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Bref historique du conte
from Histoires, ou Contes du temps passé, Charles Perrault - Mémoire de master de Marie-Sophie Bercegeay
Caractéristiques : entre classicisme et baroque
Les « contes à dormir debout, que des nourrices ont inventés pour amuser les enfants » 23 sont particularisés par un langage précis et une brièveté : le nombre de pages est très limité dans les contes. Antoine de Furetière indique en effet en 1727 dans son Dictionnaire que « la brièveté est l’âme du conte » 24. La concision est de rigueur, mais n’empêche pas de nombreuses figures de style, relevant du classicisme (pour la première mode des contes, du moins) : métaphores et hyperboles principalement. Le baroque est tout de même présent dans les contes de cette période, par le biais des figures monstrueuses correspondant au petit peuple des fées, qu’elles soient bénéfiques ou maléfiques, et par les dons ou punitions infligés aux personnages. Le conte possède en outre une organisation simple marquée par des épreuves réussies grâce aux dons. Les personnages restent binaires, et définis par leurs fonctions. Le déroulement du conte est linéaire, mais n’accorde qu’une faible part aux descriptions de paysages, de personnages, ou encore de sentiments.
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Une forme narrative
Pour le Dictionnaire de l’Académie Française de 1694 (auquel Charles Perrault collabore), le conte est un « récit de quelque aventure, soit vraie, soit fabuleuse, soit sérieuse, soit plaisante » 25. Il existe en effet plusieurs genres de contes, que nous détaillerons par la suite. Quelques années plus tard, en 1699, Antoine de Furetière définit ces récits par « les contes de vieilles dont on amuse les enfants » 26. En réalité, la définition du genre reste problématique pour certains critiques car l’ensemble narratif de la forme qu’est le conte peut sembler disparate. Il est certain tout de même que le conte est narration pour Christophe Carlier dans La Clef des contes :
« C’est peu de dire que le conte est narratif : il est la narration même ; et précisément parce qu’il installe en un temps et un lieu des personnages auxquels il arrive toujours quelque chose, il se pose à priori comme une forme close sur elle-même, dont le début et la fin soulignent qu’ils nous font entrer dans la fiction ou nous en congédient » 27 .
Bref historique du conte
Les conteurs sont légion dès l’antiquité : depuis Homère, le plus célèbre des aèdes, jusqu’au Conservatoire contemporain de la Littérature Orale28, en passant par Charles Perrault, Denis Diderot ou encore Jean Macé, tous s’appliquent à réciter ou écrire des contes. L’histoire de ce genre débute donc à partir de l’antiquité, où les récits oraux sont couramment récités ou chantés devant un public populaire, et notamment lors de fêtes ou de cérémonies religieuses. Il en est
23 PIFFAULT, Olivier, Il était une fois ... les contes de fées, Paris, éd. Bibliothèque nationale de France, coll. Le «cahier», 2001, p. 3. 24 FURETIÈRE, Antoine de, cité dans CARLIER, Christophe, La clef des contes, op. cit. p. 7. 25 Art. «Conte» dans Dictionnaire de l’Académie Française, 1694, cité dans l’art. «Contes et littérature de jeunesse» dans NIÈRES-CHEVREL, Isabelle, et PERROT, Jean, et alii, Dictionnaire du livre de jeunesse, la littérature d’enfance et de jeunesse en France, Paris, éd. Cercle de la librairie, 2013, p. 225. 26 Art. «Conte» dans Dictionnaire d’Antoine de FURETIÈRE (1699), idem. 27 CARLIER, Christophe, La clef des contes, op. cit., p. 7. 28 Le CLiO: Conservatoire contemporain de Littérature Orale (http://www.clio.org/).
