NOURRIR LA RUE
Paul TAN HOANG -Mémoire - Janvier 2017 - Ensa Paris la Villette -Séminaire - «Milieux habités» encadrées par A. Manoli, O. Fatigato, A. Frémy
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J’adresse mes remerciements à mes directeurs de mémoire O. Fatigato, A. Tufano, M. Antonioli, et X. Bonnaud, pour leur aide précieuse dans l’aboutissement de ce mémoire. Je remercie également toutes les personnes qui ont pris le temps de m’apprendre un peu plus sur ma ville natale.
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Itinéraire
Introduction Démarche
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CHAPITRE I Ho Chi Minh : un tissu urbain hétérogène 10 1. Une ville traditionnellement commerçante 1.1 Un embryon urbain : les prémisses 1.2 Une dualité urbaine : Saigon et Cho Lon 2. Transformation urbaine et conservation des modes de vies 2.1 Un laboratoire urbain : l’époque colonialiste 2.1.1. La métropole idéale 2.1.2. Ville multiculturelle : formes urbaines et modes de vies 2.2 La métropole urbaine : « Doi Moi » ou l’ère moderne 2.2.1. Conservation du réseau viaire et ville informelle 2.2.2 La rue, l’espace public par excellence 3. Ho Chi Minh demain : ville globalisée? 3.1 Tentatives de régulation : lois et règlements 3.2 Modernisation et globalisation 4
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CHAPITRE II Résistances 29 1. Habiter la rue : quatre figures d’étude 1.1. Persévérer avec Madame Trang (vendeuse semi-stationnaire) 1.2. Une pratique de génération en génération (famille intergénérationnelle) 1.3. Avoir une liberté dans l’organisation du temps (Mademoiselle Thuy) 1.4. Un système et son économie informelle (le marché quotidien)
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2. Modalités d’occupation 2.1. Persévérance face l’inégalité économique 2.2. Légitimité contrainte : tolérance et accord 2.3. Solidarité et économie informelle 3. Spatialités 3.1. Logiques d’installations 3.2. Economie gestuelle et ergonomie matérielle 3.3. Complémentarités 4. Temporalités 4.1. Mixités d’usages et d’usagers dans le temps 4.2. Impermanences, en permanence
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CHAPITRE III L’espace public urbain Vietnamien : relations intrinsèques entre formes bâties et pratiques culturelles 1. Le compartiment vertical : un espace diatope ? 1.1. Une économie familiale 1.2. Le brouillage des limites et l’espace intermédiaire 1.3 Riveraineté et territorialité : un frontage habité
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2. Ville interstitielle : le lieu d’entre-deux 2.1. Interstices et vides urbains : espace de frottement 2.2. Polyvalence et mutation 2.3. De la stérilisation vers la fertilisation : territoire d’entre-deux
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CONCLUSION
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Annexes 96 Bibliographie 98 5
INTRODUCTION Lorsqu’on évoque la rue, il nous vient à l’esprit dans un premier temps un espace dédié à la circulation dans un contexte urbain. Une voie centrale goudronnée et aménagée, réservée à la circulation de véhicules, et la plupart du temps, bordée de ses deux côtés par des espaces dédiés à la circulation piétonne, le tout encadré par des constructions. Elle permet de desservir les différents types de foncier, elle lie et connecte, elle sépare et met à distance. Elle suggère la mobilité, la vitesse et les flux. Dans un deuxième temps, la rue évoque aussi un lieu de sociabilité, de croisement et de rencontre. Les différentes intéractions qui s’y créent, l’animent. La rue est une scène où les différents acteurs qui s’y trouvent déploient des activités variées, et surtout, ils interagissent les uns avec les autres. La rue est ainsi conçue avec la fonction principale de desservir la ville, selon une manière régulée et efficace. Pourtant, les pratiques qui s’y déroulent sont diverses et variées, dont certaines sont imprévues dans la conception de départ. Dans certaines villes plus que d’autres, la rue est perçue non seulement comme une voie de circulation, mais un espace dont les bords recèlent de potentialités desquelles les usagers puisent et innovent, en matière d’animations et de sociabilité, avec une inventivité toujours grandissante. Il en résulte des formes de sociabilités innombrables, dont l’une d’entre elles excelle en matière de rassemblement, « manger dans la rue ». Que veut dire l’expression « manger dans la rue » ? Est ce qu’elle suggère l’acte de manger et de circuler en même temps ? Cela semble se contredire. Manger sous-entend une certaine immobilité, un moment d’arrêt, le sur-place, alors que la rue suggère la mobilité, la transition, le mouvement. Dans le monde contemporain, au fur et à mesure des progrès technologiques et des évolutions des modes de vie, il est important de constater les changements qui s’opèrent dans le rythme quotidien. Le temps consacré à déjeuner se réduit de plus en plus, notre rapport à l’alimentation a évolué et il est accompagné par des nouvelles modes de préparation et de consommation1. Tout cela s’additionne pour propulser une nouvelle manière de consommer, la restauration rapide. Elle se caractérise par la préparation quasi-instantanée du repas, et la possibilité de le consommer sur-place ou à emporter. Les chaînes de restaurants spécialisées dans ces modes de restaurations ne manquent pas pour prouver l’ancrage de cette forme de consommation dans le mode de vie de la société. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est quand la restauration rapide se propage dans les rues et s’incarne à travers différentes formes d’expressions, regroupées sous une même pratique communément appelée « la cuisine de rue ». Manger dans la rue est une pratique ancestrale, devenue un phénomène d’actualité, dont l’ampleur grandissante n’est plus à négliger. Elle est très importante dans les villes des pays en développement, notamment celles de l’Asie du Sud-Est. Dans les métropoles de ces pays, on assiste généralement à de grands écarts économiques et sociales au sein de la population. Pour combler le manque de ressources financières, la frange de population subissant ces inégalités ont souvent recours à des formes d’économie informelle. Une tendance similaire se retrouve au sein de la part de la 1. Mini Maousse 5, Ma cantine en ville, Voyage au coeur de la cuisine de rue, Paris, Gallimard, “Collection Alternatives”, 2013, p.7
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population rurale. L’emploi agricole, exercé par la plupart de ces personnes, reste cependant précaire et les pousse à migrer vers les zones urbaines dans l’optique de trouver de meilleurs revenus. Elles utilisent alors l’espace commun pour y exercer des activités informelles : vendeurs ambulants, services variées, moto taxis, et la cuisine de rue. La complémentarité de leurs interactions font preuves d’imaginations et d’inventivités dans cet espace commun pour en faire des lieux de sociabilités. La nourriture de rue comme sujet d’étude ne doit pas se comprendre comme seulement un travail sur les différentes formes de «manger dans la rue». Elle est pensée comme étant des pratiques et des usages de la rue comme lieu de vie et de rencontre. Cela suggère les formes d’habiter et d’appropriation qui nourissent la rue et la définissent en tant que lieu de sociabilité et non pas seulement comme un lieu de transition. Ce mémoire considère la cuisine de rue comme l’emblème symbolisant les manières d’habiter la ville, et plus précisement d’habiter la rue, la forme urbaine la plus élémentaire et pourtant au premier plan de toutes mutations. La ville contemporaine est une ville rythmée, séquencée, régulée et consommée. Son polycentrisme offre tous les besoins, les nécessités, les plaisirs dans une proximité toujours grandissante. Elle est régie par la facilité de communication et de liaison. L’avancée technologique s’est propagée dans les usages et pratiques quotidiens et accompagne l’homme citadin dans ses déplacements. La fluidité est devenue un standard, la vitesse une garantie. Plug-in City d’Archigram2 serait-elle l’image caricaturale de cette ville? Une ville déterminée par ses flux, son réseau, où l’architecture est devenue un produit, et la vitesse une monnaie d’échange. La ville occidentale comme la ville orientale, les villes du Nord comme les villes du Sud, sont les nœuds d’un grand réseau. La ville est l’interface d’échange entre l’échelle locale et l’échelle globale. C’est en même temps l’ouverture au monde et la prise de conscience de son individualité. Elle isole et réunit, sépare et relie. Elle met en évidence la différence et suggère l’unité. Les effets de la métropolisation se propagent dans le monde et touchent surtout les villes des pays en développement. Elles expriment la volonté de moderniser la ville, d’en faire une machine de productivité, d’en faire un paysage esthétique et au goût du jour, pour se hisser au rang des villes développées et se figurer une place dans le réseau économique international. Or, « la globalisation de l’économie capitaliste entraîne dans son sillage la constitution de « modèles » de communications et urbanistiques3 ». Le développement urbain des villes du Sud se déroule alors selon ces modèles urbanistiques établis. L’uniformisation est en cours, des typologies cataloguées se retrouvent dans tous les nouveaux projets urbains. Au nom de la modernité, la politique d’embelissement de la ville fait abstraction de l’identité locale, les pratiques culturelles et les usages sociaux, pour atteindre la ressemblance. Les villes sont transformées selon un tabula rasa par un urbanisme de bulldozer, tel que le définit Françoise Choay, pour construire à la place des architectures decontextualisées et décolorées, homogènes et uniformes, attributs de ce que Rem Koolhaas nomme «la ville générique4». De nouveaux quartiers naissent, prônant un cadre de vie conciliant tranquillité et nature, 2. Archigram, un groupe avant-gardiste, a crée plus de 900 dessins entre 1964 et 1974, dont le Plug-In City 3. Thierry Paquot, L’espace public, Paris, La Découverte, « Collection Repères », 2009, p. 46 4. Koolhaas R., Mau B., 1997. S,M,L,X. Office of Metropolitan Architecture, New York, Monacelli Press, p. 1248-1263
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sécurité et protection5 : des skyscrapers, des tours d’habitations, des résidences fermées, un cadre de vie naturel et paisible, des espaces publics aménagés et préventifs, et des voies de circulations régulées et régies par l’automobile. Cela suggère une manque de prise en compte de la tumultueuse vie quotidienne qui se déroule sur les trottoirs des rues, rythmée par les usages variés, notamment les pratiques comme la cuisine de rue et les vendeurs ambulants, considérés par l’autorité publique comme « nuisances » à la modernisation. En effet, les mesures prises contre ce type de population sont souvent de nature répressive. Elles sont autant inappropriées et qu’inefficaces, car lorsque l’on se promène dans les rues, ces pratiques subsistent et persistent. La ville de Ho Chi Minh est une métropole située dans le sud du Vietnam dans laquelle les activités informelles sont prépondérantes. Malgré la croissance fulgurante que connaît le Vietnam, en termes d’économie, urbaine et sociale, le secteur de l’emploi informel reste cependant très important, proche de 25% de l’emploi total6. Pourtant, les autorités publiques ne reconnaissent pas ce secteur dans les politiques de développement. Les activités informelles se caractérisent par la variété des métiers, dont celui de vendeurs de rues exercés par des milliers de personnes. Ils sillonnent les rues et se fondent dans la foule quotidienne. Ils en font des rues animées et vivantes qui sont une spécificité de la ville. Leurs installations souvent éphémères et informelles peuvent cependant donner l’illusion d’un désordre général, qui est contre-courant avec l’idéologie de modernisation de la ville. Etudier ces pratiques de rues dans une ville telle que Ho Chi Minh conduirait à des éclaircissements sur les manières dont ces vendeurs de rues intéragissent avec les formes bâties, en s’accoutumant aux règlements modernes et préventifs concernant les voies publiques, de faire face ou contourner à la force policière, ou tout simplement, de résister. L’objectif du mémoire est donc d’analyser le système informel des vendeurs de rues et sa résistance face à l’urbanisme contemporain. La fabrique spatiale moderne et mono-fonctionnaliste ne répond plus aux mutations et aux nouveaux modes de vies. Comme l’affirme Luc Gwiazdzinski, la ville d’aujourd’hui est continue, en constant mouvement, avec des utilisateurs différents et leurs temporalités spécifiques : «Par rapport à ces évolutions l’individu devient de plus en plus mobile. Il est poly-topique : il a plusieurs lieux. Il est poly-actif : il a un portefeuille d’activités plus qu’un seul métier. Il est de plus en plus instable : en famille, au travail, dans sa localisation. Il est de plus en plus imprévisible, il devient de plus en plus un hybride alors que l’offre urbaine est toujours plus statique et rigide7.» Penser la ville d’aujoud’hui et de demain doit prendre en compte ces nouveaux facteurs, comprenant la mixité des usages, la pluralité des flux composant la ville, les temporalités différentes et toujours plus rapides des rythmes urbains. L’analyse de cette résistance peut alors ouvrir des pistes de recherche pour développer d’autres perspectives dans les manières de faire ville, notam5. Thierry Paquot, L’espace public, Paris, La Découverte, « Collection Repères », 2009, p. 46, pg.100 6. Jean-Pierre Cling, Mireille Razafindrakoto et François Roubaud, «Économie informelle, crise et politiques publiques au Vietnam» In Jean-Pierre Cling, Stéphane Lagrée, Mireille Razafindrakoto et François Roubaud (dir.) L’économie informelle dans les pays en développement, Conférences&Séminaire Juin 2012, Agence Française de développement, Paris, 2012, pg. 295-315 7. Luc GwiazdzinskI, « La ville malléable », In LA VILLE ADAPTABLE : insérer les rythmes urbains, Europan 2012.
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ment dans l’utilisation plurielle et temporelle de l’espace public urbain. La question suivante se pose alors : De quelles manières les vendeurs de rues et leurs inscriptions dans l’espace public, agissant en tant que résistances culturelles face à un modèle urbanistique global, peuvent être des ressources pour un urbanisme contemporain nouvel?
Démarche Avec Ho Chi Minh comme lieu d’étude, il est en premier lieu nécessaire de définir son contexte urbain, ses formes urbaines et plus particulièrement l’importance de la rue en tant qu’espace public. La définition du contexte prend en compte aussi l’histoire de la création de cette jeune ville, dont le brassage culturel a grandement participé à sculpter les morphologies urbaines et engendrer les multiples pratiques de rues actuelles. Elle permettra alors de mettre en évidence le décalage entre les usages urbains et les typologies modernes. Cette analyse historique de la formation de la ville d’Ho Chi Minh et des usages de l’espace urbain Vietnamien permettra d’aborder les résistances qu’incarnent les vendeurs de rues à travers leurs appropriations publiques. L’analyse des résistances s’effectue au travers de quatres études de cas. Elles ont été déterminées selon trois critères : -les spécifités concernant leurs modalités d’occupation, mettant en avant les rapports spécifiques entre les vendeurs de rues et les forces locales (Etat et riverains) -la spatialité de leurs appropriations publiques, décrivant les logiques d’installations et l’architecture des agencements en rapport avec les morphologies urbaines -les différentes temporalités qui régissent leurs fonctionnements, suggérant une mixité d’usages face à l’évolution constante d’utilisateurs Dans un troisième temps, le mémoire questionnera les rapports intrinsèques entre les pratiques culturelles et commeçantes de la rue, et les formes bâties de la ville. Ce chapitre tentera notamment de mettre en évidence l’importance du compartiment vertical - habitat indivuel le plus répandu dans les villes Vietnamiennes - dont la flexibilité du rez-de-chaussé crée des espaces intermédiaires dotés de grandes potentialités d’appropriations, lieux d’interpénatrations entre le public et le privé. L’accumulation dense et informelle de ces formes bâties révèle une ville interstitielle, qui recèlent d’espace non-définis et flous, ouvertes aux multiples appropriations publiques des vendeurs de rues. Ce mémoire serait comme un point d’accroche pour ouvrir le débat sur les différentes perspectives possibles de conception urbaine qui prennent en compte la diversité et la mixité des usages quotidiens de l’espace public et leurs temporalités, là où le modèle urbanistique moderne s’épuise à fournir des solutions prometteuses.
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CHAPITRE I Ho Chi Minh : des pratiques traditionnelles dans un tissu urbain hétérogène
Dans un premier temps, il est judicieux de détailler quelques points historiques importants dans la constitution de la métropole d’Ho Chi Minh. A travers la description succincte de son histoire, l’évolution des pratiques des rues en rapport avec celle de la ville sera abordée. En insistant ensuite sur l’influence du brassage culturel sur les morphologies urbaines, premièrement de l’intervention chinoise et deuxièmement de l’apport français sur l’urbanisme de la ville, il sera démontré d’une part que les usages traditionnels de la rue restent liés à la logique marchande héritée, et d’autre part que la ville s’est constitué à partir de son réseau viaire. Ces éclairages historiques permettront alors d’aborder l’espace public Vietnamien, par sa redéfinition en comparaison à celle du modèle Européen. Son aspect évolutif sera ensuite expliqué, traitant sur le même plan la polyvalence des appropriations de la rue, fortement liées à la spécifité du rapport public/privé dans l’organisation des espaces de l’habitat individuel. L’aspiration de la ville vers la modernité est synonyme des nouvelles lois régulant l’appropriation de l’espace public, dans une optique de contrôle et de marginalisation. La globalisation de la ville d’Ho Chi Minh d’aujourdhui sera également explicitée et illustrée par quelques exemples de projets urbains, terminant ainsi ce premier chapitre. 10
A. Ho Chi Minh : métropole jeune et multiculturelle
Chenla - Avantage géographique source: http://virtual-saigon.net/Maps
Chenla était le territoire des Khmers. Elle est dissociable en deux partie, le Nord est la région des terres et le Sud la région des mers, identifiables par la pluralité de ses canaux. L’emplacement actuel d’Ho Chi Minh se situait quasiment à l’extrême Sud de la région des mers, là où les canaux sont nombreuses et se déversaient directement dans la mer. Cela induit un terrain propice au commerce et à l’échange.
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1. Ho Chi Minh : la ville traditionnellement commercante 1. 1 Un embryon urbain : les prémisses (VIIè - 1678) Les prémisses d’Ho Chi Minh datent d’environ deux millénaires. Au premier siècle, la région actuelle de la ville était connue sous le nom de Founan, un royaume Hindu. Un village se dressait dans ce territoire, et qui a ensuite été renommée Prei Nokor, « la ville dans la forêt », au VIIème siècle, au moment où le territoire devient le royaume khmer de Chenla8. D’un principe symbiotique, le village s’organisait par ses rapports avec la nature. Les habitations s’agencaient de manière arbitraire et organique, leurs positionnements et orientations dépendaient de la route et l’activité agricole de la famille. Le village prospère en étant un centre important d’échanges commerciaux, notamment grâce aux activités portuaires intenses. L’arrivée des Vietnamiens dans cette région ne survient que beaucoup plus tard, notamment à cause des confrontations récurrentes entre le royaume du Vietnam, situé alors plus au Nord, et celui de la Chine. Cette relation antagoniste entre les deux pays restera un thème récurrent jusqu’au Xème siècle, moment où une révolte a permis au pays de reprendre possession des territoires. Il sera alors nommé Dai Viet. Les dirigeants de l’Empire Dai Viet ont reconnu les avantages économiques et géographiques de Chenla, notamment le commerce fructueux entre le delta du Mékong et la Mer de Chine méridionale. En 1698, le royaume Vietnamien annexe le territoire des Khmer avec l’aide des Chinois. Cette période marque la véritable naissance d’Ho Chi Minh ville, alors connue sous le nom de Saigon. 1.2. Une dualité urbaine : Saigon et Cho Lon (1678 - 1887) L’économie de la région était basée sur le commerce international, exposant les habitants à des populations et coutumes différentes. Ce brassage culturel porte déjà une forte influence sur la ville, notamment dans sa conception urbaine. Saigon, étant une jeune ville, n’avait que peu de régulations par rapport à l’usage de l’espace public9. De plus, avec son caractère très commerçant, les rues étaient déjà animées et témoignaient de l’effervescence des pratiques. Elle traversa cependant une reconfiguration de ses rues basée sur le modèle des cités impériales chinoises. Ces cités traditionnelles chinoises comportaient des enceintes murées pour confiner les mouvements des différentes classes. De formes régulières et tramées, elles permettaient une surveillance aisée, une circulation contrôlée, et incarnaient le pouvoir de l’Empire Vietnamien. Cela exprime également le rôle administratif qu’endossait la ville. Le développement de Saigon fut cependant freiné et même en déclin à cause du transfert du statut de Capital à Huê, une ville de la région centre du Vietnam. 8. Christian Pédelahore de Loddis, Réémergences Vietnamiennes. L’invention spatiale au quotiden, Paris, Cité de l’architecture & du patrimoine et l’Institut Français, dans le cadre de l’Année France-Vietnam 2013-2014, 2014, pg. 77 9. Annette Miae Kim, Sidewalk City, Remapping Public Space in Ho Chi Minh City, Paris, The University of Chicago Press, 2015, pg. 36
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Plan esquissé de Saigon et Cholon, 1790 source: http://virtual-saigon.net/Maps
Le tracé des rues se basaient sur l’économie de la ville. Elles se dressaient perpendiculairement aux canaux, afin de faciliter la circulation des marchandises. De plus, l’insertion des bâties reflète une logique marchande. Les constructions permettaient le maximum de commerces sur rues, avec des locaux de stockage situés à l’arrière en coeur d’ilôts.
