Dans ce court roman choral, Laurence Boissier sonde le potentiel érotique de l’aéroport de Genève et le poids toujours surprenant du vide.
Assise chaque jour au bar de la halle Arrivée de l’Aéroport de Genève, Émilienne tente de surmonter le plus irréparable des événements : la mort de son père, passager parmi d’autres du vol de Londres 13h30 qui s’est abîmé dans la Manche. Autour d’elle, on s’active. Hadjira glisse avec son chariot de nettoyage dans la zone Transit à la rencontre de l’âme sœur, ou de tout individu qui la verra, la reconnaîtra. Raoul, responsable mélancolique des bâtiments aéroportuaires, s’affaire à l’aménagement d’un hammam à la place d’une pharmacie. Teodora, photographe, sent les vibrations de l’aéroport et même le mouvement des avions. Elle rencontre Émilienne, Hadjira et Raoul. S’ensuit une danse sur le thème de l’amitié, de l’intimité avec chacun d’eux. Londres 13h30 est le premier roman de Laurence Boissier. Le manuscrit a disparu, longtemps, puis a réapparu subrepticement à l’occasion d’un rangement après la disparition de son autrice. On y retrouve les thèmes qui lui sont chers : le jeu d’échos des trajectoires personnelles, une attention marquée pour la topographie, la subtilité dans l’évocation des liens humains, l’absurde importance des routines, la notation de l’insignifiance et le poids toujours surprenant du vide.
collection ShushLarry format 11 x 17,5 cm, 112 p., broché isbn 978-2-88964-083-6 prix CHF 19,50 / € 15
LE PREMIER MANUSCRIT DE LAURENCE BOISSIER : OUBLIÉ, RETROUVÉ, ET MAINTENANT PUBLIÉ !
Laurence Boissier (1965-2022) est une autrice genevoise. Elle a publié plusieurs récits, dont Cahier des charges (éditions d’autre part, 2011) et Noces (éditions Ripopée, 2011). En 2017, Laurence Boissier reçoit un Prix suisse de littérature pour Inventaire des lieux, publié chez art&fiction (2015). La même année paraît également son premier roman, Rentrée des classes (art&fiction, 2017) qui rencontre un large lectorat et lui vaut le Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne. L’autrice publie son deuxième roman en 2020, Histoire d’un soulèvement (art&fiction) - ouvrage qui remporte un grand succès et est notamment sélectionné pour le Prix Lettres Frontières. Son rapport décalé à la réalité, émouvant mais sans sensiblerie, se traduit par une plume à la fois cocasse, élégante et acérée dans son observation sociale des comportements humains.
mot-clés vie quotidienne d’un aéroport, deuil, rencontre livres connexes Sophie Calle, Que faites-vous de vos morts ? , Alain de Botton, Une semaine à l’aéroport, David Lodge, Un tout petit monde argu libraire ce premier roman de Laurence Boissier contient déjà tous ses thèmes et son humour subtil.
PRIX DES LECTEURS DE LA VILLE DE LAUSANNE
LE BESTSELLER
LE BILINGUE FRANÇAISBERNOIS !
PRIX SUISSE DE LIITÉRATURE
affichette dessin de Pascale Favre
Laurence Boissier | Londres 13h30
de l’autrice
Laurence Boissier | Londres 13h30
de l’autrice
Laurence Boissier Inventaire des lieux
ÉDITION DE POCHE
Attendre dans un couloir, occuper une baignoire à deux, faire un plein d’essence, investir une piste de danse : nous connaissons le mode d’emploi de ces lieux et nous nous y plions. Lorsque pour une raison ou une autre, cet usage nous échappe, il naît une situation que le langage courant appelle « un moment de solitude », un léger décalage par rapport à la norme. Laurence Boissier en a fait sa spécialité. En laissant refluer ses souvenirs d’enfance, d’adolescence et de maternité, elle prend acte, en toute subjectivité, de ces lieux, banals, abstraits ou improbables, qui sont autant de supports d’une expérience vécue. Et l’on découvre l’impuissance obtuse de celle qui ne parvient pas à sortir de l’eau en skis nautiques,
son endurance de mère menant son chariot au supermarché comme un paquebot sur le canal de Panama, son abandon dans la masse humaine du métro bondé. Autant de situations à la fois intimes et saugrenues qui, renouvelant le regard sur le réel, touchent à l’universel. Comme « la fontaine », qui offre aux regards une eau lisse en surface mais bousculée en sous-sol par les pompes, Laurence Boissier a doté ses lieux d’un double fond. Certains, parfaitement anodins, nous laissent entrevoir notre gouffre, d’autres, plus grandioses, s’effondrent sur eux-mêmes, jusqu’à la note d’allégresse finale dans la simple traversée d’un pré.
format 11 x 17.5 cm, 168 pages isbn 978-2-940570-91-1
« De son ton pince-sans-rire, Laurence Boissier dynamite les milieux les plus conventionnels et dérègle subtilement des lieux communs. Un régal. »
- ANNE PITTELOUD
POUR LE QUOTIDIEN LE COURRIER
3 ÉDITIONS
2 000 EXEMPLAIRES
PRIX DES LECTEURS DE LA VILLE DE LAUSANNE
2E ROMAN
3 000 EXEMPLAIRES
Laurence Boissier, née en 1965, vit à Genève. Auteure qui excelle dans la forme brève, elle est également artiste et intègre Bern ist Überall en 2011, collectif d’écrivains, avec lequel elle monte régulièrement sur scène. PRIX : Prix suisse de littérature, 2017 ; Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne, 2018 ; Prix Pittard de l’Andelyn, 2018
PUBLICATIONS : Histoire d'un soulèvement , art&fiction, 2020 ; Safari , art&fiction publications / Der Gesunde Menschenversand, 2019 ; Rentrée des classes , art&fiction, 2017 ; Inventaire des lieux , art&fiction, 2015, rééd. 2017 ; Cahier des charges , d’autre part, 2011 ; Noces , Ripopée, 2011 ; Projet de salon pour Madame B , art&fiction, 2010 ———
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INVENTAIRE DES LIEUX 39
LA CHAMBRE D’HÔTEL · LE TRAIN · LA FORÊT · LE TROU NOIR · L’EXTÉRIEUR · LE PALIER · LA COUR DE RÉCRÉATION · LE MUSÉE · LE QUAI · L’ÉTANG · L’UNIVERS · L’AVION · LE DÉSERT · LA VOITURE
Je me souviens avec allégresse de la Singer de ma mère – la voiture, pas la machine à coudre. Elle était bleu pétrole avec un capot bien plat sur lequel on pouvait s’asseoir, le dos confortablement adossé au pare-brise. Ma mère ne voyait pas d’inconvénients à conduire avec un champ de vision réduit à l’espace entre deux dos. Nous nous rendions ainsi à l’école ou à l’épicerie du village. Ma mère avait le sens de l’aventure. Son imagination en la matière dépassait de beaucoup la nôtre. Elle était capable d’entrer dans la voiture en sautant à pieds joints derrière son volant. Je n’ai jamais vu personne d’autre le faire.
Lorsque le temps ne nous permettait pas de figurer sur le capot, nous étions obligés de nous replier à l’intérieur de l’habitacle. Là aussi, elle trouvait toujours quelque chose. Pour nous poser à l’école, elle ne s’arrêtait jamais. Nous descendions en marche alors que 40 LAURENCE BOISSIER
la Singer tournait devant le préau, la portière poussée radicalement vers l’extérieur par la force centrifuge. Nos camarades nous voyaient débouler avec expertise de ce bolide en mouvement, à la manière de Starsky et Hutch s’éjectant de leur Ford Gran Torino avant qu’elle n’explose. L’arrivée de la Singer était très attendue. Nous étions populaires.
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LA CHAMBRE D’HÔTEL · LE TRAIN · LA FORÊT · LE TROU NOIR · L’EXTÉRIEUR · LE PALIER · LA COUR DE RÉCRÉATION · LE MUSÉE · LE QUAI · L’ÉTANG · L’UNIVERS · L’AVION · LE DÉSERT · LA VOITURE · LA FONTAINE
L’eau de cette fontaine est simplement pulsée d’une extrémité à l’autre du bassin. Elle forme un seul énorme et paresseux remous. Poussée par la force de la pompe, elle parcourt lymphatiquement la longueur du bassin dans un mouvement rappelant la lenteur de la tectonique des plaques avant d’être happée dans une large fente. La modestie de ce ruban s’enroulant inlassablement sur lui-même offre un contrepoids indispensable aux fontaines à jets ou à cascades, projections désordonnées, jaillissements impétueux et effets de lumière exaltés.
Deux bancs sont stratégiquement placés en retrait de la fontaine, un peu à l’ombre. À tous les coups, les personnes qui contemplent le mouvement hypnotique de l’eau s’assoupissent. Je ne fais pas exception à la règle. D’ailleurs, s’il n’y
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a plus de place sur les bancs, je suis capable de somnoler debout, comme un cheval dans son enclos. Il me faut à chaque fois surmonter ce moment de torpeur si je veux ensuite pouvoir admirer la fontaine en pleine possession de mes moyens. Ce qui se passe dessous est pourtant aux antipodes de la léthargie. L’eau qui disparaît dans la fente de droite est immédiatement répartie entre une série de tuyaux en PVC qui la chahutent jusqu’aux hélices de la pompe. De là, elle se fait bousculer dans la plus grande hâte et confusion le long du sous-sol de la fontaine. Avant de réapparaître par la fente de gauche, elle a juste le temps de se recomposer, parfaitement lisse et paisible en apparence. J’admire cette délicatesse.
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LAURENCE
BOISSIER
pratiquer sur la coursive. Des réputations se défont pour moins que ça. Après, les gens nous prennent moins au sérieux. Certains jours, je rêve d’un homme différent. Mon mari me dit que je peux faire pousser des géraniums dans la chambre à coucher, ha, ha, ha, il est drôle. Je suis une grande femme. La balustrade du balcon n’est pas haute. Je me mets à l’équerre pour bien répartir le poids. J’en profite pour étirer mon dos. Il y a une position de yoga comme ça. Elle s’appelle le bâton. Je fais le bâton sur le balcon. Mon mari parle fort, respire fort et crie fort. Même, il chuchote fort. Les voisins du dessous pensent qu’au fond c’est une bonne chose. Que le quartier a besoin d’animation. D’autres sont moins satisfaits. Il n’y a pas encore d’unanimité à ce propos. On ne sait pas à quel point le balcon est véritablement un espace privé. C’est compliqué. Pour notre balcon, nous avons choisi une moquette en faux gazon. Mon mari a passé sa jeunesse à la campagne. Il a gardé l’habitude de se lever tôt. Moi aussi je suis assez dynamique le matin. Mais quand même. À toutes celles qui m’envient, je parle de l’hiver. J’enfile des aprèsskis aux pieds et des moufles pour tenir la
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LA CHAMBRE D’HÔTEL · LE TRAIN · LA FORÊT · LE TROU NOIR · L’EXTÉRIEUR · LE PALIER · LA COUR DE RÉCRÉATION · LE MUSÉE · LE QUAI · L’ÉTANG · L’UNIVERS · L’AVION · LE DÉSERT · LA VOITURE · LA FONTAINE · LE BALCON
Mon mari préfère me prendre sur le balcon. Pour être honnête, il me prend uniquement sur le balcon. Ce n’est pas un grand balcon. Il est même assez petit. Mon mari est un homme fort. Parfois, j’ai peur que la balustrade ne soit pas assez solide. Son dynamisme attire la convoitise. Toutes mes amies, divorcées ou non, attendent que mon mari soit enfin libre ou même veuf. Elles trouvent ça chouette, un mari balcon. Elles, sur leur balcon, elles font pousser des géraniums. Mon mari trimbale de grandes quantités d’énergie. Il déferle. Il déferle un peu à la manière d’un gros nuage. Peut-être est-ce pour cela qu’il exige le balcon, pour déferler. Mais moi je n’ai pas envie de déferler dans la cour, quatre étages en dessous. Avec mon mari, lorsque nous partons en voyage, nous devons composer. Sur ce navire de croisière, l’été dernier, il a fallu
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INVENTAIRE DES LIEUX
balustrade. Certains matins sont féeriques, avec la neige qui tombe et recouvre le quartier, ce calme. Depuis notre balcon, je vois les habitants de l’immeuble en face. Ils sont assis dans leur cuisine avec leur premier café bien chaud entre leurs mains. Et moi je suis dehors dans le froid avec les promeneurs de chien.
Laurence Boissier Histoire d’un soulèvement
RÉIMPRESSION
Tout a été consigné dans un cahier où l’on trouve l’empreinte de plusieurs histoires, la grande, celle du soulèvement des Alpes, racontée par un guide excentrique, la petite, celle de la vie quotidienne d’un groupe de randonneurs. Neuf jours de marche ponctués par les paysages traversés, l’effort, le poids du sac, la promiscuité dans les cabanes. La petite troupe s’est à la fois bien et mal entendue. Partie sans entraînement, une citadine se disant autrice mélange ses propres
souvenirs, les premiers cours de ski, les appartements de vacances loués en famille, à ceux, immémoriaux, d’un attachant fossile. Le guide réussira-t-il à mettre en évidence le lien entre les convections du noyau terrestre et la présence sur l’alpe de ces marcheurs ? Malheureusement, le cahier finira dans la crevasse d’un glacier et avec lui, ce qui aurait dû être l’histoire vraie de cette randonnée.
format 11 x 17.5 cm, 248 pages isbn 978-2-940570-90-4
chf 17.80 / euro 14
genre roman multi-strates sujets abordés histoire des Alpes, récit des origines, fertilité
9 jours dans les Alpes : autour d'elle, tout se soulève, mais elle peine…
« LES PLAQUES CONTINENTALES NE SONT PAS LES SEULES À DÉRIVER.
LA LIBERTÉ
« DRÔLE DE BESTIAIRE THIERRY RABOUD
3 ÉDITIONS
2000 EXEMPLAIRES
PRIX DES LECTEURS DE LA VILLE DE LAUSANNE
——— Laurence Boissier, née en 1965, vit à Genève. Auteure qui excelle dans la forme brève, elle est également artiste et architecte d’intérieur. Elle intègre Bern ist Überall en 2011, collectif d’écrivains, avec lequel elle monte régulièrement sur scène. PRIX : Prix suisse de littérature, 2017 ; Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne, 2018 ; Prix Pittard de l’Andelyn, 2018 PUBLICATIONS : Safari , art&fiction publications / Der Gesunde Menschenversand, 2019 ; Rentrée des classes , art&fiction, 2017 ; Inventaire des lieux , art&fiction, 2015, rééd. 2017 ; Cahier des charges , d’autre part, 2011 ; Noces , Ripopée, 2011 ; Projet de salon pour Madame B , art&fiction, 2010 ———
ANTOINE JACCOUD
Au K2 !
« Edmund Hillary à Crissier ! »
(local) ou « La carte n’est pas le territoire ! » (international)
« Après m’avoir photographié pour la première fois – des portraits, dans une salle de spectacle du canton de Neuchâtel – il y a de cela une dizaine d’années, Guillaume Perret m’avait parlé du K2, non pas la montagne mythique de la frontière sino-pakistanaise, mais un petit point sur la carte, en l’occurrence de France, ayant K pour abscisse et 2 pour ordonnée. C’était là qu’il avait décidé, sur un coup de tête ou alors il faudrait plutôt parler d’un coup de dé, de passer des vacances avec des copains. Le récit de cette expérience – ludique et espiègle dans son rapport à l’espace comme dans son jeu avec les références – m’avait proprement fasciné. Alors maintenant qu’il faut pour un livre faire le portait de Guillaume Perret, je veux partir avec lui au K2, un autre K2 que celui qui fut le sien naturellement, peut-être bien dans le Grand Lausanne – ses supermarchés, ses buissons anémiques, ses dépôts – puisque dans une telle démarche la destination ne compte guère: on le sait bien, en effet, la carte n’est pas le territoire. Arrivés à destination, nous explorerons la région, nous documenterons sa faune, sa flore, ses habitants, son régime hydrologique et le reste. Et puis, ce faisant je ferai le portrait de Guillaume. En action. Sur le terrain. Au K2. »
collection Portraits format 13,5 x 20 cm, 96 p., broché isbn 978-2-88964-082-9 prix CHF 18,50 / € 14.50
Scénariste et dramaturge, fort d’une certaine prédilection pour le monologue, le lausannois Antoine Jaccoud aime à opposer un humour noir et décalé au caractère anxiogène de ses textes. À moins qu’il n’y soit contraint par quelque nécessité intérieure. Parmi ses ouvrages : Après l’averse. Tableau de la catastrophe (avec Nicolas Fournier), art&fiction, 2023 ; Adieu aux bêtes, 2017, et Country, éditions d’autre part, 2016.
livres connexes des récits d’alpinistes dont ce volume serait une parodie ; les pamphlets de l’Internationale situationniste: Traité de savoir vivre
à l’usage des jeunes générations (Raoul Vaneigem, 1967) ; La société du spectacle (Guy Debord, 1967) ; des films de fiction sur l’Himalaya comme Vertical Limit (Campbell, 2000).
C’est parti de là. De cette histoire rapportée au coin d’une table par un photographe qui avait fait quelques images de moi il y a quelques années, à l’occasion d’une lecture dans les Montagnes Neuchâteloises, muni, ceci pour les amateurs éclairés, d’un Rolleiflex équipé par ses soins d’un capteur numérique -j’avais trouvé ça très fort. Bref, ce gars, qui s’appelait Guillaume Perret et que le présent ouvrage a pour mission de faire mieux connaître, m’avait raconté avoir un jour posé un doigt à l’aveugle sur la carte de France afin de laisser le hasard décider d’où aller faire les singes avec son groupe de rock. Ainsi livré à lui-même, somme toute, le doigt était tombé au milieu du petit carré défini par K en abscisse et 2 en ordonnée, désignant le K2, rien moins que cela, comme destination de tournée pour son band, lequel, on reviendra plus tard sur l’importance de celui-ci pour la formation du caractère et des dispositions de notre personnage, avait pour nom les Pelouses Brothers dans une période où les lunettes noires, les costards de même couleur, la fougue sur la scène et les excès back stage des Blues Brothers étaient familiers au plus grand nombre. Le groupe, dont Guillaume était chanteur et piètre (je le cite) guitariste s’était
K2 !
ensuite rendu « sur zone », comme on dit dans la police française, avec un minibus, des instruments de musique et une certaine soif d’aventure, et y était resté le temps de faire quelques médiocres (je cite toujours) mais espiègles petits concerts, boire des bières, jouer les rock stars devant les filles et abuser de la candeur des locaux en leur racontant des histoires au moins aussi loufoques que celles du K2.
Voilà le récit fondateur, la légende peutêtre bien, qui est à l’origine de la forme et la manière du présent ouvrage, et, je le confesse volontiers, le début de mon intérêt particulier et chaleureux pour Guillaume Perret. Un type qui déploie un tel rapport à l’espace ne peut être qu’intéressant, me dis-je alors, et je me pris bien souvent par la suite à rêver de fédérer tous les K2 du monde et leurs résident-e-s pour un grand projet transnational où l’on aurait cœur, par exemple, de comparer son K2 à celui du voisin, opposant le tanzanien au jurassien, le moldave à l’écossais, le bruxellois au pragois, disant les zèbres qui pâturent paisiblement dans ce K2 là, les hangars à l’abandon au cœur de celui-ci, et les nail bars prospérant dans celui-là. J’étais de plus convaincu du caractère tout à la fois inclusif
AU
et démocratique d’un tel projet puisque, c’est une évidence, tout le monde a un K2 chez soi dès lors que l’on dispose d’une carte indiquant abscisse et ordonnée, et couvrant un territoire suffisamment vaste pour monter un peu dans l’alphabet. Je voyais enfin dans cette audacieuse démarche comme une suite apportée aux expériences psycho-géographiques menées par les surréalistes, puis par les membres de la fameuse et mythique Internationale Situationniste. On se souvient en effet qu’une bande de joyeux drilles emmenée par André Breton lui-même avaient dans les années 1930 arpenté Paris (et ses débits d’alcool) en se fiant uniquement à une carte topographique de la Forêt-Noire. A l’heure de la géolocalisation généralisée, et dans une période marquée par l’obsession du « t’es où ? » je voyais dans cette création d’un K2 imaginaire et, au fond, sur mesure, une invitation à l’égarement, à l’errance et à la perte de ses repères ordinaires.
On ne s’étonnera donc pas que, encouragé à brosser le portrait de Guillaume Perret, je ne vis rien d’autre que ce K2 comme décor, théâtre, et limitation tout à la fois.
Le K2 dont on entamera l’exploration patiente et courageuse dans les pages qui suivent se déploie dans la banlieue ouest de Lausanne, là où les limites des communes de Crissier, Renens et Bussigny deviennent si poreuses et vagues à la fois que la paix qui semble régner entre elle ne peut que susciter l’admiration. Le secteur rassemble un nombre considérable d’enseignes connues des consommateurs non seulement helvétiques, mais européens, voire du monde entier. Il est griffé de routes et d’autoroutes qui s’entrelacent pour former des boucles, des trèfles à deux et à quatre feuilles. Il n’est pas dénué de forêts, certes anémiques, mais émouvantes dans leur capacité de résistance à ce bâti qui partout veut les étouffer, et susceptibles d’abriter un renard ou deux. Ce K2 là est enfin traversé d’une rivière nommée la Sorge qui, ne se décourageant pas, se glisse sous le bitume pour, retenant son souffle un instant, surgir plus loin, autoroutes et artères d’importance nationale traversée par en-dessous, dans son chemin obstiné vers le lac. Dès lors divisé en une Sorge Nord et une Sorge Sud, cet humble quoique douloureux cours d’eau fournit ses repères et points cardinaux au territoire tout entier. Enfin, et la chose n’aura pas échappé aux
germanophiles, Sorge signifie Souci en allemand. Certains voient couler le fleuve Amour. J’aime à penser que c’est la rivière Souci qui ici fait son lit. Le temps de la Venoge décrite par Gilles est révolu. C’est l’ère du dollar, autre titre du même et admirable parolier, qui domine aujourd’hui. Bref, ce K2 là constitue, pour qui souhaite s’adonner aux vertiges de la psycho-géographie, et vérifier qu’au fond, le regard fait l’objet davantage que le contraire, constitue donc l’endroit à peu près idéal. Pour qui aspire au divertissement ou à ce que les standards touristiques qualifient de beau, ou de pittoresque, il n’y a rien, comme on dit. Et pour cette raison même, il y a tout.
AU K2 !
Antoine Jaccoud
Antoine Jaccoud
Antoine Jaccoud
Antoine Jaccoud
K2
Antoine Jaccoud
Antoine Jaccoud
K2
Villa Bergamote — Mona Messine
« Point de justice, le bruit du monde essayait de les rattraper, partout. Plus vite que la police, sans vouloir vous offenser. C’est là que je compris que Bergamote était un refuge plus qu’une démonstration. Le plateau sur lequel tout se déroulait, pas uniquement une image. Seule l’île les protégeait. Ou plutôt, la Villa. Entre ses mille murs, aucun son ne filtrait. Plus tard, Madame dirait qu’elle ne pouvait vivre sans château, sans remparts.
C’était bien compréhensible, avec toutes les attaques qu’ils subissaient. Contre ces hommes, on oubliait la présomption d’innocence ; c’est que le peuple avait faim. Dieu merci, depuis la Villa Bergamote, nous n’étions pas atteints. »
Fiche technique
Format : 176 pages, 12 × 20 cm
Tirage : 1000 exemplaires
Prix de vente : 17 €
Diffusion : Serendip
ISBN : 978-2-493311-11-5
109 pour le youngblood, le sang neuf.
109 pour la Génération Y, la Génération youngblood.
Une collection qui défriche une nouvelle génération de jeunes romanciers/cières.
Une collection de petits formats accessibles. Sans contrainte de genre et de style.
Villa Bergamote
Villa Bergamote c’est un scénario à la Dallas. Roxane, belle-fille d’un couple politique en vogue, constamment en proie à la justice, essaye de survivre en milieu hostile : domestiques soumis, paparazzis en chaleur, fiscalité oppressive, .357 Magnum caché dans le tiroir du bureau. Liens d’argent, de pouvoir et d’amour vont cohabiter plusieurs années dans la Villa Bergamote, cadeau de mariage de ses beaux-parents sur une île des Caraïbes. Villa Bergamote c’est un vaudeville noir chez les ultrariches.
L’autrice : Mona Messine
Mona Messine, née à Bordeaux en 1992, est écrivaine, poétesse et éditrice (revue Débuts). Son premier roman Biche (éditions Livres agités, 2022), dans lequel une biche se révolte contre un chasseur, a connu un succès critique (shortlist du Prix des Inrocks). Elle a, par ailleurs, été lauréate des Ateliers Médicis. Elle est hypergraphe, synesthète et néanmoins surfeuse. Villa Bergamote est son deuxième roman.
Né en Bretagne, Jean Pichard vit à Berlin depuis les années 80. Il se consacre à l’écriture après avoir exercé différents métiers dans l’enseignement, le bâtiment, l’informatique et la photographie, une autre de ses passions. Il a beaucoup écrit mais peu publié. Les Horizons perdus, son premier roman, aurait dû paraître en 2017 aux Éditions de la Différence. L’arrêt brutal des activités de cette maison d’édition ne le permit pas. Le revoici au Canoë huit ans plus tard. Il n’a pas pris une ride. Entretemps, il a publié au Canoë un conte, Lisbonne disparaît, en 2018, et une rêverie sur Böcklin en 2021, L’Île des morts
5 janvier
Éric, rencontré à Port Tudy sur l’île de Groix où le narrateur a ses racines et revient chaque été, rêve de tout larguer et de partir sur l’océan pour ne plus jamais revenir. Il propose au narrateur de l’accompagner dans sa grande traversée, de quitter ce monde qui se désagrège, à bord d’un voilier, le Marie Belle, qu’il affrète pour l’occasion. La décision s’impose progressivement devant les émeutes, les troubles de plus en plus récurrents et violents qui agitent Berlin où vit le narrateur qui prend soudain conscience que, n’ayant plus ni amis ni amours, il peut tenter l’aventure. Partout, le monde se décompose rapidement : l’essence devient rare, les rationnements apparaissent, la violence se répand.
Ce roman projette le lecteur dans le monde « d’après » la technologie quand les pannes informatiques, les tensions et les guerres auront rendu l’homme à la merci de son prochain sur une planète transformée en champ de ruines. La fuite sur les océans dans un navire à voiles, sans l’aide de radios ni de GPS, avec la seule science des anciens navigateurs, est-elle possible ? Même si elle se suffit à elle-même, est-elle une issue quand il n’y a plus d’Ithaque ?
Ce roman sombre, apocalyptique résonne comme une prémonition.
En librairie février 2025
Format : 14 x 21 cm
Pages: 160 p.
Reliure : broché, collé
R ayon : Littérature
ISBN : 978-2-8290-0699-9
16€
DIFFUSIONETDISTRIBUTIONSUISSE
Éditionsd’enbas
Rue des Côtes-de-Montbenon30 1003 Lausanne 021323 3918
contact@enbas.ch/ www.enbas.net
Livre connexe:
Bastard Battle de Céline Minard
PRÉSENTATION
Mensch
Andréas Becker
De prime abord, Mensch se présente comme la biographie d'un humain, de sa naissance et jeunesse, de ses rencontres avec le monde des mots et de l'épuration de son être jusqu'à sa mystérieuse disparition de l'autre côté de l'Obscur, fleuve interdit aux communs des mortels Mais l'humour et la dérision omniprésents dans cette histoire contée par Nessun Métaphor, fidèle compagnon de route, font que tout peut être lu autrement.
Ne s'agirait pas d'une légende autour de la création d'un univers dans l'imagination de Mensch ? Ou de la préhistoire du monde contemporain qui ne serait rien d'autre que la préhistoire d'une future époque ? Les suppositions sont multiples.
Roman épique, cette chevauchée moyenâgeuse nous emmène au plus profond de l'Homme.
L'absurde dépend autant de l'homme que du monde. Albert Camus
AUTEUR
Andréas Becker, né en 1962, vit et travaille à Paris et dans le Beaujolais. Nombre de ses ouvrages ont été adaptés au cinéma et au théâtre.
DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE
Paon diffusion/SERENDIP livres
Paon diffusion – 44 rue Auguste Poullain – 93200 SAINT-DENIS
SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14
contact@serendip-livres.fr
Oùque l'honorable lecteur est invité à feire connoissance du narrateur se livrant à quelque tempo-spaciale ébauche avec l'émergeance des primes personnages, leur caractère et leur histoire jetant les bases de la future existence du Saint, auxquy cecy lecteur veuille bien prester délicate attention
Ustu utero universalis cumtiguus Tout utérus contient l'univers2
Icy soit racontée la vie de Jonathan Molton Mamache ; l'unique Saint ayant illuminé le Spher de la sienne parole silencieuse, venu au monde le huitième jour du mois de Poussefou, l'an 763 de notre temps.
Né d'une mère innocente et d'un père, disons : inconnu dans les grandes lignes.
Sanctifié en 801, l'année suivant la disparition à l'asge du trente-sept.
Nommé Mensch, non par un quelconque décret d'un Supresme Ecclésiastique mais par la grande et puissante vox populi.
Paix à la sien'asme.
Près d'un demi-siècle après l'élévation, en ces temps où la guerre gronde à nouveau aux confins de la Seigneurie du Legsicq, je demeure le serviteur, l'homme du possible, le narrateur de l'éternel.
Étant l'aîné de Molton d'un lustre, je dois dépasser l'asge du nonante, j'essaie d'estre précis.
Je m'appelle Métaphor, Métaphor Nessun. J'aurais pu m'appeler Enguerrand
2 Les phrases jaculatoires mises en exergue précédant les chapitres font partie des trente-neuf aphorismes que Molton nota dans le Livre des Grands Silences
Flanduvieux, Melchior Bonaventure, Câline Maindegloire, Palimonde Millepoux ou bien Vomil Mangebien : tant imaginables non encore imaginés, tant de possibles non réalisés, tant absents ores non incorporés dans cette histoire, mais je m'appelle Nessun, et je suis.
Nessun.
Apporter ce nom dans le mariage fut la seule fantaisie de Papà ; à part cela c'estait un homme triste, paysan, chétif et angoissé, d'une certaine manière incolore. Une fois par an, le jour de mon anniversaire, il se vivifiait : il montait sur le toit de la maison, hisser le drapeau, me feire la feste, chantant l'hymne du sien pays d'outre-monts.
À la cinquième répétition il a innové, faisant flotter le drapeau au-dessus de la teste, haut dans le ciel, le livrant à la folie de la nature inopinément débordante : fût-ce pour m'impressionner, moi, le sien fils aîné, la sienne fierté ?
Non est impossible, personne n'en saura ; il s'ensuivait cecy : Papà glissa, s'agrippa, puis tomba, chutant de la creste d'une vie dans la poussière d'un néant.
La vie fut alors à moi : j'aidais Mamman à cuire le pain et portais les sacs de farine du moulin sur les rives de l'Obscur jusqu'à la boulange au centre de Chasteau-Varenne, ce bourg nu d'arbre et d'ombre, blotti dans un creux de la nature et dans l'absence d'un paysage senz horizon, où, d'ailleurs, jamés il n'y eut de chasteau.
Mamman, des siennes mains à la peau blanche, pétrissait et enfournait, puis se laissait glisser dans les songes, partant loin vers les forests vierges de l'imaginaire, sortant le pain trop tard du four, ce pain devenu dur de pierre. Les diemenches, quand il y avait des œufs et du beurre dans les fermes, elle nous gastait de brioches.
Du pain, des brioches, parfois un soupçon de lait ou de cochon, des oignons
et des pommes de terre, il n'y avait cela à manger dans la contrée laquy s'étendait sur une vaste plaine de sable et d'argile, infertile de l'Obscur jusqu'à la mer.
Mamman pleurait moult, des fois elle chantonnait, je l'aimais tant je pouvais ; elle décéda d'écrouelles, à celoy je compris entre les larmes, parmi les bizarreries des fistules purulentes des miennes ignorances. Je restais seul. C'est longtemps maintenant, tout cela, longtemps.
Depuis l'apostasie, je vis dans la chambre de Mamman au-dessus du four, je me couche dans le sien lit, entre les siens draps, enroulé des siens resves et des siennes larmes, des siennes douleurs et du sien sourire angélique, senz savoir celoy veut dire : apostasie.
Je compte y expirer, dans cette couche, pour du bon, l'année courante, mourir de vieillesse, en bonne et due forme, vers le quinze du mois de Solar, jour commémoratif de l'élévation de Molton en Mensch. Ainzi le suivrais-je une dernière fois.
D'icy là, bloqué dans les languides d'un intervalle de temps, coincé entre un mot et le sien autre, entre son et syllabe, véridicité et affabulation, j'engloutis dans l'interstice du déroulement vital une histoire de Mensch ; pauvre, je m'attèle à, oui, au gribouillage.
Les émissaires, eux, ils jurent qu'ils comptent dessus, quand ils montent le soir, souvent vers les tardifs d'une nuit, dans les craquements vermoulus de l'escalier, prendre mes paperasses.
Ils me disent : moi l'unique, l'essentiel, le fondamental.
Ils me disent : senz moi pas possible rédaction.
Ils me disent : nécessaire.
Je ne leur fais confiance d'une once. Senz doute demandent-ils à d'autres gratte-parchemin de s'y aventurer, en clandestins, derrière le mien dos, peut-estre
y a-t-il compétition. Je les soupçonne de vouloir divulguer au monde la vie de Mensch dans la nudité absolue, je soupçonne moult : je sens, je sais, trop senz doute, en sous-main du mien esprit alambiqué.
Or, il se peut cecy : toute cette affeire soit de notoriété publique depuis longtemps, et je radote ; cette récitation ne serait rien d'autre d'une expression du possible de la langue.
Si je ne me leurre pas. Pourtant, d'un nonobstant rieur, je me leurre, comme suyent ; celoy ne change rien sur le fond du bidule ; le veuillé-je ou non : encollé d'hésitations, je demeure le néanmoins penseur de Mensch.
LEUR GRANDEUR AMPUTÉE
Marie-Jeanne Urech
Qu’en est-il de la résilience dans un monde qui n’est plus que la ruine de lui-même, s’autoconsumant en contemplant ses derniers instants de lumière et d’électricité ? Leur grandeur amputée est une fable sombre, à la narration fissurée, mais paradoxalement à la poésie et aux langages libérés. Dans une ville en constant démembrement, dans une ville à l’horizon et aux verticalités qui décroissent, une femme et ses deux enfants suivent les convois funéraires pour identifier les appartements qui ainsi viennent de se libérer. Dans une quête effrénée pour un frigidaire fonctionnel, dernier symbole de civilisation et de normalité, cette mère courage écume la ville et donne de sa personne pour la survie de sa progéniture.
Dernier opus d’un triptyque avec la terre tremblante et K comme Almanach, Leur grandeur amputée s’inscrit dans une continuité, tissant des échos entre les romans mais aussi poursuivant la thématique de l’Effondrement. Avec son style inventif, chargé de néologismes, creusant dans les langages populaires et régionalistes, Marie-Jeanne Urech clôture une exploration littéraire sur nos modes d’habiter face à la crise. Loin des alarmes et des scénarios catastrophes, elle développe une écriture de l’évitement, suggérant les enjeux écologiques et leurs impacts par un langage à la fois précis et subtil, méritant une lecture attentive et méditative.
21bis, rue Arnold Géraux FR - 93450 L’Île-St-Denis
Tél.: ++33 14 038 18 14
www.serendip-livres.fr
Sur l’autrice
Née en 1976 à Lausanne, Marie-Jeanne Urech étudie les sciences sociales à l’Université de Lausanne, puis obtient un diplôme de réalisatrice à la London Film School. Oscillant pendant plusieurs années entre ses talents d’écriture et de réalisation, elle se consacre aujourd’hui pleinement à l’écriture. La touchante humanité qui embaume ses fictions lui a notamment valu le prix Eugène-Rambert en 2013 avec Les Valets de nuit, paru au éditions de l’Aire. Chez Hélice Hélas, elle a publié les romans Malax en 2017, La terre tremblante en 2018 et K comme Almanach en 2022.
Collection : Mycélium mi-raisin
Genre : Fable dystopique
Sujets abordés :
Format 145 x 185 mm, 120 pages
ISBN 978-2-940700-68-4
CHF 20 / EUR 16
Là-bas, tout au fond du cul-de-sac, de l’impasse, où tout se vole, se dérobe, les baisers comme les poches, pissoir à humeur, fosse à rumeurs, oubliettes vespérales, où le crépuscule prélude au jour comme à la nuit, se dressait, plus ruine que monument, l’immeuble du mort.
– On sera bien là.
– Oui, maman.
D’abord évoquer la ténacité de celle qui, sans plus d’identité qu’une mère, parcourut les annonces mortuaires, puis la ville tout entière, derrière un corbillard d’où pendaient les casseroles du ménage, sirènes de laissez-passer, dernier hommage au défunt, jusqu’au trou où tout se déverse, crevures, têtes de choux, sparadraps, seule assurance que ce Jean Tabard, locataire d’impasse devenu incandescent, ne se relèverait plus pour hanter ce bien dans lequel on serait si bien. Évoquer ensuite le coup de canif de l’aîné, habile et astucieux, qui leur permit d’entrer sans clé, puis la bousculade du dernier qui voulait être le premier.
Enfin, ce salon qui distribuait trois chambres, une pour la mère, une pour chacun des deux frères, car jamais ils ne dormaient ensemble, même s’ils partageaient des rêves semblables.
L’appartement n’avait rien de remarquable. À l’image de l’annonce mortuaire qui ne mentionnait aucun héritier, aucun être aimé, nulle trace de regrets. La mère avait bien trouvé. Jean Tabard était probablement un célibataire au teint gris, à l’œil jaune, qui peinait à se démarquer de sa tapisserie et dont la seule fantaisie avait été de peindre des étoiles au plafond.
– C’est pas des étoiles, c’est des chiures de mouches !
– Ça brille pas la nuit, le caca.
– On sera bien là.
– Oui, maman.
Avant cet appartement, il y en avait eu un autre, beaucoup d’autres, occupés à la sauvette, quittés précipitamment, quand une pioche ou un marteau-piqueur s’attaquaient aux murs porteurs, car c’est là qu’on trouvait les fers à béton, monnayables comme bâtons à corruption ou gourdins de fortune. À force de déménager, la mère avait appris à sélectionner les annonces mortuaires et l’aîné à jouer du canif. Le dernier, plus contemplatif, se précipitait toujours vers la fenêtre où les silhouettes ébréchées des immeubles voisins lui rappelaient la mauvaise dentition d’un cheval.
– Qu’est-ce que tu regardes ?
– Un immeuble en forme de fer à repasser.
– Tu veux dire un triangle.
– Non, c’est un fer à repasser !
– Un fer à repasser, c’est un triangle !
– Non, c’est un fer à repasser !
– On sera bien là !
– Oui, maman.
Il était rare de voir un immeuble dans sa forme d’origine, une forme rectiligne, pure, répertoriée par les manuels de géométrie. La ville n’était qu’entailles, saignées, béance et traces, fantôme d’escaliers, de chambranles ou de bidets. Quand les magasins avaient fermé, on s’était servis chez les uns et les autres. Quelques briques par-ci pour rafistoler un mur par-là. Un allégement de toiture pour combler un vide dans une autre. Des canalisations interrompues, prolongées plus loin. Des portes dégondées, arrachées, replacées à quelques pas, mal ajustées, voilées. On déplaçait de gauche à droite, de haut en bas, à chaque fois on perdait un peu d’éclat. Les effondrements provoquaient des impasses, les prélèvements créaient des avenues. La ville était devenue mouvante. Elle avançait ou reculait au gré des destructions, s’émiettait, s’éparpillait, gommant son tracé, son histoire et son nom, raclures qu’on balaie du revers de la main.
De l’autre côté de la cloison, de la porte, un peu partout alentour, on entendait battre la pendule. Il était midi, trois heures, dix heures. Chacun avait son rythme. Le temps s’était relâché comme un vieil élastique qui bâille. Même le soleil, perdu lui aussi dans une impasse, n’éclairait pas plus qu’une ampoule. Le crépuscule s’éternisait au-delà du raisonnable, les étoiles oubliaient de s’allumer, l’électricité vibrait à tout moment. Seul le ventre qui grogne imprimait encore un tempo.
– J’ai faim !
– Moi aussi !
– J’espère qu’il aura laissé de la viande !
– De l’entrecôte !
– Un steak haché !
– Un gigot !
– Une belle cuisse de poulet !
– Le poulet, c’est pas de la viande, c’est de la volaille !
– Maman, les poules, c’est de la viande ?
Les enfants avaient toujours mangé à leur faim. Dans cette ville où tout s’achetait sous le manteau, se troquait, s’extorquait, la mère s’était bien débrouillée. Avec ses manches bouffantes,
K COMME ALMANACH
Marie-Jeanne Urech
Chaque soir, Simon allume à l’aide de sa perche les lampadaires de la ville. Alors que la population se déporte en masse vers l’idéalisée Belgador pour ne jamais en revenir, lui s’évertue à contenir l’inévitable progression de l’obscurité. Autour de lui, les immeubles se fissurent, la ville est rongée par une végétation suffocante, les denrées viennent à manquer et l’espoir s’amenuise. Un jour, Simon recueille près du Lacmer un perdu-retrouvé, un jeune enfant recraché par les flots, traumatisé, colérique et mutique. Il prend alors la tâche de lui apprendre le langage et le soin du monde.
