Parcours Exilplan, Marseille 2013

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EXILPLAN 2013 PARCOURS À MARSEILLE EN 10 ÉTAPES TEXTES & PHOTOS

Organisé par Passage & Co., Marseille 2013 Animation : Sabine Günther www.passage-­‐co.com www.exilplan.com passage.co@gmail.com

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Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, Marseille devient le seul port de secours pour tous les émigrés qui fuient L’Allemagne nazi. Dans les années 1939-­‐42, les chemins de nombreux artistes se croisent à Marseille – ils fréquentent les mêmes cafés, parfois ils habitent ensemble (comme les surréalistes), parfois ils créent leur propre structure (comme les artistes de la Coopérative « Croq fruits »). Leur destin est entre les mains du régime de Vichy et se transforme très souvent en tragédie personnelle. Aidés par le Comité de secours de l’Américain Varian Fry, les plus célèbres candidats à l’exil pouvaient émigrer de justesse. AUin d’évoquer ces années sombres, si riche en renseignements historiques et littéraires, nous nous rendons à Marseille – les textes à l’appui -­‐ sur les traces des artistes en exil: Anna Seghers, Mary Jayne Gold, André Breton, André Gide, Lion Feuchtwanger, Heinrich Mann, Franz et Alma Werfel, Max Ernst et beaucoup d’autres.

ETAPES DU PARCOURS EXILPLAN (02/2013) I Boulevard d’Athènes, l’ancien hôtel Splendide ( aujourd’hui : Centre Régional de Documentation Pédagogique) II Boulevard d’Athènes, l’ancien hôtel Normandie III. Rue Thubaneau IV Rue du relais, l’ancien hôtel-­‐restaurant Aumage

V Canebière – l’ancien Hôtel du Louvre et de la Paix L’ancien hôtel Moderne (auhourd’hui : Océania) VI Rue Beauvau, l’ancien hôtel Continental 5, rue Beauvau, OfUice de placement allemand VII Place devant l’Opéra VIII 10, Cours Jean Ballard IX Les cafés du Vieux Port : Mont Ventoux, Au Brûleur de Loups

X Quai du Port Hôtel de ville

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I L’ancien hôtel Splendide VARIAN FRY (1907-­‐1967) Le 14 août 1940, un journaliste américain diplômé de Harvard nommé Varian Fry débarqua à la gare Saint-­‐Charles, à Marseille, mandaté par l'Emergency Rescue Committee, le Comité américain de secours d'urgence récemment créé, pour faire sortir de France un certain nombre de personnalités, femmes et hommes politiques, intellectuels et artistes, menacés par les Nazis depuis la défaite de la France. Il avait deux cents visas et trois mille dollars en poche, ainsi qu'une lettre de recommandation d'Eleanor Roosevelt. En quelques mois, presque seul et quasiment sans soutien -­‐ l'administration américaine ne lui facilita pas la tâche, c'est le moins que l'on puisse écrire-­‐, ce novice de l'action clandestine s'entoura d'une petite équipe terriblement efVicace (11 personnes) avec laquelle, du marché noir aux Vilières d'évasion, du traVic de visas et de papiers d'identité à la corruption de fonctionnaires, il apprit les règles d'un jeu inédit, souvent clandestin. Le 15 août 1941, l'administration de Vichy expulsa Varian Fry pour avoir "protégé des Juifs et des antinazis". En vivant selon ses propres termes une vie en un an, il avait aidé presque 4000 personnes et organisé le voyage d'évasion de près de la moitié d'entre elles, dont les plus célèbres s'appelaient Hannah Arendt, André Breton, Marc Chagall, Max Ernst, Lion Feuchtwanger, Arthur Koestler, Anna Seghers ou Victor Serge. Après son départ, jusqu'au 2 juin 1942, plus de trois cents personnes proVitèrent encore de certaines des Vilières qu'il avait mises en place. Témoignages de Hertha Pauli (1906-­‐1973) Miss Pauli", dit-­‐il d'un ton sec, "well" – vous êtes bien sur ma liste." Cela n'eut pas l'air de l'étonner, et son visage ne trahit aucune expression. Un visage à la Buster Keaton, voilà comment j'appelais ce genre de visages. Ce n'est que bien plus tard que j'appris à lire à travers ces masques. Parmi tous les noms qu’il avait sur la liste, Fry n’en trouva qu’un seul qui ne se considéra pas comme menacé : le peintre MARC CHAGALL. Chagall pensait être en règle avec ses papiers français ; en outre, il ne se mêlait pas du tout de politique. Pour le moment, Fry avait toutes les peines de monde à remuer le peintre. Celui-­‐ci était à Gordes avec sa femme et il était exclusivement occupé à peindre des vaches. Même une visite de Fry ne changea rien… Lorsque la situation devint critique, Chagall apparut tout de même un beau jour au Splendide. « Est-­‐ ce qu’il y a aussi de belles vaches en Amérique ? », demanda-­‐t-­‐il. Et ce ne fut que lorsque Fry l’eut convaincu qu’il y avait d’aussi belles vaches à peindre en Amérique qu’ici, que Chagall se déclara prêt à fuir. (Hertha Pauli. Der Riss geht durch mein Herz. Ein Erlebnisbuch, Wien, Hamburg 1970) « C'est une histoire d'horreur. Non pas l'horreur d'une mort brutale sur les champs de bataille, mais l'horreur lente et invisible, qui n'en est pas moins abominable. L'horreur que vécurent des hommes, des femmes et des enfants enfermés dans des camps d'internement. L'horreur de la chasse à