Photographie d’une rue à Cho Lon, 1800 L’effervescence marchande est clairement visible dans la vie quotidienne durant cette époque. Les marchandises débordaient dans les rues, et les négociations se faisaient au bas de porte. marchande. Les constructions permettaient le maximum de commerces sur rues, avec des locaux de stockage situés à l’arrière en coeur d’ilôts.
source: http://hinhanhvietnam.com/ca-phe-sai-gon-xua
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La présence des Chinois dans la naissance et le développement de Saigon porte également une influence sur la forme urbaine, notamment à Cho Lon, une ville adjacente. Etymologiquement,«Le Grand Marché», ce comptoire chinois florissant se développa continuellement, et surpassa Saigon en termes de population et de commerces. Malgré la ségrégation subie par les Chinois pendant les décennies précédentes, ils sont encouragés à consolider l’économie et Cho Lon s’organisa alors commercialement. Chaque quartier se caractérisait d’abord par l’ethnie Chinoise qui l’occupait, chacune spécialisée dans un marché différent Cette structure économique et sociale a fortement influencé la forme urbaine. Les bâtiments s’alignaient sur les rues orientées vers les canaux, et les différentes activités commerciales débordaient dans la rue, résultant dans une ville ouverte caractérisée par une mixité d’usage. Les rues sont ainsi devenues des espaces publics majeurs dans une ville régie par le commerce. La typologie du compartiment chinois est adoptée et s’incarne commen une première forme de modernité urbaine, reconnaissable par l’étroitesse de l’unique façade sur rue et leurs formes étirées. Le rez-de-chaussé est réservé aux actitivés commerciales et la vie familiale se dé-
Vie familiale
Seuil
Vie familiale
Activités
Stock/Cuisine
Coupe schématique du compartiment tradionnel chinois L’espace de rez-de chaussé est utilisé pour des activités commerciales. Il est également possible de constater la présence d’un retrait de la façade afin de permettre un passage, mais aussi le débord des étals de boutiques. L’arrière de la maison est réservé au stockage et la cuisine. La vie familiale et privée se déroule dans les étages supérieurs
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ploie dans la profondeur et dans les étages. Ces compartiments s’agencent en rangée et la logique marchande dicte l’impératif d’accès à la voie de chaque bâtiment. Les rez-de-chaussés sont renfoncés d’un à deux mètres afin de permettre le passage, mais aussi l’installation de petits commerces ou d’étendre les étals de marchandises. Ce seuil fait ainsi appel à des appropriations multiples et diverses, autant éphèmères qu’évolutives. L’organisation des voies est rationnelle et préconise un certain urbanisme. Les voies sont dressées perpendiculairement aux canaux pour maximiser l’efficacité de la circulation des marchandises, influant directement sur la valeur du foncier desservi.
Axonométrie schématique d’une rangée de compartiments Les compartiments sont agencés successivement pour créer un linéaire de commerces, caractéristique de la ville de Cho Lon. Les boutiques débordaient sur l’espace en renfoncement. Chaque maison avait ainsi l’impératif d’accès à la voie. Les négotiations s’effectuaient au niveau de ce seuil, contribuant à l’effervescence et au «désordre» spécifique de Cho Lon.
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Vue d’oiseau de Saigon (source: http://virtual-saigon.net/Maps) La métropole idéale, vision utopique d’un urbanisme français clairement identifiable, des boulevards arborés avec de grands trottoirs, des quais accessibles incitant à la promenade. Une vision idéalisée d’une Paris tropicale.
2. Transformation urbaine à partir du XIXè siècle et conservation des modes de vies 2.1. Un laboratoire urbain : l’époque colonialiste (1887-1954)
2.1.1. La métropole idéale
La présence des étrangers, notamment les Français, date d’environ 2000 ans, mais s’accentue surtout au XVIème siècle avec des marchands Européens et des missionnaires. L’invasion française s’est enclenchée en 1859 et la capture de la citadelle Vietnamienne en 1861 marqua le début de l’époque colonialiste. Saigon devint alors la capitale du Cochinchine. La transformation de la ville commença, les constructions en bois et les rues boueuses sont peu à peu remplacées par une ville aux grands boulevards et à l’architecture colonialiste. Le trottoir fut ainsi introduit. La ville coloniale devint alors un laboratoire urbain pour concevoir la « métropole idéale », une synthèse entre développement économique, équipements publics, et identité culturelle. Les rues et trottoirs étaient des éléments importants des projets urbains coloniaux. Un maillage orthogonal vient structurer Saigon par des boulevards, rues et quais. De plus, il est important de remarquer la qualité de ces constructions, à l’instar des trottoirs dont la grande largeur permettait déam16
bulation et socialisation, ou encore des rues ombragées et équipées de lampadaires soigneusement espacés. 2.2.2. Ville multiculturelle : formes urbaines et modes de vies « La métropole » idéale témoigne à cette époque d’un remarquable mélange culturel par les différentes populations qui l’habitent : les Chinois à Cho Lon, les Français à Saigon, et les Vietnamiens aux périphéries des deux zones. Malgré l’ambition de l’urbanisme français de réunir les deux villes, les caractères distincts des deux villes s’affirmaient davantage. La logique marchande de la ville de Cholon induisait des pratiques commerçantes, régissantes directement sur la forme bâtie. Les rues étaient bordées par des bâtiments suivants cette logique, assimilables à des maisons tubulaires en rangées, avec le rez-de-chaussée qui s’y ouvre directement, endossant un rôle commercial. Des brises soleils sont ajoutés à la façade pour fournir des protections contre le soleil tropical, et élargissent directement le périmètre de la fonction grâce un espace extérieur ombragé. La population se prélassait et se reposait sous ces abris, profitant par la même occasion de la fraîcheur des mets et boissons vendus par les commerçants et marchands ambulants. ll est possible d’affirmer qu’à cette époque, la forme urbaine et l’architecture de Cho Lon se caractérisaient déjà par ses logiques commerciales, qui sont de plus sculptées par les pratiques et usages qui se déroulaient dans les rues. Des règlements urbains et régulations par rapport aux comportements publics à adopter sont aussi mis en place. A Saigon, la planification urbaine imposaient déjà certaines lois qui faisaient allusion au contrôle des mêmes types d’usages du trottoir existants aujourd’hui, tel que le marchandage ou les présentoirs de produits, ou encore les taxis. La police était autorisée à confisquer toutes types de fournitures ou objets trouvés sur le trottoir. L’existence de ces lois prouvent par eux même que certaines pratiques spatiales et usages du trottoir étaient déjà présentes, desquelles les Français n’approuvaient guère. La « métropole » coloniale se trouve ici confrontée aux pratiques culturelles des Vietnamiens. Dans un climat tropical et pesant, les Vietnamiens ont pour coutumes de s’assoir sur le trottoir ou s’adosser contre un arbre, puis de sortir les rafraîchissements ou de faire appel à un vendeur ambulant dans son sillage pour s’en procurer, pour être ensuite partagés ensemble. Ils s’approprient un bout de l’espace public, de manière éphémère, avant de reprendre la déambulation dans le nouveau Saigon. Peut-on suggérer déjà ici une forme de résistance, figurant une confrontation entre modes de vies locales et la planification contemporaine de cette époque ? Les transformations de Saigon font que la ville devienne moderne. Aux yeux des Vietnamiens, ces nouvelles typologies égayent curiosités et émerveillements. Pourtant, ils conservent des pratiques culturelles et des usages habitués. L’innocence des comportements publics des Vietnamiens résistent ainsi aux lois et règlements modernes de l’espace public colonialiste. La ville coloniale serait elle un terrain de contestation entre forces et résistances ?
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Plan de Saigon de 1943 (source: http://virtual-saigon.net/Maps) Dans ce plan, il est possible d’observer la tentative de réunir les deux villes sous une seule entité. Les formes urbaines expriment pourtant le contraire. A Saigon, de grandes boulevards et une tracé régulière est identifiable alors qu’à Cho Lon, en grande partie industrielle et commerçante, des formes urbaines beaucoup plus diffuses et informelles, traduisant une plus forte densité.
2. 2 La métropole urbaine : « Doi Moi » ou l’ère moderne (1976 - aujourd’hui)
2.2.1. Conservation du réseau viaire et ville informelle
L’indépendance fut proclamée en 1973. La nationalisation a conduit à une planification centralisée de l’économie et mène à une crise économique. Cette période difficile se termine en 1986, avec l’introduction du gouvernement d’une réforme économique visant à créer une économie socialiste de marché. Sous le nom de « Doi Moi » (Epoque Moderne), cette réforme autorise à nouveau la privatisation des biens et abandonne la collectivisation. Un tremplin économique se met en place et se traduit par l’augmentation des, des investissements étrangers dans le domaine de l’immobilier, et la remontée de l’auto promotion immobilière familiale privée. Cela a diversifié les acteurs de la ville et sa fabrique spatiale10. Ho Chi Minh se développe et son expansion se fait majoritairement de manière informelle. La typologie traditionnellement du compartiment chinois est réinterpreté pour l’habitat familial privé. 10. Marie Gibert, Les espaces publics urbains vietnamiens face à la modernité, Ho Chi Minh Ville : résistance et réinvention de la culture de rue, Conférence Internationale Géographie urbaine ENSAB, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 12-14 Juin 2013, 20 pages, pg. 2
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Vue satellite d’Ho Chi Minh ville (source: Bing Maps : http://bing.com/maps) La ville d’Ho Chi Minh s’est développée frénétiquement. D’une part, il est clairement visible sur ce document que les réseaux viaires hérités de Cho Lon et Saigon sont conservés et reliés par des axes majeurs. D’autre part, la ville s’est densifiée massivement et de manière informelle, sans planification urbaine.
Le réseau viaire hérité de Cho Lon et Saigon est conservé. La rue n’est plus un objet urbain planifié par l’Etat, elle se forme à partir du pragmatisme des riverains11. Sa naissance spontanée résulte de la densification rapide et non contrôlée, qui participe à donner ce tissu urbain spécifique à Ho Chi Minh ville. Les îlots formés sont ainsi traversés par des ruelles (hem), allant de 60 cm à 2m de large. Entités organiques et vivantes, dont l’absence de trottoir et la densité extrême des bâtis contribuent à une sensation de cloisonnement, contrairement au principe de la rue du modèle colonial. Cette nouvelle forme urbaine se déploie avec l’expansion de la ville, reliant alors Saigon et Cho Lon en une seule métropole, Ho Chi Minh. 2.2.2. La rue, l’espace public par excellence L’espace public, selon la conception occidentale, renvoie à la pratique démocratique sous la forme de circulation et communication de divers points de vue et d’opinions publiques et privées, véhiculées par la publicité. Les espaces publics sont «les endroits accessible aux publics (…) qui permettent le libre mouvement de chacun, dans le double respect de l’accessibilité et de la gratuité, indépendamment du statut juridique». 11. Marie Gibert, « Moderniser la ville, réaménager la rue à Ho Chi Minh Ville », EchoGéo [En ligne], 12 | 2010, mis en ligne le 31 mai 2010, consulté le 27 décembre 2015.
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D’un point de vue historique et étymologique, l’expression « espace public » ne trouve pas son équivalent dans le vocabulaire vietnamien. Les noms des différents lieux dont l’accès est gratuit et à caractère public sont directement utilisés dans la langue courante. Par exemple, không gian giao thông se traduit par les espaces de circulations (automobiles), ou encore des places qui sont désignées par quan truong ou công truong. Le concept d’ «espace public» a été importé par la colonisation et sa traduction, không gian công cong, est une traduction littérale et calquée. Il faut noter que cette expression est encore peu utilisée dans le langage, à part dans le vocabulaire d’urbanisme. Dans les villes Vietnamiennes, les appropriations de l’espace public sont nombreuses de la part des habitants qui s’emparent des devantures de leurs domicile. Dès que l’espace est gratuitement accessible, que ce soit sur les trottoirs, en bordure des chaussés, dans un recoin ou un vide urbain, la population projette des usages et pratiques en se l’appropriant, de façon plus ou moins prolongée. L’espace acquiert ainsi son caractère public à travers ces interventions. Tandis que le modèle européen suggère que les places et squares dont la fonction d’accueillir des usages et pratiques publics soit déjà établie. La rue s’incarne alors en tant que l’espace public des villes vietnamiennes par excellence. Son appellation commune, con duong, permet déjà de donner une idée de la grande richesse des formes de sa pratique. Le mot «con» est un classificateur utilisé en préfixe des noms communs, pour désigner les choses animées et vivantes («cai» pour les objets inanimés). Cette appellation qualifierait donc la rue comme étant un organisme vivant et polyforme, respirant au rythme des flux qui la traversent. Elles sont à différentes échelles et se réduisent à celle de la ruelle, qui tissent son réseau informel à travers l’épaisseur des îlots et qui permettent de desservir des habitations en son coeur.
Boire, manger, commerces des toutes sortes, parking de motos, vendeurs éphémères, cuisines, réparations de motos, les appropriations sont nombreuses et surtout à chaque coin de rue..Tout recoin et vide sont des lieux de potentialités, la gratuité de l’accès étant la critère principale. 20
3. Ho Chi Minh demain : ville globalisée?
3.1. Tentatives de régulation : lois et règlements
Les tentatives de contrôles et de régulations étaient présentes dès l’époque colonialiste. Mais il est démontré que les Vietnamiens persistaient dans les pratiques culturelles et continuaient à envahir le trottoir pour le commerce et les loisirs. Ce n’est que pendant les années qui suivent la révolution, où l’Etat a imposé la nationalisation et la collectivisation que les pratiques courantes du trottoir ont sensiblement diminué, mais qui persistaient à travers des symboles discrètes signalant la présence de produits issus du marché noir et accessible dans les maisons ou courettes12. En 1986 fut annoncée la réforme « Doi Moi », marquant le début de la politique du renouveau. Le commerce privé est alors autorisé, déclenchant la reprise de l’économie. Les ménages pouvaient mener une activité commerciale et familiale, à condition qu’ils le déclarent officiellement à l’Etat afin d’obtenir une licence. L’année 1988 marque un profond changement. D’une part, les paysans sont officiellement autorisés à vendre leurs extras directement au marché. D’autres part, l’article 2 du décret 66 promulgué également en cette année légitime les vendeurs du trottoirs comme une entité économique et domestique, et qu’ils ne sont plus dans l’obligation de déclarer leurs activités et sont exemptés de taxes13. Le décret 39 de l’année 2007 est une réédition de ce dernier. Il sollicite la population à mener une activité commerciale domestique et informelle, développant alors l’économie encore instable d’après la révolution. Cela résulte dans une augmentation sensible de la migration vers les villes et donc des vendeurs de rues. Dans les villes en développement, la modernisation de la ville implique la création de lois et de règlements, et de régimes régulant l’utilisation de l’espace public. Il ne faut pas oublier que la justice préconise le droit d’accès à l’espace public à toute personne, indépendamment de leur statut social ou économique. Pourtant, des stratégies de régulation et d’exclusion sont utilisées, selon des facteurs comme la valeur foncière ou la fonction du quartier. Au Vietnam, le discours politique concernant les vendeurs de rues dénoncent leurs effets sur l’hygiène, la création du désordre, et surtout le ralentissement du trafic. Et bien évidemment, d’autres textes revendiquent les vendeurs de rues comme étant le contre-poids de l’amélioration souhaitée de l’image de la ville dans le monde. Malgré le grand part de population dans les pays en développement qui pratique une économie informelle, et une stigmatisation beaucoup moins importante (qu’en Europe) concernant ce secteur, en Asie comme en Occident, les politiques tentent de créer un système permettant un espace public propre et ordonné. Pour organiser la circulation pédestre et contrôler les comportements dans l’espace public, certaines loi mettent en vigueur des consignes à respecter. Ces règlements ont pour objectif de permettre un traffic fluide des véhicules. Les différentes formes d’appropriations publiques peuvent parfois empiéter sur la chaussé, devenant des obstacles et ralentissant la circulation des transports. L’article 8 de la loi 23 promulguée en 2008 énumère par exemple les actes interdits dans l’espace public. Le non respect de ces règlements sont sanctionnés à travers des amendements ou 12. Annette Miae Kim, Sidewalk City, Remapping Public Space in Ho Chi Minh City, Chicago, The University of Chicago Press, 2015, pg. 50 13. Ibid.
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Décret 39/CP2007: Chapitre 1: DISPOSITIONS GENERALES Article 1. Champ d'application Ce décret prévoit le champ des activités commerciales individuelles exercées de manière indépendante, non soumis à l’enregistrement aux chambres de commerce et aux pouvoirs publics pour le fonctionnement de ces objets. Article 3. Définitions Dans le présent décret, les termes ci-dessous sont interprétés comme suit: 1. L’activité commerciale domestique est l’activité exercée au quotidienne par soi-même, une partie ou la totalité des activités sont autorisées par la loi, la fourniture de services et d'activités sont bénéfiques individuellement, et ne sont pas soumises à l'enregistrement aux chambres de commerce en vertu des dispositions de la loi sur l'enregistrement des commerces, et ne sont pas appelés «marchands» en vertu des dispositions de la loi commerciale. Les individus autorisés sont les personnes qui exercent les activités suivantes: a) les activités commerciales qui n’ont pas d'emplacement fixe, y compris la revente des livres, magazines, documents et produits cosmétiques des commerçants autorisés à la vente ces produits tel que prescrit par la loi commerciale; b) vente classé comme les activités commerciales de petits objets avec ou sans emplacement fixe; c) vente des collations, de nourriture, des boissons avec ou sans un emplacement fixe; d) l’achat de produits d’un lieu, son transport, et sa revente à des grossistes ou détaillants; e) les services: cirage de chaussures, numéro de billet, réparation serrure, réparation automobile, entretien automobile, lavage de voiture, coupe de cheveux, la peinture, la photographie et d'autres services avec ou sans emplacement fixe ; e) les activités commerciales exercées de manière indépendante, ne sont souvent pas soumises à l’enregistrement aux chambre de commerces. 2. Les activités commerciales mobiles sont celles qui n’ont pas d'emplacement fixe. CHAPITRE II CHAMP D’APPLICATION DES PARTICULIERS ACTIVITE COMMERCIALE Article 6. Portée des lieux d’affaires des activités commerciales individuelles 1. Sauf disposition contraire de la loi, interdit les personnes exerçant des activités commerciales dans la région, la route, les emplacements suivants: a) La zone des sites pittoresques historiques, culturels et notés, et d’autres; b) La zone des organismes d’État, des missions diplomatiques, des organisations internationales; c) L’aire sous la munition de ceinture de sécurité, des explosifs et des usines de fabrication de munitions, d’explosifs, les casernes de l’Armée du Vietnam populaire; d) La zone des aéroports, des ports maritimes, frontière internationale, la plate-forme, le quai, les gares routières, les gares maritimes, les quais et sur les moyens de transport; e) les écoles de la région, les hôpitaux, les institutions religieuses et les croyances; Traduction personnelle d’un extrait du décret 9 promulgué en 2007
source : http://thuvienphapluat.vn
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g) La route comprend d’entrée appartement ou un dortoir; ruelles; trottoir, chaussée, trottoir de routes urbaines, les routes de district, les routes provinciales et les routes nationales pour les personnes et les véhicules en circulation, à l’exception de la zone, des routes ou des sections de la chaussée de la route est des organismes compétents l’autorité de la planification ou de permettre l’utilisation temporaire d’exercer des activités commerciales; h) Les routes, la zone (y compris les stations) par les comités populaires des provinces et villes du pouvoir central (ci-après dénommé le Comité provincial-niveau comités populaires) ou organismes provinciaux Personnes commandé dispositions relatives aux droits et écriteaux personnes exerçant des activités commerciales; i) La zone à la disposition des organisations et des individus, mais pas la région, les routes et les endroits restreints utilisés comme un lieu d’affaires tel que prescrit de a à h, paragraphe 1 du présent article, mais ne soyez pas l’agrément des organismes et des individus, y compris la région de la mer ou d’interdire les personnes exerçant des activités commerciales. 2. personnes sont interdites activité illégale détournement commercial, construction arbitraire, l’installation de l’installation, le matériel, les outils exercent des activités commerciales et des biens exposés à un endroit quelconque sur la route le transport et les lieux publics; les entrées, les sorties ou toute autre zone qui entravent la circulation, entraînant des inconvénients pour la collectivité et l’esthétique générale. 3. En cas de mener des activités commerciales dans la région, des routes ou des sections de chaussées routières sont les organismes d’État de planification compétente ou permettant l’utilisation temporaire, en plus du respect des dispositions du décret cette activité commerciale individuels pour assurer la mise en œuvre en conformité avec le permis de construire pour elle. 4. Les personnes exerçant des activités commerciales doivent se conformer aux ordres légitimes de l’obligation dans le cas sont nécessaires pour le transport des marchandises; véhicules, équipements, outils exercent des activités commerciales dans le but de ne pas gêner la circulation ou la congestion dans les situations d’urgence ou pour des raisons de sécurité et d’autres activités sociales prévues par la loi.