Après la Terre tremblante, paru en 2018, Marie-Jeanne Urech interroge à nouveau les fragilités de nos quotidiens, nos abandons, et le difficile exercice d’animer un monde tout en le transmettant avec une passion ingénue. Avec K comme Almanach, ainsi qu’un troisième roman en cours d’écriture, MarieJeanne Urech prévoit un cycle de textes sur la mise en mot de notre monde qui se détricote.
Sur l’autrice
Née un 4 juin 1976 entre 5h42 et 21h21, à Lausanne, Marie-Jeanne Urech profite de cette longue journée ensoleillée pour écrire romans et nouvelles dont Les Valets de nuit, prix Rambert 2013, et Des accessoires pour le Paradis, prix Bibliomedia 2010. Traduites en allemand, italien, anglais et en roumain, ses histoires se lisent aussi la nuit.
De sa fenêtre, Simon ne voyait ni mer ni lac, mais une colline rabotée, lyophilisée à grands frais afin d’y construire une muraille et un complexe hôtelier. La muraille pour décourager les étrangers et le complexe hôtelier pour en accueillir d’autres. Enfant, par cette même fenêtre, il avait vu les bulldozers arracher buissons de genêts et arbres noueux, les pulvérisateurs répandre leur chimie et le temps assécher la colline. Il avait vu les nuances de vert s’affaiblir, pâlir, puis se dissoudre tout à fait. Et enfin les pierres s’ériger à des hauteurs inhumaines. Il restait quelques vestiges de ces constructions pharaoniques, jamais rentabilisées à cause de la soudaine découverte de Belgador. Aux jumelles et avec un peu de persuasion, on distinguait à présent quelques pousses vertes se frayer un chemin, repeuplant cette colline mutilée de rares poils, comme ceux qui donnent aux éléphants des têtes si émouvantes.
Un cri suivi d’une secousse réveillèrent Simon. Tous deux venaient des profondeurs de l’immeuble, là où Madeleine maintenait, plus fortement que du béton armé, les fondations de l’immeuble. Simon dévala les escaliers, croisant sur leur palier ceux que le séisme avait inquiétés. Madeleine était courbée par une crampe au mollet, les bras résolument tendus vers un plafond qui menaçait de l’écraser.
Pousse sur ma jambe, vite !
Laquelle ?
La gauche.
Comme ça ?
Madeleine se redressa, le plafond reprit de la hauteur et la maison cessa de trembler.
Ouvre une bouteille !
Celle-ci ?
N’importe laquelle ! Ce sont toutes les mêmes.
C’est quoi ?
Du magnésium.
C’est bon ?
Comme du ciment. Je dois en prendre tous les jours. A cause de mes crampes.
C’est pour ça que tu as une collection de tire-bouchons ?
Chaque dimanche, les locataires de l’immeuble se retrouvaient chez Madeleine pour un repas. Aucun n’avait d’enfants, l’église ne les attirait pas, ils avaient passé l’âge de se reposer, alors jamais ils ne manquaient le rendez-vous dominical. Seul Monsieur Samson restait à l’étage, infortuné prisonnier de petite ou grande guerre, auquel on servait la soupe, le gibier et l’omelette sur un plateau comme au parloir. Les discussions étaient animées, joyeuses, familiales.
Et même si Georgette n’entendait plus grandchose, elle souriait dans le vague, comblée par le repas et la bonne compagnie. Quand Simon quittait les convives pour éclairer la nuit, il regrettait toujours les conversations manquées. On avait beau le retenir, jamais il ne manquait l’heure.
A son retour, à l’aube, il n’était pas rare qu’il les croise encore attablés, entre pousse-café et café-réconfort. L’immeuble ne connaissait pas le désenchantement des lundis matin.
Lorsque Simon retourna au lacmer, le temps était à la grosse vague, le ciel zébré de crevures, la palette grisâtre. D’habitude, Simon n’aimait pas la pluie. Elle noyait ses flammes. Il devait alors ajuster un capuchon sur chaque lampadaire. C’était une opération extrêmement éprouvante pour les bras. Mais ce jour-là, il venait pêcher. Il observa le dégradé de l’horizon avec une certaine admiration. Comme la veille, il se plaça sur la berge, sa perche déployée au-dessus de l’eau agitée. Les sacs de pluie prenaient de l’ampleur, le lacmer de l’amplitude, Simon de l’entrain. Et puis soudain, balafrant le mélange de gris, une barque surgit portée par une vague rageuse. Elle s’échoua sur les galets. Longtemps il la regarda avant de s’approcher. Dans la barque disloquée, il y avait un paquet blanc, dans ce paquet un enfant, endormi ou emmordi, son visage livide
ne permettait pas de trancher. Il était soigneusement emmailloté et relié à la barque par une cordelette. On aurait dit une ancre. D’autres personnes, il n’y avait pas trace. La traversée avait dû être cruelle. Simon dénoua le tissu et prit l’enfant dans ses bras. Il était bleu, fripé, glacé. Simon le serra fort, le massa, le frotta énergiquement, cria, jura, hurla, mais le petit restait inerte. Alors que tout semblait perdu, il s’approcha de son oreille et murmura.
Donne ta main.
Pareil à l’aurore, le visage du petit s’enlumina et ses doigts cherchèrent ceux de l’autre.
Un gros ? Tu m’en apportes un gros ? C’est un petit. Envoie la choucroute !
Le chef Beckenbaum l’apporta lui-même, intrigué par la taille du poisson. Dans les bras de Simon, le petit. Il pleurait maintenant.
LA TERRE TREMBLANTE
Marie-Jeanne Urech
2e édition (poche)
Dans La Terre tremblante, le lecteur verra que ce qui se cache derrière une montagne, c’est une autre montagne, et ainsi de suite. Son père tout frais enterré, Bartholomé de Ménibus fuit l’archétype du village dans la vallée — sa laiterie, son abattoir et son café — pour aller voir à quoi ressemble l’autre versant de la montagne. Dans le pays d’à-côté, les routes asphaltées crachent des engins et, sur un banc, les vieux se languissent et attendent leurs enfants qui les ont abandonnés pour partir en vacances. Les vaches portent des hublots pour qu’on jauge : « C’est une vitrine sur le produit » explique le paysan. Bartholomé décide de poursuivre et d’enjamber la montagne suivante.
9 782940 522811
Diffusion :
Paon diffusion
44 rue Auguste Poullain +93200 Saint-Denis www.paon-diffusion.com
La Terre tremblante est un ouvrage troublant. Paradoxes et autres perles d’inventivité ouvrent la voie à une sagesse plus profonde : si les montagnes se ressemblent et mènent apparemment à d’autres montagnes, chaque ville rencontrée par Bartholomé est unique, aux prises aux rapports de production effrénés ou à la gestion des déchets ou à des impuretés à cacher ou enterrer.
La Terre tremblante pourrait passer pour une fable écologique. Ce serait s’arrêter à la première couche de cette œuvre riche et exponentielle. Au milieu de son écorce revient inlassablement la question du peuplement du monde par les humains, puis, comment ils le quittent. Derrière le style énigmatique et proprement urechien, on découvre une tendresse ingénue et un humanisme poétique.
Sur l’auteur : Née un 4 juin 1976 entre 5h42 et 21h21, à Lausanne, Marie-Jeanne Urech profite de cette longue journée ensoleillée pour écrire romans et nouvelles dont Les Valets de nuit, prix Rambert 2013 et Des accessoires pour le Paradis, prix Bibliomedia 2010. Traduites en allemand, italien et roumain, ses histoires se lisent aussi la nuit, grâce à une autre source lumineuse, la fée électricité.
Collection : Mycélium et mi-raisin
Genre : roman, conte absurde
Sujets abordés : écologie et production, anthropologie et croissance
Format 11.5x16.5, 152 pages
ISBN 978-2-940522-81-1
CHF 16/EUR 12
Parution janvier 2020
René de Ceccatty
Genre : essai biographique
Format : 12 x 18,5 cm
Pages : 384 2 cahiers de photographies couleur
Prix : 20 €
ISBN : 978-2-487558-04-5
Écrivain, traducteur du japonais et de l’italien, essayiste, auteur d’une œuvre personnelle devenue au fil des années considérable, René de Ceccatty est un infatigable passeur de littérature – sa passion. Il a aussi écrit pour le théâtre, est éditeur dans de grandes maisons d’édition et a longtemps été critique dans le Monde des Livres avant de se réfugier aux Lettres françaises où on lui laisse carte blanche. Les Éditions du Canoë ont publié de lui Le Soldat indien en 2022 et une traduction du japonais, Papa, de Fumiko Hayashi, en 2024.
1er mars
Qui est Serge Tamagnot ? C’est la question à laquelle répond ce livre singulier qui retrace la vie de ce personnage fantasque qui évolua dans la vie parisienne auprès d’écrivains célèbres, de comédiens, de chanteurs, de peintres et devint une figure incontournable parmi eux. Photographe obsessionnel, chasseur d’autographes, collagiste, il devint un ami de l’auteur en février 1974 jusqu’en septembre 2022, date de sa mort. Né bâtard à Limoges le 9 mai 1932, ce fut Marcel Jouhandeau qui l’arracha à cette ville où il était peintre de porcelaines et le convainquit de s’installer à Paris. Il se lia d’amitié avec Madeleine Castaing, antiquaire et décoratrice, puis avec Violette Leduc, son amie la plus durable, et sans cesse avec des actrices, Brigitte Bardot, Bernadette Lafont, des chanteurs – Hervé Vilard, Pascal Sevran, et aussi le mime Marceau. Mais c’est à Jean Sénac, poète assassiné en 1973 à Alger, qu’il dut la part la plus tragique de son destin. Il fréquentait de très nombreux écrivains : de Paul Guth à Henry de Montherlant, en passant par René de Obaldia, Arrabal, Nathalie Sarraute, Simone de Beauvoir et Françoise d’Eaubonne.
C’est une vie vouée à l’art et à l’amitié à laquelle s’attache René de Ceccatty qui permet au lecteur d’approcher la vérité contradictoire des êtres et de pénétrer dans l’intimité de stars souvent désargentées des nuits de la capitale.
Il laissa en mourant des archives considérables (lettres d’écrivains, photos, collages, autographes, bibliothèque de collectionneur) dont une partie a été recueillie par l’IMEC et le reste fera l’objet d’une vente à l’étude Giquello ou sera exposé à la Galerie Exils.
CONSIGNES
Pierre Yves Lador
(avec des illustrations de Daniel Ceni)
Pierre Yves Lador, auteur prolifique et arborescent, s’est associé à un groupe d’autrices et d’auteurs spirituels et cryptiques qui se sont baptisés Les Dissidents de la Pleine Lune. Ensemble, elles et ils font de l’Oulipo, de la pataphysique et, pourquoi pas?, des parties de Scrabble.
Avec Consignes, Lador réunit des impros de deux ou trois pages sur un thème ou en usant d’une poignée de mots imposés qui l’autorisent à développer sa mythologie. Les consignes sont des signes perdus, des sons, des bruits, des mots dont l’origine arbitraire est donnée et acceptée et dont les échos produits sont imprimés comme éventuelles possibilités herméneutiques permettant d’analyser le fonctionnement, l’histoire, la géographie, la culture, la physiologie de l’écrivain qui se prête, se rend ou s’adonne à l’exercice.
Les textes sont classés en trois parties : érotisme, exotisme, thanatisme, ou amour, imaginaire, mort.
21bis, rue Arnold Géraux FR - 93450 L’Île-St-Denis
Tél.: ++33 14 038 18 14 www.serendip-livres.fr
Pierre Yves Lador est l’auteur reconnu et célébré de plus d’une trentaine de romans, recueils, essais (Nénuphars, Pampilles arborescentes, La guerre des légumes, Les chevaux sauveurs, Variations vegan). C’est sans compter ses nombreuses contributions dans diverses revues ou ouvrages collectifs. Il excelle dans l’érotisme, le contre-point, les westerns et l’exégèse, notamment dans le domaine de la bande dessinée. Il lit sans cesse et sait voir le sel des mots partout, de Peter Sloterdijk à Barbara Cartland.
www.lador.info
Collection : Mycélium mi-raisin
Genre : jeu littéraire, Oulipo
Sujets abordés : érotisme, paradoxes sociétaux, poésie et incohérence du monde
Format 14.5x18,5 cm, 120 pages
ISBN 978-2-940700-66-0
CHF 20 / EUR 16
Parution 1er mars 2025, Suisse, France et Belgique.
Éditions le Sabot Collection du Seum
Haïr le monde -----------
Leïla
Chaix
Il est probable que ce texte illustre au mieux le sentiment qui transpire dans la Collection du Seum du Sabot: chercher de la force littéraire en confrontant pleinement nos frustrations, nos colères, nos contradictions, nos haines... embrasser tout le seum du monde en l'embrassant à pleine bouche. Organiser nos pessimismes pour se tourner vers des principes d’action. Assumer les désespoirs, et inventer de nouvelles langues. Ne pas forcément se fier à des genres littéraires fixes, explorer des formes et les emmêler. Le style d’ Haïr le monde est très fragmenté, alternant des extraits de journaux intimes, des réflexions politiques, ou des récits autofictionnels à de la poésie en vers. Certains passages viennent apporter des récits plus analytiques et ancrées dans l’ambiance politique actuelle (références à des situations précises, comme la loi Kasbarian, le 7 octobre, les Soulèvements de la terre etc.) qui évoquent ce que l’autrice peut publier sur lundimatin par
exemple. Cependant, le ton d'honnêteté brute allié à la méthode de l'exagération (telle qu'a pu l'élaborer Günther Anders) pour sortir quelque chose de poétique fait mouche. Leïla Chaix assume pleinement sa haine du monde, et son travail littéraire accompagne son désir de compréhension d’une telle colère et son besoin de nommer son désir de violence mais aussi son attention aux rares espaces où semblent se glisser des possibilités d’amour, de solidarité, d’amitié et de création. Pour elle, « haïr le monde » est un sursaut d’orgueil mélancolique et salutaire.
Ce livre s’ouvre sur deux citations qui viennent poser l’ambiance : « des générations de domination et de mépris ont sédimenté cette haine, comme un volcan accumule sa lave avant l’éruption meurtrière. » Alain Bertho, De l’émeute à la démocratie « Je hais donc je suis » Günther Anders
Née en 1993, Leïla Chaix a une formation d’artiste plasticienne (gravure, dessin, graphisme). Elle a publié son premier livre OK Chaos aux éditions lundimatin en 2023.
Ça n’veut rien dire de dire « le monde ». Je crois qu’une pensée négative, voire pessimiste, voire complètement désespérée, peut faire levier, produire du beau, du radical, de l’efficace, du vulnérable et de l’authentique. Haïr le brutalisme-monde.
Évidement haïr le monde, ça signifie haïr le leur, celui qu’on nous fait tous les jours, celui qu’on nous fout devant les yeux, dessous les pieds, autour de nous. Celui qui entre dedans nos bouches et nos poumons, et par tous les pores de la peau. Celui qu’on hait et qui nous fait, nous décompose. Haïr leur monde peut vouloir dire trahir l’immonde. Vouloir se désidentifier, vouloir autre chose. Désirer dire en quoi l’on hait ce que l’on voit, ce que l’on vit, et ce que l’on fait vivre aux autres, ailleurs dans l'monde.
On cherche souvent à nous faire croire qu’être dans le contre, dans le « non » et l’opposition : c’est moche, stupide et inutile. Il faudrait travailler sur soi et aller vers le positif. Je pense précisément le contraire. Le monde m’est insupportable, je le ressens comme un écrasement.
Tenir tête, devenir éponge. Bon c’est vrai que haïr le monde, en tant que tel, ça n’est pas un sain carburant. C’est une détestation vorace qui se transforme en allergie, en répugnance, en désir ultime de mourir ou de faire mourir – besoin de détruire quelque chose, de faire dérailler quelque chose – envie de souffrir ou de faire souffrir. C’est un opium sombre et déviant que seule l’énergie politique, spirituelle et amicale peut transformer en force de joie. Nos âmes ont besoin d’amitié, d’alliances tordues, de co-naissances. Pour cela faut mourir souvent. Haïr le monde qui nous est fait. Savoir renaître. Accepter de regarder la mort, celle qui nous est donnée chaque jour. Porter le deuil.
Colère saine ou rage assassine, est-ce une détestation fertile, transformatrice? Je n’en sais rien. Haïr le monde ça sonne bien. Ça confesse aussi quelque chose : une méthode, une posture. Peut-être faut-il avoir aimé pour bien haïr. Peutêtre faut-il désespérer, être déçu ou dégoûté, être blessé ou bien trahi. Trahi, haï, traduit, honni. Peut-être faut-il cultiver des traditions de méfiances envers celleux qui nous gouvernent ou disent vouloir nous gouverner. Tenir cette désagréable et dépressiv-accrobatique position. Rester sceptique, croyant, voyant.
Ne surtout pas aimer le monde, parce que le monde ne nous aime pas. Et quand je dis le monde (j’insiste) je parle de la prison immonde qui nous est présentée comme monde. Je ne parle pas des êtres fragiles, des montagnes millénaires, sublimes, des graines bizarres, des animaux, des bestioles ou des lieux vivants. Je ne parle même pas de la matière (qu’elle soit humaine ou minérale, inorganique) employée pour construire le monde. Je parle du dispositif-monde et de l’architexture du monde. Je parle du cadavre métallique et vitrifié qui nous sert encore de décor, d’escalator. Je parle du moche, de l’uniforme, de la matière morte et domptée, toute cette laideur instituée, la mort industrielle de l’âme ; port d’arme afin de dominer, interdiction de résister, permis de tuer, toutes les luttes ridiculisées, division des communautés, mensonge, meurtre, anesthésie, iniquité, amnésie, lâcheté, peur, pouvoir. Et tout cela organisé, valorisé, appelé TRAVAIL, ORDRE et PROGRÈS. Tout cela rendu fréquentable, pour toujours déguisé en prof, en policier, en sacro-sainte sécurité.
Je ne peux plus vivre sans parler de l’envie de vomir qui me saisit quand je vais dans le monde. Je ne veux pas participer sans dire l’envie de me tuer, de vous tuer, de les briser et d’attaquer JE NE PEUX PAS CONTINUER à mieux mentir, mieux m’annuler (...)
MON <3 EST UNE BAL
Mon coeur est une boîte aux lettres blindée de pubs et de clichés
Parfois y arrivent des courriers des cartes postales délavées
Mon corps est une tige en métal inanimée, inhabitée
Ma tête est cubique et trop lourde
Elle est rouillée – ubiquité
Il n’y a pas de nom dessus Il est parti avec la pluie
J’habite entièrement dans ma tête je n’arrive pas à la quitter
Mon corps est une tige en métal je n’arrive pas à l’habiter
Je suis une sorte d’antiquité espèce perdue, anachronique
Je suis du siècle précédent
On ne m’utilise plus tellement
À l’intérieur de ma tête
il y a du papier qui gondole et du papier dans du plastique
Ma tête est un cube en métal avec une fente par laquelle entrent des insectes et quelques tracts politiques
J’ai construit une ZAD dans ma tête pour lutter contre ma fatigue et ma lâcheté
Nous sommes des fongibles fugitifs on désir jaillir dans le monde mais ce monde-là nous est bouché
les jeunes sont amochés trop pauvres précaires et perdus dans le monde ubiquité iels ne peuvent plus y enfanter
Mon coeur est une zone à défendre et parfois c’est un cendrier
21bis, rue Arnold Géraux FR - 93450 L’Île-St-Denis
Tél.: ++33 14 038 18 14 www.serendip-livres.fr
SOUS NOS MONTS HALLUCINÉS
Collectif
(avec des illustrations de Lucien Vuille)
Et si Howard Phillip Lovecrat avait séjourné en Suisse romande, comme l’ont fait Mary Shelley ou Byron ?
De quelles horreurs innommables aurait-il peuplé cette région ? En quels lieux aurait-il invoqué d’angoissantes menaces ?
Treize autrices et auteurs romand.es ont répondu à ces pertinentes interrogations en écrivant, chacun dans son style mais sous l’influence du maître de l’épouvante, treize récits d’horreur.
Aucune région n’est épargnée : le voile se lève sur l’indicible, de la Brévine aux profondeurs du lac souterrain de Saint-Léonard, en passant par les talus jurassiens, les plages genevoises, le Gros-de-Vaud, les mystérieux alentours de Château-d’Œx, le vignoble vaudois ou les alpes valaisannes.
Les treize nouvelles, sombrement et magnifiquement illustrées par Lucien Vuille, se nomment Julien Hirt, Catherine Rolland, JeanFrançois Thomas, Lucien Vuille, Olivia Gerig, Pierre Yves Lador, Mélanie Chappuis, Fabrice Pittet, Alice Jeanneret, Nicolas Genoud, Stéphane Paccaud, Sara Schneider et Dunia Miralles.
Parution 1er mars 2025, Suisse, France et Belgique.
La Nuit je suis Bufy Summers
Chloé Delaume
Préface Pacôme Thiellement
Littérature
160 pages - isbn : 978-2-9561782-5-5 - 13 euros
Sortie le 3 avril 2020 reportée au 28 août
Distribution Serendip livres
L’hôpital psychiatrique dans lequel vous séjournez est en proie à l’agitation. Vos voisins de cellule sont fébriles, le personnel soignant tendu ; les rumeurs se répandent, les incidents se multiplient. Vous ne voyez pas le rapport entre le trafic d’organes orchestré par l’infirmière en chef et la dénommée Bufy Summers aka la Tueuse, héroïne de série télévisée. Pourtant vous allez devoir enquêter, survivre, et peut-être même sauver le monde. Enfin si vous êtes prêt à jouer.
Roman interactif s’inspirant des traditionnels livres dont vous êtes le héros, Lanuitjesuis Bufy Summersmêle fan-fiction et détournements littéraires Il a été publié pour la première fois en 2008 aux éditions ère.
Chloé Delaume est née en 1973. Elle pratique l’écriture sous de multiples formes et supports depuis bientôt deux décennies. Beaucoup de textes courts, près d’une trentaine de livres comme autant d’expériences. Romans, fragments poétiques, théâtre; autofictions. Son dernier ouvrage, Mes bien chèressœurs est paru au Seuil en 2019. www.chloedelaume.net
éditions JOU
60 rue Édouard Vaillant, 94140 Alfortville – France mail : contact@editionsjou.net http://www.editionsjou.net
L’AUTEUR
Ugo Riou vient du milieu des années quatre vingt-dix. En promenade, il revient parfois poser sa valise dans sa ferme natale du Finistère. Enthousiasmé par toutes les formes d’art déconcertantes, c’est la musique noise et les dessins d’enfants qu’il préfère. Lorsqu’il n’écrit pas, il lui arrive d’écosser les petits pois. Son univers littéraire allie fantasmagorie bouffonne et effusion poétique. Bakasable est son premier roman.
BAKASABLE
Ugo Riou
Roman
Roman audacieux qui s’affranchit des codes, principalement de la temporalité, et offre une fable baroque unique en son genre. Sous fond d’une guerre supposée totale, des enfants aux attitudes d’adultes sont comme piégés dans une classe tenue par une maîtresse excentrique, dont le rôle est de tout leur désapprendre. Ils y créent une pièce de théâtre sans scénario, qui s’insère de force dans le récit, et démultiplie la narration. Digressions poétiques et métaphysiques, situations absurdes et personnages grotesques achèvent de rendre ce livre inquiétant et drôle à la fois. Et derrière tout ce vacarme apparent, une réflexion profonde sur la nature de l’être humain et le monde incertain dans lequel il tente d’exister.
Parution : 05.04.2024
Prix ttc : 21 euros
Nombre de pages : 160 pages
Format : 13 x 18 cm
Poids : 250 gr.
Isbn : 9782956166054
DISTRIBUTION
Nos livres sont distribués et diffusés en France et Benelux par Serendip Livres, par Servidis en Suisse et DIMEDIA au Canada.
N’hésitez pas à nous contacter pour toute demande de service de presse ou d’organisation d’événement.
BAKASABLE
Ugo Riou Roman
La maîtresse a commencé à nous bourrer le mou avec l’avenir alors qu’on avait encore tous un pied dans le ventre de nos mères et que, tout ce qu’on cherchait à faire, c’était de se contorsionner pour prendre le chemin en sens inverse. Elle nous parlait d’un point à l’horizon et nous demandait de nous y acheminer. Nous, tout ce qu’on voulait, c’était retourner à la cave. Pour s’oublier à nouveau dans le noir liquide qu’on avait déjà connu. Oublier le prêchi-prêcha de la maîtresse, oublier son point d’horizon. S’oublier soi-même et oublier les autres.
— Allez jouer dehors les enfants, le temps est resplendissant.
— Non merci, on préfère rester au dedans. Elle était perplexe. On lorgnait sur son gros trousseau de clés.
— Quelle cruauté maîtresse, de nous avoir sorti de là. Vous pourriez au moins nous laisser y refaire un petit tour ? Juste le temps de la récréation.
— La belle affaire ! Si je vous laisse y refaire une escapade, je sais bien que vous n’allez pas revenir. On ne peut pas compter sur vous. Et je ne vais pas retourner vous y chercher moi. C’est dégueulasse de tremper ses mains là-dedans. Regardez plutôt dehors, il y a un soleil radieux.
C’était faux, le soleil était plein de rats. Rongé du dedans. Mais il se dissimulait bien derrière le maquillage de sa surface étincelante.
— Maîtresse, rendez-nous nos caves !
— Jamais ! À qui j’adresserai mon instruction si je vous laisse retourner d’où vous venez ?
Les insultes pleuvaient sur la maîtresse. On devenait hargneux. Prise de panique, elle balançait alors les clefs de nos caves dans le tableau et reprenait tranquillement le cours de sa leçon. Pendant ce temps, on se morfondait de plus bel en silence.
— Vous êtes sûr que vous ne voulez pas aller vous amuser un peu dehors les enfants ? Le grand air vous fera le plus grand bien.
— Moi le grand air, je lui pisse dessus.
— Roh, Gauthier, voyons. On riait tous nerveusement.
CÉLINE CERNY & LINE MARQUIS Le feu et les oiseaux. Talisman pour le monde qui viendra
Ce livre est un talisman. À feuilleter et à relire, à emporter avec soi comme un objet de protection qu’on glisserait dans sa poche.
Dans le monde d’après, nous chasserons les papillons sombres de la douleur à coup d’histoires à dormir debout
Face à l’anxiété latente provoquée par l’état du monde tel qu’il nous est rapporté, Céline Cerny et Line Marquis composent ensemble un livre, un recueil d’incantations et d’images. En réponse à cette menace floue, nourrie par des milliers d’images et de chiffres, de projections d’effondrement de nos systèmes politiques, économiques et sociaux dont on ignore les formes et la temporalité, elles s’efforcent de contrer la mise en scène de cette dystopie par un imaginaire résilient. Dans une suite de fragments adressés à la personne aimée, la narratrice mêle des réflexions sur notre lien au règne animal et notre passé le plus lointain, sur l’espoir d’une fluidité des genres, sur la place de l’imagination et le pouvoir des histoires dans nos vies.
En résonance aux textes de Céline Cerny, les peintures de Line Marquis ouvrent un univers abîmé mais aussi rassurant et flamboyant, reflet du désir ardent d’offrir d’autres mondes possibles.
Thèmes renouveau, rêve, résistance, amour, fluidité des genres, monde animal et végétal, sorcellerie
collection Pacific
format 18 x 21 cm, 96 pages, broché isbn 978-2-88964-058-4
prix CHF 27 / € 24
Céline Cerny & Line Marquis | Le feu et les oiseaux
Aujourd’hui médiatrice culturelle, autrice et conteuse, Céline Cerny vit à Lausanne avec ses deux enfants. Après avoir travaillé dans l’édition critique et pour les Archives littéraires suisses à Berne, Céline Cerny a dirigé durant trois ans un projet intergénérationnel autour de l’écriture du souvenir. Dans ce cadre a paru en 2013 De mémoire et d’encre. Récits à la croisée des âges aux éditions Réalités sociales. Depuis 2015, elle est médiatrice culturelle pour la fondation Bibliomedia Suisse. Passionnée par le récit et sa transmission, elle se consacre également à l’art de conter. En 2015 a paru son premier ouvrage de fiction, Les enfants seuls (éd. d’autre part). Avec l’artiste Line Marquis, elle a publié en 2019 On vous attend, un recueil de récits accompagnés de peintures aux éditions art&fiction. Elle a également contribué à plusieurs revues dont Parole, Coaltar, La cinquième saison et Viceversa Littérature
Line Marquis naît en 1982 à Delémont et grandit dans le Jura. Après une école de travail social, elle fait son bachelor à la HEAD à Genève. Dans son atelier à Lausanne, elle se consacre au dessin, à la gravure et à la peinture. Elle compose entre son travail artistique, sa maternité et le travail social. Cette subtile dynamique fait naître ses questionnements et nourrit sa pratique artistique. Elle expose dans diverses galeries et institutions de Suisse Romande. Ses peintures et gravures sont présentes dans de nombreuses collections publiques et privées. En 2020, elle obtient le prix de la Fondation Lélo Fiaux pour l’ensemble de son travail.
Ce livre est à mettre en pile à côté de Dans la forêt de Jean Hegland (Gallmeister, 2018), Viendra le temps du feu de Wendy Delorme (Cambourakis, 2021)
Céline Cerny & Line Marquis | Le feu et les oiseaux
végétation reprendrait la main sur le monde.
Je mise tout sur les arbres.
Le feu – je t’apprendrai – pour le faire avec de l’amadou.
J’en ai déjà un peu. ;
Dans le monde d’après, nous ferons de chaque fleur une déesse. Il y aura des jacinthes et des violettes.
Et des plantes sauvages qui toujours reviendront. ;
Est-ce qu’il y aura encore des bergères et des bergers, est-ce que les chats accepteront d’être encore à nos côtés, dans le monde d’après ?
Que deviennent les oiseaux et les rats en cage dans un monde effondré ? Qui libérera les prisonniers ?
Dans le monde d’après, le plus important sera de n’être jamais séparées.
Dès à présent, j’invente des stratégies : les fils, les traces, les échos qu’il nous faudra laisser le long des chemins. Remplis tes poches
Dans le monde d’après, les enfants auront des dents pointues et ce sera pour mieux mordre. Iels creuseront dans les troncs abandonnés des statues aux larges hanches et aux bras multiples.
On les laissera courir dans la forêt, filles et garçons, et il leur faudra ramener du lichen pour le feu.
Le feu – je t’apprendrai – pour le faire sans allumettes.
Je m’exerce chaque matin. ;
Dans le monde d’après, sur une terre à nu, nous guetterons les mouvements des vers.
Les graines seront soigneusement gardées, tu m’apprendras à les reconnaître.
Tu sais, je pense à ces simulations qu’on peut voir sur internet, ce que deviendraient les villes s’il n’y avait plus d’êtres humains et comment la
9 de cailloux, de boutons et de pois chiches. Mais ne mets jamais de sel, jamais, car le pluie le fait fondre. Et la pluie vient si facilement.
Je garde le cap malgré la peur, j’essaie d’apprivoiser les doutes, de les ranger les uns à côté des autres ou de les empiler. Peut-être qu’en faisant ça, je réaliserai qu’il n’y en a pas tant.
Dis-moi ?
J’ai peur de la noyade, d’être seule sur la plage vide, qu’il ne reste plus rien.
;
Dans le monde d’après, nous organiserons sur les ruines des pique-niques géants.
Mais le feu, le feu tu sais, je le ferai rien que pour toi. ;
Du monde d’après je ne sais rien. Mais c’est avec toi, mon oiselle dorée, mon amoureuse, que tout sera traversé. J’écris le livre pour les enfants, pour qu’iels se souviennent, et je pense à toi à chaque instant. ;
Je me demande ce que nous pourrions enterrer, ce qu’il vaudrait la peine de conserver.
Les dessins des enfants peut-être. ;
J’ai la nostalgie des crocs, des griffes, des fourrures ensorcelantes, des queues touffues et des oreilles pointues. J’ai la nostalgie des signes ténus qui nous sauvaient du danger. Nous avons perdu tout cela.
Hors du papier et du crayon, hors du chant et des récits, je suis démunie, je suis diminuée.
Je vis en sourdine.
On s’y est fait, à cette vie atrophiée, on a cherché ce qu’il y a de plus beau, on a colmaté les trous creusés par nos mains articulées en inventant des histoires.
Nous sommes devenues des bêtes à demi, sauvées par le langage.
Dans le monde d’après, peutêtre que les animaux nous laisseront revenir parmi eux ?
Faudra-t-il alors aussi abandonner le feu ? ;
Dans le monde d’après, il ne faudra jamais se séparer. Plus de manque et d’attente, nos mains toujours prêtes à se frôler.
Ensemble, toi, moi et tous nos enfants, nous dormirons sous les étoiles.
Ensemble, nous nous laverons dans l’eau de la rivière et je retiendrai mon souffle pour ne pas crier sous la morsure du froid.
Tu te moqueras de moi.
Et après on s’étonne que ce soit moi qui tienne tant à faire le feu ?
Dans le monde d’après, on ne s’aimera plus en marge, en douce, au bord des chemins.
Je ne sais pas bien ranger alors j’ai bonne mémoire, je ne sais pas bien classer alors je mélange, je brasse et fais venir des couleurs nouvelles. Et je sais garder à proximité le doux, le précieux, ce qui console, ce qui brille, les pierres et les tissus.
On s’aimera en grand et à voix haute.
Nous serons le feu.
Dans le monde d’après, on retournera près des rivières. Nous aurons des cheveux de méduse et dans les tiens, je chercherai des fleurs et des brindilles. ; Quels bonbons donnerons-nous aux enfants ?
Tu te souviens, dans notre coin de jardin, quand la voisine nous avait dit qu’elle n’aimait pas tant laisser ses enfants manger les fraises sauvages, à cause des pipis de renard ? J’avais ri mais tu t’étais fâchée, comme si sa mise en garde te prenait, à toi, un morceau de liberté.
Dans le monde d’après, on cueillera des mûres et des framboises, on fera avec nos vêtements des balluchons où les garder précieusement. Les enfants auront la bouche rouge et quand on trouvera des cerises, le jus coulera sur leur torse nu.
Faudra-t-il tuer des bêtes pour les faire cuire sur notre feu ?
As-tu déjà déshabillé un lapin ? ;
En rentrant vers toi tout à l’heure, j’ai aperçu sur le chemin de terre
une carapace de coléoptère brisée. J’ai voulu la prendre en photo mais dans le monde d’après il n’y aura plus d’appareil. Alors j’ai renoncé, pour m’habituer.
J’ai préféré réfléchir aux mots pour la décrire et ça ne m’a pas plu, parce que l’image qui m’est venue est celle d’une carrosserie, dure et brillante.
J’ai pensé à toutes les inventions qui cherchent à copier les insectes. Est-ce que les insectes se tordent de rire en pensant à nos ambitions folles ?
Dans le monde d’après, nous chasserons les papillons sombres de la douleur à coup d’histoires à dormir debout.
Dans le monde d’après, on ne craindra plus les parasites qui viennent manger nos plantes d’intérieur, on ne jettera plus les farines infestées de larves de mites.
Dans le monde d’après, on mangera ce qu’il y a.
Que ferons-nous des poux dans les cheveux des enfants ? ;
À PARAÎTRE EN MARS 2021
Tabor, un roman de Phœbe Hadjimarkos Clarke
Mona et Pauli ont survécu à d’étranges et immenses inondations. Elles vivent et s’aiment à Tabor, un nouveau monde bricolé. Mais de mystérieux visiteurs, sorciers ou fonctionnaires, viennent en troubler l’équilibre, jusqu’à l’ensauvagement définitif. Comment faire face ? Anticipation révolutionnaire ou rêverie gothique, ce récit explore la possibilité de l’amour et de l’action dans un monde en ruines.
Phœbe Hadjimarkos Clarke est née en 1987. Elle vit dans des grandes villes et des petits villages. Tabor est le premier roman de notre Collection du seum consacrée aux récits.
120 x 185 mm, 280 pages
ISBN : 978-2-492352-02-7 Collection du seum 13,00€
Nous vivons dans un village abandonné, relativement intact, que nous n’arrivons pas à appeler autrement que campement, malgré les mois ou les années passés ici et le caractère supposément définitif de notre installation. On appelle aussi ce lieu : Tabor. C’est le nom d’un mont hébreu épargné par le Déluge, dans le temps –ça nous a donc paru de circonstance. Tabor, c’est aussi le nom d’une ville fondée par des révolutionnaires fous au Moyen Âge. Ça, c’est Mona qui nous l’a appris. Elle s’était particulièrement intéressée à ces questions de groupes anarcho-mystiques, à l’époque où l’on pouvait se pencher sur autre chose que l’immédiateté de son existence. Ça l’avait passionnée, ces histoires de pauvres qui reprennent leur vie en main, qui fondent quelque chose de nouveau et d’immédiat, sans rien demander à personne, en attendant un temps nouveau. En arrivant ici, elle a donc su trouver le nom parfait, plein de toutes les imbrications nécessaires. Mais enfin, on peut tout aussi bien ne pas le nommer, cet endroit, c’est un espace sans titre, n’appartenant à personne, ce n’est plus nulle part mais c’est au centre de nos vies. Si on parle, on parle d’ici.
Igor Grabonstine et le Shining
Attention récit uchronique complètement barré. Nous sommes ici sur le tournage de Shining, mais, Jack Nicholson est remplacé par Igor Grabonstine, un comédien raté de formation russe. Adepte du grand Stanislavski, il en veut à mort au petit Danny Lloyd qui ferait de l’ombre à son génie indiscutable. Evidemment, on croise aussi un Stanley Kubrick planqué derrière son assistant, un Stephen King alcoolique qui reste vissé au bar du mythique hôtel Timberline Lodge. C’est timbré, c’est amoral, mais c’est jouissif.
L’auteur : Mathieu Handfield
Diplômé en théâtre, Mathieu a fait partie de plusieurs productions importantes, autant à la télévision et au cinéma que sur scène. Il réalise maintenant, autre autres, Mouvement Deluxe, série animée (sorte de South Park québécois) dont il est aussi le concepteur. Il a publié plusieurs romans en plus d’avoir participé à de nombreux collectifs, dont Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (publié par Bouclard en 2021), qu’il a également dirigé.
Recensions presse
Le Devoir
« Quelque part entre la glose de geeks et l’uchronie parodique, le roman de l’homme de théâtre raconte un tournage avorté, et complètement fabulé. »
Chatelaine
« Dans ce roman, deux acteurs de taille s’affrontent : Igor Grabonstine qui interprète le rôle principal et Danny Lloyd, petit garçon de 6 ans au talent remarquable et qui fait même ombrage au premier. Qui volera la vedette ? »
Igor Grabonstine et le Shining — Mathieu Handfield
« Comment avait-il pu construire une carrière aussi lumineuse, aussi exempte d’échec et aussi enviable pour la voir pulvérisée en quelques minutes par un enfant de six ans ? Il va sans dire que, dans l’état où il était, Grabonstine n’avait certainement pas envie de regagner ses appartements pour les découvrir hantés ; alors, lorsqu’il verrouillait sa porte, ce n’est pas sans une certaine irritation qu’il accueillit les mots « Bonjour, je hante votre chambre », qui lui furent lancés depuis l’obscurité. »
Fiche technique
Format : 176 pages, 12 x 20 cm
Tirage : 750 exemplaires
Prix de vente : 16 €
Diffusion : Serendip
ISBN : 978-2-493311-07-8
Première parution : 2014, Éditions de ta Mère (Canada)
Ce livre reçoit le soutien du CNL et de la Région des Pays de la Loire.
109 pour le youngblood, le sang neuf.
109 pour la Génération Y, la Génération youngblood.
Une collection qui défriche une nouvelle génération de jeunes romanciers/cières.
Une collection de petits formats accessibles.
Sans contrainte de genre et de style.
Des textes courts de fiction.
Des thématiques générationnelles mais sans prendre des grands airs intellectuels.
Traduit du russe (URSS) par Raphaëlle Pache, préface et notes d’Arthur Clech
Né à Novossibirsk en 1941, Evgueny Kharitonov monte à Moscou faire des études de théâtre. Inquiété par le KGB pour son homosexualité, il est bientôt mis sous surveillance pour sa dissidence. En parallèle de ses activités dans les arts de la scène, il écrit des textes inclassables diffusés sous la forme de feuillets manuscrits ou dactylographiés dont certains paraissent dans des revues clandestines. Lorsqu’il meurt d’une crise cardiaque rue Pouchkine en 1981, il vient tout juste de rassembler son œuvre pour transmission en Occident sous le titre En résidence surveillée.
