. Je perdrais contre n’importe qui à la bagarre, mais je leur dis quand même je protège mon troupeau. On se voit tous les jours. On recopie les enfances qu’on a détestées. On prend la caisse et on va traîner nos culs dans la zone commerciale. On écoute Lana Del Rey sans enceinte, téléphone sur le tableau de bord. Je n’ai que des amix pédés. On regarde les poissons à l’animalerie, on mange à Burger King pour le goûter. Gabriel me vole de la crème pour le corps à la grande pharmacie. Il achète des strass et des paillettes chez Action, je n’ai que des amix pédés. On a toustes quelque chose qui cloche, des allergies aux acariens un traitement à vie ou des parents perdus. Des parents morts oui, mais moi mon père je l’ai vraiment perdu. Je sais pas où il est (parti acheter des clopes etc). C’est un peu grave et je l’aimais pas beaucoup. Alors cet été-là on répare, on prend chaque petit couteau dans les peines et on tire un Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

coup sec. On s’entasse. On déjeune ensemble et on se coupe les cheveux. On vérifie le niveau d’eau sous les oreillers, on remplit les frigos, on se fait boire pour pouvoir pleurer. C’est pas la meilleure solution, mais j’ai l’alcool mélodrame, je pleure une heure après trois pintes et ça rassure tout le monde. J’écoute mes amix me dire les formules magiques c’est un con / tu mérites mieux. Je suis pas d’accord, mais je hoche la tête. On s’est beaucoup aimés. J’ai jamais détesté mes ex. Gabriel me force à regarder Les demoiselles de Rochefort, en échange il me prépare des fraises à la crème. On se surveille. Dans sa vie il a préparé des fraises à la crème uniquement pour son ex-mari. Il a été marié, maintenant il baise avec les trois quarts de la ville (il veut qu’on lui tienne la main). On tient une boutique de vêtements pendant mes jours off. On est payés comme des connards, mais on adore jouer à la marchande et les bourgeoises adorent acheter des robes vintage aux deux pédés qui les complimentent plus que leurs maris. Vous savez ce qui vous va. Elles pensent sûrement qu’on s’encule dans la réserve. On est très amis. Il m’emmène acheter des pantalons neufs et trop chers, je lui offre Déloger l’animal et on se fait des clins d’oeil. Cet été il m’apprend à être pédé, mais il me dit non pour Grindr. Comme j’en branle pas une au taf, mes amix viennent boire des cafés. Manger des Kinder gratter des astro voler du PQ draguer mes collègues. On scrolle le sien de Grindr à Gabriel, en cachette devant les client-es bonjour oui c’est par là / lui il est chiant, mais il baise bien. Il m’apprend ce que veut dire TBM. Et puis il me dicte des messages à envoyer à mon crush, il me paye des iced coffee double espresso au lait d’avoine, il me dit c’est à 25 ans qu’on commence le rétinol. Il me prend rendez-vous chez la coiffeuse, en privé en pirate c’est son amie qui coupe, parce que faut dire que quand on se coupe les cheveux nous-mêmes c’est pas terrible terrible. Il me force à regarder Les demoiselles de Rochefort, il me fait visiter la maison. Derrière une des infinies portes il y a une boîte pédé. On rentre dans le noir et Gabriel reconnaît quelqu’un, il me regarde, je lui dis oui oui vas-y dans nos clins d’oeil. Il disparaît accompagné, de lui ou d’un autre, au bar ou au sous-sol (on lui tiendra pas la main). Je rentre dans le noir et ça sent la fumée, ça sent le poppers, ça sent les pompiers après les incendies. Il fait plus chaud qu’en pleine ville il fait poisseux collant dégueu, il fait, la goutte qui coule dans la nuque il fait, tee-shirt trempé et doigts qui gonflent. J’ai mes seins qui m’espionnent, j’ai chaud. Il y a, des garçons qui se frottent, des shots à sept balles, de la pisse sur le sol, des filles qui nous adorent, des garçons qui s’en foutent. Un garçon qui se frotte, celui que j’essaye de draguer, qui remue son cul contre toutes les bites qui passent sauf la mienne, la mienne celle en plastique la rose la transparente, la mienne à la maison dans le tiroir à slips. Ce soir je le regarde danser dégoulinant dans la sueur des autres, je l’imagine baiser dégoulinant dans la cuvette des chiottes, il est drogué, un peu salope, si je voulais mon tour j’aurais qu’à faire la queue. Mais moi je suis cancer, je veux qu’on me courtise alors j’attends, je danse tout seul, je mens à mes amix je leur dis ça fait rien.

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C’EST LES VACANCES, nO 2 (revue collective, dir. Eugénie Zély)

EXTRAIT DE J’AI TOUJOURS VÉCU EN MEUTE PAR BOBBY CHALARD (texte non corrigé)


REVUE LITTÉRAIRES

On nage Je me baigne mes dents sous l’eau côtoient les foies leurs ventres elles s’en sortent

Dans mon rêve j’ai évité son visage esquivé sa peau très attentivement l’inconscient se débrouille sur tout ce qui passe 10 centimes une dent qui tombe tes aveux à cran

EXTRAIT DE SANS REMIX PAR MULOV (texte non corrigé) Sur le marché de la terreur Je n’ai pas pris de grenade, car JE SUIS Non belligérante Irréniste pacifiste blanche occidentale, avec une conscience POLITIQUE plûtot à gauche. Mes ennemies POLITIQUES sont d’abord : les connards de l’extreme droite, vraiment ! cons bêtes et méchants les capitalistes qui refusent de me payer pour être, juste être. JE VEUX JUSTE ETRE. les carnivores qui ne comprennent rien à la souffrance animal les nihilistes, dont j’attend les attentats terroristes. Puisque dieu est mort, suicidez-nous : on n’en peut plus.

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EXTRAIT DE DRAMAHOLIC PAR UGO BALLARA (texte non corrigé) Le ouigo, la gare, moi et ma valise à roulette dans le centre pavé. Mes mains qui palpent le plastique pour se persuader qu’elle tiendra. Bus 6 direction plus loin, je traverse de larges avenues dix-neuvièmes flanquées de marronniers, derrières lesquelles s’étalent des maisons de maîtres : compète de moulures et de portails à fioritures. J’imagine que je suis jury d’un concours et j’établis mentalement le classement du plus beau zizi du boulevard des grosses teubs. Terminus, les constructions sont plus modestes. Je longe des petits pavillons sixties cernés de géraniums dans lesquels s’égosillent des oiseaux en plâtre. Les à-coups poussifs du portail automatique. Ma valise que je traine à l’étage sans rien déballer puis le lit sur lequel je me jette. 19h10, soupe d’endive, roulés au jambon, tarte aux quetsches. Le JT régional parle des mirabelles, particulièrement grosses cette année en raison des litres de flotte qui se sont déversés sur la France. On me demande d’en cueillir dans le jardin quand j’aurais un peu de temps, il y en a tellement que les branches caressent la pelouse. On en fera des gelées qui s’entasseront dans la cave en prévision d’une pénurie mondiale. Le goût des fruits survivra sans doute aux arbres qui les ont engendrés. Un renard pétrifié dans sa course monte la garde au-dessus du meuble télé. Des images de canicule défilent. Je constate l’impossibilité d’illustrer la chaleur sans poncifs. Un homme s’arrose la nuque avec une bouteille d’Evian. Un groupe s’abrite sous l’arbre d’une place déserte. Des gouttes perlent sur un front derrière les va-et-vient anxieux d’un éventail ajouré. Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

Les vraies catastrophes manquent cruellement de télégénie. Elles s’étalent mollement dans le temps et ne s’offrent que rarement en spectacle. Un tsunami, ce n’est pas une grande vague pleine d’écumes qui s’abattrait sur les côtes comme la foudre. C’est juste une mélasse brune qui monte et qui embrasse tout. C’est implacable, mais c’est mou. Mes doigts qui glissent sur l’écran fissuré du téléphone. J’ouvre machinalement Grindr en sachant que je ne ferai rien. Ego trip ou thérapie, chaque notif pénètre joyeusement mes oreilles, comme des promesses. Sans grande conviction, je prends connaissance des salut aimes-tu plan daddy BM ? et autres Actif bonne teub ch lope fun cool sympa, évidemment sans aucune photo pour illustrer l’assertion. Crrrrruui, crrrrruuii, je me demande d’où vient ce son qui agit sur mon corps comme un réflexe de pavlov, une version chiptune d’un arpège de xylophone désaccordé. Je tombe sur l’origine du logo, un masque jaune sur fond noir qui rappelle vaguement une cagoule SM. Joel Simkhai, le fondateur de l’application voulait une image de marque « virile et résistante » au design « agressif et puissant ». On ne peut pas nier la réussite du branding masc for masc. Je découvre que Simkhai est un fils de diamantaire qui a débuté sa carrière dans les fusion-acquisition et je me demande quelles pourraient être ses Tribes. Je bifurque sur insta pour rester dans le thème. J’inspecte des abdos bien secs qui s’agitent sur des chorées débiles. Je vois des corps tendus sur les bords accidentés d’une mer luisante, des fesses bombées dans des slips trop étroits sur des pourtours de piscine. Tout ça dans des intrigues téléphonées qui ne sont évidemment qu’un prétexte.

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C’EST LES VACANCES, nO 2 (revue collective, dir. Eugénie Zély)

EXTRAIT DE OUIGO VIE ET AUTRES POÈMES PAR ÉLISE LEGAL (texte non corrigé)


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REVUE LITTÉRAIRES

C’EST LES VACANCES, nO 2 (revue collective, dir. Eugénie Zély)

Le 1er juin 2023 a eu lieu à Glassbox (4, rue Moret, 75011 Paris) le lancement de la revue. À cette occasion, lisait PJ horny, Elise Mandelbaum, Rosanna Puyol Béatrice Lussol, Liza Maignanet Aurélie Massa.

Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

La soirée a été clôturée par un Dj set de DJ Fatale

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L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (contact : eba_benny-amin@riseup.net)

(collectif Fléau social) · Format (mm) ������������������������� 110*165 · Nombre de pages ���������������� +/- 100 · Prix (€) ��������������������������������������� +/- 15 · ISBN ��������������������������������������������� 9782493534071 · Parution ������������������������������������ juin 2024 · Graphisme ������������������������������� Roxane Maillet · Tirage ������������������������������������������ 800

L’homosexualité, ce douloureux problème. Fiction documentée d’un mouvement révolutionnaire est le texte de

la pièce du même nom. Il retrace l’histoire du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), de son action inaugurale, l’invasion du plateau de Allo Ménie le 10 mars 1971 à sa lente autodissolution dans les luttes internes et la formation d’autres groupes en 1974. Par ce texte, le collectif queer de SaintÉtienne, Fléau social, se saisit de matériaux d’archives pour raconter l’histoire d’un mouvement dont iels héritent et dont les questionnements continuent de traverser les luttes actuelles. Le 10 mars 1971, à la salle Pleyel à Paris, Ménie Grégoire anime en direct une émission spéciale sur « l’homosexualité, ce douloureux problème ». Pour parler de ce « fléau social », sur le plateau, de nombreux invités « qui connaissent bien la question pour des tas de raisons diverses » : un psychanalyste, un prêtre, un journaliste… Et dans la salle, des militant·es homosexuel·les qui subissent chaque jour la répression judiciaire, policière, morale et médicale de toute une société. En réaction aux propos qui sont tenus par ces soi­–disants « spécialistes », les militant·es interrompent l’émission et envahissent le plateau. De cette action historique naît le FHAR, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, un mouvement fondé en 1971 et dissout en 1974, une étincelle dans la France d’après 68 qui proclame d’« arrêtez de raser les murs ». Le premier coming-out national pour les minorités sexuelles et de genre en France ; un feu follet, électrique et conflictuel, qui affirme pour la première fois que l’homosexualité, la bisexualité, les identités transgenres peuvent être révolutionnaires. Prochaine représentation : • Théâtre des Célestins à Lyon, du 28 mai au 8 juin À propos de Fléau social : Fondé en 2019 à Saint-Étienne, Fléau social est un collectif de théâtre qui travaille, autant que possible, de manière horizontale par la recherche au plateau, l’écriture en réseau et le réemploi de matière documentaire, historique et personnelle pour créer des spectacles débordants et exigeants où se côtoient réalisme et onirisme, détournant le réel pour mieux le saisir.

Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

burnaout@ @riseupp.net httpp:///editionsburnaout.ffr//

Thèmes abordés par la pièce : FHAR, années 70, communautés, yaourt luttes sociales, révolution sexuelle, Ménie Grégoire, Re-enactment, LGBTQIA+, Ouvrages associés : • Mâle Décolonisation, Todd Shepard, Payot, 2017 • Race d'Ep ! Un siècle d’images de l’homosexualité, Guy Hocquengem, La Tempête, 2018 • Rapport contre la normalité, FHAR, Champ Libre, 1971 • Trois milliards de pervers,

Grande Encyclopédie des Homosexualités, Acratie, 2015

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Crédit photographique : Emile Zeizig

THÉÂTRE

L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (collectif Fléau social)

L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME Fiction documentée d’un mouvement révolutionnaire


Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

À propos Up Your Ass, de Roxane Maillet : Valerie Solanas, Roxanne Maillet initie en Sternberg Press, 2016 le Cave Club, lectures 2022 de textes écrits par des fxmmes qu’elle invite et dont elle fait la retranscription sous un format éditorial. Elle est co-éditrice avec Auriane Preud’homme et Camille Videcoq de la revue Phylactère dédiée à la restitution et la partition de performance. Roxanne Maillet développe également un travail de recherche graphique et de diffusion autour de l’écriture inclusive et des glyphes non-genrés. Elle crée en 2017 : Out of Closet qui est une collection de logos détournés dans une perspective queer féministe sérigraphiés sur des t-shirts. Roxanne Maillet est diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon et de l’ERG, Bruxelles.

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Crédits photographiques : Lucie Demange, Emile Zeizig, Louv Barriol

THÉÂTRE L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (contact : eba_benny-amin@riseup.net)

À propos de Mémoires minoritaires : Mémoires minoritaires est une association qui anime le Brrrazero, le Centre de mémoires LGBTQI+ de la Métropole de Lyon crée en 2021 et qui, depuis la même année, coordonne Big Tata (http ps:// //biggtata.org/ g/), un réseau et une plateforme numérique dédiée aux mémoires LGBTQI+. Le spectacle L'homosexualité, ce douloureux problème naît sous sa forme embryonnaire en 2018 à l'invitation de Mémoires minoritaires à participer au festival du même nom et à rejouer la fameuse émission Allô Ménie à partir du verbatim retrouvé dans les archives. Depuis, la collaboration entre Fléau social et Mémoires minoritaires est récurrente, et le travail de recherche documentaire à la base de l'écriture du spectacle a été rendu possible par Mémoires minoritaires et la mise à disposition de son fonds d'archives.

L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (collectif Fléau social)

En plus du texte complet de la pièce de théâtre, l’ouvrage L'homosexualité, ce douloureux problème contient : • Une préface rédigée par un·e auteur·rice contemporain·e et militant·e des minorités sexuelles et de genre et du féminisme. • Une postface des membres de l'association Mémoires minoritaires (pour la promotion et la conservation des archives des minorités sexuelles). • Des archives et d'autres textes des membres du collectif Fléau social en lien avec le processus de création de la pièce. Il s'agit, à partir du sujet initial et de la réactivation théâtrale de l'action inaugurale du FHAR, de créer les conditions d'un dialogue intergénérationnel entre des auteur·rice·s qui ont vécu ces événements et des auteur·rice·s qui en héritent. Ainsi, le livre continue le geste inauguré par la pièce de théâtre : proposer une relecture critique d'une séquence politique à l'adresse de celleux qui en sont les héritier·ères. Pour notre maison d'édition, il s'agit aussi de se confronter à l'édition d'un texte de théâtre, de penser à nouveaux frais, dans une collaboration étroite avec le collectif Fléau social, le lien entre formes imprimées et spectacle vivant — entre objet de lecture et outil de réinterprétation. Pour mettre en forme le livre, nous avons décidé de faire appel à l'artiste et graphiste Roxanne Maillet qui a notamment travaillé au graphisme de l'édition originale de la pièce de théâtre Up Your Ass de Valérie Solanas aux éditions Montana.


THÉÂTRE L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (contact : eba_benny-amin@riseup.net)

EXTRAIT 2 Zaza — Alors comme ça, tu veux faire partie du FHAR ? Claudia — Oui. Enfin non. Je sais pas trop, je voulais juste me renseigner. Zaza — Pourquoi ? Il m’a semblé entendre que toi et ta copine Ménie vous receviez beaucoup de courrier de gens comme nous, des gens très très malheureux n’est-ce pas ? Claudia — Justement, tout à l’heure vous n’aviez pas l’air… vous étiez… c’était… Enfin j’imaginais pas ça. Ce que je veux dire c’est que tu n’es pas malheureux. Zaza — MalheureuSE chérie, surveille ta grammaire. T’imaginais quoi ? Qu’on avait toutes envie de se jeter d’un pont parce que les gens comme toi veulent pas nous faire un petit peu de place ? Claudia — C’est pas ce que j’ai dit. Zaza, qui a cette capacité de dire des choses terribles avec sarcasme de sorte qu’on ne sait jamais si elle est sérieuse, s’il faut rire ou pleurer — …Parce que des gens comme toi préfèrent nous laisser crever dans des asiles ou en prison ou battus à mort par des types qui se sentent tellement menacés par notre existence qu’ils seraient prêts à y mettre fin à coups de couteau dans n’importe quel recoin mal éclairé de cette foutue ville. Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

Claudia — Je suis pas comme ça, je fais pas partie de ces gens-là moi. Zaza — Tiens donc. Claudia — Je veux juste… venir. Zaza — Approche-toi. Elle montre deux rouges à lèvres à Claudia. Qu’est ce qui irait le mieux, rouge carmin ou rouge rubis ? Claudia — Je sais pas, je dirais…celui-ci. EXTRAIT 3 Florence — Chut ! On est le 5 mars 71. Nous sommes quelques-unes du MLF — (à Claudia) Mouvement de Libération des Femmes — devant le palais de la mutualité. Le lendemain, nous ferons la une du journal, et Le Monde nous baptisera le Commando Saucisson. Mais pour le moment, nous nous tenons immobiles infiltrées dans la foule. Nous nous regardons en coin, discrètement. Suzon ressemble a une vraie catho, elle a même couvert ses cheveux. Moi, je marche auprès de Cécile, ma Cécile, j’ai chaud, je sue, le service d’ordre ne nous remarque pas, je serre mon saucisson contre moi, d’une main ferme, glissée dans mon sac, l’autre au bras de Cécile. Je ne sais pas si c’est la peur, l’excitation, ou le contact avec Cécile, mais mes jambes tremblent comme du coton. J’avance en essayant de ne pas perdre les filles de vue. Un pas après l’autre. J’ai peur que mes joues deviennent trop roses, que quelque chose soit écrit sur mon visage et nous trahisse toutes. J’essaie de me calmer, de respirer normalement et Cécile me tire après elle. Elle serre ma taille contre elle et me dit Suzon, Martial, Philippe et Zaza sont peu à peu transcendé·es par le récit de Florence. ** (toustes en choeur) « Gouine, tiens toi prête » ** Florence — On entre. La main de Cécile quitte ma hanche, effleure le bout de mes doigts et serre délicatement ma main. Et ses yeux qui regardent les cathos brûlent d’une détermination jamais vue, et alors tout se mélange, j’ai envie de la serrer contre moi, l’embrasser. D’un coup d’œil j’embrasse la nuque de Cécile puis la salle tout entière, je repère les entrées et sorties, je pense à tenir le poids de ses seins dans mes mains, je relève les positions du service d’ordre, leur nombre, leurs outils de défense et les filles qui sont en place dans la foule. Une vague de chaleur m’envahit. Suzon nous regarde, et je vois sa main se glisser dans son sac, dans quelques secondes elle donnera le signal. Mon corps se tend, mes muscles se contractent, je sens Cécile, je nous sens tremblantes, prêtes à exulter, prêtes à dégainer et crier dans 3, 2, 1. Jouissance collective. Florence revient à elle. Tout le monde reprend ses esprits. Martial — Mais attends t’as joui ou t’as attaqué ? J’ai pas compris .

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EXTRAIT 1 Ménie Grégoire — Alors là, je vous pose une question précise. Quand vous, psychanalyste, vous voyez quelqu’un qui vient vous trouver en disant je crois que je suis homosexuel ou je le suis, je voudrais en sortir — parce que ça arrive — est-ce que vous considérez que c’est réversible et comment ? Yves Guéna — Je pense que l’homosexualité est tout à fait réversible oui ! Enfin sauf dans les cas rares où la dominante féminine chez un homme est vraiment flagrante et semble irréversible. Mais dans la plupart des cas, on peut dire que l’homosexualité est un accident et que normalement elle se résoudra. Suzon — Alors là, l’intervention du psychanalyste a en effet mis les choses tout à fait au clair. Dans notre société pour s’aimer, l’homme dans un couple doit être viril ! Et la virilité, ça signifie être le supérieur et dominer sa femme. Ménie Grégoire — Mais non ! Suzon — … Si on comprend bien, pour ne pas devenir homosexuel, et pour avoir des relations hétérosexuelles, il doit d’abord y avoir cette inégalité entre les sexes. Ménie Grégoire — Alors là, madame, moi, je vous interromps. Vous dites une chose qui est à analyser. Parce qu’elle manifeste, en disant cela, une espèce de refus de l’homme et elle considère l’homme quand il vient lui faire l’amour comme venant l’embêter et l’écraser de sa supériorité. Une femme normale *(cris de contestation dans la salle)* une femme qui est hétérosexuelle ne trouve pas qu’on l’écrase, elle trouve qu’on lui fait un joli cadeau. Alors vous continuez ? Et croyez-moi, il est de qualité ce cadeau-là.


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le dire. Nous étions comme vous jusqu’à présent. Notre Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire sera ce que nous en ferons. Martial, coupant la lecture du tract — À bas la société fric des hétéro-flics ! Suzon — À bas la sexualité réduite à la famille procréatrice. Martial — Quittons les tasses ! Quittons les dancings ! Prenons les rues ! Zaza — Lesbiennes et pédés, arrêtons de raser les murs ! Foutons le bordel ! Suzon — Rejoignez le FHAR, Assemblées générales tous les jeudis à 20h aux Beaux-Arts, 14, rue Bonaparte ! ». EXTRAIT 5 Claudia — C’est drôle, quand on en parle aujourd’hui, je suis toujours un peu étonnée de la tournure de l’histoire. Je veux dire, quand on en vient à parler du FHAR, du MLF, des Gouines Rouges. Faut dire, les réunions du FHAR c’était devenu quelque chose, c’est pas pour jeter la pierre aux gars, mais c’était devenu un vrai baisoir, y’a pas d’autres mots. C’est les flics qui y ont mis un terme. Avec les filles on s’était déjà tirées. À ce moment-là, on se voyait moins avec Zaza. Cela dit, elle faisait grand tapage avec les Gazolines dans tout Paris ! Mais à part nous qui s’en souvient ? Qui se rappelle de l’outrance de Lola et Hélène au premier mai 71, de la bastonnade qui a suivi les funérailles de Pierre, et du car de CRS qu’elles ont renversé à mains nues ? On cherchait pas le mémorial, je crois que c’était pas ça qui était important. Mais de là à laisser si peu de traces… Finalement tout ça, ça a à peine duré. En 74, le FHAR, les Gouines rouges ou les Gazolines, tout ça c’était déjà fini. Alors bien sûr on était là à des événements, parfois pour gonfler les rangs, parfois pour écrire, aller à la rencontre des gens, coordonner les manifs, faire des actions… On était là pour le procès de la petite Marie-Claire Chevalier, on avait chanté pour la loi Veil, et très vite, même s’il n’y avait plus vraiment le FHAR, tel que nous l’avions connu, on se croisait régulièrement dans un comité de quartier ou au milieu des cortèges et de la foule des premières prides. Et puis il y a eu le décès de Philippe, le premier de la bande à être mort du Sida. Évidemment y’en a eu d’autres. Au début, certains ont cru que c’était de la propagande, et puis les copains médecins leur ont expliqué, alors ils ont fait ce qu’ils ont pu. Moi c’est quand j’ai vu le préservatif d’Act Up sur l’obélisque de la Concorde que je me suis mobilisée. C’est con non ? J’en ai honte, mais avant ça, j’étais restée un peu sidérée, tout en me persuadant que finalement ça me concernait pas… Je… En fait… y’a tellement de choses qu’on n’a pas vues venir. Moi, j’ai la sensation d’avoir été traversée, que ma subjectivité s’est retrouvée aux prises avec une conjoncture historique qui m’a emportée dans son courant. J’étais à la fois avec et dedans.

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EXTRAIT 4 Florence — Alors pour l’appel du premier mai, s’il vous plaît, attendez, on a presque fini, attendez… Claudia à l’aide ! Suzon — Arrêtez de baiser au fond, on s’entend pas ! Claudia — Homosexuels de tous poils, CALMEZVOUS ! Il nous reste un point à l’ordre du jour, la manifestation du premier mai. Philippe — Il faut rejoindre le cortège de la CGT, on est en train de devenir une institution bourgeoise alors qu’on est censé être révolutionnaire. Martial — C’est vrai qu’y a que des bourgeois ici… On est aux Beaux-Arts, pas chez Renault ou chez Wisco. Philippe — La place du prolétariat, elle est au cœur de la stratégie révolutionnaire. Zaza — Philippe commence pas à phagocyter le mouvement avec tes stratégies de trotskyste là, tu nous emmerdes ! Y’a 4 ans sur les 300 personnes condamnées pour homosexualité, 143 étaient des ouvriers et pour autant les syndicats, ils ont pas bronché. Pas question de marcher avec eux ! Martial — En plus, les gauchistes, ils sont persuadés que l’homosexualité c’est un vice de bourgeois. Florence — Avec les copines du MLF on a observé la même problématique de classe pour l’avortement. Les bourgeoises payent et vont en Suisse alors que les ouvrières mettent carrément leur vie entre les mains des tricoteuses. C’est horrible… Suzon — Et c’est à elles qu’on met des amendes ! Philippe — Oui, on sait que les problèmes individuels que vivent les femmes et les homosexuels, est le résultat de leur statut politique de classe opprimée, et c’est justement dans le but de maintenir ces dynamiques d’oppression que les mouvements gauchistes font volontairement l’impasse sur ces questions, mais c’est par les syndicats qu’on rencontrera nos camarades travailleurs et homosexuels. Martial — Moi, j’te rappelle que si j’suis là, c’est parce que je me suis fait viré de la JOC ! Tant pis tant mieux, sans ça j’aurais p’tet jamais foutu un pied au FHAR Et c’est pareil partout, CGT, CFDT, Lutte ouvrière et consorts ! Donc hors de question qu’on fasse cortège avec eux ! Oui, on veut faire alliance avec les ouvriers, mais on a pas envie que ça passe par les syndicats. Parce que c’est de ça qu’il s’agit là maintenant. Suzon — Camarades ! De toute façon on est bien d’accord, sans les ouvriers et les ouvrières le mouvement n’a pas sa pertinence. Le fait est qu’on a voté en dernière AG, le FHAR fait son propre cortège, on va pas remettre ça à l’ordre du jour, y’a toute une commission qui a bossé sur le tract. Zaza — Ah je savais pas que le FHAR avait rejoint les rangs de la bureaucratie stalinienne, bravo ! Florence — S’il vous plaît, s’il vous plaît, un peu moins de bruit, on n’entend rien ! Suzon s’il te plaît, tu peux faire rapporteur ? On peut écouter Suzon qui va lire le tract ? Suzon — « Les homosexuels en ont marre d’être un douloureux problème. Ainsi, à celles et ceux qui sont comme nous : Vous n’osez pas le dire, vous n’osez peut-être pas vous


Walter Benjamin et le rébus de Marseille M A RC E L M A RT INE T – L E C HE F C ONT R E L’H OM M E

Un livre de 160 pages au format 16x22 cm. Impression numérique des pages intérieures sur bouffant et couverture typo en rose et noire sur papier keaykolour lin.

Jérôme Delclos

À la fin des années 1920, Walter Benjamin a déjà écrit sur Berlin, Weimar, Paris, Moscou, Naples. Mais dans sa correspondance, il confie à plusieurs reprises la difficulté particulière lle s’offre, ’e qu t tô si re ti re se i qu lle « Marseille, vi disparaissante sur on ti ri pa ap e un d’ m no le t es vitesse. » fond de déplacement et de qu’il éprouve à écrire sur Marseille, et sa fierté à y être parvenu : « j’ai lutté là comme avec aucune autre ville ». Jérôme Delclos part de cet aveu discret, mais suffisamment insistant pour le prendre au sérieux en le confrontant à l’ensemble des textes du philosophe et écrivain allemand sur cette « ville qui doit avoir des poils sur les dents ». Un livre sur Marseille ? Pourquoi pas, mais à travers les fines lunettes benjaminiennes, c’est Marseille qui se défend et

Les auteurs

Walter Benjamin et le rébus de Marseille précédé par

Bouche d’ombre et peau de bête : Marseille nuits mêlées de Florent Perrier

quiero

Parution : mai 2024 EAN : 9782914363303 Prix public : 22 €

qui mord quand le Berlinois tente « d’en arracher une phrase ». Préfacé par Florent Perrier dont les recherches sur l’utopie et Walter Benjamin font référence, le livre est mis en images par le dessinateur Thomas Azuélos.

Fresque dessinée de Thomas Azuélos pour le livre de Jérôme Delclos…

Jérôme Delclos, écrivain, critique littéraire au Matricule des anges, il a vécu et travaillé six années à Marseille, dans le premier arrondissement à deux pas du haut de la Canebière. C’est durant cette période, de 2006 à 2012, qu’il a beaucoup lu, relu et ruminé Walter Benjamin pour décoder le rébus que constituent ses textes « marseillais ». Publications : L’Expédition du capitaine Stavros, N&B éditions, 2021 ; Cendrillon en Pologne, Aethalidès, 2020 ; Hélène n’était pas à Troie mais en Egypte, Aethalidès, 2019. Vingt leçons de philosophie par le meurtre, Aethalidès, 2017. Florent Perrier est maître de conférences en esthétique et théorie de l’art à l’Université Rennes 2. Ses travaux portent sur les rapports entre l’art, l’utopie et le politique de l’ère industrielle à l’extrême contemporain. Publications : topeaugraphies de l’utopie – esquisses sur l’art, l’utopie et le politique, Payot, 2015, ainsi que des éditions scientifiques chez Klincksieck, Pontcerq, Claire Paulhan. Thomas Azuélos est illustrateur et dessinateur de bandes dessinées, il vit à Marseille. Publications : Prénom Inna : une enfance ukrainienne (T1 & T2) avec Simon Rochepeau et Inna Shevchenko, Futuropolis, 2020 & 2021 ; Toute la beauté du monde, Futuropolis, 2023

« Haschich, jeu, prostitution : au-delà des « expérimentations » dans un appartement berlinois ou sur la Canebière, à une table de roulette, sur le pavé de Marseille, Moscou, Naples ou Paris, Walter Benjamin s’avance au plus loin de ce qu’il pense sous les questions du temps, de l’espace, de l’histoire et de la mémoire. C’est dans cette endurance de la pensée, qui court toujours le risque de l’échec, du « manqué », des « défaites à grande échelle » que ne compensent pas les « victoires de détail », que se rencontre le philosophe. »

On y reconnaît quelques personnages croisés par Benjamin dans le tumulte des rues de Marseille.



préface

Bouche d’ombre et peau de bête : Marseille nuits mêlées

Dans une lettre envoyée depuis Moscou en janvier 1927, Walter Benjamin remercie Marcel Brion pour la recension de sa traduction des Tableaux parisiens de Baudelaire publiée dans le numéro des Cahiers du Sud de décembre 1926. Il s’enquiert ensuite du devenir de son manuscrit de Sens unique, prêté à Jean Ballard, le directeur de la revue marseillaise, avec l’idée, jamais réalisée, d’y voir publiés quelques extraits1. Une petite communauté de pensée, formée autour des Cahiers du Sud, apparaît ainsi, un espace d’amitié pour le philosophe allemand que l’exil à Paris, dès mars 1933, fragilisera grandement et pour qui Marseille signifiera dès lors, à travers l’accueil de cette revue et de ses acteurs comme à travers son échappée vers le large, hospitalité et espoir. Si la lecture de la recension de Marcel Brion ne réserve guère de surprise au-delà de l’éloge appuyé du connaisseur, les autres pages de ce numéro 85 des Cahiers du Sud recèlent d’étranges clins d’œil tournés vers l’œuvre encore à venir de l’auteur de 1. Walter Benjamin, Lettres françaises, Préface de Christophe David, Caen, Nous, 2013, p. 82-83.

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bouche d’ombre et peau de bête : Marseille nuits mêlées

Paris, capitale du xixe siècle. D’abord, une réclame pour Sens unique, glissée dès les premiers feuillets, mais l’ouvrage est ici de Gaston Rageot, soucieux de « circulation des idées »2. Ensuite, l’article de Jean Ballard, au titre d’autant plus évocateur qu’il traite de l’architecture d’une grande ville : « Marseille capitale ». De simples échos à l’évidence, mais qui encouragèrent peutêtre Walter Benjamin à la lecture, notamment de ces phrases dans lesquelles Jean Ballard fustige justement les poncifs à sens unique qui assimilent Marseille « aux bourdeaux d’escale » et l’empêchent ainsi, cette ville capitale, de s’ouvrir « à l’irruption de la vie moderne » dont elle cherche pourtant à « capter les courants » quand elle n’en subit pas le flux3. L’article inaugural du même numéro en est presque l’illustration, sous l’espèce d’une « Visite à Pierre Puget » proposée par François-Paul Alibert. Celui-ci évoque d’abord La Petite Dorrit de Charles Dickens dont le début restitue « la crasse dorée » de la ville – « Marseille à l’odeur forte et au goût âcre » – grâce à une « imagination matérielle », « un feu qui pénètre les substances les plus opaques, et y fait circuler un subtil esprit de vie.4 » Frappe, avec les premières lignes de ce roman de 1857, l’omniprésence d’un « soleil flamboyant » qui vient éblouir les étrangers de passage dans la citée phocéenne, laquelle est alors placée sous le signe d’une blancheur aveuglante et dévorante quand, par contrepoint, loin de la « mer immaculée », son centre, le port 2. Gaston Rageot, Sens unique, Paris, Plon, 1926. Il s’agit d’un recueil d’essais parus dans Le Temps ; l’auteur s’y intéresse au « mouvement giratoire des esprits » qui, face à la circulation toujours plus intense des idées (« comme les voitures ») et par l’effet d’une « police spontanée » à l’œuvre « dans le domaine intellectuel », fait triompher le « sens unique ». 3. Jean Ballard, « Marseille capitale », dans Les Cahiers du Sud, Marseille, Décembre 1926, n° 85, p. 405-406. 4. François-Paul Alibert, « Visite à Pierre Puget », dans Les Cahiers du Sud, op. cit., p. 337.

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florent perrier

de la ville, avec son « eau fétide » et son « bassin infect5 », est au contraire comme passé au noir, absence totale de lumière. Cette opposition franche des valeurs installe l’espace d’une lutte, lutte autrement mise en exergue par Alibert pour s’affranchir des lieux communs entretenus sur sa cité : « Marseille est ainsi faite qu’elle s’écoule dans un devenir perpétuel. […] Tourbillon de splendides atomes, elle est condamnée à un pittoresque qui serait insupportable, s’il n’était dévoré par sa vibration incessante. Elle n’est belle qu’à la condition de mourir pour renaître aussitôt de ses cendres étincelantes. […] Allez donc tenir contre un tel vertige de force, d’éblouissement et de rumeur ! On a beau se défendre, on est pris avant que d’avoir protesté. Quelle autre ville […] inclinerait à vous faire un dieu, tour à tour de chacun de vos sens, et quelquefois de tous ensemble ? Qu’il serait plaisant, celui qui voudrait ici mettre de l’ordre dans ses idées ! Il n’y a plus à Marseille d’autre sagesse que d’être ivre, et de tacher sa robe de vin. C’est contre quoi je me débattais cependant, cette après-midi de juillet, où, assis à l’ombre et mangeant des fruits de mer ruisselants d’eau salée, je regardais Marseille couler intarissablement autour du Vieux-Port. Pas un nuage au ciel, mais, partout répandue, une épaisse, une étouffante brume de chaleur. L’air sentait la saumure, le coquillage, l’algue et l’écorce d’orange ; une pointe aiguë de pourriture transperçait et dominait tout. Je crois qu’à Marseille, l’odorat l’emporte sur le reste ; on ne saurait imaginer, avant que d’y être passé, à quelles terribles épreuves il est soumis. Pour un peu, j’en aurais souhaité davantage. […] Je ne puis concevoir Marseille que dans un état de décomposition permanente où la menace toujours suspendue des plus affreuses épidémies et de la mort la précipite à une folle frénésie de plaisir.6 » 5. Charles Dickens, La Petite Dorrit, trad. J. Métifeu-Béjeau, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1970, p. 5-7. 6. François-Paul Alibert, « Visite à Pierre Puget », op. cit., p. 337-339.

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bouche d’ombre et peau de bête : Marseille nuits mêlées

Fût-il ivre de plaisir, benoîtement ébloui par l’aveuglant soleil réservé aux étrangers ou bien plutôt aimanté par l’eau fétide et l’état de décomposition permanente d’une cité aux trous béants, l’énigmatique Walter Benjamin qui, fantasmant la ville sans même la connaître encore, en fait le cadre d’un combat acharné à venir, cette ville qui, « d’après ce qu’on m’en a dit, doit avoir des poils sur les dents7 » ? À suivre le riche et stimulant ouvrage de Jérôme Delclos qui déploie sur pièces l’éventail des possibles, il n’est pas si simple de trancher s’agissant d’une cité « qui se retire sitôt qu’elle s’offre » et dont le nom est comme le rébus d’une « apparition disparaissante8 ». Le motif de la lutte suit pourtant un singulier trajet que nous souhaiterions restituer brièvement ici, un chemin rocailleux où la ville – bouche d’ombre et peau de bête – ne se libère des poncifs que dans un Marseille de nuits mêlées, à la tombée du jour. « il y avait même une rue de Nuit […] rayée de la carte en 19439 »

Les textes consacrés par Walter Benjamin à Marseille sont composites, ils circulent d’un recueil à l’autre, d’une langue à l’autre, se fragmentent et se recomposent au gré de différents états sans jamais se fixer. À ce jeu, le récit « Myslowitz – 7. Lettre à Siegfried Kracauer du 3 septembre 1926. Pour tous les textes de Walter Benjamin consacrés à Marseille et qui sont regroupés dans un très bel ouvrage, nous donnons la traduction proposée par Sylvain Maestraggi <désormais trad. SM> dans Christine Breton / Sylvain Maestraggi, Mais de quoi ont-ils eu si peur ? Walter Benjamin, Ernst Bloch et Siegfried Kracauer à Marseille le 8 septembre 1926, Marseille, éditions commune, 2017, p. 7. Cf. également Walter Benjamin. Les chemins du labyrinthe. Textes choisis et présentés par Jean Lacoste, Paris, La Quinzaine Littéraire / Louis Vuitton, 2005, p. 167. 8. Jérôme Delclos, infra p. 58. 9. Jérôme Delclos, infra p. 139.

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MON GRAND EST Mon Grand Est propose une immersion intime et singulière dans le territoire du Grand Est. Ce livre-paysage mêle un texte inédit de Nicolas Mathieu et dix images emblématiques d’illustrateur.ices contemporain.es du Grand Est. À la manière de cartes postales, ces illustrations dressent le portrait de la région : agriculture-viticulture, architecture, cathédrales, Europe, forêts, fleuves et l’eau, gastronomie, mémoire des conflits, métiers d’art, patrimoine industriel.

Visuel non contractuel

Le graphisme fait écho à l’idée du paysage et à la présence de la nature : format à l’italienne, texte imprimé sur un papier teinté dans la masse.

NOUVEAUTÉ 2024 MON GRAND EST 14 x 18 cm, 32 pages Couverture cartonnée ISBN 979-10-90475-36-6 14 €

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Texte : Nicolas Mathieu Illustrations : André Derainne, Jochen Gerner, Mona Leu-Leu, Saehan Parc, Émilie Vast Direction éditoriale : Alexandre Chaize Conception graphique : Fanette Mellier Dépôt légal : 2nd trimestre 2023

Éditions du livre 15 rue Charles Grad 67 000 Strasbourg editionsdulivre.com Contact : Alexandre Chaize 06 78 22 89 46 hello@editionsdulivre.com

Commanditaire de l’ouvrage : La Région Grand Est


MON GRAND EST

Car au fond, et quoi que j’en dise, ce Grand-Est est désormais la boite où repose mes souvenirs […] Nicolas Mathieu

Photo © AFP - Joel Saget

[…] Le Grand Est, c’est évidemment la cathédrale de Strasbourg et le champagne, les derbys Nancy-Metz et le Bateau ivre, les tranchées et le Honeck où la Moselle prend sa source, la choucroute et les plaines de la Meuse, si vastes, vertes, grasses, lorsqu’on part vers l’Ouest. Et puis les Vosges, le ski, Jacques Calot, la Guerre de 30 ans, les maisons à colombages, le parlement européen, l’affaire Grégory, le Centre Pompidou-Metz, Jeanne d’Arc, tout un monde hétéroclite et presque trop grand, La Grande Illusion, Sedan, Michel Platini, les mines et les marchés de Noël, j’en passe. Et comme je suis écrivain et n’ai aucun mandat, je n’ai pas à équilibrer ma récolte, servir chaque bled, satisfaire la fierté de chaque département, ménager telle ou telle susceptibilité. Je peux dans mes filets dérivants prendre ce qui vient, des faits divers, des monuments, un hiver de neige à Saint-Dié qui pèse plus que le Rhin, les aigles du Haut-Koenigsbourg et montagne des singes qui furent l’émerveillement de mes dix ans. NICOLAS MATHIEU Nicolas Mathieu, né le 2 juin 1978 à Épinal dans les Vosges, est un écrivain français. Son roman Leurs enfants après eux, publié en 2018, est récompensé par le prix Goncourt la même année. Son œuvre aborde les conséquences de la désindustrialisation sur la classe ouvrière française. Nicolas Mathieu vit et travaille à Nancy.

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LES ILLUSTRATEUR.ICES

JOCHEN GERNER

ANDRÉ DERAINNE

Jochen Gerner est un artiste polymorphe. Son travail est ancré dans l’analyse des perceptions du langage et de l’image : il utilise les codes visuels communs en les détournant. L’œuvre de Gerner est issue d’un profond intérêt pour le sens caché des motifs quotidiens et sa pratique fluctue perpétuellement entre différentes formes.

André est auteur et illustrateur. Il travaille régulièrement pour la presse en France et à l’étranger. Son travail mélange diverses techniques comme l’encre, le collage, la peinture. Il est passionné de cuisine vietnamienne, sujet de son dernier ouvrage, Un orage par jour.

Photo © Pauline Gouablin

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André Derainne vit et travaille à Strasbourg. Photo © Arno Paul

Jochen Gerner vit et travaille à Nancy.


MONA LEU-LEU

SAEHAN PARC

Mona Leu-Leu est une autrice, illustratrice et peintre française née à Paris et qui travaille en France et à l’international. Ses peintures contemplatives et vertigineuses se retrouvent aujourd’hui dans les multiples domaines de l’illustration et de l’édition contemporaine. Parmi ses clients, on retrouve Le Monde, Le New York Times, Le Seuil, le CNRS, l’Office français pour la biodiversité et bien d’autres.

Saehan Parc est une autrice-illustratrice coréenne installée à Strasbourg. Prisée pour ses illustrations géométriques naïves réalisées au moyen de ronds et d’ovales et de lignes tracées à la règle et rehaussés de couleurs fraîches et radiantes, elle réalise des illustrations dans la presse internationale, pour le New York Times, Bloomberg Business week ou encore Süddeutsche Zeitung. Son premier livre, Papa Ballon, a été récompensé par le Prix Révélation de l’ADAGP.

Mona Leu-Leu vit et travaille à Troyes.

Saehan Parc vit et travaille à Strasbourg.

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Bus et, conetur eperibust odi od estrum res ducim alis quam et quiaest otatem recataq uiassum quae si blaborem am none verem. Et voluptatur rehenemque culpa net molectaeprem autestia volesci enienim harunt, optaqua simporias vel im seque si occus, sime prae nest, santem aute cus num enihiciae qui offici dolupta velessi dolore estiusa et eium sed ullorunt

ÉMILIE VAST

experci ullabor ionsequas earuntem aliquae labore parchitiore pel is consequo te di de nihicia voluptas reicitam fugitat debite pa nest ex et mos ma sumque vero te nonestibus quae voluptae restemp errovid que qui num excesequi vendus

Illustratrice, autrice et plasticienne, Émilie Vast joue avec les lignes pures, la couleur en aplat et le contraste. Inspirée par les arts graphiques du passé, amoureuse de la nature, elle met en scène plantes et animaux, comme autant de personnages venant raconter leurs histoires dans des illustrations stylisées, douces et poétiques.

ne vent ma ditem qui cum qui quam vella doluptas con natiorem nimpor aborenecus qui simi, solo dolor sequid que consectur, sam, te voluptatibus doluptas aut oditate landis que dolorro volor re nis re plique liqui cus eos volorest, volorendis denisquid ut 10

Émilie Vast vit et travaille à Reims.

Bus et, conetur eperibust odi od estrum res ducim alis quam et quiaest otatem recataq uiassum quae si blaborem am none verem. Et voluptatur rehenemque culpa net molectaeprem autestia volesci enienim harunt, optaqua simporias vel im seque si occus, sime prae nest, santem aute cus num enihiciae qui offici dolupta velessi dolore estiusa et eium sed ullorunt experci ullabor ionsequas earuntem aliquae labore parchitiore pel is consequo te di de nihicia voluptas reicitam fugitat debite pa nest ex et mos ma sumque vero te nonestibus quae voluptae restemp errovid que qui num excesequi vendus

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Visuels non contractuels

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Photo © Romu Ducros

ne vent ma ditem qui cum qui quam vella doluptas con natiorem nimpor aborenecus qui simi, solo dolor sequid que consectur, sam, te voluptatibus doluptas aut oditate landis que dolorro volor



littérature

récit poétique

22 août 2023

art&fiction

CÉLINE CERNY & LINE MARQUIS

Le feu et les oiseaux. Talisman pour le monde qui viendra Ce livre est un talisman. À feuilleter et à relire, à emporter avec soi comme un objet de protection qu’on glisserait dans sa poche.

Dans le monde d’après, nous chasserons les papillons sombres de la douleur à coup d’histoires à dormir debout. Face à l’anxiété latente provoquée par l’état du monde tel qu’il nous est rapporté, Céline Cerny et Line Marquis composent ensemble un livre, un recueil d’incantations et d’images. En réponse à cette menace floue, nourrie par des milliers d’images et de chiffres, de projections d’effondrement de nos systèmes politiques, économiques et sociaux dont on ignore les formes et la temporalité, elles s’efforcent de contrer la mise en scène de cette dystopie par un imaginaire résilient. Dans une suite de fragments adressés à la personne aimée, la narratrice mêle des réflexions sur notre lien au règne animal et notre passé le plus lointain, sur l’espoir d’une fluidité des genres, sur la place de l’imagination et le pouvoir des histoires dans nos vies. En résonance aux textes de Céline Cerny, les peintures de Line Marquis ouvrent un univers abîmé mais aussi rassurant et flamboyant, reflet du désir ardent d’offrir d’autres mondes possibles.

Thèmes renouveau, rêve, résistance, amour, fluidité des genres, monde animal et végétal, sorcellerie

collection Pacific format 18 x 21 cm, 96 pages, broché isbn 978-2-88964-058-4 prix CHF 27 / € 24


Céline Cerny & Line Marquis | Le feu et les oiseaux

© Philippe Weissbrodt

Aujourd’hui médiatrice culturelle, autrice et conteuse, Céline Cerny vit à Lausanne avec ses deux enfants. Après avoir travaillé dans l’édition critique et pour les Archives littéraires suisses à Berne, Céline Cerny a dirigé durant trois ans un projet intergénérationnel autour de l’écriture du souvenir. Dans ce cadre a paru en 2013 De mémoire et d’encre. Récits à la croisée des âges aux éditions Réalités sociales. Depuis 2015, elle est médiatrice culturelle pour la fondation Bibliomedia Suisse. Passionnée par le récit et sa transmission, elle se consacre également à l’art de conter. En 2015 a paru son premier ouvrage de fiction, Les enfants seuls (éd. d’autre part). Avec l’artiste Line Marquis, elle a publié en 2019 On vous attend, un recueil de récits accompagnés de peintures aux éditions art&fiction. Elle a également contribué à plusieurs revues dont Parole, Coaltar, La cinquième saison et Viceversa Littérature.

Ce livre est à mettre en pile à côté de Dans la forêt de Jean Hegland (Gallmeister, 2018), Viendra le temps du feu de Wendy Delorme (Cambourakis, 2021)

Line Marquis naît en 1982 à Delémont et grandit dans le Jura. Après une école de travail social, elle fait son bachelor à la HEAD à Genève. Dans son atelier à Lausanne, elle se consacre au dessin, à la gravure et à la peinture. Elle compose entre son travail artistique, sa maternité et le travail social. Cette subtile dynamique fait naître ses questionnements et nourrit sa pratique artistique. Elle expose dans diverses galeries et institutions de Suisse Romande. Ses peintures et gravures sont présentes dans de nombreuses collections publiques et privées. En 2020, elle obtient le prix de la Fondation Lélo Fiaux pour l’ensemble de son travail.


extraits

Céline Cerny & Line Marquis | Le feu et les oiseaux

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Dans le monde d’après, les enfants auront des dents pointues et ce sera pour mieux mordre. Iels creuseront dans les troncs abandonnés des statues aux larges hanches et aux bras multiples. On les laissera courir dans la forêt, filles et garçons, et il leur faudra ramener du lichen pour le feu. Le feu – je t’apprendrai – pour le faire sans allumettes. Je m’exerce chaque matin.

; Dans le monde d’après, sur une terre à nu, nous guetterons les mouvements des vers. Les graines seront soigneusement gardées, tu m’apprendras à les reconnaître. Tu sais, je pense à ces simulations qu’on peut voir sur internet, ce que deviendraient les villes s’il n’y avait plus d’êtres humains et comment la

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végétation reprendrait la main sur le monde. Je mise tout sur les arbres. Le feu – je t’apprendrai – pour le faire avec de l’amadou. J’en ai déjà un peu.

de cailloux, de boutons et de pois chiches. Mais ne mets jamais de sel, jamais, car le pluie le fait fondre. Et la pluie vient si facilement. Je garde le cap malgré la peur, j’essaie d’apprivoiser les doutes, de les ranger les uns à côté des autres ou de les empiler. Peut-être qu’en faisant ça, je réaliserai qu’il n’y en a pas tant. Dis-moi ? J’ai peur de la noyade, d’être seule sur la plage vide, qu’il ne reste plus rien.

; Dans le monde d’après, nous ferons de chaque fleur une déesse. Il y aura des jacinthes et des violettes. Et des plantes sauvages qui toujours reviendront.

; Est-ce qu’il y aura encore des bergères et des bergers, est-ce que les chats accepteront d’être encore à nos côtés, dans le monde d’après ? Que deviennent les oiseaux et les rats en cage dans un monde effondré ? Qui libérera les prisonniers ? Dans le monde d’après, le plus important sera de n’être jamais séparées. Dès à présent, j’invente des stratégies : les fils, les traces, les échos qu’il nous faudra laisser le long des chemins. Remplis tes poches

; Dans le monde d’après, nous organiserons sur les ruines des pique-niques géants. Mais le feu, le feu tu sais, je le ferai rien que pour toi.

; Du monde d’après je ne sais rien. Mais c’est avec toi, mon oiselle dorée, mon amoureuse, que tout sera traversé. J’écris le livre pour les enfants, pour qu’iels se souviennent, et je pense à toi à chaque instant.

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extraits

Céline Cerny & Line Marquis | Le feu et les oiseaux

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Je me demande ce que nous pourrions enterrer, ce qu’il vaudrait la peine de conserver. Les dessins des enfants peut-être.

Dans le monde d’après, il ne faudra jamais se séparer. Plus de manque et d’attente, nos mains toujours prêtes à se frôler. Ensemble, toi, moi et tous nos enfants, nous dormirons sous les étoiles. Ensemble, nous nous laverons dans l’eau de la rivière et je retiendrai mon souffle pour ne pas crier sous la morsure du froid. Tu te moqueras de moi. Et après on s’étonne que ce soit moi qui tienne tant à faire le feu ?

; J’ai la nostalgie des crocs, des griffes, des fourrures ensorcelantes, des queues touffues et des oreilles pointues. J’ai la nostalgie des signes ténus qui nous sauvaient du danger. Nous avons perdu tout cela. Hors du papier et du crayon, hors du chant et des récits, je suis démunie, je suis diminuée. Je vis en sourdine. On s’y est fait, à cette vie atrophiée, on a cherché ce qu’il y a de plus beau, on a colmaté les trous creusés par nos mains articulées en inventant des histoires. Nous sommes devenues des bêtes à demi, sauvées par le langage. Dans le monde d’après, peutêtre que les animaux nous laisseront revenir parmi eux ? Faudra-t-il alors aussi abandonner le feu ?

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; Dans le monde d’après, on ne s’aimera plus en marge, en douce, au bord des chemins. Je ne sais pas bien ranger alors j’ai bonne mémoire, je ne sais pas bien classer alors je mélange, je brasse et fais venir des couleurs nouvelles. Et je sais garder à proximité le doux, le précieux, ce qui console, ce qui brille, les pierres et les tissus. On s’aimera en grand et à voix haute. Nous serons le feu.

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extraits

Céline Cerny & Line Marquis | Le feu et les oiseaux

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Dans le monde d’après, on retournera près des rivières. Nous aurons des cheveux de méduse et dans les tiens, je chercherai des fleurs et des brindilles.

une carapace de coléoptère brisée. J’ai voulu la prendre en photo mais dans le monde d’après il n’y aura plus d’appareil. Alors j’ai renoncé, pour m’habituer. J’ai préféré réfléchir aux mots pour la décrire et ça ne m’a pas plu, parce que l’image qui m’est venue est celle d’une carrosserie, dure et brillante. J’ai pensé à toutes les inventions qui cherchent à copier les insectes. Est-ce que les insectes se tordent de rire en pensant à nos ambitions folles ? Dans le monde d’après, nous chasserons les papillons sombres de la douleur à coup d’histoires à dormir debout.

; Quels bonbons donnerons-nous aux enfants ? Tu te souviens, dans notre coin de jardin, quand la voisine nous avait dit qu’elle n’aimait pas tant laisser ses enfants manger les fraises sauvages, à cause des pipis de renard ? J’avais ri mais tu t’étais fâchée, comme si sa mise en garde te prenait, à toi, un morceau de liberté. Dans le monde d’après, on cueillera des mûres et des framboises, on fera avec nos vêtements des balluchons où les garder précieusement. Les enfants auront la bouche rouge et quand on trouvera des cerises, le jus coulera sur leur torse nu. Faudra-t-il tuer des bêtes pour les faire cuire sur notre feu ? As-tu déjà déshabillé un lapin ?

; En rentrant vers toi tout à l’heure, j’ai aperçu sur le chemin de terre

; Dans le monde d’après, on ne craindra plus les parasites qui viennent manger nos plantes d’intérieur, on ne jettera plus les farines infestées de larves de mites. Dans le monde d’après, on mangera ce qu’il y a. Que ferons-nous des poux dans les cheveux des enfants ?

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À PARAÎTRE EN MARS 2021 Tabor, un roman de Phœbe Hadjimarkos Clarke Mona et Pauli ont survécu à d’étranges et immenses inondations. Elles vivent et s’aiment à Tabor, un nouveau monde bricolé. Mais de mystérieux visiteurs, sorciers ou fonctionnaires, viennent en troubler l’équilibre, jusqu’à l’ensauvagement définitif. Comment faire face ? Anticipation révolutionnaire ou rêverie gothique, ce récit explore la possibilité de l’amour et de l’action dans un monde en ruines. Phœbe Hadjimarkos Clarke est née en 1987. Elle vit dans des grandes villes et des petits villages. Tabor est le premier roman de notre Collection du seum consacrée aux récits.