Loi n ° 23/2008 / QH12: LOIS DE LA ROUTE ASSEMBLÉE NATIONALE Hanoi, le 13 Novembre, 2008 REGLEMENTS DE CIRCULATION ROUTIERE Article 8. Actes interdits 1. Détruire les routes, les ponts, les tunnels, les ferries route, feux de signalisation, poteaux marqueurs, écriteaux, des prismes, des séparateurs, des systèmes de drainage et de travaux et d’autres équipements appartenant à l’infrastructure le trafic routier. 2. Creuser, perçage, découpage routes illégalement; place, les obstacles afin non autorisés sur la route; réservations, remoulages pulvérisé, versé substance glissante sur la route; aux matières non autorisées, les déchets, qui jonchent les rues; route ouverte, la connexion à la route principale illégalement; empiéter sur la terre ou de l’utilisation non autorisée de la route, les couloirs de la sécurité routière; retirer arbitrairement le couvercle de trou d’homme ouvert, démanteler mouvement non autorisé ou la falsification de travaux routiers. 3. Utilisez la chaussée, trottoir, rue illégalement. Traduction personnelle d’un extrait de l’article 8 de loi n°23 de 2008 source : http://thuvienphapluat.vn
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des confiscations de biens. (cf Annexe). Ces amendements varient de 100 000 VND ( 4 €) à plusieurs millions de VND (+ de 100 €) , en rapport avec l’acte commis et sa localisation. Ces sanctions nous révèlent également des stratégies spatiales mises en place. Elles consistent en la concentration de ces vendeurs dans des zones désignées comme marché ouvert et quartiers commerçants, dans le but de les confiner dans des lieux périphériques et marginalisés et les éloigners de quartiers historiques centraux. Pour empêcher leurs proliférations dans des quartiers économiques et des gated communities, des forces de sécurité privées sont alors engagées. Le gouvernement peut aussi renforcer les lois concernant la santé et certaines infrastructures publiques pour les maintenir à l’écart et les disperser. 3.2. Modernisation et globalisation Catalyseur de la nouvelle économie du marché, le renouvellement et la planification de la ville Vietnamienne est au cœur de la réforme Doi Moi. La transition vers l’ère moderne est d’autant plus visible au niveau de la rue, forme urbaine élémentaire, où sa conception morphologique et les usages qui s’y déroulent sont remis en question. Cette modernisation de la ville est également synonyme d’une recomposition des échelles de la rue, pour l’adapter au développement fulgurant de la ville. Il faut souligner que depuis les années 1990, la tour est omniprésente dans la vision future de la ville, impactant directement sur la dimension de la rue. Cet urbanisme vertical est inspiré du modèle singapourien, fondé sur le dynamise de son centre d’affaires intégralement verticalisé tout en ayant affiché un autoritarisme sans faille dans la planification des logements. De plus, la réforme Doi Moi a ouvert le pays aux investissements d’acteur étrangers - compagnies privées, organisations internationales - qui deviennent ainsi des acteurs urbains importants. Ces derniers transforment la ville sous le symbole du profit : plus la dimension d’une rue est grande, plus la verticalisation du bâti riverain est envisageable, et la rentabilisation de la parcelle à bâtir assurée14. Les programmes d’élargissement ou de création de rues sont ainsi guidés par les opportunités foncières et les exigences des investisseurs privés plus que par un projet de ville structurant.
Photographie du skyline du district 1 de la ville d’Ho Chi Minh Les tours s’érigent de plus en plus au détriment du tissu urbain colonial hérité source : http://news.zing.vn/ Comme dans la plupart des villes Asiatiques,
l’espace urbain est placardé d’affiches et
14. Marie Gibert, « Moderniser la ville, réaménager la rue à Ho Chi Minh Ville », EchoGéo [En ligne], 12 | 2010, mis en ligne le 31 mai 2010, consulté le 27 décembre 2015.
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d’images de nouvelles villes projetées, plus ou moins en décalage avec la ville réelle. Cette propagande immobilière est devenue une pratique banale tant dans le centre-ville, où poussent d’innombrables projets de tours, d’infrastructure et de rénovation au détriment des bâtiments à valeurs historiques, que dans les périphéries où naissent de nouveaux et grands quartiers modernes, mêlant villas-châteaux individuels et grillagés, tours d’habitations et centres commerciaux. Cette prolifération d’images informatisées présente pour tous une ville organisée par de larges avenues desservant des immeubles de grande hauteur. Il est clairement visible dans les images des projets l’usage exclusif assimilé à la rue. Cet usage est celui de gérer les flux de circulation toujours plus intenses et de desservir ainsi les îlots riverains porteurs d’une nouvelle architecture qui tend à se verticaliser au nom de la modernité15. Au centre-ville, l’urbanisme vertical a déjà conquis le centre colonial d’Ho Chi Minh, où des îlots entiers sont remplacés par de grandes tours de bureaux et d’appartements luxueux. Dans les visuels et maquettes de chaque nouveau projet urbain, que ce soit au centre ou en périphérie, il y est présenté systématiquement des productions architecturales exprimant une grande verticalité. Ces imageries sont souvent prises d’une vue englobante et de haut, soustrayant toute activité et vidées de piétons, de vélos ou de mobylettes, en décalage total avec l’effervescence des rues d’Ho Chi Minh. De plus, la recomposition de l’échelle de la rue le transforme en voie réservée uniquement à la circulation de l’automobile, en rupture avec le réseau existant. Cette rupture est d’autant plus accentuée que ces représentations totalisantes semblent trop figées et définitives, incapables de s’insérer dans le tissu urbain hérité. Cela démontre la mondialisation accrue dans laquelle s’est engagée le pays. A l’instar du projet d’aménagement du futur centre d’affaire, le quartier Thu Thiem est massivement représenté dans les visuels. Ce projet témoigne politiquement de la réhabilitation idéologique de la figure urbaine du centre des affaires, plus que jamais associé à la figure de la tour desservie par de larges artères.
Visuel du futur centre d’affaire Thu Thiem - Agence Sasaki
source : http://www.sasaki.com/project/139/thu-thiem-new-urban-area/
En périphérie, la ville gagne sur des anciennes terres agricoles et marécageuse. Le sché-
15. Marie Gibert, « Moderniser la ville, réaménager la rue à Ho Chi Minh Ville », EchoGéo [En ligne], 12 | 2010, mis en ligne le 31 mai 2010, consulté le 27 décembre 2015.
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ma directeur de 1993 a déduit de la faible surface occupée par la voirie rapportée à la surface totale de la ville, ce ratio étant de l’ordre de 5 % à Ho Chi Minh Ville, pour conclure sur la faible capacité d’évolution de la ville existante. Pour répondre à la forte croissance de la population urbaine et aux impératifs de modernisation, cela a mené à l’implantation des nouveaux quartiers en périphérie. Ils disposent de nouvelles typologies de rue aux normes de la modernité. Elles sont reliés au tissu existant par d’importantes infrastructures routières (ponts et tunnels). Phu My Hung est un de ces quartiers érigés dans la périphérie Sud de Ho Chi Minh ville. Approuvée en 1994 par le premier ministre, le quartier est maintenant pleinement construit et habité.
Carte de localisation de Phú My Hung (Saigon South), dont le centre-ville est figuré en rouge Source : carte extraite du Schéma Directeur élaboré par la Phu My Hung Corporation, 2003
Le gouvernement a laissé libre à «Phu My Hung Corporation», une société d’investisseurs privés et étrangers, pour la conception du nouveau quartier. L’objectif des profits de la société privé allait de pair avec l’objecté des autorités urbaines à ancrer ce quartier dans une modernité internationale. Par conséquent, le choix a été de concevoir ce quartier à la seule intention des classes supérieures et des étrangers venus s’établir au Vietnam, selon des normes internationales ne prenant pas en compte la réalité des pratiques urbaines vietnamiennes. Phu My Hung incarnerait donc la réalité de la privatisation urbaine, plus précisément celle de la rue, au nom de la modernité et la sécurité. L’espace de frottement de la ville existante et du tissu informel est transformé ici en un espace préventif, surtout contre la population indésirable, notamment les vendeurs de rues.16
16. Marie Gibert, « Moderniser la ville, réaménager la rue à Ho Chi Minh Ville », EchoGéo [En ligne], 12 | 2010, mis en ligne le 31 mai 2010, consulté le 27 décembre 2015.
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Même si la réalité urbaine reste très liée au tissu existant, la ville rêvée et moderne ne cesse de s’immiscer dans la vie quotidienne à travers des affiches de propagandes placardées, visant à encadrer et contrôler les usages et comportements sociaux dans l’espace public. Les rues et ruelles sont vouées à l’élargissement, afin de permettre d’une part une meilleure circulation, et d’autre part, d’augmenter la hauteur des bâtis, optimisant ainsi la réservé foncière, denrée rare dans la métropole.
Ce nouveau quartier est représentatif et sa rédéfinition de la rue tend vers les critères correspondants à ceux de la ville globale, ou encore la «ville générique18» telle que le décrit 17 g Rem Koolhaas. Reproduit à partir d’un 18 g modèle unique et mondial, sans identité propre, sans caractère ancré, et sans forme urbaine contextualisé, l’expansion de la ville serait synonyme d’une production urbaine systèmatisée, au nom de la verticalité et de la circulation des flux. Les lieux de pratiques sociales laissent place à un espace public décoloré et banal.
Source : http://phumyhung.com.vn
La modernisation s’installe également via des reglèmentations menaçant le commerce de rue, traduisant des interdictions du pouvoir. De plus, la climatisation progressive tend à refermer petit à petit les habitations individuelles, effaçant peu à peu les rapports ouverts avec la rue17.
Document graphique et photographies du quartier Phu My Hung 17.Marie Gibert, « Moderniser la ville, réaménager la rue à Ho Chi Minh Ville », EchoGéo [En ligne], 12 | 2010, mis en ligne le 31 mai 2010, consulté le 27 décembre 2015. 18. Koolhaas R., Mau B., 1997. S,M,L,X. Office of Metropolitan Architecture, New York, Monacelli Press, p. 12481263
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CHAPITRE II Résistances
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Depuis la réforme « Doi Moi », le pays s’est ouvert économiquement et aspire vers la modernité, dans l’optique d’intégrer le réseau des échanges mondiaux. Dans les villes, notamment les métropoles comme Ho Chi Minh ou Ha Noi, cette ambition se traduit notamment par des nouveaux projets urbains, en périphérie comme dans les quartiers centraux. Elle se traduit par la structuration de la ville informelle qui s’est développée et densifiée à partir de la période d’après-guerre. Sans planification urbaine au préalable, la ville s’est construite à travers le pragmatisme des riverains et peut se décrire par une accumulation dense et variée de la typologie du compartiment vertical, adopté comme habitat individuel par la plupart de la population. La particularité de cette forme réside en son espace de rez-de-chaussée en constante relation avec l’extérieur. Son ouverture unique sur rue, les usages qui s’y dessinent redéfinissent sans cesse les limites entre le privé et l’espace public. Ce brouillage est à l’origine de l’effervescence si spécifique aux rues Vietnamiennes, à laquelle s’ajoute l’activité informelle des marchands de rues. Ils activent les espaces non-définis, des interstices, résultants du manque de planification et de l’alignement relatif des habitations. Ces dernières peuvent prendre une forme qui s’étire jusqu’à dans les profondeurs des îlots, devenant à la fois une armature propre au tissu urbain et un catalyseur de vie sociale. Les pratiques qui s’y déroulent créent des lieux habités, qui sont caractéristiques du mode de vie Vietnamienne et de son identité culturel. L’urbanisme actuel tente de limiter et formaliser ces espaces, par l’élargissement des voies dans les quartiers centraux, ou par la création d’une nouvelle forme de rue axée sur la vitesse et le transit dans les nouveaux quartiers périphériques. L’urbanisme vertical est ainsi adopté pour construire le périurbain, organisé selon un principe de zonage. La circulation est assurée par de grandes infrastructures routières telle que les autoroutres et des grandes voies rapides. Du point de vue de David Mangin, la ville devient franchisée, soumise aux logiques privées et à l’hégémonie de l’économie19. Des grandes centres commerciaux et des lotissements fermés et privés sont deux modèles adoptés pour l’expansion de la ville. La sécurité est assurée par une surveillance accrue (postes de police et caméras et gâter communities) et une valeur foncière augmentée. Un cadre de vie plus naturel et tranquille donc, couplé avec une sécurité renforcée. De l’espace de frottementn tel que le définit Laurent Karst, très ouvert et respirant au rythme de la rue, la ville se transforme en des espaces préventifs, enclavés et surveillés. La sectorisation couplée à la franchisation menèrait à une ville où l’individu est primé, regroupé dans des entre-sois tels des lotissements fermés, dont la première des qualités serait la quantité et la seconde la fadeur20 » Cette évolution de la ville suivant un modèle global est en décalage avec le tissu urbain existant de Ho Chi Minh ville, les pratiques sociales de l’espace public sont ignorées au nom de la modernité et de l’homogénéité. Une opposition peut alors être décernée entre l’urbanisme contemporain et les manières d’habiter des citadins Vietnamiens. Ce décalage peut être qualifié comme des résistances culturelles. 19. Dans son livre, La ville franchisée. Formes et structures de la ville contemporaine, Mangin soutient l’hypothèse forte et intéressante d’une prégnance de plusieurs modèles d’organisation spatiale explicatifs de la morphologie urbaine contemporaine : le secteur, la franchise, le lotissement, à chacun d’eux correspondant une « pathologie » : la ville sectorisée, franchisée, individuée. 20. David Mangin, La ville franchisée. Formes et structures de la ville contemporaine, Éditions de la Villette, Paris,2004, p. 275
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Résistance, par définition, c’est l’acte de résister à une autorité, de s’opposer à ce qu’on approuve pas21. La résistance serait donc une confrontation entre deux forces, dont l’une, dominée, fait face aux pressions exercées par l’autre, dominante. Résister signifie également persévérer face aux conditions, aux forces qui agressent et qui oppressent. Dans une ville telle que Ho Chi Minh, élancée économiquement et étendue physiquement, l’hypothèse prend pour constat que l’urbanisme contemporain, qui tend de moderniser la ville, est en décalage avec la pratique culturelle et héritée des citadins Vietnamiens. La tentative de maîtriser la ville dense et informelle par les autorités peuvent se comparer à la vue de New York d’en haut de la tour World Trade Center, décrite par Michel de Certeau dans le chapitre 7 « Marches dans la ville22 » de son ouvrage L’invention du quotidien. Cette perspective totalisante surplombante la ville, à l’instar des nouveaux projets urbains que connaît Ho Chi Minh, donne une réalité objective d’une unité structurée et ordonnée, en décalage avec la ville vue d’en bas, sans cesse changeante et en pleine effervescence. Elle est constituée d’une infinité de lieux habités, de pratiques quotidiennes qui échappent à la vue d’en haut. Le World Trade Center incarnerait, pour Michel de Certeau, « la figure la plus monumentale de l’urbanisme occidental23. » Le rassemblement urbain qu’est la ville informelle issue des négociations entre riverains est l’objet que l’urbanisme contemporain, inspirée des modèles urbanistiques globales, tente d’unifier et de gérer. Ce fait urbain, hérité traditionnellement et né de l’expérience vécu des habitants, est progressivement entrain de se redéfinir suivant la notion de « « ville » instaurée par le discours utopique et urbanistique24. » Au nom de la ville belle et moderne, synonyme d’un « espace propre », des actions ont été menées afin de tenter de saisir le contrôle par la rationalisation notamment du système informel des vendeurs, en limitant leurs rayons d’actions et en régulant les usages. Les multiples appropriations spontanées des interstices seraient ces tactiques qui « rusent » avec les occasions, « résistances insaisissables et têtues de traditions ». Ho Chi Minh, ville culturellement riche, en suivant la planification fonctionnaliste et son concept opératoire, serait en mutation vers la ville globalisée et anonyme, une ville générique telle que le décrit Rem Koolhaas. « Sous le discours qui l’idéologise, prolifèrent les ruses et les combinaisons de pouvoirs sans identité lisible, sans prises saisissables, sans transparence rationnelle - impossibles à gérer25. » L’idéologie de la modernité vers laquelle aspire Ho Chi Minh, est imposée par l’appareil d’Etat. Elle tente d’imposer une organisation rationnelle et spéculative de la ville, des stratégies qui se caractérisent comme « une production rationalisée, expansionniste autant que centralisée, bruyante et spectaculaire26. » Les tactiques, les ruses correspondent une autre production, qualifiée de « consommation ». Décelables dans les gestes du quotidien, les « manières de faire » ou encore 21. Définition tirée du dictionnaire Larousse. 22. Michel de Certeau, «Marches dans la ville» (Chap. 7), dans L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris, Union Générale d’Editions, »Collection dirigée par Christian Bourgois », 1980 23. Ibid. 24. Ibid. 25. Ibid. 26. Michel de Certeau, L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris, Union Générale d’Editions, «Collection dirigée par Christian Bourgois », 1980, p.18
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de « faire avec » seraient les différentes formes de pratiques de rues.. Ce « quadrillage de surveillance » instauré par les systèmes de production renvoie à l’espace strié27 que l’appareil d’Etat impose. Les opérations des usagers, insaisissables et quotidiennes, trouvent des moyens de le contourner, de le « braconner » et sont représentatives de la culture populaire Vietnamienne. Du point de vue de Deleuze, ces machines de guerres nomades28trouvent leurs marches de manoeuvres dans un espace lisse, supposant les interstices et les territoires d’entre-deux. Les organismes d’Etats ne cessent de « strier » la ville, cette composition territoriale s’illustre dans l’architecture et l’urbanisme par la séparation et la division des lieux, incarnée par une planification fonctionnelle des espaces. Mais « la ligne de fuite nomade peut inverser l’architecture vers une condition d’espace lisse29. » A partir de cette base pré-établie d’une interpénétration de l’espace strié de l’appareil d’Etat et leurs stratégies de composition et de contrôle, et de l’espace lisse des machines de guerres nomade et leurs tactiques informelles et discrètes pour contourner, on décrira les résistances culturelles que sont les appropriations de l’espace public par la population Vietnamienne. En premier lieu, des études de cas viendront alimenter les propos par des exemples précis, des entretiens avec les acteurs locaux (marchands de rues, riverains..etc..), et des croquis et schémas illustrant quelques appropriations typiques. Ensuite, il serait question de mettre en résonance avec le système informel des vendeurs de rues et son mode de fonctionnement dans l’espace et dans le temps, en commencant par les modalités d’occupations, traitant ainsi le contexte économique et social dans lequel les vendeurs de rues s’inscrivent. La spatialité de leurs inscriptions dans l’espace public sera détaillé à travers notamment les logiques d’installations et l’économie des gestes. Ce deuxième chapitre se terminera alors sur analyse de la temporalité et la mixité des appropriations des vendeurs de rue.