Lauréat posthume du prix Andreï Biely, doté d’une pomme, d’un rouble et d’une bouteille de vodka, Evgueny Kharitonov n’a été publié en Russie qu’après la chute du régime soviétique. Auteur culte, il est aujourd’hui largement reconnu pour son importance littéraire et pour son influence sur la littérature alternative russe. Cette édition préfacée et annotée est la première à présenter En résidence surveillée en France.
Date de publication : 3 janvier 2025
Illustration : Christophe Merlin Contact presse & librairies : Diffusion et distribution : Couverture souple avec rabats Étienne Gomez
SERENDIP LIVRES 12,9 x 19,8 cm 0679918283 01 40 38 18 14
Environ 300 pages, 23 € editionsperspectivecavaliere@gmail.com contact@serendip-livres.fr
Résumé :
En résidence surveillée a déjà été traduit en allemand (Gabriele Leupold, Rowohlt, 1996) et en anglais (Arch Tait, The Serpent’s Tail, 1998). En France, seul un texte isolé, Le Four, a été publié dans une anthologie (Les Fleurs du mal russes : une révolution littéraire dans la nouvelle Russie, éd. Victor Erofeev, trad. Wladimir Berelowitch, Albin Michel, 1997). Les éditions étrangères présentent généralement une sélection de textes, en écartant d’autres aux thèmes trop « russisants » et/ou au style trop expérimental.
Inclassables, ces textes ne sont pas des « nouvelles » en ce qu’ils présentent aussi des traits caractéristiques de l’essai, des carnets ou du journal intime. Certains peuvent évoquer Kafka, Kosztolányi ou Capek en ce qu’ils évoquent un sentiment d’absurdité tragi-comique en même temps que la vie quotidienne en URSS Le point de vue est cependant celui d’un homosexuel et d’un intellectuel, et la recherche stylistique de l’auteur aboutit parfois à une déconstruction de la prose classique (Aliocha Sérioja ; Un enfant viable ; L’un en est, l’autre est autre ; Un résident écrivit au service du logement ; A., R., Moi ; L’achat du spirographe).
Ailleurs, d’autres formes d’écriture prennent le dessus : autobiographiques, avec une dimension et argumentative ; ou poétiques voire théâtrales, avec des jeux de mots, des ruptures de ton et des changements de typographie dans la lignée du futurisme russe (Un Russe qui ne boit pas ; Histoire d’un jeune garçon : « Comment je suis venu à en être » ; Larmes sur les fleurs ; Tract ; Froidement, au sens des hautes sphères ; Les écrivains impubliables ; Larmes sur un mort étranglé).
Deux textes sont particulièrement importants : Tract, sorte de manifeste de la question homosexuelle en URSS, où Kharitonov dresse un parallèle avec la question juive, et Larmes sur un mort étranglé, saisissant testament littéraire en même temps qu’hommage à un ami homosexuel assassiné dans un guet-apens homophobe.
#le garçon qui aime aimer et qui aime qu’on l’aime
L’incipit d’Aliocha Serioja célèbre d’entrée de jeu l’un des amants du poète dans des termes sans ambiguïté.
Il retire sa chemise à l’une de nos soirées et dénude son corps d’écolier. Perdant l’équilibre, il me tombe dessus, bien conscient que je ne peux détacher mon regard de lui. Il vous attire et vous laisse tomber sans effort, le garçon qui aime aimer et qui aime qu’on l’aime, il se joue de vous sans fausse note et vous comprenez qu’il se jouera pareillement d’un autre, avec le même sourire, la même légèreté caressante, quand sa danse l’éloignera de vous vers cet autre. Aliocha connaît sa valeur, toutes les têtes se tournent vers lui, il faut lui faire des cadeaux, mettre vos plus belles tenues quand vous l’emmenez en visite chez vos amis, alors que lui-même s’est fagoté n’importe comment. Il s’attache sans s’embarrasser de circonvolutions, aimera qui se montrera désireux de l’aimer, se mettant même à son service pour s’occuper de lui. Et si, non content de l’aimer à travers vos écrits, vous voulez l’installer chez vous, il vous faudra aussi du talent de ce côté-là, une longue pratique, du style, de l’improvisation, une science du calcul et encore une chose : soit un talent pour la vie, soit une aptitude à vous nourrir de mots d’amour. Vous n’avez pas d’argent, la vie s’écoule à quêter les louanges et il se lasse d’être le modèle de vos motifs littéraires lorsque, après l’avoir étudié tout votre soûl, vous vous détachez de lui pour vous consacrer seul à votre art une journée entière. Vous ne faites pas le poids contre lui, ni sur le plan de l’allure ni sur le plan du comportement, et c’est pourquoi vous êtes si attiré par lui, à en mourir d’amour pour l’embrasser, embrasser, embrasser tel un chevalier avare1 qui a fait main basse sur un trésor et qui empêche quiconque de l’approcher, prenant dans vos baisers tout ce que vous êtes en train de perdre, qui ne sera pas restauré par les années et qui paraîtra même n’avoir jamais été, ces bras, ces jambes, ce corps, il les entraîne sur vous avec l’esquisse d’un sourire quand il sort dans la lumière. Et à la lumière du jour, quand ses bras et ses jambes ne vous appartiennent plus, vous compensez votre physique peu engageant par l’élégance de votre comportement, autrement dit par votre âme. Mais si vous voulez réussir dans l’amour mis en mots, votre âme ne parviendra pas jusqu’à lui. Sa jeunesse et son inculture l’empêcheront d’être touché par vos confessions. Peut-être pourriez-vous les vendre sur le marché comme des biens de la plus grande rareté et, grâce à votre amour mis en mots, vous voir reconnu par le gratin de la société, parvenir au rang de superstar et arriver dans une certaine mesure à l’égaler par la façon de vous habiller, de vous entourer et par le climat que vous créez autour de vous, sauf que vous êtes un cas désespéré.
(Aliocha Sérioja)
1 Allusion à la pièce d’Alexandre Pouchkine Le Chevalier avare (1836). Albert, jeune chevalier, souffre de l’avarice de son père baron, et Salomon, l’usurier juif qui refuse de lui prêter de l’argent, lui suggère de l’empoisonner pour avoir l’héritage plus vite. Il préfère demander de l’aide au duc, dont le père était un ami du sien, mais l’intervention de cet homme plonge le baron dans un accès de paranoïa : il provoque son fils en duel. Le duc empêche ce duel d’avoir lieu et bannit Albert, qui avait relevé le défi, avant d’accabler de reproches le baron, qui meurt soudainement. (Alexandre Pouchkine, Le Chevalier avare, traduit par André Markowicz, Arles, Actes Sud, 1993.)
La représentation matérielle des pratiques homosexuelles en URSS est surprenante dans cet ouvrage où l’on trouve notamment des évocations des lieux de drague et d’un « glory hole » à la russe.
G. m’a dit que, dans son institut, il y a une cabine appelée télévision, des trous percés dans sa paroi, des morceaux de papier collés dessus comme autant d’étoiles dans le ciel. Quand il entre dans cette cabine, il doit décoller l’un de ces papiers pour voir ce que fait son voisin. Lui-même, de son côté, il t’observe par on ne sait quel trou. Tu fais mine de commencer à te branler. Tu auras pensé à te munir d’un papier et d’un crayon. Si ça l’excite, fais passer par ce trou un morceau de papier roulé en un petit tuyau sur lequel tu auras écrit : Tu aimes quoi ? ou une suggestion de ton cru. À environ un mètre du sol, il y a la
télévision proprement dite, un trou carré lui aussi masqué par un morceau de journal collé à la salive, avec les coulures des fois précédentes, où s’il est partant, il glissera son membre. Tel un chien de chasse, tu dois donc attendre en retenant ton souffle que quelqu’un entre dans cette cabine, puis voir ce qu’il va faire et lui proposer via la télévision tout ce qu’il faut pour jouir. Il y a un type qui a passé ses trente jours de congé dans un caisson de décompression comme celui-ci, place de la Révolution. Que rêver de mieux ? Jouir sans embrouilles dans un gogue sur fond de murs souillés. Ton militaire ne te voit pas vraiment et tu n’en vois pas plus que le nécessaire pas de paroles superflues ensuite pas de silence gênant pas de relation pesante tu l’as sucé puis tu as refermé la télévision. Il y a le risque et les parois de la cabine des gens à l’extérieur qui vont et viennent l’anonymat pas de rapports humains à la noix tout est un peu filtré par le trou les gens qui viennent savent plus ou moins ce que c’est quel genre de proposition ils vont recevoir de la cabine voisine quelqu’un l’a bien percé ce trou et dans beaucoup de toilettes on sait qu’il y a une télévision dans la dernière cabine le long du mur tous ceux qui aiment savent secrètement à quoi ça sert même si un hétéro arrive pour se branler il ne dira pas non si tu le surprends au bon moment quand il est prêt à se laisser sucer.
(Larmes sur un mort étranglé)
Kharitonov exprime des avis qui peuvent paraître contradictoires sur les homosexuels comme sur les Juifs, deux populations qui ont en commun d’être en minorité en URSS et qui sont rabaissées en tant que telles : comme il l’explique ironiquement dans Tract, où il multiplie les stéréotypes homophobes et antisémites, il juge qu’il faut tirer parti de cette fatale réalité.
Nous sommes des fleurs funestes et infertiles. Et comme des fleurs, il faut nous mettre en bouquet dans un vase, pour décorer.
Notre question ressemble, en un sens, à la question juive.
De même que, par exemple, leur génie s’épanouirait le plus souvent, selon l’opinion communément admise par les antisémites, dans le commerce, le mimétisme, la satire de l’actualité, l’artistisme sans pathos, le tact dans la vie de tous les jours, l’art de la survie, autant de sphères d’activité, dirait-on, créées délibérément par eux et pour eux de même notre génie a éclos, par exemple, dans l’art le plus futile, le plus maniéré qui soit, tout en mousseline : le ballet. Car il est clair que c’est par nous qu’il a été créé. Qu’il s’agisse de danse à proprement parler, d’un tube ou de n’importe quelle autre minauderie, pourvu qu’elle se fonde sur la volupté. De même que les israélites doivent être raillés dans des plaisanteries, l’image du youpin rapiat doit rester solidement ancrée dans la conscience de l’humanité non-juive afin que la judéophobie ne s’éteigne pas sinon, qu’est-ce qui empêcherait les Juifs d’occuper toutes les places sur la terre ? (car il est une croyance qu’ainsi adviendrait la fin du monde) de même notre légère espèce florale, dont le pollen vole on ne sait où, doit, elle aussi, être ridiculisée, transformée en un mot injurieux par le sens commun, direct et grossier, des gens du peuple. Afin que de jeunes garçons bêta ne s’avisent pas de céder à la faiblesse de s’éprendre d’eux-mêmes, tant que leur virilité ne s’est pas encore établie fermement, jusqu’au bout. Car, bien sûr, et cela ne fait (pour nous) aucun doute : cette pensée est extrêmement nocive, et l’on ne doit pas lui laisser ouvertes les portes de la Cité sans quoi la fin du monde approchera, et il basculera de l’autre bord. Et oui, il en est ainsi et pas autrement : vous êtes tous des homosexuels étranglés ; vous faites bien de vous représenter une fois pour toutes cette chose comme étant piteuse, immonde, voire de ne pas vous la représenter du tout.
(Tract)
Appliquant la même logique à l’écrivain dissident qu’il est, Kharitonov justifie la censure dont il fait les frais et l’élève au rang de consécration.
Alors voilà, ne feignons pas la naïveté en demandant : Pourquoi ne nous publie-t-on pas ? On a raison de ne pas nous publier. Car il y a une Loi et un Ordre qui régissent notre existence, une Loi qui décide de ce qu’il faut taire et de ce qu’on peut imprimer pour le faire lire au monde. La Loi et l’Ordre de la Patrie sont tels qu’ils doivent être. L’Ordre a toujours raison, fatalement, pour les gens qui ont des dispositions artistiques. Nous lui sommes attachés ! Il nous est nécessaire. Car le nerf de nos œuvres, c’est sa transgression. S’il venait à changer, ce nerf nous serait retiré et la terre se déroberait sous nos pieds. Nos écrits sont pour la plupart impubliables. Nous souhaitons cependant qu’ils soient conservés quelque part, en terrain neutre. En témoignage de nos années de travail, et pour que nous soyons légitimement considérés comme des êtres dont la vie consiste à écrire. Imaginez que nous décidions de former une association et que, pour éviter que celle-ci ne soit tenue pour criminelle par la loi de notre Patrie, nous demandions au PEN Club international et universel de nous prendre sous sa protection et de nous déclarer inviolables. […] Oh, mais peut-on croire que notre société soit devenue libérale et que la Loi européenne ait imprégné notre Morale au point qu’on n’ose plus rien nous faire, du moment que nous sommes protégés par le droit universel ? Et quand bien même, dans ce cas, personne ne s’intéresserait vraiment à nous. Non, décidément, si nous restions impunis, si nous échappions au bûcher, nous serions à jamais privés de gloire. Quelle existence serait la nôtre si l’on nous permettait de vivre tranquillement sans nous accorder d’attention ? Nous n’aurions plus que notre feu intérieur. Certes, mais nous pourrions nous laisser consumer par lui ! Alors, les gens accorderont leur confiance au poète et propageront ses œuvres.
(Les écrivains impubliables)
#larmes sur un mort
Texte essentiel, Larmes sur un mort étranglé fait figure de testament en même temps que d’hommage à l’ami homosexuel assassiné. Kharitonov, qui fut accusé de ce meurtre par le KGB quelques années avant sa propre mort, dresse ici un bilan de ses influences artistiques et de son œuvre littéraire. Il dresse aussi une satire de la politique hypocrite du régime soviétique sur la question homosexuelle.
Bon, vous comprenez bien vous-mêmes que nous sommes prêts à fermer les yeux et que, de fait, nous les fermons sur des actes de cette nature s’ils sont accomplis discrètement ou s’ils sont dissimulés par toutes sortes de mots paravents. En les présentant comme de l’art, mettons. Aux gens ordinaires, nous expliquerons que le sujet de telle pièce est le racisme à l’étranger. Le poète russe à l’agonie sait qu’il se languit du grand nègre, comme chez Lim.1 — mais dans le programme la chose ne sera présentée que comme un cas de racisme. Ou disons que vous reluquez une foule de danseurs nus et que c’est là tout le but du spectacle. Il faut toutefois présenter la chose aux gens ordinaires en parlant de Grèce antique et de lutte pour la liberté. Tant que Richter sera Richter, il pourra faire tout ce qu’il voudra dans sa grande maison ; pour le grand public, il initie les jeunes gens à la beauté et, naturellement, nous fermons les yeux sur ce qui se passe réellement. Mais si nous permettions tout à tout le monde et que nous appelions les choses par leur vrai nom, qu’en serait-il de notre représentation du monde ? Comment ces deux choses peuvent-elles être compatibles ? Car la créature que vous êtes devenu aurait dû être étouffée à la naissance. Non. Nous n’avons qu’à décrocher le téléphone et l’affaire sera classée, mais il faut que la loi reste la loi pour que les gens restent à leur place et que notre idéologie soit défendue. Et nous n’autoriserons personne à mentionner ouvertement dans la presse que ce genre de choses existe en Union soviétique. Nous n’avons pas de ça ici. Nous avons peut-être de tout, mais sur le papier, ça n’existe pas, mettez-vous ça dans le crâne, sans quoi nous n’aurons pas d’autre choix que de vous faire subir la loi dans toute sa rigueur.
(Larmes sur un mort étranglé)
1 Édouard Limonov (1943-2020), auteur du livre Le Poète russe préfère les grands nègres (traduit par Emmanuelle Davidov, Paris, Ramsay, 1980).
« Nous avons perdu un merveilleux poète russe… »
(Tatiana Chtcherbina, 1981)
« Un génie… »
(Ludmila Petrouchevskaïa, 1981)
« Un mélange d’observation et de rêverie autobiographique dans la tradition de Rozanov, avec un peu de Gogol et du premier Samuel Beckett du point de vue de l’humour : feu d’artifice intime entre quatre murs de béton chez un homme qui rêve d’évasion et d’amour avec toute l’astringence de la résignation. Sans désespoir – car si le communisme ne laissait pas de place à l’homosexualité, tel n’a jamais été le cas de la Russie. » (Duncan Fallowell traduit par Étienne Gomez)
«
M Le magazine du Monde, 23-24 avril
« Ce fut l’apparition d’une nouvelle écriture de l’amour : passionnée, extrêmement crue et timide à la fois, suffocante, tendue jusqu’à la rupture, jusqu’à la crise cardiaque. Depuis Tourgueniev, la littérature russe n’avait pas connu d’expression aussi pure, aussi fébrile de l’amour. (Viktor Erofeev traduit par Arthur Clech)
Les contributeurs :
Raphaëlle Pache, mention spéciale au Prix Russophonie 2015, prix de la traduction Inalco Vo-Vf 2023, est traductrice du russe.
Arthur Clech, docteur de l’EHESS, est spécialiste de l’histoire de l’homosexualité en URSS et dans l’espace post-soviétique.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Étienne Gomez, avec une préface de Jameson Currier
New York, printemps 1967. Un jeune agent publicitaire doit démissionner pour avoir soutenu un employé surpris en train de feuilleter Playboy au bureau. Au lieu de rechercher tout de suite un autre emploi, il décide de s'acheter une Bolex et de s'initier à la réalisation au cours de l'été. En arpentant Central Park et les rues de Manhattan avec sa caméra portative à la main, il ne sait pas encore qu'il va révolutionner la pornographie américaine.
Le manuscrit d'Un pornographe a été retrouvé dans les papiers d'Arch Brown après sa mort en 2012. Rédigé au milieu des années 1970 à la manière d'un bilan de carrière, ce texte inclassable est au croisement des mémoires intimes, du manuel de reconversion professionnelle et du manifeste esthétique. Car, plus encore qu'un outil de libération sexuelle, la pornographie était pour Arch Brown un instrument de connaissance.
Date de publication : 5 janvier 2024
Contact presse & librairies :
Couverture souple avec rabats Étienne Gomez Antony Thalien
Après trois chapitres autobiographiques – 1. Lumière, 2. Caméra, 3. Action – sur sa jeunesse dans le Midwest, sur ses débuts dans la publicité, et sur sa reconversion dans la pornographie, Arch Brown dresse un tableau complet de la pornographie en général et à son époque en particulier.
Il définit ainsi les fantasmes fondamentaux en jeu dans l’industrie : 4. Le fantasme de la Star (il faut s’aimer soi-même et croire en soi), 6. Le fantasme du Moi (il faut aimer la caméra et le public-, 7. Le fantasme du Ça (certains ont un goût prononcé pour une partie donnée du corps), 8. Le fantasme du Jeu de rôle (certains tirent satisfaction de la possibilité offerte par le cinéma d’incarner quelqu’un d’autre).
Il dresse aussi une typologie des personnes intéressées, qui ne sont pas toutes bonnes pour l’industrie : 5. Les rôdeurs (ils n’ont rien à offrir mais veulent seulement infiltrer l’industrie du porno), 8. Les baiseurs (il sont excellents et endurants dans l’action face à la caméra comme dans la vie), 13. Les voyeurs (ils jouissent de leur propre image), 14. Le public (il vient voir les films, mais qui est-il et que cherche-t-il ?).
Enfin, il passe en revue certains aspects techniques ou esthétiques et certaines évolutions contemporaines de son époque : 10. Les gens, les lieux, les choses (sur l’importance de tout ce qui n’est pas pornographique dans les films pornographiques), 11. SM, bondage, etc. (sur l’essor des pratiques impliquant des rapports de domination), 12. Rôles discordants (sur les personnes qui ont des caractéristiques des deux genres, masculin et féminin), 15. Les films (sur le fait que les films mènent leur vie à eux, indépendamment des intentions de son réalisateur).
Bien plus qu’une incursion dans la pornographie et dans les milieux underground des années 1970, ce qui serait déjà beaucoup, ce livre inclassable jette les bases d’une véritable anthropologie de la pornographie du point de vue technique, psychologique, social, économique, etc.
Le manuscrit retrace les étapes d’une reconversion professionnelle d’une manière qui fait étrangement écho aux manuels de développement personnel d’aujourd’hui.
Un aspect de mon travail était de chercher des idées ou des sujets dans l’air du temps à partir desquels ma compagnie pourrait élaborer une campagne promotionnelle ou publicitaire. Je demandais à mon équipe de feuilleter les vieux exemplaires de journaux ou de magazines qui traînaient pour trouver des exemples de police de caractère ou de lettrage photographique qui pourraient nous servir. Un de mes employés feuilletait ainsi un numéro de Playboy lorsqu’un dirigeant entra dans nos bureaux et, le surprenant, il vit rouge. J’ignore comment ce magazine s’était retrouvé là. J’essayai d’expliquer que le jeune homme n’avait fait qu’obéir et que j’étais seul responsable de la situation. Le gars en question était gay et je savais que les photos de filles nues ne l’excitaient pas mais je ne pouvais pas dire ça. La direction décida de le renvoyer. Des cadres de mon niveau et des collègues du jeune homme se réunirent au débotté pour prendre sa défense. On était aux débuts de la libération sexuelle et un magazine comme Playboy ne justifiait pas de renvoyer un très bon employé, qui, après tout, n’avait fait que son travail. Il fut convenu qu’en cas de licenciement, nous partirions tous en même temps. Nous n’avions pas imaginé un seul instant qu’ils pourraient laisser partir deux chefs de département et plusieurs de leurs employés. Erreur ! En moins de vingt-quatre heures, la direction décida de nous laisser partir. Nous ne nous fîmes pas prier.
Je me retrouvai sans travail et, comme tant d’employés dans leur spécialité, je m’aperçus qu’il n’y avait pas beaucoup de postes disponibles. Même dans une grande ville, au-delà d’un certain niveau dans un domaine comme le mien, les opportunités sont rares et la concurrence est rude. J’envoyai des CV, consultai des agents, en vain. Personne n’avait rien à m’offrir. […]
Je touchais des allocations de chômage et, l’été arrivant, je pris la décision de ne pas m’inquiéter de mon sort. De buller. D’aller à la plage. De me dégoter une nouvelle passion. J’avais un peu d’argent de côté et l’idée d’acheter un appareil me revenait régulièrement. Pourquoi ne pas me mettre à la photographie ? […]
Après des visites dans des magasins de photo, l’idée d’une caméra me séduisit de plus en plus. Une 16 mm de seconde main avait un prix voisin de celui d’un appareil neuf et je pouvais à la fois faire des films et des photos avec les meilleurs plans. […]
Et n’aurais-je pas de quoi m’amuser pendant l’été ? Pourquoi ne pas tourner un bon film underground ? J’optai pour une petite Bolex.
extrait n°2
#un hommage à l’amour
Le premier film rémunéré d’Arch Brown est une commande privée de deux époux new-yorkais, Diana et John, qui souhaitent immortaliser leurs ébats sexuels. Cet extrait peut paraître anecdotique dans un ouvrage qui explore toutes les sexualités, homo, hétéro, bi et queer, et toutes les pratiques, notamment SM, bondage, etc., mais il en dit long sur la quête de la beauté dans la sexualité au fondement de la vision que l’auteur défend de la pornographie.
Ils commencèrent par s’enlacer tout en glissant les mains sous leurs hauts respectifs. Les vêtements avaient manifestement leur importance pour eux et ce ne fut qu’au bout d’un certain temps qu’ils les enlevèrent. John embrassait les seins de Diana à travers le tissu tandis qu’elle caressait son sexe sous son short. Finalement, il dégrafa son dos nu et libéra un sein, puis l’autre. Il lui palpa et lui lécha les seins jusqu’au moment où, parcourue d’un tremblement de tout le corps, elle ôta d’un seul geste son dos nu et sa culotte. Elle resta étendue toute frémissante sur le matelas, et il se dressa au-dessus d’elle, les jambes de chaque côté de ses hanches. Elle leva lentement les mains le long de ses cuisses puis fit glisser son short, exposant ainsi le jockstrap qui moulait son sexe. Elle changea de position et, à genoux, se mit à lécher le jockstrap avant de le faire glisser à son tour pour avaler sa bite. Elle le suça jusqu’au moment où il en eut des frissons dans les jambes, après quoi elle bascula sur le matelas, les cuisses écartées. Il enleva le peu de vêtements qui lui restaient, puis s’allongea devant elle et enfonça son visage entre ses cuisses.
J’avais du mal à croire que ces deux personnes que je venais tout juste de rencontrer puissent ainsi sortir le grand jeu face à ma caméra. Car c’était magistral. Ils avaient réfléchi à tout et ils connaissaient leur scénario sur le bout des doigts. J’avais aussi du mal à croire qu’ils puissent être d’une telle beauté. Elle avait une taille fine et délicate mais ses seins étaient ronds et amples. Sa peau était parfaitement lisse et sans un seul défaut. Elle avait les cheveux châtains et ses poils prenaient des reflets auburn à l’entrejambe. Quant à lui, il était bien plus musclé qu’on aurait pu l’imaginer à le voir habillé, et il avait les jambes, la poitrine et le ventre couverts d’épais poils noirs. Ils faisaient vingt ans de moins et seul le ventre naissant de John trahissait son âge. Son sexe était court mais très épais avec un énorme gland en champignon, et, se redressant brusquement, il le lui enfonça d’un coup. Fini les préliminaires romantiques, c’était maintenant une violente scène de sexe, à la limite du viol : à chaque assaut elle criait davantage et, plus elle criait, plus il poussait fort. Le jeu se poursuivit pendant une dizaine de minutes, augmentant peu à peu en vitesse et en intensité à mesure qu’ils approchaient de l’orgasme. Le moment venu, ils se mirent à hurler en battant le matelas et en s’empoignant sans façon. À la fin, parcourus d’intenses frissons, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre en riant comme des petits enfants. John redressa lentement la tête et me demanda en souriant : « C’est dans la boîte ? » Ils se remirent à rire. « Pas mal pour un vieux couple, non ? »
#au
carrefour des plaisirs
En théoricien de pornographie, Arch Brown affirme un credo simple : un bon film est un film où tout le monde, acteurs, réalisateur et spectateurs, peut trouver un moyen de s’épanouir.
Tous [les bons acteurs dans mes films] avaient ce rare mélange de liberté sexuelle, de maîtrise technique, et surtout de sensibilité et de réactivité face à l’objectif. La caméra était peut-être le plus important. Tous étaient excités par elle, et c’était elle qui les aidait le plus souvent à réaliser des fantasmes longuement refoulés. C’était aussi grâce à elle qu’ils pouvaient mettre de l’ordre dans ce domaine de leur vie et profiter d’un moyen unique de satisfaire leurs egos.
Je m’aperçus d’ailleurs que mes films me permettaient de satisfaire mon propre ego. Je n’aidais pas seulement les gens à réaliser leurs fantasmes, je satisfaisais aussi les miens. Mon élan sexuel diminuait au fur et à mesure, surtout si tout se passait bien et que le résultat était exceptionnel. Ce fut pour moi comme une libération. Dès lors que j’avais commencé à concevoir mes films de manière vraiment professionnelle, l’excitation sexuelle avait presque disparu. Je ressentais une sorte de satisfaction rien que d’avoir fait tourner la caméra pendant quelques heures. Après une bonne journée de tournage, si tout s’était bien passé, je me sentais comblé, heureux.
Il me semblait de plus en plus important de créer une atmosphère de réalité dans mes films. De même que je créais mes personnage en fonction des acteurs, je me mis à écrire des scénarios entiers en pensant aux capacités et aux désirs que je leur attribuais. Réunir un livreur de fruits et légumes et une ménagère crédibles était une chose, mais la qualité sexuelle du résultat dépendait avant tout des circonstances de leur rencontre et de leur attitude l’un vis-à-vis de l’autre.
Je vis un jour un film où un livreur sonnait ainsi à la porte d’une ménagère, et tout se passa bien jusqu’au moment où l’actrice entreprit de séduire elle-même le jeune homme. Au lieu de lui parler, de le draguer, de se rapprocher de lui ou encore de le caresser, elle souleva sa jupe et commença à se masturber, assise sur le plan de travail. La ménagère était devenue une pute et la scène était gâchée. La suite pouvait toujours faire mieux, ces personnages avaient perdu toute vraisemblance.
Mes films commencèrent à s’ouvrir à une autre sorte de réalité. Je m’aperçus que ceux qui m’en parlaient, que ce soient des amis ou même parfois des inconnus, avaient avant tout aimé le lien qu’ils entretenaient avec les personnages. Un hétéro moyen ne passe pas ses journées à rencontrer des stripteaseuses, des putes, des pom-pom girls et des hôtesses de l’air qui se pâment dès qu’elles les voient arriver. Ils rencontrent plutôt des secrétaires, des serveuses, des voisines, qu’ils espèrent pouvoir séduire facilement si une occasion se présente. Les homos rencontrent généralement des voisins ou d’autres homos dans les bars ou à des soirées, plutôt que des cowboys, des plombiers, des policiers et des militaires.
Mes films se concentrèrent de plus en plus sur des personnes et des situations ordinaires pour que le public moyen puisse se sentir concerné. Le fantasme de l’auto-stoppeuse lubrique en mini-jupe est peut-être universel, mais, dans la vie, la chose n’est pas fréquente. Une femme en tenue de ville et au maquillage discret me paraissait plus excitante qu’une pute en porte-jarretelles avec une masse de cheveux blond décoloré.
« Arch Brown fait quelque chose de neuf, de complexe, de crucial. La sexualité est bienvenue au cinéma. Que tous les films ne soient pas pornographiques doit être un sujet d’étonnement. Car c'est la fonction même du cinéma. Un plat se mange, un vin se boit, le sexe se filme. » — Interview, 1975
De son vrai nom Arnold Krueger, Arch Brown est né à Chicago en 1936 et a grandi dans une famille marquée par la Grande Dépression. Après une brève carrière dans la publicité, il est devenu pornographe à une époque où la pornographie hard-core devenait légale. Son pseudonyme Arch Brown associe le prénom qu’il utilisait dans les lieux de drague gay et le nom de son compagnon pendant vingt-huit années, Bruce Brown, co-fondateur de l’Arch & Bruce Brown Foundation pour la promotion de la création littéraire et théâtrale gay. Son œuvre est aujourd’hui conservée à la bibliothèque de la prestigieuse université Cornell.
Livre connexe: La Cloche de détresse de Sylvia Plath (Gallimard)
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PRÉSENTATION
Se sauver
Doris Femminis
Traduit de l’italien par Festa Molliqaj
DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE
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L’histoire racontée est celle de Giulia, une jeune Tessinoise de 23 ans, étudiante en histoire, des années 1990. Née dans un village de montagne isolé, elle est la seule de sa fratrie à fréquenter le gymnase (le lycée) et elle entame des études universitaires loin de sa famille Lors d’une visite à la maison, peu avant ses examens finaux, Giulia fait une tentative de suicide. Elle est internée dans une clinique psychiatrique Là, elle refuse toute aide au début et essaie plusieurs fois de s’enfuir À force de patience et de dévouement, la psychiatre à l’esprit ouvert et le personnel de soins parviennent à se rapprocher de Giulia. Elle se confie à eux et commence enfin à se confronter à ses problèmes et à son histoire familiale. Elle est confrontée à la peur de l’hôpital psychiatrique et celle de se retrouver en dehors de celui-ci. Elle résiste à l’enfermement, à l’idée de devoir faire un travail sur elle. Puis, quand elle s’y attelle elle découvre qu’elle peut lâcher des choses et se découvrir et commence à apercevoir des choses de l’ordre du soulagement. Le roman se déroule dans un univers sombre et fantasmagorique, mais également très lyrique avec, entre autres, les beautés de la nature.
AUTRICE
L’autrice est née dans le Val Maggia, au Tessin, en 1972. Après une formation d'infirmière, elle a travaillé dans une clinique psychiatrique. Pour son rès une équilibre, elle gardait, en parallèle, des chèvres avec un ami. Ap spécialisation et un séjour de plusieurs années à Genève, elle vit aujourd'hui, avec sa famille, dans la Vallée de Joux, dans le canton de Vaud. Pour son deuxième roman, Fuori per sempre, ici traduit, elle a reçu un Prix suisse de littérature en 2020.
Paon diffusion – 44 rue Auguste Poullain – 93200 SAINT-DENIS
SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14
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Sergueï Chargounov
Genre : récit
Traduit du russe par Bertrand Hédouin
Préface d’Antoine Volodine
Format : 12 x 18,5 cm
Pages : 320
Prix : 22 €
ISBN : 978-2-487558-03-8
Fils de pope, Sergueï Chargounov est né en 1980 à Moscou. Il obtient à vingt-et-un ans le prix Début pour sa nouvelle La Punition dont il donne la somme à Edward Limonov alors emprisonné. Militant contre le libéralisme, nominé au National Bestseller Prize et au Big Book Award en Angleterre, il a publié son premier livre en français, Livre sans photographies, aux Éditions de la Différence en 2015 puis 1993, en 2017 aux éditions Louison.
Contact : colette.lambrichs@gmail.com
Extrait de la préface d’Antoine Volodine : « Se pencher sur les livres de Chargounov et sur son destin en tant que Russe pris dans le tourbillon de l’Histoire revient, très naturellement, à toucher en profondeur la complexité du patriotisme russe contemporain et l’essence même de la fameuse âme russe envers laquelle en ces temps de guerre l’Occident a perdu toute sa vieille sympathie.
On a pu lire en français Livre sans photographies et 1993, deux ouvrages autobiographiques, composés de récits et de portraits, bourrés d’anecdotes attachantes, qui éclairent l’histoire de Chargounov en tant qu’individu en formation, débutant dans la vie publique et dans la vie tout court. Le livre que vous tenez en main est intitulé en russe Svoi, qui peut être traduit à la fois comme "Les Miens" et comme "Les Nôtres". L’ambiguïté est ici formidablement riche : le destin qui va se dessiner dans ce livre concerne une famille et ses nombreuses branches, et, comme cette famille traverse le xxe siècle, elle va en connaître tous les sursauts, les tragédies, les bonheurs, les malheurs et les peurs. Personne, en Union soviétique, n’a été épargné par la répression politique, culturelle, religieuse, sociale, et, à travers les petits et grands tableaux que brosse Chargounov, on accompagne l’ensemble du peuple russe sur son difficile chemin. Pour aboutir à ce que Chargounov considérera plus tard comme une nouvelle catastrophe : la dislocation du monde soviétique. »
La langue de Chargounov s’accorde parfaitement à son projet littéraire : donner pleine lumière à ceux et celles qui l’ont précédé et dont il porte l’héritage culturel, intellectuel, historique et sensible, rendre hommage à ceux et celles qui ont façonné de mille manières l’âme russe qui s’est ancrée en lui à la naissance et à jamais. Une âme russe aux valeurs et aux traditions si puissantes, si vibrantes, si inattaquables, qu’elle s’impose d’elle-même et fait corps avec tout créateur né en Russie, tout poète, tout écrivain ou cinéaste, quels que soient l’époque et le lieu d’où il parle. Et, au-delà, qui habite intensément tout Russe ou s’affirmant comme tel, qu’il soit aujourd’hui en Russie ou en exil.
Téléphone : 06 60 40 19 16
Diffusion et distribution : Paon diffusion.Serendip Relation libraires : jean-luc.remaud@wanadoo.fr
Téléphone : 06 62 68 55 13 Éditions Du Canoë : 9, place Gustave Sudre Local parisien : 2, rue du Regard 33710 Bourg-sur-Gironde 75006 Paris c/o Galerie Exils
TERRES DE FEU
Michael Hugentobler
Delphine Meylan (Trad.)
Terres de feu est la biographie atypique du dictionnaire yamanaanglais rédigé en Patagonie au milieu du 19e siècle par le missionnaire Thomas Bridge. Arrivé en possession de l’ethnolinguiste Ferdinand Hestermann, ce dictionnaire voyage en Allemagne puis trouve refuge en Suisse, au même titre que la fameuse bibliothèque Anthropos de Vienne, mis en péril par le régime nazi. Ce dictionnaire, actuellement conservé à la British Library de Londres, est l’un des rares témoignages de l’extrême créativité et précision de cette langue et de cette population, aujourd’hui plus que jamais menacée par les projets d’extractivisme des multinationales.
Construit en trois parties, refusant une conception linéaire de la narration, Terres de feu est un roman mystérieux, travaillé par des formules et une ambiance qui rappellent les aventures d’un Corto Maltese. La grande Histoire se joue également dans celles des sciences de l’Humain, pris en étaux par les idéologies nationalistes et racialistes. De la Patagonie à l’Angleterre, de l’Allemagne jusqu’à la Suisse, Michael Hugentobler esquisse les reliefs des ravages coloniaux avec la destruction méthodique des collections d’ethnologie sous le nazisme.
Postface de Geremia Cometti, professeur d’anthropologie à l’Université de Strasbourg
21bis, rue Arnold Géraux FR - 93450 L’Île-St-Denis
Tél.: ++33 14 038 18 14 www.serendip-livres.fr
Sur l’auteur et la traductrice
Michael Hugentobler est né en 1975 à Zurich. Aujourd’hui journaliste indépendant et auteur, il vit avec sa famille à Aarau, en Suisse. Il reçoit le Prix suisse de Littérature en 2021 pour Feuerland
Delphine Meylan est traductrice à l’Office fédérale de l’environnement et a été l’une des membres du programme Goldschmidt en 2022. Terres de feu est sa première traduction littéraire, menée en mentorat avec Isabelle Liber.
Il vit l’homme assis sur le banc, s’approcha par derrière et tendit le bras pour poser la main sur son épaule ; mais au moment où ses doigts allaient toucher l’épaule en question, ils ne trouvèrent que le vide.
L’homme, penché en avant, se leva, en manteau noir, col remonté, un chapeau melon noir sur la tête. Et alors que l’homme s’éloignait, que son ombre glissait derrière lui, le soleil inonda de ses rayons obliques un livre à la reliure marbrée rouge et bleue.
Le livre était là, sur ce banc peint en vert, tout seul, dans la foule des gens qui allaient et venaient ; on entendait le clap-clap de leurs souliers pressés et le clac-clac métallique de leurs cannes.
Il appela l’homme, il agita les bras, il cria, mais le chapeau melon se fondit dans la masse des autres chapeaux melons, et il ne vit bientôt plus que le pan d’un manteau noir se soulever, puis disparaître au milieu d’une forêt de pantalons.
Un voleur pourrait passer par là et s’emparer du livre, pensat-il, et il se précipita de l’autre côté du banc, où il s’assit : pour sûr, le propriétaire remarquerait très vite son étourderie et reviendrait. Mais il attendit, attendit et attendit encore.
Quand il baissa de nouveau les yeux sur le livre à la reliure marbrée rouge et bleue, il ressentit le désir de le toucher. Il résista cinq minutes, peut-être dix, puis il avança prudemment la main, la posa délicatement sur le banc et tâta le volume avec le petit doigt. L’annulaire suivit, qui entraîna le majeur, et enfin la main entière effleura la couverture, comme on effleure les cheveux
d’un enfant abandonné. Il se sentait si proche du livre qu’il s’en croyait devenu le nouveau propriétaire.
Alors il se réveilla. Il était couché sur le ventre, et son dos le faisait souffrir. En ouvrant les yeux, il cligna des paupières, ébloui par la lumière du jour. Sa main droite était enfouie sous l’oreiller.
Il la ramena vers lui. Et dans cette main apparut le livre à la reliure marbrée rouge et bleue qu’il avait caressé en rêve.
Vêtu d’un pyjama mauve, le professeur Hestermann était assis sur le rebord du lit et se frottait les yeux.
Par la fenêtre ouverte, il entendait, plus bas, les trains vrombir dans la gare Victoria. En haut, au-dessus des toits de Londres, il apercevait entre deux cheminées la courbe du soleil qui se levait. Le soleil, rouge comme une orange, était aveuglant, et Hestermann se retourna vers la pièce, où les murs renvoyaient une douce lumière d’un rose nacré. Il tendit le bras pour attraper son pantalon, jeté sur une coiffeuse en bois d’amboine, glissa ses doigts dans la poche arrière droite et en tira un peigne en corne brun vanille. Le peigne avait perdu quelques dents, mais pas assez encore pour que le professeur le juge inutile, et c’est ce peigne qu’il passa dans ses cheveux blancs, d’abord de gauche à droite, puis de droite à gauche, et encore une fois dans l’autre sens.
C’était le vendredi 25 février 1938, et, la veille, il avait tenu à l’University College de Londres une conférence sur la syntaxe du sumérien cunéiforme, plus précisément sur l’utilisation du verbe trois mille ans avant Jésus-Christ. Il avait eu le sentiment d’expliquer sa théorie pour la centième, non, la millième fois, et de ne prononcer que des phrases dépourvues de vie. Sans surprise, les applaudissements avaient été timides, et Hestermann, absent, y avait répondu d’un simple signe de tête.
Parmi les auditeurs se trouvait un collègue qui avait récemment publié un dictionnaire révolutionnaire sur le slang britannique et travaillait à une étymologie de la langue des truands, des tueurs et des prostituées. Ils s’étaient donné rendez-vous pour
aujourd’hui au jardin botanique afin de discuter d’une affaire importante qu’Hestermann avait déjà abordée dans une lettre. Hestermann rentrerait ensuite en Allemagne par le train de trois heures, qui faisait halte à Douvres, Calais, Bruxelles, Liège, Aix-la-Chapelle, Cologne et, enfin, Münster.