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l'homme par la Gestapo... C'est une histoire de truands, de contrebandiers et d'espionnage. De bassesse et d'héroïsme, de trahison et de dévouement... » (Varian Fry)

1940-­‐1943/ Boulevard d’Athènes, hôtel Splendide – N° 26 L’hôtel Splendide, anciennement Grand hôtel de Russie et d’Angleterre, est, pendant la Deuxième Guerre mondiale, un établissement réputé. Au 31 boulevard d’Athènes, ses vastes locaux sont aujourd’hui occupés par le Centre régional de documentation pédagogique. C’est dans cet hôtel que l’Américain Varian Fry, quelques jours après son arrivée à la gare Saint-­‐Charles, au mois d’août 1940, installe ses premiers bureaux. Envoyé à Marseille par l’Emergency rescue Comittee, qui se préoccupe de sauver les intellectuels et artistes européens menacés par le nazisme, il a en poche une liste de deux cents noms. De fait, Varian Fry, avec l’équipe du Centre américain de secours qu’il crée sur place et dont le siège se déplace à la rue Grignan puis au Boulevard Garibaldi, contribue au départ de plus d’un millier de personnes jusqu’à son expulsion par les autorités vichystes en septembre 1941. Après l’occupation de novembre 1942, l’hôtel Splendide devient un lieu de résidence et de réunion privilégié des autorités allemandes. Le 3 janvier 1943, un groupe de résistants des Francs Tireurs et Partisans -­‐ Main-­‐d’oeuvre immigrée (FTP-­‐MOI), constitué de communistes étrangers, lance un explosif dans la salle à manger du rez-­‐de-­‐chaussée, tuant la femme d’un attaché du consulat d’Allemagne et un maître d’hôtel. Le général Mylo, commandant de la place de Marseille, proclame immédiatement l’état de siège. Cet attentat sert de prétexte aux opérations de destruction du quartier du Vieux-­‐Port, prévues de longue date.

1940-­‐1942/ Boulevard d’Athènes, siège de l’AFSC (Quakers) – N° 27 Après la défaite de la France, l’American Friends Service Comittee (AFSC, « Société des Amis ») a établi son siège au 29 boulevard d’Athènes. Les Quakers prolongent, en 1940, une tradition de secours déjà à l’œuvre pendant la Première Guerre mondiale et la Guerre d’Espagne. Reconnus par les autorités françaises, ils apportent une aide appréciable aux enfants des écoles et distribuent vivres et vêtements dans les camps d’internement. Mais ils prennent aussi en charge, avec une association française, le Comité de secours aux enfants, et le consulat du Mexique, des maisons d’enfants qui accueillent, en particulier, des petits réfugiés espagnols. Deux sont implantées dans la banlieue marseillaise, à La Rouvière et aux Caillols. Les Quakers sont aussi en lien avec le village refuge du Chambon-­‐sur-­‐Lignon.

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Après l’occupation allemande de la zone Sud, la « Société des Amis », dissoute, dissimule ses activités sous le couvert d’une autre association caritative présidée par le doyen de la faculté de médecine, le « Secours Quaker ». Mais évidemment ses moyens d’action sont plus limités.

II. l‘ancien Hôtel Normandie Mann est arrivé quelques jours plus tôt à Marseille avec sa femme et ils sont descendus au Normandie, où logent également Breitscheid et Hilferding. Quand je leur parle de mon projet, ils sautent sur l’occasion. Heinrich Mann me demande de compter également son neveu, Golo, le Vils de Thomas Mann, dans le groupe, et c’est entendu. Il est décidé que nous partirons pour la frontière dès que tout le monde aura son visa de sortie. Dick Ball descendra jusqu’à Cerbère avec nous et, de là, je les conduirai à Lisbonne. (Varian Fry, „Livrer sur demande...“)

III. Rue Thubaneau Nous convenons de changer, au cours de 280 francs, 2000 dollars que je lui apporterai le lendemain à son hôtel, rue Thubaneau. Le lendemain, je vois tout de suite qu’il y a quelque chose qui cloche : une voiture noire sans le harnachement du gazogène stationne dans la rue et deux hommes arpentent le trottoir d’un air faussement détaché. Je n’entre pas dans l’hôtel, je vais le dépasser sans tourner la tête pour continuer mon chemin ; mais Kourilo est sur le pas de la porte, il m’aborde, me tend sa main molle tout en me glissant à l’oreille : „Ca sent mauvais. Revenez ce soir à 8 heures“. Aussitôt, les deux Vlâneurs se précipitent sur moi, m’arrachent ma sacoche et me jettent dans la voiture toute prête pour me recevoir... (Daniel Bénédite, La Uilière marseillaise)

Vers la Uin novembre, je reçois un mystérieux appel téléphonique. - Je ne connais pas Monsieur Fry, mais je pense présenter pour lui un certain intérêt. Si vous voulez me rencontrer,ce qui n’engage à rien, venez ce soir à 22 heures dans l’arrière-­‐salle du Café Z…, Cours Belsunce. - Comment je peut vous reconnaître ? - Facilement, je serais le seul consommateur. Effectivement, à l’endroit et à l’heure dits, il n’y a qu’un petit homme attablé dans une demi-­‐obscurité devant un verre de pastis.