27. Deleuze, Gilles. Deleuze: Appareils d’Etat et machines de guerre, séance 1 [en ligne]. SocioPhilosophy, mise en ligne le 30 oct. 2011 [consulté le 21/11/2016]. Disponible sur Youtube. 28. Ibid 29. Ana-Alice Finichiu, Machines de guerre et agencements architecturaux de résistance (Partie IV), dans Machines de guerre urbaines, Dijon, Editions Loco, Paysages Variations, p. 184
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1. Habituer la rue : quatre figures d’études
Les vendeurs de rues sont des activités économiques informelles exercées par la frange de population qui ne disposent pas de ressources financières suffisantes. Les nombreuses transformations urbaines et sociales à Ho Chi Minh ont contribué à sculpter les pratiques culturelles encore visibles aujourd’hui sur les trottoirs. Ces nombreux usages de l’espace public sont sujets à différents débats et discours. Au nom de la ville belle et moderne, des actions ont été menées afin de tenter de saisir le contrôle du système informel des vendeurs, limiter leurs rayons d’actions et réguler les usages. Pourtant, les rues d’Ho Chi Minh restent un spectacle vivant, accueillant toujours les scènes de vies quotidiennes dont les habitants sont acteurs, avec un décor qui ne cesse de changer au rythme des multitudes formes d’appropriation de la population. Ils font partie du quotidien, ils sont culturels. Face à la modernité se dresse ainsi ce système informel, qui semble insaisissable, à la fois mobile et fragile. Il résiste, tant bien que mal, aux différentes oppressions modernes. Au préablabe de la présentation des figures d’études, il serait judicieux d’expliquer succinctement la démarche adoptée. L’ensemble des figures s’étale sur un axe important de la ville, reliant le district 1 (centre-ville historique et touristique) et l’aéroport, traversant des tissus urbains hétérogènes, la rue Cach Mang Thang Tam (CMT8). Le choix d’étudier des cas de figures uniquement sur cette rue permettrait éventuellement de mettre en évidence des spécifités dans les manières d’utiliser l’espace public, des relations avec les forces locales et qui change par rapport à la distance du centre ville, donc une mutation des règlements urbains. De plus, les appropriations peuvent être de formes différentes selon les tissu urbains dans lesquels ils s’inscrivent. Les quatres cas d’études sont différents par leurs modalités d’occupations, leurs spatialités et leurs temporalités. Pour chaque cas d’étude, plusieurs méthodes de travail ont été adoptées. Pour tous, la première forme d’observation se résume à être le consommateur des produits et services proposés. Suite à l’observation, il était question d’enquêter sur le contexte dans lequel ils s’incrivent, notamment les voisinages, les relations avec les forces locales. Cette enquête s’est effectuée à travers des entretiens semi-directifs et en cas de refus, des discussions informelles. Des relevés tel que des photographies et des dessins viennent illustrer les inscriptions spatiales des vendeurs de rues étudiés et leurs organisations dans la préparation des produits. Bien évidemment, l’étude consiste également à retourner sur les lieux à différents horaires de la journée pour constater les mutations des usages et des appropriations, permettant ainsi d’aborder la notion de temporalité des usages. 32
AĂŠroport 1
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4 Ca
ch Ma ng Th ang 8
3 Centre historique et coloniale 2
D5 - Cholon 33
1
Madame Trang est une vendeuse semi-stationnaire installée sur la grande rue CMT8, dans le district 3, très proche du centre historique. Elle utilise le trottoir et l’encorbellement des bâtiments adjacents. La particularité de cette vendeuse est sa persévérance, traduisant par ailleurs sa résistance face à la situation financière difficile et instable. De plus, elle se loge à Binh Thanh, un arrondissement situé à une heure de son lieu de travail. La raison qui lui pousse à travailler si loin de son logement réside dans sa clientèle fidèle, des arrangements existants avec les riverains et le traffic dense et régulier de CMT8, garant d’un grand potentiel de vente. Malgré les nombreuses confiscations, elle poursuit son activité au même lieu et persiste face à l’oppression des forces policières, pour survivre et financer les études de ses enfants. 34
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Cas d’étude 1
Vendeuse persévérante D5 - Cholon
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sens de circulation
1
préparation/stockage des produits tabourets transport/stockage arbre : ombrage
2
3 1. Les mobiliers que possède Madame Trang pour exercer son activité se résument à son meuble sur roulette, fabriquée à partir des planches et poteaux de bois récupérés et des tabourets en plastique. 2. L’installation se traduit par la disposition du meuble en biais pour faire face au sens de la circulation. Son véhicule est placé juste derrière pour avoir de l’espace pour entreposer des ustensils. L’encorbellement du bâtiment et la façade vitrée mais recouverte servent de support. Les propriétaires des bureaux lui permettent d’exercer son activité. 3. Il est possible de remarquer le changement de l’appareillage du sol. Cela a pour but de délimiter l’espace appropriable par les propriétaires (parking, mannequins pour les boutiques) et l’espace pour la circulation piétonne. Madame Phong joue de ce démarquage pour tantôt respecter l’ordre, tantôt le détourner. 4. Des petits éléments de confort (petits tabourets..) permettent aux clients de consommer sur place. L’arbre est utilisé comme couverture, participant à donner un cadre à l’espace de travail. 5. Le soir venu, elle accroche un dispositf lumineux pour éclairer son échoppe. De plus, elle se rapproche de la rue pour augmenter sa visibilité. 6. Le stockage de son meuble à proximité est possible grâce aux arrangements avec les voisins habitant dans une petite ruelle. 36
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5 Poteaux structurants/ Accrochage dispositfs lumineux
Surface de préparation
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Poêle pour friture
Présentoir produits finis Cache-Misère
Panneaux de signalisation
Sac contenant aliments à préparer Accrochage sur clous
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Support de réchaud à base de gaz Bouteilles de gaz
Situés sur la rue CMT8, au niveau du district 3 dans le centre ville, ces vendeurs de rues ont la particularité d’être des membres de la même famille. L’insertion dans un creux, utilise un mur aveugle d’un magasin électrique, résultant du retrait d’un local électrique, adjacent à un petit passage qui dessert les habitats collectifs à l’intérieur de l’îlôt. Installé dans ce lieu depuis plusieurs générations, ce cas de figure suscite de l’intérêt par leur organisation interne : un fonctionnement complémentaire et une division temporelle des tâches. Proposant une offre diverse de produits, allant des plats cuisinés à base de riz et boissons, aux services comme dépannage pour l’essence et cigarettes, la famille résiste depuis plus de 20 ans aux forces locales et à la croissance inégale de l’économie. Entre négociations et solidarité, ruses et tactiques, cette famille représente à la fois un lieu de rencontre, de passage et de confrontation entre différents acteurs. 38
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Cas d’étude 2
Famille inter-générationelle D5 - Cholon
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Habitat collectif
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Habitat individuel
Local électrique
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Habitat individuel
Magasin élecronique
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1. La grand-mère, Madame Phong, personne la plus âgée, s’occupe de la vente des produits tels que les cigarettes et l’essence. L’installation se résume à un meuble en aluminium sur roulette, un parasol pour la protection contre le soleil et la pluie et une chaise pour se reposer. Elle est placée au bord du chaussé, embrassant ainsi un plus large panel de clients à la fois pédestres et motorisés. 2. Sa fille s’occupe de confectionner des plats à base de riz, de 7h du matin à 16h de l’après midi. Com Binh Dan se traduit littéralement comme «riz populaire», ses produits s’adressent en effet à la population moyenne (ouvriers, employés du bureaux..etc...). 3. Son mari, monsieur Tuan, l’aide dans ses tâches et s’occupe également de la vente du jus de canne, boisson populaire, pressée sur place. 4. Le restaurant est composé de quelques mobiliers bas protégés par une grande bâche. L’ombre portée participe également à la délimitation entre l’espace approprié et le passage des riverains. 5. Un local situé dans la cour à l’arrière permet de faire la vaisselle. 6. Le stockage des meubles et du mobiliers est repoussé contre le mur aveugle du magasin électrique. 41
Nous voyons bien ici l’utilisation astucieuse de l’interstice résultant du manque d’alignements des bâtiments. L’espace est mis à profit par la famille pour exercer une pluralité d’activité, tout au long de la journée et du soir. Le mur aveugle du magasin électronique et le local électrique sont utilisés comme support. Une délimitation floue peut être dégagée par le passage desservant le coeur d’ilôt, et l’alignement au droit du magasin électronique. Les élements urbains tels que les poteaux électriques sont détournés pour attacher la bâche protectrice. Des connaissances basiques permettent à la famille de se brancher à l’électricité de la ville. 42
1. Aux alentours de 15h30, passé l’heure de manger, Madame Thuy et Monsieur Tuan commencent à ranger les mobiliers le long du mur aveugle. Plus que quelques rares clients se présentent pour prendre à emporter les plats cuisinés. 2. Aidé par le fils de la grand-mère, Monsieur Tuan démonte la bâche protectrice. 3. L’espace est libre pour les autres membres de la famille de s’installer à leur tour pour les activités du soir. 4. C’est pendant ce moment de transition que la grandmère déplace ses meubles pour se rapprocher du carrefour. De temps à autre, une vendeuse ambulante de soupe s’installe à ses côtés. C’est durant cet plage horaire précis qu’elle peut exercer, connaissant les déplacements des forces de police. 5. Le troisième fils et sa femme commencent à s’installer à leur tour. Les mobiliers ne sont cependant pas partagés, chaque membre de la famille ont leurs propres biens. 6. Le réaménagement enfin terminé, la préparation des produits pour l’activité du soir commence.
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Habitats collectifs
Habitat individuel
Local électrique
Magasin élecronique / Fermé
Habitats individuels / Fermés
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1. Monsieur Tut et sa femme occupent le lieu de 16h à 2h du matin. Ils utilisent également un meuble en aluminium largement vitré. D’autres éléments sont installés aux pourtours, participant ainsi à créer un présentoir de produits divers. Une lumière est utilisée pour illuminer l’installation, attirant l’oeil des passants mais également pour une meilleure condition de travail. 2. Les produits proposés sont des boissons divers, parfois alcoolisés, ainsi que des frappés de fruits. Ils sont disposés de telle sorte à composer une façade colorée et vivante, immédiatement reconnaissable pour les passants. 3. Les éléments de conforts sont réorganisés. Ils sont disposés plus près de la chaussée et se situent entre le stockage (mur aveugle) et l’espace de préparation. 4. L’espace de préparation s’organise en trois pôles. Le meuble présentoir sert au travail des produits (fruits, mets froids..etc). Le pressoir permet d’obtenir des jus. Le dernier pôle pour le rangement et le lavage de vaisselles. Des caisses s’insèrent entre ces trois entités, contenant un élément crucial : les glaçons. L’aménagement s’aligne au droit du passage et de la façade du magasin électronique. 5. Le nouvel aménagement utilise également la façade du magasin électrique (fermé) comme support. Les tables et chaises sont disposées le long de cette paroi et offrent le spectacle de la rue aux clients. 6. Une association avec un autre membre de la famille permet de proposer un met chaud, du poulet grillé. Elle est installé plus proche du carrefour pour être encore plus visible. 45
Le facteur temporel est ici mis en avant, l’évolution des usages au fil de la journée est ainsi prise en compte. Le soir venu, les Vietnamiens sont friands des petits restaurants/cafés de rue proposant des boissons accompagnées de mets froids ou chauds. Le cadre vivant de la rue, de la circulation et du bruit de la ville participe à l’attrait pour ce mode de vie. Les vendeurs de rue, tels la famille étudiée, adaptent les produits proposés et réorganisent spatialement les mobiliers pour répondre à cette évolution des usages et d’usagers. L’association des vendeurs permettent une offre plus diverse, garantissant donc un plus fort potentiel de clients. Ces micro-lieux sont à l’origine de l’effervescence si typique de la vie urbaine Vietnamienne. 46
1. Il y a clairement une limite invisible créé par l’aménagement des mobiliers pour permettre le passage entre la rue et l’intérieur des îlots. 2. Le lieu de travail est également un lieu de sociabilité. Cela traduit un aspect de la culture de rue. La frâicheur de soir appelle les Vietnamiens à sortir s’installer sur ces lieux pour profiter d’un moment de convivialité entre famille, entre amis, entre collègues. Ce mode de vie participe ainsi à la vivacité si spécifique des rues Vietnamiennes. 3.4. C’est également un lieu de vie, les enfants du quartier se retrouvent dans ces lieux pour jouer et discuter. 5.6 L’espace ainsi approprié devient un repère du quotidien, jeunes et adultes se rassemblent pour partager des moments de convivialités.
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Mademoiselle Huynh était une ancienne employée de bureaux avant de se reconvertir en vendeuse de rue. Ce métier lui garantit une flexibilité dans l’emploi du temps, lui permettant de s’occuper de son enfant de bas âge. Elle reprend ainsi l’activité commerciale de sa mère. Le lieu de travail est une portion du trottoir, située dans une rue à deux voies, relativement calme, et perpendiculaire à la grande avenue CMT8. Le tracé est hérité de l’époque coloniale, les constructions sont détachées et séparées par des jardins. Elles sont également repoussées dans la profondeur, mises à distance de la rue par des murs d’enceintes. Les alignements sont respectés, résultant dans des espaces peu appropriables. Ce cas de figure est intéressant d’une part par une utilisation astucieuse des éléments urbains et l’aménagement par des mobiliers simples, et d’autres part par les types d’usagers suscitées par son activité. 48
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Cas d’étude 3
Café de rue D5 - Cholon
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1. Mademoiselle Huynh s’appuie sur les éléments urbains pour assoir son activité. La porte du garage (très peu utilisée d’après elle) est le support sur lequel elle étale ses produits et autour duquel elle organise son espace de travail. Une bâche attachée à l’arbre et au mur ainsi que l’arbre lui même apportent de l’ombre et de la fraîcheur. Des produits (snacks, sucreries...) sont accrochés pour avoir plus de visibilité. 2. Un petit chariot sur lequel elle a assemblé des planches de bois ainsi qu’une étagère vitrée lui sert de présentoir et également d’espace de préparation des produits. Une table est placée à côté, lui permettant de se reposer. L’aménagement est stratégiquement orienté face au sens de circulation. 3. Des planches de bois sont accrochées grâce à un système de corde et permet à la vendeuse d’entreposer les produits et les ustensils. 4. Des clients se replient sous la bâche pour se protéger des intempéries. 5. L’endroit où sont stockés les produits se situe de l’autre côté de la rue. C’est un chantier en cours de la maison de son oncle. 6. La nuit venue, la bâche est retirée. La vendeuse utilise la lumière des lampadaires pour éclairer son café. Situé proche du centre, ce café de rue se trouve dans un secteur d’administration. Des cafés plus luxueux s’y trouvent également, et réservés qu’à une certaine catégorie de classe sociale. Il est clairement visible que la population locale est aisée. Pourtant, son activité attire tous les types de classes sociales, par la simplicité de ses produits et leurs prix abordables.
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Situé dans une ruelle donnant sur la grande rue CMT8, au niveau du district Tan Binh, un peu plus éloigné des quartiers centraux de Ho Chi Minh, ce marché informel a lieu de 5h jusqu’aux alentours de 12h. Les produits y sont variés, allant des aliments de bases aux vêtements, en passant par des ustensils de cuisines aux fournitures scolaires. La particularité de cet évènement quotidien réside dans les appropriations des différents vendeurs des espaces adjacents et les devantures des habitations de riverains. Elles reflètent à la fois la mixité des usages ainsi que leurs temporalités, facteurs régissant la constitution de la rue en tant que lieux habités et de sociabilités. L’inventivité des agencements et des aménagements dissimulent également un système d’économie informelle, arrangé entre les vendeurs et les propriétaires des terrains. Il s’agit ici de montrer que ce système est bénéfique tant pour les vendeurs de rues que les riverains avec lesquels ils tissent des liens informels. 52
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Cas d’étude 4
Le marché de rue D5 - Cholon
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Ecole
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1. Une première forme d’appropriation sommaire correspond à des bâches utlisées afin d’éviter d’être à même le sol. Les vêtements sont présentés en vrac, certains sont pendus au parasol. Les affaires sont stockés dans les locaux loués juste à l’arrière, ou bien ramenés au lieu d’habitation par les vendeurs. Des vendeurs de fruits et légumes utilisent le même mode d’installation. Des bâches servent de support horizontal sur lesquelles sont disposés des paniers remplis d’aliments. Le mur adjacent est utilisé comme fond. Assis sur des tabourets de bois et adossés au mur, ils minimisent ainsi les gestes tout en surveillant les produits. Les parasols apportent de l’ombre pour le confort et la préservation des fruits. 2. Pour la boucherie et la poissonerie, le propriétaire de la maison adjacente met à dispostion l’espace situé en dessous de l’encorbellement pour le stockage et la préparation des produits. La trame structurelle des poteaux divisent cet espace en plusieurs sections, permettant ainsi plusieurs locations. Dans la plupart des cas, les vendeurs s’associent et partagent une même section pour réduire le prix des loyers. 3. Les propriétaires de la boutique de vêtements féminins louent une portion de leur espace de devanture à la vendeuse de pâtes de riz. Les mobiliers (2 tables, présentoir vitré) sont stockés sur place. Chaque matin, elle s’y déplace de la périphérie en apportant des produits préparés la veille. 4. Certaines habitations disposent d’une petite courette couverte avant l’espace intérieur. Ces courettes, outre le fait de jouer comme un espace de transition permanent, sont mises à disposition des vendeurs pour une petite somme d’argent, qui se les approprient de leurs manières. Ici, des vendeuses de fruits et légumes. 5. Dans d’autres cas, la petite marche séparant la chaussé et l’intérieur des maisons est approprié et sert d’élement de confort. Les portes vitrées des habitations deviennent en quelque sort le «décor» des différents marchands, contribuant à les caractériser.
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5h-13h
légumes + fruits poissonerie
école maternelle
café boutique de vêtements vendeuse pâtes de riz
fournitures papeterie
légumes + fruits boucherie
poissonnerie
ustensils de cuisine légumes + fruits
vêtements
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18h-23h
café de rue café jazz acoustic repas de famille
cubes de farine de blé sautés
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6. Le soir venu, d’autres usages ont lieu. Pour la plupart, les familles prennent le repas et mènent des activités privées. Certains utilisent l’espace de devanture pour profiter de la fraîcheur du soir, assis sur les tabourets à regarder le spectacle de ville. Des points de sociabilités remplacent le marché matinal. Un restaurant se met en bout de ruelle à l’intersection avec la rue, utilisant le mur aveugle comme fond pour disposer des tables et chaises. L’aménagement réserve l’espace au centre pour les circulations des riverains. Plus loin, quelques riverains discutent autour d’un petit jus pris au café de rue.
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A travers ce marché quotidien existe un système d’économie informelle qui régisse son fonctionnement. Ce système peut être décrit comme un ensemble de relations. Entres riverains et vendeurs : dans le but d’arrondir des ressources financières supplémentaires, les familles Vietnamiennes vivant dans cette ruelle utilisent les espaces de devantures et semi-intermédiaires comme surfaces commerciales pour leurs activités. Dans d’autres cas, ils louent une petite portion aux marchands venant de loin (campagne, périphérie). Les loyers reviennent à 50-100 euros par mois. Ils peuvent ainsi exercer leurs ventes sans payer un loyer exorbitant. De plus, les familles leur fournissent l’eau et l’électricité, un lieu de stockage sûr. Le marché acquiert sa qualité à travers les spécifités des produits vendus par les marchands. De plus, les produits proposés sont de qualités et faits maisons.
ire ta en ém its pl du t up ré s e rs rs ue .) cie ye iq .. an lo hn cité fin s à ec tri rt te s t lec po en ion , é Ap e v lut ux s d so (ea ce de re rfa rt sai su po ces ap né
Riverains ité ix m ro ée à p forc ivité s ire en ct ta é r si a le en aut re e ib lim un nciè ial ex a c fl s m a r et ce m n e le ur co ce fi mm b o ia ss ne ur co pr Re U sso ro e p R ap in a rb eu r d Ca Produits frais, quotidiens, et de provenance locale : spécifité du marché Marché
Vendeurs
Clients habituels garantissant une source de revenu stable Système d’économie informelle du marché
Les marchands qui sont installés depuis un certain temps, rassemblent des clients habituels, leur garantissant une source de revenu stable. La flexibilité et l’évolution quotidienne des usages de l’espace de rez-de-chaussé apportent un cadre urbain appropriable. Dans cette ruelle, un grand nombre de riverains utilise la même forme d’économie informelle pour gagner davantage de revenus, permettant ainsi au marché d’avoir lieu. Ce qui est au départ des relations individuelles se regroupent en un système. Au retour, les riverains se sentent intégrés dans une communauté saine et vivante, avec des ressources alimentaires à disposition quotidiennement et dans une proximité immédiate.