L’ethnologue et linguiste Ferdinand Hestermann, employé de l’Université de Münster, avait soixante ans, et en ce matin radieux de février, il regardait l’avenir avec inquiétude. Il se sentait comme cerné peu à peu par une vague menace. Lorsqu’il parvenait malgré tout à jeter un regard optimiste sur les prochaines années, il se voyait assis dans son bureau, avec des piles de livres qui touchaient le plafond, penché sur des pages couvertes de caractères, jusqu’au jour où, son crayon à papier lui glissant des doigts, la lumière en lui s’éteindrait.
Ferdinand Hestermann était un homme grand, très mince, avec des poignets de fillette, et si on avait pu voir ses coudes sous son pyjama mauve, on aurait constaté avec étonnement qu’ils étaient à peine plus épais que ses poignets. Ses doigts étaient longs et fins, l’index de sa main droite toujours jaunâtre. À cause de l’odeur qu’il laissait dans son sillage, la rumeur courait parmi ses étudiants qu’il dormait dans les cendres de ses cigarettes, ce qui lui avait valu le surnom de Cendrillon — personne n’ayant toutefois osé le prononcer tout haut en sa présence, le professeur n’eut sans doute jamais vent de son sobriquet. Ce qui frappait chez lui, déconcertait même, c’étaient ses yeux, plus exactement son regard, où l’on devinait une étrange colère, ou peut-être la trace d’un effroi évanoui depuis longtemps. L’impression était renforcée par des sillons verticaux qui
commençaient entre les sourcils et remontaient jusqu’à la naissance des cheveux. Ils auraient pu avoir été creusés par toutes ces années d’intense réflexion, mais une observation plus attentive révélait leur vraie nature : c’étaient des cicatrices.
Tout en oscillant de la tête, Hestermann passa le peigne sur son crâne de la tempe à l’oreille droite, puis saisit un paquet de cigarettes, mais se rappela à cet instant qu’il s’était promis de commencer la journée de ses soixante ans par un petit déjeuner.
Avec un soupir, il se pencha et tâtonna dans sa sacoche à la recherche d’un emballage marron en papier enduit où était imprimé sur fond rouge le visage rieur d’un enfant, et il sortit une biscotte.
Le professeur Hestermann emportait toujours avec lui de quoi vivre, peu importe qu’il donne un cours à Münster ou une conférence à Londres. Sa sacoche en cuir de vachette était un peu élimée et de la taille d’un gros classeur. Il y plaçait tout au fond, soigneusement rangés à côté du paquet de biscottes, une chemise, un caleçon, une paire de chaussettes noires et, au milieu, un sachet de lessive maison, un mélange très doux de cristaux de soude et de copeaux de savon ; dans une trousse en cuir tanné se trouvaient bien ordonnés sa brosse à dents, son dentifrice, deux crayons à papier et un taille-crayon en métal couleur argent ; une poche intérieure contenait son carnet et son passeport. Ici à Londres, Hestermann avait encore avec lui une pile de documents portant toutes sortes de tampons, de sceaux et de croix gammées.
Le professeur grignota un coin de sa biscotte et passa son peigne sur l’arrière du crâne en soupirant d’aise.
Il fourra le reste de la biscotte dans sa large bouche, puis fit ce qu’il faisait chaque matin depuis vingt-six ans : il s’adonna à l’étude du livre à la reliure marbrée rouge et bleue.
L’ouvrage était écrit à la main. C’était un dictionnaire consacré à la langue d’un peuple autochtone, les Yamanas, qui avaient vécu tout au sud de l’Amérique du Sud, en Patagonie, en Tierra del Fuego, la Terre de Feu. Ces indications figuraient au verso de la couverture et, comme les traductions des mots yamanas, elles étaient rédigées en anglais.
On devinait encore sur les pages les marges rose pâle des livres de comptes. La première entrée était ammbj’a, ou a’mimbj’a ou anambja ; le mot était difficile à déchiffrer, car raturé et réécrit plusieurs fois. L’auteur avait noté à l’encre bleue « épice, mauvaise herbe » puis, d’une encre noire plus opaque, « légume semblable à l’endive ». La seconde définition devait être plus récente, en avait conclu Hestermann après de longues heures d’analyse, car l’encre semblait plus fraîche. Les deux définitions le laissaient toutefois perplexe : il y avait quand même une différence de taille entre « mauvaise herbe » et « endive ». Tout le livre était émaillé de ces contrastes, certains plus nets, d’autres moins. Sous mūlahana, on trouvait l’explication « fermer la bouche », puis, ajoutée ultérieurement, la mention « nager la tête sous l’eau ».
Bien des nuits, Ferdinand Hestermann, incapable de fermer l’œil, avait fait renaître dans son esprit ce monde inconnu, un monde où les gens pouvaient par simple jalousie briser la nuque de leurs semblables à la force de leurs mains, et où il existait un mot pour le dire. Il avait appris par cœur les noms de leurs pointes
de flèche, les noms de leurs étoiles et les noms de leurs dieux. Il s’était émerveillé devant leurs verbes et leurs adjectifs, comme iskāsinana, qui signifiait « devenir grand et fort aussi vite qu’un enfant », ou kögurāiūa, que l’on disait quand on avait très faim ou quand on perdait subitement toute patience.
Il émanait de ce livre un enchantement qu’Hestermann était ravi de subir.
Que la langue d’un peuple lointain y soit décortiquée ne lui paraissait pas tellement singulier. Le mystère à ses yeux résidait dans la précision avec laquelle ces mots dessinaient les montagnes, les mers, les forêts et les gens. Quelle technique l’auteur avait-il utilisée pour rendre tout cela aussi vivant, aussi palpable ? Comment avait-il procédé pour faire naître dans l’esprit du lecteur ces images d’ombre et de lumière ? Comment expliquer un tel flamboiement de couleurs ? Dans un dictionnaire !
C’était un chef-d’œuvre, voilà tout.
L’ouvrage avait donné naissance à son propre genre, c’était une créature chimérique, tantôt description de paysage, tantôt recherche ethnologique, tantôt tableau ou poème ; et tout cela, souvent, se trouvait réuni dans une seule définition, ou plutôt un pêle-mêle de versions, une incroyable profusion de fragments de vie recueillis. Rien que cette description de la loutre ! Le scintillement de son pelage ! Cette sensation de chaleur au toucher — une façon presque maniaque de fixer le vécu ! Ce n’étaient pas des entrées de dictionnaire : Hestermann avait parfois le sentiment que l’ouvrage, sous couvert d’être un simple lexique, était
en réalité un plan, un mode d’emploi pour fabriquer un morceau de monde si celui-ci venait un jour à disparaître.
C’était une copie de la réalité sous forme de mots, un graal philosophique, ni plus ni moins.
Un jour, à Münster, il n’avait pas retrouvé le livre dans sa collection ; soudain nerveux, il avait parcouru en long et en large l’enceinte de l’université, errant d’amphithéâtre en amphithéâtre, demandant à des inconnus : « Avez-vous vu mon livre ? », après quoi il avait collé un avis de recherche sur des colonnes d’affichage, implorant la personne qui mettrait la main dessus de l’apporter à son bureau immédiatement, merci bien, récompense assurée. Mais peu après, il avait repéré l’ouvrage chez lui, dans le placard de la cuisine, coincé entre deux paquets de biscottes. Depuis, il avait pris l’habitude de le ranger dans sa sacoche, soucieux que cela n’arrive plus. Il voulait l’avoir près de lui et, bientôt, il ne fut plus capable de s’endormir sans le livre sous son oreiller. Quand il avait enfin trouvé le sommeil, il rêvait souvent de cette scène : le livre posé sur le banc peint en vert, et l’homme en manteau, coiffé d’un chapeau, qui se volatilisait.
Le professeur Hestermann passa son peigne sur ses sourcils, plissant le front avec délectation. Il s’enfonça dans l’oreiller de l’hôtel, le livre bascula sur sa poitrine, et il effleura la couverture du bout des doigts. Enfin, il plaça le peigne entre les pages et referma le volume.
Son regard balaya les murs de la chambre, le damas couleur ivoire, le fauteuil en chagrin vert et les lampes en opaline, dont la forme n’était pas sans rappeler les fleurs de la trompette des anges. Il vit alors dépasser de l’abat-jour le plus proche, celui de la
lampe de chevet, trois fines pattes velues ; il leva la tête et aperçut une araignée domestique, sans doute une tégénaire, ornée d’un motif léopard sur l’abdomen. Hestermann alla chercher un verre dans la salle de bain, se pencha vers la lampe, plaça le verre sous les pattes avant et, d’un geste millimétrique de l’index droit, poussa l’animal pour qu’il rampe à l’intérieur. Couvrant délicatement le verre de sa paume, il se dirigea vers la fenêtre, ouvrit celle-ci du coude et déposa l’araignée dehors, sur le rebord en pierre. Il était probable — seulement probable — qu’elle meure bientôt de froid. Dedans, elle aurait été vouée à une mort certaine et cruelle par insecticide.
Il referma la fenêtre et resta un moment à observer l’araignée. Une odeur de poussière chaude lui parvenait du radiateur électrique, et, dans le rayon de soleil qui filtrait, il vit de fines particules en suspens qu’il fit danser de la main. L’idée lui passa par la tête qu’il faudrait remercier l’University College de lui avoir réservé cette chambre luxueuse, pensée fugitive qui disparut aussi vite que s’envole l’hirondelle.
Il s’allongea de nouveau sur son lit, ferma les yeux comme chaque fois qu’il souhaitait y voir plus clair, et des images de guerriers nus envahirent son esprit.
Il s’assoupit.
Lorsqu’il se réveilla soudain, il tendit le bras et consulta sa montre-bracelet. Il se leva, ôta son pyjama, l’enfonça dans sa sacoche, puis saisit sur la chaise son pantalon, sa chemise et sa veste qu’il enfila à la hâte.
Tandis qu’il traversait la gare Victoria au pas de course pour rejoindre le métro, une manche mauve, tel un étendard suspendu
à la sacoche professorale, flottait derrière lui dans le parfum du matin naissant.
Auteur ayant traité des thématiques semblables: Milan Kuudera
Schwazzenbach – Nuits blanches à Lützelflüh
Francesco Micieli Traduit de l'allemand par Christian Viredaz
PRÉSENTATION
« Être étranger, c’est mon job. Je suis le porte-parole de l’étrangéité. »
Le 16 juin 1970, les hommes suisses* rejettent l’initiative Schwarzenbach par 54 % de non. Cette votation demandait à ce que la population soit limitée à 10% d'étrangers.
« Les Italiens dehors! » était-il écrit sur le pupitre d'Angelo, alors âgé de 16 ans. Angelo décide de ne plus se couper les cheveux et montrer ainsi une gueule de « sale rital ». Quarante ans plus tard : Angelo, l’alter ego de Micieli, est invité au village où il a grandi, fils d’ouvriers italiens immigrés, pour donner une conférence sur Gotthelf. Le récit a pour cadre les trois jours durant lesquels l’« émigrant », qui désormais s’est fait une situation, prend le temps de se souvenir. Il interroge son passé et les personnes côtoyées à cette époque.
Peut-on ranger le souvenir? Est-ce que cela console que chacun aimerait dissimuler sa propre xénophobie?
Francesco Micieli n'a de cesse d'interroger ces questions des frontières nationales et linguistiques et nous livre un roman d'une brûlante actualité.
*Le suffrage féminin ne sera introduit en Suisse que le 7 février 1971!
AUTEUR
DIFFUSION ET DISTRIBUTION FRANCE
Paon diffusion/SERENDIP livres
Né en 1956 à Santa Sofia d'Épiro, en Italie, Francesco Micieli est aujourd'hui auteur indépendant et habite à Berne. Il vit en Suisse depuis 1965. Il a fait des études d'allemand et de langues romanes à Berne, Cosenza et Florence avant de devenir comédien, auteur et metteur en scène et d'enseigner l'écriture littéraire.
Franceso Micieli a publié aux éditions d'en bas, tout d'abord dans la collection bilingue en 2011, Ich weiss nur, dass mein Vater grosse Hände hat/Je sais juste que mon père a de grosses mains puis en 2013, la trilogie, Je sais juste que mon père a de grosses mains – Le rire du mouton – Mon voyage en Italie, tous deux traduits par Christian Viredaz.
Paon diffusion – 44 rue Auguste Poullain – 93200 SAINT-DENIS
SERENDIP livres – 21 bis rue Arnold Géraux 93450 L'Île-St-Denis +33 140.38.18.14
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Maman remontait les escaliers en toute hâte. L’ombre de ses pas jetait sur le papier peint aux motifs de fleurs blanches une atmosphère nerveuse.
« Nerbboso » et « Nerbbi », disait Mario.
« Ils veulent tous nous chasser, on leur demande s’ils veulent nous expédier loin du pays », disait-elle, « à nous, personne a jamais posé la question. Notre État savait même pas qu’on existe. »
Mon frère et moi n’osions pas la regarder. Elle nous raconterait de nouveau comment elle avait attendu des années jusqu’à ce qu’elle ait le droit de nous faire venir en Suisse, qu’elle avait pleuré tous les soirs parce qu’il lui fallait être sans ses enfants.
« J’ai fait à manger », disais-je. Maman ne réagissait pas. Elle ôtait ses chaussures, se couchait sur le vieux canapé sous lequel mon frère et moi soupçonnions la présence de notre grand-père mort, quand nous étions seuls.
« Ils voteront pas Oui », essayais-je de la tranquilliser d’une voix d’adulte.
« D’où tu crois savoir ça ? »
« Je vais au Gymnase. »
Ma mère ne disait rien. Probablement qu’elle pensait que ses parents n’avaient pu aller à l’école que jusqu’en deuxième année.
« Avoir des enfants, c’est avoir des ouvriers », disait chaque fois son père en bombant le torse.
1970 était une année sombre. Le vert de la Suisse avait une teinte d’un blanc jaunâtre, comme les plantes qui poussent à la cave. Angelo était en Suisse depuis cinq ans et il allait au Gymnase bourgeois de Burgdorf. Il ne devait pas se faire remarquer, car sa mère avait peur de devoir retourner chez son père à elle. Son père qui la toiserait comme une ratée, une imbécile tombée dans le piège de la surpopulation étrangère.
Les Beatles s’étaient séparés, Janis Joplin et Jimi Hendrix étaient morts, James Schwarzenbach voulait décimer les Italiens. Angelo décida de ne plus se couper les cheveux et avait une gueule de « sale rital ». À l’école, il devait s’asseoir tout derrière, parce que son look afro bouchait aux autres la vue du tableau noir. Il voulait aussi ne plus se doucher et ne plus manger que de l’ail. Pour correspondre à cent pour cent à l’image toute faite, il prit un cours de lancer de couteaux au cirque Frontiera.
Par moi, ma mère était dépassée. Elle voulait se cacher, mais avec un fils attirant à ce point l’attention, ce n’était pas possible.
S’il m’était resté encore un souhait, j’aurais souhaité à ma mère une enfance.
Une vraie enfance. Une enfance sans coups, sans haine et sans angoisse. Une enfance qui fait que tu aimes rentrer à la maison, parce que là il y a tes parents, qui te donnent amour et protection.
Au-dessous de moi, les pantoufles commencent à bouger, elles se transforment en rats. J’aimerais m’excuser auprès de ma mère, mais ce n’est plus possible. Quand elle était sur son lit de mort, elle voulait parler et non écouter. Transformer la morphine en langage, balbutier, pleurer, être en colère contre tout le monde.
La porte du bâtiment scolaire s’ouvre de façon menaçante, les rats sont très agités, je dois m’en aller. Dehors, je me rends compte que j’ai oublié ma veste. Elle doit pendre là-bas, sans corps, l’air d’un mauvais souvenir. Souvent, les vêtements sans les humains qui vont avec ont l’air pitoyable.
Silence.
Les tables avaient l’air de pélicans, quand on les ouvrait. Dans la mienne, j’ai trouvé un épi de maïs. Maiser ! Oui, j’étais un bouffeur de maïs.
Devais-je me demander qui l’avait fait ?
Fallait-il que je regarde chacun de mes camarades dans les yeux ?
Demander : « C’était toi » ? Fallait-il l’ignorer ?
Un silence s’est fait dans la classe comme après un accident. Tout continue, c’est vrai, les voix, les mouvements, on ouvre et referme les tables, c’est juste que le silence en toi avale tout cela
POÉSIE
COLLECTION AU CŒUR N°3
10 € / 36 p. / 14 x 20 cm
tirage : 1000 ex. parution : février 2025 isbn : 978-2-493324-09-2
• une figure incontournable des mouvements féministes et intersectionnels
• une affiche illustrée : une cartographie des luttes par maya mihindou
• un poème coup-de-poing
Besoin urgent : choral pour voix de femmes Noires
le poème coup-de-poing de audre lorde, poètesse incontournable des luttes intersectionnelles
Besoin urgent : choral pour voix de femmes Noires (1979) est le dernier poème de l’anthologie Contrechant, rassemblée par l’autrice peu avant sa mort. Dans ce texte puissant, elle ressuscite la voix de femmes noires mortes dans l’indifférence et réhabilite leur mémoire de manière magistrale.
Pour accompagner ce poème, une affiche détachable reprend une cartographie dessinée par Maya Mihindou. Ce schéma a été pensé et dessiné à partir de la lecture d’Audre Lorde et de nombreuses autrices à cheval entre l’Occident et les Suds.
C’est une proposition de compilations des mémoires des luttes.
Audre Lorde (1934-1992)
Audre Lorde est une figure de proue des luttes féministes, lesbiennes et intersectionnelles de la deuxième moitié du xxe siècle. Bibliothécaire, enseignante, éditrice, essayiste et poètesse, elle encourage sa vie durant les femmes, et particulièrement les femmes noires, à prendre conscience de la force qui émane du langage et à « transformer le silence en parole et en acte ».
Disparue des suites d’un cancer, elle laisse derrière elle de nombreux ouvrages, conférences et réflexions qui mettent en perspective toutes formes de discrimination.
POÉSIE
COLLECTION AU CŒUR N°3
Une affiche illustrée par Maya Mihindou illustratrice marseillaise (visuel non contractuel).
Imprimée sur papier de création. Carte détachable, 21 x 29,7 cm.
AU COEUR DU TEXTE, UNE ILLUSTRATION ORIGINALE
POUR EXPRIMER VISUELLEMENT
L’ESSENCE DU TEXTE, POUR FAIRE RÉSONNER LES SENSIBILITÉS, LES IDÉES, LES TEMPORALITÉS.
« Cette femme est Noire et son sang est versé en silence cette femme est Noire et son sang tombe à terre comme les fientes d’oiseaux qu’emportent le silence et la pluie. »
La collection Au Cœur est dédiée à des textes de format court, illustrés au cœur. Elle a été conçue comme plongée inédite dans un univers littéraire, en en révélant un aspect saillant, novateur ou peu connu des écrivaines, poétesses et militantes choisies.
Collection publiée avec le soutien de la Région Sud.
BESOIN URGENT : CHORAL POUR VOIX DE FEMMES NOIRES EXTRAIT DE L’ANTHOLOGIE CONTRECHANT
ÉD. LES PROUESSES, 2023, TRAD. COLLECTIF CÉTELLE
Besoin urgent : choral pour voix de femmes Noires
Pour Patricia Cowan1 et Bobbie Jean Graham† et les centaines d’autres Femmes Noires mutilées dont les cauchemars inspirent ces paroles.
ta ta ta la cafteuse ta langue on coupera et tous les p’tits garçons en feront des bonbons — Comptine
(Poète)
Cette femme est Noire et son sang est versé en silence cette femme est Noire et son sang tombe à terre comme les fientes d’oiseaux qu’emportent le silence et la pluie.
(Pat)
Pendant longtemps après l’arrivée du bébé je ne suis plus sortie et je me suis sentie drôlement seule. Et puis Bubba a posé des questions sur son père ça m’a poussée à retrouver mon sang je rencontrerais peut-être quelqu’un on pourrait faire du chemin ensemble faire que le rêve soit réel.
1 Patricia Cowan, 21 ans, tuée à coup de marteau, à Détroit, en 1978. † Bobbie Jean Graham, 34 ans, battue à mort, à Boston, en 1979. Une des douze femmes noires assassinées en l’espace de trois mois dans cette ville.
Une annonce dans le journal disait « Besoin urgent : cherche actrice Noire à auditionner pour la pièce d’un Dramaturge Noir. » J’avais hâte de retravailler et ça semblait un bon début en rentrant de l’école avec Bubba j’ai répondu à l’annonce.
Au milieu du deuxième acte il m’a enfoncé un marteau dans la tête.
(Bobbie)
Si tu es renversée en plein milieu de Broadway par un dix-tonnes ta poitrine enfoncée porte la marque d’un pneu et ton foie éclate comme une balle en caoutchouc.
Si tu es écrasée par un bloc de pierre éboulé d’une colline mal étayée ta mort porte l’empreinte du rocher.
Mais quand ton petit ami méthodiquement te bat à mort dans la ruelle derrière ton appartement tandis que les voisins baissent leurs stores parce qu’ils ne veulent pas être impliqués la police appelle ça un crime « passionnel » pas un crime haineux.
Et pourtant je suis morte d’un foie lacéré et de l’empreinte d’un talon d’homme sur ma poitrine.
(Poète)
Les femmes Noires mortes hantent les rues tenues par les hommes noirs
payant la dîme de sang secrète et familière de nos villes sang des brûlures sang des coups sang des coupures enfant de sept ans victime de viol sang d’une grand-mère sodomisée sang sur les mains de mon frère nous les femmes étions destinées à saigner mais pas ce sang inutile chaque mois un mémorial à mes sœurs inexprimées tombées gouttes rouges sur l’asphalte.
(Toutes)
Nous n’étions pas destinées à saigner symbole ne rédimant personne Est-ce notre sang qui rend ces villes fertiles ?
(Poète)
Je ne connais même pas tous leurs noms.
Les morts de femmes Noires ne méritent pas d’être mentionnées pas assez menaçantes ni assez esthétiques pour décorer le journal du soir pas assez importantes pour être fossilisées entre les manifs pour le droit à la vie et les marches contre le contrôle des armes nous sommes des déchets dans la guerre de cette ville sans médailles sans échange de prisonniers sans colis des familles sans permission pour bonne conduite sans victoires. Sans vainqueurs.
(Bobbie)
Comment puis-je construire une nation si je crains de sortir au clair de lune de peur de perdre mon pouvoir si je crains de parler haut de peur que ma langue soit coupée mes côtes enfoncées par un costaud du coin mon foie irrigant de son sang le pavé.
(Toutes)
À combien d’autres morts survivons-nous chaque jour en prétendant être vivantes ?
III
(Pat)
Quelle terreur a brodé sur ta haine mon visage quel ennemi incontesté a endossé à tes yeux ma douce chair brune est venu armé contre toi avec mon seul rire mon art promesse d’espoir mes cheveux qui attrapent la lumière du soir mon jeune fils impatient de voir sa maman travailler ?
En première page Mon sang se fige dans les crevasses de tes doigts levés pour effacer un demi-sourire sur tes lèvres.
À tes côtés un policier blanc se penche sur mon fils en sang qui se décomposant devient ce frère qui m’a traquée en faisant sonner son marteau.
J’ai besoin de toi. Pour quoi ?
N’y avait-il pas de meilleur endroit où creuser pour trouver ta virilité que dans mes os de femme ?
(Bobbie)
Et pour quoi as-tu besoin de moi, frère, pour que j’agisse pour toi ressente pour toi meure pour toi ?
Nous avons terriblement besoin l’un de l’autre mais tes yeux ont soif de vengeance nappée du sang le plus facile et je suis la plus proche.
(Pat)
Quand tu m’as ouvert la tête avec ton marteau le boogie a-t-il cessé dans ton cerveau le tempo a-t-il continué la terreur s’est-elle échappée de toi comme une fureur rance un demi sourire sur tes lèvres ?
Et ta virilité s’est-elle retrouvée dans mon crâne comme un poisson pris dans un filet ou s’est-elle répandue comme du lait ou du sang ou une furie impuissante entre le bout de tes doigts tandis que ton marteau fendait mes os pour laisser passer la lumière l’as-tu touchée quand elle s’est envolée ?
(Bobbie)
Des cantiques d’emprunt voilent une haine mal placée qui disent que tu as besoin de moi tu as besoin de moi tu as besoin de moi un tambour brisé qui m’appelle déesse Noire espoir Noir force
Noire mère Noire et pourtant tu me touches et je meurs dans les ruelles de Boston l’estomac piétiné sous le creux de mes reins mon crâne défoncé par un marteau à Détroit un couteau cérémoniel dans le vagin exploité de ma grand-mère le corps brûlé découpé par commodité dans un terrain vague je gis dans le sang de minuit comme une ville rebelle poussée par les bombes à une soumission feinte tandis que nos ennemis détiennent toujours pouvoir et jugement sur nous toutes.
(Bobbie et Pat)
As-tu besoin de moi soumise à la terreur la nuit pour me couper en morceaux et les fourrer encore chauds dans des sacs près du coude de la Harlem River on m’a trouvée gonflée de huit mois par ton besoin as-tu besoin de moi pour me violer dans ma septième année du sperme mêlé de sang aux coins de ma bouche d’enfant tandis que tu m’accuses de te séduire.
(Toutes)
As-tu besoin de moi pour que j’imprime sur nos enfants la destruction que nos ennemis impriment sur toi comme un semi-remorque ou une avalanche nous détruisant tous deux rapportant leur haine à la maison
tu réapprends ce que je vaux dans une monnaie ennemie.
IV
(Poète)
Je me méfie d’un besoin qui a le goût de la destruction.
(Toutes)
Je me méfie d’un besoin qui a le goût de la destruction.
(Poète)
Qui apprend à m’aimer de la bouche de mes ennemis marche au bord de mon monde fantôme en manteau cramoisi et les livres des rêves parlent d’argent mais mes yeux disent la mort.
La partie la plus simple de ce poème est la vérité en chacune de nous à laquelle il s’adresse.
Jusqu’où puis-je supporter de voir cette vérité et pourtant continuer à vivre sans être aveuglée ?
Jusqu’où puis-je exploiter cette douleur ?
« Nous ne pouvons vivre sans nos vies. »
(Toutes)
« Nous ne pouvons vivre sans nos vies1. »
[1979, 1989]
1 « We cannot live without our lives », titre d’un poème de Barbara Deming.
ESSAI
COLLECTION AU CŒUR N°4
10 € / 36 p. / 14 x 20 cm tirage : 1000 ex. parution : février 2025 isbn : 978-2-493324-10-8
• un texte indispensable à la construction de la pensée féministe d’aujourdhui
• un discours simple et lapidaire, déterminé par « la création d’une société sans domination »
• une traduction inédite de l’anglais par marie chuvin
Le sens de notre amour pour les femmes
un plaidoyer fondateur de la pensée féministe-lesbienne, par l’une des écrivaines américaines les plus influentes de son temps
Le sens de notre amour pour les femmes est ce que nous devons constamment faire grandir est un plaidoyer écrit en 1977, dans lequel Adrienne Rich appelle de ses vœux l’avènement d’un mouvement lesbien/féministe militant et pluraliste, « pour une transformation complète de la société et de notre relation à toute vie. Il va bien au-delà de toute lutte pour les libertés civiles ou l’égalité des droits – aussi nécessaires que soient ces luttes. Dans sa forme la plus profonde et la plus inclusive, il s’agit d’un processus inévitable par lequel les femmes revendiqueront notre vision première et centrale dans la construction de l’avenir... »
Éclairage par une autrice contemporaine.
Adrienne Rich (1929-2012)
Adrienne Rich est une poétesse et essayiste américaine. Son œuvre à la férocité fulgurante et emphatique a mis l’oppression des femmes et des lesbiennes au premier plan de son discours poétique et politique. Elle est l’une des intellectuelles publiques américaines les plus connues. Triplement marginalisée – en tant que femme, lesbienne et juive – Adrienne Rich s’est intéressée dans sa poésie, et dans ses nombreux essais, à la politique identitaire bien avant que le terme ne soit inventé.
FICTION
COLLECTION AU CŒUR N°4
Comment puis-je construire une nation si je crains de sortir au clair de lune de peur de perdre mon pouvoir si je crains de parler haut de peur que ma langue soit coupée mes côtes enfoncées par un costaud du coin mon foie irrigant de son sang le pavé.
AU COEUR DU TEXTE, UNE AFFICHE TYPOGRAPHIQUE
POUR FAIRE REJAILLIR, L’ESSENCE DU TEXTE
POUR FAIRE RÉSONNER LES SENSIBILITÉS, LES IDÉES, LES TEMPORALITÉS.
Une affiche typographique par Audrey Voydeville
Imprimée sur papier de création.
Carte détachable, 21 x 29,7 cm.
La collection Au Cœur est dédiée à des textes de format court, illustrés au cœur. Elle a été conçue comme plongée inédite dans un univers littéraire, en en révélant un aspect saillant, novateur ou peu connu des écrivaines, poétesses et militantes choisies.
Collection publiée avec le soutien de la Région Sud.
collection mémoires
18 € / 128 p. / 14 x 20,5 cm tirage : 1000 ex. parution : 08/11/ 2024
ISBN : 978-2-493324-11-5
• un texte fondateur du matrimoine littéraire, enfin traduit.
• une écriture de soi poétique, d’une liberté sauvage, au service d’un peuple.
• un cri de fierté et de révolte.
L'Oiseau rouge
Mémoires d'une femme dakota
Zitkála-Šá, tour à tour écrivaiNe, musicieNNe et activiste pour les droits autochtoNes, fait le récit persoNNel d’uNe vie de femme dakota.
Véritable cri de fierté et de révolte, ce recueil de récits forme la première autobiographie d’une femme dakota. Acculturée par une scolarité chez les missionnaires, elle raconte son parcours d’émancipation et de lutte. Écrits entre et 1900-1902, ces textes intimes et politiques défendent avec force les droits de son peuple et la richesse de sa culture.
« Pour les écritures des Blancs, j’avais abjuré ma foi en le Grand Esprit. Pour elles encore, j’avais oublié la guérison puisée dans les arbres et les ruisseaux. Parce qu’elle avait une vision de l’existence simpliste et que je manquais de jugement, j’abandonnai ma mère aussi. Je ne me fis aucun ami chez les gens dont je détestais la race. Comme un arbre gracile, on m’avait déracinée de ma mère, de la nature et de Dieu ; on avait coupé mes branches, agitées de mouvements d’amour et d’amitié envers ma famille et les miens. On m’avait écorcée jusqu’au cœur, me dépouillant de mon enveloppe organique, protection de mon essence trop sensible.»
Publiés dans la revue The Atlantic Monthly, ces quatre récits firent sensation, contrastant avec la propagande colonialiste de l’époque où il s’agissait de « tuer l’Indien et sauver l’homme ». L’autrice y expose également ses croyances spirituelles, bien loin du dogme chrétien imposé dans les réserves.
Nouvelle éditioN avec uNe préface iNédite de BiaNca JouBert.
« ô, mes sœurs, travailleZ à cette fiN ; travailleZ eNsemBle pour que cesseNt les mauvais traitemeNts iNfligés à moN peuple daNs ce pays »
Zitkála-Šá fait ainsi appel lors du congrès bisannuel de la general fderation of women’s clubs à la notion de sororité, persuadée que les femmes ont un rôle politique à jouer dans les combats des minorités...
Zitkála-Sá (1876-1938)
Zitkála-Šá, dont le nom signifie « Oiseau rouge », naît le 22 février 1876 dans une réserve « Yankton sioux Tribe » du Dakota du Sud. Également connue sous le nom de Gertrude Simmons Bonnin que lui ont donné les missionnaires, elle est une écrivaine, éditrice, musicienne et activiste pour les droits autochtones. Dans ses ouvrages, elle a décrit la difficulté d’être « Amérindienne » dans la société américaine. Elle a également écrit le premier opéra amérindien et elle fut présidente du National Council of American Indians, association militant pour les droits civiques.
Zitkála-Šá a entrepris un grand travail de collecte des contes et légendes de son peuple. Mais elle a également publié des écrits beaucoup plus politiques, sur le traitement des «Amérindiens», sur sa propre expérience et ses combats de jeunesse entre sa culture et la culture blanche dominante qui lui était imposée.
Ses écrits, entre la littérature et l’essai politique, sont très marqués par cette tension entre la tradition et l’assimilation forcée.
Les illustrations et les lettrines qui figurent sur la couverture et la page de titre, sont tirées du travail graphique et typographique de Hinook-Mahiwi-Kalinaka, également connue sous le nom chrétien de Angel De Cora. Née en 1871, elle était une peintre, graphiste, enseignante et militante pour la cause des Autochtones. Contemporaine de Zitkála-Šá, elle est née dans la réserve de Winnebago, dans le Nebraska, et faisait partie du groupe HoChunk. Comme Zitkála-Šá, elle fut enlevée par des missionnaires pour recevoir une éducation chrétienne, dans le cadre de la politique assimilationniste de l’époque. Elle fit preuve d’un talent exceptionnel pour la peinture et les arts graphiques. À travers son art, elle n’eût de cesse de mettre en valeur les spécificités et les imaginaires foisonnants des Nations autochtones.
Née à Montmagny en 1972, Bianca Joubert vit à Montréal. Écrivaine-voyageuse, elle a œuvré comme journaliste indépendante et photographe, est diplômée en arts visuels et pratique la danse. Elle explore l’altérité, les migrations humaines, les questions liées à l’identité et au colonialisme, faisant coïncider le poétique et le politique. Deux fois récipiendaire des prix littéraires Radio-Canada. Son troisième roman L’Amérique n’est blanche qu’en hiver est paru aux éditions Les Avrils en 2023.
La traductrice : Marie Chuvin
Marie Chuvin est traductrice littéraire et membre du comité editorial Les Prouesses. Elle a traduit de nombreux romans (Gallimard, Philippe Rey, éditions du Portrait) et articles de presse et a co-fondé la revue « L’Esprit Européen ».
L’éclairage historique : Céline Planchou
Céline Planchou est maîtresse de conférences en histoire des États-Unis à l’université Sorbonne Paris Nord. Son travail porte sur le triangle État fédéral, nations autochtones et États, notamment à travers les politiques de protection de l’enfance, et sur les résurgences autochtones dans les petites villes de l’Ouest américain comme Rapid City. Elle est aussi membre du CSIA-Nitassinan, une assocation française qui soutient les luttes des peuples autochtones dans les Amériques depuis 1978.
éditions Hourra
genre poésie, récit, essai thèmes
amour, histoire de l’art, essai politique
fiche technique
160 pages
offset noir
Sirio color Flamingo & Arena Ivory brochures cousues
format 11x18 cm prix 22 €
traduction Katya Berger après-propos Liza Maignan
parution le 03/05/2024
contact
diffusion
Paon diffusion paon.diffusion@gmail.com
distribution
Serendip-livres contact@serendip-livres.fr
édition
Hourra contact@editions-hourra.net
Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos John Berger
isbn 978-2-491297-07-7
littérature anglaise
Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos, paru en Angleterre en 1984, est un texte majeur de John Berger qui fait autant appel à des formes poétiques qu’à de l’essai politique. En fil rouge de considérations sur le monde, sur l’histoire de l’art, on retrouve un tendre récit adressé à l’être aimé.
Le texte est ici présenté dans une nouvelle traduction par Katya Berger et commenté en clôture de livre par Liza Maignan.
éditions Hourra
Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos
John Berger
isbn 978-2-491297-07-7
littérature anglaise
Poème qui ouvre le récit dont est issu le titre du livre. ↑
éditions
Hourra
Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos
John Berger
isbn 978-2-491297-07-7
littérature anglaise
commentaire du livre par christian bobin en 1991
Quand j’ai refermé ce livre, j’ai pensé à un passage de l’évangile de saint Luc. C’est un jour, dans l’été. Les apôtres traversent un champ de blé : « et ils arrachaient et mangeait des épis en les froissant dans leurs mains. » Et bien ce livre est écrit comme ça : par un homme qui est plusieurs, par un homme qui a douze voix pour nommer son amour, par un homme qui traverse l’épaisseur du monde pour suivre son amour, ralentissant à peine son pas pour se nourrir des beaux épis du songe. La fuite d’un lièvre, l’entêtement des pauvres, la brillance d’un lilas, la lassitude d’une postière ou le gémissement d’un arbren tout lui est nourriture, élément d’une lettre à l’aimée. Celui qui aime est en exil dans son amour. Jamais il ne rejoindra celle qu’il aime, même dans la rivière du lit, même dans le feuillage de ses bras. Cette distance entre les amants est celle aussi qui sépare l’ouvrier de sa peine, le peintre de la lumière, les vivants des morts. Dans cette distance infranchissable s’enflamment ces mots : je te découvre dans tout ce qui t’éloigne. Je te rejoins dans tout ce qui me manque. C’est tout. C’est tout ce que pour l’heure je saurais dire de ce livre insensé - à peine un livre en vérité : un sillage dans le milieu des blés, un chemin tout vibrant de lumière.
pourquoi on le réédite
Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos, paru en Angleterre en 1984, est un texte majeur de John Berger qui se situe à l’intersection entre plusieurs genres littéraires, entre différents propos. On y retrouve une succession d’essais sur littérature, la poésie, l’art, le politique. On y retrouve aussi de l’intime, des considérations sur le quotidien, et comme fil rouge de la narration, une adresse directe à l’autre, à l’être aimé.
Ce texte, remarquable par la qualité de son écriture, alterne avec finesse entre des poèmes et des textes de théorie esthétique ou politique. A sa sortie, John Berger avait participé à un projet avec le photographe Marc Pataut, Aulnay-sous-Quoi, - on a pu l’entendre lire et parler sur France Culture - et ce texte continue aujourd’hui de résonner fortement avec la scène artistique contemporaine, il fait toujours référence pour les artistes à l’engagement social marqué.
En publiant ici une nouvelle traduction et en commandant une postface à Liza Maignan, nous prétendons rendre accessible ce texte à une génération qui n’était pas née à sa publication mais qui continue de se poser les mêmes questions que John Berger en son temps.
éditions Hourra
Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos
John Berger
isbn 978-2-491297-07-7
littérature anglaise
↑ Passage iconique du livre, où figure un simple rectangle blanc, John Berger décrit une photographie, en fait un commentaire politique. A l’heure où une simple oreille photographiée peut conduire un manifestant en prison, ce passage est très précieux tant il nous parle de la responsabilité des images, de la nécessité de parfois s’abstenir d’en faire ou d’en diffuser.
éditions Hourra
ce qu’on y trouve
Ce texte est un poème, un conte, un manifeste, à l’amour et sa distance. Pour John Berger, tout est prétexte à témoigner de son amour.
La première partie, pour laquelle il est question du temps, évoque : La photographie d’identité, la fuite d’un lièvre, Karl Marx, l’observation des visages, les travailleurs révolutionnaires, Rembrandt, un poirier, un bureau de poste.
La seconde partie, pour laquelle il est question de l’espace, évoque : La distance, la fleur du lilas, la notion de home, l’émigration, Van Gogh, le Caravage, l’univers, la poésie.
Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos
John Berger
isbn 978-2-491297-07-7
littérature anglaise
éditions
Hourra
Et nos visages, mon cœur, fugaces comme des photos
John Berger
isbn 978-2-491297-07-7
littérature anglaise
john berger - auteur
John Berger (1926-2017) est un écrivain anglais. Il est remarqué pour sa série documentaire de critique d’art Ways of Seing, diffusée sur la BBC en 1972, mais aussi pour avoir obtenu le Booker Prize pour son roman G la même année. Son engagement politique, constant au fil de sa carrière, le poussera à partager sa récompense avec le Black Panther Party.
liza maignan - après-propos
Liza Maignan (1990) est autrice, directrice de la galerie Florence Loewy et commissaire d’exposition française. Son travail d’écriture a fait l’objet de publications dans des ouvrages collectifs et a bénéficié de la bourse TextWork en 2023 pour une recherche sur les Rumeurs des villes
katya berger - traductrice
Katya Berger Andreadakis (1961) est une autrice et traductrice anglaise. Fille de John Berger, ayant vécu longtemps en HauteSavoie, elle traduit nombre de ses livres vers le français. Elle est co-autrice de la pièce de théâtre Est-ce que tu dors ? (2012) et du livre Titien, la nymphe et le berger (2003).
la maison d’édition
— Honneur à celles par qui le scandale arrive ! Hourra : cri de joie, cri de guerre
Les éditions Hourra publient de la poésie et des écrits sur l’art. Créée en 2019 sur la montagne limousine, la maison naît de l’envie de défendre des pratiques d’écritures marginales où se rencontrent le poétique et le politique. Fruit d’amitiés et d’intuitions communes, elle réunit des artistes et des autrices pour qui la révolte fait corps avec la beauté.