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Nous vivons dans un village abandonné, relativement intact, que nous n’arrivons pas à appeler autrement que campement, malgré les mois ou les années passés ici et le caractère supposément définitif de notre installation. On appelle aussi ce lieu : Tabor. C’est le nom d’un mont hébreu épargné par le Déluge, dans le temps – ça nous a donc paru de circonstance. Tabor, c’est aussi le nom d’une ville fondée par des révolutionnaires fous au Moyen Âge. Ça, c’est Mona qui nous l’a appris. Elle s’était particulièrement intéressée à ces questions de groupes anarcho-mystiques, à l’époque où l’on pouvait se pencher sur autre chose que l’immédiateté de son existence. Ça l’avait passionnée, ces histoires de pauvres qui reprennent leur vie en main, qui fondent quelque chose de nouveau et d’immédiat, sans rien demander à personne, en attendant un temps nouveau. En arrivant ici, elle a donc su trouver le nom parfait, plein de toutes les imbrications nécessaires. Mais enfin, on peut tout aussi bien ne pas le nommer, cet endroit, c’est un espace sans titre, n’appartenant à personne, ce n’est plus nulle part mais c’est au centre de nos vies. Si on parle, on parle d’ici.

120 x 185 mm, 280 pages ISBN : 978-2-492352-02-7 Collection du seum 13,00€


L’AUTEUR

Jean-Pierre Martinet (12/12/1944-18/01/1993) se définissait ainsi: « Parti de rien, Martinet a accompli une trajectoire exemplaire : il n’est arrivé nulle part. » On ne peut que le contredire ! Malmené de son vivant par une critique trop tiède et un lectorat effrayé par la noirceur de ses textes, il trouvera enfin la reconnaissance qui lui était dûe, mais de manière posthume, suite à la réédition complète de son oeuvre.

L’OMBRE DES FORÊTS Jean-Pierre Martinet Roman

« Quand viendront les grandes pluies d’automne, qu’aurons-nous fait de nos pauvres vies ? »

LE LIVRE

avec une nouvelle préface d’Éric Dussert, une lettre inédite de l’auteur et un dossier de presse Un ultime roman comme dernière tentative avant d’abandonner le métier d’écrivain qui condense à lui seul tout le talent de l’auteur pour jouer avec nos émotions. Quatre personnages : Céleste, Monsieur, le duc de Reschwig et Rose Poussière, comme autant de figures perdues dans la ville de Rowena écrasée par le soleil d’été. Ils suivront chacun leurs trajectoires incertaines, et c’est à une perdition orchestrée à laquelle on assistera, fascinés par la beauté de ce désespoir sans faille. En s’éloignant de la monstruosité plus directe de ses premiers romans pour mieux se rapprocher de ses personnages, l’auteur distille ici une tension fulgurante, qui saura serrer le cœur des plus aguerris.

INFOS

Une lecture qui ne laissera personne indemne.

Parution : 18/01/2023 Prix TTC : 22 euros Nombre de pages : 312 Format : 13 x 18 cm ISBN : 9782956166047

– nos livres sont distribués et diffusés par Serendip Livres. – n’hésitez pas à nous contacter pour toute demande de service de presse ou d’organisation d’événement.

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JEAN-PIERRE MARTINET DANS SON JARD IN LIBOURNAIS. mour, noir bien sûr ».

< J'ai toujours le stylo entre deux chaises;

le noir, le désespoir, mais aussi la dérision,

l'hu-

JEAN-PIERRE MARTINET

"Les pessimistes ne sont jamais déçus"

L

e désord re d u j a r d i n dégou linait d e pluie. D e s plantes t r o p v i vaces, trop vertes, d e s pierres cassées, d e la m o u s s e g r a s s e e t q u e l q u e s fleurs oublié es p a r l'été. U n e jachère d e bonheurs anciens, c o m m e dans un tableau d e Poumeyrol. L'hiver a v a i t c e t t e o d e u r d e fumée q u ' i l a t o u j o u r s . Il p l e u v a i t s e c . L a séanc e d e p h o t o f u t vite envoy ée. Martinet n e tient p a s b e a u c o u p à s o n i m a g e . Il n e « s e c r o i t p a s », c o m m e o n dit chez nous. U n e expression p o p u l a i r e q u i p o u r r a i t , à elle s e u l e , résum e r s o n oeuvre . « Vous savez, les pessimistes n e s o n t j a m a i s d é ç u s ! » m e glissa- t-il e n q u i t t a n t la l o u r d e e t s o m b r e m a i s o n b o u r g e o i s e o ù il c a m p e . J e lui a v a i s deman dé s'il espéra it r e c e v o i r le prix M a u r i a c d o n t le v e r d i c t d o i t t o m b e r bientô t. J e a n - P i e r r e M a r t i n e t n e s e t a i t a u c u n e illusion . C ' e s t p a s l e g e n r e d u t y p e , ni d e s o n écritur e. Il doit sans doute savoir q u e les grosses maisons parisiennes vont m e t t r e le p a q u e t e t q u e la s i e n n e , l a T a b l e R o n d e n e t i e n d r a p a s le c h o c .

Ancien assistant réalisateur TV, romancier sélectionné pour le prochain prix Mauriac, pessimiste et fier de l'être : tel est Martinet, le Libournais.

c o n d d e m i était a u p l u s b a s . J e a n Pierre Martinet sourit d o u c e m e n t d a n s s a b a r b e poivre et sel. « J'ai toujours l e stylo e n t r e d e u x chaises. Le noir, l e désespoir, m a i s aussi l a d é r i s i o n , l ' h u m o u r , noir bien sQr, mais l ' h u m o u r q u a n d m ê m e ». Et c ' e s t v r a i q u e s o n o e u v r e e n est s a o u l e . Il m e p a r l a alors d e Bukowski, d e J i m T h o m p s o n , d e s paumé s, d e s m a l a d e s , d e s ivrognes magnifiques, de Brahms et d e Thelonius Monk.

lente compagnie, R i e n q u e d e s g e n c e , néces sité, e x i g e n c e : l'écritu re b o n s , d e s vrais ! » le f a i t p a u v r e e t déses péré. M a i s , c o m m e p resque tous ses personIl m e c o n f i a c e l a p o u r s ' e x c u s e r n a g e s , il a i m e c e déses poir. « O n a d ' u n défaiti sme préma turé. cru q u e j e détestais l e g e n r e h u S u r le q u a i , u n t r a i n f r e i n a i t e n m a i n . C e n'est pas vrai u n e s e pleurant et « Tournez manèges » c o n d e . M a i s j e hais les b o n s s e n t i remplissait le buffet d e la gare d e sa Je le r a c c o m p a g n a i v e r s s a t a n i è r e m e n t s . Je suis d u c ô t é d e s douçâ tre banali té. J e p e n s a i q u e c e d e la r u e C h a n z y o ù les t r a i n s f o n t perdants, des marginaux, surtout r e n d e z - v o u s S N C F était forcém ent u n t r e m l e r les vitres. S o u s le c r a c h i n l i d e c e u x q u i n ' o n t pas choisi d e s i g n e . M a r t i n e t m e le c o n f i a t r è s v i t e : b o u r n a i s , c e g r a n d écriva in a v a i t d e s l'être. J'écris sur l e désert d e « Je n'ai aucune racine, j e m ' e n l ' a m o u r . M e s personnages n ' e n f i - allures d e petit prof p é p è r e qui regaf o u s ! J e m e sens e n e x i l p a r t o u t . gnerait s o n cours. Je l'imaginai fain i s s e n t pas d e s e m a n q u e r . Je p r o Je suis d e l a r é g i o n p a r h a s a r d . fère la v i e , c o m m e l ' a si b i e n d i t s a n t c r a m e r u n e c o n s e r v e s u r u n B i e n sûr l ' e n f a n c e , i m p o r t a n t e . m a i g r e récha ud. L a t ê t e ailleur s, à Pierre Veilletet. • M a i s les copains d ' i c i , c'est fini s o n p r o c h a i n r o m a n q u ' i l d e v r a livrer d e p u i s l o n g t e m p s . Je n ' a i m e q u e bientô t. "J'ai toujo urs le Stylo les g r a n d e s villes. Je v i s à L i b o u r n e , p a r c e q u e j e n ' a i pas les M a u r i a c a u r a i t aimé c e p e r s o n m o y e n s fie vivre à Paris. » n a g e , e t s u r t o u t s o n livre. L e j e u n e J e a n - P i e r r e M a r t i n e t écrit difficil e-; p r i x q u i p o r t e s o n n o m , d o n t la v o c C e q u a i t o u t p r o c h e , l'écriv ain d e am e n t . T r o i s r o m a n s e t u n c o u r t récit tion parait être de couronner u n a u v a i t b i e n le conna ître. D è s q u ' i l l e ( 1 ) e n d o u z e a n s . A u début , il a v o u e t e u r mécon nu, l ' a i m e r a - t - i l a u t a n II p e u t , d è s q u e s e s revenus, q u i flirtent t ? M a v o i r s u b i l ' i n f l u e n c e célinie nne, c e l l e L a c o n c u r r e n c e e s t c e r t e s d u r e . r a r e m e n t a v e c le S M I C , l e lui p e r m e t Une d e la démes ure, d u b a r o q u e . L a c r i t i - liste d e g e n s c é l è b r e s , t a l e n t u e u x, riN o u s allions v e r s la g a r e t o u t e p r o - t e n t , il f o n c e v e r s l a c a p i t a l e . Il y a q u e p a r i s i e n n e a a c c u e i l l i s e s d e u x c h e s p a r f o i s , d é j à primé s s o u vécu p r e s q u e v i n g t a n s . A p r è s a v o i r vent. c h e . U n t r a i n siffla. L a p e n d u l e marp r e m i è M r e a s i ' s o e v u a v r t e s o n p filer a r le c p e l nt balles à d e s us absolu q u a i t 1 1 h e u r e s . L e buffet était p r e s - fait l ' I D H E C , il a été a s s i s t a n t réalid e s mépri m i l l i s a r : d a le i r e s s i l e ? n c e . M i e u x reçue, q u e désert . I l l'avait choisi p o u r ça. Il s a t e u r p e n d a n t p l u s d ' u n e décen nie « l ' O m b r e d e s forêts » e n compéti-< à l a télé. « J'étais u n l a r b i n , u n h a i t la f o u l e : « Je suis très h e u r e u x Patri ck Espa gnet . t i o n p o u r le M a uriac, est un retour à d'être n o m i n é , c o m m e o n d i t e x é c u t a n t . C ' é t a i t déjà p é n i b l e à l a sobrié té, « glacial , l ' é p o q u e , vous i et dédaim a g i nez c eq u e p o u r l e M a u r i a c , c'est u n b e a u gneux », c o m m e l'a écrit d a n s n o s ç a p e u t être m a i n t e n a n t . . . » n o m pour un prix. J'admire beauc o l o n n e s Gérar d Guéga n (« SOD » (1) Jean-Pierre Martinet. « J é r ô m e c o u p c e t é c r i v a i n d e la v i e i n t é Il q u i t t e a l o r s u n e s i t u a t i o n c o n f o r » (roman, du 8 mars 1987). 1978. E d . du Sagittaire). « Ceux qui n ' e n mènent r i e u r e . H p u i s , j ' y suis e n e x c e l t a b l e p o u r écrire e n f i n . P a s s i o n , u r p a s l a r g e » (récit, E d . le D i l l e t t a Dans le coin d u bistrot, notre sente, 1987). t L ' o m b r e d e s forêts » ( r o m a n , la T a b

entre deux chaises"

Jemis en exil parto ut

« Ce qui fait que L’Ombre des forêts est un livre beaucoup plus classique. C’est un livre sur des gens tourmentés, torturés, complètement tordus même, mais sans que cela transparaisse dans la forme. Je dirais que c’est un livre simple sur des gens compliqués. [...] Il y a une nostalgie infinie de l’amour. » Jean-Pierre Martinet — entretien pour la revue Roman — 1987

le R o n d e ) .

ANS sont tenaces. » « Les traces surROM le lecteur

Eloge du non-alignement Gérard Guéguan — Sud-Ouest dimanche — 1987

D

érives v i s i o n n a i r e s : d e s v o y a g e s q u i n ' o n t d ' a u t r e b u t q u e l'édif i c a t i o n d e m y t h e s o u b i e n la poésie métap horiqu e. P a t r i c k E r o u a r t - S i a d c o n t e l'histoi re d ' u n j e u n e métis e m barqu é s u r le « Nijinsk i », voilier c i n g l a n t vers les A n t i l l e s . L e s o u v e n i r d e P a n d o r a , d e s o n « v i s a g e solaire » flotte, suspendu dans u n e s p a c e étale d e c a l m e . Régna nt s u r c e s l i m b e s , elle se métam orpho se d a n s l a d r o i t e ligne d e la pensé e créole , p r i m e s a u t i è r e e t totém iste, « e n d a u p h i n v e r t », « e n s t e r n e », m o r t e d ' a v o i r t r o p intens ément désiré ... C e n'est p a s u n h a s a r d s i l e n o m q u e lui a choisi l'auteur e s t b e a c h , p l a g e , e n a n g l a i s . Noé v o g u e a u - d e vant d'elle dans u n e q u ê t e a b s o l u iiieiii byiiibolique, vers un a b o u t i s s e -

m e n t p a r f a i t d e s i l e n c e : l'écritu re

listes. B r u n o

B o n t e m p e l l i égare t o u t n'est paâ n o u s q u i p e r d o n s l e s o b vernaculaire d'Erouart-Siad contient « Avec L’Ombre des forêts, Martinet achève sa trilogie » b o n n e m e n t des s e s villes l e c t e u r s“absentes d a n s u n e à jla e t s vie , c e normale” s o n t e u x q u i n o u s échap à l a fois u n rejet d e l a s a t e l l i s a t ion d e c e t t e f a m e u s e « c u l t u r e créole », a i n s i q u ' u n e c r i t i q u e i n d u i t e m a i s néanm o i n s h a r d i e d ' u n e sociét é b a v a r d e et mécan ique. N o n q u e p a r e i l l e t e c h n i q u e n a r r a t i v e soit t e l l e m e n t n o u velle : l'Orien t était à l a m o d e e n F r a n c e à l'époq ue d e M o n t e s q u i e u , d e p u i s l e s récits de. v o y a g e s d e T a vernie r e t C h a r d i n , et l ' a u t e u r d e s « Lettres persanes » avait à s o n tour sacrifi é à u n e x o t i s m e p i q u a n t p o u r effectuer u n e satire d e s m œ u r s et d e s institu tions.

cité l a b y r i n t h i q u e . P a r c e q u ' e l l e s e n t

l a n eMatin r s u r elle ombre des « paraRaphaël Sorin —pLe —l '1987 p l u i e s s a u v a g e s », la f o n c t i o n p u b l i q u e chargé e d e « décon tamine r les naufragés d e l'incohérence q u i échou ent a u x o b j e t s trouvé s » — a u t r e m e n t d i t d'étab lir u n o r d r e pétrifiant — voit s o n équilib re mena cé; huit p e r s o n n e s s e r e n d e n t à S a i n t Chiné ard d a n s u n b u t précis , s o i t qu'ils trouvent cette visite d ' u n e h y g i è n e assurée, soit q u ' i l s o n t été « quittés p a r u n d e leurs o b j e t s » (il s e m b l e r a i t q u e , c e t t e année, l'espri t a n i m i s t e ait e u g a i n d e c a u s e : n e tient-il p a s une place importante d a n s le d e r n i e r l i v r e d e M i c h e l D é o n », « la M o n t é e d u soir »? C e

pent I ) . C e s objets q u i servaient à m a i n t e n i r les p r o t a g o n i s t e s h o r s d e la c o n f u s i o n métap hysiqu e n e t i e n n e n t p l u s e n p l a c e , a b a n d o n n e n t leur rôle et laissen t les h u m a i n s f a c e à f a c e . P a r c e q u ' i l e s t aussi inéluc table d e c h e r c h e r q u e de p e r d r e , l ' e r r a n c e s ' a c c e n t u e a u fil d e s p a g e s d a n s c e r o m a n q u i est u n v a s t e éloge d u dés o r d r e , m a i s aussi u n e o d e f o r m i d a b l e à l a f a n t a i s i e , à la g r a n d e liberté .

« [...] un ouvrage remarquable dont la teneur littéraire relève presque de la magie. » Serge Rigolet — Le Magazine Littéraire — 1987

« On retrouve [...] humour et désespoir dispensés d’une page à l’autre et les Anne lise Roux . imprégnant d’un irrésistible charme, d’une noire tendresse [...] » George Anex — La Gazette de Lausanne — 1987

L ' i n t e n t i o n d u s e c o n d livre est e n c o r e m o i n s nourrie d e s o u c i s réa-

« Une réussite exceptionnelle. »

P a t r i c k E r o u a r t - S i a d , « C a h i e r s d e la Mort-Colibri » ( S e u i l ) . Bruno Bontempelli, « les Parapluies s auvages • (Sylvie M e s s i n g e r ) . M i c h e l D é o n , . l a M o n t é e d u soir » (Gallimard) •

SODIMANCHE / 2 9 NOVEMBRE 198 7

P. de V. — Marianne — 1987

« Son écriture, sobre jusqu’au dépouillement, dessine avec une rare subtilité les méandres de l’âme humaine. » O. le B. — Le Républicain Lorrain — 1987

F

— d te e

n g fo B ve ve B tra do pr na ro Ba de ma vai rai de pa do aus l'ex zio de « me vou vue et pou ce lign litté puis ne s ce q gué renv n'es tion lerie sent A Larn pond que d'Ec gina Pier vie d'abe Di de l Molla brairi lois jourd prem

Prés bre, à Bordea


1 Rien. Personne. Céleste sentait qu’elle ne tarderait pas à avoir un malaise. Il y avait déjà un bon moment qu’elle avançait sans plus très bien savoir où elle allait ni dans quelle ville elle se trouvait. Sans doute le soleil. Elle n’avait jamais supporté le soleil, surtout au mois d’août, lorsque la lumière était si aveuglante qu’il lui fallait presque fermer les yeux pour ne pas être prise de vertige. La rue était déserte, à perte de vue. Au fond, elle préférait cela. Rien de plus humiliant que de s’effondrer sur le trottoir, devant une foule de badauds indifférents. Elle se laissa tomber lourdement sur un banc, et essaya de reprendre son souffle. Comme elle n’y parvenait pas et que son cœur battait toujours la chamade, elle s’allongea, en se servant de ses deux sacs à provisions comme d’un oreiller. Ainsi, la sensation d’être dans un lit était presque parfaite, bien que l’oreiller fût un peu dur et qu’il n’y eût comme drap que le ciel d’août, mesquin et souillé, d’un blanc sale qui lui rappelait les lingeries douteuses, négligemment jetées au pied des lits défaits, qu’elle avait entassées consciencieusement pendant des années dans les placards des maisons où elle servait de bonne à tout faire. Elle prononça à voix basse des mots comme « véranda », « glycines », elle ne savait pas très bien pourquoi, mais cela l’apaisait, et, peu à peu, son cœur se remit à battre à un rythme plus normal. Au-delà du ciel, elle sentait palpiter une autre lumière, un peu sauvage, instable et douloureuse. Elle imagina les saisons futures, celles que, sans doute, elle ne verrait jamais. D’habitude, cette idée la révoltait. Le monde sans elle ? Impossible. À mourir de rire. Juste une parodie de la vie, un pauvre spectacle à la limite de l’obscénité. Ce n’était même pas envisageable. Mais maintenant, au fond, crever là, sur ce banc, lui était assez indifférent, pourvu que cela se passât vite et qu’il n’y eût personne pour tenter de lui porter secours. Surtout pas d’hôpital. Par une fenêtre ouverte, le son d’une radio lui parvenait. Le speaker annonçait d’une voix monocorde, comme s’il pensait à autre chose, qu’on signalait une dépression au-dessus de l’Atlantique. « Elle se déplace d’ouest en est en direction d’un anticyclone situé au-dessus de la Russie. » Céleste se demandait pourquoi elle prêtait une telle attention à ces paroles insignifiantes. D’ailleurs, l’Atlantique était si loin, et la chaleur si moite, si orageuse, que l’on se serait cru en Asie, plutôt. Elle pensa brusquement à un livre qu’elle avait lu il y a bien longtemps. Elle avait complètement oublié l’histoire d’ailleurs, la plupart du temps, elle avait un mal fou à suivre une intrigue, même la plus simple, au bout de quelques pages elle ne comprenait déjà plus rien, elle confondait les personnages et finissait par se décourager car tout devenait épouvantablement compliqué – mais, lancinante, revenait l’idée de mousson, ce devait être à Bombay ou à Ceylan, elle ne savait plus. Mousson. Elle aimait ce mot. La mousson d’été venait de la mer, de cela elle était sûre. Elle apportait des passions, la fièvre, parfois même un cyclone. Bien qu’elle eût, peu à peu, retrouvé son souffle, l’air épais lui paraissait de plus en plus irrespirable, avec des relents de latrines, d’étoffes moisies. Un morceau de velours mauve délavé pendait d’un balcon. L’absence de vent lui donnait une rigidité étrange. Elle le fixa un long moment, comme si elle avait attendu que ce malheureux bout de tissu râpé lui délivrât un message, même banal, aussi commun que deux paroles échangées dans un café ou une épicerie, mais non, rien, lui aussi restait obstinément muet, pas le plus petit mot d’encouragement, la moindre incitation à se relever pour faire encore quelques mètres parmi les vivants. La pauvre draperie violâtre gardait ses secrets.(...)




demain les flammes patrimoine littéraire Penny Rimbaud Le dernier des hippies Une romance hystérique Traduit de l’anglais par Manu Gueguen

Un classique de la littérature punk

EAN : 9782492667060 Parution : mai 2023 Pagination : 160 p. Format : 11,5 x 17,8 cm Prix : 13 € Couverture sérigraphiée Traduction inédite Postface inédite de l’auteur

En 1975 décédait Wally Hope. Ce doux hippie rêveur était un pionnier de l’organisation des festivals libres – notamment celui, mythique, de Stonehenge – qui égayèrent les années 1970 britanniques et effrayèrent jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir. Suicide pour les uns, assassinat pour les autres, sa mort reste aujourd’hui encore un mystère. Dans ce texte effréné publié en 1982, Penny Rimbaud, cofondateur du groupe punk Crass, rend hommage à son ami parti trop tôt et pointe du doigt la responsabilité de l’État. Tout à la fois manifeste anarchiste, brûlot de la contre-culture, cri de douleur et appel à l’insurrection non violente, Le Dernier des hippies est un classique de la littérature punk enfin disponible en français. Penny Rimbaud, né en 1943, est un écrivain, poète et musicien britannique. Il a cofondé le groupe anarcho-­punk Crass en 1977, qui s’est autodissout en 1984. Il a publié Le Dernier des hippies pour la première fois dans le disque Christ – The Album de Crass.

demain les flammes 43, rue de Bayard / 31000 Toulouse contact@demainlesflammes.fr / demainlesflammes.fr


le dernier des hippies

extraits

le 3 septembre 1975, Phil Russell, alias Phil hope, alias Wally hope, alias Wally, mourut étouffé par son vomi. De la mûre, de la crème anglaise et de la bile entravèrent tragiquement sa trachée. De la mûre, de la crème anglaise et de la bile s’écoulèrent de sa bouche béante sur les motifs délicats d’un tapis. Aucune réponse ne se satisfait à elle-même. Proverbe oriental

Wally mourut en homme effrayé, faible et fatigué. six mois plus tôt, il respirait la détermination, le bonheur et la santé. Ce court laps de temps suffit aux services de santé de sa Majesté pour le réduire à l’état d’un cadavre couvert de vomissures. Dans le premier rêve dont je me souviens, je tiens la main d’un vieil homme et nous admirons une vallée paisible et magnifique. soudain, un renard sort de sa cachette, poursuivi par une meute de chiens et de chasseurs aux manteaux rouges montés sur des chevaux. le vieil homme me montre la scène du doigt et me dit : «Voici, mon fils, le chemin 33


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que tu vas emprunter. » Je l’ai compris bien vite. le renard, c’est moi ! Wally Hope, 1974

Pour moi, la mort de Wally a marqué la fin d’une époque. il est mort en même temps que la confiance naïve que j’avais encore envers le système – les dernières graines d’espoir. Auparavant, je pensais que si je menais une vie fondée sur le respect et non sur l’oppression, les gens au pouvoir suivraient peut-être mon exemple. C’était un rêve, bien sûr, mais la réalité se forge dans les rêves du passé. Était-ce si insensé de vouloir que le mien appartienne au futur ? il fallait détruire cette ville pour la sauver. Logique militaire du xxe siècle

la seconde Guerre mondiale n’a été ni perdue ni gagnée, elle a simplement créé un vide terrifiant. De ce vide est né chez les peuples du monde un désespoir profond, une peur que la civilisation ne retienne rien des leçons tragiques des camps d’extermination nazis ou de la vérité cruelle d’hiroshima et nagasaki. C’était comme si les gens au pouvoir avaient placé la Terre sur une pente qui la conduisait à sa destruction totale. la course à l’armement 34


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battait son plein. la guerre froide faisait rage. le tiers-monde crevait de faim pendant que les grandes puissances se regardaient le nombril. Dans l’horreur de ce monde nouveau, les gens se sont tournés vers d’étranges moyens pour apaiser leurs peurs. ignorer est la plus grande des ignorances, mais cela devint la norme à mesure que les gens s’enterraient dans la banalité d’un matérialisme abrutissant. l’âge du consumérisme était né. si vous ne pouviez trouver la paix intérieure, peut-être qu’une Cadillac vous y aiderait. si la vie avait perdu son sens, peut-être qu’une machine à laver dernier cri le lui redonnerait. C’est à moi, à moi, à moi, le boom de la propriété et de la sécurité approchait. Achète, achète, achète. Assure. Protège. le monde de la télévision nous envahissait. Qu’est-ce qui est réel ? Ce truc-là ? Celui-ci ? De la merde abrutissante pour abrutir des esprits de merde. Achète ce truc, et aussi celui-là. Qui peut faire la différence entre un blanc bonnet et un bonnet blanc ? Qui en a quelque chose à foutre ? Achète ce truc, et aussi celui-là. Des tas de merdes en plastique interchangeables pour cacher l’horreur d’une vie dans la réalité nucléaire.

ACHÈTE CE TruC, ET Aussi CElui-là. 35


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Pendant ce temps-là, les gouvernements se tournaient vers le marché de l’armement nucléaire – des « armes de dissuasion », disaient-ils –, et la majorité de la population, aveuglée par des babioles et les foutaises des médias, avalait ce mensonge avec bonheur.Tant que tout le monde s’amusait, personne ne questionnait le comportement des gens au pouvoir, qui jouaient avec leurs bombes nucléaires à retardement. et la mèche n’en finissait pas de se consumer. néanmoins, si la majorité est toujours heureuse de se laisser porter par les vents les plus puissants, il y a aussi celles et ceux qui leur barrent la route. les années 1950 avaient donné naissance au consumérisme, mais elles avaient aussi vu naître deux forces d’opposition d’ampleur : le mouvement pour la paix et le rock’n’roll. elles résistaient toutes deux à la domination croissante d’hommes belliqueux aux cheveux gris pétris de pensées grises. elles refusaient toutes deux les paillettes du consumérisme – du moins au début. elles représentaient toutes deux une révolution contre les valeurs anormales de la société « normale ». le mouvement pour la paix au Royaume-Uni fut fondé à la suite de la Campaign for nuclear Disarmament (Campagne pour le désarmement nucléaire, CnD) qui, à la fin des années 1950, pouvait réunir des milliers de manifestants dans 36


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les rues pour faire entendre leurs voix. Mais une voix encore plus puissante se mettait alors à résonner dans les radios portatives et les vieux gramophones de millions de foyers : le vacarme du rock’n’roll. Alors que le mouvement pour la paix était majoritairement l’apanage de la classe moyenne, le rock’n’roll, lui, n’avait pas de barrières de classes. Même s’il a probablement fallu attendre les Beatles pour rassembler toutes les factions désillusionnées, le rock’n’roll, la révolution, le désir de changement et le mouvement pour la paix ont depuis leur commencement été aussi salutaires qu’inséparables. * Malheureusement, au début des années 1960, la société britannique avait accepté la CnD, dont l’action était ainsi plus limitée. la voix de la modération avait assourdi ses cris de contestation. l’opportunisme politique avait pris le pas sur ses objectifs. Avec l’implantation de vautours gauchistes grossièrement déguisés en colombes, il devenait clair que le Parti travailliste considérait la CnD comme un moyen de plus pour gravir les échelons du pouvoir. en 1964, alors que les travaillistes étaient dans l’opposition, ils promirent de se débarrasser de Polaris, la force de sous-marins nucléaires. Quatre 37


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mois plus tard, après leur élection, ils commandèrent quatre nouveaux engins. leur déguisement se désagrégeait. lorsqu’on demanda à Michael Foot, qui était à l’époque un membre du comité de la CnD (il est aujourd’hui le chef du Parti travailliste), s’il voterait pour un parti conservateur antibombe plutôt que pour un parti travailliste probombe, il répondit : « sûrement pas. » Ainsi signait-il le testament de son désir de paix. le regain d’intérêt dont bénéficie actuellement la CnD risque une fois encore de servir les mêmes vieilles manigances politiques de merde. les socialistes avides de pouvoir se sont déjà implantés dans la plateforme pour la paix qui avait été acquise de haute lutte. les prises de parole lors des deux derniers rassemblements à Trafalgar square visaient davantage à rallier des électeurs qu’à obtenir la paix. Quand ces questions n’étaient pas à la mode, les « colombes » gauchistes étaient bien contentes de partager des cacahuètes avec les autres pigeons de la place. Désormais, elles promettent de refuser l’installation de missiles de croisière états-uniens au Royaume-Uni. est-ce un énième geste électoraliste sur lequel elles reviendront une fois au pouvoir ? si on lui permet d’y accéder, le Parti travailliste coulera la CnD par le fond sans faire de vagues. 38


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il ne faut pas accepter que le désarmement nucléaire et la question de la paix deviennent un feuilleton politique où les gens avides de pouvoir étalent leur cynisme. et puis si l’on met de côté la réappropriation politique de ce mouvement, ce qui menace réellement l’existence durable de la CnD et de ses alliés, c’est l’intérêt que le monde de la musique commerciale manifeste à son égard. Du jour au lendemain, la paix est devenue une marchandise, un produit en vogue. les maisons de disques bien établies, la presse musicale et les groupes qui, quatre ans plus tôt, traitaient les opposants à la guerre de « vieux hippies rasoir » retournent aujourd’hui leur veste pour soutenir le mouvement. la seule cause qu’ils soutiennent, c’est eux-mêmes. en voilà de la belle publicité, en voilà de bonnes ventes, en voilà de bonnes affaires. ils useront du filon jusqu’à son tarissement, jusqu’à ce que la mode passe. Puis ils laisseront tomber, comme ils l’ont fait avec Rock Against Racism. * si au milieu des années 1960 la puissance de la protestation déclinait, celle du rock restait bien vivace. le rock’n’roll était roi et aucun parti politique n’allait l’abattre. la jeunesse avait trouvé sa voix et demandait avec force qu’elle fût entendue. Une voix criait plus fort 39


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les promesses d’un monde nouveau : de nouvelles couleurs, de nouvelles dimensions, des temps nouveaux, un nouvel espace. le karma instantané. le tout à portée d’un acide. Aujourd’hui, j’ai un conseil à donner : si tu prends le jeu de la vie au sérieux, si tu prends ton système nerveux au sérieux, si tu prends tes organes sensoriels au sérieux, si tu prends le processus énergétique au sérieux, vas-y, mets-toi en phase et décolle. Timothy Leary, prophète de l’acide

la société respectable était sous le choc. les parents abandonnaient leurs petits chéris alors qu’ils tripaient sur les motifs des tapis. Des reportages hystériques racontant que le lsD était responsable de tout, depuis les crises cardiaques jusqu’aux suicides de masse, paraissaient quasi quotidiennement dans la presse. les sociologues inventèrent le concept de choc des générations. et quand des gens bizarres aux cheveux longs leur firent le V de la victoire, ils comprirent tout de travers, alors même qu’il s’agissait bel et bien du signe de la paix, et non de son envers qui signifie « va te faire foutre ». la norme et le bien se trouvaient dans un coin grisâtre, alors que le sexe, la drogue et le rock’n’roll se tenaient en face dans le coin aux couleurs 40


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de l’arc-en-ciel – en tout cas, voilà la caricature que les médias voulaient nous faire avaler. C’est à cette époque que des légions toujours grandissantes de fans de rock, dont le message de paix et d’amour se répandait comme une traînée de poudre dans le monde entier, adoptèrent le symbole de la CnD comme emblème*. Dans leur désir désespéré de cataloguer et ainsi de contrôler ce qui menace leur pouvoir, les médias désignèrent ce phénomène sous le nom de « hippie », et le système, dont les médias sont l’outil numéro un pour combattre toute transformation, travailla, de façon transparente mais néanmoins efficace, à discréditer cette nouvelle vision. le rock’n’roll réussissait quelque chose d’inédit, il montrait à la face du monde combien les divisions socialement créées de couleurs de peau, de classes ou de croyances étaient infondées. les barrières s’effondraient. Peu importait d’où tu venais, qui tu étais, ou ce que tu avais fait. si tu kiffais, t’en étais. * Malgré ce que les adeptes de Marx ou de la oi! diront, le rock’n’roll ne peut pas être réduit à une idéologie politique précise. C’est la voix collective du peuple, tout le peuple, et pas * le symbole de la CnD est aujourd’hui bien connu : 41

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demain les flammes littérature Aaron Cometbus Poste restante Traduit de l’anglais par Nathan Golshem

Une ode à l’amitié Aaron est perché sur un distributeur de journaux, les jambes ballantes, et lit une feuille de chou communiste. Il attend. Mais quoi ? Seule Yula l’anarchiste, qui entrera dans sa vie telle une comète, lui permettra de le comprendre. De cette rencontre inattendue naît une amitié que rien n’entravera – ni le temps, ni l’éloignement, ni la vieillesse – et qui se poursuivra par l’entremise d’échanges épistolaires poste restante.

EAN : 9782492667039 Parution : 2021 Pagination : 152 p. Format : 11,5 x 17,8 cm Prix : 11 €

Aaron Cometbus, l’écrivain inconnu le plus connu d’Amérique

Aaron Cometbus, l’écrivain inconnu le plus connu d’Amérique, publie le fanzine Cometbus depuis 1981. Demain les flammes a traduit à ce jour cinq de ses livres.

demain les flammes 43, rue de Bayard / 31000 Toulouse contact@demainlesflammes.fr / demainlesflammes.fr


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urant l’été 1988, j’ai passé un temps exces-

sif dans le centre-ville de Berkeley à fumer, assis sur les distributeurs de journaux. C’est là que j’en ai remarqué un qui sortait du lot. Apparemment fabriqué à la main, il était en bois, et pas en métal comme les autres. Mon regard s’y était arrêté car il ne présentait aucune fente où insérer des pièces. or, à l’époque, la monnaie oubliée dans les cabines téléphoniques et ces distributeurs constituait ma source principale de revenus. Le journal était gratuit. Alors j’ai glissé ma main à l’intérieur pour en sortir un truc intitulé Iskra, et j’ai commencé à lire. J’entamais la deuxième page d’un article sur une grève dans l’usine Ford à Flint quand une voix a interrompu ma lecture. C’était Yula qui s’approchait de mon perchoir, un air suffisant accroché à son visage. 9


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« Est-ce le rCP ? chantait-elle. ou est-ce le BPP ? ou est-ce le sWP ? Je croyais qu’on était à Berkeley*. » sa chanson terminée, elle s’est hissée sur le distributeur puis, d’un coup de rein, m’a poussé pour qu’on y tienne à deux, tout en m’arrachant le journal des mains pour s’asseoir dessus. « Pourquoi est-ce que tu lis toujours ce torchon coco ? », m’a-t-elle demandé en tapotant mes côtes osseuses. Yula venait de Berkeley, comme moi, mais elle était née en Ukraine et tolérait moins certaines idées romantiques. Comme si l’anarchisme – son « isme » à elle – n’incarnait pas l’idée la plus romantique qui soit ! Pourtant, Yula et moi n’étions pas romantiques. Notre seul érotisme, c’était la parole. Les russes étaient moins timides sur le sujet, semblait-il. (« Les Ukrainiens ne sont pas russes », devait-elle me rappeler.) Nous restions assis l’un à côté de l’autre, mais cela ne l’empêchait pas de parler le plus fort possible, sachant que ce qu’elle avait à dire allait m’embarrasser. « Quelle plaie ! a-t-elle hurlé. La capote s’est encore déchirée ! Pourquoi est-ce que tu ne mon* Le revolutionary Communist Party (le Parti communiste révolutionnaire), le Black Panthers Party (le parti des Black Panthers), et le socialist Workers Party (le Parti des travailleurs socialistes). [Toutes les notes sont du traducteur.] 10


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trerais pas à mon copain comment ça marche ? » Elle s’est tue pour se délecter de la vue des passants qui s’immobilisaient, sans voix. « Bin quoi ? Bordel, ma chatte ne mord pas. » À ces mots – que tout le monde autour de nous a entendus –, mon visage a viré aussi rouge que les mèches de Yula. Malgré tout, j’étais heureux à en mourir. Vous savez, j’étais timide mais ne demandais qu’à sortir de ma coquille. Et cette fille était arrivée, elle s’était presque assise sur mes genoux et semblait savoir mieux que moi ce dont j’avais besoin. Le plus surprenant, c’est qu’on se voyait pour la première fois. Chère Yula, se peut-il que nous soyions devenus potes dès le départ, dès notre première rencontre ? En retraçant l’histoire de notre amitié, je ne me souviens pas de t’avoir jamais adressé la parole avant ce jour-là, nos jambes ballantes au-dessus du distributeur de journaux. Bien entendu, je t’avais déjà vue dans le coin, j’avais l’impression de te connaître, mais nous n’avions pas vraiment été présentés. Quand on est jeunes, on traîne avec la même bande jusqu’à ce que nos têtes se cognent – c’est ainsi que l’on se fait des amis. Tu vas en ville et ne trouves personne – tout le monde doit probablement traîner au parc à boire des bières. Alors tu t’asseois et 11


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lis un journal en attendant que quelqu’un se pointe. Cette fois-ci, c’était toi. Mon jour de chance. Je me dis rétrospectivement : si tous les autres avaient été là, peut-être ne nous serions-nous jamais rencontrés. Et je me demande : pourquoi ne nous sommesnous pas embrassés ? Je n’y avais jamais pensé. Et toi ? Je prends conscience seulement maintenant que les choses auraient pu être différentes, même si la tournure des événements aurait difficilement pu me rendre plus heureux. C’est comme si nous avions raté toutes les mauvaises sorties, préférant nous regarder plutôt que de faire attention à la route devant nous. Ce qui m’étonne, en revanche, ce sont toutes ces choses, notre amitié en tête, qui paraissaient naturelles, mais qui aujourd’hui seraient tout à fait improbables, sinon impossibles. Demande à n’importe laquelle de mes petites amies – on croit difficilement à notre amitié ! La décrire se révèle aussi difficile que de résumer le monde dont nous venons, celui de journaux fabriqués à la main, de scissions de groupes politiques et de slogans anarchistes joués sur un air des sex Pistols. Ce monde dans lequel nous sommes nés, que l’on considérait comme un acquis et comme la 12


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normalité, c’est ce que j’ai essayé tout le reste de ma vie de comprendre et d’expliquer.

2 Débutons avec le journal que j’étais en train de lire quand Yula et moi nous sommes rencontrés, Iskra, et qui depuis ce jour m’a toujours fait penser à elle. Pourtant, elle n’a jamais daigné le lire, ni lui ni ses avatars – cette littérature gauchiste miteuse et grincheuse que j’adore. Qualifier Iskra de communiste n’avance en rien, car tous les journaux de Berkeley l’étaient peu ou prou. La seule exception, c’était le Berkeley Review, un torchon étudiant d’extrême droite dans lequel Eldridge Cleaver tenait une colonne d’opinion. Avant que Cleaver ne devienne encore plus de droite que les républicains du coin, le Review constituait une lecture excitante – on ne pouvait pas en dire autant d’Iskra. or, c’était précisément ce manque d’éclat et de panache qui avait attisé ma curiosité. sa prose n’était pas incendiaire, elle n’était pas non plus un appel aux armes à destination de l’une ou l’autre des scissions locales et de leurs branches armées – des acronymes que nous, les enfants de Berkeley, apprenions en lieu et place de l’alphabet. 13


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Mais Yula n’avait pas bien compris ce qui m’intéressait. Ma lecture attentive de la presse gauchiste ne marquait pas mon soutien à un quelconque parti. Elle s’apparentait à celle de la rubrique des sports du New York Times. La politique révolutionnaire est à la côte ouest ce que la major league de baseball est à la côte Est, ou aux enfants partout ailleurs. Je mémorisais les statistiques, je savais qui avait été échangé contre qui et je retenais les dates de transfert. Je soutenais des mascottes que j’avais choisies pour des raisons bien éloignées de leurs chances de succès. Quel plaisir y a-t-il à soutenir une équipe qui gagne toujours ? Et pourtant, à quoi bon soutenir une équipe qui ne gagnera jamais le moindre match ? Il faudrait poser cette question à Yula l’anarchiste. Iskra était un vent de fraîcheur car il ne s’agissait pas d’un outil de recrutement. Cette année-là, les armées du coin manquaient de sang frais à envoyer en première ligne – tandis qu’elles lançaient des pierres sur les flics depuis l’arrière. Mais Iskra n’essayait pas de transformer le lecteur en chair à canon. En comparaison, les autres journaux se couvraient de ridicule à essayer désespérément d’adapter leur image au changement de climat social. Ils nivelaient leur prose par le bas et évincèrent le mot « ouvrier » de leurs titres. 14


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Dorénavant, les militants n’étaient plus ces mécontents stoïques plantés dans des bureaux sentant le renfermé et occupés en permanence par des réunions. Non, la révolution était une fête ! sans marionnettes ni danses dans les rues, il était impossible de convertir les jeunes. Tous les groupes qui se faisaient la guerre s’accordaient sur ce point précis. Mais personne n’avait averti Iskra, ou si c’était le cas, Iskra n’avait rien entendu. Le journal, surchargé de textes sans fioritures ni humour, ne rappelait pas seulement une autre époque, il se faisait l’écho d’un autre siècle. Je me sentais pareil : ni sérieux, ni particulièrement jovial, ni sexy. Je cauchemardais de marionnettes et les réunions ne me dérangeaient pas. Je savais que le changement n’adviendrait pas du jour au lendemain. Je brûlais d’un besoin de gravité, ce qui explique pourquoi Iskra m’a touché, tout comme Yula, d’ailleurs. Elle affichait un scepticisme et un désenchantement inhabituels pour son âge, ainsi que pour l’époque et l’endroit où nous habitions. Elle avait déménagé à Berkeley à l’âge de six ans, mais elle ne s’y était jamais vraiment acclimatée. Elle riait du malheur et hochait sympathiquement la tête en réponse aux plaisanteries, tout en claquant sa langue. Ce n’était 15


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pas qu’elle ne les comprenait pas, disons qu’elle les comprenait différemment – ce qui induisait de nombreux malentendus. résultat, elle avait eu du mal à se faire des amis. En théorie, elle venait d’ici, mais elle restait profondément étrangère, sauf pour moi. Assis ensemble en ville, nous étions un peu comme Golda et Marcus, les amis de ma mère les plus âgés. Golda, sombre de peau et de tempérament, était grand et probablement gay. Marcus était un ancien trotskiste dégarni un peu usé aux entournures. Ils formaient un couple strictement platonique, mais plus soudé que tous les couples que j’ai pu rencontrer. Différents sur tous les points, mais inséparables. Comme Yula et moi. Jusqu’à notre séparation, évidemment, et aux lettres qui ont suivi.

3 À l’époque, déjà, elle avait l’esprit de contradiction, une qualité qui rendait les gars fous. Ils lui en voulaient dès qu’ils comprenaient qu’elle était vraiment combative et désagréable, et pas seulement malicieusement séductrice. 16


demain les flammes littérature Aaron Cometbus L’esprit de Saint-Louis Ou comment avoir le cœur brisé, une tragédie en vingt-quatre actes Traduit de l’anglais par David Mourey

EAN : 9782492667077 Parution : septembre 2023 Pagination : 128 p. Format : 11,5 x 17,8 cm Prix : 13 €

Aaron Cometbus, l’écrivain inconnu le plus connu d’Amérique

Tout commence par une histoire tellement rebattue qu’elle s’est usée à force d’être racontée. On l’avait déposé là, dans une ville loin de chez lui où il ne connaissait personne, il était désespéré, etc. Mais voici la suite. L’authentique dénouement d’une explosion d’énergie juvénile, les premiers pas dans le monde, et tout le chemin parcouru pendant les quinze années suivantes : six foutus pâtés de maison. C’est tout. Ce livre raconte l’histoire d’un échec, d’un échec déguisé en succès, de déconvenues totales, de succès qui tournent au fiasco à la dernière minute. Par l’entremise de l’odyssée d’une bande de punks que rien n’arrête, ni les flammes, ni la vieillesse, ni les défections, on y découvrira comment la vie peut devenir un cauchemar ou une farce, et comment cela peut arriver sans crier gare et malgré nos bonnes intentions. Le tout en vingt-quatre actes.

Aaron Cometbus, l’écrivain inconnu le plus connu d’Amérique, publie le fanzine Cometbus depuis 1981. Demain les flammes a traduit à ce jour cinq de ses livres.

demain les flammes 43, rue de Bayard / 31000 Toulouse contact@demainlesflammes.fr / demainlesflammes.fr


L’esprit de saint-louis

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1 Tout commence par une histoire tellement rebattue qu’elle s’est usée à force que je la raconte. on m’avait déposé là, dans cette ville loin de chez moi où je ne connaissais personne, j’étais désespéré, etc. Mais voici la suite. L’authentique dénouement de cette première explosion d’énergie juvénile, mes premiers pas sans filet dans le monde, mon grand « au revoir ». et, quinze ans plus tard, quel chemin avais-je parcouru ? six foutus pâtés de maisons. C’est tout. Voici l’histoire d’un échec, d’un échec déguisé en succès, de quasi-succès en pagaille, de déconvenues totales, de succès que l’on évite soigneusement et qui tournent au fiasco à la dernière minute. Voici comment la vie peut délibérément devenir un cauchemar ou une farce – et comment, aussi, cela arrive par accident, presque incidemment, ou grâce à nos bonnes intentions et à notre ambition. 7


L’esprit de saint-louis

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Au commencement, il y a les rats. Je les ai rencontrés le premier soir où je suis arrivé en ville : spike, Brett, rob, Wayne Numéro un, Wayne Numéro Deux, et le seul rat féminin, Jody Lee – l’œil du cyclone. J’ai aperçu rob en premier, car il était arrivé au club avant tout le monde, et moi j’attendais dehors. « Alors comme ça tu viens de Berkeley ? », m’a-t-il dit, tel un voyant. Je me suis rendu compte au bout d’une heure de discussion qu’il pensait que je faisais partie du groupe qui passait ce soir-là. sur le coup, je croyais encore en ma bonne étoile. J’avais atterri là, dans cet endroit loin de chez moi où je ne connaissais personne, et où pile ce soir-là jouait un groupe de ma ville : Fang. Les membres du groupe et moi n’étions pas particulièrement amis – à vrai dire, nous nous détestions –, mais leur présence, leur apparition à cet instant précis me semblait tout bonnement miraculeuse. elle me redonnait confiance et m’offrait une chance de salut. en tout cas, elle me permettait au moins de trouver un endroit où dormir et de monter dans un van vers l’est. sans ce concert, cela aurait été presque impossible. en revanche, j’attends encore le van. puis j’ai rencontré spike. il avait organisé le concert, mais minorait son implication, attri8


L’esprit de saint-louis

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buant tout le mérite à sa grand-mère de quatrevingts ans. on pouvait uniquement joindre les rats via son téléphone et, lorsque des groupes appelaient pour trouver un concert, ils devaient s’adresser à elle. s’ils étaient impolis, avaient un nom débile ou demandaient un cachet fixe, elle leur raccrochait au nez. Tout simplement. spike n’avait alors plus qu’à contacter les quelques groupes qui restaient pour compléter l’affiche et à louer une salle. spike était le plus sympathique et le plus sociable des rats, mais il était également un peu mondain, donc nous n’avons pas beaucoup parlé au cours de cette première soirée. Jody sortait avec lui, ce qui ne l’a pas empêchée de s’asseoir sur mes genoux lorsque nous avons pris la voiture de rob pour aller chercher de l’alcool, prétextant que c’était « juste pour nous accompagner ». Jody, quant à elle, était loquace et exubérante, en plus d’être du sud. rob était stoïque et impassible. il n’aurait pas dépareillé sur un cheval. il conduisait et ce rôle lui allait à ravir. Après le concert, entassés dans la voiture, nous avons pris la direction de la maison où ils habitaient tous ensemble. Loin de Berkeley et de ses contraintes, je me suis entendu à merveille avec les membres de Fang. sammy, le chanteur, m’a donné une 9


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bénédiction paternelle : « Je ne t’ai jamais aimé, m’a-t-il confié, mais on m’a raconté que tout le monde avait déserté pour rentrer au bercail, alors que toi tu es venu ici tout seul – et pour ça, il faut du courage. respect. » Les yeux embrumés et le sang plein de bière, nous avons décidé sur un coup de tête de nous faire le même tatouage. peut-être avons-nous été inspirés par le rongeur que tous les rats arboraient sur le bras. Brett a initié la cérémonie en nous piquant à l’aide d’une épingle à nourrice stérilisée avec sa salive. C’est le pire de tous mes tatouages débiles, et Dieu sait que j’en ai un paquet, même si heureusement la plupart sont de petite taille. pourquoi choisir de partager une aiguille avec la personne qui porte probablement le plus de maladies transmissibles au monde ? Avec l’homme qui avait écrit l’hymne Salopard de païen de Berkeley ? « Je suis un junkie alcoolo, chantait-il, je suis un junkie clodo. » C’est un bon morceau, certes, mais il y a une différence entre chanter en chœur et partager son sang. Mon envol aurait pu s’arrêter net à cet instant. pire encore, nous avions partagé autre chose. Certaines personnes sont particulièrement attirées par les voyageurs, et notamment par les musiciens en voyage, or il se trouve que j’en suis un. rien ne me fait plus tourner la tête 10


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L’esprit de saint-louis

qu’une femme dans un groupe. susan, qui était hébergée au même endroit que moi lors de ma première semaine en ville, jouait – comme moi – de la batterie et avait un penchant pour les gens en vadrouille. Malheureusement, j’ai joui avant même que nous ayons eu le temps de retirer nos vêtements. si je raconte cet épisode embarrassant, c’est uniquement parce qu’il donne le ton de la suite de mes aventures dans cette ville. J’aurais dû y voir un signe. pour une femme à l’air si dur, ses sous-vêtements à froufrous étaient étonnamment fantaisistes et élaborés, alors que moi j’étais jeune et inexpérimenté, à deux doigts de l’explosion. peut-être était-elle furieuse, pas franchement impressionnée, ou peut-être préférait-elle le frisson de la chasse à la prise elle-même, toujours est-il que nous avons passé le reste de la semaine à nous bécoter, rien de plus. et tant mieux, car une rumeur se répandit bientôt comme une traînée de poudre dans la scène punk : sam de Fang avait le sida. Les gens blaguaient : « ouais, mais encore ? T’avais pas un truc à nous dire ? » Dire que sam avait le sida revenait à demander : « Qu’est-ce que je vous sers avec ça ? » Ça coulait de source. Ça lui allait à ravir, comme un deuxième prénom. Je m’estimais chanceux. J’exultais, en fait. J’étais en sécurité : aucun fluide n’avait été 11


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échangé avec susan. Contre toute attente, ma gaucherie dans les relations charnelles, qui empoisonnait ma vie, m’avait sauvé. J’ai poussé un énorme soupir de soulagement, mais quelque chose a retenu mon attention. Quelque chose de petit et déjà flou : le tatouage. était-il possible qu’une chose si minuscule puisse me tuer ? eh oui. Nous avions beau essayer de nous souvenir, personne ne se rappelait qui de sammy ou moi s’était fait tatouer en premier. et donc : direction le dispensaire pour faire un dépistage. rob a gentiment proposé de m’y conduire. il s’est avéré que cette rumeur était infondée. La dernière fois que je l’ai croisé, sammy était frais comme un gardon. il sortait tout juste de prison, où il avait purgé une peine pour homicide plus longue que le temps passé par spike en maison de correction, mais bien plus courte que mon séjour dans cette ville à la noix. susan aussi avait la forme – physiquement, du moins, car en son for intérieur quelque chose devait vraiment clocher, sinon pour quelle raison serait-elle devenue flic ? ouais, susan la policière. Depuis, je me suis fait contrôler pas mal de fois, mais jamais par elle, et mon petit doigt me dit que c’est plutôt une bonne chose. 12


L’esprit de saint-louis

parfois, il suffit d’un rien pour s’estimer heureux. rob fut le premier des rats à partir. un jour, il prit sa voiture et rejoignit l’armée de l’air, disparaissant sans laisser de traces.

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demain les flammes littérature du réel Aaron Cometbus La Solitude de la menora électrique Traduit de l’anglais par David Mourey

Une histoire secrète de l’underground Berkeley, 1963. Deux amis ouvrent une librairie. Mais comment des hommes aussi têtus peuvent-ils raisonnablement travailler ensemble ? Ils se déchirent et fondent chacun leur boutique, l’une en face de l’autre. Au détour du récit des échecs, des séparations et des espoirs de libraires acariâtres et autres révolutionnaires au cœur battant, Aaron Cometbus retrace l’histoire sociale de la foule bigarrée qui animait Telegraph Avenue, épicentre du mouvement hippie et futur théâtre de l’explosion du punk. Ainsi, il met au jour ce qui d’ordinaire reste dans l’ombre : l’histoire secrète de l’underground.