5h-12h 17h-23h
Les différentes appropriations des espaces de devantures 59
2. Modalités d’occupations 2.1. Persévérance face à l’inégalité économique Pour assurer un revenu stable, une activité commerciale ou artisanale informelle est souvent exercée par la classe moyenne en plus de l’emploi principale30. Elles sont pour la plupart domestiques, et renvoie l’utilisation du rez-de-chaussé comme espace de commerce. La loi de 1988, permettant la conduite des activités économiques privées, n’a fait qu’appuyer de façon exponentielle cette tendance. Bien entendu, pour avoir cette possibilité, il est question d’avoir une surface commerciale à disposition. Les classes pauvres n’ont pas les ressources financières suffisantes d’être propriétaires d’un tel bien. Même si elles réussissent à se doter de logements, il seront souvent situés en périphéries ou dans petites ruelles difficilement accessibles ou encore de taille minimales. Durant le séjour à Ho Chi Minh ville, j’ai pu dresser quelques profils succincts de vendeurs de rues des quartiers centraux. Pour la plupart, leurs logements se situaient dans la périphérie, où les loyers sont nettement moins chers. Madame Trang vendait du poulet grillé et était toujours installé au même endroit, sur une grande rue liant le district 1 et l’aéroport. Elle se loge à Binh Thanh, un arrondissement situé à une heure de son lieu de travail. La raison qui la pousse à travailler si loin de son logement réside dans une clientèle fidèle, des arrangements existants avec les riverains et un traffic dense et régulier, garant d’un grand potentiel de vente. La persévérance de madame Trang traduit une résistance face à la précarité. Malgré les nombreuses confiscations, elle poursuit son activité au même lieu et persiste face à l’oppression des forces policières, pour survivre et financer les études de ses enfants31. Les propos de Monsieur Tut, un membre de la famille installée depuis des générations dans un creux du trottoir, illustrent également cette persévérance. «Tut : et oui…on le protège, tu vois, comme dans les films américains ou autres…et ceux qui vivent dans la jungle, ils vont chasser de la nourriture pour leurs enfants, tigres ou lion…bah on est comme eux. Qui s’attaque à notre famille, on a pas d’autres choix que de se retourner et se rendre la pareille…mais si on vit paisiblement, alors le monde est en paix…chacun son affaire32…»
La vie rurale vietnamienne, aussi douce et tranquille qu’elle puisse l’être, cache aussi ses problèmes. Les familles habitant à la campagne sont nombreuses, et l’activité agricole familiale ne suffit généralement guère à assurer la nourriture et les études des enfants. Il faut admettre ici qu’il existe un grand écart économique entre le citoyen et le paysan, des membres de la famille sont ainsi 30. Marie Gibert, Les espaces publics urbains vietnamiens face à la modernité, Ho Chi Minh Ville : résistance et réinvention de la culture de rue, Conférence Internationale Géographie urbaine ENSAB, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 12-14 Juin 2013, 20 pages, pg. 4 31. Cf. Figure d’étude 1 : Madame Trang, vendeuse persévérante 32. Extrait de la retranscription de l’entretien avec Monsieur Tut, un des vendeurs, membre de la famille intergénérationnelle. Figure d’étude 2.
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souvent poussés à migrer vers la ville, afin de saisir l’opportunité d’un meilleur revenu. Certaines personnes deviennent domestiques pour les familles aisées, d’autres deviennent vendeurs de rues. La raison principale pour ces vendeurs de rues d’exercer leurs activités trouvent la réponse dans le manque de ressource financière éprouvé par ces personnes. Pour faire face à cette précarité, l’espace public des quartiers centraux devient le terrain propice élu par les vendeurs pour exercer une profession.
2.2. Légitimité contrainte : tolérance et accord Le gouvernement ont tenté de contrôler les pratiques de l’espace public grâce à plusieurs lois et décisions politiques, en utilisant des stratégies de publicités et de propagandes, tout en s’assurant que les niveaux gouvernementaux locaux les appliquent grâce aux forces locales. Elles concernent les comportements publics à respecter et visent particulièrement les vendeurs de rues, qui sont sans cesse dans le collimateur comme nuisances à la propreté et l’ordre public. La reconnaissance des habitants envers les vendeurs leur permet de persévérer. Mais elle ne garantit en aucun cas la protection des vendeurs des forces policières locales. Malgré la bonne connaissance des jours d’inspections et de contrôles, l’imprévisibilité est toujours un facteur à prendre en compte. Il peut parfois leur coûter très cher, synonyme de confiscation de leurs biens. Pour éviter une telle éventualité, certains vendeurs optent pour des permis de ventes ou des licences. Mais il est évidemment très compliqué d’obtenir une autorisation du gouvernement pour le commerce sur le trottoir. Et dans les cas où l’autorisation est obtenue, les endroits où ils peuvent prétendre légalement à une activité se situent dans des secteurs marginaux, souvent loin du centre, résultant dans une clientèle faible. Pourtant, il est possible de faire l’hypothèse des formes de négociations informelles qui ont lieux entre les vendeurs et les forces locales. Cette légitimité s’incarne dans certains documents que des vendeurs de rues possèdent, explicitant et prouvant leurs situations précaires. Monsieur Tuan, installé depuis plusieurs générations dans un creux de la grande rue CMT8, exprimait dans ses propos la dure réalité que sa famille subit, relatant leur manque de ressources financières pour se soigner et se nourrir. « Monsieur Tuan : bien sûr que c’est dur, on vend, mais on n’a même pas assez d’argent pour se soigner…on doit survivre. Paul : Quelle est la posture des forces de polices envers vos activités ? T : oui, ils le savent, ils savent qu’on est pauvre… Nous avons un document certifiant notre situation financière… P : Ce document vous autorise-t-il à exercer votre activité ? T : Ce n’est pas une autorisation, c’est qu’ils ont de la sympathie, ils comprennent… il faut bien qu’on travaille, si on ne travaille pas, comment veux tu qu’on vive33? » 33. Extrait de la retranscription de l’entretien avec Monsieur Tuan, un des vendeurs, membre de la famille intergénérationnelle. Figure d’étude 2.
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Au fil de la conversation, j’ai été mis au courant de l’existence d’un document témoignant de leurs situations. Malgré le refus du vendeur de me montrer ce document, il m’a expliqué que ce dernier n’est pas une autorisation à exercer leurs activité, mais plus un écrit légitimant cette activité. Les forces policières continuent d’inspecter les rues, les rappelant à l’ordre et de ne pas occasionner des gênes pour la circulation. Mais elles ne vont pas jusqu’à confisquer leurs biens ou leurs mobiliers. Il y a bien une forme de tolérance de la part des forces locales pour que les vendeurs puissent exercer leurs activités. Elle peut parfois s’accompagner d’un accord implicite. Pour pouvoir exercer en toute tranquillité leurs métiers, les vendeurs se retrouvent à devoir payer des taxes informelles à la police locale, lors des réunions qui ont lieu mensuellement. Ou encore, ils sont dans l’obligation d’offrir les produits vendus gratuitement. Le deuxième entretien a eu lieu au même endroit, le soir, avec un autre vendeur de rue. Il fait parti de la même famille de ceux qui ont travaillé pendant la journée. Les mêmes propos ont été avancés concernant leurs situations précaires et l’injustice sociale. Mais la conversation a révélé une forme d’arrangement informelle avec la police. Les forces locales sont dans l’obligation de mener leurs devoirs. Les mobiliers des vendeurs de rues sont parfois confisqués, obligeant les marchands de rues de se déplacer jusqu’aux postes afin de payer une légère somme. Ce taxe permet aux commerçants de récupérer leurs bien et de continuer à mener leurs activités. Il y a donc une sorte d’échange entre les deux entités. Le fait de confisquer les biens justifie aux yeux de l’Etat que les actions des forces locales sont menées à bien. « Tut : Auparavant, il y a quelques années, elles venaient, mais maintenant, elles viennent pour rappeler d’abord à l’ordre…mais si ils ne sont pas contents, ils ramassent…c’est tout… P : mais vous négociez avec ? Tut : ça, on le fait à chaque fois, bien sûr qu’on négocie, et ils en font tout une affaire… P :Vous devez les payer parfois ? Tut : la plupart du temps, ils nous demandent de monter là haut (au poste) pour payer une amende, c’est là qu’on paye…et si ils ne nous laissent pas payer, bah c’est perdu… P : et l’amende, elle est de l’ordre de..? Tut : ça dépend, ca dépend de la valeur de l’objet. Par exemple la table ou la chaise… P : et votre stand, ils le prennent ? Tut : le mobile? depuis que je vend ici, ça ne m’est pas encore arrivé…c’est plus les mobiliers, tables, chaises et parapluies34. »
Les vendeurs de rues semblent intégrer ces raids dans le fonctionnement de leurs activités, acceptant de se faire confisquer leurs bien pour ensuite payer une petite somme de temps à autre, afin d’avoir ce « laisser-faire » de la police. Du côté de la discipline, les forces policières continuent de mettre bien en oeuvre leurs stratégies de contrôle. Cet accord discret incarne la figure du « ruse ». Le système de production qu’est l’Etat tente de maintenir le contrôle de l’espace public par des stratégies de surveillance, utilisant les forces locales. Mais ces stratégies sont « braconnées » par des tactiques et des ruses établies entre ces mêmes forces locales et les vendeurs de rues. Du point 34. Extrait de la retranscription de l’entretien avec Monsieur Tut, un des vendeurs, membre de la famille intergénérationnelle. Figure d’étude 2.
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de vue de Michel de Certeau, ces accords seraient des « ruses souvent minuscules de la discipline », machineries mineures mais sans faille », qui tirent leur efficace d’un rapport entre des procédures et l’espace qu’elles redistribuent pour en faire un « opérateur35». La tolérance est aussi culturelle. A l’approche des jours fériés comme la fête nationale du Têt, les pratiques de rues s’intensifient fortement, entraînant une augmentation des vendeurs dans l’espace public. Les forces de polices locales comprennent la situation de ces derniers et baissent le niveau de contrôle au minimum voire quasi-nulle, pour les permettre de se construire une ressource financière pour les coutumes traditionnelles. Il y a ici une certaine relation sociale entre la police et les vendeurs de rues contrôlés. Il est ainsi possible de parler d’une corrélation entre l’espace strié que l’appareil d’Etat ne cesse de contrôler pour maintenir sa continuité, et l’espace lisse né des opérations informelles des vendeurs de rues, et permises grâce aux accords entre les deux pôles. Cela démontre une résistance à la fois informelle et culturelle, par le détournement du système de « quadrillage de surveillance » imposée par l’Etat.
2.3. Solidarité et économie informelle
La persévérance est soutenue par une certaine solidarité des habitants. Elle se décline en de petites négociations informelles entre les citadins, les acteurs locaux et les vendeurs de rues. Cette solidarité s’illustre premièrement par de simples actions ou non-actions entreprises par les habitants pour faciliter le fonctionnement des vendeurs de rues. Pour les marchands de rue qui nécessitent un stationnement temporaire, ils les autorisent à utiliser une partie des bordures adjacentes ou les devantures de leurs maisons et de leurs magasins pour travailler, avec pour conditions que les activités ne nuisent au voisinage. En échange d’un loyer, certains habitants aboutissent avec les vendeurs de rues à des arrangements informels, leurs garantissant l’emplacement pour la vente en même temps que l’eau et l’électricité pour les aider, ou de les cacher lors des opérations policières, de stocker leurs biens durant la nuit afin d’alléger les trajets. Cette figure est particulièrement nombreuse dans les ruelles à vocation marchande. Une deuxième étude par photographie permet d’illustrer ce cas. La ruelle débouche perpendiculaire sur la même grande rue reliant le centre historique et l’aéroport. Tôt le matin jusqu’à midi, la ruelle est appropriée par des multiples marchands, vendant une variété de produits, de la nourriture aux vêtements, en passant par les ustensiles. L’espace de rez-de-chaussée des maisons est utilisée par certains riverains pour le commerce, et d’autres louent la devanture de leurs maisons pour des marchands venus de loin, parfois les deux à la fois. Une économie informelle structure ainsi ce marché quotidien. Une petite somme (100-150 dollars) est versée par ces marchands aux propriétaires des devantures dans lesquelles ils s’installent. Cette économie permet non seulement aux riverains d’arrondir les fins de mois, mais offre également aux vendeurs des emplacements abordables pour leurs activités. Ce cas de figure démontre l’existence d’un micro-système informel, structuré économique33. Michel de Certeau, «Marches dans la ville» (Chap. 7), dans L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris, Union Générale d’Editions, »Collection dirigée par Christian Bourgois », 1980,
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ment et socialement. Des tactiques sont mises en place afin d’occuper l’espace public et d’activer cet espace de rez-de chaussé, brouillant ainsi les limites de la ruelle. Des organisations tacites entre riverains et vendeurs permettent le bon déroulement du marché. La fonction de la ruelle est originellement de desservir les habitations situées au coeur d’îlots, mais les habitants et les marchands de rues ont pu établir un ensemble de tactiques permettant de la transformer en un marché éphémère et quotidien. L’inventivité de ces actions, de ces « manières de faire avec » prouvent l’existence d’opérations informelles capable d’exploiter des espaces normalement striés en des espaces lisses. Cette solidarité culturelle est en rapport avec la prévalence de la pauvreté au Vietnam. Elle n’est pas stigmatisée par la population. Il y a une compréhension générale de la situation précaire dans lesquelles les vendeurs se trouvent. Les activités que mènent ces personnes sont alors acceptées et justifiées aux yeux de la communauté. Les intérêts publics apportés légitiment aussi les vendeurs. Par exemple, au niveau économique, les produits proposés sont peu chers, adaptés aux économies des familles moyennes. Ils s’inscrivent dans le quotidien des communautés et participent à la création des lieux de sociabilité pour le voisinage. C’est aussi une compassion. Les Vietnamiens ont subi la domination colonialiste, puis la guerre et la révolution. La vie était dure et difficile durant ces périodes. Pour beaucoup d’entres elles, les familles se retrouvent ruinées et doivent recommencer à partir de rien. Certaines d’entres elles se retrouvent sur la vague de la libéralisation économique survenue en 1988, alors que d’autres la subissent. Dans la culture et dans les états d’esprits, il est important de comprendre que les Vietnamiens partagent ce même vécu et les mêmes expériences. De plus, les ménages qui se sont établis en ville proviennent pour la plupart de la campagne, durant les nombreuses périodes d’intenses migrations rurales vers la ville. Les personnes qui ont réussi à percer sortir de la précarité économique rurale grâce aux opportunités offertes par la ville, comprennent que ces vendeurs de rues n’ont pas d’autres choix, qu’ils exercent ces activités pour subvenir aux besoins de leurs familles. Les vendeurs de rues se retrouvent parfois ainsi intégrés dans les communautés urbaines solidaires et compréhensifs dans leurs situations. De plus, ils apportent et contribuent à la vie de communauté par la création des lieux de sociabilité pour les quartiers, à l’instar de la ruelle au marché. Ils deviennent alors des repères du quotidien.
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Marché
Riverains
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Produits frais, quotidiens, et de provenance locale : spécifité du marché
Vendeurs
Clients habituels garantissant une source de revenu stable
Système informel du marché quotidien - extrait Cas d’étude 4
Madame Binh - vendeuse pâte de riz Madame Binh loue une partie de la devanture de la boutique de vêtements. Cela lui garantit un emplacement sûr pour exercer son activité. Elle paye un petit loyer mensuel et bénéficie également de l’eau, d’électricité mais aussi une petite place où ranger ses mobiliers. Elle vit en périphérie de la ville et vient quotidiennement à cet endroit pour vendre ses pâtes de riz préparés la veille. Sa journée typique commence à 3h30 du matin, où elle se prépare avec son mari pour voyager jusqu’à l’emplacement loué. De 5h à 12h, le marché bat son plein et la vente est fructueuse. L’après-midi, de retour à son domicile, elle prépare les produits pour le lendemain.
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3. Spatialités
Quelle est la différence entre « manger dehors » et « manger dans la rue » ? Ces deux expressions renvoient au désir de se détacher de la sédentarisation des mangeurs de la résidence. « Manger dehors » est une pratique détectable dans l’évolution culturelle des modes de vies, en Asie comme en Occident, à l’instar de la noblesse qui fait « dresser » la table à l’extérieur si climat est adéquat36. Elle est synonyme d’une aspiration à retrouver la nature ou encore un refus des codes de la ville, et rappelle ainsi l’apparition du pique-nique. Cela renvoie aussi aux terrasses des cafés et des brasseries, qui permettent aux usagers de consommer tout en assistant au spectacle de la ville. Mais malgré la proximité de ces terrasses et son rapport direct avec la rue, il y a une certaine distance sociale qui se crée entre les consommateurs et les passants, entre ceux qui ont pu s’offrir une place assise ceux qui ne sont que de simples observateurs. « Manger dans la rue » fait appel à d’autres facteurs sociologiques et culturelles. Cela suggère des gestes et de formes de sociabilité différentes selon les cultures et les traditions, le genre et l’âge des consommateurs. Surtout, « manger dans la rue » suscite une dynamique conviviale, ludique et créatrice de complicité37. Expression de l’identité de la population, leurs manières de fabriquer un espace habité seront ici explicité, en prenant en compte les différentes forces extérieurs qui influencent entièrement sur les façons dont ils occupent l’espace. « Les villes sont des paysages « striés », contrôlés et très réglementés par les organismes d’Etat38. » Ce paysage est composé à travers l’architecture, « une activité fortement striée39 (…) et ne peut construire un espace lisse ». La ligne de fuite nomade, assimilé à des agencements, des appropriations, des logiques d’installations ou encore des mouvements qui peuvent « inverser l’architecture vers une condition d’espace lisse. » Il s’agit ici d’analyser ces « manières de faire » qui s’incarnent en des résistance insaisissables, « mouvance opaque et aveugle de la ville habitée40 » et qui expriment les traditions des pratiquants de la ville.
34. Mini Maousse 5, Ma cantine en ville, Voyage au coeur de la cuisine de rue, Paris, Gallimard, “Collection Alternatives”, 2013, p. 34 37. Ibid, p. 36 38. Ana-Alice Finichiu, Machines de guerre et agencements architecturaux de résistance (Partie IV), dans Machines de guerre urbaines, Dijon, Editions Loco, Paysages Variations, p. 184 39. Ibid, p. 188 38. Michel de Certeau, «Marches dans la ville» (Chap. 7), dans L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris, Union Générale d’Editions, »Collection dirigée par Christian Bourgois », 1980,
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3.1. Logiques d’installations
Il y a une grande variétés de dispositifs de cuisines de rue à travers le monde dans les rues d’Ho Chi Minh. Ces dispositifs peuvent être répertoriés en deux catégories, mobiles et stationnaires. Ils se fondent dans le paysage urbain, et leurs inscriptions dans l’espace public revêtent des tactiques particulières de ciblage de plusieurs types de clientèle et d’évitement des forces policières locales. Les principales fonctions des dispositifs portent sur la mobilité (motorisée ou portée), la conservation des produits, les espaces et outils de préparation, les modes de cuisson, la présentation et communication, et enfin le mode de consommation (éléments de confort41). Ils sont pensés en termes de compacité, autant pour un étalage rapide et optimal que pour un repliement efficace. Les dispositifs mobiles visibles dans les rues Ho Chi Minh sont les palanches transportés par des individus, les vélos ou mobylettes équipés en rapport avec les produits proposés, et des simples personnes portants à bout de bras des paniers remplis de nourritures. Leur mobilité les procure premièrement une protection contre les forces locales d’encadrement, mais surtout suggèrent une certaine compréhension des flux de circulations des habitant et de leurs habitudes. Les itinéraires choisies sont souvent en correspondance avec une certaine clientèle ciblée. A l’instar des vendeurs de jus de noix de cocos qui peuvent être aperçus sur les abords des rues touristiques du 1er arrondissement d’Ho Chi Minh. Ils sillonnent ces rues avec pour cibles les touristes en déambulation dans la ville, qui ne cherchent constamment à se rafraîchir sous cette chaleur intense du climat tropical. Rien de mieux qu’un jus de noix de cocos tout frais et préparé dès l’instant qu’il est commandé. La dimension ludique et conviviale se met ici en place, à travers la préparation sur le vif du produit, résultant ainsi dans une forme de sociabilité, éphémère soit-elle, le temps de quelques échanges. Cette tactique est économique et permet d’augmenter considérablement le prix de vente du jus de coco, passant d’une cinquantaine de centimes d’euros à parfois plus de deux euros (prix convertis42).