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Je m’appelle Drach, mais appelez-­‐moi Fred. Vous avez des difUicultés, je le sais, et je peux vous aider à les résoudre. Il sort de sa poche deux petits carnets reliés de toile bleue et les met sur la table. - Voyez vous-­‐même. Vous pouvez les prendre, ça n’explose pas. Ce sont des passeports danois. Regardez bien, celui-­‐ci est vrai, celui-­‐là est faux… Un jeudi, Drach ne fut pas au rendez-­‐vous et on n’eut plus aucune nouvelle de lui jusqu’au jour où j’appris que son corps criblé de balles avait été découvert dans une chambre d’hôtel… (Daniel Bénédite, La Gilière marseillaise) -

En ce temps-­‐là, tous n’avaient qu’un désir : embarquer. Tous n’avaiant qu’une seule crainte : rester en arrière. Partir, partir de ce pays écroulé, de cette vie écroulée, de cette planète ! Les gens vous écoutent avidement tant que vous parlez de départs, de bateaux capturés qui jamais n’arriveront au port, de visas achetés et de visas falsiniés, et de nouveaux pays de transit. Tous ces racontars servent à abréger l’attente, car les gens sont rongés par l’attente. Ce qu’ils écoutent de préférence, c’est l’histoire de bateaux partis sans eux, mais qui, pour une raison quelconque, n’ont jamais atteint leur but. (Anna Seghers, Transit, 183)

Quiconque a passé sa vie dans un pays qui n’a jamais été secoué par des troubles internes, par la guerre ou l’occupation étrangère, ne sait pas le rôle éminemment important que peuvent jouer une pièce d’identité ou un tampon administratif dans la vie d’un homme. En géneral, il s’agit d’un bout de papier ridicule ou d’un tampon sans importance qu’un scriboullard quelconque a apposé sur un document sans même y pense. Mais il y a des dizaines de milliers de gens, des centaines de milliers, des millions peut-­‐être qui essaient désepérémentd’obtenir un tel tampon. (Lion Feuchtwanger, le diable en France)

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IV. Rue du Relais Je n'était pas retourné à l'hôtel AUMAGE depuis qu'envoyé par Binet, j'avais cherché un docteur pour l'enfant. Cette nuit-­‐là, je n'avais guère fait attention à l'immeuble. Sa façade se dressait, étroite et sale, dans l'affreuse rue du Relais. L'hôtel, d'une étonnante profondeur, avait une quantité de chambres. Elles s'alignaient le long d'étroits couloirs qui débouchaient dans la haute cage d'escaliers. Au rez-­‐de-­‐chaussée, dans un corridor latéral, un petit poêle dont le tuyau montait jusqu'au 2ème étage répandait un peu de chaleur. Plusieurs locataires étaient assis autour du fourneau et faisaient sécher du linge; une grande bassine occupait le couvercle du poêle. Dans les méandres du tuyau, on avait posé des petits récipients pleins d'eau. Les gens nous regardèrent quand nous entrâmes. C'étaient tous des clients de passage; et qui donc aurait choisi pour y demeurer un endroit pareil? Le genre de maison que l'on supporte dans la mesure où l'on sait qu'on la quittera bientôt. (Anna Seghers, Transit)

Anna Seghers vivait avec ses enfants Pierre (15 ans) et Ruth (13 ans) du 30 décembre 1940 au 24 mars 1941 à Marseille, à l'hôtel Aumage. Son mari Laszlo Radvanyi, interné au camp des Milles a pu prendre "du congé" autour de Noël 1940 anin de passer les fêtes avec sa famille et de s'occuper des papiers pour l´émigration. Le 25 mars 1941, ils quittaient Marseille sur le paquebot "Paul Lemerle", avec à son bord d'autres artistes célèbres: André Breton, Claude Lévi-­‐ Strauss et Victor Serge. Le voyage se terminait au port de Mexico-­‐City le 30 juin 1941.

1941/ 3, rue du Relais, hôtel Aumage – N° 30 Le cours Belsunce construit au XVIIIe siècle, devient, au XXe siècle, l’axe d’un quartier qui, entre le port et la gare Saint-­‐Charles, accueille de nombreuses vagues d’immigration. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ses étroites ruelles offrent, en plein centre-­‐ville de Marseille, un refuge provisoire aux étrangers fuyant la répression ou la misère. Il n’est donc pas étonnant qu’Anna Seghers ait attribué au héros de son roman Transit le domicile précaire d’un de ces hôtels douteux qu’elle connait bien pour y avoir habité. En 1940-­‐1942, les réfugiés ne sont pas à l’abri des raVles. Pour échapper à celles-­‐ci, le héros de Transit se hisse sur le toit de l’immeuble d’où il voit « la ruée des Ilics à tous les étages ». Revenu dans sa chambre, il constate que plusieurs locataires ont été emmenés par la police. Ce récit, réaliste, s’inspire sans doute de faits vécus.