EAN : 9782492667022 Parution : 2021 Pagination : 176 p. Format : 11,5 x 17,8 cm Prix : 13 € Avec des illustrations de Carolina Paquita

Aaron Cometbus, l’écrivain inconnu le plus connu d’Amérique

Aaron Cometbus, l’écrivain inconnu le plus connu d’Amérique, publie le fanzine Cometbus depuis 1981. Demain les flammes a traduit à ce jour cinq de ses livres.

demain les flammes 43, rue de Bayard / 31000 Toulouse contact@demainlesflammes.fr / demainlesflammes.fr


La solitude de la menora électrique

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1 rambam il était une fois, à Berkeley, deux hommes incroyablement caractériels et têtus qui décidèrent de se lancer en affaires ensemble. morris « moe » moskowitz en parlerait plus tard en ces termes : « L’un de mes partenariats les plus courts et les moins intéressants. » Bill Cartwright déclarerait : « Je préfère ne pas en parler. » Ce projet aussi infructueux qu’éphémère se trouvait à l’angle de Telegraph Avenue et de Dwight Way. Nous étions alors en 1963. L’endroit fut nommé en hommage à moïse maïmonide, ce grand sage juif du xiie siècle à l’origine de si nombreuses dissensions entre sectes rabbiniques qu’on demanda aux autorités chrétiennes d’intervenir pour régler le litige. Comme on pouvait s’y attendre, elles ordonnèrent de brûler tous ses écrits. Difficile de trouver un nom plus approprié pour une librairie ! mais l’acronyme en hébreu sonnait mieux. Au moment de leur rencontre, Cartwright exerçait le métier de chauffeur de taxi. moe, de son côté, avait déjà travaillé comme libraire. il tenait une petite boutique en centre-ville, qui était toutefois très mal située. Cartwright venait de signer un bail pour un 9


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local dans un coin très passant, à deux pas du campus, et il comptait y ouvrir un snack. Au lieu de ça, ils unirent leurs forces et rambam vit le jour. une publicité parue dans le premier numéro du Berkeley Barb laisse transparaître leur enthousiasme : « La plus grande librairie au monde qui ne vend que du poche ! Demain, le cosmos ! », annonce-t-elle en crânant. en fait, l’endroit n’était qu’un placard : il occupait seulement une petite partie de la devanture actuelle (déjà bien étriquée). À rambam, seuls les égos et les mauvais caractères prenaient de la place. Ceci étant, l’annonce n’était pas si ridicule que ça. Grâce à la révolution du livre de poche, la littérature de qualité et la philosophie étaient devenues pour la toute première fois abordables et facilement disponibles. or, seule une poignée de magasins avaient pris suffisamment cette tendance au sérieux pour se dévouer à la cause. Parmi eux, la librairie City Lights, à san Francisco, ou encore la Paperbook Gallery de marty Geilser à New York devant laquelle trônait une piscine remplie de pingouins vivants. Plus près d’ici, Cody’s Books, à Berkeley, ne vendait que des livres de poche. mais neufs, uniquement. rambam proposait exclusivement des livres résolument usés. on évoque souvent le tempérament houleux de moe et ses tendances anarchistes pour expliquer pourquoi il a fini par ouvrir sa propre librairie. Tout partenariat sur le long terme paraissait impossible. Peut-être. mais d’après les employés de moe et de Cartwright, leurs principaux désaccords n’avaient 10


La solitude de la menora électrique

rien de personnel. et surtout, moe était un homme d’affaires né, tandis que Cartwright… pas vraiment. Pour moe, le magasin s’apparentait à une pièce de théâtre dans laquelle il jouait le rôle principal. Cartwright, lui, se comportait comme s’il purgeait une peine à perpétuité. La politique d’échange des livres d’occasion était une de leurs pierres d’achoppement : moe insistait pour qu’elle soit la plus généreuse possible, tandis que Cartwright s’en méfiait, préférant l’argent liquide. on raconte que la goutte d’eau qui fit déborder le vase fut une dispute portant précisément sur les livres. Apparemment, un des associés en ramenait beaucoup chez lui pour sa collection personnelle que l’autre. quelqu’un lâcha le mot « voleur ». moe n’était pas un collectionneur, ni même un lecteur avide. Chez lui, il ne gardait apparemment qu’un seul livre : Mémoires d’un libraire en faillite. Je pense qu’on peut l’éliminer de la liste des suspects. Cartwright aimait discuter de voile, de tennis ou des restaurants de Los Angeles, en clair de tout sauf de livres. il semblait peiné rien qu’à l’idée de parler de ceux présents sur ses rayons. Alors, allez savoir ! une chose ne fait pas de doute : moe était furieux. il était bien parti en plein milieu de sa propre barmitzvah, alors pourquoi ne remettrait-il pas le couvert ? il vint une nuit et se mit à remplir des cartons. Cartwright découvrit leur rupture quand il se pointa un matin pour l’ouverture et constata que la moitié de sa librairie s’était envolée. 11

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La solitude de la menora électrique

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Pour compliquer les choses, il existait un autre associé, un homme de l’ombre dont le rôle s’était limité à un apport de capitaux. Fils d’un rabbin chargé de l’abattage rituel dans le Dakota du Nord, on le disait petit, dynamique, avec toujours de bonnes histoires à raconter et une énorme crinière brune et bouclée. son nom : sam Hardin. instituteur dans une école publique et écrivain, il était également une sorte de magouilleur invétéré. malcom margolin, responsable de la maison d’édition Heyday Books, se rappelle la fois où il s’était promené dans Berkeley avec Hardin. il possédait des parts dans une boutique sur trois, qu’il s’agisse de librairies ou de magasins de stores. selon margolin, il aimait juste lancer des projets. ou peut-être avait-il une capacité d’attention limitée. À l’époque de leur promenade, Hardin gérait une affaire de location de boîtes aux lettres sur shattuck Avenue. elle ne dura qu’un an ou deux, comme toutes les autres. quoi qu’il en soit, la rupture ne fut pas belle à voir. Les deux associés étant liés par un contrat, moe dut sortir une énorme somme d’argent pour le rompre. il remboursa ses anciens associés et emporta le reste du stock. Cartwright, pour sa part, conserva le bail mais jura d’arrêter de vendre des livres. il planifiait d’ouvrir un magasin de glaces. ironie du sort, moe possédait également plus d’expérience que lui dans ce domaine, car il avait tenu un stand de glaces à New York. Cody’s Books libérait son emplacement situé juste en face, de l’autre côté de la rue. Bien que le local fût voué à être condamné, moe se précipita pour le louer. 12


La solitude de la menora électrique

D’après Pat Cody, moe avait tellement hâte de rompre son partenariat avec Cartwright qu’il eut « le culot de venir changer le nom sur notre store trois semaines avant qu’on quitte les lieux ». « mais il était comme ça », ajoute-t-elle dans un soupir. il existe de bons et de mauvais soupirs, mais gardez à l’esprit que dans le récit autobiographique de Pat sur Cody’s Books, moe (qui fut leur voisin pendant quarante ans) n’est pas mentionné une seule fois en 206 pages. quant à Cartwright, il rompit immédiatement sa promesse. il emprunta le nom du célèbre repère parisien de Henry miller et de richard Wright, et ouvrit son propre shakespeare & Co. dans les anciens locaux de rambam. Le magasin de Cartwright fut désormais mentionné en ces termes : « Cette boutique, là-bas », raconte Doris, la fille de moe. « il en fallait vraiment beaucoup pour que moe déteste quelqu’un, se souvient Bob Baldock. mais une fois qu’il te détestait, c’était pour la vie. » John Wong, un autre employé de longue date de moe, raconte la seule fois où ce dernier a mis les pieds à shakespeare & Co. : « il pourchassait un voleur. entré en trombe, il a compris où il se trouvait et a détalé aussitôt. » et le voleur ? moe le laissa à l’intérieur.

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La solitude de la menora électrique

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LA BATRACHOMYOMACHIE

Bertrand Schmid (trad.)

La Batrachomyomachie (ou combat des rats contre les grenouilles) est une parodie de l’Iliade, sans doute écrite aux alentours du IIIe siècle avant J.-C., durant la période hellénistique. Elle met en scène le combat d’une journée de ces deux nemesis, sur les modes épiques et comiques. Comme toute parodie, elle déforme certains éléments de son modèle, et se permet des jeux de traductions, de sens premiers et doubles, que ne manquent pas de relever l’apparat critique de ce texte. En outre, les citations exactes de certains vers de l’Iliade parsèment le texte, mais détournées de leur sens originel. L’origine de la guerre dans cette version ? Aussi idiote que toutes les autres, une grenouille offre son aide à un rat afin de traverser l’étang. Un accident survient. Le rat se noie. Et ouvre la brèche à la vengance et au ressentiment — sous la bénédiction des dieux, évidemment. Cette nouvelle traduction réactualise le langage habituel de la traduction du grec ancien en français. Généralement une douce odeur de patchoulis et de naphtaline tout droit sortie du XVIIIe siècle est utilisée pour nous rendre les classiques. Or, La Batrachomyomachie est un texte drôle et vivant qui nécessite un langage moins « convenable » pour en saisir la substance. Usant des patois québécois, romands et des idiomes régionaux de France, variant les registres de discours, Bertrand Schmid livre ici une nouvelle traduction caucasse et cependant annotée et précise de cette méconnue bataille littéraire. Hélice Hélas Editeur Rue des Marronniers 20 CH-1800 Vevey Tél.: ++41 21 922 90 20 litterature@helicehelas.org www.helicehelas.org > litterature@helicehelas.org Distribution Suisse : Servidis Chemin des Chalets 7 CH-1279 Chavannes-deBogis Tél.: ++41 22 960 95 10 www.servidis.ch > commande@servidis.ch Distribution France - Belgique : Serendip-Livres 21bis, rue Arnold Géraux FR - 93450 L’Île-St-Denis Tél.: ++33 14 038 18 14 www.serendip-livres.fr

Préface et lectorat de Sophie Bocksberger, enseignante à l’Université d’Oxford. Sur le traducteur Bertrand Schmid est né en 1975 à Lausanne. Après des études de grec ancien et d’égyptologie à l’Université de Genève, il se lance notamment dans l’écriture et la traduction. Il publie notamment L’Aiguilleur chez Inculte (2021) et Saison de ruines chez l’Âge d’Homme (2016). — Collection : Mycélium poche Genre : Récit para-homérique Sujets abordés : La guerre, la farce et le pastiche — Format 110x165 mm, 60 pages ISBN 978-2-940700-54-7 CHF 8 / EUR 6 Parution 1er avril 2023


En entamant ma première page, je formule secrètement le souhait que la chorale de l’Hélicon1 vienne en mon âme ratifier mon chant récemment couché sur les écritoires en travers de mes genoux2. Un combat infini ! Un tumulte guerrier ! Je veux remplir les oreilles de tous les mortels3 avec le récit que l’on faisait de la victorieuse marche des rongeurs — émules des géants, ces rejetons de la terre4 — contre les grenouilles. Voici comment cela commençait. Un jour, un rongeur assoiffé, fatigué par les menaces d’une belette5, planta son museau goulu dans une mare pour s’y délecter d’une eau melliflue. Un barboteur cyclopéen le vit et lui tint à peu près ce langage : « Qui es-tu6, étranger ? D’où es-tu venu sur cette plage ? Qui t’a engendré ? Dis-moi la stricte vérité de peur que je ne te croâ raconteur de salades. Car si je pense que tu es un ami convenable, je t’emmènerai dans mes pénates et nombreux seront les splendides cadeaux que je t’offrirai7 ! Moi, je suis le roi Bombebajoue, honoré dans tout l’étang comme le chef des grenouilles à perpète ! C’est mon père Bouedoin8 qui m’a élevé, lui qui s’est accouplé à Reinette 18


des Eaux près des rives de l’Atlantique9. Toi, je te flaire aussi bigrement calé et baraqué10. » En retour, Piquemiette11 couina alors : « Que diantre t’enquiers-tu de ma famille12 ? Tout le monde est au jus13. On me nomme Piquemiette. Je suis de la portée de mon père, Bectetourteau au grand cœur14. Ma mère Lichegraine, fille du roi Bectegraillon, me mit bas à Mayen15 et me styla en me gavant de figues et de cerneaux et d’ortolans éclectiques. Alors, comment pourrais-je être ton pote, moi dont la nature est si différente de la tienne ? Car tu coules tes jours dans la flotte ; moi, en revanche, j’ai coutume de grignoter tout ce que je puis trouver auprès des hominidés : ne m’échappent ni la baguette tirée de la bannette convexe16, ni la galette à la robe diaprée de mauve17 et de moult grains de sésame, ni la lamelle de graillon, ni le foie à la simarre opalescente, ni le fromage de lait doux fraîchement caillé, ni la bonne gimblette au miel — sur laquelle salivent même les dieux bienheureux ! — ni tout ce que les maîtres queux élaborent pour les agapes des mortels, chamarrant les écuelles d’aromates variées. Non ! Je ne grignote ni racine, ni mycose, ni courge et ne rupe 19


ni verdâtres porreaux, ni céleri : telles sont les boustifailles de vous autres barboteurs. » Bombebajoue sourit à ces couinements et coassa : « Etranger, tu fais trop grand coâ de ton estomac : il y a pour nous aussi moult merveilles à mirer, que ce soit dans l’étang ou sur terre. Le fils de Cronos, en effet, a donné comme part18 aux grenouilles un pâturage ambivalent : fringuer sur terre, celer son corps dans les eaux. Si tu souhaites t’instruire en cela aussi, c’est aisé : grimpe sur mon dos, agrippe-toi à moi au cas où tu te rétamerais, afin qu’en liesse tu gagnes ma demeure. » Ainsi coassa-t-il, et il offrit son dos ; le rongeur y monta rapidement et embrassa doucement de ses mains son cou délicat19. Le taureau ne porta-t-il pas de la sorte son lest chéri lorsqu’il emmenait Europe en Crète par les vagues20 ? C’est ainsi que la grenouille trimardait le rongeur sur son échine, allongeant son corps blême sur l’eau claire. Et le rat s’en délectait dans un premier temps, à la vue des rades voisines, ravi de la nage de Bombebajoue ; mais quand il se faisait doucher de hautes vagues21, il blâmait son vain repentir en pleurnichant, arrachait ses poils, serrait ses 20


Evgueny Kharitonov Résidence surveillée Traduit du russe (URSS) par Raphaëlle Pache, avec une préface d’Arthur Clech

Moscou, 29 juin 1981. Evgueni Kharitonov meurt à quarante ans d'une crise cardiaque rue Pouchkine, peu de temps après avoir envoyé aux États-Unis un manuscrit intitulé Résidence surveillée. Membre d’un groupe d'écrivains arrêtés un à un par le KGB, il s’attendait à l'être à son tour pour dissidence, après l'avoir été pour homosexualité. Né en 1941 à Novossibirsk, homme de théâtre et de cinéma, acteur et dramaturge, théoricien du pantomime, il traduisait notamment Ingeborg Bachmann et publiait en samizdat des textes inclassables, aujourd'hui reconnus pour leur influence sur la littérature russe contemporaine. Il est le premier lauréat, à titre posthume, du célèbre prix non officiel Andreï Biély, doté d'une pomme, d'un rouble et d'une bouteille de vodka. Résidence surveillée est ici publié pour la première fois en français. ISBN : 9782493205063 © Perspective cavalière, 2024 Graphisme : Débora Bertol Illustration : Christophe Merlin Couverture souple avec rabats 12,9 x 19,8 cm Environ 400 pages, 23 €

Date de publication : 23 janvier 2024 Contact presse & librairies : Étienne Gomez Antony Thalien 0679918283 06 31 20 71 63 editionsperspectivecavaliere@gmail.com

Résumé : Les textes composant Résidence surveillée ont circulé dans des journaux clandestins sous Brejnev. Depuis la mort de Kharitonov, ils ont été publiés en Russie par Glagol en 1993 (édition renouvelée en 2021), et en Angleterre, dans une traduction d’Arch Tait, par Serpent’s Tail en 1998 (édition épuisée). En France, seule une nouvelle intitulée Le Four a été publiée en 1997, dans une traduction de Wladimir Berelowitch, par Albin Michel dans une anthologie réunie par Victor Erofeev sous le titre Les Fleurs du mal russes : une révolution littéraire dans la nouvelle Russie. Les 13 textes ici sélectionnés sont les mêmes que ceux de l’édition anglaise. Les six premiers ont plus ou moins la forme de nouvelles évoquant la vie quotidienne en URSS et le cauchemar administratif du régime soviétique. Elles rappellent Kafka, Kosztolányi et Čapek. Le point de vue est cependant celui d’un homosexuel en même temps que d’un intellectuel, et la représentation humoristique ou désespérée de l’absurde s’accompagne parfois d’une recherche stylistique qui aboutit à une déconstruction de la prose classique (Aliocha Sérioja ; Un enfant viable ; L’un est comme ci, l’autre est autre ; Un locataire écrit au service du logement ; A., R., Moi ; L’achat du spinographe). Dans les sept derniers, d’autres formes d’écriture prennent le dessus : des formes autobiographiques comme celle des carnets ou du journal intime, avec une dimension à la fois réflexive argumentative, et des formes poétiques voire théâtrales, avec des jeux de mots, des ruptures de ton et des changements de typographie qui reflètent le sentiment de marginalité de l’auteur en tant qu’homosexuel et écrivain dissident (Un Russe qui ne boit pas ; Histoire d’un jeune garçon ou comment je suis devenu ce que je suis ; Larmes sur les fleurs ; Tract ; Froidement, au sens le plus élevé ; Les écrivains impubliables ; Larmes sur un étranglé). Deux textes sont particulièrement importants : le plus court, Tract, sorte de manifeste de la question homosexuelle en Russie soviétique, où Kharitonov dresse un parallèle avec la question juive, et le plus long, Larmes sur un étranglé, saisissant testament littéraire en même temps qu’hommage à un ami homosexuel assassiné. #inédit #Russie #URSS #Krouchtchev #Brejnev #KGB #samizdat #1960 #1970 #homosexualité #censure #gay #bisexualité #LGBT #dissidence #clandestinité


extrait n°1 #Aliocha Serioja L’incipit d’Aliocha Serioja, premier texte du recueil selon la chronologie des œuvres d’Evgueny Kharitonov, célèbre d’entrée de jeu l’un des amants du poète dans des termes sans ambiguïté. Il retire sa chemise à l’une de nos soirées et dénude son corps d’écolier. Perdant l’équilibre, il me tombe dessus, bien conscient que je ne peux détacher mon regard de lui. Il vous attire et vous laisse tomber sans effort, le garçon qui aime aimer et qui aime qu’on l’aime, il se joue de vous sans fausse note et vous comprenez qu’il se jouera pareillement d’un autre, avec le même sourire, la même légèreté caressante, quand sa danse l’éloignera de vous vers cet autre. Aliocha connaît sa valeur, toutes les têtes se tournent vers lui, il faut lui faire des cadeaux, revêtir vos plus beaux habits quand vous l’emmenez en visite chez vos amis, alors que lui-même s’est fagoté n’importe comment. Il s’attache sans s’embarrasser de circonvolutions, aimera qui se montrera désireux de l’aimer, se mettant même à son service pour s’occuper de lui. Et si, non content de l’aimer à travers vos écrits, vous désirez l’installer chez vous, il vous faudra aussi du talent dans ce domaine, une longue pratique, du style, de l’improvisation, une science du calcul et encore quelque chose d’autre : soit un talent pour la vie, soit une aptitude à vous nourrir de mots d’amour. Vous n’avez pas d’argent, votre vie se passe à quêter des louanges et il se lasse d’être le modèle de vos motifs littéraires, quand, après l’avoir étudié tout votre soûl, vous vous en détachez pour vous ensevelir une journée entière dans votre art. Vous n’êtes pas de taille à lutter contre lui, sur le plan de l’allure comme du comportement, c’est pourquoi vous êtes tellement attiré par lui, mourant d’amour, afin de l’embrasser, l’embrasser, l’embrasser, tel un chevalier rapace qui, après avoir mis la main sur un trésor, empêche quiconque de l’approcher. Vous prenez de vos baisers tout ce que vous êtes en train de perdre, qui ne sera pas restauré par les années et paraîtra même n’avoir jamais été, ces bras, ces jambes, ce corps, il les entraîne sur vous, avec l’esquisse d’un sourire, quand il sort dans la lumière. Et à la lumière du jour, quand ses bras et jambes ne vous appartiennent plus, vous compensez votre physique peu engageant par l’élégance de votre comportement, autrement dit par votre âme. Mais si vous voulez réussir dans l’amour mis en mots, votre âme ne parviendra pas jusqu’à lui. Sa jeunesse, son inculture l’empêcheront d’être touché par vos confessions. Vous pourriez peut-être les vendre sur le marché, comme une marchandise de la plus grande rareté et, grâce à votre amour mis en mots, vous voir reconnu par le gratin de la société et obtenir une place de vedette, parvenir dans une certaine mesure à l’égaler – par la façon de vous habiller, de vous entourer et par le climat que vous créez autour de vous… mais vous êtes un cas désespéré.

extrait n°2 #un Russe qui ne boit pas Le Russe qui ne boit pas, c’est le Russe en décalage avec la Russie, parce qu’il ne boit pas, ou parce qu’il est homosexuel, ou encore écrivain… Ce texte est le premier du recueil où Kharitonov interroge le statut d’écrivain dans la Russie soviétique. D’accord, nous sommes écrivains. Mais qui sont nos lecteurs et ceux qui nous diffusent ? Nous ne pouvons nous contenter de nous lire entre nous. Nous aurions du mal à nous acquitter mutuellement d’un tel écot. Cela nous détournerait de notre propre activité créatrice et nous causerait des dommages irréparables. Bien sûr, tu pourrais te débrouiller pour atteindre une situation où l’on t’exhiberait tout à fait tel que tu es, chez nous, dans notre Union soviétique, afin de montrer que chez nous aussi, il y a quelque chose d’européen. Et lors des soirées consacrées à tes œuvres, ce serait le KGB qui veillerait au respect de tes droits et l’on t’enverrait parader à l’étranger en tant que représentant exemplaire du front culturel. Malheureusement ce serait désagréable et désastreux, ça puerait la serre et une fausseté ignominieuse. Tu aurais ton propre petit fief délimité par un petit tirage de tes œuvres et des soirées officielles dans des Maisons de la Culture, où l’on te présenterait de manière à t’annihiler, c’est-à-dire en te réduisant à un artisan inoffensif. Et en échange, tu ne recevrais que de la haine de la part de tes camarades, qui verraient en toi celui qui s’est enrichi quand eux sont demeurés pauvres. Et ils auraient raison. […]


Donc non, il ne faudra pas s’attendre à beaucoup de célébrité ni à se faire un nom retentissant, autant vivre en partant de ce constat. Je ne figurerai pas dans les ouvrages de référence et je ne serai soigné que dans une clinique ordinaire, en cas de maladie. Et alors, où est le problème ? Je dois trouver mon bonheur ailleurs. Jamais je n’atteindrai le firmament social, jamais je n’habiterai une datcha au milieu des pins. Pouchkine a écrit : « En rentrant chez toi, pendant la nuit, s’appuyer sur un esclave. » Eh bien, il faut être ton propre esclave et passer la moitié de ton temps à subvenir à tes besoins, l’autre moitié à dormir de fatigue.

extrait n°3 #larmes sur un étranglé Texte essentiel, Larmes sur un étranglé fait figure de testament en même temps que d’hommage à l’ami homosexuel assassiné. Kharitonov, qui fut accusé de ce meurtre par le KGB quelques années avant sa propre mort, dresse ici un bilan de ses influences artistiques et de son œuvre littéraire. On m’a traîné Quel droit il a, ce policier de merde, de me saisir la main avec sa grosse paluche pour montrer à un autre type de son espèce comment relever des empreintes digitales ? De quel droit ce gros bourrin d’assistant du magistrat instructeur s’adresse à moi comme si ma culpabilité était d’ores et déjà établie ? Pourquoi ne me présentera-t-il jamais ses excuses ou ne sera-t-il jamais tourmenté par le remords, la nuit, quand il aura appris que je ne suis vraiment pour rien dans cette histoire ? Dites-moi, quand vous aurez compris que je ne suis effectivement impliqué ni de près ni de loin dans votre affaire, aurez-vous la décence de vous excuser ? Quel droit a-t-il de me menacer d’un examen médical, sans songer avec sa tête d’abruti que cette soidisant expertise n’est en soi qu’une invention sadique incapable de prouver quoi que ce soit ? Que des traces n’auraient pu être trouvées que si vous l’aviez pratiquée juste après le coït et que s’il s’était écoulé ne seraitce qu’un jour, tout serait éliminé ? Même si vous découvriez des abrasions ou de vieilles cicatrices dans mon rectum, il me serait toujours possible de prétendre qu’elles résultent de constipations, de lavements et vous ne pourriez rien prouver. Ou que je me suis adonné à l’onanisme avec le manche d’une perceuse. Réponse de la Pravda : « La loi soviétique : comment la comprendre ? » « Bon, vous comprenez bien vous-mêmes que nous sommes prêts à fermer les yeux et nous les fermons effectivement sur des actes de cette nature quand ils s’accomplissent en douce, ou s’ils sont dissimulés par toutes sortes de mots qui détournent l’attention. En présentant ces actes comme de l’art, mettons. Nous expliquons aux gens ordinaires que telle pièce parle du racisme à l’étranger. Le jeune homme blanc en train de mourir sait bien qu’il se languit du noir, comme chez Limonov, mais le programme ne présente la chose au public qu’en termes de racisme. Ou bien, vous admirez tout un tas de danseurs nus – et c’est là, la visée du spectacle –, mais pour les gens ordinaires, il s’agit de Grèce antique et de lutte pour la liberté. Que Richter fasse ce qu’il veut dans sa grande maison, du moment qu’il est Richter… Pour les gens ordinaires, il initie des jeunes gens à la beauté et, naturellement, nous fermons les yeux sur ce qui se passe. Mais si nous autorisions tout à tout le monde, si nous appelions les choses par leur véritable nom, qu’en serait-il de notre vision communiste des choses ? Comment ces deux attitudes pourraient-elles être compatibles ? Car la créature que vous êtes devenu aurait dû être étouffée dès la naissance. Non. Nous pouvons décrocher notre téléphone et l’affaire sera classée, mais la loi doit demeurer la loi pour que les gens restent à leur place et que notre idéologie soit défendue. Et nous ne permettrons à personne de mentionner ouvertement dans la presse que ce genre de choses existe en Union soviétique. Nous n’avons pas de ça ici. Nous avons peut-être tout dans la réalité, mais sur le papier, ça n’existe pas, mettez-vous-le dans le crâne, sans quoi nous n’aurons pas d’autre choix que de vous faire subir la loi dans toute sa rigueur. Pauvre Vs. N., il voulait juste aider Sacha. Il lui a apporté de la nourriture parce que Sacha était seul. Sacha est bon, mais malheureux. Le vent souffle en rafales, nous avons nos maisons bien chauffées et lui se trouve dans une cellule, le crâne rasé, sous la lumière crue d’une ampoule électrique, alors même que sa culpabilité n’a pas été prouvée. Et Vs. N. aussi. J’espère que tout finira bien, comme chez Dickens.


on écrasait le jeune homme entre des murs inutile de lutter de crier d’abord un piqûre et puis pire dans la cellule comme dans ton lit il se déshabillera devant les docteurs il dansera on lui fera un massage on lui écartera tendrement les fesses une piqûre il dort un mirage on peut alors l’écraser sans douleur la dernière des minutes de sa vie quand il s’est déshabillé jusqu’au slip le docteur s’est approché s’est penché et tendrement lui a posé un garrot

« Un mélange d’observation et de rêverie autobiographique dans la tradition de Rozanov, avec un peu de Gogol et du premier Samuel Beckett du point de vue de l’humour : feu d’artifice intime entre quatre murs de béton chez un homme qui rêve d’évasion et d’amour avec toute l’astringence de la résignation. Sans désespoir – car si le communisme ne laissait pas de place à l’homosexualité, tel n’a jamais été le cas de la Russie. » (Duncan Fallowell traduit par Étienne Gomez)

Portrait d’Evgueny Kharitonov par Marlene Dumas « Carte blanche à Marlene Dumas » M Le magazine du Monde, 23-24 avril 2022

« Apparut une nouvelle écriture de l’amour : passionnée, extrêmement crue et timide à la fois, suffocante, dont la tension intérieure était sur le point de lâcher, au bord de la crise cardiaque. Depuis Tourgueniev, la littérature russe n’avait pas connu d’expression aussi pure, aussi fébrile de l’amour. (Viktor Erofeev traduit par Arthur Clech)


Bienvenue dans la vallée des larmes Noëmi Lerch Traduit de l’allemand par Yann Stutzig PRÉSENTATION « Zoppo peut se taire doublement et triplement. Son mutisme est un oignon. Il a beaucoup de couches différentes.»

En librairie mai 2024 Format : 14x 21 Pages : 296 p. Reliure : broché

Un homme a quitté son village en bord de mer. Il a trouvé du travail sur un alpage, en Suisse. Les autres, ils l’appellent le Bouèbe. L’homme à tout faire. Les autres, ce sont Zoppo et le Lombard. Ils initient le Bouèbe à leur monde, au langage de leur travail. La vie à l’alpage n’est romantique que pour les touristes. Le Bouèbe est fier d’être l’un des véritables gardiens de cette vie têtue au bord de la vaste plaine. La vaste plaine est leur église. Tout un été, ils suivent leurs bêtes sur des chemins invisibles, le long d’une logique de la terre apparemment externe et secrètement interne. Mais la vaste plaine a ses propres lois. Elle est à la fois mystère et danger. Plus les trois hommes s’enfoncent dans son silence, plus elle devient vaste et impraticable. Le langage comme moyen de communication menace de disparaître. Le livre, proche du roman graphique, est illustré par Walter Wolff, duo composé d’Alexandra Kaufmann et Hanin Lerch.

rayon : Littérature traduite Prix : € / CHF ISBN 978-2-8290-0687-6

AUTRICE

DIFFUSION ET DISTRIBUTION SUISSE Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch / www.enbas.net

Noëmi Lerch, née en 1987, a étudié à l’Institut littéraire suisse de Bienne, puis à l’Université de Lausanne. Elle a ensuite travaillé comme journaliste. Elle est actuellement bergère et écrivaine. En 2016, elle a reçu le prix littéraire Terra-Nova de la Fondation Schiller pour Die Pürin, (La payîsanna, en bas, 2020). En 2017 est paru son deuxième roman, Grit (traduit aux éditions d'en bas en 2022). Elle a reçu le Prix suisse de littérature 2020 pour son troisième roman, Willkommen im Tal der Tränen (2019), ici traduit sous le titre Bienvenue dans la vallée des larmes. Ses trois romans en allemand sont parus chez verlag die brotsuppe.

TRADUCTEUR Yann Stutzig est né en 1973 dans la région parisienne. Il a étudié l’allemand, le français et l’espagnol à l’Université de Lausanne, puis a vécu à Berlin et Madrid. Il enseigne l’allemand au gymnase et se consacre parallèlement à la traduction littéraire.

DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE Paon diffusion/SERENDIP livres

Paon diffusion – 44 rue Auguste Poullain – 93200 SAINT-DENIS SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14 contact@serendip-livres.fr gencod dilicom 3019000119404



Ô Nuit ! Toi, la plus ancienne de toutes les vaches. Combien as-tu aimé ? Combien as-tu pris sur toi ? Combien as-tu porté, puis déposé dans l’herbe, toujours et encore ?



Tu restes là, comme une vieille aubergiste. Trapue, au centre. Trapue, tu regardes audehors, depuis le centre. Autour de toi, du remue-ménage. Des luttes de pouvoir entre ombre et lumière. On se bat jalousement pour les meilleures places où s’allonger. Pour toi, ce sont des enfantillages. Tu es au-dessus. Tu peux te coucher là où tu veux. Tout s’écarte sur ton passage et toi, tu t’allonges. Tu respires avec difficulté à cause du poids que tu portes en toi. Et l’herbe que tu foules ploie sous tes pas.



Hein, Nuit ! Toi aussi tu en as fait, du blé. Du gain comme du regain.



Zoppo rêve. Il est debout dans la lumière blanche. Il se regarde depuis le haut. Voit des pantalons blancs, des bottes blanches, un tablier blanc. Il lève les yeux. Dans la lumière blanche. Il se retourne. Voit alors une minuscule fenêtre. Devant la fenêtre, ses pâturages. Des hommes plantent des arbres. Zoppo cherche le lac, le ciel. Un homme passe devant la fenêtre. Le sol foulé par l’homme est si haut, ou Zoppo se trouve si bas, qu’il ne voit que les bottes de l’homme. Des bottes blanches. Excusez-moi, demande Zoppo à l’homme. Qu’est-ce qu’ils font ? La nature sauvage, dit l’homme. Zoppo réfléchit. Il voit ses pâturages à travers la minuscule fenêtre. Il n’est ni tôt ni tard. Il ne fait ni chaud ni froid. Pas un souffle de vent. Pas un trait de lumière. Pas une parcelle d’ombre.


éditions Hourra

Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos John Berger isbn 978-2-491297-07-7

littérature anglaise

genre

poésie, récit, essai thèmes

amour, histoire de l’art, essai politique

fiche technique 160 pages offset noir Sirio color Flamingo & Arena Ivory brochures cousues format 11x18 cm prix 22 € traduction après-propos

Katya Berger Liza Maignan

parution le 03/05/2024 contact diffusion Paon diffusion paon.diffusion@gmail.com distribution Serendip-livres contact@serendip-livres.fr édition Hourra contact@editions-hourra.net

Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos, paru en Angleterre en 1984, est un texte majeur de John Berger qui fait autant appel à des formes poétiques qu’à de l’essai politique. En fil rouge de considérations sur le monde, sur l’histoire de l’art, on retrouve un tendre récit adressé à l’être aimé. Le texte est ici présenté dans une nouvelle traduction par Katya Berger et commenté en clôture de livre par Liza Maignan.


éditions Hourra

Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos John Berger isbn 978-2-491297-07-7

littérature anglaise

Poème qui ouvre le récit dont est issu le titre du livre. ↑


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Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos John Berger isbn 978-2-491297-07-7

littérature anglaise

commentaire du livre par christian bobin en 1991 Quand j’ai refermé ce livre, j’ai pensé à un passage de l’évangile de saint Luc. C’est un jour, dans l’été. Les apôtres traversent un champ de blé : « et ils arrachaient et mangeait des épis en les froissant dans leurs mains. » Et bien ce livre est écrit comme ça : par un homme qui est plusieurs, par un homme qui a douze voix pour nommer son amour, par un homme qui traverse l’épaisseur du monde pour suivre son amour, ralentissant à peine son pas pour se nourrir des beaux épis du songe. La fuite d’un lièvre, l’entêtement des pauvres, la brillance d’un lilas, la lassitude d’une postière ou le gémissement d’un arbren tout lui est nourriture, élément d’une lettre à l’aimée. Celui qui aime est en exil dans son amour. Jamais il ne rejoindra celle qu’il aime, même dans la rivière du lit, même dans le feuillage de ses bras. Cette distance entre les amants est celle aussi qui sépare l’ouvrier de sa peine, le peintre de la lumière, les vivants des morts. Dans cette distance infranchissable s’enflamment ces mots : je te découvre dans tout ce qui t’éloigne. Je te rejoins dans tout ce qui me manque. C’est tout. C’est tout ce que pour l’heure je saurais dire de ce livre insensé - à peine un livre en vérité : un sillage dans le milieu des blés, un chemin tout vibrant de lumière. pourquoi on le réédite Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos, paru en Angleterre en 1984, est un texte majeur de John Berger qui se situe à l’intersection entre plusieurs genres littéraires, entre différents propos. On y retrouve une succession d’essais sur littérature, la poésie, l’art, le politique. On y retrouve aussi de l’intime, des considérations sur le quotidien, et comme fil rouge de la narration, une adresse directe à l’autre, à l’être aimé. Ce texte, remarquable par la qualité de son écriture, alterne avec finesse entre des poèmes et des textes de théorie esthétique ou politique. A sa sortie, John Berger avait participé à un projet avec le photographe Marc Pataut, Aulnay-sous-Quoi, - on a pu l’entendre lire et parler sur France Culture - et ce texte continue aujourd’hui de résonner fortement avec la scène artistique contemporaine, il fait toujours référence pour les artistes à l’engagement social marqué. En publiant ici une nouvelle traduction et en commandant une postface à Liza Maignan, nous prétendons rendre accessible ce texte à une génération qui n’était pas née à sa publication mais qui continue de se poser les mêmes questions que John Berger en son temps.


éditions Hourra

Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos John Berger isbn 978-2-491297-07-7

littérature anglaise

↑ Passage iconique du livre, où figure un simple rectangle blanc, John Berger décrit une photographie, en fait un commentaire politique. A l’heure où une simple oreille photographiée peut conduire un manifestant en prison, ce passage est très précieux tant il nous parle de la responsabilité des images, de la nécessité de parfois s’abstenir d’en faire ou d’en diffuser.


éditions Hourra ce qu’on y trouve Ce texte est un poème, un conte, un manifeste, à l’amour et sa distance. Pour John Berger, tout est prétexte à témoigner de son amour. La première partie, pour laquelle il est question du temps, évoque : La photographie d’identité, la fuite d’un lièvre, Karl Marx, l’observation des visages, les travailleurs révolutionnaires, Rembrandt, un poirier, un bureau de poste. La seconde partie, pour laquelle il est question de l’espace, évoque : La distance, la fleur du lilas, la notion de home, l’émigration, Van Gogh, le Caravage, l’univers, la poésie.

Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos John Berger isbn 978-2-491297-07-7

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éditions Hourra

Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos John Berger isbn 978-2-491297-07-7

littérature anglaise

john berger - auteur John Berger (1926-2017) est un écrivain anglais. Il est remarqué pour sa série documentaire de critique d’art Ways of Seing, diffusée sur la BBC en 1972, mais aussi pour avoir obtenu le Booker Prize pour son roman G la même année. Son engagement politique, constant au fil de sa carrière, le poussera à partager sa récompense avec le Black Panther Party. liza maignan - après-propos Liza Maignan (1990) est autrice, directrice de la galerie Florence Loewy et commissaire d’exposition française. Son travail d’écriture a fait l’objet de publications dans des ouvrages collectifs et a bénéficié de la bourse TextWork en 2023 pour une recherche sur les Rumeurs des villes. katya berger - traductrice Katya Berger Andreadakis (1961) est une autrice et traductrice anglaise. Fille de John Berger, ayant vécu longtemps en HauteSavoie, elle traduit nombre de ses livres vers le français. Elle est co-autrice de la pièce de théâtre Est-ce que tu dors ? (2012) et du livre Titien, la nymphe et le berger (2003).

la maison d’édition — Honneur à celles par qui le scandale arrive ! Hourra : cri de joie, cri de guerre Les éditions Hourra publient de la poésie et des écrits sur l’art. Créée en 2019 sur la montagne limousine, la maison naît de l’envie de défendre des pratiques d’écritures marginales où se rencontrent le poétique et le politique. Fruit d’amitiés et d’intuitions communes, elle réunit des artistes et des autrices pour qui la révolte fait corps avec la beauté. éditions Hourra |36, avenue Porte de la Corrèze |19170 Lacelle www.editions-hourra.net



Fumiko Hayashi

Éditions du Canoë

2024

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Juin

Genre : récit Traduit et préfacé par René de Ceccatty Format : 12 x 18,5 cm Pages : 128 Prix : 12 € ISBN : 978-2-490251-91-9 Durant sa brève vie, Fumiko Hayashi (1903-1951) publia régulièrement poèmes, récits autobiographiques, nouvelles et contes pour enfants dans des revues avant de les reprendre en volumes. Née dans un milieu très modeste de marchands ambulants, elle a été adoptée par le second mari de sa mère et a suivi ses parents dans leurs pérégrinations (ce qui lui a inspiré son premier livre Hôrôki, qui, après avoir paru en feuilleton, a été édité en volume en 1930, obtenant un immense succès, et a été traduit très tardivement en français sous le titre Vagabonde). Grande voyageuse, elle s’est très rapidement intéressée aux autres littératures du monde, qu’elle lisait en traductions japonaises (notamment la littérature prolétarienne russe, mais aussi les romans français situés dans les classes situés dans les classes populaires, comme les œuvres de Francis Carco et de Charles-Louis Philippe), et elle a vécu en France, en Italie, en Mandchourie et en Indonésie.

Contact : colette.lambrichs@gmail.com Relation libraires : jean-luc.remaud@wanadoo.fr Éditions Du Canoë : 9, place Gustave Sudre 33710 Bourg-sur-Gironde

Papa est une « novella », à mi-chemin entre le conte et le récit narratif, mais aussi entre la nouvelle et le roman, et entre la littérature pour la jeunesse et celle qui est destinée aux adultes. Sa particularité est sa forme poétique et l’évolution progressive de la réflexion du narrateur qui entre, en écrivant, dans le monde de la conscience adulte, sous la pression d’événements politiques dramatiques (en l’occurrence la défaite du Japon) qui sont intériorisés et transfigurés par sa sensibilité enfantine. La guerre traduite par un regard enfantin a donné lieu à plusieurs chefs-d’œuvre de la littérature japonaises (en particulier de Kenzaburô Ôé, Kenji Miyazawa ou Masuji Ibuse). Cette « novella » s’ajoute dignement à cette liste.

Téléphone : 06 60 40 19 16 Téléphone : 06 62 68 55 13 Local parisien : 2, rue du Regard 75006 Paris c/o Galerie Exils

Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip


Je m’émerveille de tout. Je m’émerveille même de regarder le ciel. Dans la journée, les nuages flottent doucement dans le ciel bleu qui s’étend à l’infini. Quand vient la nuit, le ciel bleu s’assombrit, et il est sombre à l’infini, puis, de temps en temps, des étoiles scintillent. Chacune doit porter un nom. Moi, je reconnais la Grande Ourse. Et je m’émerveille de reconnaître les quatre points cardinaux. Et puis je m’émerveille de regarder le jardin. Un winterberry japonais pousse dans le jardin de ma maison. Il porte en ce moment de jolies baies rouges. Comme c’est un arbre très pauvre, je m’émerveille de voir ces baies rouges comme des yeux de lapins. Et ensuite, j’ai reçu de Yô-san des mandarines, et je m’émerveille qu’elles soient si bonnes ! Papa a dit que c’est bien de s’émerveiller de tout. Il disait que ne rien sentir, quoi que l’on voie, était une vie triste pour un être humain. Deux ou trois jours après notre visite chez Yô-san, c’est lui qui est venu chez nous, et comme je racontais que 3


tout m’émerveillait, il a répondu : « Hé oui, dans notre monde, tout n’est que mystère merveilleux. Mais ce qui est intéressant, c’est de résoudre ces mystères merveilleux, un par un. » Yô-san adore s’amuser avec des appareils. Avec cela, il a une excellente oreille, et quand notre radio fait un drôle de bruit qui brouille le son, il va aussitôt devant l’appareil et tourne le bouton pour retrouver la juste fréquence. Il aime la musique. Entendre de jolis sons est une expérience agréable. Et puis, j’aime aussi la voix de papa et maman. Quand je rentre de l’école, la voix de maman suffit à me rendre heureux et à me donner une sensation de sécurité.

Hier, j’ai accompagné maman à Shinjuku et on a trouvé des bougies bon marché. Quand elle trouve quelque chose de bon marché, maman semble tout heureuse et dit : « Ah, grâce au ciel ! » Je m’émerveille que les choses soient si chères, sans comprendre pourquoi. Quand maman était petite, il y avait des tas de choses très bien bon marché, je crois. 6.

Quand maman va faire les courses, je l’accompagne toujours avec un sac à dos. « C’est bien de pouvoir être aidé déjà par Kenchan, à l’âge qu’il a », disent les vieilles du quartier. Maman répond en riant : « Oui, c’est mieux que d’y aller seule, si je vais seule, je ne peux pas dire, c’est cher, n’y a-t-il pas quelque chose de bon marché ?... Alors qu’avec un petit garçon, j’ose tout dire et c’est une consolation. »

Là, quand tombe le soir, papa dit en rentrant : « Ouf, je suis crevé. » Shizuko et Hiroshi-chan, comme ils sont petits, réclament toujours d’une seule voix : « Papa, tu nous as rapporté un cadeau… ? » Alors je leur fais les gros yeux. On a beau dire et répéter à Shizuko que papa va chercher du travail, elle a tout l’air de ne rien comprendre. Le visage rond de papa a un peu maigri. Après le dîner, je lui tapote les épaules. Il paraît très triste ces temps-ci. Je me dis qu’il n’y a rien qui puisse le réjouir. Ce soir, comme il était particulièrement triste, j’ai dormi avec lui. « Papa… —Qu’y a-t-il ? —Quel âge as-tu, papa ?

4

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Papa en ce moment cherche du travail. Il a perdu le travail qu’il avait avant la guerre et maintenant il n’en a plus. Tous les jours il doit sortir de chez nous. Maman me dit, papa va vite trouver un bon travail et tout ira bien.


—Quel âge ? Eh bien, mes années… voyons… un an de plus… — Maintenant, ça t’en fait combien ? —Maintenant, trente-quatre. — Tu es encore jeune. — Ha ha ha, jeune dis-tu, mais bientôt j’en aurai trente-cinq. — Moi aussi, comme papa, j’aurai rapidement trente-cinq ans. — Eh bien, quand tu seras grand, Kenbô, j’espère que les temps seront meilleurs, et peu importe que tu ne sois pas quelqu’un de remarquable, ce qui compte c’est d’être une brave personne au cœur loyal », me dit papa en remontant la couette jusqu’à mes épaules pour que je n’aie pas froid. Maman qui se trouvait dans l’autre pièce dit : « Hé, je pense que six litres de riz gluant suffiront, non, pour faire des mochi ? » J’ai dit que j’étais content, hein. « On va emprunter aux voisins les instruments pour en faire et on va leur dire qu’on les préparera ensemble. On n’en aura pas beaucoup, mais assez pour que les enfants soient heureux. » Papa a répété : « Oui, c’est bien comme ça, même s’il n’y en a pas beaucoup, les enfants seront heureux ! » « Quand est-ce qu’on fait les mochi ? » ai-je demandé depuis mon lit. Et maman m’a répondu : « Le 31, tu pourras nous aider, Kenchan. » J’étais si heureux que mon cœur s’emballa.

Je croyais déjà entendre le bruit élastique que l’on fait en préparant des mochi. Quelqu’un hélait dans le vestibule. Papa a appelé maman : « À cette heure-ci ? C’est vraiment inquiétant. Qui ça peut être ? » La pendule sonna neuf heures. Papa se releva de mauvaise grâce. Il fit entrer quelqu’un : « Ouh, ça n’a pas l’air d’aller du tout, entre donc. » Maman alla voir, elle aussi. Je tendis l’oreille pour savoir qui c’était.

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« Ah, mais qu’est-ce qui a bien pu vous arriver, à tous les deux ?! Vous avez dû avoir très froid, vite, entrez… » Je ne pouvais pas entendre la voix des visiteurs. « Oh, c’est un gros poisson, une pagre à tête noire, n’est-ce pas ? » La voix de maman. On avait apporté un poisson ? C’était vraiment bizarre d’apporter un poisson aussi tard, qui ça pouvait être ? J’avais peur de ce que ça annonçait. 7. Le lendemain matin, au réveil, j’ai vu dans la cuisine un cageot avec la pagre à tête noire.


« Il est magnifique ! » Quand je me suis écrié ainsi, Hiroshi-chan qui s’était réveillé est accouru, tout surpris. Dans le salon, le visiteur était déjà en train de prendre son petit-déjeuner. Comme je me demandais qui c’était, Shizuko m’a appris que c’était notre voisin Tonton Yoshida. Il n’y a pas d’enfant dans la famille Yoshida, alors comme la vieille Mémé est morte, ils ont été évacués très tôt à Utsunomiya et des gens appelés Ando ont déménagé dans le voisinage. Les Yoshida semblent avoir eu leur maison brûlée à Utsunomiya. À ce point, ils ont dû malgré eux penser qu’il aurait mieux valu être, tout compte fait, à Tôkyô. La Mémé était donc décédée chez les Yoshida. C’était une Mémé très gentille, et bien qu’elle n’ait plus de bons yeux, quand nous allions dans le jardin de derrière, elle me reconnaissait tout de suite et l’été, elle me donnait des conserves vides et des boîtes en bois. Et avec les conserves, je pouvais aller pécher des oryzias. Et je me servais des boîtes en bois pour ma collection de papillons. Étant une Yoshida, la grand-mère connaissait le nom des fleurs et des plantes, et elle m’apprenait ceux de toutes celles que je lui apportais. Quand parfois j’accompagnais papa dans les montagnes de Shinano, je rapportais beaucoup d’herbes et j’interrogeais Mémé Yoshida.

Elle m’apprenait, l’une après l’autre, toutes les dénominations : hamamelis japonica, quercus dentata, carpinus laxiflora, carpinus Chonowski, ligustrum japonicum, typha latifolia aux fleurs blanches, deutzia crenata, deutzia de Hakone aux fleurs rouges, euonymus alatus des montagnes comme l’alternanthera. J’aimais vraiment Mémé Yoshida. Elle portait souvent un gilet de kimono en crêpe rouge, avec des motifs de grue. Elle a péri en plein raid aérien à Utsunomiya. J’ai demandé à Tonton Yoshida : « Il y a la mer à Utsunomiya ? » Il a éclaté de rire et il a dit : « Parce que je l’ai rapporté de la montagne, Kenchan s’est émerveillé… » C’est qu’il semble qu’hier il ait acheté à Funabashi la pagre à tête noire et qu’il nous l’ait apportée chez nous. Mémé Yoshida adorait le poisson. Moi, je préfère les légumes. Je raffole des marmites de racines de bardane. Mais comme les légumes sont chers, ces temps derniers, maman ne peut absolument pas se permettre de préparer cette marmite. Mémé Yoshida est morte à quatre-vingt-deux ans, je crois. Je me suis dit qu’elle avait eu une très longue vie. On prétend que les êtres humains ne peuvent vivre que cinquante ans, alors j’étais surpris que Mémé Yoshida ait pu vivre comme deux. « Une longue vie, hein… » a dit maman, en ajoutant :

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« Eh bien, excusez-moi, mais avoir une aussi longue vie, c’est vraiment une belle chose. » Je ne sais pas pourquoi vivre longtemps est une bonne chose, mais je pense que ce serait bien si papa et maman pouvaient vivre longtemps. Tonton Yoshida est resté dormir chez nous deux ou trois nuits. Il nous a dit qu’il commençait un nouveau travail à Tôkyô. Tonton Yoshida est petit et très rondouillard, il est très gentil avec les enfants, et je l’aime beaucoup. Il ne se met jamais en colère. Il sourit tout le temps et quand il n’a rien à faire, il trouve toujours de quoi s’occuper. Il propose de couper du bois. Ou d’aider à préparer les mochi. Il dit qu’il était impatient de trouver une maison à Tôkyô. Il dit que ce dont il a le plus de nostalgie, c’est un endroit où vivre longtemps.

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MAISON D'ÉDITION MARSEILLE www.heliotropismes.com


DÎNER À DOUARNENEZ SUIVI DE “NIGGER LOVER” ET “BROWNSKIN BLUES”

Lorsque j'ai vu Douarnenez, je suis retombé amoureux. La baie était envahie de petits bateaux de pêche et de gros chalutiers peints de couleurs voyantes; les filets bleus suspendus aux mâts ressemblaient à des voilages tombés du ciel; et, comme des mots jaillis de la bouche d'un agitateur pendant un meeting politique, les noms de beaucoup de ces embarcations vous interpelaient violemment: «Lénine», «Jean Jaurès», «Prolétaire», «Drapeau rouge», «L'Internationale», «Révolution», «Moscou». On avait surnommé la ville «Douarnenez la rouge».

RÉSUMÉ Dîner à Douarnenez regroupe trois nouvelles de Claude McKay, écrivain sans frontières, auteur de Banjo et Romance in Marseille : "Dîner à Douarnenez" (inédit, retrouvé dans les archives personnelles de l'auteur) et "Nigger Lover", dont l'action se situe à Marseille, abordent de front la question des préjugés racistes dans la France des années 1920. Deux nouvelles sur son séjour et sur deux ports essentiels dans la construction d'une identité diasporique. Enfin, “Brownskin blues” est une nouvelle sur les préjugés interraciaux, dans un cabaret de Harlem, au coeur des années 1920. Été 1925, Finistère. Claude McKay, qui voyage de Marseille à Saint-Pierre de Brest pour rendre visite à son ami Lucien, apprend en chemin le décès de ce dernier. Il erre alors sur le littoral breton et découvre le petit port de Douarnenez. De cette expérience, il tire un récit lumineux, ode à l’hospitalité et à une pensée transculturelle. Invité chez un pêcheur du village, le narrateur (qui pourrait bien être McKay lui-même) sera témoin d’un bouleversant récit d’amitié, à son tour fervente critique du racisme ordinaire. Dans ces nouvelles, on retrouve l’infatigable écrivain-voyageur, qui vient nous murmurer, quelques années avant Banjo, Retour à Harlem ou Romance in Marseille, les germes de sa «pensée du large».

L'AUTEUR Né en 1889 en Jamaïque, Claude McKay est l’auteur de recueils de poésie et de romans, parmi lesquels Home to Harlem (1928), Banjo (1929) et Romance in Marseille (publié de manière posthume en 2020). Il est considéré comme l'un des écrivains les plus emblématiques mais aussi les plus marginaux de la Renaissance de Harlem, reconnu pour son intense engagement à exprimer les défis et les problématiques auxquels sont confrontés les Noirs aux Etats-Unis et en Europe.

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DÎNER À DOUARNENEZ SUIVI DE NIGGER LOVER

NIGGER LOVER : MARSEILLE ACTE III Après Banjo et Romance in Marseille, Nigger lover est le troisième récit “marseillais” de Claude McKay, qui a fréquemment séjourné dans la ville de 1924 à 1928. Publiée dans le recueil Gingertown (1933), cette nouvelle est l’histoire d’une rédemption, celle d’une prostituée qui, dépassant ses préjugés raciaux, gagne le surnom de “Nigger Lover” après sa rencontre avec un soutier noir. Dans cette nouvelle, McKay redécouvre le quartier de la “Fosse” à Marseille en proposant une vision intérieure de ce quartier foisonnant, à travers ses lieux de débauche, et en s’immisçant dans les rapports interpersonnels qui y sont noués.

DOUARNENEZ, NOUVELLE INÉDITE L’attrait de McKay pour Douarnenez avait déjà été évoqué dans son autobiographie, Un sacré bout de chemin. Conservée dans ses archives personnelles, cette nouvelle qui n'a toujours pas été publiée aux États-Unis, est un témoignage du voyage entrepris par Claude McKay en 1925, et qu’il relate dans sa correspondance. Un aperçu du tapuscrit original est proposé dans ce recueil

DÎNER À DOUARNENEZ / CLAUDE MCKAY Collection : Harlem Shadows n°4 Parution : juin 2024 ISBN : 979-10-97210-13-7 Format : 115 x 175 mm Prix : 12€ TTC

Nombre de pages : 100 Préface : Jarrett Brown Traduction : Jean-Max Guieu Dessins et graphisme : Carlos Chirivella Lopez

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Préface : Valérie Berty Dessins et graphisme : Carlos Chirivella Lopez Directeur de collectio : Armando Coxe

LA COLLECTION : HARLEM SHADOWS « Mecque noire », lieu providentiel et sacralisé, chargé d’un symbolisme fécond mais équivoque, le Harlem des années 1920 a cristallisé le rêve d’une ère nouvelle empreinte de liberté, de fierté raciale et de foisonnement culturel. Si le mouvement culturel qui y vit le jour se heurta rapidement à d’infranchissables dilemmes (volonté de respectabilité, d’élitisme et par conséquent méfiance des arts populaires) et finit par s’essouffler, l’ombre de la Renaissance de Harlem, à travers des voix et des talents comme ceux de Langston Hugues, Zora Neale Hurston, Claude McKay, Ann Petry, Aaron Douglas ou Duke Ellington, finira par s’étendre aux mouvements sociaux, politiques et culturels noirs du monde entier. Avec cette collection, qui emprunte son nom au recueil de poésie de Claude McKay, Harlem Shadows, nous souhaitons mettre en lumière les voix singulières, les récits perdus ou périphériques qui ont gravité, gravitent et graviteront autour, en marge ou dans l’orbite du New Negro.

HÉLIOTROPISMES Créée en 2017 à Marseille, Héliotropismes est une maison d’édition qui publie de la littérature des marges et s’intéresse aux mémoires sociales qui gravitent en périphérie. Elle porte une attention particulière aux récits-frontière qui retracent les expériences de l’exil, des marges sociales ou urbaines, sans aucune concession. Qu’ils se situent à l'intersection de plusieurs thématiques sociales, qu’ils soulignent la spécificité de conditions marginales et l’interaction des catégories de différence, les textes que nous défendons ont pour vocation de se situer à la croisée des genres, d’où leur trajectoire éditoriale passée, parfois accidentée. Notre maison d’édition fait le choix, au détriment d’une quelconque « identité » ou « ligne éditoriale » de mettre en avant la porosité, l’hybridité des genres littéraires et des sujets abordés. Notre démarche consiste avant tout à se mettre au service d'auteur.e.s dont nous admirons la seule liberté possible.

DÎNER À DOUARNENEZ / CLAUDE MCKAY Collection : Harlem Shadows n°4 Parution : juin 2024 ISBN : 979-10-97210-13-7 Format : 115 x 175 mm Prix : 12€ TTC

Nombre de pages : 100 Préface : Jarrett Brown Traduction : Jean-Max Guieu Dessins et graphisme : Carlos Chirivella Lopez


C’est ainsi que, malgré son désaccord avec la mer et le bateau, Lafala, maintenant hors de portée des griffes de son avocat véreux, s’en retournait à Marseille, le port des rêves, celui de sa fortune et de son infortune. Et, comme tout être humain vaniteux qui aime revisiter les lieux de ses souffrances et de ses défaites après être parvenu à conquérir le monde, Lafala − même si sa victoire lui avait coûté cher – rêvait, depuis son départ, des gargotes et autres troquets de Marseille, et n’attendait qu’une chose: s’y montrer à nouveau, dans toute sa gloire, et tout particulièrement aux yeux d’Aslima.