41. Mini Maousse 5, Ma cantine en ville, Voyage au coeur de la cuisine de rue, Paris, Gallimard, “Collection Alternatives”, 2013, p. 15 42. Annette Miae Kim, Sidewalk City, Remapping Public Space in Ho Chi Minh City, Paris, The University of Chicago Press, 2015, pg. 133
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Les forces locales de surveillances et les différentes institutions les pourchassant sont ainsi pris en compte dans les itinéraires choisis par les vendeurs. Les opérations ne sont pas exclusivement liés au potentiel économique du lieu , mais inclut les facteurs de risques comme la possibilité d’être amendés ou de confiscation des biens. Elle s’explicite souvent par des itinéraires qui se calquent sur les limites juridiques et administratives des quartiers. Les vendeurs jonglent entres les frontières pour échapper aux juridictions des forces policières, et cela suggère qu’ils ont une connaissance des jours d’inspections et de contrôles. Ces limites renvoient à l’espace strié de Deleuze et Guattari, dont ces vendeurs nomades exploitent en utilisant des tactiques pour échapper aux forces. Ils jouent de leurs mobilité et renversent l’espace strié en un espace lisse, devenant insaisissable par leurs déplacements réguliers. Les vendeurs de rues stationnaires se placent dans l’espace public selon les profils de clients recherchés et les produits et services proposés. Les endroits privilégiés sont les bordures immédiates de la chaussée des rues passantes et commerçantes, afin de porter leurs périmètres d’actions non seulement sur les pédestres, mais aussi sur les voyageurs motorisés. Dans la figure d’étude 1, Madame Trang installe son mobile sur le trottoir et fait face au sens de circulation des véhicules43. Cette logique d’installation dépend également des produits proposés. Ces derniers doivent pouvoir être vendus et préparés rapidement. Dans la figure 3, la grande mère s’occupe de vendre des cigarettes, de l’essence et toutes sortes d’accessoires, son mobile est installé en bordure du trottoir44. Les intersections entre les rues principales et les entrées des ruelles sont aussi souvent occupés, permettant aux vendeurs de s’inscrire dans les trajectoires quotidiens des habitants du quartier, et de ce fait, avoir une intégration locale à la communauté et d’assurer un revenu plus stable.
Grand-mère
Madame Trang
Figure 2
Figure 1
43. Cf. Figure d’étude 1 : Vendeuse persévérante, pg. 32-35. 44. Cf. Figure d’étude 2 : Famille intergénérationnelle, pg. 36-45
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Plus un marchand de rue s’installe sur la durée dans un endroit précis, plus il s’inscrit dans le quotidien de la population locale. Son activité n’apporte nullement de gênes pour le voisinage, d’autant plus qu’elle sert de point de rencontre pour les habitants. L’intégration du vendeur dans une communauté peut lui apporte une protection contre les forces policières, évitant par exemple des confiscations importantes. L’ancienneté peut aussi se comprendre par une succession de génération. Les enfants reprennent les activités de leur parents et poursuivent à conserver l’espace public approprié. Ce facteur de génération rentre ainsi en jeu lorsqu’il est question de contestation de territoire entre marchands de rues, ou bien contre les raids de polices, en légitimant l’activité par la famille. La figure d’étude 2 de la famille-intergénérationnelle s’incarne en tant que lieux de sociabilité et de repère quotidien pour les habitants. Le soir venu, il est possible de voir des familles venir se reposer et discuter, tandis que les enfants jouent aux pourtours du café de rue. Plus qu’un lieu de consommation, c’est un lieu de rencontre.
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3.2. Economie gestuelle, ergonomie matérielle La publicité et compacité étant les principes régissant le fonctionnement des vendeurs de rues, ils doivent assurer un large périmètre d’action tout en gardant le périmètre d’installation au minimum. Pour les vendeurs mobiles, utilisant des mobylettes, des vélos, ou la force de leurs bras, le périmètre d’action dépend de leurs mobilités. Les installations sont éphémères et se résument souvent à seulement aux moyens de locomotions. L’ergonomie des véhicules permet de s’introduire facilement au cœur des quartiers et des îlots afin de toucher un plus large panel de client. Ils sillonnent ces ruelles et font porter leurs mélodies vantant les produits proposés jusqu’au cœur des maisons. Cette tactique consiste à traverser les îlots et faire du « porte à porte ». Les produits proposés ne nécessitent que de préparations primaires, et dans certains cas, une cuisson très rapide. Sucreries, pâtisseries, sandwiches, pains, frites et légumes, épices et jouets sont ces produits qu’il est possible de trouver juste en tendant l’oreille et être attentif. L’économie du geste et l’ergonomie rime avec mobilité et efficacité. Les dispositifs comme les palanches, ont un mode opératoire similaire mais se détachent par quelques divergences. Les produits proposés sont souvent plus élaborés, nécessitant une préparation plus longue et un temps de cuisson prolongé : soupes, bouillons, boissons frais, plats cuisinés. Ils s’installent de manières plus durable, avec la palanche comme centre du périmètre d’action. Assis au milieu, les ustensiles et les outils nécessaires à la confection du plat sont à portées, les gestes se résument seulement aux mouvements des bras. Pour le confort, des tabourets sont souvent installés aux pourtours, à une distance permettant aux clients de recevoir les plats sans obliger le vendeur à se lever. Les affaires terminées, ce n’est qu’une question de secondes avant que tous les objets sortis ne soient rangés et compactés sur la palanche. Le vendeur se remet en route vers une autre destination. Les différents déplacements entre points de ventes dépendent des habitudes, des clients habitués, des patrouilles des forces locales, et du climat.
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Un schéma quotidien est généralement appliqué, comme celui de la dame à la palanche. Oscillant entre mouvements et stationnements, entre clientèle spontanée et clientèle habituée, ses tactiques sont organisées par rapport aux différentes quartiers choisis, mais ses déplacements entre les zones sont aléatoires et discontinues. D’autres dispositifs sont plus stationnaires. Certains vendeurs s’installent quotidiennement dans le même espace. La plupart de ces dispositifs utilisent les éléments urbains comme structure de leurs installations. Mur ou muret, lampadaire ou arbre, elles peuvent être décrites comme un adossement. Cela permet, sur le niveau sécuritaire, de surveiller les clients et leurs moyens de locomotion mais surtout les forces locales susceptibles de les pourchasser ou confisquer leurs biens. Les tables et chaises sont disposés le long de ces éléments urbains, et s’en servent comme une toile de fond. Mademoiselle Huynh utilise une porte de garage condamnée pour accrocher ses ustensils, un mur comme toile de fond de son café, et un arbre comme couverture. L’ergonomie est ici en relation directe avec les éléments architecturaux, les vendeurs s’approprient de ces espaces et détournent à leurs tours les usages. Un muret devient un comptoir, un mur devient une enseigne, un lampadaire devient l’éclairage pour les installations nocturnes, un arbre permet la protection du soleil et l’accrochage de certains produits45. La matérialité du sol participe dans l’agencement de l’espace. Elles sont composées sur des trottoirs de grandes largeurs, avec deux voire trois appareillages différents afin de délimiter des zones. Les démarcations ciblent particulièrement les magasins, limitent leurs débordements sur le trottoir et affectent des aires comme parking et la circulation pédestre. Les vendeurs de rues jouent de ces démarcations, tantôt les respectant, tantôt les trépassant, en fonction des horaires de la journée et les risques de patrouilles. A l’instar de Madame Trang, qui utilise de simples mobiliers et l’appareillage au sol pour construire son installation46. L’espace strié s’incarne ici à travers cet acte de composition du trottoir de l’Etat, dans l’optique de séparer les usages et maintenir un ordre dans l’espace public. L’espace lisse, quant à lui, naît de ces appropriations des vendeurs de rues, qui réinventent une autre spatialité, par la disposition simple des mobiliers et l’utilisation astucieuse des limites imposées comme support de création.
45. Cf figure d’étude 3 : Café de rue, pg. 46-49 46. Cf figure d’étude 1 : Madame Trang, Vendeuse Persévérante, pg. 32-35
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3.3. Complémentarités Les coopérations entre les vendeurs de rues représentent un aspect important du système informel. Ces complémentarités, visibles spatialement, sont négociées entre les acteurs. Les négociations s’effectuent au fur et à mesure, certains font équipent et s’associent afin de proposer des produits plus variés et qui se complètent. Les vendeurs de plats cuisinés, comme les soupes, les nouilles ou les plats de riz ont souvent des installations plus stationnaires et occupent une petite partie de l’espace public. Au fil du temps, il est possible de voir venir se greffer à ces derniers des vendeurs spécifiés dans d’autres produits, comme des boissons ou encore des desserts. Pour diviser l’espace, ils utilisent le dessin des pavés ou le rythme des murs, ou tout simplement à travers des ententes informelles. Une mise en commun des mobiliers peuvent avoir lieu entre les différents vendeurs. Plus explicitement, cela concerne les éléments de confort, comme des tabourets, chaises et tables, et parfois accessoires de tables. Cela permet d’éviter les affrontements pour revendiquer sa possession. La coopération entre les vendeurs peuvent aller plus loin, jusqu’à s’associer pour louer un espace ouvert au rez de chaussée, leur permettant d’avoir un abri et de travailler dans un cadre plus sûr, et d’échapper ainsi au contrôle des forces policières. Cette complémentarité est prépondérante dans le système informel, avec une forme de négociation spécifique pour chaque figure. Bien évidemment, d’autres cas de figures existent comme certains vendeurs qui revendiquent son espace arbitrairement ou simplement par accord, sans pour autant être contestés par les riverains. Ils sont toutefois exposées aux forces policières47. Une entrée de ruelle transformée en un lieu de restauration Les produits sont variés, allant des plats à baze de riz aux multiples soupes et bouillons. Les mobiliers sont mis en commun. Ces lieux sont particulièrement inscrits en tant que repères quotidiens des habitants.
Dans certains cas, des vendeurs mobiles prêtent mains fortes aux vendeurs stationnaires, et proposent ensemble un système de livraison aux portes à portes. La livraison permet d’élargir le périmètre d’action de l’activité tout en minimisant l’impact de l’installation dans le quartier. L’espace utilisé quotidiennement par le vendeur stationnaire lui assure une place dans le voisinage et donc une clientèle habituée. Le vendeur mobile y passe sur son trajectoire quotidien, pour y proposer ses produits en compléments des plats ou services déjà proposés. 47. Cf Figure d’étude 2, Famille inter-générationnelle, pg. 36-45
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4. Temporalités
Nous avons tous conscient de l’impact de la temporalité sur la ville et son mode de fonctionnement. Elle peut être raisonnée comme une succession de séquences spatiales et temporelles, à la fois distinctes et entremêlées, pour former un paysage urbain et rythmé. « Le temps affecte les deux principales caractéristiques de la ville contemporaine : l’étalement et l’éclatement (fragmentation)48.» La ville est malléable pour la multiplicité de ses rythmes. Les citadins d’aujourd’hui ont des rythmes de vies décalés et des pratiques urbaines spécifiées. La ville serait donc en éveil permanent, vivant et changeant au rythme quotidienne. Cet impact de la temporalité sur la ville induit des formes urbaines évolutives, capables de s’adapter aux mutations des usages et des mobilités, selon une échelle temporelle variée. Les marchands de rues, grâce à la mobilité et la flexibilité de leurs logiques d’installations, représentent des acteurs urbains qui disposent du facteur temps pour harmoniser leurs modes de fonctionnement avec les rythmes urbaines. Par leur présence constante dans l’espace public, c’est des individus qui sont au plus près de l’évolution des usages. Ils explorent le temps dans ses rapports à l’espace et adaptent ainsi leurs architectures. Le système informel des vendeurs de rue devient un système résilient et malléable, capable de maintenir sa stabilité par l’adaptation aux transformations des usages et des rythmes urbains. Par son inscription dans l’espace public, le système maximise son adaptabilité par la mutation constante des usages soumis à cet espace en rapport avec la temporalité de la ville. Etudier la résilience de ce système permettrait de comprendre les manières dont il résiste aux évolutions des modes de vies et des rythmes urbains de plus en plus rapides, conditionnées par les typologies modernes et les régulations. 48. Luc GwiazdzinskI, « La ville malléable », dans LA VILLE
ADAPTABLE : insérer les rythmes urbains, Europan 2012.
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4.1. Mixités d’usages et d’usagers à travers le temps La résilience du système des vendeurs se définit par la mixité et la flexibilité de son système. Cette mixité se traduit par la variété des usages que les vendeurs de rues peuvent donner à un même espace. Du matin au soir, un espace peut accueillir des pratiques différentes selon le contexte et les utilisateurs concernés. Les facteurs sociologiques et temporelles influent sur les pratiques de l’espace public, comme le genre, la cohorte et l’âge, les catégories socio-économiques et le type de relation à l’espace qu’entretiennent les mangeurs49. Ils agissent directement sur le type de produits proposés, et le type de sociabilité de consommation. L’architecture des espaces appropriés se voient ainsi évoluer au fil de la journée pour adapter la consommation aux variations des usagers et aux changements des usages selon l’horaire de la journée. Il y a une imbrication temporelle entre l’espace et l’usage. Au fil du temps, les utilisateurs et les comportements évoluent. Parallèlement, les types de produits et les vendeurs de rues s’adaptent. La journée commence très tôt au Vietnam, et les citadins profitent de la fraîcheur matinale pour prendre le petit-déjeuner. Ce premier repas de la journée est en grande partie consommée à l’extérieur du domicile familial, sur la route du travail ou de l’école. Les clients font une pause dans leurs trajets quotidiens pour s’installer le temps de consommer un repas. Les ruelles à marché sont également très fréquentées durant cette période. C’est un évènement quotidien où se déploient une mixité de vendeurs et d’appropriations50.
Marché quotidien dans une ruelle - Figure 4
De la fin de la matinée jusqu’à la fin de l’après midi, période où la chaleur est la plus intense, des vendeurs se retirent pour restituer le lieu aux riverains alors que certains laissent place 49. Mini Maousse 5, Ma cantine en ville, Voyage au coeur de la cuisine de rue, Paris, Gallimard, “Collection Alternatives”, 2013, p. 35 50. Cf. Figure d’étude 4 : Marché quotidien, pg. 50-57
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à d’autres51. En partie raison du climat, les pratiques Vietnamiennes s’«intériorisent» et s’abritent du soleil tropical. Les devantures des maisons se prolongent de protections solaires pour apporter de l’ombre et prolonger l’espace du rez-de-chaussée vers la rue. Les vendeurs mobiles sont alors les plus visibles, ils s’endossent cette dure tâche de sillonner la ville sous la chaleur pour apporter des produits jusqu’aux domiciles. De la fin de la journée jusqu’au début de soirée, l’espace public est marqué par une remontée exponentielle des activités et des pratiques. Les sorties d’écoles emmènent une profusion d’étudiants, qui cherchent très souvent à se regrouper autour d’un café, sur un bout de trottoir proche de l’école, tout en grignotant des friandises achetées à un vendeur croisé. Ou encore des employés qui sortent de leurs lieux de travail et décident d’aller manger le fameux bouillon proposé par le vendeur au coin de la rue ou partager une petite boisson dans un café de rue52. C’est durant cette période que vendeurs mobiles et stationnaires s’accaparent et s’approprient le plus l’espace public, mais c’est aussi durant cette plage horaire que sont rapportés le plus de problèmes de circulation. En effet, le trottoir est l’espace dans la ville qui est sur les côtés d’une rue, et sa physicalité engendre commerce et culture, ralentissement et immobilisme qui sont l’envers du concept économique des espaces de flux53. Le temps des fêtes nationales ou des vacances, il est possible de voir aussi une augmentation des activités et de pratiques de rues. Cela influe directement sur les vendeurs de rues et leurs manières d’agir sur l’espace public. Les usages que les vendeurs de rues apportent aux espaces appropriés changent au fil de la journée, en rapport direct avec les évolutions des usagers dans le temps.
Café de rue de Madame Huynh - Figure 51. Cf. Figure d’étude 2 : Famille intergénérationnelle, chaque membre a un horaire de travail spécifique. 52. Cf. Figure d’étude 3 : Café de rue. pg. 46-49 53. Annette Miae Kim, Sidewalk City, Remapping Public Space in Ho Chi Minh City, Paris, The University of Chicago Press, 2015, pg. 96
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4.1. Impermanences en permanence La ville est caractérisée par la profusion des flux : activités, individus, informations, transports. A Ho Chi Minh, les rues sont à longueur de journée remplies par des habitants, avec la mobylette comme moyen de locomotion le plus répandu. C’est un organisme vivant qui peut s’apparenter à un fluide dans lequel circulent les poissons selon un effet de masse. Ils ont un trajectoire défini, une itinéraire habituée et quotidienne. Dès lors qu’il y a une perturbation qui surgit dans ce fluide, ils adaptent leurs parcours en l’intégrant. Les vendeurs de rues peuvent être interprétés comme ces perturbations. Ils s’immiscent dans le fluide et dévient les trajectoires par leurs apparitions inattendues. Il y a comme une « « instantanéisation » du temps, une célébration du moment comme discontinuité54.» L’aspect éphémère des vendeurs de rues s’incarnent comme des agitations, qui par son inscription dans l’espace public selon une logique informelle fondée sur l’expérience et l’observation, défient l’ordre général. Il peut alors aussi avoir un effet de regroupement autour de cette forme de sociabilité. L’immobilisme provoqué par ce regroupement autour de l’agitateur résiste au mouvement. Mais cette résistance est temporelle, parce que la perturbation est impermanente et éphémère. Elle se déplace, disparaît et réapparaît.
Une vendeuse de soupes et bouillons dans le district 3 Le temps du chantier de construction, la vendeuse s’y installe. Utilisant le trottoir, l’arbre et les affiches de marketting comme fond de commerce, son activité attire les ouvriers et les employés de bureaux aux alentours. Lorsque la construction sera réalisée, la vendeuse s’effacera et réapparaîtra ailleurs.
54. El Youssoufi, Useless is more, une réflexion autour du recyclage urbain, Paris, ENSA Paris-la-Villette, 2014, pg. 55
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Les vendeurs à forte mobilité sont les plus aptes à saisir un contexte particulier pour en tirer profit. Un évènement à durée moyenne, comme la construction d’un bâtiment, peut être source de revenus pour un vendeur. Même si le lieu d’exercice est à risque vis à vis des forces de polices, la connaissance de leurs déplacements habituels et la mobilité du vendeur lui permet de s’effacer facilement. La tactique utilisée consiste en l’installation éphémère à côté des chantiers. Elle s’adresse directement aux ouvriers y travaillant, en leur proposant des produits à budget réduit. Cette tactique est utilisée quotidiennement, le temps de la construction. Apparaissant qu’à un horaire spécifique de la journée, et cela pendant une courte période de temps, le vendeur tend ensuite à disparaître pour se fixer à un autre lieu. Les vendeurs de rues se caractérisent par leurs capacités à occuper un espace sans laisser de trace de leurs passages. Par leurs impacts sur les pratiques quotidiennes, ils s’insèrent dans les repères des habitants et modifient les habitudes. En retour, ils s’adaptent aux évolutions des modes vies. Son impermanence lui procure une résistance temporelle, et grâce aux mixités d’usages et l’adaptabilité du système informel, le renouveau de l’espace public a lieu à chaque nouvelle occupation. A la fois permanente et impermanente, les vendeurs s’adaptent ainsi aux rythmes urbains de la ville.