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V. Canebière – l’ancien Hôtel du Louvre et de la Paix „On m’envoya au Grand Hôtel du Louvre et de la Paix sur la Canebière, pour transmettre un message à M. et Mme Franz Werfel ; c’étaient des personnes très en vue, qui évoluaient sous leur vrai nom en plein coeur de la ville. Les werfel voulaient jouir de leur confort et se trouver au centre des événements. L’Hôtel, réputé de qualité, était fréquenté de temps à autre par la comission allemande d’armistice. En ces circonstances, le concierge les prévenait que les membres de la commission étaient dans le hall et qu’ils devaient rester dans leur chambre ou bien emprunter, s’ils devaient entrer ou sortir, l’entrée de service. C’était un couple très sociable et on les voyait souvent attablés aux terrasses des meilleurs bistrots, devant leur ersatz de café ou leur bénédictine. Aux signes qu’ils échangeaient avec les émigrés germanophones, on pouvait penser qu’ils les connaissaient tous.„ (Mary Jane Gold, Marseille année 40)

Ce soir-­‐là, je dine avec M. et Mme. Werfel. J’ai rencontré à Lisbonne la soeur de l’écrivain, et c’est par elle que j’ai eu leur adresse. Ils sont descendus à l’Hôtel du Louvre et de la Paix, sur La Canebière, sous le nom du compositeur Gustave Mahler, ex-­‐mari d’Alma Werfel. Ils s’entourent de mystère à l’hôtel, et je dois patienter un certain temps avant d'être auorisé à monter dans leur chambre, Quand j’arrive, je comprend qu’ils m’attendaient. Werfel ressemble trait pour trait à ses photographies : gros, courtaud et blafard, pareil à un sac de farine moitié vide. Il perd ses cheveux sur le haut du crâne et ils sont trop longs sur les côtés. Vêtue d’une robe d’intérieur en soie et de pantouVles, il est affalé sur une petite chaise dorée. Il paraît enchanté de me voir mais fort inquiet à l’idée qu’on apprenne sa présence. (Varian Fry, Livrer sur demande 10)

"Toute la journée, des nlots de soldats et de réfugiés entrent ou sortent de la gare Saint-­‐Charles, montent ou descendent le boulevard Dugommier et la Canebière, entrent et sortent des cafés et des restaurants de la Canebière et du Vieux-­‐Port, se ruant dans les rues comme la foule après un match de foot-­‐ball, qui envahit les plates formes avant et arrière des trams, pousse, bouscule, joue des coudes. Mais tout cela sans bruit, épave vivante déposée sur la grève par un terrible désastre".

(Varian Fry, Livrer sur demande)

La Canebière, la rue principale de Marseille, était activement contrôlée par la police française en 1940, même si l'ordre venait de plus loin. Mais qui voulaient-­‐ils encore arrêter, puisque les conjurés gouvernaient déjà ? Mais les papiers : celui qui n'a pas ses papiers, ou pas les bons, on vient le chercher au Grand Café. Il brille de statues en stuc plus grandes que nature, et de tableaux de ce type de femmes qui était particulièrement attrayant en 1890. Elles vous sourient des miroirs, leur image passée entoure, capiteuse, le consommateur de 1940, assis devant son mauvais alcool qui n'est autorisé que trois fois par semaine – et bientôt on va lui demander ses papiers. (Heinrich Mann, Ein Zeitalter wird besichtigt )

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Heinrich MANN (1871-­‐1950) Écrivain allemand (1871-­‐1950), frère ainé de Thomas MANN. Il s'exila en 1933 en Tchécoslovaquie puis en France. Humaniste et militant antifasciste actif, il fonda à Paris le Front populaire antifasciste allemand et publia plusieurs pamphlets contre le régime nazi. De 1935 à 1938, il écrivit un long roman historique, appel à la tolérance et à l'humanisme : Jeunesse et maturité d'Henri IV, personnage représentant pour lui le type même du dirigeant démocratique. Heinrich Mann, Nelly Mann, son neveu Golo Mann, l'écrivain autrichien Franz Werfel et sa femme Alma Mahler-­‐Werfel quittaient Marseille en train, accompagné par Varian Fry et Richard Ball, sans avoir des visas de sorties. Ils prennaient un chemin clandestin par les Pyrénées anin d'arriver à la frontière franco-­‐espagnale (Cerbère). Grâce à quelques paquets de cigarettes, le groupe recevait l'autorisation de passer la frontière. Le 13 octobre 1940, le couple Heinrich et Nelly Mann prenait à Lisbonne le navire Nea Hellas. Ils arrivaient à New York le 13 octobre 1940.