RÉSUMÉ C’est le « brusque dégoût de lui-même » qui pousse Lafala, un docker ouestafricain, à abandonner Marseille après avoir été dépouillé de tout son argent et de ses illusions par la belle Aslima. Embarqué clandestinement sur un paquebot et enfermé dans des latrines pendant la traversée de l’Atlantique, il est amputé de ses deux jambes à son arrivée aux Etats-Unis. Remettant son sort à un avocat véreux, Lafala empoche une grosse somme d’argent et retourne dans le « port des Rêves », espace frontière entre la terre et la mer, où il retrouve l’ambiance bouillonnante de la Fosse, les déracinés de la Jetée et ses illusions perdues.

L'AUTEUR Né en Jamaïque en 1889, Claude McKay est considéré comme l'un des écrivains littéraires et politiques les plus emblématiques de la Renaissance de Harlem, reconnu pour son intense engagement à exprimer les défis et les problématiques auxquels sont confrontés les Noirs aux Etats-Unis et en Europe. Personnage complexe et fascinant, il est l’auteur de recueils de poésie et de romans, parmi lesquels Home to Harlem (1928), Banjo (1929) et Banana Bottom (1933). Son autobiographie, Un sacré bout de chemin, a été traduite et publiée par André Dimanche en 2007. Claude McKay est mort en 1948 à Chicago.

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ROMANCE IN MARSEILLE / Claude McKay (jamaïque) Roman / Vingt euros ISBN : 979-10-97210-06-9 Préface d'Armando Coxe Traduit de l'anglais par Françoise Bordarier & Geneviève Knibiehler illustations de Carlos Lopez Chirivella


AUTOUR DU LIVRE: LE MARSEILLE DE CLAUDE MCKAY Trois ans après Banjo, Claude McKay retrouve Marseille et poursuit les questionnements abordés dans son roman précédent en réhabilitant l’histoire du quartier de la Fosse (situé en bordure du Vieux-Port) le décrivant davantage en ses marges qu’en son centre. Tous les personnages du roman, qu’ils abordent la place des Noirs dans les grandes villes européennes ou l’implacable système de domination raciste, émettent des points de vue singuliers que McKay situe au-delà des rapports de force induits par la condition sociale. Comme à Harlem, McKay retrouve à Marseille un cadre portuaire fécond empreint de débats internationalistes et raciaux, créant ainsi d'innombrables intersections entre nations et cultures. Un déracinement dans lequel l'auteur trouve paradoxalement un fort sentiment d'appartenance.

LE CONTEXTE: LA RENAISSANCE DE HARLEM Avec Harlem pour capitale, le mouvement New Negro reste aujourd'hui connu comme l'une des grandes avant-gardes du vingtième siècle. Souvent identifié à l'émergence du jazz, cette "renaissance" de la culture afro-américaine s'étend également à d'autres disciplines comme la photographie, la peinture ou la littérature et consacre notamment les talents du pianiste Duke Ellington, du dessinateur Aaron Douglas, des écrivain.e.s Zora Neale Hurston, Langston Hugues. Reconnu comme un auteur phare de la Renaissance de Harlem, Claude McKay s'est pourtant progressivement éloigné du mouvement, coupable à ses yeux de proposer un éloge naïf de la race noire en vue de son "blanchissement". De par son identité diasporique, l'exploration des non-dits autour des distinctions raciales et sexuelles dans la culture occidentale, l'oeuvre de Claude McKay préfigure celle de James Baldwin.

Première édition de Banjo publiée en 1929 par Harper & Brother (illustration d'Aaron Douglas)


UN SACRÉ BOUT DE CHEMIN

« Je n’ai rien à vous donner que mes chants. Toute ma vie, j'ai été un troubadour vagabond, me nourrissant surtout de la poésie de l'existence. Et tout ce que je vous offre ici, c’est l'essence poétique de mon expérience.

»

RÉSUMÉ De la Jamaïque à Harlem, de Marseille à Tanger, en passant par Londres, Moscou ou Paris, Claude McKay revient sur les années les plus prolifiques de son parcours d’écrivain (1918-1934). Celles qui ont notamment vu naître Banjo et Romance in Marseille.

À contre-courant des mouvements de son époque, son itinéraire et son expérience — ponctués par des rencontres avec Bernard Shaw, Sylvia Pankhurst, Trotski, Lamine Senghor, Max Eastman Charlie Chaplin ou Isadora Duncan — en font un témoin privilégié de l’histoire politique et culturelle de son temps et façonnent une identité diasporique singulière qui influencera plus tard les poètes de la Négritude.

Œuvre complexe et puissante qui retrace l'errance d’un libre-penseur noir dans un monde blanc, Un sacré bout de chemin surprend par la modernité de son discours, mettant en premier lieu la critique du rejet et du racisme, jamais dupe devant le racisme ordinaire des élites blanches de la gauche européenne ou l'élitisme de l'intelligentsia noire de la Renaissance de Harlem.

L'AUTEUR Né en 1889 en Jamaïque, Claude McKay est l’auteur de recueils de poésie et de romans, parmi lesquels Home to Harlem (1928), Banjo (1929) et Romance in Marseille (publié de manière posthume en 2020). Il est considéré comme l'un des écrivains les plus emblématiques mais aussi les plus marginaux de la Renaissance de Harlem, reconnu pour son intense engagement à exprimer les défis et les problématiques auxquels sont confrontés les Noirs aux Etats-Unis et en Europe. Personnage complexe et fascinant, il publie son autobiographie, A long way from home en 1937. Claude McKay est mort en 1948 à Chicago.

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DE HARLEM À TANGER : LE PELERINAGE MAGIQUE D'UN "VAGABOND AVEC UN BUT" Claude McKay est un électron libre, un personnage complexe et fascinant. Voyageur infatigable, il est l'écrivain vagabond et sans frontières de la Renaissance de Harlem. Se décrivant comme poète, il est journaliste à New York et à Londres et coudoie la presse d'extrême gauche ; à Moscou, il joue au porte-parole révolutionnaire sans jamais totalement adhérer au communisme ; Marseille et Tanger consacrent le romancier, McKay s’y faisant le chroniqueur de la question raciale, abordant la place des populations noires sous un angle social et non communautariste.

Sa trajectoire singulière en fait un

«vagabond avec but» qui interroge la perception des

cultures noires dans la société occidentale et préfigure une deuxième partie de XXe siècle marquée par l’exil, l’immigration des populations noires et la décolonisation.

Photographies de Claude McKay à Mocou (années 1920)

Première édition publiée en 1937 par Lee Furman (illustration d'Aaron Douglas)

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D'INNOMBRABLES ARCHIVES Héliotropismes s'est emparé de la traduction de Michel Fabre, d'abord publiée par André Dimanche et devenue introuvable. Après un travail de révision et de correction, les éditeurs ont fait un remarquable travail d’archive pour accompagner la lecture de nombreuses photos, poèmes, lettres ou articles. En plus de la postface originale du traducteur, une préface de Claudine Raynaud et une note de Richard Bradbury complètent l’appareil critique.

UN SACRÉ BOUT DE CHEMIN / CLAUDE MCKAY Editions Héliotropismes

Traduction : Michel Fabre

Collection : Harlem Shadows n°2

Préface : Claudine Raynaud

Parution : 7/6/2022

Postface : Richard Bradbury & Michel Fabre

ISBN : 979-10-97210-10-6

Dessins et graphisme : Carlos Chirivella Lopez

Format : 148 x 210 mm

Edition : Renaud Boukh & Armando Coxe

Prix : 23

€ TTC


Collection Mémoires

L'Oiseau rouge

Mémoires d'une femme sioux

Zitkala-Sa

Traduction de Marie Chuvin

L'Oiseau rouge Mémoires d'une femme Sioux zitkala-sa, tour à tour écrivaine, musicienne et activiste pour les

droits autochtones, fait le récit personnel d’une vie de femme sioux.

couverture provisoire

Écrit entre et 1900-1902, ce livre retrace les mémoires d’une femme autochtone, acculturée par une scolarité chez les missionnaires et son parcours d’émancipation et de lutte. Ce texte intime et politique défend avec force les droits de son peuple et la richesse de sa culture.

18 € / 144 p. / 14 x 20,5 cm tirage : 1500 ex. parution : 07/06/ 2024

• un texte fondateur du matrimoine littéraire, enfin traduit. • une écriture de soi au féminin, sensible et combative, au service d’un peuple. • une écriture poétique, d’une liberté sauvage.

«J’étais une petite fille de sept ans particulièrement sauvage. Habillée lâchement d’une tunique de peau de daim, des mocassins souples à mes pieds légers, j’étais libre comme la brise qui jouait avec mes cheveux et aussi vive qu’un cerf bondissant. C’étaient là deux choses qui remplissaient ma mère de fierté : mon tempérament fougueux et ma liberté indomptable. Et ce fut elle qui m’apprit à n’avoir peur de rien [...]» l’oiseau rouge : un recueil de récits formant la première autobiographie d’une femme sioux, qui résonne comme un cri de fierté et de révolte.

Ce livre rassemble quatre récits publiés dans la revue The Atlantic Monthly en 1900 et 1902. Les articles firent sensation, contrastant avec la propagande colonialiste de l’époque où il s’agissait de « tuer l’Indien et sauver l’homme ». L’autrice y expose également ses croyances spirituelles, bien loin du dogme chrétien imposé dans les réserves.


Zitkala-Sa (1876-1938) « ô, mes sœurs,

travaillez à cette fin

; travaillez

ensemble pour que cessent les mauvais traitements infligés à mon peuple dans ce pays »

zitkala-za fait ainsi appel

lors du congrès bisannuel de la general fderation of

women’s clubs à la notion de

sororité,

persuadée

que les femmes ont un rôle politique à jouer dans les combats des minorités...

Zitkala-Sa, dont le nom signifie « Oiseau rouge », naît le 22 février 1876 dans une réserve du Dakota du Sud. Également connue sous le nom de Gertrude Simmons Bonnin que lui ont donné les missionnaires, elle est une écrivaine, éditrice, musicienne et activiste sioux. Dans ses ouvrages, elle a décrit la difficulté d’être « Amérindienne » dans la société américaine. Elle a également écrit le premier opéra amérindien et elle fut présidente du National Council of American Indians, association militant pour les droits civiques. Zitkala-Sa a entrepris un grand travail de collecte des contes et légendes de son peuple. Mais elle a également publié des écrits beaucoup plus politiques, sur le traitement des «Amérindiens», sur sa propre expérience et ses combats de jeunesse entre sa culture et la culture blanche dominante qui lui était imposée. Ses écrits, entre la littérature et l’essai politique, sont très marqués par cette tension entre la tradition et l’assimilation forcée.


L’illustratrice : Wakeah Jhane

La préfacière : Layli Long Soldier

Wakeah Jhane est une artiste autodidacte qui pratique le «ledger art». Elle est issue des groupes Penatʉka et Yaparʉhka de Nʉmʉnʉʉ (Comanche) ainsi que de Gaúigú (Kiowa). Feu Wakeah Hoaway (1914-2010) de sa famille maternelle a donné et transmis son propre nom à Wakeah avant sa naissance à la manière traditionnelle Nʉmʉ. Son nom signifie « trouve des objets perdus » ou « recherche à cheval ».

Layli Long Soldier est une jeune poète et artiste sioux oglala, vivant aujourd’hui à Santa Fe (Nouveau-Mexique). Son recueil, Whereas, a été publié aux éditions Isabelle Sauvage, sous le titre Attendu que en 2020.

J’ai choisi le «ledger art» comme expression principale de mon art, pour sa dimension historique et culturelle. Cela fait appel à la fois à mes cultures des plaines du sud (Comanche - Kiowa) et du nord (Blackfeet). Mon art commence son chemin grâce aux vieux papiers. Je collectionne les documents administratifs de 1805 à 1903 et, pour être historiquement précise, j’utilise uniquement du papier de l’Oklahoma et du Montana. — Wakeah Jhane

La traduction et relecture scientifique : Marie Chuvin et Céline Planchou

Il a reçu plusieurs prix, dont le National Book Critics Circle, et a été finaliste du très prestigieux National Book Award for Poetry à sa parution, en 2017.

Marie Chuvin est traductrice littéraire et membre du comité editorial Les Prouesses. Elle a traduit de nombreux romans et articles de presse et a co-fondé la revue «L’Esprit Européen». Céline Planchou est Maître de conférence en civilisations américaines à l’université Sorbonne Paris Nord.


L'Oiseau rouge

Mémoires d'une femme sioux

Zitkala-Sa

couverture provisoire

Traduction de Marie Chuvin







Ed Lacy

Éditions du Canoë

2024

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Avril

Genre : roman noir Format : 12 x 18,5 cm Pages : 304 Traduit de l’américain et préfacé par Roger Martin Prix : 18 € ISBN : 978-2-490251-89-6 Ed Lacy est un des nombreux noms de plume sous lesquels Leonard Zinberg (1911-1968) se cacha pour publier les romans policiers tirés et lus à des dizaines de milliers d’exemplaires. Auteur sous son patronyme de 4 romans et de plus de 200 nouvelles, il a joué avec le feu. Juif, non croyant, communiste, marié à une Noire et père adoptif d’une petite fille noire, elle aussi, il a eu l’inconscience de faire de ses personnages principaux des militants communistes et de publier des articles dans la presse noire. Victime de la Chasse aux sorcières, il reprend son ancien métier de postier qu’il avait exercé entre 1935 et 1940 sans s’arrêter d’écrire des nouvelles qu’il signera Ed Lacy ou Steve April. Abandonnant le roman social et politique, il se lance alors dans le roman noir, genre où se sont illustrés des progressistes comme Dashiell Hammett, Horace McCoy ou Robert Finnegan. Resté fidèle aux valeurs progressistes, il stigmatise dans tous les romans qu’il publie au rythme de 2 par an de 1951 à 1968, le racisme, la misogynie institutionnalisée, le culte de la virilité et des armes, la corruption et la violence pour la violence. Les Éditions du Canoë ont publié en 2022 Traquenoir, qui rencontra un large succès.

Toussaint Marcus Moore accepte une mission à Mexico pour le compte de Ted Bailey et Kay Robbens. Une affaire simple vue de loin qui ne lui prendra qu’une quinzaine de jours et qui est grassement payée. Il débarque donc à Mexico pour tirer au clair la demande d’une jeune veuve qui veut la preuve que son mari a été assassiné par un toréro célèbre surnommé El Indio. L’enquête l’emmène dans les bas-fonds de Mexico et à Acapulco. Il y rencontre différents protagonistes, blancs, noirs, métisses qui lui font comprendre qu’il n’est pas le bienvenu. Le racisme n’est pas aussi exacerbé qu’aux États-Unis, mais néanmoins bien réel. Il est traité de boy et de « nègre » par un privé blanc et remis à sa place par le lieutenant Tortela qui ne supporte pas la morgue des étatsuniens. La Mort du toréro illustre donc parfaitement l’essence du véritable roman noir. Une intrigue à suspense, avec de l’action, des rebondissements mais d’où le social, l’historique et le politique ne sont jamais absents. « Une formidable mine de réflexion » comme l’écrit Roger Martin, non seulement progressiste mais carrément prémonitoire dans ses jugements sur la corrida.

Contact presse : Aurélie Serfaty-Bercoff : aserfatybercoff@gmail.com Téléphone : 06 63 79 94 25 Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com

Téléphone : 06 60 40 19 16

Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip


CHAPITRE QUATRE

Je pris un taxi pour rentrer à l’hôtel. La femme de ménage avait déjà fait les chambres, ce n’était donc pas la peine de vérifier la place de mes affaires sur la commode. Après une douche froide, je m’étendis sur le lit pour me livrer à l’occupation dans laquelle j’excellais depuis le début de cette affaire : la sieste. La façon dont Cuzo m’avait ciblé m’intriguait. Savait-il que je travaillais pour Grace, ou bien léchait-il les bottes de tous les touristes ? Quand je souperai avec Smith, je lui ferai part de mon intention de parler à El Indio, en jouant le nouveau converti ; je lui demanderai de m’indiquer les bars où se rassemblent les amateurs de corridas. Je n’avais pas idée de ce que ça me rapporterait mais, de toute façon, je ne voyais pas ce que je pouvais faire d’autre pour le moment. Je songeai à mettre Frank dans la confidence, peut-être même rétribuer ses services de quelques centaines de dollars. Il pourrait creuser dans des directions dont j’ignorais tout. Mais je ne savais pas jusqu’à quel point je pouvais faire confiance au vieux vantard, si même je pouvais lui faire confiance du tout. 3


Quand je me réveillai, il faisait noir et froid dehors. C’était quelques minutes avant vingt et une heures et je crevais de faim, comme d’habitude. Smith ne m’avait pas donné son numéro de chambre et lorsque je descendis pour questionner l’employé à la figure de papier mâché encore plus pâle que l’employé de jour, ce fut pour m’entendre répondre que le señor Smith avait réglé sa note l’après-midi. — Il est parti ? Quand ? — Au moment où je prenais mon service, un peu avant votre retour de la corrida. Le señor Smith semblait particulièrement pressé. — Il a laissé une adresse où le joindre ? — Non, señor. — Il descend souvent dans votre hôtel ? — Je n’avais jamais vu le señor Smith avant qu’il ne prenne une chambre la veille de votre arrivée. Ce n’est pas un de vos amis, señor Moore ? — J’aimerais bien le savoir, lui dis-je en lui tendant la clef. J’errai un bon moment jusqu’à ce que deux petits vendeurs de billets de loterie m’assiègent. Après leur en avoir acheté un à chacun, je pris la direction de la vieille ville et l’hôtel de Cuzo. On était dimanche soir, les magasins étaient fermés, les rues désertes. Les deux petits piégeurs de touristes m’avaient inspiré la vague idée d’engager l’un de leurs semblables quelques jours comme guide et interprète. Les rares pistes que j’avais dans mon affaire étaient mortes dans l’œuf avec

la disparition soudaine de Smith. Il était vraiment étrange qu’il ne m’ait pas touché un mot au cours de la corrida. À mon grand étonnement, je réussis à retrouver la rue, déserte à présent, qui donnait sur l’hôtel miteux des matadors. Contrairement au reste de Mexico, l’hôtel était animé ; un jeune Mexicain, gros et gras, était en train de jeter dehors une blonde tapageuse. Elle jurait à haute voix en anglais et en espagnol, en tentant de rentrer dans le boui-boui. Quelques types lorgnaient derrière les fenêtres, ricanant devant la scène. De sa voix stridente, la blondinette traitait tout le monde de tous les noms sauf de celui d’enfant du bon Dieu. Quand je me rendis compte que la blonde était celle que Smith m’avait désignée comme la maîtresse de Cuzo, je pressai le pas. Gros-lard jeta sur elle une valise bon marché, puis la frappa sur la bouche, d’où jaillissait toujours un flot d’insultes, l’envoyant s’écrouler sur la valise. Le spectacle fit éclore des sourires éclatants chez les types massés aux fenêtres. Je me précipitai, doublant la mise, un coup exceptionnel du gauche dans son ventre mou et une droite en plein nez. Un petit bobo comme un saignement de nez suffit à calmer les ardeurs de pas mal de types. Aidant Mademoiselle Sac d’os Blonde à se relever, je lui demandai : « Je peux faire quelque chose pour vous ? » Elle était hors d’elle ; il lui fallut un moment pour fixer son attention sur moi. Son visage aux traits grossiers avait un nez en petit bouton comme s’il y avait été

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1 Le terme « boy » (garçon), systématiquement adressé aux Noirs, quels que soient leur âge et leur position sociale, était la règle dans les États du Sud, et parfois au-delà, et perdura après la déségrégation.

poigne, chancelant sur ses stupides talons aiguilles et hurla à son tour en espagnol. Sans connaître la langue, j’eus une idée à peu près précise de ce dont elle traitait la mère du matador. Deux traîneurs de savate dans son ombre disparurent au moment où Cuzo me criait en anglais : « Ainsi, le señor à la peau sombre s’intéresser quand même à la viande, la viande de blonde. Comme on dit, les restes de l’un pouvoir devenir le mets de choix d’un autre ! » — Vous vous amusez avec des taureaux, qu’est-ce que vous savez des femmes ? braillai-je, me demandant jusqu’où je comptais faire monter El Indio, si même c’était bien mon intention. Comme Blondinette venait de lui décocher une nouvelle salve d’insultes en espagnol, je l’attrapai par le bras. — C’est bon, maintenant, tirons-nous ! Nous avions remonté la rue de quelques mètres quand j’entendis galoper derrière nous. Les deux types qui s’étaient esquivés arrivaient. — Ne bougez pas, ordonnai-je à Blondinette, m’avançant vivement vers les deux bons à rien. Je ne vis rien dans leurs mains même si l’un des deux avait enfoui son poing droit au fond de sa poche de hanche. Ils s’attendaient que je m’arrête net, que je balance un coup de poing, en espérant atteindre quelqu’un. Le football m’a enseigné que c’est le coup inattendu qui met un gars hors-jeu. Je me contentai de les prendre de plein fouet,

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ajouté après coup. S’il n’était pas joli, son visage était si inhabituel qu’il en devenait attirant. Se balançant sur ses pieds, elle me dévisagea, avant de sourire et de dire d’une voix traînarde : « Qu’est-ce qui se passe ? Les fusiliers marins américains à la rescousse ? Peau noire et armoire à glace. » Malgré le persiflage, je ne relevai pas le « Peau noire », j’avais trop besoin de cette fille et d’ailleurs elle avait prononcé le mot avec un sourire. Elle ajouta, après m’avoir jaugé de la tête aux pieds : « Vous faites partie des armoires à glace. » — C’est ça. Tirons-nous avant que Gros-lard n’appelle ses amis. Je ramassai sa méchante valise, cherchai des yeux un taxi. Tout en époussetant sa robe imprimée miteuse, elle se frotta le visage à l’endroit où Gros-lard l’avait frappée, haussa les épaules et dit : « Grand garçon1, je suis de votre côté. » — Alors, laissez tomber le « garçon », répliquai-je sèchement. Je pris son bagage dans une main, sa main osseuse dans l’autre, et nous commencions à nous éloigner lorsque Cuzo ouvrit la fenêtre de l’hôtel et laissa échapper un torrent d’espagnol. Blondinette s’arracha à ma


mes cent kilos les envoyant rouler au sol. Je leur tournai le dos, enjambai d’un bond un des clowns qui haletait, revins vers Blondinette. — Dites donc, pour un type de votre gabarit, vous sautez rudement bien. Vous les avez balancés comme de… — Où y a-t-il des taxis ? — En général, il y en a un garé au coin de la rue. — Allons-y. — Attendez, ces saloperies de talons aiguilles, c’est l’enfer. Elle se débarrassa de ses chaussures, se mit à courir pieds nus, sa longue chevelure blonde lui flottant dans le dos comme un drapeau. On tourna le coin, elle montra du doigt une vieille voiture, criant, hors d’haleine : « Taxi ! » J’ouvris la portière, me glissai derrière elle dans le véhicule. Le chauffeur, un vieux type à face de lune portant une veste élimée de l’armée des États-Unis, n’avait pas cillé au spectacle d’une femme gringo courant nu-pieds. Nous accordant son meilleur sourire réservé aux touristes, il demanda : « Señor, où ai-je le plaisir de vous conduire ? » — Dans cette direction, et vite ! J’avais indiqué une rue sombre qui faisait l’angle devant nous. Il sembla surpris. Blondinette haleta quelque chose en espagnol et le chauffeur haussa les épaules et décolla. En traversant la rue que nous avions parcourue en

courant, j’aperçus les deux types toujours vautrés par terre, sinon tout était paisible. Pendant un bon moment, nous traversâmes à fond de train des rues entières de taudis ; enfin le chauffeur dit quelque chose en espagnol. Blondinette me demanda : « On va où, grand garçon ? C’est une voie sans issue. » — Je vous ai déjà dit de laisser tomber le truc du « garçon » ! Où comptiez-vous aller ? — N’importe où où vous créchez, grand… compagnon, je n’ai pas un peso. — Supposons que je vous prenne une chambre à mon hôtel ? — Je suppose que je serais d’accord, pour ça et pour le reste, grand… type. Elle retroussa ses fines lèvres dans ce qui était supposé être un sourire alléchant. — Je n’ai pas soupé. Ça vous tente, Mademoiselle… ? — Ne jamais manquer un repas, c’est ma maxime. Je m’appelle Janis Kent. Comment dois-je vous appeler, quand je ne serai plus en pétard? — Toussaint. Touie fera l’affaire.

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Ed Lacy

Éditions du Canoë

2022

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Mai

Genre : roman policier Format : 12 x 18,5 cm Pages : 192 Traduit de l’américain et préfacé par Roger Martin Prix : 16 € I.S.B.N. : 978-2-490251-61-2 Ed Lacy est un des nombreux noms de plume sous lesquels Leonard Zinberg (1911-1968) se cacha pour publier les romans policiers tirés et lus à des dizaines de milliers d’exemplaires. Auteur sous son patronyme de 4 romans et de plus de 200 nouvelles, il a joué avec le feu. Juif, non croyant, communiste, marié à une Noire et père adoptif d’une petite fille noire, elle aussi, il a eu l’inconscience de faire de ses personnages principaux des militants communistes et de publier des articles dans la presse noire. Victime de la chasse aux sorcières, il reprend son ancien métier de postier qu’il avait exercé entre 1935 et 1940 sans s’arrêter d’écrire des nouvelles qu’il signera Ed Lacy ou Steve April. Abandonnant le roman social et politique, il se lance alors dans le roman noir, genre où se sont illustrés des progressistes comme Dashiell Hammett, Horace McCoy ou Robert Finnegan. Resté fidèle aux valeurs progressistes, il stigmatise dans tous les romans qu’il publie au rythme de 2 par an de 1951 à 1968, le racisme, la misogynie institutionnalisée, le culte de la virilité et des armes, la corruption et la violence pour la violence.

Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com

Le héros de Traquenoir est un Afro-Américain nommé Toussaint Marcus Moore. Engagé comme détective pour retrouver l’auteur d’un crime oublié dont l’arrestation constitue le clou d’une émission de téléréalité à gros budget, il doit pister un pauvre Blanc, lequel, malgré la filature serrée dont il est l’objet, se fait assassiner. C’est alors lui, Toussaint Marcus Moore, qui devient le premier suspect… et il est noir ! Si on l’arrête, il est bon pour la chaise électrique. Il faut donc absolument qu’il retrouve l’assassin. L’intrigue est très bien menée. Le suspens ne faiblit pas. Le ­roman se déroule dans une Amérique blanche et raciste des années du maccarthysme. Bien avant les héros de Chester Himes, Ed ­Cercueil et Fossoyeur-Jones, Toussaint Marcus Moore est l’un des premiers personnages noirs de détective, faisant de Leonard Z ­ inberg alias Ed Lacy un pionnier au talent incontestable.

Téléphone : 06 60 40 19 16

Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip


Extrait Début 1958, les Mystery Writers of America, conscients sans doute que quelque chose vient de se passer, attribuent à Room to Swing l’Edgar (pour Edgar Allan Poe) du « meilleur roman policier de l’année 1957 ». C’est que non seulement l’ouvrage est le premier à mettre en scène un détective privé - si peu - noir, mais qu’il tranche avec la production courante. Toussaint Marcus Moore, dont nom et prénoms indiquent d’emblée la couleur, souligne certes les travers et les injustices de son temps, l’attitude de trop nombreux Blancs, mais aussi celle de Noirs qui ne font que les singer au détriment de leurs propres frères de couleur, le racisme ouvertement manifesté, mais aussi la réaction de sa propre petite amie qui préfèrerait que son teint soit plus clair et qui affiche sa satisfaction de ne pas avoir des cheveux crépus, sans oublier la bienveillante condescendance de Blancs qui se donnent pour progressistes mais sont surtout paternalistes. En outre, chez Lacy, la question raciale n’est jamais loin de la question sociale. Thomas, le petit Blanc raciste du récit, qui a connu la misère et la maison de correction, est à sa façon une victime, comme May, qui gagne sa vie en vendant son corps parce qu’elle ne veut plus jamais être pauvre, ou encore cette madame James que Toussaint est chargée de retrouver parce qu’elle a déménagé en laissant derrière elle des traites non payées. (...) Le récit est d’abord celui d’une traque, celle à laquelle se livre le héros, Toussaint Marcus Moore, puis, très vite, celle dont il devient l’objet. Cible de la police et de l’assassin, de chasseur, il est devenu gibier. Traquenoir s’est alors imposé. Roger Martin


À plus d’un titre 66 chemin de Bande La Curiaz 73360 LA BAUCHE aplusduntitre69@orange.fr www.aplusduntitre.org

Un inconnu nommé Zinberg de Roger Martin Le Roman noir américain est un genre étudié dans le monde entier. Paradoxalement, pendant longtemps il a suscité plus d'intérêt en Europe, et spécialement en France, qu'aux Etats-Unis. Les travaux de critiques, éditeurs et directeurs de collections, à commencer par François Guérif, Claude Mesplède, Philippe Garnier, suivis de l'intérêt de cinéastes comme François Truffaut, Bertrand Tavernier ou JeanClaude Missiaen , ont remis en lumière des auteurs oubliés ou méconnus chez eux, en particulier Jim Thompson et David Goodis. La Série noire et Rivages noir ont beaucoup contribué au succès d'un Chester Himes puis d'un James Ellroy, longtemps plus prisés en France qu'aux Etats-Unis, d'un Edward Bunker ou d'un Jim Nisbet dont nombre de romans restent inédits outre-Atlantique. Étrangement, et bien que 15 de ses romans aient été publiés en France à la Série Noire ou dans la collection Un Mystère des Presses de la Cité, sans compter une trentaine de nouvelles dans Alfred Hitchcock Mystère Magazine, Ellery Queen Mystère Magazine et Le Saint Magazine, un des auteurs de roman noir les plus importants des années 1950 à 1970 reste méconnu. Dans le domaine du roman noir, il est connu sous le nom d'Ed Lacy, un pseudonyme qu'il a été contraint d'utiliser pour échapper aux méfaits du maccarthysme. Avant 1951 et la publication de son premier "policier", Ed Lacy s'appelle Leonard Samuel Zinberg et signe Len Zinberg.

Format : 17 par 22 cm Pages : 380 Reliure : Dos carré collé ISBN : 9782917486795 Prix : € 20 / CHF.- 26 Parution : février 2022 Rayon : Littérature - Biographie - Polar

Né en 1911 à New York, d'une famille juive d'origine russe, il fait partie très vite de ces "juifs sans argent" qu'évoque le roman de Mike Gold, pauvres, non religieux, souvent communistes. En outre, Zinberg manifeste très jeune un soutien qui ne se démentira pas au combat des Noirs pour leurs droits. Il épouse Esther, noire de Brooklyn, ils adopteront plus tard Carla, une petite noire de deux ans. Zinberg travaille par intermittence comme postier, multiplie articles et nouvelles. Dès 1935, on retrouve son nom dans New Masses, la revue du PC américain, à laquelle collaborent des auteurs prestigieux, Hemingway, Dos Passos, Caldwell, et dans plusieurs journaux de la presse noire. Dans le Pittsburgh Courier, il signe à la fois Len Zinberg et Ed Lacy, passant pour Noir sous ce pseudonyme.


En 1940, il publie Walk Hard, Talk Loud, un roman dur dont le héros est un jeune boxeur noir (avant Richard Wright et Budd Schulberg) qui suscite les louanges de Ralph Ellison. Mais Zinberg ne tarde pas à être mobilisé. Il sera, avec Dashiell Hammett, Irving Shaw, William Saroyan et Walter Bernstein, un des correspondants de l'hebdomadaire Yank ("Un journal pour des soldats écrit par des soldats"), écrivant articles et nouvelles pour lui mais aussi pour des journaux noirs et pour la revue Story. Il a débarqué en Italie, où il se lie avec des combattants antifascistes dans la région de Cossato. De retour aux Etats-Unis, il est obligé de redevenir postier mais écrit toujours. Un de ses romans, Hold with the Hares, va susciter l'hostilité de l'American Legion et être dénoncé comme "rouge". Zinberg n'arrive plus à publier sous son nom, à l'exception de rares nouvelles. Il ressuscite sous l'alias Ed Lacy en 1951 avec un premier roman noir. Jusqu’en janvier 1968, il publiera plus de 25 romans et plusieurs centaines de nouvelles, réussissant à vivre de sa plume, mais surtout sans déroger à ses idées. Face à Mickey Spillane, le best-seller du roman noir de l'époque, incarnant la tendance ultra-violente, raciste, machiste du genre, Lacy va continuer à défendre des idées de progrès, créant en 1957 le premier détective privé noir, évoquant dans ses livres la Chasse aux sorcières, la Guerre d'Espagne, la Résistance italienne ou française, donnant une place importante aux Noirs, aux minorités (Portoricains, Indiens, Grecs), aux femmes, raillant le culte de la virilité d'imitateurs d’Hemingway au petit pied. Zinberg-Lacy suscite de nouveau l'intérêt aux États-Unis, mais les recherches des spécialistes en sont encore à leurs balbutiements!

Roger Martin : Auteur d'une trentaine d'ouvrages — enquête, essais et bandes dessinées —, pamis lesquels AmeriKKKa, Voyage dans l'internationale néo fasciste, Main basse sur Orange, l'Empire du mal ? Dictionnaire iconoclaste des États Unis et la série B.D. AmeriKKA.!Il a également publié une dizaine de romans noir dont Jusqu'à ce que mort s'en suive au Cherche Midi et la trilogie L'agence du derniers recours au Seuil. !Les Éditions À plus d'un titre ont réédité son ouvrage Georges Arnaud, vie d'un rebelle : Biographie de l'auteur du Salaire de la peur.

Distribution pour la France : SERENDIP LIVRES : 10, rue Tesson 75010 Paris - contact@serendiplivres.fr Fax : 09 594 934 00 /// tél. : 01 40 38 18 14 - gencod dilicom : 3019000119404 Distribution et diffusion pour la Suisse : Éditions D'en bas - Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne Tél. +41 21 323 39 18 /// Fax. +41 21 312 32 40 - www.enbas.net



Nuril Basri Le rat d’égout Traduit de l’anglais (Indonésie) par Étienne Gomez

Roni, jeune écrivain indonésien dont le premier roman a eu un éphémère succès, tombe amoureux d’Eliot, un agent littéraire français invité pour un festival à Jakarta. Entre eux se noue une intimité ambiguë qui fait toute la matière de ce nouveau roman, écrit en partie en Europe où l’auteur part faire une tournée promotionnelle inattendue. Né dans un village de Java occidental, Nuril Basri vit dans la marginalité à Jakarta. Après Not A Virgin, inspiré de sa formation dans un pensionnat islamique et publié en traduction anglaise avant l’original indonésien, Le rat d’égout évoque ses débuts en littérature. Inédit en anglais, langue où il a été écrit, ce livre est ici présenté en avant-première au public français. #queer #asie #asiedusudest #marges #marginalité #postcolonial #decolonial ISBN : 978-2-493205-04-9 © Perspective cavalière, 2023 Graphisme : Débora Bertol Illustration : Christophe Merlin Couverture souple avec rabats 12,9 x 19,8 cm 160 pages, 18 €

Date de publication : 30 janvier 2023 Contact presse & librairies : Étienne Gomez Antony Thalien 06 79 91 82 83 06 31 20 71 63 editionsperspectivecavaliere@gmail.com

Photo : © Nuril Basri

« J'ai beaucoup aimé ce court roman, vif et plus profond que Roni veut bien nous le faire croire. J'ai aimé le ton, l'humour, l'écriture libre, moderne (belle traduction d’Étienne Gomez, également l'éditeur), la concision, Nuril Basri va au plus direct ! » (Yves Mabon, Lyvres)

#la rencontre avec Eliot (incipit) Jamais je n’avais vu Jakarta sous cet angle. De mon point de vue borné, toujours biaisé par le besoin d’être au centre de tout, ce n’était qu’une ville saturée de fils électriques où les gens se marchaient sur les pieds, quitte à s’excuser ensuite. Bon, pas toujours, mais de toute façon je m’en fichais. Je ne restais jamais longtemps et ne gardais aucun souvenir de mes allées et venues. Puis j’ai dû passer quelques nuits là-bas dans des guesthouses et j’ai compris que c’est une ville qui offre des choix. Mais ce n’est pas sur la capitale que je veux écrire. C’est sur Eliot. Ce jour-là j’avais décidé d’aller à un petit festival littéraire. Je n’étais pas invité mais j’étais venu quand même pour observer les gens. J’aime bien ça, observer les gens. Une chose qu’il faut que vous sachiez, c’est qu’il y a quelques années j’ai écrit un roman sur un type si aigri qu’il passait sa colère sur tout. Un peu à mon image, pour la petite histoire. Mais ça plaît, les gens ont acheté le livre et il y a eu des articles dans la presse. Pas pour ça que je suis devenu une star ni l’auteur qu’on s’arrache. Un an plus tard, mon roman prenait la poussière en librairie et perdait de son écho. Maintenant que je vous ai parlé de cet unique succès, je dois vous dire pour ma défense que j’ai écrit un certain nombre de textes ces deux dernières années, pas tout à fait finis mais presque. Bientôt peut-être. Cet événement – le festival littéraire, je veux dire – dure deux jours et il y a plein de conférences. Le plus souvent dans ce genre de manifestation je m’installe au dernier rang. Je ne juge pas ce que disent les intervenants, parce que déjà je m’en fiche et, franchement, je ne suis pas super intelligent. J’aurais bien aimé, mais je crois que ça m’aurait rendu arrogant. De toute façon je n’étais pas là pour serrer la pince à des


auteurs connus ni pour faire la conversation. Ils ne m’intéressent pas tellement. De vrais snobs, pour certains. J’étais là pour revoir Eliot, que j’avais rencontré deux ans plus tôt. J’aimais beaucoup Eliot. Avec sa stature impeccable et son visage parfaitement symétrique, je vais le présenter comme un jeune dieu. Je l’avais rencontré à l’un de ces événements littéraires où les écrivains émergents viennent parler de leurs livres. Un grand moment dans ma vie, vous le sentez. Si vous connaissez ce monde-là, vous savez qu’il n’y a pas plus hype que la foire de Francfort. Eliot était donc là, très sûr de lui. Quand je l’ai aperçu derrière moi, je me suis dit quel dieu ! Il était un peu plus âgé que moi. Six ans, peut-être plus. Pas sûr. Maintenant j’ai vingt-six ans, si ça vous intéresse. Et il était beau- coup plus grand ! Un vrai modèle de propagande nazie : mâchoire sculptée, barbe sexy pas trop fournie, courts cheveux poivre et sel – la version blonde –, et de beaux yeux gris-verts qui paraissaient briller, peut-être à cause des éclairages. Je devais faire un peu biche dans les phares quand j’ai engagé la conversation, mais il m’a souri et il m’a tendu sa carte de visite. C’est comme ça que j’ai pu le chercher sur Facebook, car voilà ce que font les gens comme moi. Et on est devenus amis. (p. 7-9)

#la photo dans le fauteuil de Thomas Hardy Pendant son séjour au Royaume-Uni, Roni est généreusement accueilli par Nikita. Tout se passerait au mieux si le mari « très upper class » et un peu snob de Nikita n’accueillait Roni avec un embarrassant silence… Nikita, qui venait de déposer une tasse devant moi sur la table basse, est repartie chercher un cake que j’ai dégusté avec enthousiasme. Je me sentais un peu mal à l’aise dans ce salon, d’autant que le mari de Nikita ne s’était toujours pas présenté. « Alors, qu’avez-vous donc écrit, comme ça ? » Monsieur m’adressait enfin la parole. « Un roman, William ! Je t’en ai déjà parlé. Je te l’ai même montré ! » a répondu Nikita avant de s’installer pour siroter son café. Il s’appelait donc William. Il s’est replongé dans les pages de son journal. Ne sachant quelle contenance me donner, je me suis mis à gigoter les jambes. Nikita m’a souri doucement. Moi aussi, je lui ai souri. C’était la première fois que je rentrais chez des Anglais. Il y avait des objets partout, vieux, disparates, ambiance musée. Rien de très futuriste. « Tiens, montre-lui le fauteuil ! » s’est soudain exclamé William après deux ou trois minutes d’un silence assez gênant. Nikita m’a demandé si je voulais le voir. « Le fauteuil ? Quel fauteuil ? » J’imaginais déjà un instrument de torture. Elle m’a dit de la suivre dans le bureau, une pièce qui semblait avoir résisté à plusieurs tentatives de mise en ordre. Il y avait des piles de livres et de journaux partout, et des plantes qui piquaient du nez. « Vous voyez ce fauteuil dans le coin ? Le fauteuil isolé ? – Oui, plus tout jeune. – Le fauteuil de Thomas Hardy ! William en est devenu propriétaire il y a plusieurs années. – Un si grand romancier ! » William venait de nous rejoindre, et sa voix m’a surpris. « Vous avez lu son œuvre ? » Sans chercher à mentir, j’ai fait non de la tête. Je voyais déjà tomber sur moi le regard condescendant de William, mais Nikita s’est empressée d’intervenir. « Venez, asseyez-vous dedans. Vous aussi, vous êtes romancier ! » J’ai obéi en soupirant. Le fauteuil était vieux et plus si confortable. Nikita m’a souri, et je lui ai souri aussi. « Vous voulez une photo de vous dans le fauteuil ? – Oui, bonne idée », j’ai répondu en lui tendant mon téléphone. J’ai posé le menton en l’air, genre gentleman sauf que je n’étais pas du tout à l’aise. Sur la photo j’ai l’air très malheureux mais Nikita était ravie. Puis elle a dit qu’elle devait se mettre aux fourneaux et que les invités ne tarderaient plus. C’étaient des gens qui voulaient me rencontrer. « Des amis, ne vous inquiétez pas. » Je n’ai rien répondu. (p. 82-84)


#le rat d’égout mange du steak À la fin de cette rencontre, la directrice du National Centre for Writing est venue me demander ce que je voulais au dîner. Je lui ai répondu que tout me convenait. Je suis un rat d’égout ! Mais elle m’a dit que, comme c’était ma dernière soirée à Norwich et que toutes les rencontres s’étaient bien passées, il fallait fêter ça. J’ai d’abord proposé des pâtes, mais très vite, à l’idée d’être invité, j’ai changé de réponse et opté pour un steak. « Un steak, très bonne idée ! » elle a répondu d’un air satisfait, avec un accent rauque. Wynona – tel était son nom – aurait mérité que je la remercie de s’être aussi bien occupée de moi pendant tout mon séjour. J’aurais aimé l’avoir comme tante, ou comme grande sœur avec une grande différence d’âge, comme ça j’aurais pu lui piquer ses chouettes tailleurs ! Je pense toujours beaucoup à elle. On est partis au restaurant à pied dans le vent froid avec un petit groupe. Nos pas claquaient doucement sur les pavés. Comme ça faisait deux ans que je n’avais pas mangé de steak, je salivais déjà. Je sentais le goût sur ma langue ! Ça fait du bien parfois de penser à la nourriture ! Le steak, énorme, est arrivé sur une ardoise chaude. C’est sans doute la viande la plus délicieuse que j’aie mangée de ma vie. J’ai savouré le tout tranche par tranche, en introduisant chaque morceau délicatement dans ma bouche. J’ai pris soin de bien mâcher, aussi. Une trentaine de fois chaque morceau ! Après le dîner, on s’est tous dit au revoir. Dans ma chambre, j’ai fourré mes vêtements dans ma valise pour ne pas être pris par le temps le lendemain matin. Je me suis assis sur le bord du lit, la gorge sèche. Le steak que je venais de manger avait coûté l’équivalent de plus de 500 000 roupies ! Je savais que je n’en dormirais pas de la nuit. J’étais triste et j’avais envie de pleurer. Je l’avais trouvé tellement bon, ce steak, que je me jugeais atrocement coupable de l’avoir tant savouré. J’ai eu une pensée pour ma mère, qui n’avait jamais rien mangé de semblable. Et que dire de ces vieux qui claquaient toutes leurs économies dans leur pèlerinage ? Ou de tous ceux qui n’avaient pas les moyens de se payer à manger ? Je venais d’engloutir un steak au prix d’un mois de loyer ! J’avais l’impression d’avoir lésé tellement de monde que ça me rendait malheureux. Je me sentais mesquin, abominable. Serrant les lèvres et le cul, je me suis interdit de vomir et de chier. (p. 76-78) Recensions : - Yves Mabon, Lyvres : https://www.lyvres.fr/2023/02/le-rat-d-egout.html - Guillaume Contré, Le Matricule des Anges : https://www.lmda.net/2023-03-mat24134-le_rat_d_egout?debut_articles=%4012869 - Marc Verlynde, La Viduité : https://viduite.wordpress.com/2023/03/30/le-rat-degout-nuril-basri/ Entretien avec Nuril Basri, par Jean-Davy Dias pour RegArts : https://regarts.org/Interviews/nurilbasri.php Journées d’étude et publications académiques : - Étienne Gomez, « Translating and publishing Asian Queer: Nuril Basri’s The Sewer Rat », Paris, Sorbonne Nouvelle, 15 mai 2023. - Étienne Gomez, « Nuril Basri, figure de la marginalité littéraire en Indonésie », Aix-Marseille, 17-18 novembre 2023. - Étienne Gomez, « Exister par la traduction : le cas de Nuril Basri (Indonésie) », La Main de Thôt (Toulouse Jean Jaurès), n°12, 2024 « Traduction et Résistances » (proposition en attente de réponse).


Collection Mémoires

Combien de cœurs

Mémoires d'une femme docteure le premier roman-mémoires d’une figure de proue

de l’émancipation des femmes dans le monde arabe.

Publié en 1957 dans la presse égyptienne, ce premier roman inaugure les convictions qui traversent tous les livres de Nawal El Saadawi, alors âgée de vingt-six ans. Il est considéré comme une oeuvre pionnière dans le féminisme arabe moderne. Une jeune Égyptienne se heurte aux traditions et à sa famille lorsqu’elle choisit de faire carrière dans la médecine. Refusant de se soumettre à un mari et à tout ce que la société attend d’une femme, elle se coupe les cheveux et travaille avec acharnement dans un dispensaire. Les soins prodigués aux corps et aux âmes de ses patient·es l’amènent à construire les fondements d’une pensée rebelle et libre.

• un roman sur le corps des femmes, le soin, la médecine parution : 3 nov 2023 17 € / 128 p. / 14 x 20,5 cm tirage : 1500 ex. ISBN : 978-2-493324-04-7

• un récit initiatique aux accents autobiographiques • le premier livre d’une pionnière de l’émancipation des femmes arabes • traduction : fayza el qasem, universitaire (vit à paris) • postface : rim battal, poétesse (vit entre paris et marrakech) • illustratrice : kubra khademi, artiste féministe afghane (vit à paris)


Souvent décrite comme la « Simone de Beauvoir du monde arabe », Nawal El Saadawi était une voix pionnière sur l’identité et le rôle des femmes dans la société, l’égalité des sexes et la place des femmes dans l’islam. « Nawal El Saadawi, autrice, militante et médecin égyptienne (était) devenue l’emblème de la lutte pour les droits des femmes dans le monde arabe patriarcal et faisait campagne contre les mutilations génitales féminines, qu’elle avait subies à l’âge de 6 ans. » alan cowel

Hommage dans le New York Times

Nawal El Saadawi (1931-2021) Psychiatre de formation, militante féministe emprisonnée et contrainte à l’exil, écrivaine prolifique plusieurs fois censurée, Nawal El Saadawi est une figure égyptienne majeure de l’émancipation des femmes du monde arabe. D’elle, qui a osé parler la première des corps féminins et de sexualité, qui a dénoncé l’excision, le port forcé du voile et la violence de la société patriarcale, Margaret Atwood a dit : « À une époque où personne n’en parlait, [Nawal El Saadawi] a exprimé l’indicible. »


L’illustratrice : Kubra Khademi Kubra Khademi, née en 1989 à Kaboul, est une artiste féministe afghane, peintre, plasticienne et performeuse, réfugiée à Paris. Kubra Khademi étudie les beauxarts à l’université de Kaboul avant de fréquenter l’université nationale Beaconhouse à Lahore, au Pakistan. Ses performances publiques répondent activement à une société dominée par une politique patriarcale extrême. Après avoir présenté sa pièce Armor en 2015, Khademi est contrainte de fuir l’Afghanistan en raison d’une fatwa et de menaces de mort. Aujourd’hui réfugiée à Paris, Kubra Khademi est décorée du grade de chevalière de l’ordre des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture français.

La traduction : Fayza el Qasem Fayza El Qasem a été directrice de l’École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs (ESIT). Professeure émérite de la Sorbonne Nouvelle, en charge de l’enseignement de la traduction générale et de la traduction économique et financière vers l’arabe, elle dirige plusieurs thèses de doctorat en traductologie.

La préfacière : Rim Battal Rim Battal, née en 1987 à Casablanca, au Maroc, est une artiste, poétesse et journaliste marocaine francophone. Elle vit actuellement entre Paris et Marrakech. Ses performances associent poésie, écriture et arts visuels. Elle est notamment l’autrice de L’Eau du bain (SuperNova) et Les quatrains de l’all inclusive (Le Castor Astral). Elle codirige Le Bordel de la Poésie et a initié La Biennale Intime de Poésies.


« Elle était notre aînée. Celle qui avait montré la voie à des générations de femmes arabes engagées dans la lutte pour l’émancipation. [...] Toute sa vie, elle la consacrera à s’opposer aux discours de violence physique contre les femmes, leur infériorisation, leur condition de secondes. » Fawzia Zouari, écrivaine, hommage dans Libération

« Nawal El Saadawi a défié toutes les manifestations patriarcales. Elle n’en a redouté aucune, empruntant des voies scabreuses dans ses écrits, affrontant des combats féroces avec ses mots, brisant de cette manière toutes les chaînes. Ni la peur ni le désespoir ne sont parvenus à la décourager. » Ranem AL Afifi, journaliste

« Ils m’ont dit : "Vous êtes une femme sauvage et dangereuse." Je dis la vérité. Et la vérité est sauvage et dangereuse. »

Charlotte Bienaimé Un podcast à soi

Nawal El Saadawi


[extrait]

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Le conflit entre ma féminité et moi a commencé très tôt, avant même l’apparition de mes attributs féminins et avant que je sache quoi que ce soit sur moi-même, mon sexe ou mes origines, avant même que je connaisse la nature de la cavité qui m’avait abritée jusque-là, avant que je sois expulsée dans le vaste monde. Tout ce que je savais à cette époque-là c’était que j’étais une fille, comme aimait à le répéter ma mère à longueur de journée, une fille ! Ce mot à mes yeux n’avait qu’un seul sens : je n’étais pas un garçon, je n’étais pas comme mon frère. Les cheveux de mon frère étaient coupés courts mais laissés libres et non peignés, tandis que les miens n’en finissaient pas de pousser, livrés à la manie de ma mère qui les peignait deux fois par jour pour en faire des tresses qu’elle emprisonnait aux extrémités avec des rubans. Mon frère se réveillait au matin et avait l’habitude de laisser son lit en l’état alors que je devais faire non seulement le mien mais aussi le sien.

Mon frère sortait jouer dehors sans demander la permission des parents et rentrait quand bon lui semblait, alors que je ne pouvais sortir que s’ils m’en donnaient l’autorisation. Mon frère avait toujours droit au plus gros morceau de viande, il avalait rapidement son repas, mangeait sa soupe en faisant du bruit sans que ma mère lui fasse la moindre observation. Mais moi, c’était différent... J’étais une fille ! Je devais faire attention à mes moindres faits et gestes, cacher mon appétit, manger lentement et absorber ma soupe sans faire de bruit. Mon frère jouait, bondissait, faisait des sauts périlleux alors que si je m’asseyais et que ma jupe se soulevait d’un centimètre au-dessus de mes cuisses, ma mère me transperçait aussitôt du regard et je devais cacher ces parties honteuses de mon corps. Les parties honteuses ! Tout en moi était honteux, alors que je n’étais encore qu’une enfant de neuf ans ! Je m’apitoyais sur moi-même. Je m’enfermais dans ma chambre et fondais en larmes. Les premières larmes que j’ai versées dans ma vie, ce n’est pas parce que j’ai eu une mauvaise note ou brisé un objet de valeur, mais parce que j’étais une fille ! J’ai pleuré sur ma féminité avant même de savoir ce qu’elle signifiait. Quand j’ai ouvert les yeux sur la vie, une inimitié régnait déjà entre moi et ma nature. *


[extrait] * Je dévalais les escaliers quatre à quatre pour arriver dans la rue avant d’avoir fini de compter jusqu’à dix. Mon frère et ses camarades, des filles et des garçons de notre voisinage, m’attendaient pour jouer aux gendarmes et aux voleurs. J’avais demandé à ma mère la permission de sortir. J’adorais jouer, j’adorais courir le plus vite possible, je ressentais une immense joie quand je bougeais la tête, les bras et les jambes à l’air libre. Je prenais alors mon élan pour sauter le plus haut possible, faisant des bonds que seul le poids de mon corps attiré vers le sol interrompait. Pourquoi Dieu m’avait-il créée femme au lieu de faire de moi un oiseau capable de voler dans les airs comme ce pigeon ? Dieu devait sans doute préférer les oiseaux aux filles. J’étais réconfortée par l’idée que mon frère, lui non plus, ne pouvait pas voler. Ainsi, malgré la très grande liberté dont il jouissait, il était tout aussi incapable de voler que moi. Depuis, j’étais constamment à l’affût, chez les hommes, de points faibles qui me consoleraient de l’impuissance qui m’était imposée par ma condition de femme. Au moment où je sautai, je sentis un violent frisson parcourir mon corps. Je fus prise de vertiges et je vis quelque chose de rouge. Qu’est-ce qu’il m’arrivait ? Je fus prise de panique et me retirai du jeu aussitôt pour rentrer à la maison et m’enfermer

dans la salle de bain, afin de percer en privé le secret de ce grave incident ! Rien n’y fit, je ne comprenais toujours rien ! Je pensais que j’étais atteinte d’une soudaine maladie. Je décidai malgré mes craintes d’aller en parler à ma mère. À mon grand étonnement, je la vis éclater de rire. Mais comment pouvait-elle accueillir cette horrible maladie avec un aussi large sourire ? Remarquant ma surprise et ma confusion, elle me prit par la main et m’emmena dans ma chambre pour me raconter l’histoire sanglante des femmes. * Je m’étais enfermée dans ma chambre quatre jours d’affilée, incapable d’affronter mon frère ou mon père ou même le jeune serviteur. Sans doute étaient-ils tous au courant de cette chose honteuse qui s’était abattue sur moi. Ma mère les avait sûrement informés de mon nouveau secret. Je m’étais barricadée pour tenter de venir à bout de ce phénomène bizarre. N’y avait-il pas d’autre moyen pour les filles d’atteindre la maturité que cette voie impure ? L’être humain pouvait-il des jours durant être en proie à des spasmes musculaires ? Dieu devait détester les filles pour les avoir marquées ainsi du sceau de la honte. Il devait avoir choisi d’avantager les garçons.




rayon littérature

genre spoken word

parution 3 mai 2024

Portrait

art&fiction

RÉBECCA BALESTRA

Minuit Soleil

Raconter des choses du quotidien : l’amour de sa vie. Ce livre est une recherche collective dans la nuit blanche de nos regrets et de nos désirs.