de même au Moyen-Âge, où le troubadour récite des poésies épiques et des poèmes d’amour courtois, s’accompagnant de musique et utilisant les arts du cirque pour plaire aux seigneurs et spectateurs de foire. Le conte s’attache à sa tradition populaire et folklorique, et ne l’abandonne pas, même pendant ou après sa littérarisation. Celle-ci se déroule à la fin du XVIIe siècle dans les salons et est principalement l’apanage des conteuses. Le début du siècle suivant jette un certain discrédit social sur les fées, personnages principaux de ces récits jusqu’alors. Ganna Ottervaere-Van Praag, spécialiste de la littérature de jeunesse en Europe écrit à ce sujet :
« Un chef d’œuvre pour commencer, car c’était trop beau ; les lauriers furent coupés, la fête ne dura pas. Car, bientôt les fées parurent des ennemies. Elles ne régnèrent qu’un moment, un court moment ; elles profitèrent d’un intervalle de récréation entre un siècle majestueux qui allait perdant son autorité et un siècle critique qui n’avait pas encore pris la sienne. Vint la mode de l’esprit, de la raison : comment les fées auraient-elles résisté à ces puissances qui ne souffrent aucun partage ? Comment ne se seraient-elles point cachées, pour échapper aux lumières ? Les lumières devaient éclairer tout l’univers, et les fées eurent bien de la peine à trouver quelques retraites où elles purent attendre des temps meilleurs. Cette idée absurde, qu’un si grand auteur pouvait écrire pour des enfants, vite s’effaça : et cette autre naquit, qu’on devait utiliser le plaisir pour l’instruction. L’idée n’était pas si mauvaise : seulement l’instruction se mit en devoir d’étouffer aussitôt le plaisir. Ce qu’on présenta aux enfants, ce furent des médecines, avec tout juste un peu de miel » 29 .
Le conte est donc mis de côté. La deuxième moitié du XVIIIe siècle voit émerger les contes didactiques et moraux, très stéréotypés, ainsi que les contes érotiques (ou licencieux) et philosophiques. Ces derniers relèvent essentiellement du genre écrit. Caylus avertit de la transformation du genre :
« Le goût du siècle changea : les romans métaphysiques ou libertins prirent la place de Merlin et d’Urgande la déconnue. Ce fut, peut-être à la honte et au détriment des mœurs. En les peignant comme on les voyait, plus le portrait était ressemblant, et plus il gâtait le cœur, « plus propre à donner des appas aux vices qu’à en faire redouter la laideur » 30
La fin du XVIIIe siècle permet un retour de la mode du conte, du fait de l’engouement pour la littérature gothique qui fait naître les contes fantastiques (Cazotte31 et plus tard Nodier32). De plus, les publications des Contes populaires de l’Allemagne33 de Müsaus entre 1782 et 1788, précurseur des frères Grimm, entraînent un véritable enthousiasme envers les contes, bien loin de s’éteindre aujourd'hui. En effet, au cours du temps, après la première mode qui lance véritablement le genre, le conte évolue et se transforme en passant par de nombreux thèmes ou sous-genres littéraires.
29 HAZARD, Paul, Les livres les enfants et les hommes, p. 21, cité dans OTTERVAERE-VAN PRAAG, Ganna, La littérature pour la jeunesse en Europe Occidentale (1750-1925), Histoire sociale et courants d’idées, Angleterre, France, Pays-Bas, Allemagne, Italie, Berne, Francfort-sur-Main, New-York, Paris, éd. Peter Lang, 1987, p. 64. 30 SERMAIN, Jean-Paul, Le conte de fées, du classicisme aux lumières, op. cit., p. 161. 31 CAZOTTE, Jean, Le diable amoureux, Nouvelle espagnole, Naples, éd. Le Jay, in-8, 1772, 144 p. 32 NODIER, Charles, La Fée aux miettes, Paris, éd. Eugène Renduel,in-8, 1832. 33 MÜSAUS, Johann Karl August, Contes populaires de l’Allemagne, trad. par CERFBERR de MÉDELSHEIM, Alphonse, Paris, éd. Harvard, 1846.