Max (Ernst) rencontrait souvent sur La Canebière de nombreux amis qu’il avaient connus dans les camps d’internement. Ils ressemblaient à des fantômes, mais, pour lui, c’était des êtres bien vivants qui évoquaient des souvenirs communs. Pour moi, c’était un monde étrange et nouveau où l’on citait les noms des camps comme s’il s’agissait de Saint-­‐Moritz, Kitzbuel, Deauville ou quelque autre station mondaine... (Peggy Guggenheim, Ma vie et mes folies)

Nous arrivâmes sur une grande place oblongue dont une des moitiés était à l'ombre d'arbres magniniques. La chaleur devenait écrasante... La place était le terminus d'une ligne de tram. Près de la petite maison où s'arrêtaient les trams, les gens se séparèrent en deux groupes : les uns se précipitèrent vers le tram, les autres se dirigèrent vers une maison avec une petite plaque de cuivre qui portait l'inscription suivante : "Consulat Américain". Encore une chose: entre nous, exilés, il n'y a pas de solidarité. Déjà auparavant, nous avions vécu notre vie de façon très privée. A présent, nous nous isolions encore plus. En voyant les autres au consulat, on hochait la tête : « Aha, toi aussi, tu es là », et personne n'avouait quels étaient ses projets, et sur qui il comptait. On gardait jalousement son secret. Suspicion, peur que l'autre se tourne vers la même issue et lui prenne sa place. (Alfred Döblin, Schicksalsreise. Bericht und Bekenntis)

1940-­‐1942/ 5, La Canebière, hôtel Moderne (aujourd’hui Océania) – N° 09

En novembre 1940, Jean Moulin, révoqué de sa fonction de préfet d’Eure-­‐et-­‐Loir par le gouvernement de Vichy, vient s’installer dans la maison familiale de Saint-­‐Andiol dans les Bouches-­‐du-­‐Rhône, sous sa véritable identité. Mais, sous le faux nom de Joseph Mercier, il parcourt la Provence et rencontre les dirigeants des premiers mouvements de Résistance. Il obtient un passeport sous son nom d’emprunt et, à la Vin de l’année 1941, il gagne Londres en passant par l’Espagne et le Portugal. Il utilise les renseignements obtenus en France dans le rapport sur la Résistance qu’il remet alors au 9


général de Gaulle. Devenu envoyé spécial de ce dernier, sous le pseudonyme de Rex, il est parachuté le 2 janvier 1942 dans la région des Baux de Provence. Jean Moulin, Rex, reprend alors contact avec les dirigeants des mouvements de Résistance et défend auprès d’eux les instructions du général de Gaulle. Il complète sa couverture légale en ouvrant à Nice la galerie de peinture Romanin.

VI. Rue Beauvau, l’ancien hôtel Continental MARY JAYNE GOLD (1912-­‐1997) En 1939, j’étais une jeune nille de la bonne société américaine protestante résidant à Paris dans un appartement de la très élégante avenue Foch. Je partageais mon temps entre cette ville, Londres et les stations chic, me sentant chez moi aussi bien à Cannes, à Biarritz, à Majorque qu’à Saint-­‐ Moritz. La déclaration de guerre sonna le glas de cette existence dorée ... Les bouleversements qui accompagnèrent la défaite de la France me jetèrent, en même temps que des milliers de réfugiés français et étrangers, dans les rues de Marseille. J’avais l’intention de mettre de l’ordre dans mes papiers et de rentrer aux États-­‐Unis. Mais il se trouva que je me laissai entraîner en quelques jours dans une relation avec un jeune aventurier qui venait de déserter la Légion étrangère. Quelques semaines plus tard, je rejoignais le «Centre américain de secours» de Varian Fry, qui préparait l’opération «Mouron Écarlate» consistant à faire secrètement sortir de France, par des moyens légaux ou illégaux, des centaines de réfugiés antinazis, aussi bien juifs que non juifs. A ce moment sans précédent de ma vie, je décidai immédiatement de rester à Marseille... La Canebière, l’avenue principale de Marseille, descend en pente douce vers le port. Je la parcourus de haut en bas, m’arrêtant à tous les hôtels et à toutes les auberges, les petites aussi bien que les grandes. J’allai même jusqu’à frapper, dans les ruelles adjacentes, aux portes d’obscurs établissements qui n’étaient même pas mentionnés dans la plus basse catégorie du Guide Michelin. Épuisée de m’être traînée en long, en large et en travers sur toute la Canebière, je reposai mes valises sur le trottoir et m’assis dessus pour faire une petite pause durant laquelle Dagobert s’appliqua à lécher mes doigts endoloris. Je ninis par trouver une chambre avec salle de bains au Continental, un hôtel de classe moyenne, assez propre et confortable. Sitôt après m’être installée, j’allai tout droit dîner Chez Basso, à un ou deux pâtés de maisons de là face au Vieux-­‐Port. Le décor n’avait pour ainsi dire pas changé. Des bateaux de pêche et des yachts étaient alignés le long des quais, et vers la gauche s’élevait, sur la colline, l’imposant fort Saint-­‐Nicolas qui garde encore les abords de l’ancien bassin. Quelques lumières électriques se rénléchissaient dans les eaux sombres, avec la lune et la plupart des étoiles au nirmament. Mary Jayne Gold, Marseille Année 40, Éditions Phébus, 2001