« Sur le modèle des paroles de chansons de variété qui ont traversé le temps, j’ai souhaité écrire des textes qui parleraient aux cœurs brisés. Raconter des choses du quotidien : mettre la table, vieillir, manquer l’amour de sa vie. Minuit Soleil est une recherche collective dans la nuit blanche de nos regrets et de nos désirs. Une nuit que l’on traverserait jusqu’au bout afin d’y voir plus clair, comme quand les yeux s’habituent au noir. Comme après une soirée arrosée devenue une nuit puis un matin. Un matin resté dehors à regarder le jour se lever sur nous en même temps que passe le camion des poubelles. » Ce recueil réunit onze poèmes mixant poésie et détails prosaïques, balançant entre humour et désespoir. Le style est libre, la langue contemporaine, pour évoquer entre autres histoires, celle d’un parent divorcé addict au porno, d’une femme en éternel lendemain de cuite ou d’un coucher de soleil en EMS. Évoquant tour à tour un Gérard ou une Dalida, les textes de Rébecca Balestra ricochent avec finesse et invention entre le trivial et le glamour.

nouvelle édition revue et augmentée d’une création sonore

collection San Remo format 11 x 17,5 cm, 60 p., broché isbn 978-2-88964-072-0 prix CHF 16.50 / € 13

RÉBECCA BALESTRA EST LAURÉATE DU PRIX SUISSE DES ARTS DE LA SCÈNE 2023 !

© Anne-Laure Lechat

mettre la table, vieillir, manquer

Après un Bachelor en théâtre à la Manufacture-HEARTS, Rébecca Balestra commence à développer ses propres créations. D’abord Flashdanse au Théâtre Sévelin 36, puis Show Set à l’Arsenic et Piano-bar à la Comédie de Genève. Avec Igor Cardellini et Tomas Gonzalez, elle co-signe et joue dans les mises en scène Self-Help et Showroom. En tant qu’interprète, elle collabore avec le collectif tg STAN et les metteur·euses en scène Marion Duval, Anne Bisang, Natacha Koutchoumov, Mathieu Bertholet, Manon Krüttli et Jean Liermier. En 2021, Rébecca Balestra créé Olympia, spectacle musical et poétique qu’elle produit pour la Nouvelle Comédie de Genève, en collaboration avec la Haute École de Musique. Elle publie le recueil de poésies Minuit Soleil, édité chez art&fiction. En 2022, Rébecca Balestra écrit un spectacle de stand-up nommé RÉBECCA BALESTRA pour les théâtres Arsenic, Boulimie et Saint Gervais, devient chroniqueuse pour l’émission « Les Beaux Parleurs » sur RTS La Première et joue dans la pièce Le père Noël est une benne à ordure écrite par Guillaume Poix pour le Poche GVE. En 2023, elle interprète le rôle de Kim dans la série Espèce menacée réalisée par Bruno Deville et reçoit Le prix Suisse des arts de la scène pour l’ensemble de son travail.

si vous aimez la poésie, le spoken word, le théâtre, le comique, les divas, l’univers du spectacle, le stand-up


Rébecca Balestra | Minuit Soleil

Extraits

Rébecca Balestra | Minuit Soleil

U NE DÉCL A R ATION

On pourrait aller à Rolle manger des perches Je commanderais de la gazeuse au lieu de la plate Je mettrais le prix je me remuerais le derche J’arrêterais de dire que la vie est ingrate Si toi et moi on pouvait redevenir de mèche J’allumerais le feu dans tes yeux On mettrait nos lunettes de soleil On le regarderait se coucher dans le ciel bleu On irait dans les monts et merveilles je prendrais la Fiat si tu veux Et j’aurais déposé le chien la veille Au chenil Pour qu’on soit que les deux Je vais faire le ménage c’est décidé Je viderai les éviers Et je changerai la patte plus souvent pour éviter

Extraits


Extraits

Rébecca Balestra | Minuit Soleil

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M I N U I T SOL EI L

Que l’un d’entre nous deux soit gêné au moment de la passer parce que Ça pique le nez l’odeur du pas propre De la saleté Si tu restais je ferais le beau Pour avoir le poil brillant Tous les jours je me laverais la peau Et je ferais plus semblant je le ferais au savon je le ferais plus à l’eau Je prendrais une lavette ou un gant et après bien sûr je nettoierais le lavabo Évidemment Je mettrai les grands plats au lieu des petits Je choisirai des nappes de couleur j’enlèverai les miettes de la table je la ferai jolie Je briserai plus ton cœur c’est promis Y’aura que des belles heures Ce sera le miel sans le vinaigre Ici Je vais faire quelque chose pour les mites dans la farine J’achèterai un produit fort je mettrai la dose

Extraits

Rébecca Balestra | Minuit Soleil

U N E DÉCL A R AT ION

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Y’en aura plus dans la farine Oh ce sera du gâteau Plus facile que de la prose Je jouerai plus au con allez je monterai les poubelles Je les ferai plus couler La vie sera belle Je te ferai plus pleurer Je t’ai dans la peau je t’ai dans les reins Je suis plus qu’une marmelade une confiture Mais si un jour tu repassais dans mon coin Je prendrais le pli je te jure Je te ferais couler des bains on imaginerait le futur Je t’écouterais en silence Je ferais plus rien Je tiendrai parole J’aimerais que tu reviennes à la maison Ici je suis dans un bol je fais que tourner en rond Accepte de venir à Rolle On mangerait du poisson


Rébecca Balestra | Minuit Soleil

Extraits

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M I N U I T SOL EI L

Pour te récupérer je ramperais au sol Je me casserais le croupion Parce qu’en vain malgré l’alcool l’eau ne coule pas sous les ponts Tu restes ma baby doll C’est peut-être trop tard mais je crois que j’aurais du fion Si en rentrant ce soir

GÉR A RD

Gérard c’est quelqu’un qui en a plein le boule Qui a fait le tour De lui-même Qui essaye de plus regarder derrière Sa face dans le rétroviseur ça le fait tourner Lui a tiré la chasse Un Gérard ça a fait les grands ducs Ça a trop soulevé le coude trop sauté de culs La vie il en a trop soupé Le Gérard n’en veut plus

Je te trouvais au salon.

© Magali Dougados

Gérard vous le trouverez au café Il s’y descend à la Suze se suicide aux peanuts Si vous êtes une fille pas trop moche Il vous appellera sa Duse Vous écrira je t’aime aux pointes d’allumettes dessus votre mousse à bière Il vous dira tire sur mon doigt Tire sur mon doigt ou je pète

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M I N U I T SOL EI L

Plus tard vous le verrez pleurer en gouttes le Gérard Se moucher en trompette À la fermeture quand il faudra partir Remettre son imper beigeasse sa veste des mauvais soirs Et dire en blâmant la pluie Une ultime fausse fois la dernière La dernière C’est pour moi Gérard jette ses clopes aux chiottes se branle sur son ex Il a la nosta’ des nineties Un ceinturon tressé tête de lion métallique pour se donner un air rock Et chaque jour il fait l’erreur monstre Dedans son froc D’y faire rentrer sa chemise Gérard

© Magali Dougados

Extraits

Rébecca Balestra | Minuit Soleil

Gérard est un fanatos des Blues Brothers Il regrette aussi les soirées communales l’époque du disco Quand il était sur la piste diable au corps à tourner les serviettes

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GÉR A R D

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Dans les marquages de basketball multicolores Dans la salle de gymnastique De l’école de son fils Tout le monde ici s’accorde à dire Que les pantalons high waist évasés lui allaient si bien Son physique sportif élancé Mais les grands lucides savent bien qu’à plus y repenser Les jeans plus que taille haute ne rendent pas justice Et encore moins aux fesses de Gérard Gérard ignore sa solitude s’occupe comme il peut S’invente des passions feux de paille Promène les chiens de sa femme Une année sur deux Il vient au stade de la Praille voir un concert de Johnny Qu’il pensait toujours être le dernier Jusqu’au dernier Bouffée de souffle Gérard est en feu Il est encore Gérard Foudroyé par la musique

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Extraits

Rébecca Balestra | Minuit Soleil

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Rébecca Balestra | Minuit Soleil

M I N U I T SOL EI L

Un phénix dans son bain de foule Bras dessus bras dessous Soulevé par l’émotion Gérard lève son Bic au ciel Gérard pourrait chialer tout de suite Et quand il reviendra tard au quatrième étage Dans son gratte-ciel résidentiel Avant de tourner la clé il attendra Devant le pas de porte sur l’essuie-pieds camel Un paillasson où il est écrit encore toi Gérard attendra

LE M A NQU E DE FA IRE

Tous les soirs j’ai la culpa’ Je repasse en révision ma journée et j’ose bon je fais le pas Je me dis dis donc Qu’est-ce que t’as fait Y’a des choses qui ne changent pas De manger je n’oublie jamais Et je suis pas un pion je fais bien quelques pas Et aussi des tours Sur internet

Avant de se faire rentrer À l’intérieur de lui-même.

Rien Rien de plus Que du moins Tous les soirs j’ai la culpa’ c’est une tragédie Je prends Racine Qu’ai-je fait aujourd’hui Je me dis que j’aurais dû aller à la piscine le temps est beau il fait joli Aller à la gym j’ai bien payé le prix j’ai plus un centime

Extraits


Miguel Casado Le sentiment de la vue Traduit de l’espagnol par Rafael Garido et David Lespiau 15 x 20 cm 96 pages 978-2-493242-12-9 15 € 3 mai 2024

Dernier livre en date du grand poète espagnol Miguel Casado, Le sentiment de la vue se compose de 63 poèmes écrits entre 2003 et 2015. L’écriture suit ici le cours turbulent des jours, révélant la matière du quotidien avec une étrange acuité. Poésie du regard, les poèmes tressent fragments descriptifs, passages narratifs et références historiques (l’ombre de la Guerre Civile espagnole et celle de l’actualité politique intègrent la trame de plusieurs poèmes). Écrit dans une langue qu’on pourrait qualifier de prosaïque, Le sentiment de la vue est porté par ce que Miguel Casado appelle « désir de réalité » : « être poète c’est ne pas se résigner, planifier comme tout prisonnier sa fuite, désirer un dehors impossible. Le dehors, ce sont les choses. » Miguel Casado travaille ainsi à partir de motifs liés à la perception, au rêve, à la mémoire ou à l’expérience du corps. Le geste d’écriture tente ainsi de définir, et d’accomplir, l’expérience perceptive. Ce serait là, dehors, en marge des codes établis, dans le partage du sensible, que percerait la possibilité d’élaborer quelque chose de l’ordre du commun : « Regarder, c’est partager le monde, / les intensités changeantes, / l’aura où les choses / reposent, ou s’aiguisent.  »

Le sentiment de la vue est le premier livre de l’auteur intégralement traduit en français. Miguel Casado a été un lecteur attentif de la poésie française : il lui a consacré plusieurs textes critiques et traduit en espagnol Rimbaud, Verlaine, Francis Ponge et Bernard Noël. Aussi, son œuvre dialogue étroitement avec nombre de poétiques contemporaines. Dans un entretien, Roberto Bolaño déclarait : « La découverte de Miguel Casado m’a réconcilié d’une certaine manière avec les poètes de ma propre génération. » La traduction que nous proposons a été réalisée par Rafael Garido et David Lespiau.

* Miguel Casado (Valladolid, Espagne, 1954) est l’auteur d’un vaste travail poétique, critique et de traduction. Ses oeuvres poétiques complètes ont paru en octobre 2023 sous le titre Deseo de realidad (Tusquets). En 2017 paraît une anthologie de sa poésie en français : Pour un éloge de l’impossible (éditions À l’index), aujourd’hui introuvable. Ses poèmes ont également été traduits en portugais, anglais, allemand, arabe et néerlandais.


Étendu dans l’obscurité, fenêtres ouvertes, il respire l’air

des arbres, il voit l’ombre

encore plus noire que la chambre

des branches du mûrier, et l’étrange lumière qui se diffuse dans le ciel. Lumière de la nuit,

équilibre de vérité et de mensonge, courant sans source. Il entend

le ruissellement de l’eau dans le canal, tellement rare depuis des années.

Il entend ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas résonne dans ses tendons. Lumière

de la nuit, sans savoir s’il reste du temps.

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Entre les faits il ne paraît pas facile de distinguer ceux qui tombent simplement selon le destin

de la pierre et ceux qu’intérêt

conduit. Les uns et les autres viennent s’intégrer dans un corps nommé

système, ils tirent de lui leur commune nature irréversible. Dans l’étrange défaut d’images de la révolte

syrienne, le récit de plantations brûlées, de brebis explosées par l’artillerie, fournit un modèle positif de fait

et je ne sais pas pourquoi la réalité ressemble à une fêlure.

Car seulement est irréversible ce qui ne fait pas retour.

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Ce qui est à venir

– divers, composite, étranger

à toute hiérarchie – maintient la vie

en tension : en mouvement et presque sur le point de rompre. La remplit en la vidant. Ne vient pas.

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visuel provisoire

ÉDI TI ON S L U R L U R E

PARUTION MAI 2024 Hélène Sanguinetti

ALPAREGHO, PAREIL-À-RIEN

Hélène Sanguinetti Alparegho, Pareil-à-rien

Genre : Poésie Collection : Poésie Prix : 20 euros Format : 140 x 210 mm Nombre de pages : 104 pages

l

ISBN : 979-10-95997-59-7

LE LIVRE Mêlant récit, conte, geste héroïque, Alaregho, Pareil-à-rien est avant tout un long poème polyphonique, dont la voix principale, qui donne son titre à l’œuvre, sort de la bouche d’un être étrange, étranger ou exilé, souffrant et renaissant à la fois, doutant toujours et croyant encore. Cet Alparegho (nom inventé), pareil-à-rien – donc différent de tout, ou, inversement, semblable à n’importe quoi –, est un « rafistolé », fait de bribes et d’éclats d’univers. Suspendu au fil du vivre, comme nous, il est la figure même d’exister, coûte que coûte. Chez Hélène Sanguinetti, le poème se vit comme une aventure, dans un espace et un temps indéterminés (aux repères brouillés), une aventure de l’être qui s’interroge sur son identité, son utilité, et cherche sa place dans le monde. L’écriture porte les marques de la vie, exprime le dérisoire absolu de l’aventure d’écrire et de vivre. Avec des mots simples et concrets, elle se déploie et se casse, s’interrompt soudain, laissant le vers en suspens. La syntaxe est désarticulée et maîtrisée à la fois, les caractères enflent pour crier, et tout aussitôt s’affinent, proches du murmure. Il y a dissonance, humour, ironie, et harmonie, violence – ainsi de la vie. Paru pour la première fois en 2005 (éditions Comp’Act, réédition en 2015 chez L’Amandier), Alparegho a été salué par la critique et nominé dans plusieurs prix.

DIFFUSION-DISTRIBUTION : SERENDIP LIVRES / PAON DIFFUSION

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L’AUTEURE Hélène Sanguinetti, née à Marseille, passe sa jeunesse dans la fréquentation continue de la mer, de la poésie et de la peinture. En 1999, Yves di Manno publie son premier livre, De la main gauche, exploratrice (Poésie / Flammarion). Son œuvre est traduite et publiée dans plusieurs pays (États-Unis, Finlande, Slovénie et Allemagne). Très attirée par les recherches visuelles et sonores, par le chant, les rythmes, elle aime confronter le poème avec d’autres expressions artistiques et l’incarner en direct en public par la voix et le corps. Elle maintient aussi, entre son travail de la terre, fascination ancienne, et celui de son écriture, un dialogue primordial à l’origine sans doute du peuple dont ses livres sont parcourus. Bibliographie sélective : • D’ici, de ce berceau, Poésie / Flammarion, 2003. • Alparegho, Pareil-à-rien, L’Act Mem, 2005, rééd. L’Amandier, « Accents graves / Accents aigus 2015. • Le Héros, Poésie / Flammarion, 2008. • Et voici la chanson, 2015, réédition chez Lurlure en 2021.

EXTRAITS DE REVUE DE PRESSE D’ALPAREGHO Lien de l’émission « Ça rime à quoi », de Sophie Nauleau, sur FRANCE CULTURE, consacrée à Alparegho en 2015 : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/ca-rime-a-quoi/helene-sanguinetti-pour-alparegho-pareil-a-rien-5511388 « Singulière entreprise – et malaisément situable dans le paysage contemporain – que celle d’Hélène Sanguinetti, qui à travers deux précédents ouvrages - De la main gauche, exploratrice (1999) et D’ici, de ce berceau (2003), tous deux parus chez Flammarion - a imposé sa geste héroïque et brisée, qui semble surgir d’un passé légendaire, âge d’or et pierraille mêlés. Cela selon la loi d’une écriture éminemment concrète, plus scandée qu’inspirée, et plus ouverte au souffle épique qu’à la complainte lyrique. » VIENT DE PARAÎTRE « Le livre repose sur un motif narratif qui court au long des sept sections, celui d’un voyageur étrange, cet Alparegho venu d’on ne sait où, s’exposant là, tout visage et voix persistante d’un qui “va où il va”. Paladin, héraut d’une non-équivalence qui l’apparente ici au poète, là au musicien, Orphée qui est aussi une voix possible du peuple, celle des sans voix, et aussi bien surgissement pur du visage, être-pour-la-mort, comme le reflet amorti d’un emblème, d’une énigme un peu délavée. » CAHIER CRITIQUE DE POÉSIE « Une écriture ample, à La fois généreuse et maîtrisée, livre peu à peu les fragments de ce monde et de ses désastres, et de ses monstres, de ce qui va disparaître et de ce qui n’est pas encore là. « Elles puent toutes ces bouches ! /Changeons de bouches. / Et raclons l’os. » DIFFUSION-DISTRIBUTION : SERENDIP LIVRES / PAON DIFFUSION

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VIENT DE PARAÎTRE – HORS SÉRIE « Décidément, il y a quelque chose de l’humour héroïque de Chrétien de Troyes, dans la souplesse de l’art de conter et dans la liberté d’une poésie très ouverte. Mais tout cela voltige et pétille, on n’est pas non plus dans l’imitation, encore moins la célébration. Hélène Sanguinetti s’adresse à ses contemporains par les moyens qui sont les siens, aujourd’hui : l’invention et l’écriture, où surgissent en gerbe, par effet de la musique et des plis de la langue, des fusées de sens. Et c’est un régal. » BLEU DE PAILLE « Gardons-nous d’interpréter les poèmes d’Hélène Sanguinetti, restons plutôt près de ses folles escapades, de ses glissements poétiques, laissons-nous apprivoiser, ensorceler et manger par ce livre pareil-à-rien ». LE MENSUEL LITTÉRAIRE ET POÉTIQUE

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EXTRAIT Car voilà : C’est un jour de mise à nu dans le pays Oh ! C’est aujourd’hui, grand jour ! Secouons draps par les fenêtres, cassons vitres et remplaçons, vidons tiroirs, poches, étagères. Grand jour ! Car mon pays est dans la maison, chaque maison a son visage, un de mort un de vivant. « De quel pays, disait-elle, de quel pays êtes-vous ?» Ainsi a dit. Une petite voix qui insiste c’était, et venue de très loin sous l’armure, venue jusque là-dessous, venue de là ? Que voulait-elle, « On n’a rien ! On n’a rien ! » (Quelqu’un du village, qui s’avançait avec des griffes) Petite voix qui insiste douce et dure de très loin, avec des flèches, et beaucoup d’eau, mieux qu’un cri. Même mieux qu’un vrai de vrai poussé au bord, sur l’arête, le bord du bouclier, cabossé. Une assiette pour les oiseaux. Car l’oiseau a soif aujourd’hui, plus soif que faim, tous les oiseaux. Une assiette remplie de sang et de gravier. « De quel pays, disait-elle, de quel pays êtes-vous, je ne reconnais pas le son de votre voix. Ni votre harnachement je ne reconnais pas. Ni la robe même de votre cheval.» Ainsi a dit. Et lui tremble. D’un genou entre dans la pierre. Perd ses doigts, à Serrer. « D’où êtes-vous ?» Et lui ne sait même plus son nom. Perd les yeux, à ne pas. DIFFUSION-DISTRIBUTION : SERENDIP LIVRES / PAON DIFFUSION

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Pays d’Orlando, et de Gaby Pays de Michel, Pays de Jeanne et Madeleine, (ainsi y a-t-il des Reines pour frotter les marches, récurer les marmites, sécher les culs)

Pays d’Anna, Et il y a Alparegho, le pauvre guetteur, l’homme aux bandelettes, pareil à rien

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Billy Dranty

Éditions du Canoë

2024

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Juin

Genre : poésie Format : 12 x 18,5 cm Pages : 160 Prix : 16 € Couverture : Thomas Pesle ISBN : 978-2-490251-92-6 Billy Dranty a participé activement à la revue moriturus au début des années 2000. Poète, il a publié cinq livres chez fissile, dont une trilogie : L’hydre-anti – Derelictus – Rivage veuf. Il a également publié Trucidive chez Barre parallèle, Détrauma aux éditions Les Arêtes, ainsi que de nombreuses plaquettes aux éditions Derrière la salle de bains. Éditeur critique, il a établi, documenté et présenté les correspondances croisées de René Daumal avec Léon Pierre-Quint (en collaboration avec Bérénice Stoll, Ypsilon, 2014), de Roger Gilbert-Lecomte avec René Daumal (Ypsilon, 2015), celles de Richard Weiner avec les poètes du Grand Jeu (en collaboration avec Erika Abrams, fissile, 2019), ainsi que les Lettres à Pierre Minet de Max Blecher (L’Arachnoïde, 2020) et les Écrits de La Bête noire de René Daumal (Unes, 2021). Il a en outre pourvu d’un encadrement éclairé une nouvelle édition du Mont Analogue, dans l’ouvrage Les Monts Analogues de René Daumal (Gallimard, 2021).

Trois ans après Advers/Attract obstruct, qui marquait sa première publication au Canoë après une œuvre cruciale éditée jusque-là par Cédric Demangeot aux éditions fissile, on peut découvrir un nouveau livre de Billy Dranty, dont la poésie abrupte et sublime est un contre-don à l’enlaidissement du monde. Décantation du brut se décline en cinq parties, toutes hérissées et elles-mêmes subdivisées en douves quand ce ne sont pas des « travées ». Car c’est bel et bien d’une réponse à une parole entravée qu’il s’agit, hoquetante et féroce, au même titre qu’une dékantation, d’une critique de la faculté de s’user. Les vers de Billy Dranty sont résolument disloqués autant que disloquants, et l’émotion dure longtemps à leur lecture, comme à la rencontre imprévue d’un alexandrin isolé : « Un souffle a perduré au ravin d’insécure », qui rappelle étrangement le poème orphelin d’Apollinaire : « Et l’unique cordeau des trompettes marines ». Lire Billy Dranty relève de la contre-mort. Et l’on se sent vivant dans cet obstacle salvateur.

Contact : colette.lambrichs@gmail.com Relation libraires : jean-luc.remaud@wanadoo.fr Éditions Du Canoë : 9, place Gustave Sudre 33710 Bourg-sur-Gironde

Téléphone : 06 60 40 19 16 Téléphone : 06 62 68 55 13 Local parisien : 2, rue du Regard 75006 Paris c/o Galerie Exils

Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip


Curetage d’âges coagulés fragilisant la crue des muscs. Volée de bois vert sur la poutre de l’œil. Foudroiement des vertèbres sur la poudre dressée. Et le désaffaissement, l’éructible suite des vœux défaits-refaits en position de mettre bas le contre-abattu.

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Angoisse réhaussée de stupeur : déshiberner prend le visage d’un printemps en larmes. La peau dure est crevée. (Un râle.)

Débris de peu, de plus, feues les flammes, flou le fut. Misère qui n’a même plus peine, même plus rien. Ère des mises ailleurs, et qui qui pointe de désir point.

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Rasé l’espace en l’ou bli s’effon drant.

DEUXIÈME EXTRAIT [TIRÉ DE « HIC REPETITA II »]

Et l’autre espace (le même) laissé aux vents, aux chiens, à toi. Vœu de venir dans vrombir hors sans. Avec vivre, et clairement.

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La transhumance du seul au taquet de crispe. L’abrutissoir réitéré. En conséquence de coi, et pire dans l’indémence.

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À contre-enfance, monde hideux. Mais les babils de peu, planqués, alibiles.

TROISIÈME EXTRAIT [TIRÉ DE « LE BIDE HULULE »]

Un souffle a perduré au ravin d’insécure.

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Le gage, la mire, le remonté remontré, la transe des restes, le massicotage du plié en quatre angles punis, la libération du chemin à dire, le tracé mordu, le paon phénoménal. • Droit, à la jointure du su, et comme attardé dans l’indémentielle stagne, tirant nul profit de la langue répétitive du monde creux, happant l’ordre des choses par invocation du là. • L’auge de rêves aux angles gelés, la courbure de l’accès au revoir des temps-paix remettre l’air debout, et l’étrange démangeaison où parfaire l’agréé dans le cœur rassemblé-ressemblant au corps nu des ph(r)ases dansées-dansantes. • Un désabri pour délire-autre à retourner comme vieille chaussette par désir- trou : passer, pour ailleurs placer le hic sous son mauvais jour révélateur, court-­ circuitant les mauvaises suites. • La zone-mère du rétif écarte les bords de son dû en une propulse glaneuse de sentiments de dé-pression à toute allure dans le besoin. 14

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Éditions du Canoë

2021

4 juin

Billy Dranty

Genre : poésie Format : 12 x 18,5 cm Pages : 176 Prix : 16 € ISBN : 978-2-490251-45-2 Billy Dranty a participé activement à la revue Moriturus au début des années 2000. Poète, il a publié cinq livres chez Fissile, dont une trilogie : L’hydre-anti – Derelictus – Rivage veuf. Il a également publié Trucidive chez Barre parallèle, Détrauma aux éditions Les Arêtes, ainsi qu’une quinzaine de plaquettes aux éditions Derrière la salle de bains. Éditeur critique, il s’est consacré, ces dernières années, à établir, documenter et présenter pour les éditions Ypsilon, Fissile et L’Arachnoïde, les correspondances croisées de René Daumal avec Léon Pierre-Quint et Roger Gilbert-Lecomte, de Richard Weiner avec les poètes du Grand Jeu (en collaboration avec Erika Abrams), ainsi que les Lettres à Pierre Minet de Max Blecher. C’est dans les mêmes temps qu’il a écrit Advers, puis Attract obstruct.

Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com ; tel 06 60 40 19 16

Ce livre important en contient deux : Advers et Attract obstruct, qui se répondent organiquement, sur le mode d’une structure dense et ramifiée. Le premier se veut un « espace sauvage d’expectoration », où le vers combattif et sans concession progresse par saccades, saccages et scansions, pour se défaire de la « glu » des tricheries, qui est aussi celle du lyrisme. Logique de rupture, donc, pour trouver une voix à un je démembré, qui cherche à se réinventer une naissance. Le second, tendu dans le feu entre attachement et arrachement, décline par blocs de discours amoureux les étapes d’une intrigue en suspens(e). Du « OUI en pléthore » d’un éros révolutionnaire qui voit poindre le nœud des corps, on s’inquiète finalement d’un lieu absent, entre-deux, à l’image d’un texte qui hésite, donc se pose la question de sa forme, adverse et adversifiée.

Diffusion-distribution : Paon diffusion.Serendip


ÉRIC PESTY ÉDITEUR K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. n°26 Au sommaire : Marie-louise Chapelle : entre, vide, indifférent Claude Royet-Journoud : La transcription infidèle Susan Howe : Since (traduit de l’américain par Martin Richet) Christian Le Guerroué : La discrétion de Danielle Collobert Note d’intention de Jean Daive pour la revue K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. rédigée en 2012, année de fondation de la revue : Koshkonong est un mot indien Winnebago qui donne son nom à un lac important du Wisconsin. Il signifie au-delà de toutes les polémiques d'hier et d'aujourd'hui : "The Lake we Live on" — Le Lac qui est la vie. C'est là que Lorine Niedecker est née et a vécu, dont les poèmes ouvrent le premier numéro de K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. Le poème de Lorine Niedecker fait d'échos, de résonances, introduit une écoute autre à propos d'accents autres et de sens autres. L'écriture principalement connaît trois phénomènes : la main, la voix, le mur. Le mur est une manifestation qui s'adresse le plus naturellement du monde à l'homme, quel que soit son état de marche, quel que soit son état de cœur : le mur qui écrit la revendication, le mur des amoureux, des accusations, le mur des avis, notices, affiches, placards, proclamations, le mur des graffitis, des signes, des mots bombés, le mur est manifestation de l'urgence, de l'injustice, du procès, de la contagion, de l'épidémie. K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. est une revue qui veut prendre en compte toutes les résonances de la langue et l'urgence, toutes les désaccentuations possibles et l'alerte. K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. est une revue de l'ultimatum.

(COUVERTURE PROVISOIRE) Parution : juin 2024 Prix : 11 € Pages : 20 Format : 15,5 x 24 cm EAN : 9782917786918 Rayon : poésie contemporaine CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com






ÉRIC PESTY ÉDITEUR Dorothée Volut Contour des lacunes Il n’y aura pas de post-scriptum, / ni de post-mortem, je veux que tout soit écrit / de mon vivant Invitant à nous rappeler que les mots « lac » et « lacune » sont liés étymologiquement, Dorothée Volut écrit à propos de Contour des lacunes : « À l’automne 2019, chaque matin après avoir amené mon fils à l’école, j’allais m’asseoir une heure à l’auberge du village, sur la place entre l’église et la fontaine. À cette période, Électricité De France procédait au grand nettoyage du barrage de Fontaine-Lévêque qui se trouve en amont. Jour après jour, par le jeu des barrages en aval, les fonds de la gorge ressurgissaient. Un jour que j’étais en train d’écrire à la terrasse, une amie a déposé ce livre sur ma table : L’eau se mêle à la boue dans un lac à ciel ouvert (Zone Sensible, 2016). L’anthropologue Keith Basso y relatait sa rencontre déterminante avec la culture apache en 1979 et la relation sacrée que ce peuple entretient avec les lieux : en bien des points, à chaque mot, je me sentais Apache. La couverture totalement blanche de ce livre, au centre duquel, légèrement embossé, se devinait le relief circulaire d’un lac, prolongeait le silence que la lecture des paroles indigènes m’imposait. J’avais quitté Marseille pour le retrait, pour la survie. Guidée par une amie, j’étais arrivée dans un paysage vers lequel rien d’autre qu’une crise n’aurait pu m’amener : falaises calcaires arides, petites collines sèches de chênes pubescents, gorges immobiles au fond desquelles gisait l’eau millénaire du Verdon. Sans le savoir, je me mettais au travail pour redéfinir les conditions d’émergence de mon geste d’écrire, et vivre. Une récolte parcimonieuse, mais suffisante, apparut au fil des ans. Du temps où je n’écrivais pas, où le dessin était mon seul trait, j’avais noté un jour sur un carnet : la poésie est la langue de la mémoire. C’était penser dans une matière pré-verbale. » Composé de façon antéchronologique (le texte le plus récent en ouverture ; le texte le plus ancien en conclusion), Contour des lacunes est le quatrième livre de Dorothée Volut publié chez Éric Pesty Éditeur. Il succède à alphabet (2008, rééd. 2016), à la surface (2013) et Poèmes premiers (2018). Il est une nouvelle étape déterminante dans le cheminement d’écriture que poursuit opiniâtrement son autrice depuis le début du XXIe siècle. En miroir de à la surface, chronologiquement composé, Contour des lacunes semble, pour ainsi dire, tourner le dos à son temps.

(COUVERTURE PROVISOIRE) Parution : juin 2024 Prix : 22 € Pages : 104 pages Format : 152 x 228 mm EAN : 9782917786925 Collection : brochée Rayon : Poésie CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com


Persistances

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Sur la carte, j'habite dans ce vert très pâle qui approche l'effacement. A cet endroit, le vent souffle énormément. Je reste assise en tailleur dans cette lacération sonore qui s'infiltre par le foyer de braises. Tu ne peux pas me voir, il faudrait agrandir. La transparence monte avec l'immobilité du corps. Seule la main bouge, va et vient sur le papier, de gauche à droite comme dans le livre d'Edmond Jabès il y a des années. Ou l'écureuil sur sa branche il y a deux étés. C'est une forme oubliée – l'intention uniquement poursuivie. A l'échelle d'une forêt, tu ne pourras sentir qu'un frémissement. Les aéroports étaient-ils bloqués à cause de l'affluence des voyageurs se rendant à l'enterrement du dernier rhinocéros blanc? La pluie commence à sécher. Ses traces disparates, petit à petit, sur la chaussée, sur les tuiles, sur les murs, disparaissent. Chemine, toi aussi, évapore. L'invisible est actif. […]

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La terre est ronde, la vie n'est pas plate. Je marche la nuit avec le silence dans mes bottes percées. Nous rampons jusqu'au fond des grottes pour aller admirer les gestes de ceux qui, il y a des millions d'années, terminent aujourd'hui nos phrases. J'admire l'inflorescence des ombres sur le muret de pierres que Daniel avait remonté. Bientôt le lilas fleurira, tu planteras tes patates. Oui, nous avons encore des poules pour le climat, tandis que des visages tuméfiés – non, nous n'en avons pas. Mais nous ne nous aimons pas assez. Les pins sont obligés de dormir au milieu d'une zone d'activités dans cette lumière blafarde. Heureusement lorsque tu ouvres la portière, l'odeur des étoiles te serre dans ses bras. Peut-être est-ce comme cela que tu vins au monde. Je frôle des arbres plus jeunes que moi, dans un état perceptif contemporain. On dirait que j'ai trou vé la vitesse juste, au bout de cent ans. Comme un rouleau d'escargot parfaitement, cette femme. [...]

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Nous prenions un café à l'épicerie quand l'auberge était fermée. Il fallait le matin essuyer des chaises en plastique mouillé avec un seul geste simple. Saluer chaque habitant qui passe, toucher un bras, être une famille. L'épicière avait préparé la caillette et un client disait Ma mère aussi la faisait. Le masque d'halloween n'avait pas bougé depuis deux ans. Et l'épicière répondait Donc je ne vous apprends rien. Ensemble nous n'apprenions rien, assis sous la pluie fine. Soudain un vol d'oies sauvages passait au-dessus de nos têtes et l'espace s'élargissait. C'était extraordinaire de les voir prendre la forme d'une lettre mouvante dans le ciel. Nous nous déplacions à mesure sur le parking, en évitant les flaques boueuses pour les suivre, la tête renversée. J'ai imaginé une ligne de livres qui traverseraient le village, s'engendrant les uns les autres, comme des oiseaux enchâssés dans leurs ailes. Je parle des maisons que nous sommes ou des terres sur lesquelles vous êtes nés, je ne sais. [...]

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Après je rentrais dans la maison qui paraît seule en hiver, celle que tu vois là-bas, et j'écrivais ces lignes, le coeur presque léger. Je repensais à un atelier que j'avais animé la veille autour du mot colère. Très vite la discussion au moment du repas s'était orientée vers la pratique des retraites silencieuses. C'est la colline, mon église, avait dit Mireille. Les femmes et les hommes parlaient comme des livres. Il y avait des champignons sur la table, qu'on appelle sanguins. Etait-ce manger notre colère? Un potage de butternut, une salade de betterave et d'épeautre, et des biscuits avec des ronds de confiture rouge qui brillaient sous la lampe. Dans la nuit debouts devant ma voiture, longtemps avec Christophe nous avions parlé sans nous voir. Il avait dit que la parole cache ce que les corps ressentent. J'avais imaginé me pencher pour l'embrasser il y a quelques années, puis nous nous étions quittés de nous-mêmes, sans nous toucher. Le bol en métal sur le rebord de ta fenêtre s'est envolé. Je sors en courant pour le rattraper, lorsque soudain je le vois scintillant immobile sur le parking récolter le soleil. Ça dure juste quelques secondes pour qu'une vérité s'échappe. [...]

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Peindre, c'est un geste magnifique. La voix aussi, c'est magnifique, ça sert à tant de choses. Vendre du poisson sur un Vieux-Port, dire je t'aime en allemand, chanter une berceuse cosaque à son enfant. Et les visages qui vieillissent, c’est magnifique. L'oeil les voit avec son coeur. La main peut en faire des portraits -, c'est magnifique, un portrait. Dessiner, c’est magnifique. Être face à quelqu'un qui fut là, danser avec les ombres, c'est magnifique. Une cage de scène remplie d'ombres humaines prêtes à s'envoler. Le mot lui-même – envol – est magnifique, que l'on peut s'adresser ou juste écrire parfois sur un bout de papier. Envole-toi, il forme un poème. De loin, les maisons n'ont jamais été aussi proches les unes des autres, explicatives. Elles parlent de la façon de vivre ici, regarde bien les nuances. Même ce mur, en dix ans, je ne l'avais jamais vu aus si plat, aussi haut, aussi détaché. [...]

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Comment, par des corsages de lettres, rendre compte d'une délicatesse? On vivait avec des vieux toute la journée, des silhouettes de paille très belles, aperçues entre des remises, penchées sur des iris mauves froissés et translucides. On pouvait être assis sur le banc en face de l’école et écrire à côté d'un berger qui passait un coup de fil sur son smartphone en mâchant du chewing-gum. On pouvait donc écrire des poèmes, entre les actions, pour articuler des ensembles. Un corps municipal, une salle commune. Une manière de déposer la grenade fraîche au fond du caveau, le jour de l’enterrement d’une femme arménienne, pour que l’on se souvienne des gestes de son pays, dans la terre jusqu’ici. Jonquilles, coquelicots, lilas, iris, acacias, je vous épelle. Le coeur projeté en avant, comme les narcisses sauvages au mois d'avril, je vous épelle. [...]

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NOUS ARRIVONS EN BARQUE sur le poème : l’eau frémit. Nous venons pour explorer le silence et sentir à quoi ressemblait le pays de nos ancêtres : la roche non taillée l’arbre non coupé la rivière non captée. Sous l’eau des fils fascinants de lumières dansent incessamment se tissent s’enlacent se détissent m’adressent des signes, vivre est un métier ardent. Trempe les saules dans ton âme, trempe trempe trempe et décompose ton pardon.

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ÉRIC PESTY ÉDITEUR Dorothée Volut À la surface Je n’explique pas les mots. Je n’explique que les formes. Ce qu’elles contiennent m’échappe. Tu n’expliques pas que je parle non plus. Composé de textes écrits entre 2003 et 2008 – c’est-à-dire pour la plupart antérieurs aux petites proses d’alphabet – à la surface se séquence de façon quasi-chronologique en 12 voix : allusion au tempérament musical, lesquelles figurent autant de monologues, au sens théâtral du terme.

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À cet égard on remarquera que le sujet d’énonciation est d’une variabilité troublante, qui naît littéralement des coordonnées spatiales et temporelles de l’écriture, toujours indiquées en exergue des séquences. Nulle autobiographie donc, mais l’élan d’une parole qui se performe en chaque chapitre, et dont l’identité se constitue en fonction du registre et de la forme d’écriture adoptés. Singulièrement, mais sans doute devrait-on dire : très logiquement, le thème commun de ces douze chapitres est l’enfance, qui autorise un rapport au langage des plus frontaux et des moins complaisants. à la surface est l’expérience d’une mise à nu de la parole, qui semble devancer sa propre inquiétude pour coïncider avec son surgissement. Dorothée Volut est née en 1973. Venue de Strasbourg à Paris puis à Marseille, elle habite aujourd’hui à Artignoscsur-Verdon dans le Haut Var. Dorothée Volut a publié trois livres chez Éric Pesty Éditeur : alphabet (2008, rééd. 2016), à la surface (2013) et Poèmes premiers (2018). Contour des lacunes est annoncé pour 2024.

Parution : juin 2013 Prix : 13 € Pages : 96 pages Format : 15,2 x 22,8 cm EAN : 978-2-917786-18-5 Collection : brochée Rayon : poésie contemporaine CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com


ÉRIC PESTY ÉDITEUR Dorothée Volut alphabet ET LE SANG A CONTINUÉ DE CIRCULER MÊME À BASSE TEMPÉRATURE.

Le livre intitulé alphabet est composé de 22 petites proses typographiées en capitales, où la perception oscille sur la frontière labile entre intérieur et extérieur, subjectif et objectif – interrogeant cette labilité même, tout comme la frontière qui sépare les pronoms personnels, le soi de l’autre, l’individué du généalogique.

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Destinées initialement à intégrer le livre intitulé à la surface, ces proses ont conquis leur autonomie, se sont détachées du livre matriciel pour exister indépendamment – où le fait de la publication finit par coïncider littéralement avec le questionnement du texte et lui conférer son sens. Paru en septembre 2008, alphabet a été réimprimé en janvier 2016. Dorothée Volut est née en 1973 à Strasbourg. À la suite d’un cursus aux Arts décoratifs de Paris – section théâtre et scénographie, qui l’amène à fonder la compagnie « Permis de construire » – elle s’installe à Marseille pour se consacrer à l’écriture, donnant des ateliers en milieux sociaux-pédagogiques. Si la théâtralité de la parole domine les premiers textes de Dorothée Volut ainsi que ses lectures à voix haute, l’écriture s’oriente peu à peu vers la recherche d’une justesse de soi à soi intransigeante, qui donne lieu à des publications rares, souvent issues de rencontres ; parmi lesquelles on compte alphabet et à la surface, deux livres parus chez Éric Pesty Éditeur. Dorothée Volut vit aujourd’hui à Artignosc-sur-Verdon, village du Var, d’où elle nous a fait parvenir Poèmes premiers, qui paraît en juin 2018 dans la collection agrafée.

Parution : septembre 2008 Prix : 9,13 € Pages : 24 pages Format : 14 x 22 cm EAN : 978-2-9524961-7-9 Collection : agrafée Rayon : poésie contemporaine CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com


ÉRIC PESTY ÉDITEUR Roger Giroux L’arbre le temps (réédition à l’identique) « J’étais l’objet d’une question qui ne m’appartenait. Elle était là, ne se posait, m’appelait par mon nom, doucement, pour ne pas m’apeurer. » Roger Giroux remet le manuscrit de L’arbre le temps à Jean Paulhan qui le destine à sa collection « Métamorphoses » chez Gallimard, mais sera finalement publié au Mercure de France. Le livre paraît en 1964 couronné par le prix MaxJacob. Le travail d’écriture commence en août 1949 – Roger Giroux affronte le silence, l’effacement, l’absence – le livre comme interdit que la mère impose à la mort de son premier fils – le choix d’une abstraction presque graphique, comme héritage complexe de l’École lyonnaise, Maurice Scève et l’alexandrin. La première séquence du livre, intitulée précisément : « Retrouver la parole », paraît dans le numéro 1 et unique de la revue de Maurice Roche Éléments (janvier 1951). Au-delà de L’arbre le temps, le travail d’écriture se poursuit grâce au soutien inconditionnel de la revue Fragment de Jean Daive jusqu’à la mort de Roger Giroux, survenue en janvier 1974. En effet, la parole peu à peu se matérialise pour offrir un théâtre fait de langage et de signes – lequel doit révéler l’Introuvable qui n’est pas seulement à lire mais à voir. C’est Poème qui paraît en 2007 au Théâtre Typographique et Journal d’un Poème publié en 2011 chez Éric Pesty Éditeur. Entre temps (en 1979) le Mercure de France réédite L’arbre le temps, suivi de Lieu-je et de Lettre – deux textes posthumes repris chez Éric Pesty Éditeur en 2016 dans la collection agrafée. L’auteur : Roger Giroux est né en 1925. Traducteur de Lawrence Durrell, Henry Miller, Edna O’Brien ou W.B. Yeats, il est également éditeur à la Série noire auprès de Marcel Duhamel. N’ayant publié qu’un livre de son vivant (L’arbre le temps, poème majeur de la poésie du second XXe siècle), il laisse une œuvre inachevée consignée dans de nombreux carnets et manuscrits. Depuis son décès en 1974, c’est ce journal autour du poème, ouvert et multiple, réflexif et expérimental, qui a été mis en ordre et édité sous les impulsions parallèles de Jean Daive (chez Éric Pesty Éditeur) et Hervé Piekarski (aux Editions Unes).

(réimpression de l’édition de 2016 à l’identique) Parution : juin 2024 Prix : 20 € Pages : 104 Format : 12,5 x 16,5 cm EAN : 9782917786932 Collection : brochée Rayon : poésie contemporaine CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com


« Retrouver la parole », p. 9 J’étais l’objet d’une question qui ne m’appartenait. Elle était là, ne se posait, m’appelait par mon nom, doucement, pour ne pas m’apeurer. Mais le bruit de sa voix, je n’avais rien pour en garder la trace. Aussi je la nommais absence, et j’imaginais que ma bouche (ou mes mains) allait saigner. Mes mains demeuraient nettes. Ma bouche était un caillou rond sur une dune de sable fin : pas un vent, mais l’odeur de la mer qui se mêlait aux pins.


« Retrouver la parole », p. 14 Et j'habite une attente muette. Séparé, de la seule distance d'un nom, tel est ce lieu de moi, cette unique parole béante.


« Retrouver la parole », p. 15 La vie, si proche. Un homme passe. Il chante. Les bruits du soir. L'ombre et ses parfums. Un arbre (ou c'est une âme qui regarde ? ) Le ciel, géométrique. Mais nulle phrase n'est donnée.


« Décrire le paysage » p. 31 L'automne vient, Comme si je n'existais pas. Et je ne sais s'il se souvient... Et ma parole n'a d'espace Que cette ligne imaginaire Où mon visage l'emprisonne. Et j'ai beau me pencher sur les eaux du poème, Je ne vois qu'un oiseau, qui s'éloigne de moi Vers un songe d'hiver.


« Décrire le paysage » p. 32 J'habite un paysage inhabité Dans la légende de l'été. Et la neige, immobile, se penche Sur mes lèvres, devenues blanches. Elle interroge cette absence Venue d'elle. Elle oublie jusqu'au ciel.


« Décrire le paysage » p. 33 Et peut-être les mots sont-ils de pures apparences Entre le ciel et mon visage... Il neige, Hors du spectre. Et mes yeux n'osent plus respirer. L'âme perd toute connaissance, Et la mesure de ce pays. Et je me désunis.


« Décrire le paysage » p. 34 Visage aveugle de se taire... Quelle vitre pourtant ne se briserait D'être si lente aux lèvres ! ô l'idée de la source, un chant Qui se refuse en elle, cette beauté Qu'elle n'espère plus...


« Décrire le paysage » p. 35 La couleur de la mer est semblable au matin. Le ciel est plein d'oiseaux que le vent a laissés. Des navires sont là, des bateaux et des barques. Et les fruits, calmes, Attendent que l'été leur donne la lumière. Et nous allons, par l'invisible porte. Et dans les grandes vallées bleues du cœur Où la mémoire n'atteint pas Une voile s'approche, entre les apparences, Et fait signe de taire le nom du paysage. Et les arbres s'éloignent dans l'automne Et recouvrent nos pas de leurs vagues mourantes. Une ombre va, dans les collines, Et puis, que reste-t-il de ce pays, qu'un peu de neige Qui tombe, dans le creux de la main ? L'impossible silence accomplit son espace, Et voici, lentement, mon image détruite. Mes yeux perdent le souvenir, Et mon visage meurt, de miroir, d'absence, Comme, au bord de la branche, un songe dans sa fleur.


« Où je suis » p. 48 Quel est ce lieu qui ne me parle pas, Dont je ne sais rien dire Sinon que je pressens à la place du coeur Un gouffre, qui me fuit ? Et quelle est cette voix, qui parle, au fond de moi, Dans le sommeil et la chaleur d'une plus haute Et plus profonde voix qui parle Et que je n'entends pas ? Qui d'autre que ma voix peut dire si je vis, Si je rêve, ou si je doute avec elle ? Parler n'est vivre, Et vivre hors de ma voix m'est une double mort. Si je meurs, Qui d’autre le saura, que cette voix Qui parle, et qui ne m’entend pas ?


ÉRIC PESTY ÉDITEUR Roger Giroux Journal d’un Poème (réimpression à l’identique) « Le langage ainsi traité comme une foudre qui tombe est regard, capable d’atteindre l’oeil du lecteur non pour lire, mais pour voir. » ( Jean Daive, préface) Roger Giroux est né en 1925. Traducteur émérite de l’anglais (Lawrence Durrell, Henry Miller, Edna O’Brien, W. B. Yeats…), éditeur auprès de Marcel Duhamel à la « Série noire », il demeurera l’auteur de « un ou deux livres », comme il l’écrit à Pierre Rolland, un ami d’enfance, au tout début de sa carrière. - L’arbre le temps, paru au Mercure de France, obtient le prix MaxJacob en 1964. (Le livre est réédité en 1979 augmenté de deux textes inédits au Mercure de France. En 2016, Éric Pesty Éditeur procure une troisième édition de L’arbre le temps qui restitue le format de l’originale de 1964.) - Poème, livre resté inachevé à la mort de l’auteur, fut édité par Jean Daive au Théâtre Typographique en 2007. A la mort de Roger Giroux en janvier 1974, Jean Daive découvre en effet deux textes dactylographiés (Lieu-Je et Lettre publiés pour la première fois à la suite de la réédition de L’arbre le temps au Mercure de France en 1979, et aujourd’hui également réédité par nos soins dans la collection agrafée), mais encore divers cahiers et carnets d’écriture, parmi lesquels se détache Journal d’un Poème. L’intuition majeure de Jean Daive est de reconnaître immédiatement dans Journal d’un Poème le négatif du livre en gestation au moment du décès de Roger Giroux, Poème, et qui en figure la prémonition. « Roger Giroux a toujours tenu un journal, parce qu’il aime regarder l’écriture en train de se faire. Les carnets intimes traitent de l’absence, de la présence, du rien et du silence, du non-être de l’esprit. Ils sont nombreux. L’écriture très particulière de Poème a suscité Journal d’un Poème, publié ici avec ses couleurs. Il est à part. Il progresse selon l’invention visuelle du poème, il en suit l’évolution, il accompagne les différentes phases de l’expérience, dévoile les enjeux de l’œuvre. C’est ainsi que Poème et Journal d’un Poème s’imbriquent parfaitement. Tout de Poème se retrouve différemment dans Journal d’un Poème. La différence est ce qui doit définir Poème et définir Journal. Car Roger Giroux a conscience que la langue n’a plus une vérité de sens (il la laisse encore volontiers au Journal), mais une vérité de signes, vérité qu’il veut inscrite, dessinée, graphique, théâtralisée, jouée dans l’espace du livre et de ses doubles pages. » (Extrait de la préface de Jean Daive.)

Edition et préface de Jean Daive (réimpression de l’édition de 2011 à l’identique) Parution : novembre 2023 Prix : 28 € Pages : 196 Format : 11 x 17 cm EAN : 9782917786086 Collection : brochée Rayon : poésie contemporaine CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com


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ce dire   que le Livre       eace    Pour que le Livre   soit

Propositions mortes dans ma main. Ma bouche n’est pas celle d’un penseur. Ces formules m’ont desséché le cerveau. Il reste tout à dire (ce « tout » que je dois écrire en petites majuscules et pour, à la n de la quête, manifester un espace dense, réduit. Ici, par exemple, au cœur irradiant, serait le mot soit

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D S O I T     N     C E L A

Je lis ie lis (en volant un I)

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Injonction du je absent comme absent, mais si l’on sait lire, enfermé ici dans la (proposition formule, parole, constellation, énigme) enclos.   Mais ie dans clot signifierait je le cèle, je l’enferme ici, le sens, (quel ?) sens ? l’informulable, de même

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que l’or, s’il fut produit, ne fut pas répandu au su et au vu, mais gardé pour le secret de l’opération, sinon l’op. aurait été (serait) antérieurement un échec. Cela est le sens    Celer, ne pas faire connaître, tenir secret   cela

son

dit

((« Cela ») cela son dit) Redoublement du secret. Double sceau. Doublement scellé   le

tais

donc

De tu (qui ?) à cela (quel ?)

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double question sujet, double sujet en question.

L’essentiel (de vivre) est que cela vive pulse fonctionne, que l’acte soit

Le Poème est cela, rien de plus   qu’il soit      donc      cela

cela soit donc Son évidence est telle que toute autre parole n’est que masque.

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Poésie

Contrechant une anthologie poétique de audre lorde, poètesse-guerrière incontournable des luttes intersectionnelles

Militante, prophétique, brûlante, sensuelle : la poésie d’Audre Lorde est une explosion en plein coeur. Ses poèmes rageurs, joyeux, âpres, érotiques sont ceux d’une traversée... Traversée d’une vie de femme, Noire, mère, amoureuse, amie, féministe, lesbienne. Traversée d’une époque et de ses luttes qui font tant écho au présent. Traversée d’un travail poétique qui affûte la forme de ses mots et de ses idées.

• les meilleurs poèmes de audre lorde, réunis par ses soins juste avant sa mort. prix : 18 € tirage : 2500 ex. parution : 5 mai 2023 format : 14x16,5 cm pagination : 224 p. ISBN : 978-2-493324-02-3

• une figure incontournable des mouvements féministes et intersectionnels d’hier et d’aujourdhui.

• une œuvre poétique magistrale et puissante, encore méconnue.

• une traduction par le collectif de traducteur·ice·s cételle (nice). • une édition illustrée par maya mihindou.

• en postface, un entretien inédit avec maboula soumahoro.


Audre Lorde (1934-1992) la voix des luttes intersectionnelles

« nos silences ne nous protègeront pas. » « la poésie n’est pas un luxe, c’est une nécessité vitale. » « j’écris pour ces femmes qui ne parlent pas, pour celles qui n’ont pas de voix

parce qu’elles sont terrorisées,

parce qu’on nous a plus appris à respecter la peur qu’à nous

respecter nous-mêmes. »

in sister outsider, ed. mamamélis, 2003

Née à Harlem, fille d’immigrés des Caraïbes, Audre Lorde refuse d’être réduite au silence. Bibliothécaire, enseignante, éditrice, essayiste et poétesse, elle encourage sa vie durant les femmes à « transformer le silence en parole et en acte », à puiser au cœur de leurs expériences, de leurs émotions les plus profondes, pour les sublimer grâce à l’écriture. Diplômée de l’université de Columbia, elle est professeure invitée de la Freie Universität de Berlin, donne des conférences à Zurich et acquiert dans les années 1980 une renommée importante en Europe. D’une maîtrise stylistique impeccable et d’une grande force de conviction, les écrits et les discours de Audre Lorde, ont défini et inspiré les féministes américaines, lesbiennes, afro-américaines des années 1970 et 1980.


L’illustratrice : Maya Mihindou

La traduction : le collectif Cételle

Maya Mihindou est une illustratrice franco-gabonaise, photographe et journaliste née en 1984.

Le collectif de traduction Cételle est un laboratoire de traduction composé de sept enseignant•eschercheur•ses.

En 2014, elle cofonde la revue socialiste et féministe Ballast et réalise des reportages, des illustrations et des articles dans la presse indépendante, notamment pour les revues Panthère, Première et The Funambulist.

Basé à l’Université de Côte d’Azur, ce collectif s’attelle depuis plusieurs années à traduire l’œuvre poétique de Audre Lorde (recueil Charbon à paraître chez L’Arche) et le théâtre d’Annie Baker.

L’entretien inédit : Maboula Soumahoro

Maboula Soumahoro est maîtresse de conférences à l’Université de Tours et professeure internationale invitée au département des études africaines-américaines et africaines de l’Université de Columbia et au Bennington College (États-Unis). Depuis 2013, elle préside l’association Black History Month (BHM), dédiée à la célébration de l’histoire et des cultures du monde noir.

En avril 2023, le collectif Cételle organise à Nice un colloque international dédié à la poésie d’Audre Lorde.


Elles parlent d’Audre Lorde... Les féministes qui ont beaucoup compté pour moi sont Audre Lorde et Monique Wittig. Virginie Despentes Engagée dans les différents mouvemenst sociaux, pour les droits civiques des femmes, des gays et lesbiennes, des travailleur·euses, contre la guerre) qui traversent les États-Unis, eelle choisit de ne dissimuler aucune partie d’elle-même; d’afficher dans l’espace public la «mosaïques» de ses identités.

«

Sa prose et sa poésie, ont été de véritables catalyseurs pour les mouvements auxquels elle a appartenu : les artistes noirs, le mouvement de libération des femmes et des homosexuels et le mouvement pour les droits civiques.