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CHAPITRE III L’espace public urbain Vietnamien : relations intrinsèques entre formes bâties et pratiques culturelles
Le faible pourcentage de 5% de voie de circulation par rapport à la superficie totale de la ville, traduit d’une part l’extrême densité de la ville et d’autre part, renvoie aux problèmes de traffic quotidiens. Il apparaît clairement qu’avec une population sans cesse grandissante, le peu de réserve foncier disponible est pris d’assaut par de nouvelles constructions. Dans les quartiers centraux, la marge de manoeuvre est très négligeable voire quasi-nulle. Les appropriations publiques sont d’autant plus nombreuses que l’espace disponible est réduit. De ce fait, les rues sont utilisées par les habitants, non seulement comme un espace de déplacement, mais également comme espace de travails, d’activités, de sociabilités et d’expression. Quelles sont alors les raisons urbaines à l’origine de la présence constante des vendeurs de rues et les nombreuses appropriations de l’espace public par la population dans ce contexte d’expansion et de densification rapide? Le manque de planification urbaine à cause de l’instabilité du pays a engendré la formation informelle du tissu urbain, à partir de l’autoconstruction et la spontanéité des habitants. La guerre a également enclenché une migration massive vers la ville afin d’éviter les affrontements. Le développement de la ville s’est ensuite accentué à partir de la réforme économique et politique du pays. Tout espace disponible est ici rentabilisé pour bâtir de l’habitation. L’augmentation de la population, associée au manque de place et aux conditions économiques difficiles durant cette période, l’absence d’espaces publics proprement dit, tels des squares ou des places, dans le tissu urbain, ont poussé un nombre important d’habitants à investir les rues dans l’optique d’exercer une activité économique. Les nombreuses contraintes, tant dans les formes bâties que dans les politiques de gestion de la ville, ont suscité une importante inventivité de la part des habitants et des vendeurs et ont sculpté les pratiques telles qu’on connaît aujourd’hui. L’hypothèse repose sur les formes bâties et sa participation à susciter des pratiques spécifiques et représentatives de la culture urbaine Vietnamienne. L’espace public «appellerait» à l’appropriation des habitants en tant qu’espace de frottement. La ville s’est constituée à partir de son réseau viaire, que ce soit inspiré du modèle des cités traditionnelles chinoises, de la rationalité marchande de Cho Lon, d’un urbanisme colonial et expérimental des Français. La métropole telle que l’on connaît aujourd’hui, tout en ayant conservé ces tracés historiques, s’est développée frénétiquement et de manière informelle. Densifié à l’extrême, les rues et les ruelles sont des formes urbaines résultantes des négociations entre riverains. Du principe symbiotique de village au compartiment verticalisé, en passant par l’urbanisme des compartiments de Ha Noi ou encore l’urbanité tropicaliste d’Ho Chi Minh, le paysage actuel de la ville est l’oeuvre de ces mutations urbaines et de leurs imbrications. Le compartiment verticalisé (Nhà Ong) devient le vocabulaire général de la ville, unifiant la skyline et dessine un nouveau visage des grands centres urbains du pays55. Il est devenu la typologie 55. Christian Pédelahore de Loddis, Réémergences Vietnamiennes. L’invention spatiale au quotiden, Paris, Cité de l’architecture & du patrimoine et l’Institut Français, l’Année France-Vietnam 2013-2014, 2014, pg. 37
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d’habitation individuelle et privée adoptée par une grande partie de la population. La configuration spatiale de son espace de rez-de-chaussée est particulièrement ouverte sur la rue. L’espace public urbain Vietnamien est ainsi indissociable de cette forme individualisée d’habitat. La visée de ce troisième chapitre est de comprendre à travers une analyse intérierioté-extérioté, les relations que cette forme d’habitation individuelle -le compartiment verticalisé entretienne avec l’espace public. Nous supposons son caractère diatope, par la démonstration que ces espaces sont à la fois ouverts et clos, privé et public, des espaces changeants qui se redéfinissent constamment par ses relations avec d’autres. Cette fluctuation puise sa force dans le mode de vie traditionnel et la culture des Vietnamiens à mener une économie familiale. Plus ou moins informelle, il a été démontré que cette économie permet aux vendeurs de rues d’exercer leurs activités dans un cadre urbain plus stable. Les usages ainsi projetés à cet espace lui confèrent des fonctions constamment en évolution, redéfinissant sans cesse les limites entre le privé et le public. De cette micro-échelle, l’analyse s’élargit en une macro-échelle à travers les interstices et vides urbains crées par l’agglomération spontanée et non planifiée de ces habitats. Les formes urbaines telles que les rues et les ruelles évoluent ainsi en rapport avec cette fluctuation, et l’inventivité des vendeurs de rues participent à maximiser son rendement dans ce contexte de d’expansion et de densification importante. L’espace public urbain Vietnamien serait alors polyvalent et évolutif, constamment recyclé spatialement et temporellement, jusqu’à devenir un territoire d’entre-deux.
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1. Le compartiment vertical : un espace diatope ?
Depuis le basculement vers le «Doi Moi» (Epoque Moderne), le pays assiste à une réémergence massive notamment au niveau des centres urbains. A partir des années 1990, la fabrique spatiale est accentée par la remontée en puissance de l’auto-promotion immobilière familiale privée. De ce fait, les investissements familiaux contribuent fortement à l’édification de la ville, assurant jusqu’à 75% des mètres carrés construits56. Cette typologie est le résultat de ré-interprétation du modèle du compartiment chinois, encore visible dans les rues anciennes de Cho Lon. La modernisation passe également par l’apport de nouvelles technologies contribuant au confort d’usage, notamment au niveau de la climatisation et de la ventilation. Cependant, la logique d’ouverture unique vers la rue est conservée ainsi que sa largeur, de 3 à 4 mètres en moyenne. D’une profondeur de 15 à 25 mètres, ils se dressent perpendiculairement à la rue et participent pleinement aux rythmes urbains. 56. Christian Pédelahore de Loddis, Réémergences Vietnamiennes. L’invention spatiale au quotiden, Paris, Cité de l’architecture & du patrimoine et l’Institut Français, l’Année France-Vietnam 2013-2014, 2014, pg. 38
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1.1 Une économie familiale L’espace du rez-de-chaussé est souvent utilisé pour une activité commerciale ou artisanale, ainsi que le stockage et la cuisine alors que les étages supérieurs sont réservés à la vie domestique de la famille. Cette logique marchande se retrouve aussi dans l’appellation commune utilisée pour caractériser la disposition de la parcelle et son accès. Une parcelle disposant d’une entrée en façade de l’îlot se désigne par «mat tièn», où «tièn» signifie argent. Elle est très demandée par les familles et mise en avant par les promoteurs immobiliers, car elle garantit une clientèle potentielle. Les classes moyennes, afin de développer leurs ressources financières, se dotent souvent d’une activité commerciale ou artisanale. Contrairement à l’Europe, où le travail indépendant et libéral quitte peu à peu le domicile à partir des années 196057, la logique marchande héritée du Vietnam a permis de conserver la production au sein de l’habitat. Un membre de famille irait à son lieu de travail alors que d’autres ses enfants assurent l’activité commerciale à domicile. Plusieurs cas peuvent être dénotés selon les situations familiales. Il s’agit ici d’évoquer succinctement les différentes configurations des trois cas les plus prédominants. La première concerne les familles dont les membres ont un emploi en dehors du domicile. L’espace de rez de chaussé est alors utilisé pour le séjour et la cuisine. Cet même espace peut aussi être loué quotidiennement dans la seconde configuration. Le troisième cas regroupe les familles dont les membres exercent une activité économique ou artisanale au sein du domicile. Les trois sont cependant sont directement liées à la situation de la parcelle et de sa disposition à être exploitée en tant surface commerciale. La culture du marché très présente dans les coutumes Vietnamiens et porte notamment une influence sur cette considération. D’autres configurations peuvent aussi être citées avec une étude plus approfondie, mais ces trois figures illustrent cependant le mode de vie organisé souvent autour d’une économie domestique, dont la pluralité des formes participent à l’effervescence de la rue. Il est possible de se référer à la figure d’étude du marché quotidien58 qui a lieu dans une ruelle située dans un des districts centraux. L’économie informelle est exercée par la plupart des habitants de cette ruelle, en mettant à disposition des espaces de devantures pour les activités commerciales de vendeurs, au prix d’une petite somme. Ce système informel est ainsi garant du marché. Réciproquement, le marché crée des lieux de sociabilités et de rencontres, soude les relations entre voisinages et participe à consolider la communauté, tout en étant un réserve de ressources alimentaires.
57. Thierry Paquot, L’espace public, Paris, La Découverte, Collection Repères, 2009, p. 77 58. Cf. Figure d’étude 4 : Marché quotidien, pg. 50-57
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1.2. Le brouillage des limites et l’espace intermédiaire
La réinterprétation du compartiment chinois et de sa logique marchande héritée passe par la projection des activités domestiques au niveau du rez-de-chaussé. L’espace du rez-de-chaussé est utilisé non seulement pour une activité commerciale, mais également pour des activités domestiques. On y trouve couramment la configuration du séjour/cuisine. Pendant la journée, pour des familles où les membres exercent un emploi en dehors du domicile, le séjour est ouvert sur l’espace public et traduit une vie communautaire soutenue. On retrouve parfois dans cet espace des éléments de partition discrets - petite marche, différences de hauteurs, agencements de mobiliers - qui délimites l’espace du séjour en deux voire trois entités. De la rue jusqu’à l’intérieure de la maison, le visiteur traverse plusieurs strates. Il pénètre un premier seuil et se retrouve dans la première entité. Cet espace est souvent réservé aux voisins passants, facteurs ou livreurs, marchands ambulants de toutes sortes. Le franchissement du deuxième seuil est synonyme d’une pénétration dans le sphère privé, avec le geste symbolique d’ôter les chaussures dans le cas de la petite marche. Le visiteur devient ainsi l’ami dont on reçoit. Il faut noter cependant que ces limites existent et leur perception est subtile, mais ils peuvent souvent être déplacés et mêmes annulés selon les configurations architecturales et selon l’utilisation que les habitants projettent à cet espace. Si une activité économique est exercée, cet espace endossera alors une fonction commerciale, et on retrouve alors le principe du compartiment chinois, dont les étals débordent parfois sur les devants de la maison, passant par une appropriation de l’espace public en un espace semi-public. Le soir venu, pour certains, l’espace de rez-de-chaussé est utilisé pour les activités domestiques telles que le repas de famille, les devantures des maisons sont aménagés avec certains mobiliers, évoquant l’apéro. Pour d’autres, c’est le déploiement de l’activité économique sur le trottoir et même la chaussée, étant donné que les Vietnamiens sont friands de la nourriture de rue. La nuit, les portes se ferment, le rez-de-chaussé devient un espace de stockage, où sont également garées les véhicules. Le rapport par stratification entre le privé et le public au niveau du rez-de-chaussé résulte dans des espace semi-publics/semi-privés et participe grandement au caractère si spécifique de la rue Vietnamienne. Les limites se déplacent, se transforment, s’effacent. Elles dépendent directement de la pluralité des activités et des usages qui y sont projetés. Et ces usages sont indissociables des rythmes quotidiens et urbains de la population, ancrés dans les traditions et coutumes. Du point de vue de Finn Geipel, le rez-de-chaussé des compartiments verticaux incarnerait, à la petite échelle, l’espace diatope59. Son fonctionnement suivrait un modèle qui « ignore la rupture radicale entre un extérieur hostile, non maitrisé, et un intérieur à l’ambiance sécurisante et contrôlée60. » Ce propos part d’un constat quant au décalage entre les rythmes urbains et la pérennité des constructions. Son travail consiste en la recherche d’une adéquation entre les deux données conceptuelles, 59. Depuis le grec ancien Dia- (à travers), et -topos (lieu) 60. Finn Geipel, « Construire l’espace diatope », texte de conférence dans Ambiances architecturales et urbaines, dir. par Rémi Baudoui, Ed. Parenthèses, 1998, p.196.
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et le bâtiment doit être repenser de manière à intégrer les notions de flou et de déterminé dans le rapport intérieur/extérieur en s’affranchissant du « paradigme parfaitement hermétique de l’Arche de Noé61 ». Le compartiment vertical incarnerait vraisemblablement cette figure. Le brouillage des limites entre le public et le privé des espaces semi-publics/semi-privés (intérieur/extérieur) démontre à la fois son flexibilité, cette oscillation quotidienne entre le flou et le déterminé et qui dépend à la fois de l’usage projeté et de sa temporalité.
Limite radicale
Limite floue et broullée Schéma conceptuel explicitant le brouillage de limite prive/public par l’espace intermédiaire du compartiment vertical
61. Ibid, pg.193
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1.3 Riveraineté et territorialité : un frontage habité L’espace de la rue est rentabilisé par les riverains dans la cadre de leurs pratiques quotidiennes. Les limites floues que génèrent les différents usages de l’espace intermédiaire du rez-dechaussé des maisons contribuent à une étroite continuité entre l’espace prive du logement et la voie. La rue Vietnamienne serait donc un organisme vivant qui s’articule avec les usages sociaux diversifiés. La notion de riverainneté telle que le définite l’architecte-urbaniste Antoine Brès, permet quant à elle de caractériser l’intensité des rapports qu’une voie entretient avec le territoire qui la borde, c’est-à-dire le degré d’inscription sur ses rives des pratiques de mobilité qu’elle accueille62. Plus précisement, la rue peut être définie comme «une voie territorialisée» et qualifiée comme riveraine par rapport à «l’intensité de ses relations avec ses « territoires » (parcelles et îlots situés sur ses rives), mesurée en prenant en compte les pratiques et activités qui lui sont directement associées, même si, par ailleurs, elle se situe dans un secteur urbain peu ou pas constitué63». A partir de cette notion, la rue Vietnamienne peut être caractérisée par un degré de riverainneté maximal. La forme du compartiment vertical est ouverte sur l’espace public, les activités domestiques débordent sur la rue et s’offrent aux regards des passants. Cette intéraction est d’autant plus forte lorsque l’activité est à titre commercial, où des étals de boutiques s’approprient le frontage64 des maisons pour habiter la rue.
62. Brès Antoine, « De la voirie à la rue : riveraineté et attrition. Des stratégies d’inscription territoriale des mobilités périurbaines », Flux, 4/2006 (n° 66-67), p. 87-95. 63. Ibid. 64. Le terme frontage est utilisé par Nicolas Soulier, architecte-urbaniste, dans son ouvrage «Reconquérir les rue. Exemples à travers le monde et pistes d’action», pour désigner l’espace en bord de rue qui est l’interface entre l’espace privé et la rue où selon l’auteur, tout se joue.
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L’espace intermédiaire du rez-de-chaussé du compartiment vertical serait donc ce lieu transitoire, et déterminerait la rue et la ruelle en tant qu’interface entre mouvement et établissement65. La rue et la ruelle Vietnamienne sont des espaces vécus par excellence, étant un lieu d’interconnaissance. Lieux de sociabilités où se déroulent toutes sortes de pratiques culturelles et quotidiennes, elles ne sont pas seulement des voies passantes, mais surtout des voies habitées et changeant au rythme des heures, des jours et des dates de calendrier. L’économie informelle exercée par les ménages catalyserait ainsi la riverainneté de la rue Vietnamienne. Elle permet à la figure du vendeur ambulant en tant que figure du mouvement, de s’immiscer dans la ville et de s’établir dans l’espace de rue par le détournement de la fonction du trottoir pour son activité. Du point de vue de Nicolas Soulier, ce «frontage actif» est susceptible de créer de l’urbanité et de la citadinité, et cela notamment par l’intégration des vendeurs de rues, frange de population la plus précaire et marginalisée, dans les communautés urbaines des villes Vietnamiennes. Cette intégration est d’autant plus forte que ces vendeurs ambulants contribuent à améliorer la qualité de la vie sociale des quartiers, en devenant les repères du quotidien. Les lieux de restaurations, plus ou moins temporaires, agissent en tant que lieux de rencontres et de communication. Ces micro espaces publics se renouvellent constamment pour contribuer à l’effervescence si typique des rues Vietnamiennes. Pour reprendre les propos de Marie Gibert, doctorant urbaniste à l’école de Belleville, «les pratiques commerciales multiformes et l’abondance des marchés dans les rues d’Ho Chi Minh Ville participent de l’identité de la ville depuis sa création66».
Privé
Semi Public
Public
frontage actif
Semi Public
Privé
Privé
Privé
frontage actif
La voie habitée Des espaces intermédiaires au profit des pratiques domestiques et économiques
65. Marie Gibert, « Moderniser la ville, réaménager la rue à Ho Chi Minh Ville », EchoGéo [En ligne], 12 | 2010, mis en ligne le 31 mai 2010, consulté le 27 décembre 2015. 66. Ibid.
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2. Ville interstitielle : le lieu de l’entre-deux
«Résister, c’est créer des brèches, de nouveux espaces de liberté67.» Partant du point de vue d’Ana-Alice Finichiu, la rue est constituée par les relations entre les formes bâties et la rue, les flux de circulations (routières et piétonnes), les intéractions entre l’espace public et l’espace privé. Ces mises en relations distinguent la forme urbaine qu’est la rue d’autre forme d’autres types d’agencements. Dans les villes Vietnamiennes, notamment Ho Chi Minh ville, la rue incarne l’espace public par excellence. L’absence des places publiques dans le tissu urbain induit une utilisation intense de la rue en tant qu’espace vécu. Voie à la foie circulée et habitée, elle est le réceptacle à toutes sortes de détournements et de tactiques d’agencements de la part des citadins. A Ho Chi Minh ville, les nombreux espaces délaissés résultants de la construction successive et spontanée des habitats indivuels, s’incarnent en tant qu’interstices urbaines. Leur fonction indéfinie appelle à l’appropriation. Ho Chi Minh ville est une ville interstielle, dont des lieux d’entre-deux sont omniprésents dans la composition du tissu urbain. Ensemble, ils forment un espace de frottement, réservoirs de potentialités urbaines, un réceptacle fertile pour l’urbanité. Par le processus de territorialisation-déterritorialisation-reterritorialisation et à travers la polyvalence des usages qui s’y exercent, ces lieux d’entre-deux sont à la fois adaptables, résilients et réceptifs aux mutations de la ville.
67. Ana-Alice Finichiu, «Machines de guerre et agencements architecturaux de résistance» (Partie IV), dans Machines de guerre urbaines, Dijon, Editions Loco, Paysages Variations, p. 193
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2.1. Interstices et vides urbains : espace de frottement La guerre d’Indochine a suscité une grande exode rurale et Saigon a vu sa population tripler entre 1946 et 195168. Cette augmentation accrue a pour conséquence une densification intense. Les terrains disponibles entre Saigon et Cho Lon sont rapidement exploités par la population. Dû à l’instabilité politique et militaire durant cette période, les constructions ne suivent pas une planification urbaine. La ville se développe alors de manière informelle et non contrôlée. La réunification en 1975 et le basculement du pays dans l’époque moderne (Doi Moi) en 1984 ont contribué davantage à cette expansion. Saigon et Cho Lon sont alors réunies en une nouvelle entité, Ho Chi Minh. Mis à part les tracés historiques des deux villes, les rues et ruelles nouvellement crées reflètent le fruit du pragmatisme des riverains. Le manque de planification conduit à des alignements relatifs, beaucoup d’interstices et de vides urbains. Selon Laurent Karst, ces interstices sont des « micro-espaces urbains, d’entre-deux, d’espaces non affectés69 ». Ho Chi Minh de l’après-guerre s’est construite avec quasiment aucune réglementation urbaine et produisent ainsi des sortes de vides résiduels, souvent aléatoires et désordonnées, résultants de la densification rapide et non maîtrisée. La définition de l’interstice est un espace vide entre deux éléments. Un espace flou et indéterminé, avec cependant un grand potentiel d’appropriation. Les alignements relatifs des bâtis sur rue contribuent à créer d’innombrables vides résiduels. Ces interstices de petite échelle sont, à Ho Chi Minh ville, pleinement utilisé par les habitants. De nombreux vendeurs de rue, marchands ambulants, jouissent de ces entre-deux pour exercer leurs activités. La ruelle, nouvelle forme urbaine résultante de cette croissance frénétique et informelle de la ville, est la figure par excellence de l’interstice. Elle prend naissance à partir d’un vide entre deux murs aveugles de deux compartiments, et s’allonge et se tord, s’agrandit ou se rétrécit, au fur et à mesure des constructions successives dans la profondeur de l’îlot. Cette interstice permet non seulement de le desservir, mais est pleinement appropriés par les habitants. Les espaces ouverts des compartiments verticaux, le manque de place contraignant certain de la ville incitent d’autant plus à l’inventivité des habitants. Ce vide résiduel devenu forme urbaine à part entière est alors exploitée pour répondre aux besoins de la population : séchage du linge, rangements, bricolage..etc. Nombreux projettent même une activité commerçante, proposant pour la plupart de la nourriture de rue. Il faut cependant rappeler que les appropriations de ces espaces sont souvent négociés entre les habitants, et ne se font pas seulement aux envies de chacun. Ces négociations, du point de vue de Laurent Karst, incarnent un processus participatif, une réflexion collective sur des programmes d’appoint, à mi-chemin entre le public et le privé70. » L’espace diatope du rez-de-chaussé des compartiments se prolongent alors jusqu’aux interstices. Ces entre-deux sont négociés entre riverains et incarnent à l’échelle de l’îlot une dimension communautaire. Dans son texte « Interventions, camouflages, prises de paroles : créer des lieux dans la ville », Gilles Pathé définit la (re) 68. Marie Gibert, « Moderniser la ville, réaménager la rue à Ho Chi Minh Ville », EchoGéo [En ligne], 12 | 2010, mis en ligne le 31 mai 2010, consulté le 27 décembre 2015. 69. Laurence Karst, «L’interstice : un nouvel espace d’émancipation urbaine» (Partie II), dans Machines de guerre urbaines, Dijon, Editions Loco, Paysages Variations, p. 116 70. Ibid. p 117
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création des lieux pour le citoyen, c’est de « créer des formes d’appropriation là où l’espace les appelle71. » Les nombreux décalages, creux, et vides entre bâtiments possèdent un grand pouvoir de frottement. Les nombreuses appropriations, notamment par les vendeurs de rues, créent des lieux de vie sociale et appellent à la rencontre. Partout, dans chaque rue et ruelle, ces interstices deviennent des micro-lieux grâce aux habitants. La manque de planification urbaine et la densification accrue de la ville ont pour résultat ces formes ouvertes, devenues l’espace public pour les Vietnamiens.
espaces de rez-de-chaussée semi-publics
la portée du regard du flâneur/promeneur/visiteur
la rue polymorphe et évolutive
Schéma conceptuel de la ruelle en tant que forme polymorphe
2.2. Polyvalence et mutation A l’échelle de la ville, chaque îlot a sa spécificité et son identité par les usages projetés dans l’espace public. Les infinies appropriations sont devenues le paysage habité de la ville. Ho Chi Minh doit son effervescence à ses habitants et son inventivité pour exploiter les vides urbains. Selon Thierry Paquot, les espaces publics trouvent leurs origines notamment dans les cités antiques grecques et romaines. L’agora, provenant du verbe ageirein qui signifie «se rassembler», désigne l’endroit où les citoyens se réunissent pour débattre. C’est un lieu physiquement marqué dans la ville où s’y exercent des fonctions publiques diverses. Son importance lui vaut une place de centralité et de permanence dans la composition urbaine. Il est vu précédemment que les places publiques, figures majeures des espaces publics selon la conception européenne, ne figurent pas dans l’organisation spatiale d’Ho Chi Minh. Les espaces publics sont ici à une échelle réduite et interstitielles, incarnés dans des retraits, creux et vides résiduels de la rue. Promeneurs, marchands ambulants de toutes sortes, un terrain improvisé de football, des petits commerces qui débordent 71. Gilles Pathé, «Interventions, camouflages, prises de parole : créer des lieux dans la ville» (Partie II), dans Machines de guerre urbaines, Dijon, Editions Loco, Paysages Variations, p. 106
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des logements, des hommes endormis et allongés sur les taxi-scooters dans un coin ombragé à attendre un client…etc, les pratiques qui s’y trouvent dessinent son caractère et lui procurent une identité. Les pratiques des rues et de ses espaces interstitiels sont polyvalentes et discontinues, se composent et se décomposent, associées parfois à des évènements festifs et cérémonieux (mariages, réunions publiques…). La rue devient alors un lieu habité et vécu, rempli de traces et de mémoires. L’espace public à Ho Chi Minh se définirait alors comme un espace évolutif, par sa capacité de se redéfinir face aux multiples usages qui s’y procurent successivement. La pluralité de vides urbains et d’interstices issue de la formation informelle de la ville fournirait des configurations spatiales, qui peut sembler être incohérentes au premier abord, mais qui sont justement ouvert, libre et capable de s’effacer face aux vies évolutives qui l’habitent successivement. Les relectures subjectives et polyvalentes des habitants habillent ces espaces publics de caractères et de symboles et expriment l’identité du lieu. Ils garantissent la mutation progressive des rythmes urbains, par la liberté de son métamorphose.