Walter BENJAMIN (1892 -­‐ 1940) Critique et essayiste allemand d'origine juive (1892-­‐1944). Après la prise du pouvoir par les nazis, il s'installa à Paris, où il poursuivit son travail de critique. Il fut nommé en 1935 membre de l'Institut de sociologie de Francfort (dont le siège s'exila à Genève puis à New York), ce qui lui permit d'assurer sa subsistance. Il rendit visite à 10


plusieurs reprises à Bertolt Brecht au Danemark. En 1936, son recueil de lettres "Deutsche Menschen", dans lequel il déplorait la décadence des valeurs morales en Allemagne, parut chez un éditeur suisse. En 1938, il n'écouta pas les conseils de son ami Adorno et refusa de s'exiler aux États-­‐Unis, estimant qu'il y avait « en Europe des positions à défendre ». Interné au camp de Nevers, puis au camp des Milles (près d'Aix-­‐en-­‐Provence) en juin 1940, il tenta de fuir clandestinement aux États-­‐Unis, mais il fut arrêté à la frontière franco-­‐espagnole et se suicida en septembre 1940. Les endroits frontaliers ont souvent une histoire particulière, il en est de même pour Portbou. Ici, non seulement la dernière bataille de la guerre civile espagnole eut lieu en 1940, mais la même année, Walter Benjamin mourut au village. Le suicide de Walter Benjamin ce 27 septembre 1940 à l'hôtel de Francia de Portbou, incita la société Walter Benjamin de Francfort à construire un mémorial pour l'un des penseurs les plus considérables du 20° siècle: le mémorial PASSAGES. (OfIice du tourisme de Port-­‐Bou)

1940-­‐1944/ 5, rue Beauvau, Ofiice de placement allemand – N° 14 En 1941-­‐1942, l’extension du conVlit et le passage à la guerre totale accentuent très fortement les besoins en main-­‐d’œuvre du Reich. Les autorités d’occupation tentent, par tous les moyens, de recruter des travailleurs, notamment par l’intermédiaire des ofVices de placement allemand (OPA) dont le siège, à Marseille, est établi 5a et 6a rue Beauvau. Celui-­‐ci dispose également d’antennes nombreuses dans tout le département. L’OPA, dans ses publicités dans la presse et lors de séances de cinéma, fait miroiter les avantages, principalement matériels, du travail en Allemagne. En 1942, le nombre de partants outre-­‐Rhin augmente grâce aux divers dispositifs mis en place par l’État français, dans le cadre de la Collaboration. Le gouvernement de Pierre Laval instaure, en avril 1942, la Relève (échange théorique d’un prisonnier de guerre contre trois ouvriers spécialisés) puis, au début 1943, le Service travail obligatoire (STO) qui contraint les jeunes à partir pour l’Allemagne. Dans ces deux cas, les services de l’État français et ceux de l’OPA travaillent ensemble.

23 janvier 1943/ Place devant l’Opéra – N° 12 Lors des discussions autour de l’évacuation et de la destruction des quartiers nord du Vieux-­‐ Port, les 13 et 14 janvier 1943, les autorités françaises proposent à Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police en France, d’élargir les opérations de police à tout le centre-­‐ ville et de les prendre en charge. C’est ce qu’elles font dans la nuit du 22 au 23 janvier 1943, en particulier dans le quartier de l’Opéra, qui abrite de nombreuses familles juives. Les individus à appréhender sont, d’après la note de service concernant l’opération « les repris de justice, les souteneurs, les clochards, les vagabonds, les gens sans aveu, toutes les personnes dépourvues de cartes d’alimentation, tous les Juifs, les étrangers en situation irrégulière, les expulsés autorisés, toutes les personnes ne se livrant à aucun travail régulier 11


depuis un mois ». 1 865 personnes sont arrêtées au cours de visites domiciliaires planiViées à partir du Vichier juif. Elles sont conduites à la prison des Baumettes comme les 635 autres arrêtées la nuit suivante dans les quartiers du Vieux-­‐Port. Sur les 2 500 détenus des Baumettes, plus de la moitié est transportée à la gare d’Arenc le dimanche matin, 24 janvier 1943, et déportée. Dans un communiqué en date du 23 janvier, la préfecture revendique l’entière responsabilité de ces raVles qu’elle distingue des opérations de destruction du quartier du Panier. 1940-­‐1944/ 10, Cours Jean Ballard (Cours du Vieux-­‐Port), Les Cahiers du Sud – N° 16 La revue littéraire Les Cahiers du Sud succède, dans les années 1920, à la petite revue Fortunio éditée, avant la Première Guerre mondiale par Marcel Pagnol et Jean Ballard. Ce dernier, par ailleurs peseur-­‐juré sur les quais, consacre sa vie aux Cahiers du Sud dont il est le directeur. La « revue mensuelle de littérature », loin de se cantonner à des sujets et à des écrivains régionaux, publie de nombreux auteurs non-­‐provençaux, français et étrangers et aborde des thèmes souvent novateurs et de grande ampleur, parfois développés dans des numéros spéciaux, comme en juin-­‐juillet 1941, Message actuel de l’Inde et en 1943, Le génie d’Oc et l’homme méditerranéen. Le « grenier » des Cahiers du Sud au 4e étage du Cours du Vieux-­‐Port, accueille, pendant la Seconde Guerre mondiale de nombreux intellectuels et artistes français et étrangers réfugiés dans le Midi. De 1940 à 1944, la revue publie entre autres, André Breton, Albert Camus, Lanza Del Vasto, Robert Desnos, Paul Éluard, Benjamin Fondane, André Gide, Frédérico Garcia Lorca, André Masson, Loys Masson, Henri Michaux, Saint-­‐John Perse, Jean-­‐Paul Sartre, Paul Valéry, Simone Weil (sous le pseudonyme d’Émile Novis), parmi des auteurs plus méridionaux comme Joë Bousquet, Léon-­‐Gabriel Gros, Charles Mauron, Gaston Mouren, René Nelli, Jean Tortel et Axel Toursky.