»

Revue La Déferlante Représentante de ce que l’on a appelé plus tardivement le « féminisme intersectionnel », issu du féminisme afro-américain et chicano, Audre Lorde n’a cessé de clamer pour et avec les femmes de couleur le droit à la poésie, à la beauté du monde. Revue Ballast

Charlotte Bienaimé Un podcast à soi

Charlotte Bienaimé Un podcast à soi



Femme mère noire Je n’ai aucun souvenir de toi gentille mais à travers ton amour écrasant je suis devenue une image de ta chair autrefois délicate déchirée par des désirs fallacieux. Lorsque des inconnus viennent me complimenter ton esprit vieilli s’incline et carillonne de fierté mais jadis tu as caché ce secret au creux de ta fureur m’as pendue la poitrine profonde et les cheveux crépus ta propre chair déchirée et les yeux résignés enterrée sous des mythes de pacotille. Mais j’ai épluché ta colère jusqu’à son noyau d’amour et regarde maman

je suis un temple sombre où ton esprit véritable s’élève superbe solide comme un chêne pilier contre ta hantise des faiblesses et si mes yeux dissimulent un escadron de rébellions conflictuelles j’ai appris de toi à me construire à travers tes dénis.


La révolution est une des formes du changement social Quand ils sont occupés à fabriquer des nègres peu importe de quelle couleur tu es. S’ils sont à cours d’une teinte particulière ils peuvent toujours passer à la taille et quand ils auront achevé les costauds ils passeront au sexe qui est après tout où tout a commencé.


Poème d’amour Parle terre et bénis-moi d’abondance fais couler le ciel melliflue depuis mes hanches dressées comme des montagnes sur une vallée ouverte creusée par la bouche de la pluie. Et j’ai su quand je l’ai pénétrée que j’étais grand vent au creux de ses forêts les doigts bruissant de murmures le miel a coulé de la coupe fendue empalée sur une lance de langues sur le bout de ses seins sur son nombril et mon souffle hurlant dans ses entrées depuis des poumons de douleur. Goulue comme un goéland ou une enfant je me balance fort sur la terre encore et plus fort encore.


Les Abeilles Dans la rue devant l’école ce que les enfants apprennent les poursuit.

de petits pieds de garçons apprentis experts écrasent les abeilles sonnées par la pluie sur le trottoir.

Trois petits garçons hurlent en lapidant un essaim d’abeilles pris entre la fenêtre de la cantine et une grille Leurs pierres furieuses griffent le métal.

Curieuses et à l’écart les filles observent fascinées apprenant des leçons secrètes l’une d’elles enjambe les ruines qui bourdonnent faiblement et va scruter le coin de grille vide « On aurait pu étudier la fabrication du miel ! » cherche à comprendre sa propre destruction.

Les abeilles ont froid sont lentes à se défendre. Excité par une piqure un garçon précipite la destruction. Les surveillants arrivent de long bâtons à la main avancent vers la ruche font éclater les rayons de cire presque achevés du miel frais s’écoule le long de leurs manches à balai



éditions Hourra

Paroles sans raison, Paul Klee isbn 978-2-491297-03-9

poésie / arts

genre

poésie, arts thèmes

ironie, transgression, Bauhaus

fiche technique 48 pages offset couleur brochures cousues collées format 11x18 cm prix 15 € parution le 03/05/2022 contact diffusion Paon diffusion paon.diffusion@gmail.com distribution Serendip-livres contact@serendip-livres.fr édition Hourra editionshourra@gmail.com Choisis et traduits par Pierre Alferi, Paroles sans raison est un ensemble de poèmes du peintre allemand Paul Klee. Méconnue en France, son œuvre poétique est pourtant prolifique et magnifique. Ce livre, accompagné d’une dizaine de reproductions, est un premier pont vers ce monde verbal trop longtemps resté à l’ombre de la peinture.


éditions Hourra

Paroles sans raison, Paul Klee isbn 978-2-491297-03-9

poésie / arts

le livre Assemblé et traduit par Pierre Alferi, Paroles sans raison est un recueil de poèmes du peintre Paul Klee. Pour l’heure, nous proposons un choix modeste, d’une vingtaine de poèmes, mais dont la rédaction s’étend de 1901 à 1939. Choix arbitraire, au fil des ans, d’un lecteur et traducteur de poésie bientôt persuadé qu’il y avait là plus qu’une œuvre seconde et mineure, tout autre chose qu’un violon d’Ingres : un massif poétique, poussé, certes, dans l’ombre d’une œuvre plastique, mais sans équivalent au vingtième siècle, sinon peut-être dans la grande poésie de Jean/Hans Arp, son cadet de sept ans. — Extrait de la note du traducteur Le livre est construit en plusieurs moments : En ouverture, le recueil Paroles sans raison qui vient rectifier l’absence totale de poèmes de Paul Klee publiés en français. Un graphisme fin et astucieux donne accès sur la même page au texte original sans pour autant gêner l’œil du lecteur. Ensuite, la note de traduction, rédigée par Pierre Alferi, vient replacer habilement ce livre dans l’histoire de la peinture, de l’écriture, de la vie de Paul Klee. En fermeture, un cahier en couleurs donne à voir une dizaine de reproductions, offrant au lecteur un petit rappel de l’évolution de son œuvre peinte.

l’auteur Paul Klee (1879-1940) est un peintre allemand réputé pour son œuvre très expressive. Professeur à l’école du Bauhaus, il est malheureusement figure de proue de l’art qualifié de dégénéré par le régime nazi. Persécuté, il termine ses jours en Suisse. le traducteur Pierre Alferi, né en 1963 à Paris, est un romancier, poète, essayiste français. Professeur d’histoire de la création littéraire aux beauxarts de Paris, il a publié une vingtaine d’ouvrages et fait preuve régulièrement d’un engagement politique public. La sirène de Satan est un recueil paru en 2019 aux éditions Hourra.


éditions Hourra

Paroles sans raison, Paul Klee isbn 978-2-491297-03-9

poésie / arts

la maison d’édition — Honneur à celles par qui le scandale arrive ! Hourra : cri de joie, cri de guerre

978-2-491297-03-9

Les éditions Hourra publient de la poésie et des écrits sur l’art. Créée en 2019 sur la montagne limousine, la maison naît de l’envie de défendre des pratiques d’écritures marginales où se rencontrent le poétique et le politique. Fruit d’amitiés et d’intuitions communes, elle réunit des artistes et des autrices pour qui la révolte fait corps avec la beauté. éditions Hourra |36, avenue Porte de la Corrèze |19170 Lacelle www.editions-hourra.net


Éditions Burn~Août

Hot wings and tenders Marl Brun

Édition bilingue Poésie Format : 140*205 Nombre de pages : 48 Prix : 9 euros ISBN : 978 2493534125 Graphisme : Fanny Lallart Préface : Sarah Netter Collection : 39°5

Résumé Hot wings and tenders est un recueil de poèmes écrits en anglais à la première personne. Ils déclinent l’exploration d’une jeune femme queer de son propre corps, de sa sexualité, et de ses modalités d’existence matérielles. Alternativement tendres, crus, drôles et vifs, les poèmes de Marl Brun utilisent des protocoles d’écriture en apparence mathématiques pour tenter de capturer l’absurde logique du monde. Ils sont les énoncés analytiques d’une intimité qui demeure sensible et échappe à toute tentative de rationalisation. Profondément ancrée dans son quotidien, l’écriture de Marl Brun nous rappelle que chaque infime partie de nos rapports est politique et contient en elle un potentiel de résistance. Ainsi, son obsession coupable pour le poulet frit, ou son amour inconditionnel des chiens deviennent les supports poétiques d’une réflexion sur la survie, l’émancipation et la résilience. Cette édition est bilingue, en anglais et français. L’autrice fait ce qu’elle appelle des “traductions affinitaires” en faisant traduire ses poèmes par des proches. N’étant pas des traducteurices professionnel.les, le passage au français est marqué par des inexactitudes. Cela rend visible le processus de traduction comme un exercice de réécriture poétique à part entière.

Association Camille Honnête

46 avenue du président Wilson 93230 Romainville


Éditions Burn~Août

Marl Brun Née en 1994, Marl Brun a grandi en Ariège et vit aujourd’hui à Marseille. Elle est artiste et poétesse. À la suite d’une formation en audiovisuel, elle étudie aux Beaux-Arts de Bordeaux, Reykjavik et Cergy, où elle utilise la vidéo et les installations de textes. Depuis ses études en Islande et jusqu’à maintenant, elle travaille essentiellement à l’écriture de poèmes en anglais qu’elle fait ensuite traduire vers le français par des amixs. Composer avec l’intime est une ligne centrale de son travail, qui engage obstinément les sujets de l’identité, du sexe, de l’amour et de la nourriture. Elle a auto-publié plusieurs recueils de poésie qu’elle diffuse de mains en mains, et a participé à des expositions collectives dans différents lieux. Hot wings and tenders est son premier livre édité à compte d’éditeur.

Argumentaire de vente Hot wings and tenders est le premier ouvrage de la collection 39°5 des Éditions Burn~Août consacrée à des travaux littéraires queers, féministes, et issus des paroles dites minoritaires. Ce premier recueil de poésies de Marl Brun s’inscrit dans notre volonté éditoriale de remettre les marges au centre, de les soutenir, les amplifier, les disséminer. Édition bilingue, cet ouvrage porte une réflexion sur l’usage de la langue et sur l’exercice même de la traduction. En effet, l’autrice ici n’écrit pas dans sa langue maternelle et utilise l’anglais comme un outil linguistique qu’elle manie avec tous les imaginaires pop qu’il peut charrier. Parfois fragile, son anglais est une manière de créer du lien sur la base de références anglophones communes (des memes, des stars holywoodienne, le fast-food, etc). L’anglais intéresse également l’autrice pour sa dimension moins genrée que la langue française, ainsi que pour ses sonorités et rythmes singuliers.

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Marl Brun travaille ensuite à ce qu’elle appelle des «traduction affinitaires». Elle donne à traduire ses poèmes vers le français à des proches, qui sont toustes des traducteurices non-professionnel·les et c’est précisément ce qui l’attire. Elle mène un travail artistique de vidéo dans lequel elle les filme en train de traduire ses poèmes à l’oral vers le français, en direct et vers après vers via un prompteur. Les versions françaises du livre sont les retranscriptions des enregistrements de ces traductions souvent approximatives et singulières. La mise à distance de la langue française est un des enjeux de son écriture. C’est une des raisons pour lesquelles la mise de page de ce recueil n’accorde pas la même place formelle aux versions anglaises et françaises des textes. Leur format non-versifié reprend la linéarité du moment d’intimité passé ensemble, l’enregistrement en plan-séquence de cette traduction live. La différence de traitement formel des deux versions dans la mise en page fait également référence au sous-ti-


Éditions Burn~Août

trage des vidéos post-produites, et à ce que la note de bas de page sous-tend : une sortie de texte optionnelle, une précision, une entrée dans l’intimité de l’autrice et un secret de fabrication.

rapprochements d’idées, elle emploie des syllogismes ou des jeux de mots comme des démonstrations de traits d’esprit et nous laisse une sensation acide et satisfaisante.

Cette édition bilingue donne particulièrement accès aux enjeux politiques et poétiques de l’exercice de la traduction : cette méthode explicite ce que le passage au français amène comme notion de confiance, partage, et transformation. Pour l’autrice, l’emploi de langues différentes ne fait qu’enrichir un propos ou une image. Son écriture d’abord solitaire et introspective se déploie au fil des traductions en une intimité collective.

Le livre est préfacé par l’auteurice et artiste Sarah Netter.

Le lien entre une intimité solitaire et sa dimension collective et politique est autant présent dans la méthodologie d’écriture de l’ouvrage que dans les thèmes abordés. Les poèmes de Marl Brun partagent une multitudes d’anecdotes quotidiennes révélatrices de rapports de force et des stratégies de résistances que l’on déploie pour y faire face. Son existence en tant que jeune personne queer et lesbienne est un fil conducteur du livre et définit ses enjeux. C’est par ce prisme que le rapport au sexe, à la famille, aux amitiés et à la souffrance sont décrits. Les affects d’habitude camouflés, tus, ou jugés inconsistants ont une importance toute particulière dans ce recueil. Marl Brun s’empare de la honte, l’échec, le sexe, la dépression, la solitude ou le conflit, et déploie une forme de puissance à travers le partage de ses vulnérabilités. Bien que ces sujets soient pour la plupart sensibles ou graves, l’autrice construit des narrations comme des blagues à chute qui retombent sur leurs pattes par des systèmes de logiques ludiques et imagées. Par une méthode d’écriture de Association Camille Honnête

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Mots clefs et thèmes abordés : Sexe, féminisme, identité queer, lesbianisme, amitiés, humour, amours, rapports familiaux, relation aux animaux, chiens, nourriture, travail salarié, précarité, mélancolie, traduction. Auteurices et ouvrages associés : Elodie Petit - Fièvreuse Plébéienne Lauren Delphe - Faite de cyprine et de punaises Andrew Gibson June Jordan


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La Collection 39°5 39°5 est une nouvelle collection des Éditions Burn~Août, elle porte des projets littéraires brûlants, engagés et fièvreux. La collection souhaite fabriquer un espace de partage de récits qui peinent à se faire entendre : ceux de jeunes auteurices talentueuxses n’ayant pas encore publié, et dont le travail mêle des enjeux intimes et politiques. Rendre l’intime publique est une méthodologie fondamentalement féministe à travers laquelle nous inscrivons cette collection. Ces récits, issus de l’expérience des auteurices, font partie de ce qu’on appelle les “paroles minoritaires”, à savoir des histoires trop souvent étouffées, dévalorisées ou reléguées au second plan, mais qui comportent une puissance d’insoumission tant dans le fond des sujets abordés, que dans les formes littéraires inventées. Souvent écrits à la première personne, les textes construisent leur propre dispositif d’énonciation, et permettent une identification forte. Frisant parfois un langage parlé, mélangeant les registres, jouant avec les citations, les travaux des auteurices que nous publions échafaudent leur propre langue, une langue incisive qui nous interpelle de toute sa force émancipatrice. Thèmes abordés : sexualité, homosexualité, homophobie, identités queer, amitié, solidarités, amour, deuil, drogue, dépression, famille, luttes politiques et sociales, rapports d’oppression de classe, survie économique. Genres littéraires : Souvent hybrides et protéiformes, les genres littéraire des textes relèvent de la poésie, du récit à la première personne, du témoignage et de l’autofiction. Les trois premières parutions sont : - Hot wings and tenders, Marl Brun, Mai 2023 - ROSE2RAGE, Théophylle DCX, Octobre 2023 - Les boys et la politrik, Maxime Vignaud, Mai 2024

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choisis Éditions Extraits Burn~Août

DOGS RUN WHEN THEY CAN Time belongs to those who have so little time that all of it is spent to think about the time they have They end up being time itself Dogs run when they can eat so much food they throw up howl the moon seize the day burn their paws I’ve been offered a massage in a salon for my bday focused on feeling it super casual overthought the underthinking in order to maximize pleasure - but failed eventually became pleasure itself

Les chiens courent quand ils peuvent. Le temps appartient à celleux qui ont si peu de temps que tout est passé à penser au peu de temps qu’iels ont. Iels finissent par être le temps lui-même. Les chiens courent quand ils peuvent, mangent tellement de nourriture qu’ils vomissent, hurlent à la lune, attrapent le jour brûlent leurs pattes. On m’a offert un massage dans un salon pour mon annif. Je me suis concerntrée sur l’impression que c’était super normal, j’ai sur-réfléchi la sous-réflexion dans le but de maximiser Association Camille Honnête le plaisir. Mais j’ai échoué, en fin de compte suis devenue le plaisir lui-même.

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Poesie/Poèmes (1973) Sandro Penna / traduit de l’italien par Pierre Lepori Préface de Roberto Deidier PRÉSENTATION

En librairie janvier 2022

COLL. POÉSIE BILINGUE

Sa poésie épigrammatique et mélancolique est un hymne au corps et à la différence, d’une simplicité tout apparente. Sans tabous et sans complaisance, elle explore les affects et les sensations. S’y dégage une fièvre et une « étrange joie de vivre » qui parlent puissamment, aujourd’hui encore, au lecteur contemporain. « En réalité, son éros indiscipliné, si gracieux, béat et innocent – d’un genre si alexandrin et donc inoffensif – présente une des symptomatologies les plus dramatiques qu’ait exprimé la poésie. Mais sur un ton, bien sûr, de candeur sensible, de fraîcheur, de jeu, de feinte moralité, fidèle en cela à la conscience morale et esthétique fragmentaire du poète. » Pier Paolo Pasolini (1960) Ce recueil reprend le volume de poèmes choisis par Sandro Penna pour l’édition Garzanti de 1973.

Format : 12.5 X 10.5 cm Pages : 216 p. Reliure : broché, collé rayon : poésie (bilingue) Prix : 18 € ISBN : 978-2-8290-0637-1

DIFFUSION ET DISTRIBUTION SUISSE Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch / www.enbas.net

DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE SERENDIP livres

AUTEUR Peu connu dans le monde francophone – bien que partiellement traduit (La Différence, Grasset, Ypsilon) –, Sandro Penna (1906-1977) est l’une des figures majeures de la poésie du vingtième siècle. Découvert à la fin des années vingt par Umberto Saba et adoubé par le Prix Nobel Eugenio Montale, il est resté volontairement à l’écart du monde littéraire. Ami de Pasolini, il partage avec lui le goût pour les garçons, dans une veine solaire et païenne. La vie de Sandro Penna ne fut que poésie ; dans son appartement romain – retraite où les jeunes poètes venaient le trouver –, il accumula des liasses de feuillets et des tableaux d’amis peintres (qu’il revendait à l’occasion, pour pourvoir aux besoins matériels d’une existence d’anachorète). Outre des poèmes, il a laissé des proses et des enregistrements autobiographiques (Autobiographie au magnétophone) témoignant d’une vie entièrement consacrée à l’écriture, sans rien d’élitiste ou de hautain. L’œuvre complète de Sandro Penna – désormais disponible dans la prestigieuse collection des Meridiani Mondadori (la Pléiade italienne) – se compose d’environ 700 poèmes et de nombreuses pages de prose (Un peu de fièvre), en grande partie autobiographique.

TRADUCTEUR Depuis plus de 20 ans, Pierre Lepori est journaliste et chroniqueur culturel pour la radio suisse italienne (RSI) et romande (RTS) ; rédacteur du site internet « Culturactif » et de la revue d’échanges littéraires « Viceversa Littérature », il a fondé et dirigé la revue queer « Hétérographe » (2009-13). Il a publié trois recueils de poèmes (Qualunque sia il nome, 2003, Prix Schiller, traduit en français et en anglais ; Strade Bianche, Interlinea, 2014 ; Quasi amore, Sottoscala, 2018, en cours de traduction en anglais, espagnol et portugais), deux essais et quatre romans : Sans peau, Sexualité, Comme un chien et Nuit américaine, qu’il a lui-même traduit en français aux Éditions d’en bas. Il est également traducteur. 9 782829 006371


Trois typographes en avaient marre Un livre de 64 pages au format 10,5x15 cm. Impression numérique des pages intérieures avec une jaquette de couverture en typographie

Voici la cinquième édition de ce livre mythique de Guy Lévis Mano. Édité une première fois en 1935 et réimprimé en 1967 ce long poème écrit sur le vif décrit l’ambiance de l’atelier et donne à voir, depuis les casses où nous assouvit pas » ne et it rv se as us no ie és « La po gronde la révolte des caractères, la vie laborieuse des typographes et les rapports qu’ils entretiennent avec la lettre et les mots imprimés… En 2011, Philippe Moreau et Samuel Autexier composent en typographie dans l’atelier d’Archétype à Forcalquier une nouvelle édition de l’ouvrage suivant la volonté testamentaire de l’auteur qui ne souhaitait pas une réédition à l’identique de ses livres. Ce projet soutenu par l’association Guy Lévis

Parution : juin 2023 EAN : 9782914363280 Prix public : 13 €

Mano à Paris et Vercheny connaît un succès inattendu et est réimprimé en 2012. C’est cette version qui fait l’objet aujourd’hui d’une nouvelle édition au format « poche » suivie d’une postface de Samuel Autexier qui présente la petite histoire de ce grand livre.

Composition de la page « i », planche en cours d’impression dans l’atelier Archétype en 2012


Les auteurs Guy Lévis Mano (1904-1980), poète, éditeur et typographe. Son œuvre poétique protéiforme se veut la plus proche possible de la rue et de la vie ouvrière qu’il fréquente. Elle est marquée dans un second temps par sa longue détention comme prisonnier de guerre entre 1940 et 1945. Son parcours d’éditeur, servi par un talent de typographe salué par tous comme un modèle de clarté et de liberté, lui a permis de donner forme entre 1935 et 1974 à plus de cinq cents ouvrages avec quelque uns des artistes les plus importants du XXe siècle (Éluard, Michaux, Breton, Jean Jouve, Jabès, Chédid, Char, Du Bouchet, Dupin, García Lorca, Kafka, Miró, Giacometti, Picasso, Man Ray, Dali, etc.). Philippe Moreau (né en 1948 à Asnières). Lithographe, typographe et imprimeur, spécialiste du livre d’artiste et des tirages limités. Il débute sa vie professionnelle à Paris chez Clot, Bramsen et Georges, avant de la poursuivre en Provence depuis 1976. Samuel Autexier (né en 1969 en Suisse). Graphiste et éditeur, il fonde en 1993 la revue Propos de Campagne, avant de créer en 1999 la collection littéraire puis la revue Marginales chez Agone et enfin les éditions Quiero en 2010.

et portrait de Guy Lévis Mano par Pierre Kefer en 1935.

Et le troisième dit Nous courons sur des tumultes d’eau qui ne rafraîchissent pas les veines de notre imagination Nous attendons des robinets taris la chute polaire des eaux-de-vie qui désaltéreraient nos fuites désemparées accrochées à des nuages qui crèvent Nous cachons nos yeux dans nos poches et consultons le hasard en mélangeant Caslon Bodoni et Baskerville dans les composteurs


ÉRIC PESTY ÉDITEUR Jørn H. Sværen Musée britannique « un calme de plus en plus grand » Tout comme Reine d’Angleterre (trad. Emmanuel Reymond, Éric Pesty Éditeur, 2020) Musée britannique se présente comme une succession de pièces de formats variables, enchaînant courts essais en prose, extraits de correspondance et poèmes réduits à leur minimum : un ou quelques vers isolés sur la page. En ce qui concerne la fabrique du poème, l’auteur explique qu’il commence par collectionner des mots et des phrases ; il les recopie sur de petits bouts de papier et les dispose sur une table. Il les déplace, essaie différentes combinaisons, puis les assemble par pages jusqu’à ce qu’un chapitre ou un petit livre à la fin soit écrit. Du côté de la prose, les chapitres pourraient être rattachée au genre « hantologique » : le passé ancien (du souvenir personnel) et antique (de l’Histoire), en lequel la prose puise ses motifs, suscite une impression de rêve et de distance qui la ferait relever du domaine de la narration. Cette opposition entre les régimes d’écriture se retrouve dans le traitement de la question du sens. Le poème demeure énigmatique en ce qu’il déjoue toute tentative d'interprétation. Il ouvre sur le blanc de la page : « la poésie est le bouclier vide ». Dans la prose au contraire les images, représentatives et symboliques – l’héraldique dans Musée britannique –, convoquent un sens conventionnel qui relève de l’herméneutique. Dans Musée britannique cependant, davantage peut-être que dans Reine d’Angleterre, les vides et les pleins (« Blanc et noir ») se conjuguent. Les frontières ou jointures entre les pièces du puzzle ici s’expliquent ; la rigueur de leur agencement invite à un parcours de lecture plus orienté et qui semble conduire à un possible dénouement. L’auteur : Né en 1974, Jørn H. Sværen est un auteur, éditeur et traducteur norvégien. Traducteur d’auteurs français (Emmanuel Hocquard, Victoria Xardel, Marie de Quatrebarbes…) on doit notamment à Jørn H. Sværen une somptueuse traduction de la tétralogie de Claude Royet-Journoud (Gallimard 1972-1996 / H Press 2009). Parallèlement à ses activités d’auteur, d’éditeur et de traducteur, Jørn H. Sværen est membre du groupe de musique expérimentale Ulver, connu internationalement.

Traduit du norvégien par Emmanuel Reymond Parution : novembre 2023 Prix : 19 € Pages : 176 Format : 13 x 21 cm EAN : 9782917786857 Collection : brochée Rayon : poésie contemporaine CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com


Jørn H. Sværen

MUSÉE B RITANNI Q U E Traduit du norvégien par Emmanuel Reymond

É r i c P e s t y É d i t e u r 2 0 23


M OT S ET ACTES


Une ligne isolée : les ruines sont des églises Elle a pour origine un groupe nominal, désassemblé et réarrangé : ruines d’église Je tombai dessus un jour dans le dictionnaire, j’étais à la recherche de groupes nominaux construits autour du dernier mot. La liste est longue, comme un banc d’église ou un registre d’église, mais je m’arrêtai sur celui-ci, où le ciel et la terre se rencontrent, et je l’écrivis pour le décomposer. Les lignes qui l’entourent, sur la même page, sont des ajouts plus tardifs : sources les ruines sont des églises ils cultivent la terre entre eux Les lignes tombent, de plus en plus longues, comme des ombres dans le soleil couchant, et je me rappelle le vent chaud et l’air qui vibrait au-dessus des champs à la sortie d’Estoi, un village sur la côte sud du Portugal, je me tenais dans les ruines d’une villa romaine, sur les marches d’un temple païen converti en église au iVe siècle après Jésus-Christ. Il ne reste que les fondations, et des sols et bassins aux mosaïques marines. Je levai les yeux et regardai vers les collines au loin. J’imaginai les sources dans les montagnes, les ruisseaux et les veines d’eau abreuvant ce paysage aux couleurs de l’automne où l’homme a cultivé la terre depuis des millénaires. Des sources froides, claires, miraculeuses, je restai là à penser à un autre sens du mot. Les sources écrites, inscriptions et manuscrits, 47


les originaux perdus, transmis par des copies, mangés par les vers et les mites, toujours fertiles. Nous allons aux ruines pour comprendre. Et je pourrais continuer ainsi. Toutes les phrases ont une histoire. Je me rappelle un mot en rouge sur fond blanc, d’un panneau sur une porte dans un couloir d’hôpital : défibrillateur Je sortis un papier de ma poche et notai : le cœur démarre Je saisis la poignée de la porte, elle était verrouillée. Je glissai le papier dans ma poche et me dirigeai vers la chapelle de l’hôpital. L’espace était vide, et je m’assis sur un banc et écrivis : le cœur s’arrête Ce serait plus tard une ligne dans un livre, le dernier d’une série de trois livres, tous reliés à la main et auto-publiés : Une église, Éditions England, Oslo, 2007, 24 pages. Un enfant ou un livre, Éditions England, Oslo, 2008, 24 pages. Trois livres, Éditions England, Oslo, 2010, 24 pages. Le premier livre a une préhistoire. Il existe une édition non publiée, le titre est sur la première de couverture et le nom d’éditeur sur la quatrième. Le tirage me fut livré devant la porte, deux cent exemplaires emballés dans un carton, je l’ouvris et soupesai le livre dans ma main. Je le parcourus et décidai de jeter les livres dans l’un des nombreux puits de mine dans la forêt derrière l’immeuble dans lequel je vis. Je pourrais venir les récupérer plus tard, ce qu’il en resterait, et reprendre le fil effacé d’un mot ou d’une image, j’ai toujours rêvé d’une telle chose. Mais je changeai d’avis, j’étais abattu et la forêt était ensevelie sous la neige, je descendis aux poubelles et vidai le carton dans le bac de recyclage. Il ne reste que deux exemplaires. Je retirai le titre et l’éditeur de la 48

première et quatrième de couverture et fis réimprimer le livre. J’effaçai une ligne, elle restera un secret. On lit à la place : un calme de plus en plus grand J’aime cette ligne, la concision et le mouvement, avec le calme posé d’emblée et qui se déploie vers une fin ouverte. Je commençai ailleurs, j’étais assis dans le train et lisais un article dans un journal, sur l’expansion infinie de l’univers, et je notai dans la marge : un espace de plus en plus grand J’ai créé les éditions England en décembre 2006. L’été d’après je rencontrai Steinar Enerly, gérant de l’entreprise familiale de stores Grorud, il me fit un bon prix pour un store vénitien et je lui composai un livre en échange, sous la signature de l’Atelier Typographique England. Je le rencontrai à nouveau à l’automne, en descendant à la boîte aux lettres, il me dit qu’ils allaient ouvrir une galerie en bas de la rue, avec des studios aux étages supérieurs. L’adresse était 5 rue du Docteur London, et je ne pouvais résister à une telle adresse. La rue ressemble davantage à un passage, longue comme un jet de pierre et étroite. Il existe une image impayable de l’entrée de la voie, je la tiens du journal local, un policier court après un élan en direction du centre-ville. Je me suis retrouvé deux fois face à face avec un élan. C’était le soir et les pistes étaient éclairées à travers la forêt, nous étions partis skier pour la première fois depuis qu’Ingvild était rentrée de l’hôpital. Nous tournâmes au détour du chemin et une femelle élan se tenait derrière les arbres devant nous. Nous stoppâmes net, l’animal sortit de l’obscurité, dans la lumière artificielle, nous fîmes volte-face et remontâmes en trombe jusqu’en haut d’une pente. Nous soufflâmes, le regard fixé sur le chemin derrière nous. La femelle élan surgit de derrière le virage, elle s’arrêta et regarda dans notre direction. Nous nous élançâmes, moi devant et Ingvild derrière, avec un trou dans le ventre, et dévalâmes hors de la forêt et à travers le paddock et jusqu’à la maison. Un paddock 49


est un enclos selon le dictionnaire, un espace aménagé dans une prairie pour les juments poulinières et leurs poulains, et j’ai un autre souvenir à partir d’ici, une ouverture sur un abîme. C’était le printemps et je ne me rappelle pas où j’allai, lorsque je remarquai le ruissellement de l’eau au bord du chemin, cela courait et murmurait et je m’arrêtai net. Je regardai autour de moi, il n’y avait rien à craindre, les anémones des bois hochaient la tête dans le vent chaud. Je fermai les yeux, j’allais à l’école à travers la forêt ailleurs en Norvège, automne, hiver, printemps, l’eau de fonte ruisselait sous la neige, et je me mis à penser à une scène dans le premier livre d’À la recherche du temps perdu, quand le goût d’une madeleine trempée dans le thé renvoie Marcel en enfance. C’est une image saisissante, mais je ne la comprenais pas, pas en profondeur, avant de marcher à la lisière de la forêt plusieurs années après, et il m’apparut, je me rappelle, que la connaissance requiert une certaine distance, et je notai au feutre sur le dos de ma main :

nous sentons la terre J’apprendrais plus tard que c’est le titre d’un livre. Il en est ainsi. Toutes les phrases ont une histoire, celle-ci est la mienne et en est une parmi d’autres. Et je pourrais continuer ainsi.

le secret de la répétition Il y a quelques jours, j’écris dans une cabane de camping dans le comté de Hedmark, je tombai sur un crâne d’élan sur une colline reculée. Je m’assis sur une pierre et parcourus du regard le plus grand lac de Norvège, en direction des montagnes, sous le soleil printanier, vers le sud. La pierre était froide et je me levai et poursuivis mon chemin à travers la forêt avec le crâne à la main. Une branche craqua et je m’arrêtai, devant moi se tenait un grand animal des bois, un élan mâle, il était immobile et me regardait de ses yeux sombres. Je restai là, je ne sais combien de temps, avec le cœur dans la gorge et le crâne à la main. Sans réfléchir, je le portai au visage, comme un masque, et fixai l’élan à travers les orbites. Il me regardait sans expression. Je sentais l’odeur de la terre. Il hocha la tête et se retourna, d’abord la tête et puis le corps, et s’éloigna dans la direction opposée. Comme un roi, pensai-je, sans un regard en arrière. Je soufflai et laissai tomber le masque. Je fis demi-tour vers la colline et jusqu’à la maison, et m’assis sur le lit et écrivis :

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Ta b le

La cage de la reine Nous sommes des mendiants Encart Mots et actes La beauté de l’œuvre finie Cher Stein Les figures Cher Olve Quatre murs Poignée Clef héraldique Tableaux domestiques Chère Kristin Blanc et noir Les horloges

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Remerciements

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éditions Trente-trois morceaux

James Joyce

Épiphanies Traduction de Jacques Aubert

2016 15 euros ISBN 9791093457031 16 x 21 cm – 48 pages

Éditions Trente-trois morceaux

« Une nuit sans lune sous laquelle les vagues luisent faiblement. Le navire entre dans un port où l’on aperçoit quelques lumières. La mer est inquiète, chargée d’une colère sourde, pareille aux yeux d’un animal prêt à bondir, en proie à sa faim impitoyable. La terre est plate et maigrement plantée d’arbres. Un grand nombre de gens sont rassemblés sur le rivage pour voir quel est le navire qui entre dans leur port. » James Joyce, Épiphanies, XXVIII.

Entre 1901 et 1904, James Joyce annonce à plusieurs reprises son désir de composer un recueil d’épiphanies. Plus tard, une définition de son projet apparaît dans Stephen le Héros : « Par épiphanie, il entendait une soudaine manifestation spirituelle se traduisant par la vulgarité de la parole ou du geste ou bien par quelque phase mémorable de l’esprit même. Il pensait qu’il incombait à l’homme de lettres d’enregistrer ces épiphanies avec un soin extrême car elles représentaient les moments les plus délicats et les plus fugitifs. » Si ce projet est finalement laissé inachevé, il n’en demeure pas moins, dans son inachèvement même, un jalon déterminant de son parcours d’écrivain et de la littérature moderne, dont les échos se font entendre tout au long du siècle aussi bien dans la littérature que dans les arts visuels. Ce qui est en jeu à travers ces récits de rêves, ces fragments de dialogues, ces brèves descriptions, c’est le désir d’ancrer l’écriture dans l’événement, si menu et insignifiant soit-il. Plus d’un siècle après leur prélèvement, les Épiphanies apparaissent, davantage encore que les poèmes de jeunesse, comme les premiers cailloux posés sur le sentier qui mène à Ulysse et Finnegans Wake. Elles indiquent la naissance d’un regard et d’une méthode, les premiers éclats de la constellation à venir. Elles communiquent souterrainement avec les découvertes de la psychanalyse (le lapsus, l’acte manqué) et l’art du hasard cher aux surréalistes et à Duchamp (le ready made).

éditions Trente-trois morceaux 8 rue Clavel 75019 Paris www.trente-trois-morceaux.com

contact Paul Ruellan +33 (0)7 83 88 30 63 editions@trente-trois-morceaux.com

diffusion paon-diffusion.com distribution serendip-livres.fr

Faire la carte, Vincent Weber L’Énéide Virgile, trad. Pierre Klossowski Voyage en Grèce Gastone Novelli Épiphanies James Joyce Street life Joseph Mitchell En regardant le sang des bêtes Muriel Pic Zé Gus Sauzay Dans le décor Vincent Weber La Crèche Giorgio Manganelli Listen to me / Écoutez-moi Gertrude Stein Brecht et la Méthode Fredric Jameson Nouvelle du menuisier qu’on appelait le Gros – Vie de Brunelleschi Antonio Manetti Poèmes Yvonne Rainer Dialogues avec Leuco Cesare Pavese Le Gualeguay Juan L. Ortiz Homme par-dessus bord – Proses 1931-1947 Kurt Schwitters


É DIT IONS LURLURE NOVEMBRE 2023 Arthur Rimbaud

Vers nouveaux

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VERS NOUVEAUX Arthur RIMBAUD Édition d’Ivar Ch’Vavar Genre : Poésie Collection : Poésie Prix : 10,00 euros Format : 12 x 18,5 cm Nombre de pages : 72 ISBN : 979-10-95997-55-9

> LE LIVRE Écrits en 1872 (Rimbaud est alors âgé de 17 ans), les poèmes qui composent les Vers nouveaux (le titre généralement retenu est : Vers nouveaux et chansons – il n’est pas de Rimbaud, qui n’avait pas titré ses poèmes) par leur ton et par leur liberté formelle, constituent une avancée majeure de la poésie française. Cette nouvelle édition de ces poèmes a été préparée et annotée par le poète Ivar Ch’Vavar, dont l’œuvre de Rimbaud est l’une des grandes influences. Elle pose un regard neuf sur ces poèmes essentiels de notre littérature.

> LES AUTEURS Arthur Rimbaud est né en 1854 à Charleville et mort à Marseille en 1891. Il écrit son œuvre poétique entre l’âge de 15 et 20 ans et abandonne ensuite définitivement l’écriture. Bien que brève, l’originalité et la densité de son œuvre poétique en font l’une des plus importantes de la littérature française.

Ivar Ch’Vavar est né à Berck-sur-Mer en 1951. Il a dirigé plusieurs revues, dont Le Jardin ouvrier (rééditée en anthologie chez Flammarion en 2008), et publié de nombreux livres de poésie. Chez Lurlure, il a déjà publié : Cadavre Grand m’a raconté (2015) ; La Vache d’entropie (2018) et Le Tombeau de Jules Renard (2023).

DIFFUSION/DISTRIBUTION SERENDIP LIVRES / PAON DIFFUSION

Arthur Rimbaud (dessin de Paul Verlaine)

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EXTRAIT 1

“Je fais cette édition pour les amis, cette présentation ou mise en ordre, disons, de poèmes qui me fascinent depuis plus de cinquante ans, que j’ai relus toujours, dont l’importance dans l’histoire de la poésie me paraît extrême – et que j’ai toujours trouvés mal publiés. Il faut reconnaître que les Vers nouveaux posent de sérieux problèmes d’édition, insolubles même, dans l’état actuel de nos connaissances. Certains de ces poèmes sont datés, mais l’ontils été au moment de la première écriture, ou bien – plutôt ! – au moment d’une mise au net, ou d’une simple copie ? Il n’est pas évident d’établir dans quel ordre ils ont été écrits, alors qu’il serait si important de le savoir, car une avancée majeure de la poésie se joue ici, en très peu de temps.”

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EXTRAIT 2

LARME. Ici, un souvenir personnel. Je suis au lycée de Montreuil-sur-Mer, en classe de première. Notre professeur de lettres est Monsieur Davanture, « Dada », grand homme à vaste poitrine, d’une belle prestance, approchant de la retraite – une figure, dans la petite ville ! Latiniste émérite, admirateur quasi monomaniaque des Classiques : en début d’année, il a failli s’étouffer en découvrant une page de Lautréamont (qu’il ne connaissait pas) dans le nouveau manuel du xixe siècle... Il sait que je suis surréaliste et me regarde avec une commisération où pointe – tout de même – quelque curiosité. La fantaisie lui prend de nous faire apprendre et réciter un poème – exercice rare, dans les lycées. Il nous avertit que sa notation ne sera pas complaisante mais, en échange, chacun pourra choisir le poème qu’il dira. Le jour venu, je passe sur l’estrade à l’appel de mon nom, notre salle est dans les hauteurs de l’ancienne chapelle Sainte-Austreberthe. « Eh bien, alors, qu’est-ce que vous avez choisi, vous ? – Larme, d’Arthur Rimbaud. – Rimbaud ! J’aurais dû m’en douter, mince ! Bon, allez-y. » Je récite. Silence de mort pendant et après – quelques secondes... Puis, je le vois encore, Monsieur Davanture ferme les yeux, se pince la racine du nez... « D’accord, je vois ce que c’est... Bon, il n’y a pas à tergiverser. Quoi qu’il m’en coûte, une note que je n’ai jamais donnée : vingt sur vingt. » Larme. Quatre quatrains en vers de onze syllabes et des rimes à faire tomber Sully Prudhomme (lui ou un autre) sur le flanc : un dispositif A-B-C-B, A-B-A-C pour les premiers quatrains, des rimes auberge / perches, soir / gares, vierges / coquillages par la suite ! Dans la version sans majuscules, Rimbaud change les vers 7, 8 et 9 : boire à ces gourdes vertes loin de ma case claire quelque liqueur d’or qui fait suer effet mauvais pour une enseigne d’auberge. éjectant au passage l’impossible « colocase » de la première version.

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Collection du zbeul 11 rue Gabriel Péri 59370 Mons-en-Baroeul

+33 676249059

Grammaire pour cesser d'exister Inspirée par La Grammaire méthodique du français, ce texte est composé de 19 chapitres évoquant des principes grammaticaux (l’accord dans le groupe nominal, l’absence de déterminant, formes actives et passives, etc.) et suivant les réflexions d'une jeune femme désirant s'absenter de sa propre vie. L'écriture y est fortement poétique tout en suivant une trame narrative à la fois fixe et flottante : ses réflexions au coeur de la ville, l’étrange couple formé avec son compagnon/colocataire et tous les anciens colocataires fréquentés (sa famille, ses anciens camarades de classes…), ses habitudes de vie réalisées dans un élan à la fois mécanique et très analytique. L'autrice Amélie Durand le présente ainsi : " J'ai écrit ce texte pour parler de la force que peuvent acquérir les discours qu'on se tient à soi-même et, en creux, du pouvoir magique de la littérature – apparition, disparition.

" Il pleut. Il ne pleut plus. Ça y est, j'écris. " Samuel Beckett J'ai voulu créer des situations burlesques, dans lesquelles mon personnage échoue, à répétition, à atteindre le but qu'elle s'est fixé (qu'y a-t-il de plus drôle que l'échec ?) J'ai aussi voulu y parler de la condition féminine qui consiste, dans bien des situations, à s'excuser, à laisser la place, à s'effacer le plus possible." L'autrice: Née en 1988, Amélie Durand se consacre à l'écriture individuelle mais également en collectif. Elle participe à de nombreux ateliers et revues littéraires.

à paraître en septembre 2022 115 x 205 mm, 72 pages, 7€ Thèmes: récit, poésie, féminisme ISBN : 978-2-492352-08-9


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Grammaire pour cesser d'exister

L'ACCORD DANS LE GROUPE NOMINAL Bien souvent, il serait avantageux de n’être pas là. Le soir, par exemple, je rentre chez moi et j’attache mon manteau à une patère. Ce sont des moments comme ça. Ou alors, le soir, je rentre chez moi et j’entends quelqu’un dire : « Ça ne m’étonnerait pas mais alors pas du tout » ; et il faut que je réponde. Parfois, aussi, je mets mes vêtements à laver au Lavomatic. Parfois, je rentre chez moi, je me tourne tout doucement vers le mur et j’y plaque les deux mains. Après, je glisse imperceptiblement vers le sol et depuis la cuisine mon colocataire me dit : « Encore faudrait-il qu’ils sachent ce qu’ils veulent, ces gens là. ». Il me demande aussi si j’ai mal aux genoux. Je n’ai pas mal aux genoux, ça va. Je n’ai jamais eu de problèmes d’articulations.

UN MODÈLE CANONIQUE : LA PHRASE DE BASE Une fois mon colocataire endormi, je devrais pouvoir à loisir faire un point sur les avancées de la journée. Malheureusement, je suis exténuée et recouverte de sueur et je m'endors sans avoir pu y songer. L'effort immesurable que je dois faire chaque jour pour ne pas détromper les gens de leur croyance que je suis, continûment, là où je suis, m'exténue et me met en nage. Je voudrais inventer le moyen d'en faire l'économie mais pour cela il faudrait être moins fatiguée, et c'est précisément ce qu'il y a de terrible avec cette dépense : je la fais, et elle est énorme, mais sans vraiment y penser, simplement parce que, quand on me parle, je réponds. Et à peine j'ai parlé qu'il me faut déjà parler encore, parce qu'il semble que quand ils m'entendent leur parler les colocataires en déduisent toujours que c'est moi qui leur parle, et qu'une très grande

Souvent Mon colocataire j’entends des est gens coopératif, raconterd’une leur rencontre certaine façon. c’est une Il ne histoire comprend facilepas à retenir vraiment ce que je fais mais toujours il ne lacherche même dans pas non ce bar plus chez à m’en des amis empêcher. à cette Parfois, soirée pendant on est ce tout blanus bla bla chez blanous, bla dans notre chambre, il était là elle et ilfaisait met ça saetmain alors sur et j’aimon dit etcou, on apar exemple. ah oh ahC’est c’est même fou gentil de sa part. Notre lit est presque oh ah oh collé dis donc à une grande fenêtre qui donne sur un ahmur. oh ahCececi sont cela des moments comme ça. Une seule fois, il a eu l’air de comprendre que jetous suis,ces depuis gens qui des ne années, connaissent en pleine pasinvestigation. Lola. Il avait mis ses mains sur moi alors j’ai regardé à travers sa tête et je suis allée me plaquer contre la fenêtre. C’est là qu’il a dit : « Qu’est ce que tu fabriques, encore ? ». Ce qui m’a semblé le plus inquiétant, c’est qu’il ait dit « encore ». Finement, j’ai décidé de rester collée à la vitre jusqu’à ce qu’il éteigne la lumière et qu’il s’endorme. On n’a plus jamais reparlé de fenêtre. C’est comme ça, avec les hommes, me disait ma mère. Elle disait aussi autre chose mais j’ai oublié quoi.

partie de leur considération pour moi provient de cette conviction qu'ils ont. J'ai à coeur de me conserver leur amitié et leur respect, c'est pourquoi je souhaite ne pas les désabuser. Cela m'embêterait beaucoup, beaucoup, d'être prise un jour, par l'un d'eux, en défaut : mon colocataire serait, depuis une heure, en grande conversation avec moi dans la cuisine, et il se rendrait compte qu'il y a cinquante minutes que je suis sortie me promener. Bien sûr qu'il ne me le pardonnerait pas. C'est pourquoi je suis, en attendant d'avoir trouvé le moyen imperceptible de m'absenter de ma propre conversation, forcée de rester là, une fois un mot planté : de rester là, pas trop loin, une fois le mot dit, comme si c'était pour toujours moi même qui l'avais dit et que je devais y rester attachée une époque, toute une vie au minimum, comme à un enfant, pour le toucher et le torcher, parce que je l'aurais voulu et qu'après tout il serait à moi. Cette obligation vis à vis de ma propre parole m'engage à flotter dans des lieux où je n'ai rien à faire et auxquels je n'appartiens pas. Chaque mot que j'ai dit ayant été dit par moi, je reste amarrée partout où j'ai parlé comme si j'y étais encore et j'ai déjà trente ans, et je n'ai pas encore réussi à inventer autre chose mais une fois, quand j'avais huit ans, j'ai lu un album de Tintin.

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Lida Youssoupova Verdicts Collection « Ouija » 15 x 20 cm 232 pages 978-2-493242-08-2 20 € 3 octobre 2023

Verdicts, dans la lignée de Témoignage de Charles Reznikoff, est un livre de poésie documentaire entièrement construit par le montage de fragments de jugements prononcés par des tribunaux russes entre 2012 et 2017, notamment dans des affaires de féminicides, d’infanticides, de violences domestiques ou de meurtres homophobes. Ces extraits judiciaires constituent une chronique de la vie quotidienne des provinces périphériques russes, marquées par une violence inouïe mais aussi par la misère, l’alcoolisme ou l’arbitraire de l’État. Lida Youssoupova s’attaque à la langue du pouvoir russe. Les quatorze poèmes qui composent ce livre donnent à lire la rhétorique de défense des « valeurs traditionnelles » au sein des tribunaux, réthorique que l’on retrouve dans les éléments de propagande employés aujourd’hui dans la guerre en Ukraine. Par un travail d’amplification performative, Verdicts montre que l’intime des corps des citoyens est l’un des premiers lieux où un régime autoritaire vient imprimer sa marque. Parallèlement à cette démonstration, la poésie de Lida Youssoupova opère un « montage de libération » (Galina Rymbu) par lequel les victimes, invisibilisées, acquièrent des traits visibles. La tâche éthique de l’auteur consisterait ainsi à rendre la voix aux victimes, à les rendre audibles dans l’espace de la mémoire individuelle et collective. Malgré son extrême violence, le poème devient ainsi un lieu de réparation. Traduction de Marina Skalova.

* Lida Youssoupova est née en 1963 à Petrozavodsk, en Karélie (Russie). Après avoir été contrainte d’abandonner des études de journalisme à l’université d’État de Leningrad (accusée d’être à la fois dépravée et antisoviétique), Lida Youssoupova travaille à la poste. En 1996, elle émigre de Russie et se rend en Israël, puis au Canada. Aujourd’hui, elle vit entre Toronto et San Pedro, au Belize. Elle est l’autrice de plusieurs livres de poésie en russe, parmi lesquels Dead dad, qui paraît en 2016 chez Kolonna Publications – l’éditeur russe de Monique Wittig, Kathy Acker ou Antonin Artaud – et qui fait l’effet d’une déflagration dans la communauté poétique russe. Verdicts est son premier livre traduit en français. Avec cette parution, Zoème entame une série de publication consacrée à des autrices russes contemporaines.


Michel Deguy

Éditions du Canoë

2023

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Juin

Genre : dialogue Préface de Bénédicte Gorrillot 5 dessins de Christine Chamson Format : 12 x 18,5 cm Pages : 120 Prix : 15 € ISBN : 978-2-490251-76-6 Michel Deguy (1930-2022).

Poète, philosophe, professeur émérite (Université de Paris-VIII), président du Collège international de Philosophie (1989 à 1992) et de la Maison des Écrivains (1992 à 1998), il était le fondateur et rédacteur en chef de la revue Po&sie (Belin) depuis 1977, et membre du Comité de la revue Les Temps modernes. Son œuvre poétique et théorique comptant, depuis 1959, une cinquantaine de livres (Gallimard, Galilée, Hermann, Le Seuil, etc.), a été l’objet de nombreuses études en France et à l’étranger et a été traduite en plus de vingt langues ; elle a aussi été récompensée par plusieurs distinctions littéraires dont Le Grand Prix national de poésie (1989), le Grand Prix de poésie de l’Académie française (2004), le Prix Goncourt de la poésie (mai 2020), le Prix Guez de Balzac de l’Académie française (2021).

Contact et libraires : colette.lambrichs@gmail.com

On doit à Bénédicte Gorrillot, Maître de conférences HorsClasse en poésie latine & littérature française contemporaine à ­l’Université Polytechnique des Hauts-de-France, de pouvoir lire les réflexions de Michel Deguy sur la musique. Elle a mené ces entretiens chez lui alors qu’il était déjà souffrant. Ils s’achèvent très peu de temps avant sa mort en janvier 2022 mais il faudra les transcrire et restituer au plus juste une parole orale. Elle l’avait déjà fait dans Noir, impair et manque publié aux Éditions Argol en 2016, volume aujourd’hui épuisé où, déjà, il s’agissait de laisser s’exprimer Michel Deguy sur la façon dont il envisageait son œuvre en miroir aux autres arts – mais c’était à l’exception précisément de la musique sur laquelle ils s’étaient promis de revenir. Voilà donc qui est fait pour le plus grand intérêt du lecteur, car il y a autant de façons de considérer le rapport musique/poésie qu’il y a de poètes et de ­musiciens. La parole de Michel Deguy est donc très précieuse parce que c’était un poète et que c’était un poète qui aimait la ­musique. Beaucoup de questions vont y être évoquées : dans la « ronde des arts », quelle place pour la musique, quelle place pour la poésie ? Pourquoi la poésie n’est-elle pas la musique ? Comment envisager la mise en musique du poème ? Qu’est-ce qu’une chanson, qu’est-ce qu’un poème ? En somme : comment la musique permet-elle de penser la poésie et vice-versa ? Ce petit livre sera donc un bréviaire pour tous ceux qui s’intéressent à ces questions, et restitue la voix si intelligente, émouvante et presque enfantine de celui qui fut – qui est – l’un des plus beaux poètes de langue française.

Téléphone : 06 60 40 19 16

Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip


CHAPITRE II PRÉCISIONS THÉORIQUES : DE MUSICA ET DE POIESIS1 Bénédicte Gorrillot : Michel, si je résume ce que nous avons dit jusqu’ici, notre objectif est d’éclairer ce que représente la musique pour un poète qui se plaît paradoxalement à dresser de lui, comme en 2007 devant François Nicolas, un Portrait de l’artiste en asourdie2 : c’est-à-dire ni musicien (au sens d’un instrumentiste), ni musicologue ; juste un auditeur occasionnel, non savant, mais non moins passionné… Michel Deguy : …et dont l’écoute musicale, hélas, est affectée d’une surdité partielle ancienne, aggravée avec le grand âge ! C’est important, car… que peut bien attendre quelqu’un, par exemple un poète comme moi, de la musique, quand il ne l’entend pas – dans tous les sens 1 Issu de la suite de la 1e séance (28/06/ 2021) avec des éléments des séances n° 2 (06/07/21) et n° 3 (03/01/22). 2 Michel Deguy, « Prose, musique, contemporanéité », dans Musique et littérature : la musique, un art du contemporain ? sous la dir. de François Nicolas, CDMC, 17 mars 2007, audio (1h03’), 9’29’’ (podcast disponible sur URL : http : //www.cdmc.asso.fr/fr/actualites/saison-cdmc/ musique-litterature-musique-art-contemporain).

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d’entendre ? Comment peut-elle intervenir par rapport à la poétique, qui est sa grande affaire ? Cela revient pour moi à la question souvent débattue, avec bien des à-peuprès et des clichés, de la « musique de la poésie » ou du poème musique avant toute chose comme dit Verlaine… B. G : C’est en effet une interrogation essentielle… et d’autant plus complexe si, dans « musique de la poésie », on lit le « de » introduisant le complément du nom au sens d’un génitif3 subjectif (la musique que possède en propre la poésie et qui la définirait) ou au sens d’un génitif objectif (la musique que la poésie prend pour objet de description ou qu’elle appelle à elle pour l’accompagner). Pour y répondre, je vous propose au préalable de préciser les définitions de travail. D’où ma première question : au-delà des diverses classifications déjà évoquées, contemporaine, moderne, classique, romantique, mélancolique, populaire, etc., que mettez-vous derrière le mot musique ? Musique, c’est-à-dire ? Vt poiesis, musica (Comme le poème, la musique) Michel Deguy : … D’abord ceci : il ne faut pas oublier que musica ou mousika en grec, ce sont les Muses, c’est-à-dire la parole poétique. Et là, je pense immédiatement à saint-Augustin et au De musica4. Cet ouvrage

très important pour moi que j’ai fait travailler à mes étudiants traite de quoi ? de la prosodie, et de quelques trois cents types de pieds. Le pied : il s’agit de poser et lever le pied pour marquer le découpage ou la séquence poétique. Il s’agirait d’un découpage après coup.… Au fond, ce n’est pas historique et ce n’est pas autobiographique. On ne commence pas par dire « voilà, on part de la différence brève-longue, comme dans l’iambe ou son inverse le trochée, et ensuite on augmente ». Non. Les trois cents pieds analysés et décrits par Augustin dans le De musica5 nous plongent dans ce qu’on appellerait aujourd’hui la versification, comme si la poésie était différente de la versification, de la mise en vers. Non, on ne met pas en vers : le vers, c’est l’existence de l’élément poème, de la séquence poétique dans la langue, même si après on met le poème en tout ce qu’on veut : en prose, en vers, en les deux… Le lieu, l’élément dans lequel on vit, dans lequel vit ma langue, la maternelle, la seule et unique où je peux penser et parler, eh bien cet élément, c’est la prosodie, c’est le chant, dans tous les sens du mot chant. Le chant est donc cet élément dans lequel la langue se fait entendre. Qui n’a pas entendu sa langue, dans sa capacité prosodique, n’a pas de rapport avec sa langue. B. G. : Si je comprends bien, cet ouvrage d’Augustin a été très important pour vous parce que, via le mot « musique », il

3 Le génitif est un cas latin indiquant notamment la fonction « complément de nom » – ceci pour rappeler l’ambiguïté, parfois, de la construction française du complément de nom. 4 Composé par saint Augustin d’Hippone entre 386 après J.-C. et 388 après J.-C.

5 Augustin détaille ces pieds métriques au livre II du De Musica, puis traite de la question du rythme et du mètre aux livres III et IV et du vers au livre V.