éditions Hourra |36, avenue Porte de la Corrèze |19170 Lacelle www.editions-hourra.net
demain les flammes littérature
ean : 9782492667077
Parution : septembre 2023
Pagination : 128 p.
format : 11,5 x 17,8 cm
Prix : 13 €
Aaron Cometbus, l’écrivain inconnu le plus connu d’Amérique
AAron Cometbus
L’esprit de Saint-Louis
Ou comment avoir le cœur brisé, une tragédie en vingt-quatre actes
Traduit de l’anglais par David Mourey
Tout commence par une histoire tellement rebattue qu’elle s’est usée à force d’être racontée. On l’avait déposé là, dans une ville loin de chez lui où il ne connaissait personne, il était désespéré, etc. Mais voici la suite. L’authentique dénouement d’une explosion d’énergie juvénile, les premiers pas dans le monde, et tout le chemin parcouru pendant les quinze années suivantes : six foutus pâtés de maison. C’est tout. Ce livre raconte l’histoire d’un échec, d’un échec déguisé en succès, de déconvenues totales, de succès qui tournent au fiasco à la dernière minute. Par l’entremise de l’odyssée d’une bande de punks que rien n’arrête, ni les flammes, ni la vieillesse, ni les défections, on y découvrira comment la vie peut devenir un cauchemar ou une farce, et comment cela peut arriver sans crier gare et malgré nos bonnes intentions. Le tout en vingt-quatre actes.
Aaron Cometbus, l’écrivain inconnu le plus connu d’Amérique, publie le fanzine Cometbus depuis 1981. Demain les flammes a traduit à ce jour cinq de ses livres.
demain les flammes
43, rue de Bayard / 31000 Toulouse contact@demainlesflammes.fr / demainlesflammes.fr
l’esPriT de sainT-louis
Tout commence par une histoire tellement rebat tue qu’elle s’est usée à force que je la raconte. on m’avait déposé là, dans cette ville loin de chez moi où je ne connaissais personne, j’étais désespéré, etc.
Mais voici la suite. L’authentique dénouement de cette première explosion d’énergie juvénile, mes premiers pas sans filet dans le monde, mon grand « au revoir ». et, quinze ans plus tard, quel chemin avais-je parcouru ? six foutus pâtés de maisons. C’est tout.
Voici l’histoire d’un échec, d’un échec déguisé en succès, de quasi-succès en pagaille, de déconvenues totales, de succès que l’on évite soigneusement et qui tournent au fiasco à la dernière minute. Voici comment la vie peut délibérément devenir un cauchemar ou une farce – et comment, aussi, cela arrive par accident, presque incidemment, ou grâce à nos bonnes intentions et à notre ambition.
l’esPriT de sainT-louis
Au commencement, il y a les r ats.
Je les ai rencontrés le premier soir où je suis arrivé en ville : spike, Brett, rob, Wayne Numéro un, Wayne Numéro Deux, et le seul r at féminin, Jody Lee – l’œil du cyclone. J’ai aperçu rob en premier, car il était arrivé au club avant tout le monde, et moi j’attendais dehors. « Alors comme ça tu viens de Berkeley ? », m’a-t-il dit, tel un voyant. Je me suis rendu compte au bout d’une heure de discussion qu’il pensait que je faisais partie du groupe qui passait ce soir-là.
sur le coup, je croyais encore en ma bonne étoile. J’avais atterri là, dans cet endroit loin de chez moi où je ne connaissais personne, et où pile ce soir-là jouait un groupe de ma ville : Fang. Les membres du groupe et moi n’étions pas particulièrement amis – à vrai dire, nous nous détestions –, mais leur présence, leur apparition à cet instant précis me semblait tout bonnement miraculeuse. elle me redonnait confiance et m’offrait une chance de salut. en tout cas, elle me permettait au moins de trouver un endroit où dormir et de monter dans un van vers l’est. sans ce concert, cela aurait été presque impossible. en revanche, j’attends encore le van.
p uis j’ai rencontré spike. i l avait organisé le concert, mais minorait son implication, attri-
l’esPriT de sainT-louis
buant tout le mérite à sa grand-mère de quatrevingts ans. on pouvait uniquement joindre les r ats via son téléphone et, lorsque des groupes appelaient pour trouver un concert, ils devaient s’adresser à elle. s’ils étaient impolis, avaient un nom débile ou demandaient un cachet fixe, elle leur raccrochait au nez. Tout simplement. spike n’avait alors plus qu’à contacter les quelques groupes qui restaient pour compléter l’affiche et à louer une salle.
spike était le plus sympathique et le plus sociable des r ats, mais il était également un peu mondain, donc nous n’avons pas beaucoup parlé au cours de cette première soirée. Jody sortait avec lui, ce qui ne l’a pas empêchée de s’asseoir sur mes genoux lorsque nous avons pris la voiture de rob pour aller chercher de l’alcool, prétextant que c’était « juste pour nous accompagner ».
Jody, quant à elle, était loquace et exubérante, en plus d’être du sud. rob était stoïque et impassible. i l n’aurait pas dépareillé sur un cheval. i l conduisait et ce rôle lui allait à ravir. Après le concert, entassés dans la voiture, nous avons pris la direction de la maison où ils habitaient tous ensemble.
Loin de Berkeley et de ses contraintes, je me suis entendu à merveille avec les membres de Fang. sammy, le chanteur, m’a donné une
l’esPriT de sainT-louis
bénédiction paternelle : « Je ne t’ai jamais aimé, m’a-t-il confié, mais on m’a raconté que tout le monde avait déserté pour rentrer au bercail, alors que toi tu es venu ici tout seul –et pour ça, il faut du courage. respect. » Les yeux embrumés et le sang plein de bière, nous avons décidé sur un coup de tête de nous faire le même tatouage. peut-être avons-nous été inspirés par le rongeur que tous les r ats arboraient sur le bras. Brett a initié la cérémonie en nous piquant à l’aide d’une épingle à nourrice stérilisée avec sa salive.
C’est le pire de tous mes tatouages débiles, et Dieu sait que j’en ai un paquet, même si heureusement la plupart sont de petite taille. pourquoi choisir de partager une aiguille avec la personne qui porte probablement le plus de maladies transmissibles au monde ? Avec l’homme qui avait écrit l’hymne Salopard de païen de Berkeley ? « Je suis un junkie alcoolo, chantait-il, je suis un junkie clodo. » C’est un bon morceau, certes, mais il y a une différence entre chanter en chœur et partager son sang. Mon envol aurait pu s’arrêter net à cet instant. pire encore, nous avions partagé autre chose. Certaines personnes sont particulièrement attirées par les voyageurs, et notamment par les musiciens en voyage, or il se trouve que j’en suis un. r ien ne me fait plus tourner la tête
l’esPriT de sainT-louis
qu’une femme dans un groupe. susan, qui était hébergée au même endroit que moi lors de ma première semaine en ville, jouait – comme moi – de la batterie et avait un penchant pour les gens en vadrouille.
Malheureusement, j’ai joui avant même que nous ayons eu le temps de retirer nos vêtements. si je raconte cet épisode embarrassant, c’est uniquement parce qu’il donne le ton de la suite de mes aventures dans cette ville. J’aurais dû y voir un signe. pour une femme à l’air si dur, ses sous-vêtements à froufrous étaient étonnamment fantaisistes et élaborés, alors que moi j’étais jeune et inexpérimenté, à deux doigts de l’explosion. peut-être était-elle furieuse, pas franchement impressionnée, ou peut-être préférait- elle le frisson de la chasse à la prise elle-même, toujours est-il que nous avons passé le reste de la semaine à nous bécoter, rien de plus. et tant mieux, car une rumeur se répandit bientôt comme une traînée de poudre dans la scène punk : sam de Fang avait le sida. Les gens blaguaient : « ouais, mais encore ? T’avais pas un truc à nous dire ? » Dire que sam avait le sida revenait à demander : « Qu’est-ce que je vous sers avec ça ? » Ça coulait de source. Ça lui allait à ravir, comme un deuxième prénom. Je m’estimais chanceux. J’exultais, en fait. J’étais en sécurité : aucun fluide n’avait été
échangé avec susan. Contre toute attente, ma gaucherie dans les relations charnelles, qui empoisonnait ma vie, m’avait sauvé. J’ai poussé un énorme soupir de soulagement, mais quelque chose a retenu mon attention. Quelque chose de petit et déjà flou : le tatouage. était-il possible qu’une chose si minuscule puisse me tuer ? e h oui. Nous avions beau essayer de nous souvenir, personne ne se rappelait qui de sammy ou moi s’était fait tatouer en premier. et donc : direction le dispensaire pour faire un dépistage. rob a gentiment proposé de m’y conduire.
i l s’est avéré que cette rumeur était infondée. La dernière fois que je l’ai croisé, sammy était frais comme un gardon. i l sortait tout juste de prison, où il avait purgé une peine pour homicide plus longue que le temps passé par spike en maison de correction, mais bien plus courte que mon séjour dans cette ville à la noix.
susan aussi avait la forme – physiquement, du moins, car en son for intérieur quelque chose devait vraiment clocher, sinon pour quelle raison serait-elle devenue flic ? ouais, susan la policière. Depuis, je me suis fait contrôler pas mal de fois, mais jamais par elle, et mon petit doigt me dit que c’est plutôt une bonne chose.
l’esPriT de sainT-louis
parfois, il suffit d’un rien pour s’estimer heureux.
rob fut le premier des r ats à partir. un jour, il prit sa voiture et rejoignit l’armée de l’air, disparaissant sans laisser de traces.
Victor Martinez
80 pages
Format : 13,5 x 21,5 cm
Poids : environ xx gr
Prix : 15 €
Tirage : 500 exemplaires
Genre :
Poésie contemporaine
CLIL : 3638
Mots-clés :
Poésie contemporaine
Collection Voix dans l’orme Voix dans l’orme est la collection de poésie de La clé à molette éditions.
Manifeste d’action directe Poèmes contre l’ordre qui vient
De Victor Martinez
Manifeste d’action directe n’est autre que la poésie en action. La poésie vient ici s’imprégner du vivant, de sa colère, de ses mots jetés dans la rue et tenter, par le langage, et par un travail minutieux de sa construction, d’en faire écho. La brutalité du langage militant vient sauter au visage du lecteur afin d’éveiller sa colère. La colère va le conduire à lire. Il va se rendre compte très vite que ce n’est pas l’auteur qui parle, ce sont des matières et des énonciations différentes qui sont présentées. Ainsi de “Chant de la main arrachée” où, sans solution de continuité, la voix du bourreau se substitue à celle de la victime sans que nous nous en apercevions, et c’est exactement cela qu’il fallait faire, qu’on ne voie pas ce glissement, et l’histoire humaine moderne est l’histoire de ce glissement que personne ne voit et qui nous conduit à la répression et aux pires bascules alors même qu’on se pensait à l’abri. C’est cela, la matière de l’histoire qui est dans ce volume, c’est cela la chronique d’époque, c’est une immersion, c’est une mêlée de voix, on ne sait pas bien qui parle comme dans la vraie vie, comme dans une manif, comme dans un texte de Joyce ou de Dos Passos, on entend des jurons, des insultes, la mêlée, et peu à peu cela s’éclaircit et des vues partielles se dégagent.
Victor Martinez continue donc, avec Manifeste d’action directe, d’écrire la chronique d’une époque habitée de violence et lâcheté de la part d’un pouvoir économique, politique, médiatique ou encore intellectuel.
Cette poésie est dans la continuité de certaines filiations, d’André du Bouchet à Jacques Dupin ou Guy Viarre. C’est aussi au croisement d’une forme de poésie grammaticale, de poésie directe et de poésie contre-lyrique qu’il faut situer l’ouvrage.
Parution 19 juin 2024
ISBN : 979-10-91189-30-9
art | littérature
Biographie
Victor Martinez est né à Perpignan en 1970. Il enseigne la littérature à l’université de Lille. Ses activités de chercheur se portent sur la poésie, notamment André du Bouchet, et sur la traduction (Machado, J. R. Jiménez, Quevedo, Panero, C. Hardi).
Il codirige avec Paul Laborde la revue Conséquence, dont le 3e numéro est paru en décembre 2019.
Bibliographie
Poèmes collapsologiques, L’Ire des marges, 2020
Carnets du muet, Fissile, 2016
Coupe franche, Fissile, 2016
À l’explosif, La lettre volée, 2014
Une accalmie, L’arbre à paroles, 2013
De charge et de froid, L’arbre à paroles, 2011
Poème de l’eau, L’arbre à paroles, 2009
Photogrammes, L’arbre à paroles, 2001
Terre seconde, N&B, 2000
[La collection Voix dans l’orme]
Voix dans l’orme : une nouvelle collection consacrée intégralement à la poésie et aux voix singulières d’aujourd’hui. Voix dans l’orme, nom donné en référence au poème de Sylvia Plath, sera une collection avec une cadence de publication soutenue, ouverte aux textes contemporains qui interrogent notre société jusque dans ses excès.
ISBN : 979-10-91189-30-9
art | littérature
Extrait 1
“Jour de grève un poème de plus une main de moins une joie collective de plus un œil de moins une consistance sociale de plus 48 heures de garde à vue et une convocation au tribunal c’est bien d’arracher au vide néolibéral des plus quand ses moins il militarise en multipliant comme des petits pains les droits de l’homme en moins.”
art | littérature Parution mars 2023
Extrait 2
ISBN : 979-10-91189-30-9
“Terreur civique est ce que Baldwin enfant ressentait en voyant les cops ou des blancs en réunion comme disait Sartre aux Usa quand des blancs se rassemblent c’est qu’un nègre va mourir terreur civique est ce qu’on ressent aujourd’hui en voyant des flics ou des militaires dans l’espace public terreur civique est aussi ce qu’on ressent quand on lit les manchettes et titres de la presse de propagande Le Monde Libé & autres consortiums dont le but est de propager non seulement le mensonge mais aussi la terreur idéologique quand aujourd’hui en France des flics se réunissent c’est parce qu’un arabe ou un noir va casquer ou qu’un alter-système un gilet jaune un lycéen une infirmière ou simplement un corps libre va se faire tabasser devant les caméras et alors quoi que font-ils d’autre que ce que les dictatures ont fait de tout temps.”
L’éternité par les arbres
avec des encres de l’auteur
Si le poète est inventeur d’inconnu, Antoine Oleszkiewicz jardine dans les mots et sème les images. Il nous donne avec L’Éternité par les arbres un chant pour le XXe siècle. Nourri par l’utopie fouriériste, le voyageur revenu des forêts de l’Amazonie a oublié dans un carnet
« Lianes de la forêt travaillant comme nos muscles »
ce long poème d’une simplicité et d’une densité extraordinaire.
Ici poussent les visions où fleurissent les questions d’Antoine Oleszkiewicz sur la communauté, l’amour, le rêve d’une vie au jardin-paradis… À l’égal des grands voyants, il nous adresse avec ses mots une forme nouvelle d’élégie contemporaine, un chant pour la forêt et les habitant·es de ce pays où il existe toujours plus de beauté / qu’on n’en peut désirer.
Parution : décembre 2023
EAN : 9782914363273
Prix public : 25 € Publié avec le soutien de la Région Sud
Réalisé en typographie mobile avec des encres de l’auteur, ce livre est la première publication de ce poète encore inconnu qui a beaucoup fréquenté le surréalisme.
L’auteur
Antoine Oleszkiewicz (né en 1948 à La Tronche dans l’Isère, mort à Poitiers dans les Deux-Sèvres en 2009).
Premier enfant de Simone et Ludwig
Debout-Oleszkiewicz (figures de la Résistance dans la région grenobloise),
Antoine est un enfant disposé et encouragé au génie. Fugueur à 14 ans durant des vacances d’été en Allemagne, perturbé par la maladie et le décès de son père (en novembre 1963), il décroche de la vie scolaire. Mais grâce au Collège cévenol du Chambon-sur-Lignon, il obtient son bac avec la mention très bien et revient à Grenoble pour étudier la philosophie.
Tenté par la vie en communauté et les travaux agricoles, il se lance dans cette aventure à Saint-Restitut dans la Drôme provençale puis dans une deuxième ferme en Provence, qu’il abandonne après des succès certains pour effectuer un long voyage en Angleterre.
Il part en 1974 au Portugal pendant la révolution des œillets, où il apprend le portugais. Il va ensuite au Brésil.
Tout d’abord à Rio où il s’intéressera au Candomblé et à la Capoeira des afro-brésiliens et tirera les tarots dans la rue en multipliant les rencontres et les aventures. Il fait l’experience de l’hallucinogène Ayahuasca et voyage jusqu’à l’Etat de l’Âcre au fond de l’Amazonie où il rencontre les leaders syndicalistes Chico Mendes et Marina Silva.
De 1980 à 2000, il alterne voyages et séjours à Paris et pratique le tarot avec Jodorowski. Il s’installe enfin dans le marais poitevin où il cultive des légumes en bio jusqu’à sa mort en 2009 suite à une leucémie aiguë.
Croyance dans la réalité enchantée croyance dans le pouvoir des chants des habitants de là de l’Incognito qui leur font courir le risque [de devenir éternels ils lisent des prières dont ils sont eux ou des végétaux sublimes royaux ou des animaux fabuleux tour à tour les lettres de chaque mot.
Détail d’une encre d’Antoine Oleszkiewicz et composition en cours dans l’atelier…
Un livre de 48 pages au format 13x17 cm. Impression typographique des pages intérieures et de la couverture
Pierre Vinclair
La Forme du reste
ÉDITIONS LURLURE
PARUTION DÉCEMBRE 2024
LA FORME DU RESTE
Pierre Vinclair
Genre : Poésie
Collection : Poésie
Prix : 21 euros
Format : 14 x 21 cm
Nombre de pages : 208
ISBN : 979-10-95997-64-1
Un journal poétique de l’année 2023
LIVRE
La Forme du reste est un journal de l’année 2023. On y découvre les lieux et les personnes qui font la vie quotidienne de l’auteur. En arrière-plan, on entend les désordres du monde (émeutes, guerres). Et au milieu de tout cela, la vie imperturbable (mais perturbée) des saisons.
La composition de chaque poème est stricte : une phrase de sept distiques, articulant des expériences disparates. Or la forme n’est pas formaliste, ici ; elle vaut comme un réglage particulier de notre rapport au monde. D’ailleurs, au milieu du livre, tout se brise dans l’irruption d’un journal en prose questionnant la valeur de l’écriture dans son corps à corps avec l’étoffe même de nos existences.
Car comment intéresser un lecteur à l’événement le plus insignifiant sans les trahir l’un et l’autre ? À ce vertige éthique et poétique, Pierre Vinclair répond par le déploiement complètement maîtrisé d’une énergie folle, joyeuse et réflexive, s’acharnant à faire advenir la forme de ce qui résiste à toute forme.
> L’AUTEUR
Pierre Vinclair est né en 1982. Poète, essayiste et traducteur, il a récemment publié L’Éducation géographique aux éditions Flammarion. Il a déjà publié deux recueils de poésie aux éditions Lurlure, Sans adresse (2019) et Le Confinement du monde (2020) ainsi que deux recueils d’essais, Le Chamane et les Phénomènes (2017) et Idées arrachées (2022). Il a également traduit une anthologie du sonnet anglais, Le Chaos dans 14 vers (2023).
> EXTRAITS DE REVUE DE PRESSE DE PRÉCÉDENTS TITRES DE L’AUTEUR
> À PROPOS DE SANS ADRESSE (Lurlure, 2019)
“Lumineux et réflexif, intime et contemporain, le livre de poésie le plus enthousiasmant de ce début d’année 2019 est donc un recueil de sonnets.”
Guillaume Lecaplain, Libération
“Les sonnets que Pierre Vinclair nous propose dans Sans adresse valent pour eux-mêmes, mais aussi, et surtout, pour les écarts et les espaces nouveaux qu’ils ménagent au sein du territoire poétique.”
Mathieu Jung, Poezibao
> À PROPOS DU CONFINEMENT DU MONDE (Lurlure, 2020)
“ Le Confinement du monde est souvent drôle – et les enjambements toujours savoureux. La forme sonnet est autant respectée que chahutée et, si une humeur joyeuse traverse une grande partie de ces 48 poèmes, la mélancolie propre à cette forme est tout aussi présente.”
Christian Rosset, Diacritik
> À PROPOS DU CHAOS DANS 14 VERS (Lurlure, 2023)
“Ce volume ambitieux peut se lire de deux façons : d’une part, comme une généreuse anthologie bilingue du sonnet de langue anglaise, de Shakespeare à Marilyn Hacker en passant par John Donne ; d’autre part, comme un exercice de réflexion pratique sur les enjeux de la traduction poétique.”
Guillaume Contré, Le Matricule des Anges
Comme les toiles de Veronese avec leurs roses me touchent plus que l’Annonciation saturée du Titien
(elles offrent aux personnages les angles du cadre comme les coins d’un ring où se reposer de leur rôle dans la propagande biblique), je mène tout le monde jusqu’à la Basilica dei Santi Giovanni e Paolo ; assis sur un banc de messe dans la Chapelle de Rosario, j’essaie de suivre les lignes du drapé des Adorations
(l’une mur ouest, l’autre au plafond) mais l’obscurité noie tout sauf la lumière entre l’enfant Jésus et sa mère, jusqu’à ce que soudain C. appuie sur l’interrupteur (que j’ai cherché en vain) et que la scène s’illumine, avec le rose vert des robes, un museau de vache, des mages et le barbu rasé caché à droite, Veronese même.
09.07 Quelque chose depuis quarante ans me ramène ici près des bruyères fouettées par le vent, face à l’écume
déchiquetée par les courants piégés dans l’échancrure des roches (un événement infime toujours renouvelé dont la parole peut à peine donner l’idée sans espérer rien en dire) et je cours derrière mon père sur le sentier
(avant fougueux j’essayais de le semer ; trouillard aujourd’ hui je le laisse devant de peur qu’il se prenne une racine)
et le sablier général, la (énigme à la plage : jeune je suis grand, mais vieux petit) bougie fondue de l’existence —
10.07 me voilà dans un EHPAD auprès de ma grand-mère, quatre-vingt-treize ans, visage lumineux, voix étouffée, souvenirs, chiffres et noms en cours de capilotade, le langage pliant bagage, escadron après escadron.
30.08.23
J’aimerais commencer : un journal de prose.
J’y noterais, précisément, ce qui autour de moi commence. Je prendrais acte de sa naissance. Je témoignerais de l’événement par lequel le monde a — irrémédiablement — gagné ou perdu quelque chose.
Or il n’y a pas de commencement : tout a toujours déjà commencé. Une chose ni une idée ne passent jamais du néant à l’être en un claquement de doigts. Voulant commencer quelque chose, je me retourne sur le néant dont je voudrais l’extraire et je remarque à tous les coups : ah, en fait ça avait déjà commencé. Les héros de la nouvelle histoire étaient les personnages secondaires de la précédente. C’est ce qui justifie le rite d’inauguration, l’énoncé performatif qui dit : “Maintenant ça commence vraiment, voilà, c’est commencé’’. Celui-ci fait disparaître ce qui précédait, ou le fait apparaître mais comme une préhistoire. En se posant comme énoncé performatif, il se désigne aussi lui-même : “Le commencement, c’est moi !’’ semble-t-il crier.
Il n’y a pas de commencement. Il n’y a que des jalons qui gueulent plus ou moins fort.
ÉRIC PESTY ÉDITEUR
Roger Giroux
Poème
« … Car c’est au bord de l’abîme qu’un ange vous paraît. » (Roger Giroux.)
Éric Pesty Éditeur accueille, sous couverture de relais en décembre 2024, les derniers exemplaires de Poème de Roger Giroux, livre publié par le Théâtre Typographique en 2007.
Extrait de la préface de Jean Daive intitulée « L’absence d’écrire est mon travail » : « Roger Giroux est né le 3 février 1925 à Meximieux, près de Lyon. A l’âge de 20 ans, il s’installe à Paris, où il se lie d’amitié avec toute une génération : Jean Laude, Maurice Roche, Édouard Glissant, Jean Paris, Henri Pichette, Jacques Charpier, Claude Ballif. Grâce à Jean Paulhan, il publie au Mercure de France L’arbre le temps en 1964, livre remarquable et remarqué (prix Max-Jacob) qui représente un long travail, une longue patience, déjà habité par le drame du silence et cette question inlassablement posée : que se passe-t-il à la fin du langage, que se passe-t-il avant l’absence, là où finit le langage ?
Il publie dans la revue fragment 1, 2, 3 (1969-1972) les trois premières séquences du grand livre auquel il travaille jusqu’à la fin et qu’il appelle Poème. Roger Giroux a bien conscience que le chemin qu’il a trouvé est de l’ordre d’un débordement incontrôlable et fatal. (…)
Il publie en 1972, donc de son vivant, dans les numéros 5 et 15 de la revue Llangfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch de Claude Royet-Journoud, ce qui correspond à la fin de ce livre qu’il a laissé inachevé.
Il meurt le 26 janvier 1974. Il a 49 ans.
A sa mort, je découvre l’intérieur de ce qu’il nomme “entonnoir” et plus encore son intimité qui me fascinent et dans un premier temps me surprennent par le nombre impressionnant de cahiers, de manuscrits, d’ébauches de toutes sortes, de notes (entre autres “L’absence d’écrire est mon travail”), ses deux textes dactylographiés prêts pour la publication (Lieu-Je et Lettre que j’intègre à la réédition de L’arbre le temps au Mercure de France en 1979) et les séquences manuscrites ou dactylographiées propres à compléter l’esprit logique de son livre Poème. »
Édition établie et présentée par Jean Daive
Parution : décembre 2024
Prix : 24 €
Pages : 176
Format : 16,5 x 24 cm
EAN : 9782917786956
Collection : brochée
Rayon : poésie
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Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com
CELA
Première page (il neige) au cœur d’un arbre sur la mer
cherchant cela dans la distance impubliable JE
pour les obscures mouettes de papier
et l’acte seul d’élire
etquelquesarbres impunément surlenéantdugeste
ettoi
me noue
ce long effacement quinouslie
moi salangue
face à face
et l’étrangle
HORS
(ettellequenulleautreàjamais
fût-elle d’une image infaillible et comme son épure en abîme scellée
d’elle qu’on n’ose et vole au cœur aveugle de méduse?)
et la lune parfois montait des ruines du silence
et la distance
jusque là
BRÛLE
ÉRIC PESTY ÉDITEUR
Roger Giroux
Journal d’un Poème (réimpression à l’identique)
« Le langage ainsi traité comme une foudre qui tombe est regard, capable d’atteindre l’oeil du lecteur non pour lire, mais pour voir. » (Jean Daive, préface)
Roger Giroux est né en 1925. Traducteur émérite de l’anglais (Lawrence Durrell, Henry Miller, Edna O’Brien, W. B. Yeats…), éditeur auprès de Marcel Duhamel à la « Série noire », il demeurera l’auteur de « un ou deux livres », comme il l’écrit à Pierre Rolland, un ami d’enfance, au tout début de sa carrière.
- L’arbre le temps, paru au Mercure de France, obtient le prix MaxJacob en 1964. (Le livre est réédité en 1979 augmenté de deux textes inédits au Mercure de France. En 2016, Éric Pesty Éditeur procure une troisième édition de L’arbre le temps qui restitue le format de l’originale de 1964.)
- Poème, livre resté inachevé à la mort de l’auteur, fut édité par Jean Daive au Théâtre Typographique en 2007.
A la mort de Roger Giroux en janvier 1974, Jean Daive découvre en effet deux textes dactylographiés (Lieu-Je et Lettre publiés pour la première fois à la suite de la réédition de L’arbre le temps au Mercure de France en 1979, et aujourd’hui également réédité par nos soins dans la collection agrafée), mais encore divers cahiers et carnets d’écriture, parmi lesquels se détache Journal d’un Poème. L’intuition majeure de Jean Daive est de reconnaître immédiatement dans Journal d’un Poème le négatif du livre en gestation au moment du décès de Roger Giroux, Poème, et qui en figure la prémonition.
« Roger Giroux a toujours tenu un journal, parce qu’il aime regarder l’écriture en train de se faire. Les carnets intimes traitent de l’absence, de la présence, du rien et du silence, du non-être de l’esprit. Ils sont nombreux. L’écriture très particulière de Poème a suscité Journal d’un Poème, publié ici avec ses couleurs. Il est à part. Il progresse selon l’invention visuelle du poème, il en suit l’évolution, il accompagne les différentes phases de l’expérience, dévoile les enjeux de l’œuvre. C’est ainsi que Poème et Journal d’un Poème s’imbriquent parfaitement. Tout de Poème se retrouve différemment dans Journal d’un Poème. La différence est ce qui doit définir Poème et définir Journal. Car Roger Giroux a conscience que la langue n’a plus une vérité de sens (il la laisse encore volontiers au Journal), mais une vérité de signes, vérité qu’il veut inscrite, dessinée, graphique, théâtralisée, jouée dans l’espace du livre et de ses doubles pages. » (Extrait de la préface de Jean Daive.)
Edition et préface de Jean Daive (réimpression de l’édition de 2011 à l’identique)
Parution : novembre 2023
Prix : 28 €
Pages : 196
Format : 11 x 17 cm
EAN : 9782917786086
Collection : brochée
Rayon : poésie contemporaine
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ce dire que le Livre eace
Pour que le Livre soit
Propositions mortes dans ma main. Ma bouche n’est pas celle d’un penseur. Ces formules m’ont desséché le cerveau. Il reste tout à dire (ce « tout » que je dois écrire en petites majuscules et pour, à la n de la quête, manifester un espace dense, réduit. Ici, par exemple, au cœur irradiant, serait le mot soit
Je lis ie lis (en volant un I)
Injonction du je absent comme absent, mais si l’on sait lire, enfermé ici dans la (proposition formule, parole, constellation, énigme) enclos.
Mais
ie dans clot signifierait je le cèle, je l’enferme ici, le sens, (quel ?) sens ? l’informulable, de même
que l’or, s’il fut produit, ne fut pas répandu au su et au vu, mais gardé pour le secret de l’opération, sinon l’op. aurait été (serait) antérieurement un échec. Cela est le sens
Celer, ne pas faire connaître, tenir secret
cela son dit
((« Cela ») cela son dit) Redoublement du secret. Double sceau. Doublement scellé
le tais donc
De tu (qui ?) à cela (quel ?)
double question sujet, double sujet en question.
L’essentiel (de vivre) est que cela vive pulse fonctionne, que l’acte soit
Le Poème est cela, rien de plus qu’il soit donc cela
cela soit donc
Son évidence est telle que toute autre parole n’est que masque.
ÉRIC PESTY ÉDITEUR
Roger Giroux
L’arbre le temps (réédition à l’identique)
« J’étais
l’objet d’une question qui ne m’appartenait. Elle était là, ne se posait, m’appelait par mon nom, doucement, pour ne pas m’apeurer. »
Roger Giroux remet le manuscrit de L’arbre le temps à Jean Paulhan qui le destine à sa collection « Métamorphoses » chez Gallimard, mais sera finalement publié au Mercure de France. Le livre paraît en 1964 couronné par le prix MaxJacob.
Le travail d’écriture commence en août 1949 – Roger Giroux affronte le silence, l’effacement, l’absence – le livre comme interdit que la mère impose à la mort de son premier fils – le choix d’une abstraction presque graphique, comme héritage complexe de l’École lyonnaise, Maurice Scève et l’alexandrin. La première séquence du livre, intitulée précisément : « Retrouver la parole », paraît dans le numéro 1 et unique de la revue de Maurice Roche Éléments (janvier 1951).
Au-delà de L’arbre le temps, le travail d’écriture se poursuit grâce au soutien inconditionnel de la revue Fragment de Jean Daive jusqu’à la mort de Roger Giroux, survenue en janvier 1974. En effet, la parole peu à peu se matérialise pour offrir un théâtre fait de langage et de signes – lequel doit révéler l’Introuvable qui n’est pas seulement à lire mais à voir. C’est Poème qui paraît en 2007 au Théâtre Typographique et Journal d’un Poème publié en 2011 chez Éric Pesty Éditeur. Entre temps (en 1979) le Mercure de France réédite L’arbre le temps, suivi de Lieu-je et de Lettre – deux textes posthumes repris chez Éric Pesty Éditeur en 2016 dans la collection agrafée.
L’auteur : Roger Giroux est né en 1925. Traducteur de Lawrence Durrell, Henry Miller, Edna O’Brien ou W.B. Yeats, il est également éditeur à la Série noire auprès de Marcel Duhamel. N’ayant publié qu’un livre de son vivant (L’arbre le temps, poème majeur de la poésie du second XXe siècle), il laisse une œuvre inachevée consignée dans de nombreux carnets et manuscrits. Depuis son décès en 1974, c’est ce journal autour du poème, ouvert et multiple, réflexif et expérimental, qui a été mis en ordre et édité sous les impulsions parallèles de Jean Daive (chez Éric Pesty Éditeur) et Hervé Piekarski (aux Editions Unes).
(réimpression de l’édition de 2016 à l’identique)
Parution : juin 2024
Prix : 20 €
Pages : 104
Format : 12,5 x 16,5 cm
EAN : 9782917786932
Collection : brochée
Rayon : poésie contemporaine
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« Retrouver la parole », p. 9
J’étais l’objet d’une question qui ne m’appartenait. Elle était là, ne se posait, m’appelait par mon nom, doucement, pour ne pas m’apeurer. Mais le bruit de sa voix, je n’avais rien pour en garder la trace. Aussi je la nommais absence, et j’imaginais que ma bouche (ou mes mains) allait saigner. Mes mains demeuraient nettes. Ma bouche était un caillou rond sur une dune de sable fin : pas un vent, mais l’odeur de la mer qui se mêlait aux pins.
« Retrouver la parole », p. 14
Et j'habite une attente muette. Séparé, de la seule distance d'un nom, tel est ce lieu de moi, cette unique parole béante.
« Retrouver la parole », p. 15
La vie, si proche. Un homme passe. Il chante. Les bruits du soir. L'ombre et ses parfums. Un arbre (ou c'est une âme qui regarde ? ) Le ciel, géométrique. Mais nulle phrase n'est donnée.
ÉRIC PESTY ÉDITEUR
Roger Giroux
Lieu-Je
« PAS une image ne décore ce lieu. Nulle image, nulle parole n’entre ici. (Pour pénétrer en ce lieu, pour en franchir la porte basse, je dois courber la tête, voûter le dos, tout en gravissant trois marches malaisées.) Et la parole qui s’y compose n’en sort pas. Comment pourrait-elle sortir puisque ce LIEU n’est pas un “dedans” ? »
Lieu-Je, écrit au cours de l’été 1972, a été retrouvé à la mort de Roger Giroux, le 26 janvier 1974, dactylographié par ses soins.
Cette nouvelle édition, revue sur les deux états originaux du texte conservés à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, ne présente pas de modifications par rapport à l’excellente édition du Mercure de France (1979) établie par Jean Daive et qui réunissait, outre L’arbre le temps, Lieu-Je et Lettre
La table des matières en fin de volume (autorisée par la dactylographie originale du texte d’une part, et le modèle que constitue la table de L’arbre le temps d’autre part) a été composée pour la présente édition. Elle justifie ce faisant la publication de Lieu-Je – texte essentiel dans l’œuvre de Roger Giroux – en un volume indépendant.
Extrait de la préface de Jean Daive à Journal d’un Poème, (Éric Pesty Éditeur, 2011 & 2023) : « Dans Lieu-Je [Roger Giroux] raconte l’aménagement d’une grange attenante à la maison qu’il vient d’acheter dans le Perche. Lieu vaste et blanc, nu et somptueux, ce lieu-je surprend par son volume surdimensionné que le vide a conçu et soutient grâce à une charpente savante et magique, assemblage de vieilles poutres qui joue, insiste-t-il, le rôle de matrice. C’est un miroir insoutenable, parce qu’il révèle la beauté et la complexité d’un art poétique. »
Du même auteur chez le même éditeur :
Journal d’un Poème, 2011 & 2023.
Lieu-Je, 2016
Lettre, 2016.
L’arbre le temps, 2016 & 2024. Poème, Théâtre Typographique 2007. Couverture de relais Éric Pesty Éditeur 2024.
Parution : juin 2016
Prix : 9 €
Pages : 40
Format : 14 x 22 cm
EAN : 9782917786369
Collection : agrafée
Rayon : poésie
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Éditions le Sabot Collection du Zbeul
La Soirée solo est un court recueil composé de plusieurs récits poétiques. On y entre comme on s’installe devant un spectacle de stand-up. Ça tombe bien parce que l’auteur fait des lectures en duo de sa première partie ("Tout démarrera par une énième soirée solo") avec Anaïs Soreil au violoncelle, quelquefois, dans des appartements, petits bars, petits théâtres, etc. Le narrateur nous plonge dans le quotidien triste des fêtes à répétition où la solitude transpire. Le comique éclate au visage comme un verre de punch qui s’explose par terre. C'est franchement désespéré dans le ton, et on sent que la forme fonctionne très bien à l'oral. On a l'impression que ça contient aussi une forte référence aux lettres de nonmotivation de Julien Prévieux. Le style flirte avec un fantastique absurde et presque enfantin s’il n’était habité d’une ironie mordante (proche de Marcel Aymé). On se poile, même lorsqu'une grande tendresse s’en dégage.
Fabien Drouet
Auteur de poèmes et de nouvelles, musicien, vit à Lyon. A trouvé en l’écriture et la lecture de formes courtes un médium vital d’impressions et d’expression. Tente quelquefois d'honorer des CDD dans le secteur du nettoyage industriel. Y parvient une fois sur quatre. Trouve ce ratio correct. “Se contente de peu”, diront certains. “Quel panache !” répliqueront d'autres. Aime écrire au stylo bic, noir si possible.
En juillet 2018, il lance un journal gratuit, 21 minutes (revue de poésie au sens large), qui est distribué dans les rues, aux arrêts de métro et dans les gares.
Parutions : Sortir d'ici, éditions les Etaques, 2019 ; Je soussigné , éditions la Boucherie littéraire, 2020 ; Suicides littéraires suivi de Festival aux éditions Gros Textes, juin 2022 ; Je serai jamais morte aux éditions des Lisières, octobre 2022.
Tout démarrera par une énième soirée solo. J'ai préparé une super playlist. Du punch, bien traître comme on l'aime. Des drogues en tout genre et la déco. À 21h pile la soirée commence. Je discute, je m'offre un verre et en retour je m'offre une cigarette. La soirée commence bien. Je me mets à danser. À un moment je me propose un peu de cocaïne. Une fois n'est pas coutume, j'accepte. J'ai l'impression de mieux m'exprimer, de mieux danser. Je me dis « waouh ! Tu danses vachement bien ! ». Je réponds « oui, je sais, je danse vachement bien ! ». J'apprécie ma franchise et me demande mon prénom. Mon prénom aussi me plaît. Décidément c'est une bien chouette soirée. Je demande qu'on mette Amy Winehouse. J'accepte avec plaisir. Je me ré-invite à danser.
Cette fois-ci, je danse plus serré, plus collé, plus collé-serré. Tout à coup, et sans que je m'y attende, je me dis « j'ai très envie de m'embrasser ». Je m'embrasse. Décidément cette soirée est très cool.
Dommage, les voisins viennent sonner et menacent d'envoyer les flics. Je finis mon verre, j'arrête la musique, je prends mon numéro. Puis gentiment je me mets dehors.
Trois jours plus tard, je me revois. Je suis content. J'ai l'air content moi aussi, même si quelque chose me trouble. Je marche main dans la mienne dans les rues d'une ville que je trouve de nouveau magnifique.
« C'est beau, toutes ces lumières... »
« Oh oui, c'est beau... »
Je suis content. J'ai l'air content moi aussi mais le trouble persiste. Alors, deux jours plus tard, je m'écris une lettre d'au revoir. Je la lis. Je suis d'accord sur toute la ligne. Moi non plus je n'ai aucune envie de m'investir dans une relation si sérieuse et, qui plus est, à durée indéterminée. Tout démarrera par une énième soirée solo. J'ai préparé une super playlist. Du punch, bien traître comme on l'aime. Des drogues en tout genre et la déco. A 21h pile, la soirée commence. Je discute, je m'offre un verre et en retour je m'offre une cigarette. La soirée commence bien. Mais tout à coup et sans que je m'y attende, je m'ennuie. Je me l'avoue, je me le dis, « je m'ennuie ». Je le prends mal, très mal. « Je m'ennuie, je m'ennuie, tu as qu'à dire que je m'emmerde pendant que tu y es ! ». Le ton monte. Je ne m'ennuie plus. Je me dispute. Je ne m'ennuie plus puisque je me dispute. Ça m'occupe. Tout à coup, et sans que je m'y attende je me dis « j'ai très envie de te frapper ». Je me frappe. Ou plus exactement j'essaie de me frapper puisque j'esquive. Je demande qu'on mette Amy Winehouse. Je dis « c'est pas du tout le moment ! » et me traite d'ordure. Je réponds « ordure moimême ». Je n'apprécie pas qu'on m'insulte alors je me traite de merde. Je réponds « c'est moi qui l'a dit c'est moi qui l'est ». Ça m'énerve encore plus et le ton monte encore alors j'insulte ma mère.
ÉDITIONS LURLURE
PARUTION DÉCEMBRE 2024
TXT FÊTE VERHEGGEN
TROUMLALA
Collectif
Genre : Revue de poésie / littérature
Collection : Hors collection
Prix : 19 euros
Format : 150 x 200 mm
Nombre de pages : 128
ISBN : 979-10-95997-63-4
> Un TXT spécial entièrement consacré au grand poète belge Jean-Pierre Verheggen
> Des contributions de Charles Pennequin, Jacques Bonnaffé, Christian Prigent...