„La maison, façade, cage d’escalier, dégagaient une telle impression de délabrement qu’elle paraissait inquiétante... Il faisait nuit noir. L’obscurité parut m’absorber. Il n’y avait aucun commutateur dans la cage d’escalier (je crois qu’il n’existait alors aucune installation électrique pour éclaircir les marches) et je me désespérai à l’idée de monter ainsi les quatre étages. J’usais les quelques allumettes que j’avais sur 12


moi et m’avançai en tâtonnant vers les étages, me gardant bien de frôler les murs sous la rampe... Soudain je trébuchai sur quelque chose de mou ; c’était un corps humain, qui s’anima et se redressa lentement. Du coup ma conviction de m’être frouvoyé dans une antre de brigands se trouva conVirmée et accrut ma panique. Mais l’homme que j’avais heurté du pied un peu brutalement se contenta de protester en baîllant et en marmonnant : „ Y a vraiment pas moyen d’avoir la paix, avec ces foutus poètes !“ Un an plus tard, environ, Ludwig Marcuse, que j’accompagnais là-­‐bas pour une visite à la rédaction, m’avoua alors avec un xsourire embarrassé qu’il avait eu, au cours de cette ascension sinistre, le sentiment coupable, mais subitement plausible, que je pourrais être un agent de la Gestapoqui l’avait attiré dans un guet-­‐apens“ (Citation d’Ernst Erich Noth, Alain Paire, Chroniques des Cahiers du Sud)

1940-­‐1942/ Quai des Belges – N° 08 « Mères qui avaient perdu leurs enfants, enfants qui avaient perdu leur mère, résidus des armées décimées, esclaves échappés à leurs chaînes, troupeaux humains chassés de tous les pays et qui arrivaient Iinalement à la mer, où ils se précipitaient sur les bateaux d’où ils seraient de nouveau chassés, tous fuyaient devant la mort, jusqu’à la mort. C’est ici que toujours les bateaux avaient jeté l’ancre, juste à cet endroit-­‐là, parce qu’ici Iinissait l’Europe, parce qu’ici commençait la mer. C’est ici, c’est à cet endroit-­‐là, que toujours s’était dressée une auberge, parce qu’ici la route se jetait dans la mer ».

Anna Seghers, Transit Anna Seghers, née à Mayence en 1900, est décédée à Berlin en 1983. En 1928, elle reçoit le prix Kleist pour son livre La révolte des pêcheurs de Santa Barbara. Ses ouvrages sont brûlés par les nazis et elle s’exile en France en 1933 avec son mari Ladislas Radvanyi et leurs deux enfants. Ils habitent dans la région parisienne jusqu’à la guerre. En 1940, son mari est interné au camp du Vernet et ensuite transféré au camp des Milles. Anna Seghers s’installe alors à Marseille où elle fréquente nécessairement le milieu des réfugiés et les cafés du Vieux-­‐Port où ils se retrouvent souvent.

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Cette citation (ci-­‐desus), extraite de son roman Transit paru en 1944, traduit la situation et l’angoisse de ces hommes et ces femmes qui ont fui le nazisme et sont perpétuellement en instance de départ. Le 24 mars 1941, Anna Seghers embarque pour la Martinique, avec son mari et ses enfants à bord du cargo Paul Lemerle où se trouvent aussi André Breton, Victor Serge et Claude Lévi-­‐Strauss. La famille gagne ensuite le Mexique.

1940-­‐1942/ 3, Quai des Belges, Le Brûleur de Loups N° 15 Les cafés constituent un havre pour les réfugiés qui y trouvent du réconfort et un peu de chaleur entre deux démarches dans les consulats, les organisations de secours et les compagnies de navigation. Ces lieux de convivialité permettent de rompre la solitude et de partager les angoisses. On y échange les dernières informations sur les moyens de fuir loin des nazis et d’obtenir les papiers indispensables pour le faire. Certains de ces établissements sont connus comme le siège de Vilières de départ. Sur le Vieux-­‐Port, Le Brûleur de loups est le lieu de rendez-­‐vous des artistes et intellectuels. C’est surtout le nom de ce café, qui, semble-­‐t-­‐il, a séduit les surréalistes. Ce milieu n’inspire aucune conViance aux autorités qui y multiplient les contrôles. Le 25 mars, nous nous embarquâmes à bord du Capitaine-­‐Paul-­‐Lemerle, Une coquille de noix pourrie jusqu’aux machines. Il y avait le clan Breton, Claude Lévi-­‐Strauss et Wilfredo Lam. Les Français seuls avaient des cabines, nous autres étions en cale, dormant sur des litières mal rabotées, repoussantes. EnVin, nous étions saufs… Quelques jours plus tard il y eut une mutinerie : mal nourris, nous avions appris par hasards que le bétail parqué sur le pont avait été payé pour nous servir de vivres. La rébellion fut suivie d’effets : on nous distribua le pain gratuitement et l’on tua un bœuf. Le voyage dura trente jours. (Témoignage de Vlady Serge, Iils de Victor Serge, ami d'André Breton )