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met l’accent sur la donnée fondamentalement rythmique de la langue générée par la succession variée des voyelles brèves ou longues. Musique et rythme sont donc intimement liés … et même la musique serait d’abord cette capacité de faire rythme, d’imposer à la continuité brute de sons perçus en première sensation (articulés ou non à des signifiés) des successions reconnaissables, isolables de différences de durée ou d’intensité peu à peu théorisées, catégorisées en pied (l’appellation ancienne du mètre), puis en vers… Michel Deguy : Oui, et à partir d’une matrice extrêmement simple – une différence marqué/non marqué, ou longue/brève taa-ti — les possibilités sont innombrables : on peut ouvrir à l’infini (c’est-à-dire trois cents pour Augustin) les possibles dans cette différence initiale. Et c’est dans ça que s’avance le poème, c’est-à-dire pour moi la langue cherchant à faire entendre cette capacité profonde et insensée de rythme qu’on appelle la prosodie. Pour Augustin c’est tout ce que peut offrir la langue latine à partir d’un blanc puis tout à coup le tiret et le petit demicercle et à nouveau le blanc qui donne la différence trochaïque taa-ti, ou à partir de l’inverse qui donne l’iambe, ti-taa. Et à partir de là la matrice peut s’ouvrir avec taati-ti le dactyle ou t­ i-ti-taa l’anapeste, etc. Il est utile pour le travail de nommer toutes ces différences. Il ne faut jamais rester dans le vague. Tout cela attend d’être précisé, noté, et c’est cela qu’Augustin appelle le musaïque, la musique : le rythmé ou rythmable. Il faut entendre, dans la musique ­d’Augustin, la Muse… plus que la trompette ! 6

B. G. : Justement, je voudrais ici exprimer mon étonnement : Augustin et vous, après Augustin, convoquez, pour définir la musique, les ressources de la langue articulée et de la poésie ! Tout se passe comme si, à l’inverse d’Horace qui dit ut pictura, poiesis pour définir la poésie en passant par le comparant peinture, Augustin et vous disiez ut poiesis, musica, passant par le comparant poésie ! Michel Deguy : Il n’y a rien là d’étonnant, puisque du fond des âges de l’Antiquité, depuis Homère ou Orphée, le poème est l’union intime de la musique et de la parole, de la lyre ou la flûte et de la parole ! Le rythme de la langue donne le rythme musical, c’est qu’il faut aussi comprendre derrière la fable du chœur des Muses mené par Apollon qui est, ne l’oublions pas, le dieu de la parole véridique et de la poésie. B. G. : Certes, mais au temps d’Augustin, cela fait long feu que la poésie n’est plus systématiquement accompagnée par la musique. Déjà au temps d’Horace, et plus encore à partir de la deuxième moitié du premier siècle de l’ère chrétienne, sous les Princes, la poésie lyrique n’est plus toujours chantée avec la lyre (ou la flûte, à Rome) 6. Le poète n’est plus 6 « À l’époque d’Horace les poèmes sont plutôt lus que chantés » (Clara Auvray-Assayas et al., Précis de littérature gréco-latine, Magnard, 1995, p. 77). Voir aussi Pierre Grimal : « Les rythmes lyriques ont perdu leur antique valeur. Cela s’explique […] surtout, croyons-nous, parce que la lyrique a changé de caractère, que ces poèmes sont destinés maintenant à la lecture et coupés de toute musique » (« Le lyrisme d’apparat », Le Lyrisme à Rome, PUF, 1978, p. 206). Plus loin, décrivant le temps de Martial, il ajoute : « Le lyrisme n’est plus un chant, mais une rhétorique » (p. 236).

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Michel Deguy : Vous avez raison de rappeler ce point. Il faut se souvenir qu’Augustin commence par condamner la musique, ou plutôt une certaine musique, quand elle se perd dans les excès de virtuosité. À un moment, dans Les Confessions (je tiens au titre Les Confessions, même si certains maintenant traduisent par Les Aveux8), il dit que « s’il est moins touché par le

verset que par le chant », donc moins par la Parole que par la musique, alors c’est « un péché qui mérite pénitence » et il va même jusqu’à dire : « Je voudrais alors ne pas entendre chanter » ! 9 La musique doit être au service de la Révélation. Mais en même temps, parmi les arts libéraux – c’est-à-dire les disciplines scientifiques – sur lesquels il a le projet d’écrire des Disciplinarum libri, dont le traité De Musica10, il commence par la musique, avant la grammaire, la rhétorique, l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie. Cela prouve en quelle haute estime il tient la musique, attention ! non pas pour le plaisir des sens qu’elle peut provoquer (et qui pour lui est un danger), mais parce que, dans l’ordre à suivre dans les arts libéraux conçus comme degrés pour s’élever jusqu’à la contemplation de l’ordre de l’univers (c’est-à-dire Dieu), il place en haut de l’échelle la musique. C’est ainsi qu’Augustin sauve la musique dans le culte chrétien ! Mais il ne la sauve qu’à la condition d’en encadrer l’usage et la composition, et cela passe par l’encadrement de sa définition. Le De musica s’inscrit donc dans le cadre scolaire d’une transmission de savoir. Et parmi ces savoirs, il y la science des rythmes qui est, de façon pythagoricienne ou platonicienne, une

7 Voir Pline le jeune, « Lettre IV-19 ». Jacques Gaillard et René Martin écrivent à ce sujet : « Dans le lyrisme grec […] musique et paroles étaient d’emblée liées, les auteurs étant à la fois poètes et musiciens […] ; à Rome, il n’en est pas de même » (« La poésie musicale ou lyrique : chansons, cantiques, hymnes », Les Genres littéraires à Rome, t. II, Scodel, 1981, p. 76). 8 Allusions à la traduction par Frédéric Boyer par Les Aveux (2008)

9 Voir Augustin, Les Confessions, X-33. 10 Voir Augustin, De ordine, II-41. Le De Ordine est un traité « sur l’ordre à suivre dans les arts libéraux » et au chapitre 41 Augustin dit explicitement que « tant dans les rythmes que dans la modulation même régnaient les nombres et que la perfection était leur œuvre. […Or] ils étaient divins et éternels […]. De là vient que cette science qui participe des sens et de l’intelligence a reçu le nom de musique » (éd. Robert Jolivet, Paris, BA, 1939).

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forcément un auteur-compositeur, comme l’atteste une lettre où Pline le Jeune évoque ses propres poèmes attendant leur accompagnement musical par son épouse7. Ainsi les deux arts ont-ils commencé à vivre une vie moins forcément gémelle, et cela bien avant la réforme de Machaut à la fin du Moyen âge pour séparer poésie et musique et leur permettre un développement plus ou moins indépendant. Tout cela rend d’autant plus étonnant, au IVe siècle, le détour méthodologique d’Augustin qui réunit à nouveau poésie et musique. À moins que son geste n’ait une autre raison et ne révèle une méfiance profonde de la musique, quand elle s’est émancipée de devoir accompagner la parole. Dans ces conditions, la définir par la poésie, c’est-à-dire par les rythmes poétiques, serait une façon paradoxale… de la sauver, parce que Augustin était aussi, dit-on, un très grand amateur de musique ?




KONRAD BECKER

DICTIONNAIRE DES OPÉRATIONS Intelligence culturelle et politiques profondes

_ Genre : Essai _ Titre : Dictionnaire des opérations Intelligence culturelle et politiques profondes _ Auteurs : Konrad Becker _ Directeurs de la publication : Magali Daniaux & Cédric Pigot _ Graphisme : Schulz & Leary _ Prix : 23 euros _ Parution : Novembre 2023 _ EAN 13 : 978-2-9562753-7-4 _ Format fermé : 14 x 22,5 cm _ Nombre de Pages : 240 _ N&B _ Souple _ Type de reliure : broché _ Tirage : 700

DO

KONRAD BECKER – DICTIONNAIRE D E S O P É R AT I O N S

i n t e l l i g e n c e

c u l t u r e l l e

e t p o l i t i q u e s p r o f o n d e s

Si la stratégie est le niveau conceptuel, ou intellectuel, de l’art de la guerre, et la tactique le niveau matériel ou mécanique, l’art opératif est le niveau artistique de celui-ci. Après les Dictionnaire de Réalité stratégique et Dictionnaire de Réalité tactique, voici donc le Dictionnaire des Opérations, troisième et dernier volet d’une trilogie composée entre le 11 septembre et la crise financière de 2008 par Konrad Becker. Directeur depuis vingt ans du World-Information Institute et pionnier de l’intelligence culturelle ayant préfiguré aussi bien Wikileaks que Snowden et l’ère des fake news, Becker n’a cessé depuis de vouloir mettre en évidence le sous-texte de la politique de l'information et le cadre sousjacent de la réalité médiatique. « Le cerveau humain est un organe social très performant, pas une machine à penser. » Avec le Dictionnaire des Opérations, Konrad Becker s’attaque cette fois à la sémiotique profonde du capitalisme, de ses origines antiques jusqu’aux opérations contemporaines de fabrication de l’opinion par l’idéologie économique dominante. Comme dans les deux premiers tomes, les 72 entrées de cet Ars Goetia contemporain poursuivent également l'exploration des résurgences de figures archétypales monstrueuses dans notre ère numérique vaudou et des liens magiques entre illusionnisme et art sombre de la projection de vérité. Dans une période où les conflits mondiaux pour les ressources accélèrent les crises sociales et où les algorithmes cognitifs remettent en question l'autonomie de l'individu et sa liberté d'action, la lecture de Konrad Becker vient nous apporter un « shoot » de lucidité pour vivre le temps présent.


Konrad Becker

DICTIONNAIRE DES OPÉRATIONS Intelligence culturelle et politiques profondes


Préface Hakim Bey

Giordano Bruno, dans son essai sur la Magie, faisait cette fameuse remarque : il est bien plus facile d'ensorceler d'un coup des millions de personnes que de faire en sorte qu'une seule personne tombe amoureuse de vous. Et comme l'a fait également remarquer Ioan Culianu dans son célèbre Eros et Magie à la Renaissance, cette affirmation de Bruno est une pensée fondatrice de la réflexion sur le lavage de cerveau moderne, les techniques de contrôle des esprits, la publicité, les relations publiques et la propagande. En d'autres mots, ces sciences impliquent une forme de magie qui, en définitive, fonctionne. Cela explique l'attraction historique et réciproque entre l'Intelligence (l'espionnage) et la Magie qui comprend aussi bien l'illusionnisme de scène que l'occultisme « réel » – comme le pointe et le documente ici Konrad Becker – et bien sûr le décryptage des messages codés, depuis l'œuvre des alchimistes et astrologues Trithémius 1 ou Della Porta 2 , jusqu'à l'obsession contemporaine pour les apparitions quantiques. Le corollaire à la remarque de Bruno – son versant occulte, pour ainsi dire – suggère que l'on peut utiliser l'Hermétisme non pas pour « enchaîner » les autres, mais pour se libérer de ces vinculae et atteindre une autonomie ou libération relative de l'ensorcellement, des sorts ou manipulations qui vous affaiblissent ; et peut-être même des Grands Mensonges qui passe pour une Réalité Consensuelle. Ce processus pourrait être considéré comme de l'herméneutique, ou même de l'herméneutique ésotérique (ta’wil, comme le nomme les Soufis), une exploration et un dépliement d'une chose vers ses origines. L'étymologie offre une bonne manière d'explorer cela, à savoir : la découverte de l'origine cachée des mots, philologie magique qui se compose de jeux de langage, rébus et de guématrie 3 ; la subconscience du langage lui-même, « l'espace » génératif de la magie. Une idée très viennoise, semble-t-il. Même la forme des entrées de dictionnaire de Konrad est typiquement viennoise – ce sont en réalités des feuilletons, des blätter, des 1 Jean Trithème (1462-1516) est célèbre pour ses découvertes en cryptologie. Son ouvrage le plus connu est Steganographia (Stéganographie) publié à Francfort en 1606. 2 Giambattista della Porta (1535-1615) est un physicien, opticien, philosophe, cryptologue et alchimiste italien, auteur de Magia naturalis (La Magie naturelle) parut à Naples en 1558. 3 La guématrie, ou Gematria, est une forme d'exégèse propre à la Bible hébraïque dans laquelle on additionne la valeur numérique des lettres et des phrases afin de les interpréter.


« feuilles », des mini-essais dans la tradition de Karl Kraus4 et des mots d'esprit des cafés fin-de-siècle. Konrad personnifie la vieille Vienne pour moi ; son arrière-grand-père était amiral dans la Marine autrichienne, ce qui peut sembler être une blague (comme parler de « Marine Suisse ») si l'on ne se souvient pas que l'Autriche fut un jour un Empire et tenait le port de Trieste, où, à des époques différentes, James Joyce et la folle Impératrice Habsbourg Charlotte du Mexique rêvaient derrière les façades de la respectabilité convenue. Konrad est un ectomorphe, il porte un costume noir et une cravate, est expert en pâtisserie viennoise, et fait des performances de fausses séances de spiritisme impliquant des ersatz d'ectoplasme et de l'étrange musique bruitiste post-industrielle. L'Imagination hermétique est une arme épistémologique. On peut identifier une dialectique ou trialectique radicale de Paracelse à Boehme, des Rosicruciens à la science romantique (Novalis, Goethe, Swedenborg) en passant par les Hégéliens de gauche. On peut même y ajouter Spinoza et les occultistes français radicaux comme Nerval ou Eliphas Levi. Et enfin le Surréalisme, le Situationnisme et le Psychédélisme ; les derniers soupirs de la vieille tradition magique. Mais après le dernier soupir il reste encore (comme un gaz ectoplasmique) l'Avant-Garde éternelle non-reconnue, qui n'a jamais cessé depuis 40000 ans d'espérer et de se battre pour mettre en terme à l'aliénation. C'est la Vieille Taupe5, l'Underground Néanderthal – le même geste de refus depuis l'aube archaïque de l'hégémonie. Le laboratoire alchimique des hermétiques du XXIe siècle est devenu conceptuel (laboratoire comme art oratoire) – un Théâtre de la Mémoire. L'ordinateur est son double diabolique. Le sujet est devenu la théorie de la communication, la théorie des méta-réseaux et la sociologie dans un monde où le Social touche à sa fin dans sa représentation extatique. Mais dans ses fondements même, la théorie fait miraculeusement revivre un animisme si basique, si primitif que l'on peut le nommer Théorie des signatures6. « Tout est vivant ». Le propos de la critique 4 Karl Kraus (1874-1936) est un dramaturge, poète et essayiste pamphlétaire et satiriste autrichien. Karl Kraus a beaucoup écrit sur le formatage de l'information et la corruption de la presse. 5 Le terme « Vieille Taupe » provient d'une citation très répandue de Karl Marx sur la révolution : « Nous reconnaissons notre vieille amie, notre vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement… ». Il a également été utilisé par le philosophe Hegel : « Souvent, il semble que l’esprit s’oublie, se perde, mais à l’intérieur, il est toujours en opposition avec lui-même. Il est progrès intérieur – comme Hamlet dit de l’esprit de son père : ‘Bien travaillé, vieille taupe!’ ». Rosa Luxemburg a également donné ce nom à un texte de mai 1917 : « Histoire, vieille taupe, tu as fait du bon travail ! En cet instant retentit sur le prolétariat international, sur le prolétariat allemand le mot d'ordre, l'appel que seule peut faire jaillir l'heure grandiose d'un tournant mondial : Impérialisme ou socialisme. Guerre ou révolution, il n'y a pas d'autre alternative ! » 6 Hakim Bey fait ici usage d'un terme issu de la botanique et de la médecine


hermétique veut protéger cette vie contre l'antibiose7 du Capital dans sa forme spectrale, contre la totalité de l'image comme effacement de l'imagination. Hakim Bey

médiévale : la Théorie des signatures est une méthode empirique d'observation du monde des plantes médicinales et sa libre association par analogie avec une partie du corps humain que l'on souhaite soigner. Elle fut professée par Théophraste, Otto Brunfels, Paracelse, Leonhart Fuchs, Giambattista della Porta ou Nicholas Culpeper. Un représentant récent de cette tendance est l'écrivain allemand Ernst Jünger. 7 L'antibiose est une interaction biologique entre deux ou plusieurs organismes qui porte préjudice à au moins l'un d'entre eux ou bien une association antagoniste entre un organisme et les substances métaboliques produites par un autre.


Sommaire Mammon Absolu Action Heroes Management de l’anxiété Fictions apophéniques Banques véreuses Complexité basique Industries de la beauté Schémas de croyance Prix du sang Empires du commerce Magie du capital Erreurs de catégorie Infiltration clandestine Guerre de classification Ordre compulsif Communication d’entreprise Rationalité correctionnelle Secours de crise Intrigue critique Contes de la crypte Rebelles des dilemmes


Voix désincarnées Art de la dissimulation Pièges du rêve Processus empathiques Logique évolutive Intuition extrême Fausses révolutions Cliniques de Fama Fantasmes fascinants Rationalisme fictionnel Epiphénomènes fondamentaux Sacrifice humain Chef de file illusionniste Réalistes imaginaires Transcendance immanente Ajustements des index Conformisme individuel Technologies interactives Autorités d’intérieur Objectivité irrationnelle Cabale de la Kabbale Démence du marché Contrôle de la mémoire Valeur du miracle


Modernes mythiques Politique narrative Programmes de navigation Economies de réseau Liberté nominale Récurrence obsessionnelle Radicaux occultes Urgence perpétuelle Folie pratique Anticipation prédictive Pronoïa prométhéenne Développement de la propriété Pseudo-contestation Facilitation psychologique Exploitation de la réalité Saisons de la raison Mirages réfractifs Revenants revisitant Relations rituelles Gouvernance de l’ombre Simulations simplifiées Crapules du simulacre Dogmes sceptiques Finance spéculative


Trésors souterrains Chaînes de pensée Production de vérité


AU R É L I E N C AT I N

NOTRE CONDITION ESSAI SUR LE SALAIRE AU TRAVAIL ARTISTIQUE

Avec cet essai sur la condition des artistes-auteur·es, nous allons jeter en pleine lumière toute une production de valeur maquillée en passion et en amour de l’art. En nous posant comme des travailleur·ses, nous allons déborder du champ de la culture pour entrer dans celui de la lutte. Au-delà de la question de notre rémunération, l’enjeu du salaire se situe au niveau du rapport politique que nous entretenons avec les structures économiques et sociales qui déterminent notre activité. À l’heure d’un durcissement du capitalisme qui se traduit par l’uberisation de la société, et dans nos milieux par la prise de pouvoir des fondations d’entreprise et des groupes d’édition, il est temps que le travail artistique soit rendu visible afin que nous puissions l’émanciper des puissances d’argent. Derrière le cas des artistes-auteur·es, c’est bien la question d’un devenir commun qui transparaît, car à force de régressions et de renoncements, le travail a été ravalé au rang de mal nécessaire nous entraînant vers une catastrophe anthropologique et environnementale. En nous organisant pour transformer notre condition, nous allons apprendre à déjouer cette prétendue fatalité.


Format : 12 x 18,3 cm, 68 pages ISBN : 978-2-9571574-0-2 Prix : 10 euros Rayons : Beaux arts / Essais Thèmes : Art contemporain / Siences sociales Sortie : Février 2020

À PROPOS DE L’AUTEUR Aurélien Catin est auteur et militant pour les droits économiques. Membre de l’association d’éducation populaire Réseau Salariat, il étudie la notion de « salaire à vie » en particulier dans le champ des arts visuels. Il fait partie du collectif La Buse qui rassemble des plasticien·ne·s, des commissaires d’exposition et des chercheur·se·s en vue de conquérir un véritable statut de travailleur·euse·s de l’art.

SOMMAIRE Avant-propos – p. 7 Note sur l’engagement – p. 13 De la propriété intellectuelle au travail artistique – p. 17 Du salaire pour les artistes – p. 25 Pour une extension du régime des intermittent·es – p. 33 Vers une Sécurité sociale de la culture – p. 41 Conclusion – p. 51

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EXTRAITS Nous pourrons toujours exposer dans des lieux alternatifs, publier dans des médias indépendants, performer sur des plateaux confidentiels en périphérie des grandes villes. Cependant, il ne suffit pas d’être libres dans la marge si partout ailleurs nous nous soumettons à des règles iniques. Face à la régression sociale, nous devons porter le fer au cœur du dispositif, livrer bataille au sein même de notre milieu de travail. Les arts visuels et le livre ne sont pas en lévitation au-dessus de la société. Ce sont des domaines occupés, ni plus ni moins que les autres activités humaines. La logique du profit les gouverne et les façonne selon des principes qui ont fait la preuve de leur nocivité. […] Nous ne mettrons pas fin à l’exploitation que nous dénonçons à longueur de tribunes, ou à mots couverts entre quatre murs, par des chartes de bonnes pratiques. Nous ne conquerrons pas de droits nouveaux en nous accrochant à des prérogatives de rentiers, aussi nécessaires soient-elles en l’état. Nous ne libérerons pas le partage des œuvres et des idées en défendant la propriété intellectuelle. Au contraire, nous nous rendrons complices de leur accaparement. Nous ne serons pas solidaires de nos camarades curateur·rices, médiateur·rices, installateur·rices, correcteur·rices, professeur·es, critiques, si nous n’assumons pas d’être également des travailleur·ses de l’art. Cette proposition est une manière de contrecarrer une situation intenable, qui nous est imposée d’autant plus facilement qu’elle n’est jamais débattue. Nous allons jeter en pleine lumière toute une production de valeur maquillée en passion, en vocation, en amour de l’art. Avant-propos, p. 7-10 Une première idée serait de revendiquer l’augmentation de la part du salaire dans nos revenus au détriment de la facture et de la note de droits d’auteur. Pour bien saisir le sens de cette proposition, il faut distinguer le salaire proprement dit des autres formes de rémunération que sont l’aide à la création, la bourse, les honoraires et le droit d’auteur. Là où ces revenus visent à satisfaire des besoins ou à contrebalancer des frais, le salaire valide un travail. En même temps qu’il reconnaît une contribution à la production de valeur, il pointe un profit, c’est-à-dire le fait qu’un tiers s’approprie une part de la valeur produite. Ainsi, l’obtention du salaire n’est pas l’aboutissement de la lutte mais son point de départ. Pour Silvia Federici, l’objectif n’est pas seulement d’arracher un peu d’argent aux capitalistes mais d’ouvrir une « perspective politique » en enchâssant l’activité dans un contrat social qui puisse être négocié, débattu et contesté. Chapitre 2, p. 27-28 Avec notre condition, c’est notre milieu professionnel qu’il faut changer. Dans sa forme actuelle, l’économie de l’art est violente et inégalitaire : quelques puissances la dominent et l’orientent en fonction de leurs intérêts tandis qu’une multitude de collectifs et de structures se débattent dans une précarité insoutenable. Pour résister au mécénat d’entreprise, à la spéculation sur les biens culturels, à la marchandisation de la littérature et à l’exploitation des travailleur·ses de l’art, il faut s’attaquer à la racine du problème et opposer une puissance collective à la force des groupes capitalistes. Par son pouvoir d’investissement, une Sécurité sociale de la culture supplanterait les investisseurs toxiques et soutiendrait l’émergence d’entreprises et de structures publiques ou alternatives plus intéressées par les pratiques artistiques que par les pirouettes entrepreneuriales. Nous pourrions ainsi produire et diffuser selon des modalités librement choisies, offrir une reconnaissance à des formes plastiques et littéraires restées marginales, présenter des discours qu’on n’entend jamais et faire émerger des artistes issu·es de milieux peu ou mal représentés. Conclusion, p. 54-55

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ARTICLES & ENTRETIENS Entretien avec Aurélien Catin dans Documentations : https://documentations.art/Entretien-Aurelien-Catin-Notre-condition-essai-sur-le-salaire-au Article d’Aurélien Catin dans Le Monde diplomatique : https://www.monde-diplomatique.fr/2020/08/CATIN/62102 Entretien avec Aurélien sur Hors-Série : https://www.hors-serie.net/Aux-Ressources/2021-04-10/Art-work-is-work-id444 Article d’Auréien Catin dans la revue L’art même, no 84 : « Où en sommes-nous ? Une relecture de Notre condition à l’heure du coronavirus »

NOTES Lorsque son écriture a été terminée, Notre condition a été mis en ligne au format PDF et rendu disponible au téléchargement sur le site de Riot Éditions : https://riot-editions.fr/wp-content/uploads/2020/02/Notre_condition-Aurelien_Catin.pdf Tous les exemplaires de ce livre sont imprimés en risographie, reliés et façonnés par Riot Éditions à Saint-Étienne.

AURÉLIEN CATIN – NOTRE CONDITION


Failles et fuites — sourcellerie précapitaliste et radiesthésie moderne un essai de Chloé Pretesacque 115×165 mm / 48 pages NB souple / dos carré collé impression offset 1 ton direct sur la couverture 500 exemplaires parution janvier 2024 10 euros *les points forts du livre • Premier titre d'une maison d'édition associative et engagée portée par un trio mixte artiste/ éditeur/graphiste. • Approche vulgarisante et transversale des thématiques abordées. • Un sujet populaire mais peu traité. • Une réflexion d’actualité.

• Destinés au lectorat engagé mais aussi au public arts visuels. • Un document visuel accompagnera chaque essai. Ici un fac-similé rare. • Une maquette singulière et une belle matérialité. • Un principe de collection très identifiable, des objets que l'on aura envie de collectionner.

*résumé. La radiesthésie, autrefois nommée sourcellerie, est un mode de connaissance et une attention portée à l’élément eau (des corps, des terres, des vents). Son objet est par essence élémentaire car il nous faut de l’eau, absolument – elle nous lie au monde et nous unit les un·e·s aux autres. Alors la sourcellerie s’évertue à en trouver, principalement sous nos pieds, par le biais d’une baguette ou de mains tendues dans une prière renversée vers les puissances souterraines. Regardée à travers nos valeurs positivistes, la sourcellerie semble élusive, invérifiable et devient par conséquent infréquentable. Chloé Pretesacque, en ayant recours à l’anthropologie historique et aux épistémologies queer et féministes, interroge notre esprit avide de certitude. C’est en convoquant le sensuel et le rituel qu’elle introduit un rapport érotique au sujet, transformant celui-ci en source d’émancipation radicale.

* écoféminisme * sourcellerie * capitalisme * irrationnel * science * populaire * anthropologie * invisible *

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*l’autrice. Chloé Pretesacque est diplômée en science politique et en philosophie, spécialisée en études de genre et en art. Dans le cadre d’un doctorat à la Sorbonne-Nouvelle, elle s’intéresse aux arts de la résistance pratiqués par des formes de vies habitant les ruines du capitalisme. Tantôt invasives, tantôt éteintes, ces espèces troublent les catégories des sciences modernes et nourrissent la notion polymorphe de « contre-nature ». Ainsi les champignons, les méduses ou les escargots sont pour elle des êtres et des figures - en somme, des guides - pour fonder des stratégies d’émancipations. *éditionsMagiCité. met en scène les rapprochements intimes et essentiels entre mondes magiques et pensées politiques. *éditionsMagiCité. piste des textes et des documents risqués, explore la transdisciplinarité des sciences — sociales ou naturelles, toujours sans majuscules — et ouvre celles-ci à des relations hybrides, parfois inavouables.

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ÉTUDES QUEERS/FÉMINISME VANDALISME QUEER (contact : contact.fannylallart@gmail.com)

Sara Ahmed (trad. Emma Bigé et Mabeuko Oberty) · Format (mm) ������������������� 105*148 · Nombre de pages ���������� 110 · Prix (€) ����������������������������������� 7 · Graphisme ��������������������������� Magalie Vaz · Tirage ��������������������������������������� 1500 · ISBN ������������������������������������������� 9782493534057 · Parution ��������������������������������� avril 2024 Vandalisme Queer est un recueil de trois textes

de la philosophe et militante féministe et décolonniale Sara Ahmed. Ces trois textes, initialement publiés sur le blog de l’autrice, explorent la manière dont les modes d’existence queer peuvent être des stratégies de défense, de survie, de détournement ou même de retournement. L’écriture de Sara Ahmed est située, sensible, elle ancre la recherche théorique dans une expérience de l’intime à travers une analyse de l’affecte. Elle nous invite à observer et nous emparer du potentiel subversif de nos existences déviantes, étranges, obliques, queer. Sara Ahmed se définit comme une « rabatjoie féministe », elle dit que c’est « ce qu’elle fait, c’est la façon dont elle pense, c’est son travail philosophique et politique ». Sa pensée philosophique combine des idées tirées des études queer, de la théorie féministe, de la théorie critique des races, du marxisme et de la psychanalyse. Ce petit recueil de trois de ses textes se veut être un objet accessible, qui donne à découvrir les principaux axes de la recherche de Sara Ahmed à un public francophone. Ouvrages similaires : • Manuel de la Rabat-Joie féministe, Sara Ahmed, La Découverte (à paraître, mars 2024) • Se défendre, Elsa Dorlin, Zone, 2017 • Sisters outsiders, Audre Lorde, Mamamélis, 2018 • Un corps à soi, Camille Froidevaux-Metterie, Seuil, 2021 • La pensée de Franz Fanon, Judith Butler et bell hooks

Thèmes abordés : empowerment, plainte, rabat-joie féministe, queer, critique institutionnelle, squat, langage, washing, racisme institutionnel À propos de Sara Ahmed : Elle vit actuellement dans la campagne anglaise, avec sa compagne et leurs deux chiens. Son travail est reconnu par de nombreuxses chercheureuses, elle est régulièrement citée dans des ouvrages importants en tant que référence. Elle a déjà été traduite en espagnol, allemand, italien, allemand, pourtant, très peu de choses existent en français à ce jour.

Actualités de l’autrice : • Parution d’une autre traduction de l’autrice, Manuel de la Rabat-Joie féministe, La Découverte (mars 2024) • Venue de l’autrice en France, fin mars 2024, pour la promotion de ces deux livres, à Paris notamment Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

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VANDALISME QUEER (Sara Ahmed, trad. Emma Bigé et Mabeuko Oberty)

VANDALISME QUEER


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Dans « La plainte comme méthode queer », le plus récent des trois textes choisis, Sara Ahmed réfléchit aux méthodes à utiliser pour survivre dans des contextes institutionnels qui ne sont pas construites pour des personnes minoriséxes. La plainte, en tant qu’affecte et modalité d’adresse est pour l’autrice une stratégie de résistance toute particulière. C’est un outil pour faire entendre, faire exister, des histoires qui sont étouffées par l’institution, cependant la trajectoire d’une plainte est souvent complexe et se heurte à des obstacles de silenciation. Ce sont précisément les trajectoires que prennent les plaintes au sein des institutions qui intéressent ici Ahmed : qui est entendu comme étant en train de se plaindre ? Quand une plainte est-elle prise en compte ? Qui contrôle la narration hégémonique d’un fait ? Autant de questions déroulées dans la pensée pédagogue de l’autrice, qui, à travers plusieurs exemples, dont le cas de harcèlement d’un professeur sur une étudiante dont elle a été témoin lorsqu’elle enseignait, porte notre regard précisément où se jouent les rapports de force systémiques. Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

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« Usage queer », le second texte est tiré d’une conférence que Sara Ahmed a donnée à plusieurs reprises. Repartant du sens initial dépréciatif du terme « queer » et de l’histoire de sa réappropriation en tant que qualificatif revendiqué, Ahmed s’intéresse à l’usage politique des mots, à leur détournement, leur réattribution. Parfois, l’histoire d’un mot nous raconte autant sur ce qu’il signifie que sur ce qu’il produit. La réappropriation d’une insulte en un terme qui nous définit finalement est une méthode sémantique, une proposition d’usage détourné de la langue, d’un usage queer de la langue. Penser ce que peut être un usage queer, quand une chose est utilisée pour une fonction qui n’est pas sa finalité première, par exemple une boîte aux lettres qui ne peut servir, car elle est utilisée par des oiseaux qui y ont fait leur nid, est tout l’objet de ce texte et s’inscrit dans le travail général de l’autrice. Penser également ce que le washing fait au langage, comment il l’évide ou le tord est aussi un pan du texte, prenant pour exemple les usages institutionnels du mot « diversité » et des façons qu’il faut trouver pour lui redonner ses effets attendus, les manières qu’on a de se battre ou de ne pas se battre. Dernière modification 2 décembre 2023

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VANDALISME QUEER (Sara Ahmed, trad. Emma Bigé et Mabeuko Oberty)

Dans « Vandalisme queer », le premier texte, Sara Ahmed propose d’interroger les notions d’usage et d’usagères, et leurs implications normatives : comment l’idée de « bon » usage prescrit-elle les « bons » comportements ? Comment celle de « mauvais » usage sert-elle l’exclusion ou l’invisibilisation des autres ? Elle examine la dialectique entre queerness et vandalisme, entre usages obliques et violence : avec quelle facilité les personnes qui agissent de travers sont relues comme des vandales, et pourquoi il nous appartient de réclamer le vandalisme comme pratique volontaire de défiguration/ refiguration des normes. Qui sont les Vandales ? Le terme apparaît dans la langue française à l’occasion de la Révolution de 1789, au moment où les classes bourgeoises (victorieuses) s’inquiètent de ce que les franges les plus radicales des révolutionnaires commencent à détruire les monuments et les symboles de l’Ancien Régime. L’abbé Grégoire, invente alors le concept de « vandalisme » qu’il construit à partir de la figure du peuple vandale, une tribu scandinave, mythiquement fantasmée comme symbole de violence et de destruction. Le mot de vandalisme est ainsi dès ses origines l’objet d’un trafic de signifiants où se mélangent des histoires de races (les Scandinaves contre les Latins) et de classes (les bourgeois contre les classes populaires), des histoires d’iconoclasme et d’aspirations révolutionnaires. Les potentiels queer du vandalisme sont ici réveillés sous la plume de Sara Ahmed, qui nous livre un outil de plus pour nous entraîner à répondre, se défendre et reprendre du pouvoir.


ÉTUDES QUEERS/FÉMINISME

« Prendre la parole, c’est souvent devenir le tuyau percé de l’institution : ploc, ploc. Et les institutions feront de leur mieux pour contenir la fuite. […] Mais il y a de l’espoir, ici. Les institutions ne peuvent pas tout nettoyer derrière nous. Un tuyau percé peut mener à un autre. Il suffit parfois de desserrer un écrou, un tout petit peu, pour que l’explosion ait lieu. Et nous avons besoin de plus d’explosions. Les usages queer, les usages obliques, décrivent ce potentiel d’explosion. Ils décrivent la manière dont les petites déviations, les petits desserrements, la création d’une porte de sortie, l’ouverture d’une échappée, peuvent ouvrir la voie à de plus en plus d’existences fugitives. » EXTRAIT 2

« Parfois, les mots sont réutilisés comme s’ils pouvaient être coupés de leur histoire, par exemple, lorsqu’une insulte est lancée et atteint sa cible, mais est défendue comme une simple plaisanterie, comme quelque chose dont on peut, devrait, se moquer. Si nous réutilisons le mot queer, nous en conservons le poids ; les bagages. » EXTRAIT 3

« Quand vous devez vous battre pour exister, vous pouvez finir par avoir l’impression que se battre est votre existence. » EXTRAIT 4

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« Quand tu exposes le problème, tu deviens le problème. »

Biographie de Sara Ahmed : Sara Ahmed est née en 1969, se définit comme une « rabat-joie féministe, alienne de l’affect et une femme queer racisée en colère ». Elle est une philosophe anglo-australienne dont les domaines de recherches articulent les pensées féministes, queers et antiracistes. Elle est considérée comme une figure marquante de la phénoménologie queer, notamment avec son ouvrage Queer Phenomenology: Orientations, Objects, Others, (2006). Elle a publié de nombreux livres et articles, et développe plusieurs concepts qui influencent les mouvements féministes et décolonniaux européens, avec par exemple son étude de la figure de la « rabat-joie féministe » ou encore ses recherches autour des « plaintes ». Elle a enseigné plusieurs années à Goldsmiths, University of London, et a finalement démissionné suite à l’incapacité de l’institution de prendre en charge des affaires de violences sexistes et sexuelles au sein de l’établissement. Elle vit actuellement dans la campagne anglaise, avec sa compagne et leurs deux chiens. Son travail est reconnu de nombreuxses chercheureuses, elle est régulièrement citée dans des ouvrages importants en tant que référence. Elle a déjà été traduite en espagnol, allemand, italien, pourtant, très peu de choses existent en français à ce jour. Une traduction de son Manuel de la rabatjoie féministe est en cours aux éditions de La Découverte, par Emma Bigé et Mabeuko Oberty également.

À propos de Emma Bigé et Mabeuko Oberty, traducteurices de l’ouvrage : L’écriture poétique, la performance chorégraphique et la recherche théorique traversent Mabeuko Oberty autant qu’ol les traverse. Au détour d’un parcours trans(-)disciplinaire où s’anatomosent des études en médecine, sciences du langage et socio-anthropologie, et une vie de pédagogue à l’école comme dans les lieux de soin, Mabeuko découvre le Body Weather, une pratique développée au Japon à laquelle ol se consacre depuis une dizaine d’années. Dans cette pratique, « avec rigueur, émerveillement et patience, on observe, on questionne, on explore le corps dans son paysage, ce corps-paysage, qui ne cesse de changer. » Artiste nomade, Mabeuko plonge, dans son corps, dans le mouvement, dans les mots, les nuages, la nuit, la pluie et les rencontres, comme ol plonge dans sa vie, comme on plonge dans le vide, avec curiosité, avec ses tripes et ses imaginaires, dans un élan vers. Emma Bigé étudie, écrit, traduit et improvise avec des danses contemporaines expérimentales et des théories trans*féministes. Diplomée de l’École normale, agrégée et docteure en philosophie, danseuse et commissaire d’exposition, elle enseigne l’épistémologie et les pratiques textuelles dans des écoles d’art et des centres chorégraphiques. Traductrice de théoriciennes et d’écrivaines queers (Jack Halberstam, Sara Ahmed, Alexis Pauline Gumbs, Eva Hayward…), elle publie régulièrement dans Trou noir et Multitudes, revue pour laquelle elle participe à la collective de rédaction depuis 2019. Elle a récemment fait paraître Mouvementements. Écopolitiques de la danse (La Découverte, 2023). Elle vit près d’une forêt dans le Périgord où, dès qu’elle peut, elle roule par terre.

À propos de la designeuse graphique de l’ouvrage : Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux- Arts de Nancy et de l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon, Magalie Vaz développe une pratique qui s’articule selon un triptyque alliant la curation, la reproduction et la transmission. Elle questionne régulièrement les liens qu’entretiennent les productions, circulations, stockages des images numériques avec les dynamiques d’extraction/ domination coloniales. Elle vit et travaille à Paris.

Autres ouvrages édités par la même éditrice chez Burn~Août : • Du salaire pour nos transitions, Harry Josephine Giles (trad. Transgrrrls), 2023 • Hot Wings and Tenders, Marl Brun, 2023 • ROSE2RAGE, Théophylle DCX, 2023 Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

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DU SALAIRE POUR NOS TRANSITIONS

Éditions Burn~Août (association Camille Honnête) 46, avenue du président Wilson 93230 Romainville

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Extrait 1 « Ils appellent ça genre. Nous appelons ça travail non payé. Ils appellent ça perversion. Nous appelons ça absentéisme. Chaque meurtre est un accident du travail. La transsexualité et la cissexualité sont toutes deux des conditions de travail… mais la transition est le contrôle de la production par les travailleureuses, pas la fin du travail. Plus de genre ? Plus d’argent. Rien ne sera plus puissant à détruire les vertus guérisseuses d’une transition. Névroses, suicides, désexualisation : maladies du travail des trans. » Extrait 2 « Notre travail de soin n’est pas payé. Notre expertise médicale n’est pas payée. Notre production de genre n’est pas payée. Notre militantisme n’est pas payé. Notre formation n’est pas payée. Notre travail d’organisation n’est pas payé. Notre enseignement n’est pas payé. Notre écriture n’est pas payée. Nous sommes dans la pauvreté. Et ainsi, aujourd’hui, au moment même où nos genres commencent à être re-naturalisés par le capitalisme néolibéral, alors que l’état nous offre une pitance pour subvenir à nos besoins de santé, nous exigeons non seulement les soins gratuits, non seulement une place au travail, non seulement des dommages et intérêts : nous exigeons du salaire pour la transition.» Transgrrrls est un collectif d’auto-support pour et par des femmes trans. Le collectif traduit des articles transféministes, des articles sur nos sexualités, mais aussi des articles résumant des points utiles pour la transition.

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anticapitalisme et reproduction sociale. En reprenant les jalons théoriques des féministes matérialistes qui ont revendiqué un salaire pour le travail domestique, Giles considère ici Harry Josephine Giles la transition comme un travail (Trad. Qamille) productif de valeur au sein du système capitaliste. Format : 10,5*14,8 En réponse à ce constat, elle Nombre de pages : 44 montre la nécessité d’une muPrix : 5 euros tualisation de nos pratiques de ISBN : 9-782493-534095 résistances aux assignations de Direction : Fanny Lallart Graphisme : Fanny Lallart genre, non pas dans un but d’assimilation à un système salaRelecture : Mio Koivisto rial, mais au contraire pour une libération collective des logiques d’exploitation. Du salaire pour Du salaire pour nos transitions est nos transitions est un texte préle premier texte édité en francieux, profondément fédérateur çais de l’autrice, performeuse, et révolutionnaire. « Nous deet militante écossaise Harry mandons des salaires pour nos Josephine Giles. Originellement transitions, afin que nos transiécrit sous la forme d’un fanzine tions soient reconnues, jusqu’à en 2019, ce court texte est un ce que le travail n’existe plus. » manifeste important qui donne de nombreux outils pour articuler ensemble transféminisme,


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Liste des auteurs : Louis René Ezra Riquelme Gerardo Muñoz Flavio Luzi Jean Bartimée Galipettes Zibodandez Justin Delareux Owen Sleater Mohand Arante

Listes des influences : Dionys Mascolo Giorgio Agamben Carla Lonzi Maurice Blanchot Michel Foucault Comité invisible


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SOMMAIRE

Vita Nuova – Louis René Défaire la gauche – Ezra Riquelme Quatre positions de refus – Gerardo Muñoz L’état d’exception à l’époque de sa reproductibilité technique – Flavio Luzi L’unification cybernétique – Jean Bartimée L’autodéfense sanitaire, une biopolitique mineure – Galipettes La vie contre la psychiatrie – Zibodandez Qu’est-ce que l’Occident ? – Owen Sleater Bifurcation dans la civilisation du capital I – Mohand Bifurcation dans la civilisation du capital II – Mohand Silence et langage – Arante Langage et dispositif. Esquisse Notes sur la vérité Shelley, la désertion de la civilisation L’universitas metapolitica, esquisse d’un chemin possible de désertion – Ezra Riquelme


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Vita nuova « Nous n’avons pas le choix. Nous sommes le dos au mur. Un redépart à zéro, dans de telles conditions, n’exige pas d’héroïsme, ni même un exceptionnel courage. Un peu de rigueur y suffit. Et pourquoi ne profiterons-nous pas des circonstances qui nous y forcent, pour faire preuve d’un peu de rigueur ? Réjouissons-nous plutôt d’y être contraints. Envers et contre tous, cela n’est pas la solitude. Cela se dit d’une certaine manière d’être ensemble, à plusieurs. Nous sommes moins seuls que jamais. » Dionys Mascolo, « Refus inconditionnel », Le 14 juillet

Nous avons été défaits, pourtant nous sommes encore là. Toujours présents. Pas prêts à abdiquer face à l’état de choses. Ces dernières années ont mis en évidence certaines de nos capitulations : le triomphe de la gouvernementalité mondiale, le retour de la gauche et de sa misérable morale, sans oublier la résurgence des apprentis sorciers de la « biopolitique mineure ». Au vu des circonstances énoncées, la situation actuelle réclame un nouvel élan, un nouveau point de départ. C’est une autre façon de respirer qui est nécessaire pour s’extraire de l’apathie généralisée. Cela demande de faire preuve d’un peu de rigueur afin de ne pas répéter inlassablement les mêmes erreurs passées. Il faut constituer une ligne de rupture capable d’approfondir le schisme en cours de manière à combattre toute sécurité, toute santé morale existante et tout capital politique. Repartir de zéro, donc. Mais pas de nulle part, pas du néant, c’est tout l’inverse. Il est nécessaire de partir de là où nous sommes, partir de notre propre profondeur. Toute profondeur est composée d’un ensemble de dynamiques qui s’entrecroisent, se traversent et s’entrechoquent. Elle est habitée d’une multitude de choses, dont des spectres. Ils portent différents noms, parfois Orphée, Hölderlin, Blanqui, Benjamin ou encore un certain Dionys Mascolo. Ce dernier hante la possibilité du nouveau départ comme une force dynamique. Il n’est guère question d’ériger une quelconque idole, mais de sentir la


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présence de la possibilité existentielle dont elle est garante et de formuler cette puissance capable de se mouvoir en mouvement réel qui destitue l’état de choses existant. Mascolo est le nom d’une vie rigoureuse, d’une exigence communiste. Un exemple d’une parfaite coïncidence entre une pensée et une vie, entre une pensée communiste et l’exigence d’entreprendre la transformation immédiate de la vie. Redécouvrir les traces de cette existence, c’est reprendre de ce qui est là effectivement, non de ce qui manque ou ce qui nous fait défaut. En somme, partir de notre rapport avec l’imprévisibilité de la vie. Dionys Mascolo a écrit sur Saint-Just, une phrase qui vaut pour luimême : « Saint-Just sera celui pour qui la culture n’est rien, si elle n’est une vie, la vie même : recherche, aléas, exigences, désirs et passions » (Si la lecture de Saint-Just est possible). La vie est tout ! C’est ce qui conduit Mascolo tout au long de son existence à travailler la question du communisme. Car selon lui, elle est la seule question nécessaire. Le communisme n’est en rien une idée, une hypothèse ou une perspective téléologique, mais une exigence et un mouvement éthique construit sur un seuil sensible : celui de la part irréconciliable. Autrement dit, ce qui refuse l’état de choses. Pendant l’aventure du dit « groupe » de la rue Saint-Benoît, qui fut tout au plus un lieu qu’un groupe. L’appartement de Marguerite Duras fut un espace de rencontre, où bon nombre d’amis du trio qu’ils composaient avec Robert Antelme, ont pu élaborer ensemble un communisme de la pensée. C’est l’expérience d’un partage sans commune mesure qui prit vie au sein de cet appartement, fondé autour de la citation d’Hölderlin : « La vie de l’esprit entre amis, la pensée qui se forme dans l’échange de parole par écrit et de vive voix, sont nécessaire à ceux qui cherchent. Hors cela nous sommes pour nous-mêmes sans pensée. Penser appartient à la figure sacrée qu’ensemble nous figurons ». L’expérience d’un communisme de la pensée correspond à la matérialité d’une expérience sensorielle d’un partage de pensée sans réserve entre amis. « Cette effervescence vive de l’entente amicale – finalement la plus sûre des assises dans ce qu’elle


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a de désordre accepté – recevra un nom » (Dionys Mascolo, L’amitié du non). Ce nom est celui du refus inconditionnel. Refuser l’état de choses, c’est refuser de se soumettre à l’économie, refuser toute représentation, refuser de se soumettre au langage de l’adversaire. Tenir serré au plus près de notre cœur le refus inconditionnel et ainsi balayer tout optimisme en vue organiser le pessimisme. Ne plus rien attendre de ce monde dont il n’y a rien plus à espérer. L’espoir n’est rien d’autre qu’un mal de cette civilisation, une manière socialement acceptable de justifier l’attente. Comme un état psychologique du déni permanent du présent. Au tréfond de cet état gît une chose, la crainte de vivre. La perte de l’espoir ou son refus le plus catégorique forme le mouvement de la pure révolte. Un Non possumus. C’est la première pierre de toute tentative de s’extraire du nihilisme. Dans la révolte un certain silence s’exprime. Les mots ne sont plus réduits à être vains, parler pour ne rien dire est ainsi éclipsé du fait de ce silence que tout révolte exprime. Le silence entendu comme une condition de possibilité du surgissement d’une véritable parole. Dans la révolte, les évidences fusent de toute part et les paroles franches aussi. « Se refuser à tenir pour valable l’état des choses, c’est l’attitude qui prouve l’existence, je ne dirais pas à l’intelligence, mais l’existence de l’âme. » (Dionys Mascolo, « L’esprit d’insoumission », émission du 5 avril 1993 de la radio belge RTBF) L’âme est la réunion de toutes les facultés sensibles. Sa force réside dans le mouvement de correspondance entre la vie et la pensée, dans la mesure d’une commune affirmation, d’une présence, d’un parti pris. C’est-à-dire que notre vie est la seule garante de notre parole. D’où l’importance cruciale du refus, comme médiation agissante capable de démêler les fausses différences en vue de partager de véritables paroles franches. Manier cette médiation agissante détermine la constitution de toute matérialité éthique. Autrement, nous nous condamnons à l’impossibilité de faire l’expérience d’une amitié sans réserve, mais aussi l’impossibilité de toute sortie possible du nihilisme. Mascolo et ses amis, entre leur engagement dans la résistance et leur participation aux événements de Mai 68, mettent en lumière la matérialisation d’une ex


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périence d’une amitié du non. En somme, la matérialité d’une amitié du non permet une prise de parti dans une situation donnée. Une position sensible non réductible aux désastreuses idéologies de la mauvaise conscience. Nous sommes encore plongés dans un cauchemar dans lequel tout nous enclin au mensonge. Les idéologies de la mauvaise conscience ne sont rien d’autres que des formes d’opérations du mensonge, caractérisées par leur capacité à la misère, à l’impensée, à l’abandon de toute exigence. On peut les résumer ainsi : ce sont tous les dispositifs coercitifs du mensonge. Dans Le Communisme, Dionys Mascolo a la justesse de partager sa vision éclairante du Mensonge. Selon lui, sa substance est l’économie comme mode de simplification de toute choses à une dimension mesurable et quantifiable, réduisant la vie à une « vie » de choses. Ce qui signifie que le mensonge est le plan d’opération de l’économie comme seconde nature, une emprise sur la réalité même, déterminé par une déformation pratique du plan de la réalité. Cela a pour conséquence de produire une tonalité insuffisante de l’expérience réelle. Une amputation s’éprouve entre soi et l’expérience du réel, créant ensuite une insatisfaction généralisée du vécu. Description somme toute assez juste de l’ethos occidental. La généralisation de cet ethos à l’ensemble de la planète par le capital de façon négative et positive, a permis au capital d’étendre le conditionnement de la vie à l’abondance de l’insatisfaction. Là où le mensonge sévit, règne l’abondance de l’insatisfaction généralisée, armée des idéologies de la mauvaise conscience, telle la gauche, le néol-éninisme, l’écologie politique, et les autres épaves post-modernes. Aucune révolte ne naît d’une conscientisation idéologique de ce qui est révoltant. « Non, la révolte n’est pas de se révolter contre tout ce qui est révoltant. C’est de s’attaquer d’abord au mensonge des choses, à l’édifice du mensonge qu’est le monde extérieur. » (Dionys Mascolo, Le Communisme). L’âme de toute révolte et de toute révolution porte cette attention à défaire l’édifice du mensonge et de rendre sensible la recherche matérialiste de


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la vérité. Car, toute révolte est l’œuvre à faire. Cette œuvre, tout ce qui n’aura pu entrer en elle, être exprimé par elle, tout ce qui aura été laissé de côté, tout cela est absolument perdu. Parce qu’il n’y a rien pour elle, nulle activité supérieure, et nul lieu, nul séjour préservé du temps, nul ordre de réalité, en dehors de la révolte, où la chose ainsi tenue en réserve pourrait encore prendre place ensuite. Et cette sculpture directe de toute pensée dans la matière de la révolte, il se pourrait qu’elle fût la seule œuvre où la puissance destituante, dans les temps où nous sommes, atteigne quelque chose de profane. Même si les idéologies de la mauvaise conscience ont renouvelé la sainte dialectique du bien et du mal. « C’est en quoi consiste le matérialisme du mouvement révolutionnaire, qui se place par-delà le bien et le mal, à grande distance par conséquent du socialisme humaniste. » (Dionys Mascolo, Nietzsche, l’esprit moderne et l’Antéchrist) Se placer dans cette dialectique, c’est se débattre dans les marécages de la guerre de communication. Le mouvement révolutionnaire ne fait ni le bien ni le mal, mais tente de se venger de l’état de chose. L’architecture de l’édifice du mensonge est structurée depuis un schéma de répétition : celui de la tragédie moderne. Il consiste en l’ambition d’une nouvelle constitution politique dont la funeste destinée est connue d’avance. Considérer nécessaire la tentative de bâtir une nouvelle constitution politique amorce l’incapacité sensible d’enrailler l’état de chose, au point de conduire à l’intensification de l’emprise du désastre. Tel est le chemin prit par certains, ravivant les braises de la forme-parti, sous les traits de la composition. « Au nom d’un prétendu réalisme, on a tenté de nous faire accepter trop de monstruosités hurlantes, et nous avons eu beaucoup de peine, avouons-le, à rejeter les plus hurlantes. » (Dionys Mascolo, Lettre polonaise : sur la misère intellectuelle en France) Car dans un pays tel que la France, obsédé par sa prétention à l’hégémonie intellectuelle, la bêtise est communiée et l’intelligence est exorcisée. Les Français sont des marchands d’églises. Alors, quand la boutique prend feu, ils s’empressent de réclamer un


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deus ex machina : le grand retour d’une organisation forte. Quand l’impuissance est de mise et même cultivée, ce qui sort de la machine du mensonge n’est pas Dieu, mais un néo-léninisme. Qu’il soit rouge ou vert, c’est la même escroquerie qui se joue. La forme léniniste du parti s’actualise de nos jours dans la forme de la composition. Or, ce n’est rien d’autre qu’un agencement politique composé d’entités hétérogène incapables de partager une sensibilité commune. Le lien qui tient toutes ces entités hétérogènes n’est rien d’autre que la soumission aux ordonnances de l’urgence. Toutes leurs réponses sont médiatisées par l’urgence. Le plus regrettable concerne un désir de plus en plus explicite, d’être en quête du pouvoir. Pendant l’effervescence de Mai 68, une multitude d’organisations en quête de pouvoir ont tenté sans pour autant y parvenir de gouverner les torrents insurrectionnels. L’émergence des Comité d’Action, auxquels Mascolo et Blanchot ont largement prit part en donnant naissance au Comité d’Action étudiants-écrivains, fut un des moyens de désactiver cette entreprise de racket. Une façon de faire exister une rupture claire dans la géométrie de la forme-parti, par la chute inévitable d’une certaine perspective. Face à la géométrie du Parti, les comités d’action élaborent une géographie de réalités situées. D’autres gestes de ruptures sont possibles. Le Comité d’Action étudiants-écrivains, par un certain exercice de désubjectivation, fait le pari d’un effacement possible de la notion d’auteur et formule une intelligence partisane. Il n’y a d’intelligence possible que communiste, le reste n’est que de l’ordre de la malignité. Mais le comité ne s’arrête pas en si bon chemin, il tente de rompre avec le social, en affirmant une parole commune munie d’une multiplicité de gestes. La pensée n’est plus vécue comme une entité philosophique surplombante. La pensée est vécue au sein conflictualité de la vie, tenant pleinement liées pensée et vie au plus près du conflit. La puissance discrète du Comité d’Action étudiants-écrivains résidait dans la consistance éthique éprouvée par les êtres demeurant dans cette forme. C’est-à-dire que chaque être n’est pas animé par un désir politique mais habité à des pratiques qui consolide sa forme de vie


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singulière. Tout comme ses amis, Mascolo n’était pas un militant, il était bien plus. L’un d’un problème de l’époque est que nous avons oublié de porter une attention à notre capacité à situer sensiblement les habitudes qui nous constituent. L’habitude est donc une disposition existentielle à l’égard d’une manière de se lier au monde, d’y participer pleinement. Une habitude n’est pas une chose fixe ou un flux, mais une pratique du monde toujours ouverte à un bouleversement de sa sensibilité. Prendre des habitudes, c’est habiter, c’est constituer une consistance éthique et y tenir une exigence de l’attention démontre notre faculté à faire l’expérience du communisme. « La vraie vie est ailleurs. La pensée vive parle une autre langue. » (Dionys Mascolo, Haine de la philosophie) La vraie vie est hors de l’Empire et de son conflit historique interne, entre l’axe états-unien et chinois, et son homogénéité éthique configurée par le rapport à l’unification technologique. Cet ailleurs est pourtant si proche, à portée de main à qui sait encore sentir les formes et les âmes. En fin de compte, à qui est ouvert au « libre usage du propre » de Hölderlin. Au fait de partager un esprit commun, de vivre une pensée entre amis comme forme d’échange de parole et d’écrit. « Tout cela revient à dire, comme il a déjà été proposé en opposition au philosophique, que l’intérêt majeur des activités intellectuelles est de faire éventuellement venir au jour quelque chose qui n’existait pas encore parmi les possibles de l’homme, de délivrer de nouvelles formes de vie restées latentes, et d’abord de tenter, à toute force, de dessiner aussi précisément que possible ce qui en nous constitue en nos attentes – ce que l’on nommés plus haut : l’inconnu désirable. Ce qui précède revient donc aussi à dire que la pensée doit être exercée comme un art. Le vrai – quelque chose de vrai – n’est accessible que par les moyens de cet art de penser qui, supérieur à tout autre en ce sens, ne saurait aucunement ne pas coïncider avec la recherche d’un art de vivre. » (Dionys Mascolo, Haine de la philosophie) Alors, l’accès à une vraie vie, ou plutôt à une vita nuova, coïncide avec l’exercice de la penser comme


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art. La manière de faire coïncider la recherche d’un art de vivre dans son élaboration matérielle. Dans Esquisse d’une doctrine de politique communiste, Junius Frey met en évidence une intuition de Mascolo sur les cités italiennes de la Renaissance comme produit de la désertion. Une sorte de « socialisme esthétique » pour Mascolo qui fait écho à un « socialisme communal » pour Frey. Cette intuition donne matière à une autre perspective du communisme. Si le communisme est certes une exigence de l’attention, sa condition de possibilité réside dans l’exercice d’une élaboration en tout lieu de la guerre civile : saisir la pleine complexité des entités, déceler les lignes de partage qui les habitent, et porter un regard attentif aux éléments de sens hétérogènes qui se meuvent au sein de ces entités. En somme, appréhender toutes les forces qui se meuvent dans l’anarchie des phénomènes, sentir les différences éthiques et être capable de les approfondir. À l’image des villes italiennes de la Renaissance, l’exigence communiste formule une autre sensibilité. L’expression d’une autre méthode de se rapporter aux autres et aux choses. L’existence d’un partage vrai entre technique et éthique, entre fonctionnelle et beauté, entre nécessité et liberté, entre particulier et collectif. Abandonner tout économisation de la vie et procéder à partir de là où l’on part. « Un tel bouleversement général de la sensibilité ne peut manquer de conduire à de nouvelles dispositions de pensée, sous la pression desquelles se trouveront remis en cause, des façons d’abord discrètes, les acquis de la réflexion philosophique elle-même, bientôt délaissés comme impropres à répondre aux attentes nouvelles. » Louis René


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Quatre positions du refus Un ami m’a récemment suggéré que le refus est au centre de multiples positions critiques contre la moralisation de la politique. Et je suis d’accord. En fait, j’irais jusqu’à dire que la stratégie du refus est quelque chose comme un dénominateur commun dans les positions critiques de la médiation politique. Bien que le refus puisse prendre plusieurs formes, j’ajouterais aussi que le refus est dirigé contre l’hégémonie au sens large (culturelle, politique, logistique, etc.). D’abord, le refus émerge de l’illusion que l’hégémonie contribue à toute véritable transformation substantielle ancrée dans le « réalisme politique ». Aujourd’hui, le réalisme est principalement employé comme un argument autonome visant à l’adhésion politique, même s’il ne fait que contribuer au statu quo et à la paralysie. Il est révélateur que la notion de « refus » ait été développée pour la première fois dans le contexte politique français par des personnalités comme Maurice Blanchot et Dionys Mascolo dans la revue Le 14 Juillet, un projet passé dans l’ombre par les historiographies pourtant monumentales de Mai 68. Dans son court texte « Refus », Maurice Blanchot définit le refus comme l’écart de représentation entre un événement et le langage : « le pouvoir de refuser ne s’accomplit pas à partir de nousmêmes, ni en notre seul nom, mais à partir d’un commencement très pauvre qui appartient d’abord à ceux qui ne peuvent pas parler »1. Le refus dénote une limite à la représentation. De même, dans « Refus inconditionnel », Dionys Mascolo comprend le refus comme la possibilité constitutive du silence pour qu’une véritable communication puisse effectivement avoir lieu 2. Pour Mascolo comme pour Blanchot, la notion de refus était la condition de possibilité de l’amitié précédant

1 - Maurice Blanchot. “Refusal”, in Political Writings (1953-1993) (Fordham U Press, 2010). 2 - « Refus inconditionel », Dionys Mascolo, La révolution par l’amitié, La Fabrique, Paris, 2022, p. 27-30.