LA REVUE
Ce numéro exceptionnel de la revue littéraire TXT est un hommage au grand poète belge d’expression française Jean-Pierre Verheggen, né en 1942 et décédé en novembre 2023. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages dont la plus grande partie a été publiée chez Gallimard, parmi lesquels Ridiculum Vitae précédé de Artaud Rimbur (2001), Un jour, je serai Prix Nobelge (2013) et Le Sourire de Mona Dialysa (2023). Par ailleurs, allocution poétique à partir d’un choix de textes de Jean-Pierre Verheggen, L’Oral et Hardi a valu à son interprète, le comédien Jacques Bonnaffé, un Molière en 2009.
Jean-Pierre Verheggen a été étroitement associé à la revue TXT depuis le n° 1 (en 1969) jusqu’au n° 35 (cinquante-trois ans plus tard). Autour de textes inédits du poète, ses anciens compagnons de route lui disent adieu : Philippe Boutibonnes, Éric Clémens, Alain Frontier, Pierre Le Pillouër et Christian Prigent. D’autres auteurs contemporains, Jean-Pierre Bobillot, Lambert Castellani, Cuhel, Bruno Fern et Charles Pennequin, ainsi que les universitaires Bénédicte Gorrillot, Olivier Penot-Lacassagne et Anne-Christine Royère, participent également à ce numéro. Sans oublier Jacques Bonnaffé, l’interprète truculent de ses textes sur scène.
Dans la tradition verheggénienne et dans l’esprit de la revue, cet hommage mêle le sérieux et la dérision, en favorisant les grandes irrégularités du langage – ainsi que l’illustre son titre, tiré d’une interview de Jean-Pierre Verheggen donnée en 2009 :
« L’autre jour, j’étais à Charleville-Mézières, sur la tombe de Rimbaud, et je me disais : nous sommes devant un “troumlala”. “Troumlala”, ce n’est pas un mot qui existe, qui va comprendre ça ? »
DE
“TXT propose une poésie débarrassée des atours naïfs et kitsch qui trop souvent lui sont adjoints. La langue ici n’est pas esthétisée, chantonnée ou émasculée ; elle est mise sous tension, torréfiée, recréée.”
Christophe KANTCHEFF, Politis
“Une revue chaudement recommandée pour son mélange détonant de voyage, d’humour, d’(auto)dérision et d’innovation linguistique.”
Florent TONIELLO, Accrocstich.es
“TXT : ça germe, ça pulse, ça vit.”
François HUGLO, Sitaudis
EXTRAIT 1 :
Christian Prigent
J-P V. 2 0 2 3, JOURNAL
02/01 [l’amitié]
Mauvaises nouvelles de J-P. Fragile sur ses jambes depuis des mois, chute.
A dû être opéré. Ne pourra peut-être plus jamais marcher. Affreuse tristesse. M’apprêtais à lui souhaiter la bonne année. Ne peux le faire en ces termes : qu’y a-t-il de « bon » dans une vie cernée par la souffrance, le handicap, la nécessité d’inter- ventions médicales constantes, toujours éprouvantes, souvent douloureuses ?
J’imagine ce qu’il éprouve, immobilisé, humilié d’être dépendant, sa vie à la merci des soins. Et sentant grandir en lui malgré son invraisemblable désir de vivre, le sentiment de l’irréversible. Elle dure depuis longtemps, notre amitié : plus de cinquante ans de compagnonnage littéraire et de proximité affective. De loin, pourtant, vu l’éloignement géographique et la rareté des rencontres.
Amitié nietzschéenne : amour du plus lointain.
Lien vécu sans présence physique. Fondé sur l’intérêt préalable pour les œuvres : J-P et moi nous nous sommes trouvés parce que chacun de nous deux avait écrit sur un livre de l’autre — qu’il ne connaissait pas.
Non « parce que c’était lui, parce que c’était moi » ; mais : « parce qu’il aimait mon travail, parce que
j’aimais le sien ».
Ce lien a fait œuvre : l’aventure TXT doit beaucoup à l’amitié entre J-P et moi (si proches et si différents).
3 janvier [l’ambivalence]
Non sans ambivalence, cette amitié, cela dit.
Égocentrisme ingénu (mais forcené), désinvolture face aux tâches matérielles exigées par une revue, accommodements malins avec le milieu littéraire, connivences avec des auteurs et des médiateurs culturels à mon goût peu recommandables : J-P m’a souvent exaspéré, parfois déçu, quelquefois choqué (la réciproque, sûrement, est vraie).
Mais toujours quelque chose, venu de plus profond, passait outre.
Ça ne tenait pas qu’à mon admiration pour l’œuvre (surtout pour les livres du début, de La Grande
Mitraque à Vie et mort pornographiques de Madame Mao).
Mais à ce qui lie des corps et des esprits dominés par leur sentiment d’étrangéité au monde tel que couramment il se représente. Des individus flottants, inquiets, sans certitudes ni prudence, mais goguenards, joyeux, violents : acharnés à lui imposer quand même, au monde, la marque de leur exception — telle que la manifestent quelques livres bizarres.
08/11 [à la fin, le lointain]
J-P est mort cette nuit, à bout de forces.
Ces mois derniers, « il voulait vivre », encore, malgré tout, me disait Monique, sa compagne.
Ce tout était sans doute devenu un trop, il n’a plus voulu.
Je n’arrive pas à penser les choses autrement, étant sans voix. Presque sans chagrin, d’une certaine façon. Plutôt : amer de fatalisme. Désabusé plus que désespéré.
Il faudra un peu de temps pour s’y retrouver, savoir dire quelque chose qui vaille la peine d’être dit sur ce que J-P fut pour moi, avec moi, dans l’amitié, au fil de l’histoire TXT, etc.
Pour l’instant j’essaie de ne pas trop pleurer (les pleurs viennent devant les photos, si j’ouvre les albums).
Ce ne serait sans doute pas pleurer J-P : pour lui, il était temps que ça (les souffrances, la vie tout entière absorbée par elles) finisse.
Mais m’apitoyer sur moi, ma propre vie.
Car penser à J-P, c’est revoir surtout 1969, 1970 : l’énergie des commencements, TXT à l’état naissant — la furieuse, la joyeuse jeunesse, désormais si lointaine, presque impossible même à se représenter.
EXTRAIT 2 : Charles Pennequin
Il est trop tard pour lire Verheggen !
Quand je relis Jean-Pierre Verheggen aujourd’hui, je me dis : Mais qu’est-ce qu’on a foutu ?
Qu’est-ce qu’on a bien pu fabriquer depuis les vers de Porches, porchers ?
Nous détestions leurs outils.
Trop polis.
Exposés.
Collets montés.
Leurs modèles Diesel. Nouvelets.
Ou leurs tombereaux.
De derrière les fagots.
Leurs chariots. Astiqués.
Traités.
Leurs rododos. Rodomonts. [...]
Quand je relis Jean-Pierre Verheggen, je me dis : Mais où est donc la poésie, aujourd’hui ? Oh bien sûr, pas que la jolie, pas que la faisandée poésie dont il se coltinait déjà tout jeune (VERHAERENYes ! VERHEGGEN No !), à pleins seaux les resucées surréalistes et les vieilles baltringues lyriques des années 1950, et pas que celles-ci mais celles dites contemporaines aussi, toutes pâlottes mais qui se tiennent bien droit dans la page, qui débordent pas, qui connaissent tout de la bonne diction durant les lectures avec un public bien rangé, bien poli ; une poésie de poète qui fait de mal à personne, qui parle plutôt le langage des communicants que celle des peuples. D’ailleurs, il ne faut plus dire ni parler peuple dans la poésie d’aujourd’hui. Une poésie de petits blancs, bien récurée, éducationnée, bien orthographiée et un brin savante, mais pas trop non plus, faut pas charrier.
Quand je relis Jean-Pierre Verheggen, je sens le goût qu’a la langue et j’aime tous les mots qu’il sort, aligne, dézingue. Des mots que je ne connais pas et qu’il fait sonner avec d’autres que je connais ; j’aime les sonorités qu’il déploie, il a vraiment le goût de ça ! le goût qu’on a perdu ; car on a perdu le goût des langues, celles qu’il y a à l’intérieur du français ; celles qu’on nous a interdites ; celles qu’on ne lit plus car il faut bien parler, comme à la télé !
EXTRAIT 3 :
Jean-Pierre Verheggen (Inédit, été 2023)
Je ne dors pas avec des livres à mes côtés ni à mon chevet même quand je suis malade. Ceci dit, si j’avais à finir mes jours sur une île déserte, j’emporterais Grand-mère Quéquette de Christian Prigent et Le Drame de la vie de Valère Novarina ; Les Mots des régions de France et ceux de la francophonie, tous deux de Loïc Depecker et tous deux parus en leur temps chez Belin. Et puis si Ryanair (le transporteur bon marché) me le concède, sans me faire payer de surcharge, les Écrits de Satie et d’Ensor, les Lettres de Rops, le Petit Larousse de médecine et le Grand de gastronomie – on n’est jamais assez prudent ! – et dans le même ordre d’idée, La Cuisine cannibale de Topor – on a parfois besoin d’un patron dans la purée ou d’une bonne cuisse hospitalière, non ? – ou encore, allo Ryanair, allo ? Si j’ose abuser sans trop dépasser les bornes, quelques Perec, un gros kilo de Queneau, du Tardieu, du Desproges (j’aime ça), du Michaux (j’adore) et beaucoup de chocolat Galère.
Éditions le Sabot Collection du Zbeul
TU M’REFAIS ÇA J’TE SORS
Charlène Fontana
Ce recueil de poésie semble être à première vue le titre d’une embrouille mais il s’agit bien de poésie. Ça sent la banlieue et le vestiaire. Du ciment sur lequel glissent les grands mythes. Il relève d’une poésie orale, une dolce vita falch énervée et délicate du réel. Sa composition est faite comme le récit d’une pièce de théâtre. Le prologue et l'épilogue s'y répondent, emmêlant des scènes du quotidien, entre le vestiaire, le terrain de foot, et la fenêtre d’un immeuble de banlieue. L’autrice y laisse à voir toute la délicatesse de son seum constant et son sens de l'observation, proche de son travail photographique. La langue emmêle un argot bien situé (faisant notamment écho aux meilleures punchlines du rap français contemporain) à des références précises aux grands récits philosophiques ou mythologiques. Le rythme y est saccadé comme dans un morceau de drill. On y trouve un flow où l’on passe de Parménide à la menace d’un katana
dans le dos ; du confort des chaises Quechua à la miséricorde de Dieu ; des bijoux imitation or au retour d’Ulysse devant un plat de pâtes froides ; de Gazo à Rachmaninov. À ce titre, certains chapitres sont évocateurs : « C’EST MÉTAPHYSIQUE J’TE DIS ». Une tendre violence, ou bien une violente tendresse se dégage de ce travail, d’où ressort une méfiance du réel. Ses influences viennent aussi bien de la poésie de Pasolini, Sappho, que du roman avec John Fante ou Faïza Guène, ou du théâtre avec Mohamed El Khatib, Shakespeare… Son quotidien transparaît clairement de sa famille d’origine italienne et polonaise, de son quartier, de la vie sportive et militante, de l’adolescence.
Charlène FONTANA est née à Grenoble. Elle a grandi en banlieue grenobloise et stéphanoise avant de rejoindre la banlieue parisienne. Elle est autrice et photographe.
En 2022, elle a participé à la visibilité des athlètes amateurs de haut niveau qu’elle photographiait pendant leurs entraînements (exposition avec le collectif Analog Sport à Paris autour des gestes des femmes boxeuses). À l’été 2023, elle a été sélectionnée par la poétesse Rim Battal pour intégrer en automne sa résidence de poésie à Paris subventionnée par le CNL. Performance et mise en scène de poèmes (Kebab littéraire). En parallèle, édition du fanzine J’peux pas y match mêlant textes et photographies autour d’une passion poétique et sportive : le football. Elle écrit aussi en anglais (publication dans la revue de poésie américaine Spectra).
On les regardait de haut alors qu’ils croyaient nous dominer
Ils avaient bâti ces tours pour nous regarder
c’est nous qui les matons.
J’ai oublié ma serviette je glisse sur le carrelage mal lavé plus d’eau chaude polaire cache-cou bonnet ma peau colle aux vêtements que je remets chaussettes sales pieds mouillés dans la Renault 11 elle attend elle a gardé ses gants, le volant est trop froid le chauffage ne fonctionne pas avant les cinq premiers kilomètres signe de la tête aux autres parents envoiturés Claque pas ! C’est pas le coffre à ta mère !
Si justement et j’joue pas dimanche
C’EST MÉTAPHYSIQUE J’TE DIS
Strass dorés sur chacun de mes ongles je prends l’autoroute pour aller voir la mer
tata dis ne pleure pas hein je remets mes lunettes
je pense à nos morts pendant que dans l’rétro le soleil fait briller ma chaine
IMITATION OR sous mon cou glisse une larme salée IMITATION OR
amertume des oubliés des exilés
radio allumée
Morad chante Se grita je me recoiffe mes cheveux sont doux IMITATION OR comme si de rien n’était
T’AS DES SENTIMENTS OUI MAIS ÇA VEUT RIEN DIRE
Au milieu du lac j’enfouirai ma tête jusqu’à c’que ça m’sorte j’entendrais les sermons d’une vie adéquat j’enfouirais ma tête allo t là ? T là ? j’ai pas la voiture ce soir j’enfouirais ma tête jusqu’à c’que ça me sorte par les yeux t’entendras les psaumes ratés qu’on a retrouvé allo tfk ? tfk ? tfk ?
Au milieu du lac j’enfouirais ta tête comme Holopherne t’es mal barré
ÉRIC PESTY ÉDITEUR
J. H. Prynne
La Fenêtre ovale
« Ainsi brûlèrent-ils leurs bateaux, scrutant / la façade monter et la rampe / cligner dans le flot. »
La Fenêtre ovale, paru en Angleterre en 1983, est le cinquième livre de J. H. Prynne traduit et publié chez Éric Pesty Éditeur. Il succède à Perles qui furent, Poèmes de cuisine, Au pollen et La Terre de Saint-Martin. Il est aussi le deuxième livre de la série dont la traduction est signée par Bernard Dubourg et l’auteur.
Dans La Fenêtre ovale, J. H. Prynne mobilise divers matériaux (poétiques, scientifiques, techniques) qu’il combine et entrelace dans une syntaxe novatrice, tissant la toile d’un poème polyphonique, conçu comme caisse de résonance.
« Dans le vocabulaire médical, “la fenêtre ovale” est le nom donné à un organe de l’oreille interne qui transforme les vibrations venues du tympan en impulsions électriques que le nerf acheminera ensuite jusqu’au cerveau. La description anatomique de l’oreille ressemble à celle d’une construction rudimentaire : un plancher, un toit, un faîte, un vestibule, une paroi antérieure et postérieure, une fenêtre ronde ou ovale — tel l’ajour pratiqué dans le mur des cabanes en pierre où venaient s’abriter, jusqu’au XVIIe siècle, dans le nord de l’Angleterre, les bergers et leur famille durant la transhumance estivale. À Tinkler Crags, zone rurale désolée proche de la frontière écossaise, les vestiges de ces constructions, photographiées et dessinées par J. H. Prynne, avoisinent une ancienne base de lancement de missiles dont les restes se confondent au paysage, cédant la place à de grandes plateformes de tir, le site étant, depuis 1977, utilisé pour l’entraînement aux armes électroniques. Un paysage stratifié par l’histoire dans lequel s’installe d’emblée le poème, qui représente moins la sérénité du dedans que l’hostilité du dehors. La fenêtre symbolise au premier chef ce à travers quoi ces éléments pénètrent et s’entremêlent pour former de nouveaux rapports. Toutefois, dans le poème de J. H. Prynne, le point de vue n’est pas limité à un sujet, individu situé occupant un lieu déterminé dont la vision fait naître et ordonne les représentations : le point de vue est à la fois impersonnel et pluriel ; l’espace, multifocal. De même, la fenêtre, qui remplit ici plusieurs fonctions, n’est pas un objet immuable assigné à une position fixe ; le seuil qu’elle incarne est mouvant et changeant, le partage qu’elle opère, les effets de sens qu’elle produit dans le texte, sont tributaires d’une telle polyvalence. » (Kaïl Vezza)
(COUVERTURE PROVISOIRE)
Traduit de l’anglais par Bernard Dubourg et l’auteur
Postface de Kaïl Vezza
Parution : mars 2025
Prix : 16 €
Pages : 36 pages + encart de 4 pages sur papier rose constituant la postface de Kaïl Vezza.
Format : 15,2 x 22,8 cm
EAN : 9782917786963
Collection : hors collection Rayon : poésie
CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com
Donc : dorénavant aussi, ou à perte bientôt, la voix que tu entends t’est propre révoquée, sur un déclin cyclique relatif dont l’image est glaucome d’angle mort le latent. Pourtant la neige et trie et replie, une brume de feuille d’or légèrement chatoie, nuages qui flottent retour aux montagnes. Ça n’est pas que cabane, mais (dans le parler du cru) un bouclier, au coude d’une eau de haut-pays, le toit de gazon presque en-allé mais juste sous sa cicatrice une ouverture brute : c’est, à première vue, la fenêtre ovale. Ultime lumière écume à sa crête. Le sas à air va froid dans le feu du soleil, bleue strie sous l’essaim de lignes là, la bouse à quatre pattes. Le point de macule des deux côtés lâche un intense ronron, bas, d’aigu pli comme contre sauvage chevron ; le champ se détermine à la fenêtre de sortie, le bord ou arrêt de lentille qui, imaginal en espace d’image, sous-tend le plus infime angle au centre.
Si minus ici que l’épingle paraît d’os et que surveille la lame de retour contre l’écho l’abrupt, en eau marron sous presse à l’avantage. Montagnes atteignent jusqu’aux plis de l’écran ; verts roseaux lignent la voie sous brume froide encore le degré de pierre est-il vite à bouillir.
Sur ce sol gouttant quand l’espoir est en-allé, le ciel en parole comme œuf de roche en grossi qui cascade, court dans et hors et sur : miel dans la neige.
Les nuages sont blancs en ciel d’automne pâle.
Un œil sur les voies, leur brume, je vois cette silhouette fondant paraître flancher, en épais composé de rectificatifs, au sublimé de flocons blancs. Alors ça s’épure, elle tourne voire autour d’elle l’haleine douce déambule, à minuit murmurant. Extrémités fléchies, à froid.
Une brise traverse les eaux, leur parfum ; sourd à la raison, je fais mes mains cuvettes, vers les fleurs d’abricot, qui purgent la rosée, le blême de leur sérénité. Ça a mérite de se voir meurtrir, dans le rêve qu’elle a, et encore plus quand à suivre, ça l’a.
Qu’attire vers la fenêtre et au-delà, l’écran cordialement d’une machine avec tendrement lueur de côté, le désir d’entrer dans la mer même laisse neige en foncé comme sable. Des fleurs de poirier dérivent par ce jardin, l’avantage à travers de qui veille sous nuage de fumée au sortir de la hutte. Vision de tunnel lorsqu’elle veille son retour, face reluit fleur et l’inverse.
Eux donc de tourner, retourner avancer, qu’attiraient en arrière le doute et de l’avant l’amour.
Trie et agrège, il y a là brûlage selon ce cadre-ci ; et donc avant d’y voir tu dois, nom de ça nous fait du besoin.
C’est un neuroleptique. Un chagrin sans fin monte de la brume et ses ondes, comme mèche à la lumière de la conscience. Pas du féodal ou de l’esclavagiste mais le mode asiatique comme localement communautaire au cœur d’un état despotique : la pente de l’imperium « au travers du concours (chin-shih) sur la littérature confucéenne ». Soit contrat soit caprice, chacun qui cadre l’autre, clos en vie. Le vacil d’une lampe peine à brûler à la fenêtre, prêt au lustré cachou qui luise la glace et ombre la porte.
Voici saules à la rivière, leur flou comme brume et la fin, son flou comme le sens qui fait pont à ses bancs sous le gel. Dans le champ de vision une macule prismatique additionne liserés d’arc-en-ciel à feuilles en dehors.
Ils ne s’approprièrent pas les tenants primitifs du travail mais leurs aboutissants ; les eaux de source se croisent sous le pont, plongent branches des saules.
Le reniement du féodalisme en Chine conduit toujours aux erreurs politiques, d’ ordre essentiellement trotskiste :
Calme c’est tout nature comme roue repose. S’ébroue rouge la flamme et sa bougie.
Dans le noir de jour il faut nous presser, qu’étourdit la déclinaison du négatif cristal. Le jouet est d’enfant, presque en dessous d’élocution qu’on lise sur les lèvres, les lampes oscillant. Ça n’est pas si dur de savoir que ça l’est de faire : déchirant l’écran avant perte par l’œilleton d’air de parole tu blâmes la victime.
Pitié pour moi ! Ces pétales, en pourpre, en rose, sont souches de chèques, qui débitent dans une brume d’azur doux de la craie. Nous finissons par vouloir coûts à l’unité plus TVA, gradation de patience : fait pour commander, fait pour soigner, qui se cale au crucial d’un minium mange-tout.
Debout près de la fenêtre j’ai entendu ça, tandis qu’en attente du tournant. Au feu de la lumière, au frais de l’air, c’était le courant croisillon de la vie plane, plaie à la bouche mais qu’épuisent la passion et la joie. Libres de quitter par quelques côtés, à la ligne de pli au découvert de menaces comme pacage, les quarts se font la peur et promesses avant. Les années se coudoient, s’incendient comme plasma son crédit. Passé secours c’est joie contre mort même : un jouet dur à endosser, qui rit toute la nuit.
ÉRIC PESTY ÉDITEUR
J. H. Prynne
La Terre de Saint-Martin
Feuille-feuille et la sœur parle, nous saisissons toutes les chansons.
Ce poème des années 70 s’ouvre sur la citation d’un texte latin médiéval (traduit par J. H. Prynne) rapportant la légende des enfants verts de Woolpit, dont voici un résumé : Deux enfants, frère et sœur, sont apparus un matin dans un champ proche du village de Woolpit, leur corps était tout vert et ils étaient vêtus de couleur et de matière inhabituelles. Ils erraient avec stupeur parmi les villageois, parlant une langue étrange, capables de ne rien manger d’autre que des fèves crues. Ils vécurent de cette nourriture pendant quelques mois jusqu'à ce qu'ils s'habituent au pain. Puis leur couleur changea à mesure qu’ils reprirent une alimentation normale, et ils devinrent semblables aux habitants de Woolpit dont ils apprirent aussi à parler le langage. Ils expliquèrent alors qu'ils venaient de la Terre de Saint-Martin ; qu'un jour, tandis qu'ils s'occupaient des troupeaux dans les champs, ils ont été submergés par un bruit violent et précipité (d'autres versions de l'histoire parlent d'un doux son de cloche et d'un voyage à travers des cavernes souterraines).
Composé de huit strophes de huit vers titrées, qui, outre l’exergue, ne font référence qu’allusivement à la légende, le livre est imprimé en typographie avec une encre verte.
Auteur
J. H. Prynne est un poète anglais né en 1936. Bien qu’on lui connaisse une publication antérieure, il fait débuter sa bibliographie par Kitchen Poems (Cape Goliard Press, 1968). Tous ses livres suivants ont été publiés sous la forme de plaquettes (chapbooks) chez de petits éditeurs – en marge donc du champ éditorial et académique anglais. L’intégralité de ses livres est aujourd’hui réunie en un seul volume de près de 700 pages qui en est à sa troisième édition : Poems chez Bloodaxe (2015).
La Terre de Saint-Martin est le quatrième livre de J. H. Prynne publié chez Éric Pesty Éditeur. Il succède à Perles qui furent (trad. Pierre Alferi), Poèmes de cuisine (trad. Bernard Dubourg), Au pollen (trad. Abigail Lang).
Traduit de l’anglais par Martin Richet
Parution : septembre 2022
Prix : 9 €
Pages : 16
Format : 12,7x12,7
EAN : 9782917786789
Collection : hors collection / série Prynne
Rayon : poésie contemporaine
CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE
Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com
ÉRIC PESTY ÉDITEUR
J. H. Prynne
Poèmes de cuisine
« Le faux / étalon en est la cause, et le fait brut / est, qu’aucune simple différence ne / s’y mêle : substitution forcée, tel est le faux, qui / s’accroche à la queue luisante de l’“histoire”, de même que / brûle d’une si belle, si flamboyeuse destruction / par exemple la comète marxiste. »
Quatrième de couverture, signée Grégoire Sourice : « Poèmes de cuisine est affaire d’investissement. Celui d’un auteur dans son premier livre, publié en Angleterre en 1968. Celui d’un traducteur, qui sept ans plus tard, entra pleinement en possession de ces poèmes, jusqu’à y imprimer son vocabulaire et ses préoccupations syntaxiques. Il est aussi question du crédit que nous accordons aux marchandises, aux noms et aux idoles, et comment celui-ci nous aliène. Car Poèmes de cuisine est une puissante analyse d’économie politique. Comment et à quoi se river lorsque produits, noms ou individus sont devenus interchangeables ?
C’est par une autre forme d’investissement, celui du poème et de sa mesure lyrique, que se découvre une capacité de résistance contre la dérive de la valeur d’échange. Investissement, par conséquent, de l’auteur lorsqu’il décide en dépit de la faillite de faire usage de son libre-arbitre pour fixer ses transferts, les objets privilégiés de son affection. Enfin, il est question d’habitude, de manteau, de soie et de toutes les étoffes dont nous nous parons. »
(A propos de Poèmes de cuisine, nous renvoyons nos lecteurs à la très belle étude de Michèle Cohen-Halimi intitulée « Opérateur spéculatif en cuisine », parue en ouverture de son livre Les Grandeurs intensives, chapitre deux, Éric Pesty Éditeur, 2021.)
L’auteur et son traducteur : Bernard Dubourg (1945-1992) et J. H. Prynne (1936-) entament une correspondance en 1974, lorsque Bernard Dubourg exprime au poète anglais son désir de traduire ses livres. C’est le début d’une forte amitié, faite de travail en commun sur les poèmes de J. H. Prynne, de partage de lectures (dont le détail permet de mesurer l’érudition extraordinaire des deux hommes) et de considérations plus intimes. La première édition des Poems de J. H. Prynne est dédiée à Bernard Dubourg. Adrian Price travaille actuellement à l’établissement de la volumineuse correspondance Prynne/Dubourg conservée à la Cambridge University Library.
Traduit de l’anglais par Bernard Dubourg et l’auteur
Parution : octobre 2019
Prix : 12 €
Pages : 48 pages
Format : 17 x 21 cm
EAN : 9782917786574
Collection : brochée
Rayon : poésie
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Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com
ÉRIC PESTY ÉDITEUR
J. H. Prynne
Au pollen
« Couche-toi, l’œil est gloméré par ce que l’on enfile entre / les bornes de la localité, nous voyons des clichés d’un père / dévasté par la souffrance qui porte comme une offrande son fils / brisé en sang, à peine un enfant. »
La première des deux épigraphes à Au pollen (To Pollen, Barque Press 2006) cite la plus ancienne épopée, celle du grand roi Gilgamesh qui ne voulait pas mourir, « être retransformé en argile » comme le dit singulièrement le récit consigné dans une écriture cunéiforme sur tablettes d’argile. Dès son invention, l’écriture est liée à la mort. Dès son invention, l’écriture est liée au pouvoir politique, à l’affirmation de l’autorité étatique.
Le passage de l’épopée que cite J. H. Prynne proviendrait d’un fragment de tablette retrouvée à Sippar, à quelques vingt kilomètres de l’actuelle Bagdad. Au pollen récuse l’idée d’un thème ou d’un sujet, mais ce qui tonne tout au long du poème et en constitue le contexte, c’est bien la deuxième guerre d’Irak et ses répercussions lointaines. On décèle des références à Doha, capitale du Qatar et cadre de plusieurs conférences sur la libéralisation du commerce international, aux combinaisons orange de Guantanamo, ou encore à une bavure commise à Forest Gate par la police britannique au nom de la guerre contre le terrorisme.
« Une façon de bloc (venu) du Ciel » : ainsi Gilgamesh rêve-t-il Enkidu avant leur rencontre. La formule évoque aussi l’opacité et la densité des poèmes de Au pollen qui déjouent toute tentative d’appropriation. A chaque lecture des éclats de sens affleurent, clignotent ou bifurquent, puis se redéposent sans qu’on puisse les saisir.
Ainsi, Au pollen condense en blocs de 22 strophes de 13 lignes une immense variété de vocabulaires, de registres de langue et de voix, qui, tous, font la preuve que la guerre est aussi produite par des langages.
J.H. Prynne est un poète anglais né en 1936. Il fait débuter sa bibliographie par Kitchen Poems (Cape Goliard Press, 1968). Tous ses livres suivants ont été publiés sous la forme de plaquettes (chapbooks) chez de petits éditeurs – donc en marge du champ éditorial et académique anglais. L’intégralité de ses livres est aujourd’hui réunie en un seul volume de près de 700 pages qui en est à sa troisième édition : Poems chez Bloodaxe (2015).
Traduit de l’anglais par Abigail Lang
Parution : juin 2021
Prix : 11 €
Pages : 32 pages
Format : 17,5 x 12,5 cm
EAN : 9782917786680
Collection : hors-collection
Rayon : poésie
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Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com
ÉRIC PESTY ÉDITEUR
Kaïl Vezza
Vie d’un impersonnage
« On découvre dans son regard des machines ensevelies sous la neige. »
Le concept d’impersonnage est issu de la réflexion de JeanPierre Sarrazac sur le théâtre contemporain. Au centre de la remise en question toute moderne des contraintes du théâtre classique, le personnage devient « impersonnage » : un personnage en défaut d’identité, sans qualités ni particularités. Ce type de personnage moderne est identifié grâce à des symptômes qui montrent son incapacité à coïncider avec soi-même mais, également, sa capacité à rester ouvert à tous les possibles, aux virtualités de la vie. Loin de subir une dépersonnalisation négative, qui en ferait une figure de vacuité, l’impersonnage se présente plutôt comme un visage sans traits sur lequel s’accumulent des masques différents qui viennent, sans cesse et tour à tour, se poser sur sa surface lisse, fluide.
On voit ce que peut avoir de politique la bannière de l’impersonnage, sous laquelle se place le récit de Kaïl Vezza. Autant par l’anonymat, le morcellement assumé, que par la ligne de fuite à laquelle il obéit ; ou encore la destruction qui lui est constitutive.
Paradoxalement, c’est depuis cette destruction qu’opère le récit, à travers une « logique » réinventée, qui conduit les trois parties du livre selon la flèche d’un devenir : I. Naissance d’un fantôme, II. Apparaître, III. L’imaginaire.
Flèche que désigne dans le titre singulièrement le mot « vie ». Car tout se passe comme si le mot « vie » ne précédait pas ici l’écriture mais s’engendrait avec et par cette écriture, matérialisant la tension propre du récit : en tant que devenir vers la vie, le récit peut se lire comme la lutte de l’impersonnage contre sa propre facticité (organique versus mécanique ; personnage versus personne).
En cela, le livre de Kaïl Vezza se rapproche d’une « bio-graphie » au sens fort que donnait à ce terme Roger Laporte : écriture de la vie dont une logique féroce affronte, à qui perd gagne, cette facticité qui, tout à la fois, menace et constitue l’impersonnage.
L’auteur : Né en 1993, ancien diplômé des Beaux-arts de Bordeaux, Kaïl Vezza vit et travaille à Marseille. Son premier livre, Curb, a paru chez Éric Pesty Éditeur en 2022 dans la collection « 8 clos ».
(COUVERTURE PROVISOIRE)
Parution : mars 2025
Prix : 10 €
Pages : 24
Format : 14 x 22 cm
EAN : 9782917786970
Collection : agrafée
Rayon : poésie
CONTACT PRESSE ET LIBRAIRE
Éric Pesty : contact@ericpestyediteur.com
Une pesanteur lui impose de passer par les habitations pour s’abriter et se nourrir. Dépourvu des attraits — des yeux, un nez, une bouche ou un instrument de la sorte — indiquant qu’il est l’un de leurs semblables, il tente d’évoquer qui il est, d’où il vient, ce qui l’amène dans la région, mais les formes qu’il emprunte pour ce faire, identiques à ellesmêmes, composent un récit de pures circonstances qui, dans une transparence redoublée, leur montre ce qu’ils ont déjà sous les yeux. Il épouse ostensiblement la disposition des couverts, adapte l’usage de la fourchette à son absence de bouche en l’imitant et plonge ainsi la nourriture dans un gouffre, d’une inquiétante absence de profondeur.
La logique à laquelle il obéit comporte des trous qu’il découvre avec un vertige en sondant, les mains sur les murs, sa poitrine. Table dressée et chaises en bois s’emparent de son squelette, ressoudent une partie de ses articulations. Les ressources qu’il mobilise, en vue de conserver sa liberté de mouvement — il doit continuer sa route — semblent, par suite de cette métamorphose, s’être tapies dans un coin obscur de la pièce où elles demeurent inaccessibles. Son invisible raidissement lui vaut d’être chassé, un agrégat de feuilles mortes tourbillonnantes l’escorte vers le bout du jardin. Dehors, la grande incertitude formelle qui le caractérise confère à ce qu’il voit, observant depuis la route les carrés et les rectangles où l’on se rend pour travailler, une force de pénétration telle qu’ici, le flux constant de la circulation, l’affairement des travailleurs deviennent, temporairement, qui il est. Éludant de ce fait une question parmi les plus embarrassantes et les plus vaines.
Dans bureaux & entrepôts, ses gestes en petites boules inassimilables servent une action extérieure dont l’objet, étendu, exige qu’un temps soit employé chaque jour à ne pas faire les choses, c’est-à-dire par avance les détruire. Entre ces deux plans d’existence, non ajustables l’un à l’autre, on serait tenté de placer l’illusion d’un accommodement possible. Comme il l’appréhende cependant, à cause d’une lumière qui s’insinue, l’aspect qu’il acquiert avec le temps, modelé par un déséquilibre certain, ne peut manquer bientôt de le trahir. On découvre dans son regard des machines ensevelies sous la neige.
Les auteurs Remède à tout
Un livre de 144 pages au format 12x16 cm. Impression numérique des pages intérieures sur bouffant sous une jaquette imprimée en typographie sur papier fluo.
Sous titré, De la nature exacte de l’aliénation planétaire et de comment y remédier, ce livre observe (c’est-à-dire théorise) à partir des concepts forgés par les situationnistes (spectacle, aliénation, séparation) les symptômes d’une société régie par la valeur et la domination afin de s’en dessaisir.
Observatoire situationniste
Remède à tout
Le spectacle est une véritable maladie de la psyché humaine qui la repousse toujours plus loin de ses propres potentialités.
Il veut contribuer modestement à cette aventure révolutionnaire et émancipatrice qui offre aux communautés et aux individus « la possibilité d’épanouir l’infinie richesse de leurs infinies relations » en désertant les ruines et les sphères économiques et guerrières de la société capitaliste et industrielle. Le « coup du monde » dont parle cet essai n’est pas une « technique » de prise du pouvoir mais son exact envers. L’ouvrage se conclut par des remarques sur l’identité et le genre,
Quiero
Parution : octobre 2024
EAN : 9782914363334
Prix public : 15 €
l’instant et le temps, le commencement et l’anarchie et par un commentaire sur les aventures du fétichisme.
Cet essai de thérapeutique générale tente de donner à chacun de nous les moyens de refuser l’aliénation spectaculaire.
L’Observatoire situationniste est un collectif créé au printemps 2021 Il cherche à réactualiser l’emploi précis et déterminé des outils critiques forgés par l’Internationale situationniste : spectacle, aliénation, séparation. Il expérimente et cartographie le dépassement de toutes les postures et clôtures idéologiques qui ont limité, retardé voire empêché jusqu’ici l’épanouissement d’une critique radicalement émancipée. Il part du postulat que ce qui aura été ainsi conquis sur le plan théorique général et sur le plan existentiel plus particulier n’est pas quelque chose d’étranger à l’époque, mais en exprime au contraire le cœur. Si ce postulat se vérifie, l’époque s’y reconnaîtra en temps voulu.
Site internet : www.observatoiresituationniste.com
Il est peu discutable en effet que la société présente repose (façon de parler) de manière on ne peut plus concrète (comme concrétisation de l’aberration) sur une immense accumulation d’industries. Mais comme elles ne sont pas là juste pour le décor, il serait plus exact encore de qualifier cette société de technologique, puisque la quasi-totalité du complexe industriel est consacrée au déploiement technologique. Mais au déploiement technologique de quoi au juste ? De l’artificiel comme lieu et mode de vie tendant de toutes ses forces (qu’elle nous a volées, à nous et au reste de la nature) à l’exclusivité. Il faut donc qualifier cette société d’artificielle.
Les deux premières pages du livre et deux images publicitaires.
remède à tout 10
La question centrale
Marx a nettement sous-estimé la destructivité du capitalisme.
Il faut sans doute considérer l’œuvre de Marx comme un laboratoire en chantier, peut-être même plusieurs laboratoires, plutôt que de chercher à surinterpréter tel ou tel moment de son travail, pour fabriquer un Marx à notre convenance.
Une chose est sûre, Marx avait en vue l’émancipation du genre humain. C’est ce qui le conduisit à identifier et critiquer la forme dominante et déterminante de l’aliénation des temps modernes : le capitalisme. Il plaça un grand espoir dans les causalités de ce système de domination (causalités entendues ici selon la classification d’Aristote : une cause finale : l’argent, une cause formelle : l’économie, une cause motrice l’industrie, une cause matérielle la terre entière), comme si l’émancipation des travailleurs devait être l’œuvre du capitalisme lui-même. Malheureusement,
désirables, l’économie s’est imposée (jusque dans la pensée de Marx) comme règle d’or (c’est le cas de le dire) de toute activité, l’industrie a tout mécanomorphé (soutenue par la science séparée et les techniques mercenaires) et la terre se consume sous les feux de l’artifice.
On voit mal, même muni d’une baguette tragico-dialectique, comment ce désastre radical pourrait magiquement produire sa négation, alors qu’il a su en faire son consommable de pointe.
Car la domination de son côté a effectivement été contrainte de devenir furieusement réformiste, et même révolutionnaire – au sens du retour enrichi à l’origine la richesse de l’argent.
Le développement des forces productrices ne pouvait développer que l’argent, et digérer le reste. Il entre dans la nature de l’artifice de tout artificialiser (du latin artificium sorte de terme générique des artes sordidae désignant les travaux qui conviennent aux esclaves et/ou ceux qui relèvent du lucratif : « Phidias fait une statue une est la récompense qu’il tire de son art ars), autre celle qu’il tire de sa production (artificium) la récompense qu’il tire de son art est d’avoir fait ce qu’il a voulu, celle de sa production est de l’avoir fait avec profit », Sénèque).
S’il s’agit de renverser les capitalistes pour autogérer de telles forces productives (même réaménagées), autant que ce soit la pseudo-intelligence artificielle qui le fasse (ce qui d’ailleurs est en train d’arriver).
Table des matières
Chapitre 1
La question centrale.
Où l’on démontre que :
• Marx a nettement sous-estimé la destructivité du capitalisme.
• Marx a néanmoins correctement estimé l’aliénation.
• À la suite de Marx, les situationnistes ont correctement posé la question centrale.
• La question centrale n’est pas secondaire, quand bien même les questions secondaires sont devenues centrales.
Chapitre 2
La société du spectacle et ses ennemis.
Où l’on démontre que :
• Les situationnistes étaient modérément technophiles.
• La société est avant tout et en dernière instance spectaculaire, et seulement conséquemment techniciste et industrielle.
• Le « coup du monde » n’est rien de technique.
• Ellul aurait mieux fait de devenir situationniste (et ce n’est pas un détail).
Chapitre 3
L’économie n’existe pas.
Où l’on démontre que :
• La valeur, qu’elle soit d’usage, d’échange ou d’autre chose, est le monde moins le monde.
• L’économie est la diversion suprême.
• Lorsque le savoir séparé a tout séparé, l’or s’est couché sur le monde.
• Le travail, c’est capital (et ce n’est pas de la novlangue).
Chapitre 4
L’humanité n’existe toujours pas.
Où l’on démontre que :
• Chacun est tissé de tous les autres sous un motif jamais le même.
• Le temps est une invention des hommes incapables d’aimer.
• Au commencement est l’anarchie.
• La vie doit tout remplacer.
Annexe
• Les aventures du fétichisme.
_ Genre : Essai
_ Titre : Le Brouteur GalantManuel de l’arnaqueur sentimental
_ Auteurs : Valentina Peri
_ Directeurs de la publication : Magali Daniaux & Cédric Pigot
_ Graphisme : Schulz & Leary
_ Prix : 23 euros
_ Parution : Septembre 2024
_ EAN 13 : 978-2-9562753-9-8
_ Format ferme : 14 x 22,5 cm
_ Nombre de Pages : 208
_ N&B
_ Souple
_ Type de reliure : broché
_ Tirage : 500
LE BROUTEUR GALANT manuel de l’arnaqueur sentimental
Bonjour chère amie mademoiselle ou madame, Je suis nouveau sur le site et j’aimerais bien me faire de nouveau amis…
Valentina Peri a collecté les textes réunis dans ce manuel auprès des arnaqueurs aux sentiments de Côte d’Ivoire, les brouteurs.