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Les Surréalistes vivait quelques mois (l'hiver 1940/41) dans une villa -­‐ la VILLA AIR BEL -­‐, déniché pour Varian Fry par Mary Jayne Gold dans le quartier de la Pomme, où ils reprennaient leurs travaux collectifs en créant un Jeu de cartes -­‐ Le Jeu de Marseille -­‐ avec des dessins emblématiques. LE JEU DE MARSEILLE -­‐ Avec la participation de Victor Brauner, André Breton, Oscar Dominguez, Max Ernst, Jacques Hérold, Wilfredo Lam, Jacqueline Lamba, André Masson

24 janvier 1943/ Début du Quai du port (Quai Maréchal Pétain) – N° 02 Wehrmacht, SS et SIPO-­‐SD (« Gestapo ») qui quadrillent la ville depuis le 11 novembre 1942 se méVient de la cité phocéenne où ont eu lieu, le 14 juillet 1942, d’importantes manifestations de la Résistance. Les quartiers nord du Vieux-­‐Port les inquiétent particulièrement : considérés comme très dangereux, on les suspecte de cacher des déserteurs et « des terroristes internationaux ». De plus, les Nazis souhaitent, dans le cadre de la « solution Vinale », augmenter rapidement le nombre de déportations. L’attentat du 3 janvier 1943 contre l’hôtel Splendide (près de la gare Saint-­‐Charles) sert de prétexte aux destructions et aux déportations. Pour l’exemple, Hitler ordonne de raser les vieux quartiers immédiatement. L’état de siège est proclamé et de nouvelles unités de la Wehrmacht et de SS, ainsi que de nombreuses troupes françaises sont dirigées vers Marseille. En accord avec les occupants, les autorités de Vichy multiplient les contrôles et les arrestations dans toute la ville. Les vieux quartiers sont bouclés dans la nuit du samedi 23 janvier et évacués le lendemain. Les opérations durent toute la journée du dimanche, de 8 à 17 heures. Des barrages Viltrants sont installés sur les quais. 15 000 personnes, amenées en tramways et camions à la gare d’Arenc, sont entassées, avec leur maigre paquetage, dans des wagons de marchandises et conduites dans des camps à Fréjus. A partir du 28 janvier, la plupart d’entre elles peut revenir dans les Bouches-­‐du-­‐Rhône. Mais plusieurs centaines, envoyées à Compiègne, rejoignent celles arrêtés à Marseille les jours précédents. Nombre d’entre elles, juives, sont transférées à Drancy, puis vers les camps d’extermination où elles ont péri.

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février 1943/ Rue Caisserie – N° 06 Le quartier du Panier s’élève sur les buttes Saint-­‐Laurent, des Moulins et de la Roquette qui dominent le Vieux-­‐Port et l’Hôtel de ville, sur l’emplacement de la Massalia antique réoccupé à l’époque médiévale. L’extension de la ville aux époques moderne et contemporaine, le percement de la rue Impériale (rue de la République) au XIXe siècle contribuèrent à en faire un espace à part. Les désormais « vieux quartiers », habités par une population nombreuse souvent d’origine immigrée, et dont une partie des ruelles étroites est réservée à la prostitution, ne tardent pas à avoir une très mauvaise réputation, encouragée par de violentes campagnes de presse. Pourtant, ils abritent tout un petit peuple qui vit des activités maritimes, pêcheurs, marins ou dockers. Plusieurs plans sont proposés pour leur rénovation dont celui de l’architecte Eugène Beaudoin au début de l’année 1942. La rue Caisserie qui s’étend de la place de Lenche jusqu’à la place Daviel est, à Vlanc de colline, l’une des principales artères Est-­‐Ouest du quartier. Elle constitue la limite nord des destructions de février 1943, qui s’étendent du quai du port (alors rebaptisé Maréchal Pétain) au Sud, jusqu’aux rues de la Roquette et Chevalier Roze à l’Ouest, l’Esplanade de la Tourette et la place Saint-­‐Laurent à l’Est, sur une superVicie de 14 hectares. La partie détruite est reconstruite au début des années 1950. On voit bien aujourd’hui, de part et d’autre de la rue Caisserie, la différence architecturale entre les immeubles reconstruits (côté impair) et ceux qui ont été préservés. Le 2 décembre (1942), des explosions ébranlèrent le boulevard Garibaldi et le Cours Saint-­‐Louis, en plein centre de la ville. C’étaient les premières bombes lancées contre les occupants et leurs complices. Un soldat allemand fut tué et deux personnes blessées. Le lendemain, il y eut encore deux attentats, l’un au Splendid Hôtel contre un ofVicier d´état-­‐major allemand, l’autre contre un bordel de la rue Lemaître. (Marcel Julien, Loin de Massilia) …. Encore quelques heures de voyage et quelques papiers et tous ces lieux si souvent évoqués – Espagne, Portugal, Afrique du Nord, Antilles, Mexique ou Etats-­‐Unis – deviendront ennin réalité. Pour tous les autres, pour tous les laissés pour compte de la culture, de la fortune et de la politique, ne restera plus alors souvent que l’errance, le désespoir ou la folie. ( André Gide, Journal 1939-­‐49)

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