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la subjectivité. Par la voie du refus, la réalisation d’une « communauté de l’espèce » est empêchée par la socialisation de classe. Je crois qu’on pourrait tout de même nommer quatre positions de refus de la force de fin de l’hégémonie. Ce ne sont peut-être pas les seules positions – et il y a souvent une claire coïncidence du problème. 1. Le refus de la culture. Il y a d’abord « La Stratégie du refus » (Operaio e capitale) de Mario Tronti, qui saisit le refus en termes marxistes classiques, en critiquant l’idée de culture comme résistance à la forme capitaliste. Pour lui, la culture équivaut à une médiation du rapport social capitaliste en expansion infinie. Et pour Tronti, « La contreculture n’échappe pas à ce destin : elle ne fait que vêtir le corps idéologique du mouvement ouvrier de l’habit commun à toute la culture bourgeoise »3. Ainsi, le refus signifie se détourner du « devenir des intellectuels » comme désengagés de la pratique de la lutte des classes. La critique de la culture a fonctionné comme une inversion de la médiation sans aucun levier de transformation. Cependant, pour Tronti, le « refus » était toujours compris comme une stratégie politique, qui passe nécessairement par l’engagement avec la force « subjectivée » de la classe ouvrière organisée sous la forme d’un parti. En d’autres termes, le refus des premiers travaux de Tronti était le refus de la médiation culturelle en approfondissant l’antagonisme de l’autonomie et du politique. Il n’y a pas encore un rejet de la politique, mais plutôt l’hypothèse que le refus peut ouvrir la voie à la destruction de la production capitaliste compte tenu de la « force païenne » du prolétariat. 2. Refus et fugitivité. Deuxièmement, il y a dans l’afropessimisme une stratégie claire et directe de refus de la totalisation du lien social organisé autour de la destruction de l’existence noire. Ainsi, pour l’afropessimisme, le refus prend la forme d’une archipolitique qui cherche à fuir la logistique de la mort sociale 4. Comme l’affirment Moten & 3 - « The Strategy of Refusal », Mario Tronti, Workers and Capital, Verso, 2021.


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Harney dans All Incomplete (2021) : « La notion de sous-communs est le refus de l’interpersonnel, et par extension de l’international, sur lequel se construit la politique. Être sous-commun, c’est vivre inachevé au service d’un inachèvement partagé, qui reconnaît et insiste sur la condition inopérante de l’individu et de la nation alors que ces fantasmes brutaux et insoutenables et tous les effets matériels qu’ils génèrent oscillent dans l’intervalle toujours plus court entre libéralisme et fascisme. Ces formes inopérantes essaient encore d’opérer à travers nous »5. Contre toutes les formes de domination soutenues par la saturation hégémonique, le refus afropessimiste ouvre une vie fugitive dans l’errance qui pointe vers un nouvel antagonisme central désormais cadré entre la vie noire et le monde. Dans Wayward Lives (2020), Saidiya Hartman le dit ainsi : « Faire grève, se révolter, refuser. Aimer ce qui n’est pas aimé. Être perdu pour le monde. C’est la pratique du social autrement, le fond insurrectionnel qui permet de nouveaux possibles et de nouveaux vocabulaires ; c’est l’expérience vécue de l’enfermement et de la ségrégation, du rassemblement et de l’entassement ensembles. C’est la recherche sans direction d’un territoire libre ; c’est une pratique et une relation qui s’inscrit dans les limites surveillées du ghetto noir ; c’est l’entraide offerte dans la prison à ciel ouvert. C’est une ressource queer de la survie noire. C’est une belle expérience de savoir-vivre » 6. Le refus de la circulation totale des rapports sociaux place l’existence noire au seuil du politique. Cette communauté négative refuse toute réarticulation sociale hégémonique. 3. Refus de la logistique. Troisièmement, dans les écrits du Comité invisible, le refus implique la destitution du lien social, bien que l’accent 4 - « An Invitation to Social Death: Afropessimism and Posthegemony, Archipolitics and Infrapolitics », Alberto Moreiras, Tillfällighetsskrivande : https://www.tillfallighet.org/ tillfallighetsskrivande/an-invitation-to-social-death-afropessimism-and-posthegemony-archipolitics-and-infrapolitics 5 - Fred Moten & Stefano Harney, All Incomplete, Minor Compositions, 2021, p. 29. 6 - Saidiya Hartman, Wayward Lives, Beautiful Experiments, Norton, 2019, p. 227.


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soit mis sur l’infrastructure comme terrain concret et opératoire de la domination. Pour le collectif, le refus devient double : d’une part, bloquer la logistique de circulation et de production de l’assujettissement ; d’autre part, séparer la forme de vie du régime de la domestication subjective. Au fond, le refus du Comité invisible vise la mystification du social comme lieu de gain autonome de la lutte politique. Pour Tiqqun comme pour le Comité invisible, il faut refuser la fondation du sujet (Bloom) au nom de la forme-de-vie et rejeter les politiques d’antagonisme de classe favorisant la guerre civile comme science générique de la désertion (ce qui reste après l’effondrement de l’autorité de la politique moderne). 4. Refus posthégémonique. Enfin, la posthégémonie refuse la co-dépendance du politique et de la domination, et favorise leur non-correspondance ; elle refuse la politique comme hégémonie, et l’hégémonie comme nouvelle venue après la fin de la métaphysique. En ce sens, la posthégémonie favorise la sortie de la structure totale de socialisation ordonnée par l’égalité des revendications. On pourrait dire que la posthégémonie affirme « l’option réaliste de non-coopération » avec l’hégémonie. Mais l’espace de non-coopération permet de sortir de la limite subjective du politique. La séparation posthégémonique est donc le refus de la coopération sur la base du refus des conditions de garantie (ce qu’Eric Nelson qualifie d’être « coincé sur le bateau »), qu’elle soit fondée sur une conception distributive de la justice sociale, ou comme la maximisation des intérêts indirects propres au libéralisme 7 . En ce sens, le refus posthégémonique abandonne la tentation d’instaurer un nouveau principe de civilisation avec la politique comme outil auxiliaire et optimisateur de l’ordre 8. Gerardo Muñoz 7- Eric Nelson, The Theology of Liberalism: Political Philosophy and the Justice of God, Harvard U Press, 2019, p. 163-164. 8 - « Posthegemonía, o por una retracción de los principios de la civilización », Gerardo Muñoz, Infrapolitical Reflections, 2020 : https://infrapoliticalreflections.org/2020/08/03/ posthegemonia-o-por-una-retraccion-de-los-principios-de-la-civilizacion-por-gerardo-munoz/


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Walter Benjamin et le rébus de Marseille M A RC E L M A RT INE T – L E C HE F C ONT R E L’H OM M E

Un livre de 160 pages au format 16x22 cm. Impression numérique des pages intérieures sur bouffant et couverture typo en rose et noire sur papier keaykolour lin.

Jérôme Delclos

À la fin des années 1920, Walter Benjamin a déjà écrit sur Berlin, Weimar, Paris, Moscou, Naples. Mais dans sa correspondance, il confie à plusieurs reprises la difficulté particulière lle s’offre, ’e qu t tô si re ti re se i qu lle « Marseille, vi disparaissante sur on ti ri pa ap e un d’ m no le t es vitesse. » fond de déplacement et de qu’il éprouve à écrire sur Marseille, et sa fierté à y être parvenu : « j’ai lutté là comme avec aucune autre ville ». Jérôme Delclos part de cet aveu discret, mais suffisamment insistant pour le prendre au sérieux en le confrontant à l’ensemble des textes du philosophe et écrivain allemand sur cette « ville qui doit avoir des poils sur les dents ». Un livre sur Marseille ? Pourquoi pas, mais à travers les fines lunettes benjaminiennes, c’est Marseille qui se défend et

Les auteurs

Walter Benjamin et le rébus de Marseille précédé par

Bouche d’ombre et peau de bête : Marseille nuits mêlées de Florent Perrier

quiero

Parution : mai 2024 EAN : 9782914363303 Prix public : 22 €

qui mord quand le Berlinois tente « d’en arracher une phrase ». Préfacé par Florent Perrier dont les recherches sur l’utopie et Walter Benjamin font référence, le livre est mis en images par le dessinateur Thomas Azuélos.

Fresque dessinée de Thomas Azuélos pour le livre de Jérôme Delclos…

Jérôme Delclos, écrivain, critique littéraire au Matricule des anges, il a vécu et travaillé six années à Marseille, dans le premier arrondissement à deux pas du haut de la Canebière. C’est durant cette période, de 2006 à 2012, qu’il a beaucoup lu, relu et ruminé Walter Benjamin pour décoder le rébus que constituent ses textes « marseillais ». Publications : L’Expédition du capitaine Stavros, N&B éditions, 2021 ; Cendrillon en Pologne, Aethalidès, 2020 ; Hélène n’était pas à Troie mais en Egypte, Aethalidès, 2019. Vingt leçons de philosophie par le meurtre, Aethalidès, 2017. Florent Perrier est maître de conférences en esthétique et théorie de l’art à l’Université Rennes 2. Ses travaux portent sur les rapports entre l’art, l’utopie et le politique de l’ère industrielle à l’extrême contemporain. Publications : topeaugraphies de l’utopie – esquisses sur l’art, l’utopie et le politique, Payot, 2015, ainsi que des éditions scientifiques chez Klincksieck, Pontcerq, Claire Paulhan. Thomas Azuélos est illustrateur et dessinateur de bandes dessinées, il vit à Marseille. Publications : Prénom Inna : une enfance ukrainienne (T1 & T2) avec Simon Rochepeau et Inna Shevchenko, Futuropolis, 2020 & 2021 ; Toute la beauté du monde, Futuropolis, 2023

« Haschich, jeu, prostitution : au-delà des « expérimentations » dans un appartement berlinois ou sur la Canebière, à une table de roulette, sur le pavé de Marseille, Moscou, Naples ou Paris, Walter Benjamin s’avance au plus loin de ce qu’il pense sous les questions du temps, de l’espace, de l’histoire et de la mémoire. C’est dans cette endurance de la pensée, qui court toujours le risque de l’échec, du « manqué », des « défaites à grande échelle » que ne compensent pas les « victoires de détail », que se rencontre le philosophe. »

On y reconnaît quelques personnages croisés par Benjamin dans le tumulte des rues de Marseille.



L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (contact : eba_benny-amin@riseup.net)

(collectif Fléau social) · Format (mm) ������������������������� 110*165 · Nombre de pages ���������������� +/- 100 · Prix (€) ��������������������������������������� +/- 15 · ISBN ��������������������������������������������� 9782493534071 · Parution ������������������������������������ juin 2024 · Graphisme ������������������������������� Roxane Maillet · Tirage ������������������������������������������ 800

L’homosexualité, ce douloureux problème. Fiction documentée d’un mouvement révolutionnaire est le texte de

la pièce du même nom. Il retrace l’histoire du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), de son action inaugurale, l’invasion du plateau de Allo Ménie le 10 mars 1971 à sa lente autodissolution dans les luttes internes et la formation d’autres groupes en 1974. Par ce texte, le collectif queer de SaintÉtienne, Fléau social, se saisit de matériaux d’archives pour raconter l’histoire d’un mouvement dont iels héritent et dont les questionnements continuent de traverser les luttes actuelles. Le 10 mars 1971, à la salle Pleyel à Paris, Ménie Grégoire anime en direct une émission spéciale sur « l’homosexualité, ce douloureux problème ». Pour parler de ce « fléau social », sur le plateau, de nombreux invités « qui connaissent bien la question pour des tas de raisons diverses » : un psychanalyste, un prêtre, un journaliste… Et dans la salle, des militant·es homosexuel·les qui subissent chaque jour la répression judiciaire, policière, morale et médicale de toute une société. En réaction aux propos qui sont tenus par ces soi­–disants « spécialistes », les militant·es interrompent l’émission et envahissent le plateau. De cette action historique naît le FHAR, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, un mouvement fondé en 1971 et dissout en 1974, une étincelle dans la France d’après 68 qui proclame d’« arrêtez de raser les murs ». Le premier coming-out national pour les minorités sexuelles et de genre en France ; un feu follet, électrique et conflictuel, qui affirme pour la première fois que l’homosexualité, la bisexualité, les identités transgenres peuvent être révolutionnaires. Prochaine représentation : • Théâtre des Célestins à Lyon, du 28 mai au 8 juin À propos de Fléau social : Fondé en 2019 à Saint-Étienne, Fléau social est un collectif de théâtre qui travaille, autant que possible, de manière horizontale par la recherche au plateau, l’écriture en réseau et le réemploi de matière documentaire, historique et personnelle pour créer des spectacles débordants et exigeants où se côtoient réalisme et onirisme, détournant le réel pour mieux le saisir.

Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

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Thèmes abordés par la pièce : FHAR, années 70, communautés, yaourt luttes sociales, révolution sexuelle, Ménie Grégoire, Re-enactment, LGBTQIA+, Ouvrages associés : • Mâle Décolonisation, Todd Shepard, Payot, 2017 • Race d'Ep ! Un siècle d’images de l’homosexualité, Guy Hocquengem, La Tempête, 2018 • Rapport contre la normalité, FHAR, Champ Libre, 1971 • Trois milliards de pervers,

Grande Encyclopédie des Homosexualités, Acratie, 2015

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Crédit photographique : Emile Zeizig

THÉÂTRE

L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (collectif Fléau social)

L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME Fiction documentée d’un mouvement révolutionnaire


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À propos Up Your Ass, de Roxane Maillet : Valerie Solanas, Roxanne Maillet initie en Sternberg Press, 2016 le Cave Club, lectures 2022 de textes écrits par des fxmmes qu’elle invite et dont elle fait la retranscription sous un format éditorial. Elle est co-éditrice avec Auriane Preud’homme et Camille Videcoq de la revue Phylactère dédiée à la restitution et la partition de performance. Roxanne Maillet développe également un travail de recherche graphique et de diffusion autour de l’écriture inclusive et des glyphes non-genrés. Elle crée en 2017 : Out of Closet qui est une collection de logos détournés dans une perspective queer féministe sérigraphiés sur des t-shirts. Roxanne Maillet est diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon et de l’ERG, Bruxelles.

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Crédits photographiques : Lucie Demange, Emile Zeizig, Louv Barriol

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À propos de Mémoires minoritaires : Mémoires minoritaires est une association qui anime le Brrrazero, le Centre de mémoires LGBTQI+ de la Métropole de Lyon crée en 2021 et qui, depuis la même année, coordonne Big Tata (http ps:// //biggtata.org/ g/), un réseau et une plateforme numérique dédiée aux mémoires LGBTQI+. Le spectacle L'homosexualité, ce douloureux problème naît sous sa forme embryonnaire en 2018 à l'invitation de Mémoires minoritaires à participer au festival du même nom et à rejouer la fameuse émission Allô Ménie à partir du verbatim retrouvé dans les archives. Depuis, la collaboration entre Fléau social et Mémoires minoritaires est récurrente, et le travail de recherche documentaire à la base de l'écriture du spectacle a été rendu possible par Mémoires minoritaires et la mise à disposition de son fonds d'archives.

L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (collectif Fléau social)

En plus du texte complet de la pièce de théâtre, l’ouvrage L'homosexualité, ce douloureux problème contient : • Une préface rédigée par un·e auteur·rice contemporain·e et militant·e des minorités sexuelles et de genre et du féminisme. • Une postface des membres de l'association Mémoires minoritaires (pour la promotion et la conservation des archives des minorités sexuelles). • Des archives et d'autres textes des membres du collectif Fléau social en lien avec le processus de création de la pièce. Il s'agit, à partir du sujet initial et de la réactivation théâtrale de l'action inaugurale du FHAR, de créer les conditions d'un dialogue intergénérationnel entre des auteur·rice·s qui ont vécu ces événements et des auteur·rice·s qui en héritent. Ainsi, le livre continue le geste inauguré par la pièce de théâtre : proposer une relecture critique d'une séquence politique à l'adresse de celleux qui en sont les héritier·ères. Pour notre maison d'édition, il s'agit aussi de se confronter à l'édition d'un texte de théâtre, de penser à nouveaux frais, dans une collaboration étroite avec le collectif Fléau social, le lien entre formes imprimées et spectacle vivant — entre objet de lecture et outil de réinterprétation. Pour mettre en forme le livre, nous avons décidé de faire appel à l'artiste et graphiste Roxanne Maillet qui a notamment travaillé au graphisme de l'édition originale de la pièce de théâtre Up Your Ass de Valérie Solanas aux éditions Montana.


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EXTRAIT 2 Zaza — Alors comme ça, tu veux faire partie du FHAR ? Claudia — Oui. Enfin non. Je sais pas trop, je voulais juste me renseigner. Zaza — Pourquoi ? Il m’a semblé entendre que toi et ta copine Ménie vous receviez beaucoup de courrier de gens comme nous, des gens très très malheureux n’est-ce pas ? Claudia — Justement, tout à l’heure vous n’aviez pas l’air… vous étiez… c’était… Enfin j’imaginais pas ça. Ce que je veux dire c’est que tu n’es pas malheureux. Zaza — MalheureuSE chérie, surveille ta grammaire. T’imaginais quoi ? Qu’on avait toutes envie de se jeter d’un pont parce que les gens comme toi veulent pas nous faire un petit peu de place ? Claudia — C’est pas ce que j’ai dit. Zaza, qui a cette capacité de dire des choses terribles avec sarcasme de sorte qu’on ne sait jamais si elle est sérieuse, s’il faut rire ou pleurer — …Parce que des gens comme toi préfèrent nous laisser crever dans des asiles ou en prison ou battus à mort par des types qui se sentent tellement menacés par notre existence qu’ils seraient prêts à y mettre fin à coups de couteau dans n’importe quel recoin mal éclairé de cette foutue ville. Éditions Burn~Août Diffusion/distribution : Paon/Serendip

Claudia — Je suis pas comme ça, je fais pas partie de ces gens-là moi. Zaza — Tiens donc. Claudia — Je veux juste… venir. Zaza — Approche-toi. Elle montre deux rouges à lèvres à Claudia. Qu’est ce qui irait le mieux, rouge carmin ou rouge rubis ? Claudia — Je sais pas, je dirais…celui-ci. EXTRAIT 3 Florence — Chut ! On est le 5 mars 71. Nous sommes quelques-unes du MLF — (à Claudia) Mouvement de Libération des Femmes — devant le palais de la mutualité. Le lendemain, nous ferons la une du journal, et Le Monde nous baptisera le Commando Saucisson. Mais pour le moment, nous nous tenons immobiles infiltrées dans la foule. Nous nous regardons en coin, discrètement. Suzon ressemble a une vraie catho, elle a même couvert ses cheveux. Moi, je marche auprès de Cécile, ma Cécile, j’ai chaud, je sue, le service d’ordre ne nous remarque pas, je serre mon saucisson contre moi, d’une main ferme, glissée dans mon sac, l’autre au bras de Cécile. Je ne sais pas si c’est la peur, l’excitation, ou le contact avec Cécile, mais mes jambes tremblent comme du coton. J’avance en essayant de ne pas perdre les filles de vue. Un pas après l’autre. J’ai peur que mes joues deviennent trop roses, que quelque chose soit écrit sur mon visage et nous trahisse toutes. J’essaie de me calmer, de respirer normalement et Cécile me tire après elle. Elle serre ma taille contre elle et me dit Suzon, Martial, Philippe et Zaza sont peu à peu transcendé·es par le récit de Florence. ** (toustes en choeur) « Gouine, tiens toi prête » ** Florence — On entre. La main de Cécile quitte ma hanche, effleure le bout de mes doigts et serre délicatement ma main. Et ses yeux qui regardent les cathos brûlent d’une détermination jamais vue, et alors tout se mélange, j’ai envie de la serrer contre moi, l’embrasser. D’un coup d’œil j’embrasse la nuque de Cécile puis la salle tout entière, je repère les entrées et sorties, je pense à tenir le poids de ses seins dans mes mains, je relève les positions du service d’ordre, leur nombre, leurs outils de défense et les filles qui sont en place dans la foule. Une vague de chaleur m’envahit. Suzon nous regarde, et je vois sa main se glisser dans son sac, dans quelques secondes elle donnera le signal. Mon corps se tend, mes muscles se contractent, je sens Cécile, je nous sens tremblantes, prêtes à exulter, prêtes à dégainer et crier dans 3, 2, 1. Jouissance collective. Florence revient à elle. Tout le monde reprend ses esprits. Martial — Mais attends t’as joui ou t’as attaqué ? J’ai pas compris .

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L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (collectif Fléau social)

EXTRAIT 1 Ménie Grégoire — Alors là, je vous pose une question précise. Quand vous, psychanalyste, vous voyez quelqu’un qui vient vous trouver en disant je crois que je suis homosexuel ou je le suis, je voudrais en sortir — parce que ça arrive — est-ce que vous considérez que c’est réversible et comment ? Yves Guéna — Je pense que l’homosexualité est tout à fait réversible oui ! Enfin sauf dans les cas rares où la dominante féminine chez un homme est vraiment flagrante et semble irréversible. Mais dans la plupart des cas, on peut dire que l’homosexualité est un accident et que normalement elle se résoudra. Suzon — Alors là, l’intervention du psychanalyste a en effet mis les choses tout à fait au clair. Dans notre société pour s’aimer, l’homme dans un couple doit être viril ! Et la virilité, ça signifie être le supérieur et dominer sa femme. Ménie Grégoire — Mais non ! Suzon — … Si on comprend bien, pour ne pas devenir homosexuel, et pour avoir des relations hétérosexuelles, il doit d’abord y avoir cette inégalité entre les sexes. Ménie Grégoire — Alors là, madame, moi, je vous interromps. Vous dites une chose qui est à analyser. Parce qu’elle manifeste, en disant cela, une espèce de refus de l’homme et elle considère l’homme quand il vient lui faire l’amour comme venant l’embêter et l’écraser de sa supériorité. Une femme normale *(cris de contestation dans la salle)* une femme qui est hétérosexuelle ne trouve pas qu’on l’écrase, elle trouve qu’on lui fait un joli cadeau. Alors vous continuez ? Et croyez-moi, il est de qualité ce cadeau-là.


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THÉÂTRE L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (contact : eba_benny-amin@riseup.net)

le dire. Nous étions comme vous jusqu’à présent. Notre Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire sera ce que nous en ferons. Martial, coupant la lecture du tract — À bas la société fric des hétéro-flics ! Suzon — À bas la sexualité réduite à la famille procréatrice. Martial — Quittons les tasses ! Quittons les dancings ! Prenons les rues ! Zaza — Lesbiennes et pédés, arrêtons de raser les murs ! Foutons le bordel ! Suzon — Rejoignez le FHAR, Assemblées générales tous les jeudis à 20h aux Beaux-Arts, 14, rue Bonaparte ! ». EXTRAIT 5 Claudia — C’est drôle, quand on en parle aujourd’hui, je suis toujours un peu étonnée de la tournure de l’histoire. Je veux dire, quand on en vient à parler du FHAR, du MLF, des Gouines Rouges. Faut dire, les réunions du FHAR c’était devenu quelque chose, c’est pas pour jeter la pierre aux gars, mais c’était devenu un vrai baisoir, y’a pas d’autres mots. C’est les flics qui y ont mis un terme. Avec les filles on s’était déjà tirées. À ce moment-là, on se voyait moins avec Zaza. Cela dit, elle faisait grand tapage avec les Gazolines dans tout Paris ! Mais à part nous qui s’en souvient ? Qui se rappelle de l’outrance de Lola et Hélène au premier mai 71, de la bastonnade qui a suivi les funérailles de Pierre, et du car de CRS qu’elles ont renversé à mains nues ? On cherchait pas le mémorial, je crois que c’était pas ça qui était important. Mais de là à laisser si peu de traces… Finalement tout ça, ça a à peine duré. En 74, le FHAR, les Gouines rouges ou les Gazolines, tout ça c’était déjà fini. Alors bien sûr on était là à des événements, parfois pour gonfler les rangs, parfois pour écrire, aller à la rencontre des gens, coordonner les manifs, faire des actions… On était là pour le procès de la petite Marie-Claire Chevalier, on avait chanté pour la loi Veil, et très vite, même s’il n’y avait plus vraiment le FHAR, tel que nous l’avions connu, on se croisait régulièrement dans un comité de quartier ou au milieu des cortèges et de la foule des premières prides. Et puis il y a eu le décès de Philippe, le premier de la bande à être mort du Sida. Évidemment y’en a eu d’autres. Au début, certains ont cru que c’était de la propagande, et puis les copains médecins leur ont expliqué, alors ils ont fait ce qu’ils ont pu. Moi c’est quand j’ai vu le préservatif d’Act Up sur l’obélisque de la Concorde que je me suis mobilisée. C’est con non ? J’en ai honte, mais avant ça, j’étais restée un peu sidérée, tout en me persuadant que finalement ça me concernait pas… Je… En fait… y’a tellement de choses qu’on n’a pas vues venir. Moi, j’ai la sensation d’avoir été traversée, que ma subjectivité s’est retrouvée aux prises avec une conjoncture historique qui m’a emportée dans son courant. J’étais à la fois avec et dedans.

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L’HOMOSEXUALITÉ, CE DOULOUREUX PROBLÈME (collectif Fléau social)

EXTRAIT 4 Florence — Alors pour l’appel du premier mai, s’il vous plaît, attendez, on a presque fini, attendez… Claudia à l’aide ! Suzon — Arrêtez de baiser au fond, on s’entend pas ! Claudia — Homosexuels de tous poils, CALMEZVOUS ! Il nous reste un point à l’ordre du jour, la manifestation du premier mai. Philippe — Il faut rejoindre le cortège de la CGT, on est en train de devenir une institution bourgeoise alors qu’on est censé être révolutionnaire. Martial — C’est vrai qu’y a que des bourgeois ici… On est aux Beaux-Arts, pas chez Renault ou chez Wisco. Philippe — La place du prolétariat, elle est au cœur de la stratégie révolutionnaire. Zaza — Philippe commence pas à phagocyter le mouvement avec tes stratégies de trotskyste là, tu nous emmerdes ! Y’a 4 ans sur les 300 personnes condamnées pour homosexualité, 143 étaient des ouvriers et pour autant les syndicats, ils ont pas bronché. Pas question de marcher avec eux ! Martial — En plus, les gauchistes, ils sont persuadés que l’homosexualité c’est un vice de bourgeois. Florence — Avec les copines du MLF on a observé la même problématique de classe pour l’avortement. Les bourgeoises payent et vont en Suisse alors que les ouvrières mettent carrément leur vie entre les mains des tricoteuses. C’est horrible… Suzon — Et c’est à elles qu’on met des amendes ! Philippe — Oui, on sait que les problèmes individuels que vivent les femmes et les homosexuels, est le résultat de leur statut politique de classe opprimée, et c’est justement dans le but de maintenir ces dynamiques d’oppression que les mouvements gauchistes font volontairement l’impasse sur ces questions, mais c’est par les syndicats qu’on rencontrera nos camarades travailleurs et homosexuels. Martial — Moi, j’te rappelle que si j’suis là, c’est parce que je me suis fait viré de la JOC ! Tant pis tant mieux, sans ça j’aurais p’tet jamais foutu un pied au FHAR Et c’est pareil partout, CGT, CFDT, Lutte ouvrière et consorts ! Donc hors de question qu’on fasse cortège avec eux ! Oui, on veut faire alliance avec les ouvriers, mais on a pas envie que ça passe par les syndicats. Parce que c’est de ça qu’il s’agit là maintenant. Suzon — Camarades ! De toute façon on est bien d’accord, sans les ouvriers et les ouvrières le mouvement n’a pas sa pertinence. Le fait est qu’on a voté en dernière AG, le FHAR fait son propre cortège, on va pas remettre ça à l’ordre du jour, y’a toute une commission qui a bossé sur le tract. Zaza — Ah je savais pas que le FHAR avait rejoint les rangs de la bureaucratie stalinienne, bravo ! Florence — S’il vous plaît, s’il vous plaît, un peu moins de bruit, on n’entend rien ! Suzon s’il te plaît, tu peux faire rapporteur ? On peut écouter Suzon qui va lire le tract ? Suzon — « Les homosexuels en ont marre d’être un douloureux problème. Ainsi, à celles et ceux qui sont comme nous : Vous n’osez pas le dire, vous n’osez peut-être pas vous



SCIENCES SOCIALES

POLITISER L’ENFANCE Ouvrage collectif (dirigé par Vincent Romagny) · Format (mm) ����������������������������� 165*235 · Nombre de pages ������������������� 315 · Prix (€) �������������������������������������������� 26€ · ISBN ���������������������������������������������������� 9782493534033 · Parution ������������������������������������������ novembre 2023

ÉDITIONS BURN~AOÛT /// POLITISER L’ENFANCE \\\ AVRIL 2023

Politiser l’enfance est une anthologie de textes inédits,

traduits ou réédités, écrits par des artistes, des philosophes, des sociologues, des journalistes, des critiques d’art, etc. Ces textes sont réunis par Vincent Romagny, docteur en esthétique et commissaire d’exposition et John D. Alamer, auteur fictif et collectif des éditions Burn-Août. Ces textes abordent la question des rapports entre enfance et politique non pas depuis un point de vue unique, mais selon différentes perspectives : philosophique, sociologique, historique, poétique, artistique, féministe, queer, etc. et qui éventuellement se croisent.

Politiser l’enfance réunit des contributions sur un su-

jet qui fait retour et qui prend sens également dans la recherche en sciences humaines et sociales. Elle vise à contribuer à forger des outils théoriques qui aideront la lectrice ou le lecteur à aborder un objet trop souvent réduit à ses caractéristiques supposément « naturelles » ou à des représentations classiques (innocence, nostalgie, naïveté, etc.) trop rarement interrogées : l’enfant. Elle aborde des questions soulevées dans les années 1970 dans les courants anti-autoritaires et féministes. Elle entend également replacer la question de l’enfance dans le champ des interrogations contemporaines sur la question de l’émancipation. Pour reprendre les termes de Tal PiterbrautMerx, « le terme d’émancipation renvoie dans le droit romain avant tout à l’émancipation du mineur de la patria potestas, qui attribuait au père de famille le droit de vendre, de donner et de mettre en gage ses enfants. Le modèle par excellence du geste politique d’émancipation semble donc s’incarner dans l’arrachement du mineur au pouvoir parental, dont il était la propriété. »

Thèmes abordés à propos de l’enfance : (anti)pédagogies, abolition, à l’ère du néolibéralisme, dans le spectacle vivant, domination adulte-enfant, déconstruction, émancipation, États-Unis, féminisme, genre, minorités, mythe et représentation, pensée critique, prise de paroles, pédocriminalité, retour sur les années 70, sport de haut niveau Auteurices et ouvrages associés : • La culture de l’inceste, sous la direction d’Iris Brey et Juliet Drouat, Seuil, 2022 • La domination adulte. L’oppression des mineurs, Yves Bonnardel, Myriadis, 2015 • Mémoire de fille, Annie Ernaux, Gallimard, 2016 • S’évader de l’enfance, John Holt, Éditions l’Instant Présent, 2015 • « Il faut éduquer les enfants… », l’idéologie de l’éducation en question, Sophie Audidière et Antoine Janvier (dir.), ENS Éditions, 2022 Vincent Romagny est docteur en esthétique, professeur de théorie de l’art à l’ENSBA de Lyon et commissaire d’exposition indépendant. Ses recherches portent sur l’histoire des aires de jeux et leur perception dans l’art contemporain. Il s'intéresse plus particulièrement à la question de la représentation de l'enfance dans les pratiques artistiques contemporaines. Il a publié de nombreux articles dans des revues spécialisées en art contemporain, co-édité le numéro de la revue Initiales dédié à Maria Montessori à l'ENSBA Lyon (2017), et édité Anthologie Aires de jeux au Japon chez Tombolo Presses (2019) et Anthologie Aires de jeux d’artistes chez Infolio (2010). 1/ Claude Aubart, 5 ans, dessinant la couverture de l'ouvrage. 2/ Anthologie Aires de jeux au Japon, Tombolo Presses, 2019.

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4/ TRANSIDENTITÉ ET ENFANCES QUEER ▶ Adel Tincelin et Charlie Tincelin-Perrier, « L’abomination adulte » (texte inédit) ▶ Arnaud Alessandrin, « Les mouvement antagonistes de politisation de la question des mineurs trans et non-binaires » (texte inédit) ▶ Eve Kosofsky Sedgwick, « Comment élever vos enfants gayment » (traduction)

▶ Préambule, par John D. Alamer et Vincent Romagny ▶ Note sur les langages inclusifs 1/ CONTRER LES REPRÉSENTATIONS INCAPACITANTES ▶ Tal Piterbraut-Merx, « Conjurer l’oubli »

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(texte inédit)

▶ Ghislain Leroy, « Suite d’un dialogue interrompu avec Tal Piterbraut-Merx. “Domination adulte” et rôle éducatif de l’adulte » (texte inédit) ▶ Jenny Kitzinger, « Défendre l’enfance : les idéologies de l’innocence » (traduction) 2/ L’EXPÉRIENCE SENSIBLE DU MONDE SOCIAL ▶ Mégane Brauer, « Cry me a River » (texte inédit) ▶ Ane Hjort Guttu, « Nature / Exposition »

5/ L’ENFANT DANS L’ŒUVRE D’ART ▶ Agnès Dopff et Belinda Matthieu, « Un “Je” d’enfant sur scène » (texte inédit) ▶ Maialen Berasategui, « “Revolting children” ? Les enfants acteurs de comédies musicales à Paris, Londres et New-York » (texte inédit) ▶ Vincent Romagny, « Pourquoi politiser l’enfance ? » (texte inédit) 6/ RÉFUTER LES APPROCHES PRO-PÉDOPHILES ▶ Kate Millett, entretien avec Mark Blasius (traduction)

▶ Jean-Luc Pinard-Legry et Benoît Lapouge, extraits de L’enfant et le pédéraste (réédition)

(traduction)

▶ Julie Pagis, « L’expérience sensible de la politique chez les enfants. Retour sur la PréZIZIdentielle de 2017 » (réédition) 3/ PRENDRE LA PAROLE ▶ Juliet Drouar, « Pour le droit de vote des mineur.e.s » (réédition) ▶ Des Enfants s’en mêlent, n°16 (novembre 1992) et 23 (décembre 1996) (réédition) ▶ Marie Preston, « Un journal d’opinion » (réédition)

Des enfants s’en mêlent, n°10, novembre 1992

7/ RETOUR SUR LES ANNÉES 1970 ▶ Shulamith Firestone, « Pour l’abolition de l’enfance » (réédition) ▶ Christiane Rochefort, extraits de Les enfants d’abord (réédition) ▶ Alexander Kluge et Oskar Negt, « L’espace public des enfants » (traduction) 8/ ENFANCES AU XIXE SIÈCLE ▶ Camille Louis, « Déjouer la minorité, retrouver l’enfance » (texte inédit) ▶ Erica Meiners, « L’enfant à problèmes : provocations pour démanteler l’État carcéral » (traduction) 9/ FACE AUX INJONCTIONS LIBÉRALES ▶ Laurent Abecassis, « Kiss and Cry » (texte inédit)

▶ Arnaud Teillet, « L’“enfant-potentiel”, un modèle en crise » (texte inédit) ▶ Irène Pereira, « Pédagogie critique à destination des enfants » (texte inédit) 10/ ÉMANCIPATIONS ▶ Antonia Birnbaum, « L’enfant, l’alphabet, l’abolition » (texte inédit) ▶ Pierre Zaoui , « Réflexions sur la questions enfantine » (réédition)

ISBN de l’ouvrage dessiné par Claude. 46, avenue du président Wilson 93230 Romainville

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Les textes de 28 auteurices sont répartis en 10 chapitres différents :


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Loin de défendre une approche univoque, il s’agit d’élargir la façon dont nous pouvons comprendre et appréhender l’enfance. Agencer des textes, c’est être continuellement traversé par un sentiment de doute : c’est se placer sous la tutelle d’un savoir qui se voudrait adulte, reconnu comme faisant autorité, mais dont on ne sait pas à quel point il est légitime. Revendiquer une position enfantine, c’est moins la critique délibérée de savoirs constitués que l’expression d’une relation complexe à un savoir que l’on ne maîtrise pas. La question se pose de savoir comment ne pas définir la catégorie de l’enfance uniquement à partir d’une activité adulte. C’est là tout l’enjeu de ce recueil de textes qui tente de présenter différentes manières de rendre à cette catégorie son autonomie en essayant de ne pas l’instrumentaliser. Un discours univoque sur l’enfance est intenable, il s’expose à l’erreur et produit des assignations illégitimes, source de violence sur la minorité appelée enfant. Il est forcément multiple, et exposé à l’erreur. Les expériences pour lesquelles on invoque l’idée d’enfance n’épuisent pas la réserve de sens de l’enfance. « And then it’s like a kid; suddenly a toy shop opens up and the toy shop was called culture. Suddenly I thought I didn’t even have to pretend I was interested in this problem about identity anymore, I could just bloody copy straight on [1]. » Il s’agit de créer les conditions d’énonciation et d’autonomie de paroles auparavant inaudibles, de produire des savoirs spécifiques dans la lignée de ce que nous apprend le féminisme radical. Il s’agit de saisir le caractère temporaire des constructions sur l’enfance et, dans ce cas alors, pour aborder cette difficile catégorie sans l’essentialiser ni la naturaliser, de recourir à la métaphore des campements de fortune, repliés aussi vite qu’ils ont été déployés. On espère ainsi contribuer à tisser « des narrations autres[2] ». [1] Kathy Acker, « Devoured by Myths. An interview with Sylvère Lotringer », in Kathy Acker, Hannibal Lecter, My Father, New York, Semiotext(e), 1991, p. 11. [2] Tal Piterbraut-Merx, « Oreilles cousues et mémoires mutines. L’inceste et les rapports de pouvoir adulte-enfant », in Iris Brey et Juliet Drouar, La Culture de l’inceste, Paris, Seuil, 2022, p. 87.

EXTRAIT DE CONJURER L’OUBLI DE TAL PITERBRAUT-MERX Que faire alors ? Comment aborder l’enfance en tant qu’adultes, si ce n’est par ces billevesées d’adultes ? Doit-on choisir, pour contrecarrer les glissements de notre imagination, de se livrer, en chaussant des lunettes d’inspecteur·ices, à des enquêtes sur les enfants, sur leurs modes d’existence, leurs pratiques etc. ? Oui, mais ne risquerait-on pas de négliger à nouveau notre position d’adulte, et donc de sur46, avenue du président Wilson 93230 Romainville

plomb ? Celle-ci peut, comme nous le propose certain·es de nos ami·es sociologues, être objectivée. J’emprunterais cependant un autre chemin, qui se détourne de la rêverie autour de l’enfance imaginaire, et qui cherche à se rapprocher des enfants comme sujets politiques et de lutte, sans passer par l’enquête sociologique. Je vous le soumets maintenant. Examinons pour introduire cette proposition la structure des rapports adulte-enfant. Ceuxci appartiennent à la grande famille des rapports de pouvoir (classe social, genre, race etc.) et doivent analysés en tant que tels. Un point d’importance les distingue pourtant de ces derniers : les rapports adulte-enfant s’organisent autour d’un schéma d’inversion nécessaire, en ce que tout adulte a un jour été enfant. Cela n’est pas le cas des rapports de classe, de genre et de race ; le caractère nécessaire de l’inversion est donc une spécificité du rapport d’âge. Cette caractéristique des rapports adulte-enfant produit un rapprochement phénoménologique inédit entre le pôle des dominant·es (celui des adultes) et celui des dominé·es (celui des enfants). En effet, l’adulte possède une expérience en première personne du statut d’enfant, bien que cela s’effectue sur le mode du souvenir ; la porosité entre les deux groupes s’en trouve considérablement accrue. Comment, à partir de ce schéma d’inversion, les adultes se rapportent-iels à leur enfance ? Et, question plus difficile, comment des personnes peuvent-elles dominer des sujets qui se situent à la place qu’elles occupaient naguère ? Les enfants sont élevé·es dans l’idée que les comportements des adultes à leur égard sont justifiés par leur éducation, qu’iels agissent dans leur intérêt. Si un inévitable soupçon naît lorsque la maitresse monte la voix, lorsque l’éduc’ frappe, et si ce système de justifications menace finalement sans cesse de se fissurer, la fiction a la peau dure. Mais qu’advient-il de l’autre côté, lorsque l’enfant devenu·e adulte et doté·e d’une autorité nouvelle rencontre des enfants ? Un alliage étrange et monstrueux se forme : il semble d’un côté que l’adulte ait pour une grande partie et le plus souvent oublié les brimades, les humiliations et les violences vécues, ou les minimisent (le fameux « j’en suis pas mort·e »). L’enfance se trouve alors idéalisée, comme un âge d’insouciance et d’irresponsabilité regretté. Et, en même temps, l’adulte se souvient des promesses qu’on lui a tenu enfant : il faut accepter cet état inconfortable pour pouvoir devenir adulte. Tu auras droit, plus tard, d’utiliser le couteau qui coupe fort, de rester dehors, de décider par toi-même de tes sorties, de tes ami·es ! L’inconfort du statut d’enfant est condition de possibilité de la liberté acquise chez l’adulte. L’oubli de l’adulte vis-à-vis de son enfance est ainsi paradoxal : la mémoire opère son travail de sélection et de tri, et les souvenirs se parent d’un éclat nouveau, qui réhabilite l’exercice du pouvoir.

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EXTRAIT DU PRÉAMBULE PAR JOHN D. ALAMER ET VINCENT ROMAGNY


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« Mais être « adulte » après tout n’est qu’un choix, par lequel on s’oublie, et se trahit. Nous sommes tous d’anciens enfants. Tout le monde n’est pas forcé de s’oublier. Et dans la situation dangereuse où le jeu adulte aveugle nous a menés, et veut entraîner les plus jeunes, l’urgence aujourd’hui presse un nombre croissant d’anciens enfants qui n’ont pas perdu la mémoire de basculer côté enfants. » L’urgence est donc de se souvenir, non de l’enfance idéalisée, ou de l’enfance en général, mais de la condition politique des enfants, de ses affres et de ses injustices, pour mieux pouvoir la conjurer, et la transformer. L’acte de réminiscence que j’envisage est une démarche politique et collective : elle ne renvoie pas au cheminement dual qu’est la thérapie analytique, qui vise souvent à « mettre de l’ordre » dans les souvenirs d’enfance, et de faire entendre à un·e supposé·e enfant intérieur·e que sa place n’est pas celle de l’adulte advenu·e. Il importe cette fois de se rappeler, avec le plus de lucidité possible, de ce que furent nos enfances, de quelles matières elles étaient faites, quels en étaient les rythmes et les conditions. EXTRAIT DE LES ENFANTS D'ABORD DE CHRISTIANE ROCHEFORT Les enfants, en tant que groupe discriminé par la Loi, sont, dans leur totalité, traités, modelés, corporellement et mentalement, en vue de l’exploitation. Les enfants sont une classe opprimée. Ils sont toujours la classe inférieure dans celle inférieure ou supérieure (d’ordre économique, sexuel, racial-culturel) où ils sont tombés. Cette oppression spécifique, inhérente au système patriarcal, a été longtemps vécue dans l’isolement. Aujourd’hui, par suite de l’évolution du capitalisme (explosion démographique, expansion scolaire et des médias, accession des jeunes au statut de consommateurs, etc.), cette classe est actualisée. Ce qui est appelé « crise de la jeunesse » selon la technique conjuratoire (« crise », ça ne dure pas). Mais quelle que soit la manipulation sémantique il y a constitution en classe, et début d’une longue marche. Les exécutants du traitement réducteur sont tous les adultes ayant avec les enfants une relation institutionnelle. Parmi eux, les parents occupent une position-clé : à moins d’avoir une perception claire de la politique de l’éducation, 46, avenue du président Wilson 93230 Romainville

ils servent « machinalement » les intérêts de la classe dominante, et dès lors, quelque idée qu’ils aient de la chose, parents et enfants sont dans une relation d’antagonisme. « Quoi, quelle horreur, comment peut-on parler en ces termes de la plus pure et naturelle des relations humaines ! » Ce sont les adultes qui s’expriment ainsi, on les aura reconnus. Réponse à ces grands sentimentaux : faire accroire que la relation parents-enfants est tissée chaîne et trame uniquement d’amour mutuel et réciproque, c’est hypocrisie et camouflage. Si la fonction réelle, sociale, de cette relation, est tenue cachée, parler du seul sentiment d’amour est une insulte à l’amour. L’amour ne peut que gagner à être débarrassé d’usurpateurs qui utilisent son nom pour leurs propres fins, qui n’ont rien d’amoureuses. L’amour n’a rien à craindre de l’examen, il sera beaucoup plus beau une fois lavé. Seuls les mystificateurs redoutent l’analyse. Et justement, l’oppresseur a horreur qu’on rappelle les basses réalités matérielles, luimême plane très haut dans l’idéal, où tout est merveilleux comme c’est. (À part des petits détails si vous y tenez, qui feront l’objet de réformes en temps voulu, quand ce ne sera plus dangereux.) C’est toujours pareil : il n’y a que l’opprimé qui ressent son oppression. L’oppresseur, lui, est content comme ça, ne souffre aucunement, trouve ça très bien, juste, normal, bon pour l’autre (qu’est-ce qu’il ferait sans nous ?), et « naturel ». « Opprimé » d’ailleurs est un gros mot, qui choque l’oppresseur (autre gros mot) — au fait on le reconnaît à cette réaction, essayez, ça ne loupe jamais. L’autre (l’opprimé) n’a rien à dire, d’abord parce qu’il n’a pas la parole. Essayer de la prendre pourrait lui coûter chaud, il le sait : en régime de tyrannie, le tyran peut être permissif, il n’en a pas moins le pouvoir absolu, même lorsqu’il octroie la liberté d’expression, il est prudent de ne pas lui dire ce qu’il ne veut pas entendre, voilà pourquoi vos fils-et-filles sont muets. L’opprimé n’a rien à dire, ensuite, parce qu’il n’a pas de parole, à lui propre. C’est l’oppresseur qui dispose du langage et des connotations, ainsi que de la symbolique. Le rapport de classes est toujours formulé premièrement dans les termes de l’oppresseur : bien, juste, normal, bon pour l’autre, NATUREL. Et c’est ainsi qu’il doit être ressenti par tous. Surtout l’opprimé. Sinon on entend les clameurs : c’est l’oppresseur bien sûr qui crie au scandale, au sacrilège, à la vulgarité, au ridicule, au de quoi vous mêlez-vous, au dénaturé, au démodé, au meurtre. Et comme c’est lui qui a la sono, sa voix couvre tout. On l’entend d’ici . Qui change les termes déclare la guerre .

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Pour devenir adulte, il semble qu’il faille oublier la condition réelle et politique de l’enfance. Christiane Rochefort s’élève dans l’essai Les Enfants d’abord contre un tel état de fait :


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Laurent Abécassis a été patineur de haut niveau (champion de France en catégorie avenir et en catégorie minimes) et a suivi un cursus aux Beaux-arts. Arnaud Alessandrin enseigne la sociologie du genre, du corps et des discriminations à l’université de Bordeaux. Maialen Berasategui est historienne et journaliste. Antonia Birnbaum est philosophe et enseigne au sein du département de philosophie de l’université Paris 8 Vincennes — Saint-Denis. Mégane Brauer est artiste contemporaine. Belinda Mathieu est journaliste et critique spécialisée dans la scène danse contemporaine. Agnès Dopff est journaliste et critique théâtrale. Juliet Drouar est thérapeute activiste, artiste, chercheur, gouine, trans, pédé, blanc, valide, mince, de classe moyenne. Shulamith Firestone était une théoricienne féministe radicale étasunienne. Ane Hjort Guttu est une artiste et cinéaste norvégienne vivant à Oslo Jenny Kitzinger, formée initialement en anthropologie sociale, est professeur de recherche en communication à l’université de Cardiff, directrice de Research Impact et codirectrice du Coma and Disorders of Consciousness Research Center. Alexander Kluge est écrivain et cinéaste, et Oscar Negt, philosophe, est directeur de l’Institut für Soziologie de l’Université de Hanovre et ancien assistant de Jürgen Habermas. Eve Kosofsky Sedgwick était une universitaire et théoricienne féministe et queer étasuienne. Benoît Lapouge et Jean-Luc Pinard Legry, militants homosexuels sont les auteurs d’un ouvrage dénonçant les argumentaires pro-­ pédophiles en 1980.

Ghislain Leroy est maître de conférences HDR en sciences de l’éducation (université Rennes 2 / laboratoire CREAD). Camille Louis est philosophe, dramaturge et activiste auprès des personnes en exil. Erica R. Meiners est écrivaine, éducatrice et activiste. Kate Millett était une autrice féministe étasunienne. Julie Pagis est chercheuse en sociologie politique au CNRS, membre de l’Institut interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS, CNRS-EHESS). Irène Peirera est MCF-HDR en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université Paris 8 et ses travaux portent sur les pédagogies critiques. Tal Piterbraut-Merx (1992-2021) était doctorant en philosophie à l’ENS de Lyon et au CRESPPA, et agrégée de philosophie. Son travail portait sur « Les relations adulte – enfant, un problème pour la philosophie politique ? ». Marie Preston est artiste, enseignante­ -chercheuse à l’université Paris 8 VincennesSaint-Denis (Laboratoire TEAMeD / AIAC). Christiane Rochefort était « écrevisse (parce que vaine…) » féministe. Vincent Romagny est docteur en esthétique et professeur de théorie de l’art à l’ENSBA de Lyon. Arnaud Teillet est enseignant à Paris en école élémentaire et chargé de cours en philosophie à l’université Paris Nanterre. Charlie Tincelin-Perrier est collégienne. Adel Tincelin est auteurice et traducteurice. Pierre Zaoui enseigne la philosophie à l’université de Paris .

Couverture de l’ouvrage dessinée par Claude. 46, avenue du président Wilson 93230 Romainville

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BIOS DES AUTEURICES


POURQUOI NE FAISONS-NOUS RIEN PENDANT QUE LA MAISON BRÛLE ? Lydia & Claude Bourguignon PRÉSENTATION Nouvelle édition augmentée avec remise à jour des données chiffrées, mais également la remise des Diplômes à l'Agro et de nouveaux éléments sur la situation actuelle. Lydia et Claude Bourguignon expliquent d’une autre façon, cette phrase Marguerite Duras qui disait « L’humanité court à sa perte et c’est la seule bonne politique ». Ce livre se propose de montrer les causes de notre non-agir et une pensée radicale, c’est-à-dire une pensée qui analyse les problèmes à la racine. Il nous faut renoncer à nos mythes du progrès et de la croissance, ce qui n’est pas facile. Il nous faut repenser notre société, notre technique, notre politique et bien sûr notre culture. Il s’agit, en quelque sorte, d’une renaissance.

En librairie novembre 2023 Format : 14 x 21 cm Pages: 168 p. Reliure : broché, collé rayon : Essai Prix: 15 € / 20 CHF ISBN: 978-2-8290-0674-6

DIFFUSIONETDISTRIBUTIONSUISSE Éditions d’en bas Rue des Côtes-de-Montbenon 30 1003 Lausanne 021 323 39 18 contact@enbas.ch / www.enbas.net DIFFUSIONETDISTRIBUTIONFRANCE Paon diffusion / SERENDIP livres

AUTEUR·E·S Lydia Bourguignon, maître ès sciences et d.t. œnologie et Claude Bourguignon ingénieur agronome et docteur ès science ont fondé leur propre laboratoire de recherche et d'expertise en biologie des sols (LAMS). Ils ont effectué plus 5000 analyses complètes de sol et organisent des conférences à travers le monde.


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