Le Brouteur Galant dévoile avec finesse leurs stratégies et leurs procédures. À travers ses pages, le lecteur est transporté dans un récit au pouvoir performatif indéniable, où la communication amoureuse se révèle à la fois piège et source d'addiction.
Le Brouteur Galant est héritier de la tradition des Secrétaires galants, manuels de rédaction de lettres d'amour remontant au 18e siècle, qui inspirent à la fois le titre et la structure de cette publication. Elle retrace les différentes étapes du processus de l’arnaque : des textes de connaissance à la découverte du faux profil de l’arnaqueur, et se termine avec le Mini Dictionnaire du Broutage en langue nouchi.
Objet hybride entre outil de travail, manifeste de la sagacité ivoirienne, hommage au romantisme contemporain médiatisé par la technologie, Le Brouteur Galant défie toute classification et se présente comme un témoignage vivant d'un phénomène social et économique effervescent en Afrique de l'Ouest.
Valentina Peri est une commissaire d’exposition indépendante et autrice. Ses recherches explorent l’impact de la technologie sur la culture contemporaine, avec un focus sur l’intimité et l’amour à l’ère du numérique. Depuis 2022 elle travaille sur le phénomène des arnaques amoureuses en ligne en Afrique de l’Ouest.
Mes 5 premiers jours avec la mougou
Textes de connaissance
Excellents déclencheur de conversation pour les couples
Sujets de conversation profonde pour les couples
Questions stimulantes sur les relations
Mise en confiance
Mètre une cliente en LOVE CHAP CHAP
SMS pour homme
SMS pour femme
Message d’amour pour lui
SMS D’AMOUR
Romantique bonne nuit
Bonne nuit avec humour
Petits messages simple pour son amoureux
Sur l’amour
MES POEME DAMOUR POUR HOMME SUPER
Rêve
JE NE PEUT GARDER
CELA EN MOI SANS TE LE DIRE
Déclaration d’amour pour femme
Je Veux Te Dire …………
Je t’ouvre mon coeur
Déclaration d’amour
A PROPOS DE MOI POUR L,AMOUR
RIEN A SE CACHER
TAXER LE CLIENT
ARRIVÉE A L’AREOPORT
DÉCEPTION
FAU PROFIL
FORMATES DE PERVERS
Liens De Garcons Pour Ton Bara
Liens De Mousso Pour Ton Bara
MINI DICTIONNAIRE DU BROUTAGE
Liste non exhaustive des noms des brouteurs de Côte d’Ivoire
Biographie
Remerciements
Mes premiers jours avec la mougou 5
1er jour avec la mougou
Bonjour chère amie mademoiselle ou madame, Je suis nouveau sur le site et j’aimerais bien me faire de nouveau amis a travers j’aime découvrir de nouveaux horizons et j’aimerais que vous fassiez partir de mes nouveaux amis
Merci beaucoup je suis enchanter de pouvoir faire votre connaissance et aussi pouvoir vous compter parmi mes amis
Possible de ce tutoyer ?
Ok merci, c’est sympa de votre part
Tu es de quelle ville ? moi je suis de Tours une ville au nord de la France
Si tu me le permet bien quel âge as tu ?
Moi 44 ans
Tu es mariée ?
Moi je suis Célibataire
Cela fait combien de temps que tu es séparé ?
Moi je suis célibataire depuis maintenant 2 ans
Tu vie seul ? Ou avec de la compagnie ?
Je avec ma fille caroline 9 ans et toi tu as des enfants ?
Et où vivent tes parents et as tu des frères ou sœur ?
Moi j’ai perdu mes deux parents dans un accident de la circulation depuis maintenant 4 ans et je suis l’unique de mes parents pas de frère ni de sœur
Tu as déjà eu des relations vague ou quelconque après ta séparation?
Moi j’ai eu deux relations vague après ma séparation mais bon toujours rien.
Textes de connaissance
Excellents déclencheur de conversation pour les couples
Quel est votre souvenir d’enfance préféré ?
Ton souvenir d’enfance le moins aimé ?
Quelle est la première chose dont vous vous souvenez ?
Préférez-vous être milliardaire ou avoir une source inépuisable de connaissances ?
Parlez-moi de quelque chose que vous avez vécu et pour lequel vous n’avez aucune explication.
Qui était votre super-héros ou votre idole en grandissant ?
Vous préférez la plage ou la montagne ?
Quelle est votre parole de chanson préférée?
Pourquoi? Quel a été le pire professeur que vous ayez jamais eu ?
Quel a été le meilleur professeur que vous ayez jamais eu ?
Si l’argent n’était pas un problème, vers quelle destination voudriez-vous voyager ?
Quel serait votre job de rêve ?
Quel travail ou type de travail ne voudriez-vous jamais avoir ?
Qui étiez-vous le plus proche de grandir, votre mère ou votre père ?
Ou quelqu’un d’autre lié à vous?
Parlez-moi de 3 choses dont vous aviez peur quand vous étiez enfant.
Quelles sont les 3 choses dont vous diriez que vous avez peur maintenant ?
Quelle est ta plus grande peur?
Préférez-vous avoir le pouvoir de voyager dans le temps ou le pouvoir de voir le futur ?
Préférez-vous avoir la capacité de voler ou la capacité d’être invisible ?
Si vous n’aviez qu’un dernier repas, que choisiriez-vous de manger ?
Croyez-vous aux fantômes ou au surnaturel ?
Avez-vous déjà vécu une expérience surnaturelle ?
les Voix invisibles
médiumnité féminine, ou le pouvoir d’écrire
Stéphanie Peel
*éditionsMagiCité.
* ésotérisme
* médiumnité
* littérature
* féminismes
* écriture
* pouvoir
* autonomie
* spiritisme
* archives
les Voix invisibles médiumnité féminine, ou le pouvoir d’écrire
Stéphanie Peel
disponible le 29 novembre 2024 13 euros / 1 500 exemplaires
essai / féminisme / littérature / histoire
115 × 165 mm / 136 pages NB / souple, dos carré collé offset avec un ton direct sur la couverture
*résumé.
Vestales, pythies, druidesses, sorcières, médiums, les figures féminines semblent être de tout temps des intermédiaires privilégiés entre les mondes visibles et invisibles. En s’intéressant au spiritisme français du XIXe siècle, Stéphanie Peel révèle l’importance des femmes dans ce courant qui se base sur l’existence et la communication avec les Esprits. À partir d’un corpus de textes écrits par des femmes médiums, elle tente de montrer comment, bien qu’assujetties à des autorités scientifiques, spirites ou invisibles, celles-ci atteignirent paradoxalement une certaine forme d’indépendance et de reconnaissance et ce, par l’accès à la publication. Manuels doctrinaires, (auto)biographies d’Esprits, fictions spirites, revues, etc., ces multiples tentatives permettent de mettre en lumière une autre histoire, celle de ces occultées, qui ont trouvé des voi·es·x détournées pour exister — écrire.
*les points forts du livre.
• Une proposition transversale convoquant l’histoire de l’ésotérisme et de la littérature au regard des luttes féminines.
• Un essai de vulgarisation sur le spiritisme français, interrogeant ses origines.
• Pour un lectorat mixte : engagé, féru d’histoire ou de littérature.
• Poèmes, lettres, écritures médiumniques… un corpus de documents pour la plupart méconnus ou inédits.
• Un travail d’exhumation et de réactivation d’archives.
• Une invitation à considérer l’écriture comme puissance magique et émancipatrice.
*l’autrice. Stéphanie Peel est chercheuse à l’Université libre de Bruxelles. Elle est titulaire d’un double master en communication et langues et littératures françaises et romanes, complété d’une formation en étude de genre. Ses publications et ses conférences se concentrent sur les intersections entre ésotérisme, féminismes et littérature. Sa thèse de doctorat s’intitule, Les voix(es) des femmes : agentivité et écriture dans les courants ésotériques en France, Suisse et Belgique (1857- 1914)
*préface. Alexandra Bacopoulos-Viau historienne des sciences et de la médecine, elle est l’autrice de la thèse Scripting the Mind. Automatic Writing in France, 1857-1930 (2013).
*postface. Nicole Edelman maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Paris-Nanterre. Autrice de Voyantes, guérisseuses et visionnaires en France, 1785-1914 (1995) et des Métamorphoses de l’hystérique : du début du XIXe siècle à la Grande Guerre (2003).
*éditionsMagiCité. met en scène les rapprochements intimes et essentiels entre mondes magiques et critique sociale. *éditionsMagiCité. piste des textes et des documents risqués, explore la transdisciplinarité des sciences — sociales ou naturelles, toujours sans majuscules — et ouvre celles-ci à des relations hybrides, parfois inavouables.
les Voix invisibles
médiumnité féminine, ou le pouvoir d’écrire
Stéphanie Peel
*éditionsMagiCité.
les Voix invisibles
médiumnité féminine, ou le pouvoir d’écrire
les Voix
invisibles
médiumnité féminine, ou le pouvoir d’écrire
Stéphanie Peel
*éditionsMagiCité.
Stéphanie Peel
*éditionsMagiCité.
« L’histoire comme nécromancie, vaste entreprise permettant de rentrer en dialogue avec des figures, hommes et femmes d’ailleurs, d’outre-tombe pour les faire revivre à travers les siècles et leur donner “ une seconde vie ”. »
« Dans cette perspective, l’écriture devient en elle-même un médium, un intermédiaire permettant de faire passer des messages par-delà le tombeau, […] le travail d’analyse historique comme littéraire reste par bien des aspects le même : faire parler les archives, retrouver les voix du passé, ressusciter les mort·e·s, les (ré)incarner en quelque sorte. »
« On peut, en effet, voir l’écriture comme une évocation, venant ébranler l’éternelle question de l’inspiration, qu’elle soit extérieure (muses, grâce divine, bons ou mauvais génies antiques, etc.) ou intérieure (inconscient, instinct, intuition, génie inné, etc.). L’acte d’écriture semble renvoyer immanquablement à une forme d’altérité, que ce soit une autre part de nous ou encore un être mystique qui nous souffle ses réflexions. »
« Car l’ésotérisme est une voie, qui peut sembler aujourd’hui surprenante, mais qui a été une part importante de la société du XIXe siècle s’immisçant dans l’ensemble des champs, qu’ils soient scientifiques, littéraires, culturels, politiques ou artistiques. L’ésotérisme a été et est, ne l’oublions pas, une tentative de réponse face aux doutes existentiels et métaphysiques. S’il a de tout temps existé, depuis l’Antiquité jusqu’au New Age, c’est à cette époque qu’il semble s’être affirmé avec plus de force encore, résultat sans doute des crises politiques et religieuses qui émaillent le siècle. »
« Dans quelle mesure, la croyance et l’adhésion à un courant ésotérique ont permis aux femmes de se penser en tant que sujet, d’avoir un regard réflexif sur leur condition et celles d’autres minorités et a fortiori de s’engager et de militer pour leur cause ? À l’inverse, est-ce que le féminisme prédispose les femmes à l’ésotérisme et à la magie ? Quelles sont les voi·es·x secrètes qui relient ces deux courants ? »
« Quand on voit l’engouement actuel au sein de l’écoféminisme pour les rites païens et la spiritualité, ces questions ne sont pas sans intérêt. D’autant plus que d’un point de vue historique, ces parties sombres de l’histoire, des sorcières aux mystiques en passant par les somnambules et les médiums, semblent être un espace particulièrement propice à l’expression des femmes. »
« En effet, cette mise au ban des femmes de l’histoire et de l’histoire littéraire a influencé la manière dont leurs écrits ont été conservés, traités ou même valorisés. Les femmes sont partout, mais paradoxalement elles ne sont presque nulle part dans notre espace culturel, elles sont elles-aussi cachées au fond des bibliothèques ou des fonds privés. »
« En effet, l’ésotérisme au XIXe siècle revêt quelques particularités, et il s’agira de s’interroger sur son rapport à l’écrit d’une part, sur la place des femmes au sein de ces courants et l’intérêt des écrits de ces dernières plus précisément. C’est ici que nous invoquons la notion “d’agentivité”, inspirée des études de genre, et nous la lions à l’acte d’écriture afin de démontrer tout le processus d’affranchissement opéré grâce à ces courants et qui soutient des ambitions personnelles, politiques et littéraires et qui ont dès lors été sources d’une véritable conscience de soi et a fortiori de revendications féministes. »
« Nous verrons comment leur assujettissement dans le double sens de subordonné à un pouvoir et de devenir sujet — a pu paradoxalement constituer une voie vers une plus grande autonomie et une liberté d’expression : de la somnambule qui explore son propre corps grâce au sommeil magnétique et prescrit des remèdes — et supplante de ce fait l’autorité des médecins — à la médium qui prétend être l’intermédiaire des Esprits et transmet des messages édifiants et moralisateurs sur la société. »
« Si l’on s’intéresse davantage aux implications psychologiques, voire psychiatriques : “Être médium, c’est être quelqu’un qui n’est pas tout à fait soi-même, mais qui est aussi un peu plus que soi-même”. On peut dès lors y voir une certaine “dépossession du moi”, en termes psychanalytiques, qui met en lumière le questionnement identitaire de ces femmes […] Le cas de Schéva B., jeune femme russe qui fut étudiée par deux aliénistes, illustre parfaitement cet étrange processus. Elle aurait été atteinte d’un “délire érotique d’interprétation” et, en état de transe, elle a des “crises de graphorrhée impulsives”, c’est-à-dire qu’elle écrit de façon automatique à la manière des médiums spirites. »
À paraitre, janvier 2025
éditions Lorelei, coll. « Frictions »
60 p., 17 × 10,7 cm
ISBN : 978-2-9584193-7-0
10 €
Penser la portée politique et philosophique des images de la Palestine nous force, d’abord, à comprendre les conditions de visibilité particulières qui y sont associées. « D’une part, les Palestiniens luttent contre l’invisibilité, qui est le sort auquel ils ont résisté depuis le début, d’autre part, ils luttent contre les stéréotypes médiatiques : l’Arabe masqué, la kufyya, le Palestinien lanceur de pierres — une identité visuelle associée au terrorisme et à la violence » (Edward Saïd). Aujourd’hui, il faudra ajouter les images des Palestiniens en tant que victimes : enfants tués ou blessés, familles désespérées, masses attendant aux points de contrôle.
Comment produire une visibilité qui ne se laisse pas absorber par le fux des images surdéterminées, comment créer des images qui perturbent les stéréotypes au lieu de les stabiliser ? Cet essai cherche à penser ces questionnements à travers des projets artistiques palestiniens, en particulier dans le champ de l’art vidéo et du cinéma, depuis les années 1960.
Sommaire
1+1 = 3 : au-delà d’un dualisme idéologique
Exploser les cadres
Réappropriation de l’image de soi : images révolutionnaires retrouvées
Rendre visible ce qui ne se voit pas : violences structurelles
Stefanie Baumann est chercheure à l’Institut de philosophie de l’Université Nouvelle de Lisbonne (IFILNOVA), où elle dirige le groupe de travail Thinking Documentary Film. Docteure en philosophie de l’Université de Paris 8, elle a enseigné la philosophie, l’esthétique et les théories de l’art contemporain à l’Université Paris 8 (2007-2010), à l’Académie libanaise des Beaux-Arts/Beyrouth (2012-2015), à Ashkal Alwan/Beyrouth (2013) et au Maumaus Study Program à Lisbonne (depuis 2016). Pendant le semestre d’été 2023, elle a été professeur intérimaire de philosophie à la HfBK de Dresde. Membre du collectif Suspended spaces, elle collabore depuis plusieurs années avec plusieurs artistes et cinéastes (Esther ShalevGerz, Marie Voignier, Mounira al Solh).
À paraitre, janvier 2025
éditions Lorelei, coll. « Frictions »
60 p., 17 × 10,7 cm
ISBN : 978-2-9584193-6-3
10 €
L’histoire de l’art du XIXe siècle est souvent décrite comme un champ de tensions entre deux grandes tendances : d’un côté, l’art bourgeois, contrôlé par les académies des beaux-arts et conforme aux attentes du pouvoir ; de l’autre, l’art pour l’art, qui revendique son autonomie par rapport au champ social et politique, et rompt avec le conformisme bourgeois. La notion d’Art social propose une troisième voie en prônant un art pourvoyeur de changements sociaux et politiques.
La notion d’Art social sert alors de porte-drapeau à divers groupes politiques et artistiques tout au long du XIXe siècle, atteignant son apogée dans la dernière décennie, au sein de la mouvance anarchiste. De 1889 à 1896, des écrivains, artistes et activistes se rassemblent et utilisent notamment la revue L’Art social comme plateforme pour prôner la lutte contre la bourgeoisie, l’art comme moyen révolutionnaire, et l’accès à la culture pour tous comme vecteur d’émancipation. La présente anthologie réunit une sélection de textes relatifs à cette aventure intellectuelle.
Sommaire
— Avant-propos
— Adolphe Tabarant, « Le Club de l’art social », 1890
— Gabriel De La Salle, « Prise d’armes », 1891
— Ernest Museux, « Mission », 1891
— Bernard Lazare, « L’Écrivain & l’art social », 1896
— Louis Kroujok, « L’État maître ès-arts », 1896
Biographies
Gabriel De La Salle (1849-1914) exerça divers métiers comme comptable, libraire et publiciste. Il co-dirigea, aux côtés d’
Eugène Chatelain, la revue L’Art Social publiée de novembre 1891 à février 1894. Dans « Prise d’armes », paru au sein du premier des 26 numéros, il présente le combat social à mener sur le plan de l’art.
Louis Kroujok : Les directeurs de publication n’ont trouvé aucune autre apparition de ce nom et émettent l’hypothèse qu’il s’agit d’un pseudonyme. La signifcation du terme «kroujok» (en Russie, un cercle où les participants se réunissent pour poursuivre une activité commune, notamment artistique, et qui joue un rôle majeur dans l’éducation et le développement personnel des enfants et des adultes) appuie cette théorie.
Bernard Lazare (1865-1903) fut écrivain, critique littéraire et journaliste politique anarchiste. Il publia, en 1894, L’Antisémitisme, son histoire et ses causes, une analyse des origines de l’antisémitisme et s’impliqua dans le mouvement en faveur de la révision du procès Dreyfus. Sa lettre « J’accuse… ! » fut reprise par Émile Zola. L’Affaire suscita chez Bernard Lazare des questionnements sur la persistance de l’antisémitisme et le conduisit en 1897 à adhérer brièvement, au mouvement sioniste institutionnel.
Il cofonda en 1896 le Groupe de l’Art social, et participa à la revue L’Art social, réactivée la même année. Dans la conférence « L’écrivain et l’art social » donnée en avril 1896 dans le cadre des activités du groupe, puis publiée dans la revue, Bernard Lazare propose une réinterprétation de l’histoire littéraire, visant à légitimer l’Art social.
En 1892, De La Salle ft le projet d’un Théâtre d’Art social qui connut une seule et unique représentation l’année suivante. Le poète Ernest Museux (1853-1917) est l’auteur de l’ouvrage Eugène Pottier et son œuvre : les défenseurs du prolétariat paru en 1898. Il contribua à la revue L’Art social notamment avec l’article intitulé « Mission » paru dans le numéro de décembre 1891.
Journaliste, écrivain et critique d’art libertaire, Adolphe Tabarant (1863-1950) fut le secrétaire du Club de l’Art social, dont les statuts furent publiés dans les Annales artistiques et littéraires le 15 novembre 1889. Il en présente les principes dans cet article paru au sein de La Revue socialiste pour laquelle il est journaliste.
Il fut l’un des signataires de la pétition pour la révision du procès Dreyfus parue le 16 janvier 1898 dans L’Aurore. Proche du milieu impressionniste et de l’artiste Camille Pissarro rencontré au Club de l’Art social, il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la peinture.
L’ODYSSÉE
Journal d’un exil birman
par Kyar PAUK
978-2-490516-11-7
16 € / 13x22 cm / 220 pages
Musicien, auteur et plasticien, Kyar PAUK (Han Htoo Lwin) est une des principales figures de la scène artistique birmane. Il est chanteur, compositeur et guitariste de Big Bag, un groupe alternatif birman, et coach et producteur de l’émission «The Voice Myanmar».
Auteur de 6 livres, il a également participé à de nombreuses expositions en Asie du sud-est et en Europe.
DevenueEN LIBRAIRIE FÉVRIER 2025
une figure des mouvements d’opposition à l’armée birmane, la superstar birmane Kyar Pauk prend la tête de plusieurs manifestations à Yangon après le putsch de février 2021.
Dans sa chanson Kyauk Kith (2020), il avait notamment samplé un discours virulent du dictateur NeWin. La chanson devient rapidement un hymne de ralliement pour la population éprise de liberté et lui vaut d’être considéré par la Junte comme un opposant.
Placé sur la liste des personnes les plus recherchées du pays, il doit bientôt fuir en direction de la Thaïlande où il restera pendant un an, avant que la pression militaire ne se resserre sur lui et que la France lui offre en 2023 l’asile politique.
C’est l’histoire de cette odyssée, de cet exil, entre la jungle, Bangkok et Paris que Kyar Pauk raconte ici. De son départ rocambolesque de Yangon jusqu’à son arrivée en France, en passant par les mois à se cacher dans la jungle à la frontière thaï tout en continuant à se battre pour ses idéaux de liberté et de démocratie, avant de traverser en canot la rivière qui sert de frontière et quitter son propre pays, ses deux filles sous les bras.
LES POINTS FORTS
• Le témoignage d’une figure birmane qui fait découvrir le combat d’un peuple pour la démocratie.
• Une histoire universelle qui touche au cœur, dans un style enlevé, parfois cru et avec humour.
• Une sortie pour le 4e anniversaire du putsch de février 2021, avec campagne de presse planifiée pour l’occasion.
également disponible en version ebook
CONTEXTE POLITIQUE DE L’ÉCRITURE DU LIVRE
La Birmanie (ou Myanmar) a organisé des élections générales en novembre 2020. Le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), a remporté une victoire écrasante. L’armée birmane (Tatmadaw) conteste cependant les résultats, alléguant des fraudes électorales sans fournir de preuves concrètes.
Le 1er février 2021, quelques heures avant l’ouverture de la nouvelle session parlementaire, l’armée arrête Aung San Suu Kyi, le président Win Myint et d’autres dirigeants du LND. Les militaires déclarent l’état d’urgence pour un an et transfèrent le pouvoir au général Min Aung Hlaing.
À l’intérieur du pays, des manifestations de masse éclatent, rassemblant des millions de personnes contre le coup d’État.
Les manifestations sont sévèrement réprimées entraînant des centaines de morts et des milliers d’arrestations.
La liberté d’expression est supprimée. Un vague de répression sans précédent s’abat sur le pays.
Dans le même temps, le putsch exacerbe les conflits armés larvés depuis l’Indépendance entre l’armée et divers groupes ethniques armés qui réclament plus d’autonomie ou l’indépendance. Certaines de ces forces reprennent les armes, entraînant des combats intenses dans plusieurs régions du pays.
Le coup d’État plonge le pays dans une grave crise politique, économique et humanitaire, avec des répercussions encore visibles aujourd’hui.
POURQUOI CETTE HISTOIRE EST IMPORTANTE À FAIRE CONNAÎTRE ?
Derrière l’expérience particulière de Kyar Pauk se cache une histoire universelle qui fait écho à l’histoire de nombreux réfugiés et demandeurs d’asile birmans qui ont fui leur pays dans des conditions similaires.
La notoriété de Kyar Pauk est un atout précieux dans cette démarche. En tant que figure connue et respectée, il possède la capacité unique de toucher les cœurs et les esprits d’un large éventail de personnes à travers le monde. Son histoire peut servir de pont, permettant à ceux qui ne connaissent pas la situation en Birmanie de se sentir concernés et de se mobiliser.
En partageant cette histoire, on contribue à la lutte contre l’oubli et l’indifférence. Les récits comme celui de Kyar Pauk sont des témoignages vivants de la lutte pour la liberté. Ils nous rappellent que la démocratie et les droits humains sont des valeurs pour lesquelles il vaut la peine de se battre, même au prix des plus grands sacrifices.
Publier l’histoire de Kyar Pauk est un acte de solidarité et de reconnaissance. En diffusant largement ce témoignage, on peut espérer inspirer d’autres à agir, à s’informer et à soutenir cette cause noble et juste.
PROLOGUE
Bureau de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, Paris
« Pouvez-vous raconter brièvement qui vous êtes ? »
Eh bien, c’est reparti ! Depuis que je suis devenu réfugié, je n’arrête pas de répondre à cette question : qui suis-je ?
L’homme à la barbe blonde ôte ses mains du clavier de son PC et les croise. Puis les met sous son menton, prêt à m’écouter. Je lâche un petit souffle.
« Je m’appelle Han Htue Lwin, connu au Myanmar sous mon nom de scène Kyar Pauk. Je suis le chanteur du groupe de musique Big Bag. J’ai deux filles. Je compose des chansons et je chante aussi. Je suis également producteur de musique. J’écris des livres, je dessine et je peins. J’ai aussi une chaîne de podcasts. Avant, j’avais mon propre groupe de musique mais maintenant, il est à l’arrêt car je ne suis plus sur place, au pays. Et puis …. »
« Pouvez-vous me dire tout ça en birman, via l’interprète ? », l’homme à la barbe blonde m’interrompt en montant sa main et en me le demandant avec un sourire. C’est seulement à ce moment-là que je réalise qu’il y a un autre homme assis à côté de moi, je ne sais depuis quand. C’est un interprète.
« Avons-nous besoin de traduction ? Nous parlons tous les deux anglais. » répliqué-je. Je ne me sens pas à l’aise de parler birman avec un non-birman.
L’homme me répond que c’est le protocole. Et l’interprète à côté de moi acquiesce en me disant dans un birman excellent avec un sourire chaleureux: « Vous pouvez avoir confiance en moi. »
Je lui réponds que je lui fais bien sûr confiance, mais que comme tout le monde parle anglais, je ne voudrais pas être impoli en parlant en birman.
Bref. Je lui redis en birman tout ce que je viens de raconter. L’homme à la barbe sourit et me demande avec étonnement : « Vous faites beaucoup de choses, est-ce qu’il y a des choses que vous avez oublié de nous dire ? »
À vrai dire, j’ai dû mal à raconter tout ce que je fais. Toute ma vie, je ne me suis jamais limité à ce que je ferai ou ne ferai pas. Tout est éparpillé dans ma tête.
Je prends mon temps pour réfléchir, et soudain, je me souviens d’une chose : “J’ai exercé le métier de dentiste”. L’homme à la barbe ne semble pas s’attendre à cette réponse. Il hausse les sourcils et me demande « C’est vrai ? »
« C’est vrai ». C’est mon interprète qui répond en français à ma place. C’est maintenant à mon tour d’être étonné. Comment le sait-il ? Il sourit dans un clin d’œil complice.
Comprenant maintenant que ces gens ne sont pas là à m’interroger avec soupçon, je me détends un peu.
L’homme à la barbe blonde pianote sur son clavier. Je sais qu’il est en train de vérifier sur internet si tout ce que je viens de lui dire est vrai. J’ai déjà eu ce genre d’expérience en passant des entretiens avec des organismes comme le HCNUR* ou, l’OIM*. Pour lui faciliter la tâche, je lui suggère de chercher mon nom sur Wikipédia. « Oh ! Vous êtes sur Wiki ? » me demande-t’il avec étonnement. L’interprète lui sourit et acquiesce. Cet homme en savait donc déjà beaucoup sur moi !
Après avoir regardé son écran pendant 2 ou 3 minutes, l’homme à la barbe blonde, l’air satisfait ajoute : « Vous avez fait partie des coachs de l’émission The Voice également. »
J’avais oublié de lui mentionner. J’étais coach, mais aussi producteur de l’émission. Pour certains, ce sont peut-être des sujets à raconter avec fierté, mais pour moi c’était juste du travail. Il y a beaucoup de choses dont je suis fier. Mais, à l’heure actuelle, je n’ai même pas envie de me vanter. Malgré la personne que j’ai été, quoique j’aie pu faire, je ne suis plus personne à l’heure actuelle. Cela fait un petit moment que je suis devenu un simple numéro pour des organismes d’aide humanitaire.
« Je sais que cela vous fait du mal de raconter toutes ces choses, mais nous avons besoin de savoir ce qu’il s’est passé après le coup d’État par l’armée au Myanmar », dit l’homme à la barbe.
« Du début à la fin ? » lui demandai-je.
« Si vous pensez que c’est nécessaire, oui. » me répond-il.
« Je n’ai pas de problème à tout vous raconter, mais avez-vous le temps ? Cela risque d’être très long », lui dis-je en souriant.
« Prenez tout le temps dont vous avez besoin. Je suis là pour vous toute la soirée. » me répond-il en anglais.
Je tourne ma chaise face à lui : « A vrai dire, tous les problèmes ont commencé avant même le coup d’État… »
En librairie
octobre 2020
Isbn : 978-2-490516-05-6
Prix de vente public : 12,9 euros ttc
152 pages, broché, 12x22 cm
également disponible en version eBook
La voix d’Amara
Le jour où elle apprend qu’un ami de son fils ne peut plus héberger un jeune migrant, Joëlle n’hésite pas. Ce soirlà, il est convenu par téléphone qu’Amara restera 10 jours. Elle a quelques instructions : lui préparer un bon petit déjeuner le matin avant de le laisser partir en maraude, quelques règles de cohabitation, et un avertissement : il ne faut pas interroger ces jeunes sur leur voyage.
De cet hébergement, qui durera finalement 9 mois, pendant lesquels Joëlle a appris à Amara à lire et écrire, ils ont tenu un journal. Un journal politique et poétique pour donner la voix à ceux qui vivent les migrations.
LE MOT DE L’ÉDITEUR :
Alors même que les actualités parlent des migrants quasi quotidiennement, que les évènements se succèdent à propos des migrations, de l’hospitalité, de la géopolitique… etc., il est finalement très rare d’entendre réellement la voix des ces migrants. C’est ce qui rend ce texte si précieux.
La puissance de ces tout premiers textes d’Amara Camara et la finesse du récit de Joëlle Le Marec, professeure des universités et sémiologue, font de ce journal un ouvrage nécessaire.
Une manière aussi de montrer que tout est politique : de l’écriture à l’ouverture de la porte de sa maison.
Amara CAMARA & Joëlle LE MAREC
“ Je voudrais partager ce dont je suis témoin. Car il faut écrire et partager ses mots qui ont surgi.”
Le premier dimanche d’octobre, je suis allée au cinéma avec un de mes fils. Nous nous sommes promenés le long du bassin de la Villette. Il y avait des groupes d’hommes assis sur les marches d’escalier face à des bénévoles du BAAM, le bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants, qui donnaient leur leçon de français en plein air.
Je me rappelle m’être dit que je n’oublierai pas l’ambiance nerveuse et chaleureuse de cette soirée parisienne : le trajet vers le quai de Loire, la traversée de la place, le passage sur le pont audessus de l’écluse, la discussion avec Amaury à propos du souvenir d’une soirée au cinéma qui avait changé son imaginaire quand il était tout petit. Je me souviens de ces récits de souvenirs, car cette soirée ferait peut-être partie ellemême de la collection des moments qui précèdent la transformation du cours des choses.
Le jour où Raphaël m’a parlé de son ami qui ne pouvait plus continuer d’héberger un jeune migrant de 16 ou 17 ans et que ce serait peut-être l’occasion pour moi de m’engager, je n’ai pas hésité et tout s’est passé en 24 heures. Rétrospectivement, c’était trop précipité : j’aurais dû me renseigner sur les différents réseaux d’hébergeurs bénévoles. Mais je ne le regretterai jamais : comment regretter la rencontre avec une personne remarquable, celle-ci et nulle autre ?
D’où je viens, très loin.
Où je vais, personne ne le sait, même pas moi.
Je me suis dit qu’après cette soirée, une part d’insouciance disparaitrait peut-être, comment savoir ? De toute façon, l’insouciance disparaît peu à peu depuis des années en Europe. Je me rappelle m’être dit que mes deux fils étaient cette fois encore liés intimement à ce moment de veille de changement. Car c’est Raphaël qui m’avait parlé d’accueillir pendant quatre ou cinq jours un jeune africain, ivoirien ou malien, tout récemment arrivé en France, en attendant qu’il soit reconnu comme mineur isolé et pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance. Le jeune dormait depuis quelques jours sur le canapé d’un de ses amis. Cela faisait des mois que je cherchais à faire quelque chose d’autre que de côtoyer chaque jour les personnes venues d’ailleurs, si lointaines et si proches, dans les squares de la Goutte d’Or, ou dans la queue devant le local de France Terre d’Asile. Le matin je passais chez le boulanger acheter quelques baguettes pour en donner aux petits groupes qui s’éveillaient, avec le sentiment pénible de me faire du bien à moi-même plus qu’à ces jeunes inconnus du trottoir.
Personne ne le sait, mais
Pour le moment je vous parle
De là où je suis.
Ce soir-là, je pense que le principal changement dans ma vie sera l’entrée dans la sphère militante de ceux qui aident concrètement : je me représentais les transformations à venir comme une densification des amitiés, les liens, les apprentissages solidaires militants. Ce ne sera pas le cas. Le changement sera la rencontre avec Amara, un jeune ivoirien de 17 ans, et tout ce qui s’en suivra avec mes proches et avec ceux et celles qu’il prendra l’initiative lui-même de me faire rencontrer. Encore aujourd’hui, je peux compter sur les doigts d’une main les contacts avec les membres du réseau d’hébergement qui avait repéré et aidé Amara lorsqu’il s’était retrouvé à la rue, réseau que j’imaginai être la communauté dont je ferai partie. L’ouverture, les liens viendront de lui. Je ne veux pas détailler plus : nous faisons toutes et tous ce que nous pouvons. Les problèmes viennent des politiques inhumaines et pas de ceux qui aident.
—
Amara
Ce soir-là, il est convenu par téléphone qu’Amara restera 10 jours. J’ai quelques instructions : lui préparer un bon petit déjeuner le matin avant de le laisser partir en maraude, quelques règles de cohabitation, et un avertissement : il ne faut pas interroger ces jeunes sur leur voyage.
— Joëlle
Les auteurs
La maison d’édition
LJoëlle LE MAREC est Professeure des Universités au CELSA, Sorbonne. Auteur de plusieurs ouvrages, elle travaille sur les musées et bibliothèques comme lieux d'expression culturelle des savoirs, mais aussi sur les pratiques d'enquête, et sur les rapports sciences et société.
J'habite à La Chapelle depuis longtemps. À partir de 2015, beaucoup de nouveaux arrivés vivent dans la rue, dont des mineurs, isolés. Peu à peu l'évidence s'est imposée : quand les frontières se ferment, il faut ouvrir sa porte. Les savoirs sur le monde affluent et ouvrent la voie à de nouveaux récits.J'entre alors en dialogue quotidien avec Amara. Nous partageons des apprentissages pendant neuf mois, et au-delà.
Amara CAMARA est ivoirien, guinéen. Il est entré en France le 27 août 2017, alors qu’il était encore mineur. Après sa rencontre avec Joëlle Le Marec, il apprend avec elle à lire et à écrire en quelques semaines et commence à écrire des chansons et de la poésie.
Mon nom d'artiste, c'est Amssi :
A comme Action (je suis dans l'action, toujours)
M comme Million (je voulais être millionnaire pour tirer la famille de la misère)
S comme Soleil (il brille pour tout le monde)
S comme Sociable (il faut connaître toutes sortes de personnes)
I comme Intelligence (ce qui compte, c'est de faire les choses intelligemment)
’imaginaire, à sa façon, diagnostique le présent, participe du débat public, construit le futur.
• SiKiT veut développer l’imaginaire sans savoir s’il rentre dans la bonne case éditoriale.
• SiKiT est un espace de création pour imaginer de nouvelles formes littéraires, de nouveaux formats.
• SiKiT est un maison qui mixe, hybride des genres qui ne se rencontrent jamais : sciences sociales, littérature, arts graphiques, actualités, théâtre…
• SiKit est politique dans le sens premier du mot. Pas de militantisme. Seulement des ouvrages pour participer à la vie de la Cité, loin des polémiques partisanes. Publier un livre est politique.
• SiKiT est la petite sœur de MkF éditions qui publie notamment plusieurs collections papier et numériques en sciences sociales et des beaux-livres augmentés.
Bref, SiKiT est un espace de liberté, une drôle de maison, un projet en constante germination, irrigué par les idées les plus folles des auteurs et la fidélité la plus tenace des lecteurs !
SiKiT éditions 1, rue Maison Dieu - 75014 Paris Distribution/Diffusion : Serendip Livres
MÉCANIQUE DU FAIT DIVERS
Histoires singulières, émotions collectives par
Bérénice MARIAU
978 2 493458 10 0
17 ¤ TTC
184 pages, broché, 12x20 cm
L’AUTRICE
Pourquoi les faits divers nous fascinent-ils autant ?
Bérénice Mariau nous plonge au cœur de ces récits dramatiques qui peuplent nos journaux et nos écrans. En explorant les mécanismes des faits divers, l’autrice décortique ces événements qui semblent si anodins au premier abord. Qu’ils soient grossis, manipulés ou qu’ils révèlent réellement les dysfonctionnements de notre société, ils touchent toujours à des thèmes universels : peur, injustice, violence… Ce texte passionnant montre comment les faits divers, bien que souvent perçus comme des informations mineures, jouent un rôle crucial dans la manière de penser la société, les émotions humaines et les dynamiques politiques et sociales. Ils représentent des histoires extraordinaires dans l’ordinaire, offrant des perspectives sur les paradoxes de notre condition humaine.
Bérénice MARIAU est enseignante-chercheuse en communication et spécialiste des dispositifs d’information. Elle mène des recherches sur le journalisme et ses mutations, sur les dispositifs d’écriture de l’actualité. Spécialiste de la place de l’émotion dans la narration audiovisuelle des faits divers, elle travaille aussi plus largement sur la représentation de la violence dans les médias (émeutes, terrorisme) et sa place dans les débats sur l’insécurité.
LES POINTS FORTS
• Un livre accessible qui dissèque les mécanismes de l’information
• Une autrice qui intervient régulièrement sur ces sujets dans les médias (RadioFrance, RFI, Public Sénat, RTS, Télérama, 20 minutes...)
• Un sujet qui touche tous le monde et qui fascine
également disponible en version ebook
MÉCANIQUE DU FAIT DIVERS
par Bérénice MARIAU
SOMMAIRE
INTRODUCTION
UN OBJET SOCIAL
Une dimension personnelle propice à l’identification
Se familiariser avec ce qui nous effraie le plus À travers le drame, la conscience de vie
Au mauvais endroit, au mauvais moment
Un trouble de la causalité
Une histoire simple révélatrice des implicites culturels
L’union face au drame
L’inscription de l’évènement dans le temps
Des tragédies quotidiennes
UN OBJET MÉDIATIQUE
Les prémisses du fait divers
Un succès inquiétant
Création de la rubrique et institutionnalisation du genre
Fait divers et littérature : une fictionnalisation de la chronique
Le fait divers à la télévision
Tous les drames ne deviennent pas des faits divers
Le fait divers entre nouveauté et répétition
La grammaire du fait divers : une forme commune pour une diversité de faits
Les lieux communs du drame
Des images à forte valeur émotionnelle
Un récit polyphonique : un drame porté à plusieurs voix
La rencontre entre l’image et le texte
« Au plus près de l’évènement » : questions éthiques et retombées pathémiques
Entre réalité et fiction, le fait divers comme objet d’inspiration
Le fait divers en ligne : un contenu multimédia propice à l’interaction
UN OBJET POLITIQUE
La vérité de l’émotion
Rendre public et politique pour dépasser le cas particulier
Le fait divers au service d’un « discours de haine dissimulée »
Sentiment d’insécurité et faits divers
L’émotion comme vecteur d’engagement politique
Un écosystème médiatique propice à la normalisation de discours de haine
CONCLUSION
EXTRAIT
Cette question de l’émotion et de l’intérêt porté aux faits divers ne peut entraîner que des pistes de réponses partielles qui reposent sur de nombreux facteurs révélateurs de la sensibilité et de la subjectivité de chacun. La nature de l’évènement, sa médiatisation, son usage politique, le rapport que chaque individu entretient avec les faits sont quelques exemples d’éléments rentrant en jeu dans la réception du fait divers. Certains points récurrents peuvent néanmoins être mis en avant pour expliquer la force d’attraction de ces récits dramatiques. Le caractère surprenant est en effet régulièrement pointé, le fait divers peut présenter des rebondissements et des retournements de situation où, par exemple, le mari éploré après la disparition de sa femme se révèle en fait être son assassin comme pour l’affaire Jonathan Daval. Certains faits divers gardent également une partie de mystère où le mobile, l’identité du coupable et les circonstances peuvent rester inconnus comme pour la tuerie de Chevaline où trois membres d’une famille et un cycliste sont retrouvés morts sur un parking alors qu’aucun lien ne les relie. Ces histoires présentent aussi l’avantage d’être facilement compréhensibles, elles ne nécessitent pas de connaissances particulières pour en saisir les grandes lignes, même si un savoir culturel est parfois nécessaire pour appréhender toutes les subtilités de l’affaire comme pour l’assassinat de Laëtitia Perrais qui avait entraîné un débat sur le traitement juridique des récidivistes sexuels et une grève des magistrats protestant contre un manque de moyens et de reconnaissance de la part du Gouvernement. Car le fait divers parle de l’être humain, de son ambivalence, mais aussi de sa place dans la société. Il peut donc être un indicateur de cette dernière, de son fonctionnement et de ses dysfonctionnements. Sa valeur anthropologique explique en partie l’intérêt du public, et des médias, pour ces évènements qui viennent pointer les éventuels problèmes rencontrés par l’homme en société. Le fait divers va ainsi mettre en lumière des individus de la vie quotidienne en favorisant l’identification du public qui ressentira éventuellement plusieurs émotions comme la tristesse, la colère, la pitié, etc.
D’ERVING À GOFFMAN
L’œuvre performée ?
par
Yve s WINKIN
979 10 92305 89 0
20 ¤ TTC
200 pages, broché, 12x20 cm + cahier d’illustrations
EEN LIBRAIRIE OCTOBRE 2022
rving Goffman est un des sociologues les plus marquants du XXe siècle. Spécialiste des interactions humaines, il a connu une carrière fulgurante, influençant nombre de ses contemporains et ayant une descendance intellectuelle d’envergure. Il a particulièrement marqué le monde universitaire français à la faveur de la publication de plusieurs de ses textes par Pierre Bourdieu. Cependant, chose étonnante, on ne connaît rien ou presque de sa vie.
À l’occasion du centenaire de sa naissance et des 40 ans de sa disparition, la première biographie du sociologue paraît, écrite par l’un des plus éminents spécialistes du sociologue.
Yves Winkin a bien connu Erving Goffman lors de ses années d’études aux États-Unis. Il a fouillé dans des années d’archives, de notes, de comptes-rendus d’entretiens pour façonner cet ouvrage écrit au long court, dans un style enlevé et accessible. Avec distance critique et humour, il analyse dans le même temps son travail de biographe pour donner une magistrale leçon de biographie.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Erving Goffman (sans jamais oser le demander) !
L’AUTEUR
Yves Winkin est Professeur extraordinaire émérite de l’Université de Liège et Professeur honoraire du Conservatoire national des arts et métiers. Il a proposé une « anthropologie de la communication » fondée sur une démarche ethnographique inspiré des travaux du sociologue américain Erving Goffman. Il a été directeur adjoint de l’École normale supérieure de Lyon, directeur de l’Institut français de l’Éducation et directeur du musée des Arts et Métiers. Il est notamment l’auteur des best-seller La nouvelle communication et Anthropologie de la communication (Le Seuil). Son dernier ouvrage, Réinventer les musées ? est paru chez MkF éditions en 2020.
LES POINTS FORTS
• La première biographie mondiale du géant Erving Goffman, écrite par le meilleur spécialiste de Goffman en Europe
• Une écriture très fluide et enlevée
• Un cahier d’illustrations avec des photos inédites d’Erving Goffman.
• Peut également être lu comme un réjouissant manuel à l’usage des biographes.
également disponible en version ebook
D’ERVING À GOFFMAN
L’œuvre performée ?
par Yves WINKIN
SOMMAIRE
PROLOGUE :
Goffman en majesté, contre toute attente
PREMIERE PARTIE :
Une vie si courte, une œuvre si forte
DEUXIEME PARTIE :
Goffman sur scène
« Il m’a écrabouillé »
« Ne vous comportez pas comme si nous ne devions pas vous respecter »
« Madame Frederickson, ne soyez pas si nostalgique »
« Monsieur Harwood, mon membre est peut-être vieux »
« Pouvons-nous inviter Erving à faire une magnifique péroraison et ensuite avoir une discussion ? »
« Que veux-tu que je fasse, Max, que je tombe à genoux et que je prie ? »
« Après cela, il n’y aura plus de photos »
« Ses feuilles tremblaient quand il parlait »
« On ne déjeune pas au Faculty Club »
« Il a lu son texte à toute allure sans regarder le public dans les yeux »
« C’est sympa, ça ne coûte pas cher et vous pouvez boire du bon vin »
« Il a affirmé que c’était une atteinte à sa vie privée »
« Approchons-nous des tables, sinon nous allons nous faire avoir »
« Les titres de certaines conférences peuvent apparaître un peu ésotériques aux non-initiés »
« On dirait un stalag »
« Hi buddy »
La conférence qui n’a pas eu lieu
TROISIEME PARTIE :
La conférence comme performance
Mais pourquoi les universitaires font-ils des conférences ?
Goffman, rentier ou banquier ?
De la représentation à la performance
La conférence sur la conférence à l’Université du Michigan en 1976
De l’œuvre performée à l’œuvre performative Goffman entre Cage et Duyckaerts
ÉPILOGUE :
Comment (ne pas) terminer une biographie ?
PRÉSENTATION DÉTAILLÉE
Que sait-on d’Erving Goffman ?
Tout au mieux qu’il a fait son terrain de thèse sur une île écossaise, qu’il a conduit des observations dans un asile, qu’il a fait une grande partie de sa carrière à Philadelphie et qu’il a été emporté par un cancer. Et trois photos circulant dans l’immensité du web, dont l’une d’entre elles rend mal compte de Goffman : endimanché à son bureau, avec son costume et ses livres, la photo avait été prise pour le New York Times, mais ne reflétait guère une personnalité plus légère, plus décontractée. Un intellectuel caboteur et fin limier.
Ce qui fascine chez Erving Goffman, c’est qu’il met son œuvre en pratique dans sa propre vie. Si son œuvre, telle autant de ressources écrites, est de l’ordre de la compétence, sa vie en public est de l’ordre de la performance.
Pour voir Goffman en performance, Yves Winkin le suit ainsi à travers les États-Unis, puis à travers le monde en train de donner des conférences. Il en a donné beaucoup, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Certes, il lui est arrivé d’interrompre sa conférence pour courir derrière un photographe à qui il n’avait pas donné d’autorisation.
Tous les artistes sur scène qui demandent que l’on ne les enregistre pas finissent toujours par être piratés — pas Goffman, apparemment. Il faut alors se fier aux notes de quelques participants, à leurs souvenirs, parfois de longues années plus tard. Reconstituer ce Goffman-là, celui de l’œuvre orale, qui n’est pas juste constituée d’extraits de l’œuvre écrite lus en public. Car Goffman est très conscient de ce qu’il fait quand il prend la parole en public pour une conférence (n’a-t-il pas publié « La conférence », repris dans son dernier livre, Façons de parler ?). Combien de sociologues ont réfléchi à ce qui leur arrivait derrière un micro, au point d’en faire un texte – ou plutôt une conférence lue, ultérieurement transformée en publication ? C’est cette piste qu’Yves Winkin a décidé de suivre pour façonner les contours de cette première biographie d’Erving Goffman.
Yves Winkin est aujourd’hui un des plus éminents spécialistes du sociologue. Ses nombreux travaux sur Goffman sont utilisés dans le monde francophone comme dans le monde anglophone, au Brésil comme au Japon.
Yves Winkin a récolté pendant près de quarante ans entretiens, notes et archives autour de Goffman pour façonner aujourd’hui cet ouvrage écrit dans un style enlevé et accessible.
En librairie
octobre 2018
Collection
[LES ESSAIS MÉDIATIQUES]
Vers une civilisation du loisir ?
Joffre DUMAZEDIER
Introduit par un entretien avec Edgar MORIN
Isbn : 979-10-92305-48-7
Prix de vente public : 19 euros ttc
240 pages, broché, 12x20 cm
également disponible en version eBook
Contact éditeur :
Mikaël Ferloni
Tel: 06.84.15.06.78 mikaelferloni@mkfeditions.com
Le loisir, sans qu’il ne soit jamais cité, est au cœur des modèles de sociétés qu’on nous propose. Travailler plus pour gagner plus, liberté d’entreprendre, réduction du temps de travail comme réponse au chômage, instauration d’un revenu universel sont autant de visions qui interrogent la place du loisir dans nos vies et le droit au délassement, au divertissement.
Texte visionnaire publié en 1962 et jamais réédité depuis, Vers une civilisation du loisir ? est d’une actualité bouillonnante. Il apporte des éléments de réflexion à un grand nombre de questions qui nous animent aujourd’hui.
Son auteur, Joffre Dumazedier, a été un militant de l’éducation populaire, un penseur singulier, un homme d’action (il fut résistant) et de réflexion qui n’aura eu de cesse d’œuvrer pour un droit au loisir toujours plus grand, car il croyait aux vertus du temps libre et à ce qu’il permet : se rencontrer, échanger, collaborer. Finalement : se cultiver et devenir meilleurs.
C’est pour cela qu’il nous est apparu nécessaire de republier ce texte en 2018. Celui-ci a été légèrement révisé. Ainsi, des parties relatives à des événements contemporains de la publication originale ont été supprimées pour dynamiser le propos et lui donner un nouveau souffle. Le livre est, par contre, enrichi d’une préface d’Edgar Morin et d’une biographie de l’auteur.
POURQUOI CETTE RÉÉDITION ?
Vers une civilisation du loisir ? est le texte le plus important de Joffre Dumazedier. Il rencontre un succès immédiat et bien au-delà des espérances de son auteur. Mais pourquoi le republier, près de 60 ans après sa première parution ? Plusieurs raisons expliquent ce choix.
La première d’entre elles, tout à fait fondamentale, est que cette Civilisation du loisir paru en 1962 est d’une incroyable modernité. À l’exception de quelques mentions à la situation politique en Yougoslavie ou l’action sociale des Charbonnages de France (qui ont l’un et l’autre disparu) ou des chiffres statistiques datés, le texte est totalement visionnaire. On le croirait écrit en plein XXIe siècle. On y parle de la relation du travail et du temps libre, de la place des loisirs dans l’accomplissement individuel ou de l’aliénation résultant de l’organisation industrielle du système capitaliste.
Nous avions également à cœur de remettre la pensée de Joffre Dumazedier sur le devant de la scène, et notamment entre les mains du grand public. Car sa Civilisation du loisir plusieurs fois rééditée jusqu’en 1980 quitte les rayonnages des librairies après cette date et disparait de la mémoire collective. Seuls quelques chercheurs travaillant sur le sujet continuent alors de froisser les pages jaunies d’une vieille version de poche soigneusement rangées dans leur bibliothèque personnelle ou universitaire.
La dernière raison qui nous a poussés a réédité ce livre peut paraître anecdotique. Elle est pourtant assez symbolique : comme tous les ouvrages de la collection Les Essais, le titre de Dumazedier prend la forme d’une question. Nous avons pris cela comme un signe.
civilisation du loisir ?
LE CHOIX D’UNE ÉDITION RÉVISÉE
Un constat s’impose : Vers une civilisation du loisir ? est un livre touffu dont certains passages très signifiants retiennent aujourd’hui l’attention. Nous avons ainsi choisi de republier l’ouvrage en l’abrégeant. Ainsi, des parties relatives à des événements contemporains de la publication originale ont été supprimées, l’objectif étant de dynamiser le propos et lui donner un nouveau souffle.
En allant à l’essentielle des thèses dumazediennes, cette Civilisation du loisir nous permet ainsi de discuter une actualité bouillonnante. Car le livre apporte des éléments de réflexion, comme par anticipation, à un grand nombre de questions qui nous animent aujourd'hui : la relation du temps libre et du temps travaillé, la place du loisir dans l’épanouissement personnel des femmes et des hommes (bricoler, cuisiner, jardiner, lire, aller au théâtre ou partir en vacances), les conditions et les limites de l’accès à la culture.
Il nous permet également de réfléchir aux modèles de sociétés proposés depuis plusieurs années maintenant. Travailler plus pour gagner plus, liberté d’entreprendre, réduction du temps de travail comme réponse au chômage, instauration d’un revenu universel : autant de visions qui interrogent la place du loisir dans nos vies et le droit au délassement, au divertissement, au libre développemenT
Sommaire
ENTRETIEN AVEC EDGAR MORIN
JOFFRE DUMAZEDIER, UNE VIE
AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR
I. LOISIR & SOCIÉTÉ
LES JEUX NE SONT PAS FAITS
Qu’est-ce que le loisir ? — Les trois fonctions du loisir
— Culture vécue — Un nouvel homo faber — Un nouvel homo ludens — Une nouvel homme imaginaire — Un nouvel homo sapiens — Un nouvel homo socius
D’OÙ VIENT ET OÙ VA LE LOISIR ?
Progrès technique — Progrès social — L’avenir
RELATIONS DU TRAVAIL ET DU LOISIR
Action du travail sur le loisir — Action du loisir sur le travail —
Problèmes de l’amélioration des relations du travail et du loisir
Les auteurs
Joffre Dumazedier (1915-2002) est un sociologue français. Ancien résistant, il fonde le mouvement Peuple & Culture en 1945. Il est considéré comme l'un des pionniers de la sociologie du loisir et l’auteur le plus éminent en la matière depuis son ouvrage paru en 1962 Vers une civilisation du loisir ?
Ses ouvrages sont traduits dans plus de 10 langues.
Edgar Morin (1921- ) est un sociologue et philosophe français. Ancien résistant, son travail exerce une forte influence sur la réflexion contemporaine. Ses livres ont été traduits dans plus de 40 pays.
Contact éditeur : Mikaël Ferloni
Tel: 06.84.15.06.78 mikaelferloni@mkfeditions.com
Vers une civilisation du loisir ?
II. LOISIR & CULTURE
INCIDENCE DU LOISIR SUR LES RELATIONS DE LA VIE PROFESSIONNELLE ET FAMILIALE
[titre de l’éditeur]
LE LOISIR L’INSTRUCTION ET LES MASSES
[avec J. Hassenforder]
Les thèmes d’autodidaxie — Différenciation des thèmes selon les milieux — Comment acquiert-on des connaissances nouvelles ?
ATTITUDES ACTIVES ET STYLE DE VIE
Attitudes actives — Spectateurs actifs — Style de vie
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DE L’ÉDITION ORIGINALE
La collection
LesEssaismédiatiques
donnent aux lecteurs les clefs d’un débat sur les enjeux culturels, économiques, politiques et sociologiques liés aux médias et à la médiation. L’objectif est de permettre à chacun de se forger une opinion et d’appréhender ce qui se joue actuellement dans notre société, dans le cadre d’une réflexion ouverte et critique.Chaque pan de notre vie est a ujourd’hui concerné par les médias et les systèmes médiatiques. Ils nous entourent et sont omniprésents dans notre quotidien : la presse ou la télévision, mais aussi les festivals, les expositions… Par ces biais, nous nous distrayons, nous nous informons, nous nous cultivons, nous façonnons nos représentations et nos idéologies. Il s’avère aujourd’hui essentiel de s’interroger sur la relation que chaque individu entretient avec ces formes médiatiques. Il importe également de se pencher sur les mutations de notre société façonnée par des médias et des médiations qu’elle a elle-même fabriquées.
Vandalisme Queer est un recueil de trois textes de la philosophe et militante féministe et décolonniale Sara Ahmed. Ces trois textes, initialement publiés sur le blog de l’autrice, explorent la manière dont les modes d’existence queer peuvent être des stratégies de défense, de survie, de détournement ou même de retournement. L’écriture de Sara Ahmed est située, sensible, elle ancre la recherche théorique dans une expérience de l’intime à travers une analyse de l’affecte. Elle nous invite à observer et nous emparer du potentiel subversif de nos existences déviantes, étranges, obliques, queer.
Sara Ahmed se définit comme une « rabat-joie féministe », elle dit que c’est « ce qu’elle fait, c’est la façon dont elle pense, c’est son travail philosophique et politique ». Sa pensée philosophique combine des idées tirées des études queer, de la théorie féministe, de la théorie critique des races, du marxisme et de la psychanalyse. Ce petit recueil de trois de ses textes se veut être un objet accessible, qui donne à découvrir les principaux axes de la recherche de Sara Ahmed à un public francophone.
Ouvrages similaires :
• Manuel de la Rabat Joie féministe, Sara Ahmed, La Découverte (à paraître, mars 2024)
• Se défendre, Elsa Dorlin, Zone, 2017
• Sisters outsiders, Audre Lorde, Mamamélis, 2018
• Un corps à soi, Camille Froidevaux-Metterie, Seuil, 2021
• La pensée de Franz Fanon, Judith Butler et bell hooks
Actualités de l’autrice :
Thèmes abordés : empowerment, plainte, rabatjoie féministe, queer, critique institutionnelle, squat, langage, washing, racisme institutionnel À propos de Sara Ahmed : Elle vit actuellement dans la campagne anglaise, avec sa compagne et leurs deux chiens. Son travail est reconnu par de nombreuxses chercheureuses, elle est régulièrement citée dans des ouvrages importants en tant que référence. Elle a déjà été traduite en espagnol, allemand, italien, allemand, pourtant, très peu de choses existent en français à ce jour.
• Parution d’une autre traduction de l’autrice, Manuel de la Rabat Joie féministe, La Découverte (mars 2024)
• Venue de l’autrice en France, fin mars 2024, pour la promotion de ces deux livres, à Paris notamment
(Sara Ahmed, trad. Emma Bigé et Mabeuko Oberty)
Dans « Vandalisme queer », le premier texte, Sara Ahmed propose d’interroger les notions d’usage et d’usagères, et leurs implications normatives : comment l’idée de « bon » usage prescrit-elle les « bons » comportements ? Comment celle de « mauvais » usage sert-elle l’exclusion ou l’invisibilisation des autres ?
Elle examine la dialectique entre queerness et vandalisme, entre usages obliques et violence : avec quelle facilité les personnes qui agissent de travers sont relues comme des vandales, et pourquoi il nous appartient de réclamer le vandalisme comme pratique volontaire de défiguration/refiguration des normes.
Qui sont les Vandales ? Le terme apparaît dans la langue française à l’occasion de la Révolution de 1789, au moment où les classes bourgeoises (victorieuses) s’inquiètent de ce que les franges les plus radicales des révolutionnaires commencent à détruire les monuments et les symboles de l’Ancien Régime. L’abbé Grégoire, invente alors le concept de « vandalisme » qu’il construit à partir de la figure du peuple vandale, une tribu scandinave, mythiquement fantasmée comme symbole de violence et de destruction. Le mot de vandalisme est ainsi dès ses origines l’objet d’un trafic de signifiants où se mélangent des histoires de races (les Scandinaves contre les Latins) et de classes (les bourgeois contre les classes populaires), des histoires d’iconoclasme et d’aspirations révolutionnaires. Les potentiels queer du vandalisme sont ici réveillés sous la plume de Sara Ahmed, qui nous livre un outil de plus pour nous entraîner à répondre, se défendre et reprendre du pouvoir.
« Usage queer », le second texte est tiré d’une conférence que Sara Ahmed a donnée à plusieurs reprises.
Dans « La plainte comme méthode queer », le plus récent des trois textes choisis, Sara Ahmed réfléchit aux méthodes à utiliser pour survivre dans des contextes institutionnels qui ne sont pas construites pour des personnes minoriséxes.
La plainte, en tant qu’affecte et modalité d’adresse est pour l’autrice une stratégie de résistance toute particulière. C’est un outil pour faire entendre, faire exister, des histoires qui sont étouffées par l’institution, cependant la trajectoire d’une plainte est souvent complexe et se heurte à des obstacles de silenciation. Ce sont précisément les trajectoires que prennent les plaintes au sein des institutions qui intéressent ici Ahmed : qui est entendu comme étant en train de se plaindre ? Quand une plainte est-elle prise en compte ? Qui contrôle la narration hégémonique d’un fait ? Autant de questions déroulées dans la pensée pédagogue de l’autrice, qui, à travers plusieurs exemples, dont le cas de harcèlement d’un professeur sur une étudiante dont elle a été témoin lorsqu’elle enseignait, porte notre regard précisément où se jouent les rapports de force systémiques.
burnaout@riseup.net http://editionsburnaout.fr/
Repartant du sens initial dépréciatif du terme « queer » et de l’histoire de sa réappropriation en tant que qualificatif revendiqué, Ahmed s’intéresse à l’usage politique des mots, à leur détournement, leur réattribution. Parfois, l’histoire d’un mot nous raconte autant sur ce qu’il signifie que sur ce qu’il produit. La réappropriation d’une insulte en un terme qui nous définit finalement est une méthode sémantique, une proposition d’usage détourné de la langue, d’un usage queer de la langue.
Penser ce que peut être un usage queer, quand une chose est utilisée pour une fonction qui n’est pas sa finalité première, par exemple une boîte aux lettres qui ne peut servir, car elle est utilisée par des oiseaux qui y ont fait leur nid, est tout l’objet de ce texte et s’inscrit dans le travail général de l’autrice. Penser également ce que le washing fait au langage, comment il l’évide ou le tord est aussi un pan du texte, prenant pour exemple les usages institutionnels du mot « diversité » et des façons qu’il faut trouver pour lui redonner ses effets attendus, les manières qu’on a de se battre ou de ne pas se battre.
EXTRAIT 1
« Prendre la parole, c’est souvent devenir le tuyau percé de l’institution : ploc, ploc. Et les institutions feront de leur mieux pour contenir la fuite. […] Mais il y a de l’espoir, ici. Les institutions ne peuvent pas tout nettoyer derrière nous. Un tuyau percé peut mener à un autre. Il suffit parfois de desserrer un écrou, un tout petit peu, pour que l’explosion ait lieu. Et nous avons besoin de plus d’explosions. Les usages queer, les usages obliques, décrivent ce potentiel d’explosion. Ils décrivent la manière dont les petites déviations, les petits desserrements, la création d’une porte de sortie, l’ouverture d’une échappée, peuvent ouvrir la voie à de plus en plus d’existences fugitives. »
EXTRAIT 2
« Parfois, les mots sont réutilisés comme s’ils pouvaient être coupés de leur histoire, par exemple, lorsqu’une insulte est lancée et atteint sa cible, mais est défendue comme une simple plaisanterie, comme quelque chose dont on peut, devrait, se moquer. Si nous réutilisons le mot queer, nous en conservons le poids ; les bagages. »
EXTRAIT 3
« Quand vous devez vous battre pour exister, vous pouvez finir par avoir l’impression que se battre est votre existence. »
EXTRAIT 4
« Quand tu exposes le problème, tu deviens le problème. »
Biographie de Sara Ahmed : Sara Ahmed est née en 1969, se définit comme une « rabat-joie féministe, alienne de l’affect et une femme queer racisée en colère ». Elle est une philosophe anglo-australienne dont les domaines de recherches articulent les pensées féministes, queers et antiracistes. Elle est considérée comme une figure marquante de la phénoménologie queer, notamment avec son ouvrage Queer Phenomenology: Orientations, Objects, Others, (2006). Elle a publié de nombreux livres et articles, et développe plusieurs concepts qui influencent les mouvements féministes et décolonniaux européens, avec par exemple son étude de la figure de la « rabat-joie féministe » ou encore ses recherches autour des « plaintes ». Elle a enseigné plusieurs années à Goldsmiths, University of London, et a finalement démissionné suite à l’incapacité de l’institution de prendre en charge des affaires de violences sexistes et sexuelles au sein de l’établissement.
Elle vit actuellement dans la campagne anglaise, avec sa compagne et leurs deux chiens. Son travail est reconnu de nombreuxses chercheureuses, elle est régulièrement citée dans des ouvrages importants en tant que référence. Elle a déjà été traduite en espagnol, allemand, italien, pourtant, très peu de choses existent en français à ce jour. Une traduction de son Manuel de la rabat joie féministe est en cours aux éditions de La Découverte, par Emma Bigé et Mabeuko Oberty également.
À propos de Emma Bigé et Mabeuko Oberty, traducteurices de l’ouvrage : L’écriture poétique, la performance chorégraphique et la recherche théorique traversent Mabeuko Oberty autant qu’ol les traverse. Au détour d’un parcours trans(-)disciplinaire où s’anatomosent des études en médecine, sciences du langage et socio-anthropologie, et une vie de pédagogue à l’école comme dans les lieux de soin, Mabeuko découvre le Body Weather, une pratique développée au Japon à laquelle ol se consacre depuis une dizaine d’années. Dans cette pratique, « avec rigueur, émerveillement et patience, on observe, on questionne, on explore le corps dans son paysage, ce corps-paysage, qui ne cesse de changer. » Artiste nomade, Mabeuko plonge, dans son corps, dans le mouvement, dans les mots, les nuages, la nuit, la pluie et les rencontres, comme ol plonge dans sa vie, comme on plonge dans le vide, avec curiosité, avec ses tripes et ses imaginaires, dans un élan vers.
Emma Bigé étudie, écrit, traduit et improvise avec des danses contemporaines expérimentales et des théories trans*féministes. Diplomée de l’École normale, agrégée et docteure en philosophie, danseuse et commissaire d’exposition, elle enseigne l’épistémologie et les pratiques textuelles dans des écoles d’art et des centres chorégraphiques. Traductrice de théoriciennes et d’écrivaines queers (Jack Halberstam, Sara Ahmed, Alexis Pauline Gumbs, Eva Hayward…), elle publie régulièrement dans Trou noir et Multitudes, revue pour laquelle elle participe à la collective de rédaction depuis 2019. Elle a récemment fait paraître Mouvementements. Écopolitiques de la danse (La Découverte, 2023). Elle vit près d’une forêt dans le Périgord où, dès qu’elle peut, elle roule par terre.
Par les mêmes éditrices chez Burn~Août :
• Du salaire pour nos transitions, Harry Josephine Giles (trad. Transgrrrls), 2023
• Hot wings and tenders, Marl Brun, 2023
• ROSE2RAGE, Théophylle DCX, 2023
burnaout@riseup.net
À propos de la designeuse graphique de l’ouvrage : Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux- Arts de Nancy et de l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon, Magalie Vaz développe une pratique qui s’articule selon un triptyque alliant la curation, la reproduction et la transmission. Elle questionne régulièrement les liens qu’entretiennent les productions, circulations, stockages des images numériques avec les dynamiques d’extraction/ domination coloniales. Elle vit et travaille à Paris.
VANDALISME QUEER
(Sara Ahmed, trad. Emma Bigé et Mabeuko Oberty)
Walter Benjamin et le rébus de Marseille
Un livre de 160 pages au format 16x22 cm.
Impression numérique des pages intérieures sur bouffant et couverture typo en rose et noire sur papier keaykolour lin.
À la fin des années 1920, Walter Benjamin a déjà écrit sur Berlin, Weimar, Paris, Moscou, Naples. Mais dans sa correspondance, il confie à plusieurs reprises la difficulté particulière
« Marseille, ville qui se retire sitôt qu’elle s’offre, est le nom d’une apparition disparaissante sur fond de déplacement et de vitesse. »
qu’il éprouve à écrire sur Marseille, et sa fierté à y être parvenu : « j’ai lutté là comme avec aucune autre ville ».
Jérôme Delclos part de cet aveu discret, mais suffisamment insistant pour le prendre au sérieux en le confrontant à l’ensemble des textes du philosophe et écrivain allemand sur cette « ville qui doit avoir des poils sur les dents ». Un livre sur Marseille ? Pourquoi pas, mais à travers les fines lunettes benjaminiennes, c’est Marseille qui se défend et
Jérôme Delclos
Walter Benjamin et le rébus de Marseille
précédé par Bouche d’ombre et peau de bête : Marseille nuits mêlées de Florent Perrier
Parution : mai 2024
EAN : 9782914363303
Prix public : 22 €
qui mord quand le Berlinois tente « d’en arracher une phrase ».
Préfacé par Florent Perrier dont les recherches sur l’utopie et Walter Benjamin font référence, le livre est mis en images par le dessinateur Thomas Azuélos.
Les auteurs
Jérôme Delclos, écrivain, critique littéraire au Matricule des anges, il a vécu et travaillé six années à Marseille, dans le premier arrondissement à deux pas du haut de la Canebière. C’est durant cette période, de 2006 à 2012, qu’il a beaucoup lu, relu et ruminé Walter Benjamin pour décoder le rébus que constituent ses textes « marseillais ».
Publications : L’Expédition du capitaine Stavros, N&B éditions, 2021 ; Cendrillon en Pologne, Aethalidès, 2020 ; Hélène n’était pas à Troie mais en Egypte, Aethalidès, 2019. Vingt leçons de philosophie par le meurtre, Aethalidès, 2017.
Florent Perrier est maître de conférences en esthétique et théorie de l’art à l’Université Rennes 2. Ses travaux portent sur les rapports entre l’art, l’utopie et le politique de l’ère industrielle à l’extrême contemporain.
Publications : topeaugraphies de l’utopie – esquisses sur l’art, l’utopie et le politique, Payot, 2015, ainsi que des éditions scientifiques chez Klincksieck, Pontcerq, Claire Paulhan.
Thomas Azuélos est illustrateur et dessinateur de bandes dessinées, il vit à Marseille. Publications : Prénom Inna : une enfance ukrainienne (T1 & T2) avec Simon Rochepeau et Inna Shevchenko, Futuropolis, 2020 & 2021 ; Toute la beauté du monde, Futuropolis, 2023
« Haschich, jeu, prostitution : au-delà des « expérimentations » dans un appartement berlinois ou sur la Canebière, à une table de roulette, sur le pavé de Marseille, Moscou, Naples ou Paris, Walter Benjamin s’avance au plus loin de ce qu’il pense sous les questions du temps, de l’espace, de l’histoire et de la mémoire. C’est dans cette endurance de la pensée, qui court toujours le risque de l’échec, du « manqué », des « défaites à grande échelle » que ne compensent pas les « victoires de détail », que se rencontre le philosophe. »
Fresque dessinée de Thomas Azuélos pour le livre de Jérôme Delclos…
On y reconnaît quelques personnages croisés par Benjamin dans le tumulte des rues de Marseille.
ISBN : 978-2-911917-51-0
Itinéraire d’Houilles à Tulkarem
D’un voyage en Palestine [2005]
Un livre de Jimmy Gladiator
Récit de voyage
« J'avais quelques projets derrière la caboche. Un, corpo : où en est l'enseignement primaire en Cisjordanie ? Deux, affectif : visiter nos anciennes invitées et anciens invités. Trois, politique : rencontrer avant tout des gens ordinaires, seule façon sensée d'appréhender ce qu'est une vie quotidienne.
"Ordinaire", id est comme vous et moi, ouvriers, employés, vendeurs, techniciens, étudiants, enseignants, petits artisans, petits agricoles, chômdu, et aussi au féminin s'il vous plait, et si syndiqués de base sont, voilà qui améliorera le contact.
Et j'éviterai bien soigneusement les responsables politiques et religieux ainsi que les bureaucrates et les militants nationalistes : tous-là ne m'inspirant a priori rien qui vaille, là-bas comme ici.
L’auteur
Jimmy Gladiator, poète et militant libertaire et instituteur, est né en 1948 à Paris.
Grand amateur de poésie (Nerval, Baudelaire, le surréaliste Jean-Pierre Duprey), Jimmy Gladiator a animé plusieurs revues de rébellion culturelle et politique, entre mouvance anarchiste et lignée surréaliste (Le Melog, La Crécelle
noire, Camouflage… entre autres). Ancien collaborateur du journal Mordicus , il était actif à la CNT (Confédération nationale du Travail).
Fervent admirateur d’André Breton, de Gaston Leroux et de Fantomas, il a publié Les éléphants de la patrie aux éditions Libertalia (2007), Itinéraire d’Houilles à Tulkarem (Ab irato, 2005), Les Petits Vieux de la bonne sieste (L’Esprit frappeur, 2002).
« Tel un Indien debout dans la jungle des mots, ne flanche pas, n’abandonne pas, reste FOU, PUR et COMBATTANT, car nous t’aimons fraternellement au travers des Blessures qui nous lient. » lui écrivait en 1999 l’écrivaine suisse Griselidis Réal (revue Pris de peur, n°10).
Jimmy Gladiator est décédé en 2019.
Publications
- Les éléphants de la patrie aux éditions, Libertalia, 2007, - Itinéraire d’Houilles à Tulkarem, Ab irato, 2005,
#Bethléem #Bil’in
#Cisjordanie #Hébron
#Israël #Jéricho
#Jérusalem #Palestine
#Ramallah #Tulkarem
Enfin, je rédigeais un journal de voyage, histoire de pomper à deux siècles d’écart, sur François-René, si mon bourbon veut, surtout le titre desdits écrits mais aussi les citations qui émailleront mon récit : toutes les non-référencées proviennent Itinéraire.
- Les Petits Vieux de la bonne sieste, L’Esprit frappeur, 2002, - Les ossements dispersés, L’embellie roturière, 1994. (entre autres, dont de nombreuses plaquettes poétiques.)
Dans ce livre publié vingt ans avant la guerre à Gaza, Jimmy Gladiator nous parle de la vie quotidienne des Palestiniens rencontrés en Cisjordanie, à Jérusalem, Hébron, Bethléem, Ramallah, Jéricho, Tulkarem…
Extraits
Table
1. Avant-dire
2. Rome
3. Tel-Aviv; Jérusalem
4. Jérusalem-Est; le Mur
5. Jérusalem à Bil’in
6. Bil’in
7. La manif
8. Hébron
9. Bethléem
10. Jérusalem, la Vieille ville
11. Qualandia; Ramallah
12. La campagne
13. Une école; Jéricho
14. Jérusalem, un saut pour rien
15. Tulkarem
16. Ramallah
17. Aéroport Ben-Gourion
18. Après-dire
19. Chez les araignées
20. Chez les rongeurs & les lentilles
Tout de suite, j'ai pu constater de visu à quoi ressemble le fameux « Mur », parfois au ras des habitations, parfois en pleines terres cultivées. Bien sûr j'en connaissais certes l'existence, mais cela ne restait qu'au simpliste niveau du concept, malgré les photos de presse et les séquences télé. Voir et savoir sont parfois étrangers.
Nulle outrance verbale à parler de cauchemar.
En banlieue comme à la campagne, huit mètres de haut minimum et sur des kilomètres de long, de grands panneaux de béton gris côte à côte sans ajour.
En comparaison, le barbelé et les grilles ont presque un air humain, puisque la lumière passe au travers. Comme tous les murs aveugles, que carcérale-t-il ? À l'instar d'un ruban de Mœbius ou d'un escalier d'Escher, tout porte à croire que l'un et l'autre côtés en sont clos, qu'il n'y a plus d'aberration idiomique à clamer qu'on est « enfermé dehors », comme le disent si souvent les mômes qui ont oublié la clef en sortant.
Terrible bond en arrière de la pensée juriste, caricature de la tyrannie de l'État : la responsabilité est ici décrétée collective, jetant aux orties plusieurs siècles de lutte intellectuelle pour l'individualisation des sentences.
Je savais déjà qu'on emprisonne administrativement (sans tribunal ni jugement) ceux qui sont soupçonnés de pouvoir représenter un danger public. Que l'on démolit, jetant ainsi à la rue, maison ou logement des familles de ceux qui sont condamnés pour « crimes de sang ». Que l'on place en résidence surveillée un peuple entier (il faut une autorisation israélienne au quidam palestinien pour se rendre d'une ville à une autre). Et que les quelques villes nono ne le sont que sous réserve militaire, laquelle n'est jamais très loin. C'est-à-dire en situation de Damoclès.
Mais maintenant ce mur, jidar en langue arabe (hello, Edouard, quand te cambreras-tu, vieux si courbe?), là sous mes yeux, que même auteurs de thrillers et dessinateurs de bandes, à ma connaissance, n'avaient pas esquissé. Littérairement, je ne recense que l'absurde « Pays clos » à Mornemont, décrit par Jean-Claude Forest et dessiné par Tardi dans Ici Même comme pouvant offrir un vague air de famille. Pour s'en tenir à la géopolitique, Berlin n'était que gnognotte, puisqu'ici on systématise par tout le pays. Les bantoustans, les réserves indiennes, malgré la similaire séparation forcée des origines, des habitudes quotidiennes et du parler, n'avaient pas été ainsi maçonnés. Le limes entre Empire romain er contrées barbares, ainsi que la Grande Muraille de Chine, s'il faut chercher de lointains ancêtres, ne servaient de remparts que pour contenir « dehors » (sic) les mouvements de populations exogènes. Rien de tel dans le cas présent.
Ce n'est pas la ligne pointillée ou continue d'une frontière (disons, entre Israël et Cisjordanie, et aussi Gaza) que j'ai vue ni qui se lit sur n'importe quelle carte routière. Mais bien le découpage d'une contrée militairement occupée, au rythme de la surgie métastasique des colonies qu'ils appellent « juives » et que ce mur est censé défendre contre les habitants des terrains spoliés. C'est bien chez eux qu'on les enferme, un « chez eux » peau-de-chagrin à visées peaux-de-balle. Je renvoie aux ouvrages et aux sites web consacrés à ce sujet, qui établiront de meilleurs historiques et états des lieux que je ne saurais le faire.
(pages 11-13)
Extraits
Hébron
C’est le 1er avril à Hébron et il n'y a pas le cœur à faire des farces, d'autant plus qu'il pleut.
Le Guide du Routard mentionne Hébron comme n'offrant que peu d'intérêt. Mensonge ! Il y a une vieille ville non seulement légendaire (Abraham, tout ça...) mais surtout et à l'excès formidablement égarante. Venise sans les canaux, ou Chirico sans l'ombre des petites filles. Des palais à l'abandon, avec des fantômes enturbannés derrière les portes closes et des gazes volatiles aux moucharabiehs.
C'est un rêve très lent.
Mais un cauchemar tout ensemble: soldats et colons, armés jusqu'aux dents (ce qui leur donne, qui plus est, mauvaise haleine) pourrissent le temps qu'il fait.
Ils t'interdisent des rues on ne sait pourquoi, ils te mettent en joue à la mitraillette ou au fusil d'assaut histoire de se poiler, ils te font attendre à foison et selon leur bon plaisir derrière les grilles, ils ont réquisitionné deux écoles publiques pour s'en faire des casernes, ils ont déjà lâché des barbelés et des filets de camouflage un peu partout. Ils éructent des phrases infectes : « Toi, tu es étranger, tu peux passer, mais les Arabes non ! » Et ces crétins sont très étonnés, sourcils et canons hauts vers le ciel, de s'entendre répondre que si nos amis ne passent pas, eh bien nous non plus. Non mais sans blague !
(page 25)
Jérusalem – Je remarquais que les noms de rue, quand ils étaient inscrits en lettres arabes (la deuxième langue officielle de cet Etat), étaient à peu près partout caviardés à la peinture, recouverts d’autocollants ou même martelés.
Hébron (Khalil en langue arabe) a abrité une communauté juive depuis le XIIIe siècle jusqu'à 1929, année où les mandatés britanniques l'en évacuèrent de force à la suite d'un pogrom nationaliste qui tua 67 israélites. Le nationalisme a toujours été une belle saloperie.
Cela dit, des centaines d'autres « juifs » ont été cachés et protégés des exactions par leurs voisins et amis arabes. L'histoire officielle n'en pipe mot et les colons récemment installés n'en tiennent aucun compte. La dignité de « juste » n'est plus ce qu'elle était.
En effet, depuis l'occupation militaire de 1967, et surtout ces dernières années, des ultras de confession juive sont venus s'installer à Hébron sous la protection des soldats, se réclamant à cor et à cri de cette ancienne présence judaïque.
Ils sont environ cinq centaines, ont investi les étages des maisons de la vieille ville aux 42 000 habitants gentils, mais y ont accès par d'autres voies que la rue passante du rez-de-chaussée. Ils ont coutume de se débarrasser de leurs ordures, immondices et détritus, sans parler d'autres projectiles plus lourds, en les jetant par la fenêtre, côté rue arabe, à un point tel qu'il a fallu installer un grillage horizontal à quatre mètres du sol pour protéger les passants. Au cirque et au zoo, ce sont les animaux dangereux que l'on met en cage. À Hébron, ce sont les victimes potentielles qui s'y collent : le danger est au-dessus, à l'air libre.
Ils ont fait, via le pouvoir militaire, fermer une grosse partie des petits commerces et interdire l'entrée à nombre de rues. Ils considèrent comme « martyr » un certain Baruch Goldstein qui, en 1994, a tiré à la mitraillette dans la mosquée d'Abraham, tuant vingt-neuf personnes. Ils ont un port d'arme permanent, commettent des déprédations aux boutiques gentilles, des cassages de gueule au faciès, des viols, des ratonnades. Car si « leurs » rues sont interdites aux Palestiniens, eux gardent accès légal à toute la vieille ville dans son intégralité. (pages 26-27)
Banlieue-est de Jérusalem. Les grilles ne sont ouvertes que deux fois une heure par jour. Alors on se débrouille…
mur (la voiture donne l’échelle)
Arrachage de plantations et construction du Mur
- Un grillage horizontal à quatre mètres du sol pour protéger les habitants. Le danger est au-dessus.
Les photographies sont de l’auteur
Hébron
Une école de Ramallah en sortie scolaire à Jéricho.