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2.3. De la stérilisation vers la fertilisation : le territoire d’entre-deux La ville d’Ho Chi Minh est spécifique pour l’effervescence de ses rues. Elles sont des «voies territorialisées» dont la riverainneté est maximale par les rapports qu’elles entretiennent avec le foncier desservi. Malgré les règlements urbains et les lois stérilisant les comportements publics et le commerce de rue, au nom de la ville moderne, esthétique, propre et uniforme, la résistance est toujours en marche à travers les multitudes d’appropriations, de tactiques et de ruses. L’espace strié crée par les stratégies étatiques sont détournées par ces actes d’agencements. AnnAlice Finichiu, en s’aidant des travaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari, avance que «l’espace strié, en particulier celui des villes, peut être déterritorialisé et reterritorialisé par des lignes de fuites, ou des forces comparables72». Cependant, «les frontières trop rigides et impénétrables résistent à la déterritorialisation73». A Ho Chi Minh ville, la frontière entre l’espace privé et l’espace public est poreuse, plus susceptible à la déterritorialisation, plus perméable à la réorganisation spatiale. L’espace rez-de-chaussé, à caractère diatope, agit en tant que cette interface, à la fois séparation et lien. Partant de ces principes, la rue peut ainsi être considérée comme un territoire urbain, mais sa transformation peut rencontrer une résistance dans sa structure striée74. Cependant, sa structure peut comporter des fissures qui ouvrent la possibilité de la transformation territoriale. Ces failles représentent les interstrices urbaines, ou encore des lieux d’entre-deux. Les processus de déterritorialisation et de reterritorialisation peuvent être réalisés par de nombreuses forces, dont leurs combinaisons, leurs mises en relations peuvent créer un agencement. Ho Chi Minh ville est une ville interstitielle. Son tissu urbain est composé d’une infinité de ruelles, de creux et de lieux d’entre-deux. La ville est ainsi constitué de failles ou encore d’intensités que les vendeurs nomades agencent à leurs manières. L’espace strié est aussitôt déterritorialisé et basculé vers une condition lisse par la reterritorialisation. Autrement dit, «le caractère incertain des territoires entre-deux devient alors catalyseur d’agencements de résistance75». A Ho Chi Minh ville, ces actes de résistances, menées par les vendeurs ambulants, deviennent culturelles et identitaires par leur inscription dans le mode de vie des Vietnamiens et dans le quotidien urbain. Ces gestes insaisissables sont volatiles et puisent leur force en son caractère éphèmère. A la fois ici et ailleurs, permanent et impermanent, ils sont à l’origine de l’effervescence et la frénésie si typique de la ville. Ho Chi Minh, ville interstitielle, serait constitué de deux paysages. Face à l’aspiration de la ville vers la modernité et l’uniformisation des espaces se dresse une ville intemporelle et différenciée où les espaces sont continuellement en mutation, en harmonie avec le battement de son rythme urbain. Face au territoire stérilisé et strié, contrôlé et régulé par l’Etat, se dresse un territoire d’entre-deux, fertile et changeant par les agencements de résistance.
72. Ana-Alice Finichiu, Machines de guerre et agencements architecturaux de résistance (Partie IV), dans Machines de guerre urbaines, Dijon, Editions Loco, Paysages Variations, p. 188 73. Ibid, pg. 189 74. Ibid, pg. 189 75. Ibid, pg. 193
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Conclusion
Quelles sont ces évènements de tous les jours, si insaisissables et négligeables mais pourtant si marquants dans le caractère d’une ville? Cette interrogation s’est développée pour se centrer sur les manières d’habiter la ville, à travers les multiples pratiques de l’espace urbain, regroupées sous l’étendard de la nourriture de rue, phénomène grandissante et prépondérante dans les villes des pays en développement. La cuisine de rue est caractérisée par ses formes d’appropriations plurielles, inventives et non conformes de l’espace public en lieux de sociabilités. Pratiquée dans les villes du Sud par une grande partie de la population, elle est pourtant ignorée, pour ne pas dire réprimée par les autorités publiques. Cette répression s’insère dans des politiques de modernisation et d’embelissement de la ville, dont l’inspiration provient de modèles urbanistiques globalisés, reflétant la mondialisation en marche dans ces villes au détriment de leurs identités locales. Les pratiques de rues résistent cependant aux oppressions exercées par la modernisation de la ville et restent très présentes dans la culture urbaine des pays en développement, notamment ceux de l’Asie du Sud-Est. L’idée de ce mémoire était d’analyser ces résistances culturelles dans un contexte urbain précis, notamment celui de la ville d’Ho Chi Minh, métropole économique du Vietnam, par la définition de leurs manières d’inscription dans l’espace public. Ce travail prennait également en considération les conditions urbaines et les terrains d’actions prospices à de telles formes d’appropriation, afin de questionner leur apport possible à la conception urbaine contemporaine. Métropole majeure du Vietnam, la ville d’Ho Chi Minh n’échappe pas à la globalisation et est sujet à l’étalement urbain et la croissance exponentielle de sa population. Son développement est dirigé par un urbanisme inspiré des modèles urbanistiques mondialisés. La ville caractérisée par les tissus urbains hétérogènes et héritées associés à la ville informelle issue de l’auto-construction spontanée et le pragmatisme des habitants, est peu à peu transformé en de complexes architectures standardisés et homogènes, rigoureuses et alignées, sans âmes et livides. Un urbanisme globalisé s’installe, déterminé et rigide, faisant abstraction de toute imprévue locale. Des tours s’érigent sans prendre en compte le tissu urbain hérité, des nouveaux quartiers naissent sans relations avec l’existant et réservés uniquement à une certaine catégorie aisée de classe sociale. Nous avons essayé de démontrer que les qualités intrinsèques à la ville, nichées dans les gestes du quotidien et les manières d’habiter, s’effacent au fur et à mesure de l’accroissement de la ville. Les autorités publiques imposent un modèle urbanistique global comme idéal de modernité, et refusent de prendre en compte les traits de caractère si spécifiques de la rue Vietnamienne. Elle est déjà en phase de devenir une «rue générique», il est peut être temps de réviser notre façon de concevoir la ville. « Veux tu dire que tu préférerais un désordre harmonieux à un ordre sans génie76 ? » 76. Fernand Pouillon, les Pierres Sauvages, Paris, Editions du Seuil, 1964, 240pg.
Cette interroggation est extraite d’un échange entre l’abbé de Florielle et et du moine cisternien Guillaume Balz concernant le projet dont il est chargé, celui de reprendre et terminer la construction de l’abbaye de Thoronet, située en Provence. Après que l’abbé de Florielle ait exposé sa théorie dont les moines bâtisseurs sont chargés d’inspirer l’ordre, par la rigueur et le respect de la Règle, préablable à toute installation. Guillaume partage son scepticisme sur le devenir d’une pratique (architecturale) généralisée au détriment de la sensibilité de l’art et l’originalité des formes. Il avoue son attirance pour l’imprévu, la composition entre l’ordre et le désordre.
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Si nous replaçons cette question dans le contexte de ce mémoire, le désordre harmonieux renvoie à l’habilité des habitants à s’approprier l’hétérogénéité urbaine de la ville issue du manque de planification lors de la période d’après guerre, pour construire des infinités de lieux de vie dans ce que nous avons défini comme un territoire d’entre-deux. La forme ouverte sur la rue du compartiment vertical, typologie d’habitat prépondérante des villes Vietnamiennes, participe également grâce aux nombreux systèmes d’économie informelle régissant les modalités d’occupations de l’espace intermédiaire significatif de son rez-de-chaussé. Cela peut sembler être un désordre sans règle, mais l’harmonie se trouve dans l’inventivité des formes d’appropriations et des agissements informels activant ces potentialités urbaines latentes. Nous avons tenté d’étudier ces manières de «faire avec» en nous intéressant à différentes figures incarnées par les vendeurs de rues, pratiquants élites du nomadisme urbain77, tout en s’intéressant aux différentes négociations informelles déterminant le contexte de leurs installations. De fait, l’étude des figures de vendeurs de rue a mis en avant leurs capacités à produire des espaces urbains habités qui résistent face à la conception mondialisée de la ville. Par des processus de territorialisation-détérritorialisation-reterritorialisation, ils s’approprient les interstices urbaines par des agencements simples et efficaces, prenant en compte la spatialité du lieu, utilisant intelligeamment les éléments urbains, toujours dans un souci d’économie gestuelle et matérielle. La force de cette résistance réside dans sa capacité à basculer entre permanence et impermanence. Flexible et résiliente, les vendeurs de rues s’effacent et réapparaissent par rapport aux usages et aux horaires. La dimension culturelle réside dans leurs intégrations dans la culture urbaine Vietnamienne. Les habitants pratiquent quotidiennement les espaces urbains appropriés par les vendeurs de rues, et c’est à travers ces intéractions qu’émanent les caractères si spécifiques de la ville. Chris Younès rappelle que «les rues {...} se trouvent être des vecteurs potentiels d’urbanité connectés aux polarités commerciales, culturelles et résidentielles». En effet, l’espace public est «mis en crise par les effets des mutations contemporaines78» et à travers des logiques fonctionnalistes de séparation, il devient un espace préventif et épuisé. Dans une ville peu à peu définie par les flux et les réseaux, les vendeurs de rues semblent être les figures capables d’assimiler les potentiels d’urbanités de la rue pour regénérer les espaces non programmés et non définis en des lieux de sociabilités et de rencontres. Ils mettent temporairement en vibrance ces espaces par leurs systèmes informels, et les restituent ensuite à la ville. Leurs rythmes et leurs diversités oeuvrent à créer continuellement des espaces de liberté, éphémères soient-ils. C’est ainsi que la ville se regénère sans cesse, et que l’urbanisme contemporain doit prendre en compte ces intensités pour accompagner son développement, dans une optique d’intégration de ces vendeurs de rues afin de proposer des espaces urbains respirant en harmonie avec ses pratiques culturelles. Il est également nécessaire d’analyser les systèmes spatiaux existants et de comprendre les spécifités locales de son utilisation pour pouvoir manoeuvrer. L’urbanisme contemporain ne devrait pas imposer un ordre sans génie, mais en jouer avec l’ordre et le désordre, tout en laissant de la place à l’imprévu et en organisant l’improvisation. Les vendeurs de rues sont les premiers à observer et à subir les mutations contemporaines de la ville. Cependant, grâce à leurs adaptabilités et leurs résiliences, ils subsistent malgré les changements. C’est comme si la ville est devenue plastique et élastique par leurs agissements, et 77. Chris Younès, Nomadisme urbain : entre épuisement et régénération (Partie IV), dans Machines de guerre urbaines, Dijon, Editions Loco, Paysages Variations, p. 178 78. Ibid, pg. 176
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renvoie ainsi aux propos de Luc Gwiazdzinsk sur la ville malléable. Pour reprendre sa définition, une ville malléable , «c’est la polyvalence et l’usage alterné de l’espace public et des bâtiments donc à différentes échelles temporelles : de l’année à la journée en passant par les saisons ; et à différentes échelles spatiales : de l’habitation à l’agglomération en passant par le quartier et la rue79». L’espace intermédiaire du rez-de-chaussé de la typologie des habitats indivuels au Vietnam et les appropriations temporelles d’interstices des vendeurs de rues semblent correspondre aux attributs de la ville malléable telle que le définit l’auteur. L’urbanisme contemporain pourrait utiliser ces propriétés comme ressources urbaines et suivant l’idée d’une ville élastique capable de se transformer en fonction des utilisations. L’alternation des usages au sein d’un même espace public ou bâtiment permettrait d’économiser par le recyclage l’espace lui-même, éviter sa stérilisation et contenir l’étalement urbain, tout en soulignant les caractères spécifiques et locales de la ville. Il est également nécessaire de revoir les règlements urbains régissement les usages de l’espace public, en délimitant les limites spatiales et temporelles, tout en laisse une liberté certaine au profit d’éventuelle improvisation de la part des utilisateurs. Il évoque également des outils d’aménagements et de gestion de la ville, suggérant un «schéma de cohérence temporel pour gérer les agendas», mais l’organisation temporelle pourrait très bien appartenir aux riverains et aux vendeurs de rues locaux. La ville malléable semble être une piste de recherche pour un nouvel urbanisme contemporain, adapté et adaptable. La dimension temporelle paraît primordial à prendre en compte dans le développement des villes, dans un contexte où les ressources spatiales et territoriales commencent à manquer. Les vendeurs de rues de la ville d’Ho Chi Minh, contraints financièrement et spatialement, ne sont pas particulièrement conscients de la finitude de ces ressources mais sont cependant poussés à être inventifs au niveau de l’occupation temporelle et spatiale de l’espace en commun pour survivre dans la jungle urbaine. Le recyclage urbain serait ainsi naturellement présent dans leurs gestes du quotidien. L’urbanisme contemporain pourrait se servir de ces résistances pour construire une ville battante au rythme de sa population et reflétant son identité.
79. Luc GwiazdzinskI, « La ville malléable », In LA VILLE ADAPTABLE : insérer les rythmes urbains, Europan 2012.
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Annexes Entretien avec monsieur Tuan Il est aux alentours de 16h30, je suis dans un café installé dans un recoin du trottoir depuis 1 heure. Situé sur une avenue passante, un axe important qui relie l’aéroport et le centre-ville (district 1). Tout à coup, ils commencent à ranger et déplacer les mobiliers. Je me sens pas à ma place et je questionne pour en savoir plus. Ils sont entrain de se réorganiser, ranger pour certains, afin que d’autres vendeurs puissent venir installer leurs affaires (c’est leur créneau). En attendant, ils poursuivent leurs affaires dans un coin, tout en rangeant. J’aide la dame âgée à déplacer son stand de petits services plus loin, et je profite de ce moment pour parler avec le monsieur (vendeur de plats de riz). V : ça doit être difficile… B : bien sûr que c’est dur, on vend, mais on n’a même pas assez d’argent pour se soigner…on doit survivre. V : Quelle est la posture des forces de polices envers vos activités ? B : oui, ils le savent, ils savent qu’on est pauvre…Nous avons un document certifiant notre situation financière… V : ce document vous autorise à exercer votre activité ? B : ce n’est pas une autorisation, c’est qu’ils ont de la sympathie, ils comprennent… V : je comprends, ils comprennent la situation, ils ne font que vous rappeler de ne pas sortir sur la rue, et de rester dans les limites… B : il faut bien qu’on travaille, si on ne travaille pas, comment veux tu qu’on vive? V : je suis d’accord.. d’après ce que vous dites, je vois que l’Etat et les policiers sont tout de même compréhensifs de la situation, qu’ils tolèrent… B : oui… V : depuis combien de temps vous exercez ? B : ça fait un bout de temps, une quinzaine d’années déjà… silence… B : notre maison au bout de la ruelle, elle est toute petite…on vit comme des souris dans leur cave…elle fait seulement environ 15m2… V : une dizaine de m2 pour toute la famille ? qui vivent ici ? B : la journée, tout le monde est dehors, on travaille/ on vend, on n’y dort que la nuit… V : vous êtes combien à y dormir la nuit? B : je ne sais même pas, parce qu’ils divisent dans tous les sens, de la chambre du bas et la chambre du haut, certains sont là des fois, des fois ils sont absents…et puis, quand on est trop fatigué, on ne fait pas attention à tout ça, on dort, c’est tout… V : je comprends votre propos, et votre mère dort aussi là bas ? B : oui elle aussi…c’est la vieillle (terme affectif)… V : et la dame là bas ? B : c’est sa fille, et je suis son époux… V : et Monsieur 10, c’est.. B : c’est aussi son fils… silence…. V : et la dame qui vent du thé au lait à côté de votre stand…? B : oui..? V : constatant que votre affaire tourne, elle s’est installée ici ? B : je ne sais pas…je ne fais pas attention V : vous faites pas attention… B : bah oui, elle fait ce qu’elle veut, elle vent ce qu’elle veut… V : elle travaille aussi pour se nourrir et vivre…vous êtes solidaire de ce point de vue.. B : oui… V : comme vous êtes ici à côté d’un magasin d’informatique et des bureaux, et qui vous font des réflexions parfois, par rapport à vos installations, ou que vous gênez en quelque sorte? B : chacun fait ce qu’il veut, il nous laisse faire…
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Entretien avec monsieur Tut Je suis revenu au même endroit vers 22h du soir. Ce n’est pas les mêmes vendeurs. Les installations ont évolués, le mobilier aussi. J’ai eu le geste indélicat d’avoir commencé à prendre quelques photos. Le vendeur s’est tout suite énervé, et ne m’autorisait pas de prendre des photos. J’essaye de lui expliquer, mais le refus est catégorique. Il m’envoie balader. Pas de photos. Je suis retourné sur ma moto au bord du trottoir, et j’ai attendu. Je n’ai pas voulu partir, me résignant à la stricte observation. La tension descendue, je suis allé lui acheter une petite friandise. Il a apparement été mis au courant de mes faits pendant la journée, mais subsistent encore des doutes. Il m’invite alors à m’assoir. J’ai pu lui expliqué dans le calme les raisons de ma présence ici. Je me suis excusé. Dans la volée de notre discussion, j’ai commencé à enregistrer. N : depuis ton enfance, es tu déjà revenu à Saigon, ou c’est ta première fois ? V : plusieurs fois même, tout les deux trois ans…et vous, depuis combien de temps vous êtes ici ? N : depuis que je suis tout petit, V : vous êtes nés à Saigon ? N : oui.. V : et pour la pratique de votre activité ? N : Je pratique ce métier depuis 15 années. V : 15 années…et cet endroit, comment l’avez vous obtenu ? N : depuis longtemps, notre « maison » est ici. La maison de nos parents est ici. Depuis la colonisation, depuis la génération des grand-parents, on est ici. V : je vois… N : si on compte mes enfants, on peut dire qu’on est ici depuis 5 générations. V : 5 générations?! et vous avez toujours pratiqué la même activité ? N : Non non, je fais ça que depuis quelques temps, mais on a fait plein de choses différents, plein de métier.. V : et vous ? vous avez pratiqué quels métiers ? que votre famille a pratiqué, dans cet endroit précis ? N : Ici, bah tu vois, on vend du riz, V : oui, et des boissons, jus de bamboo, des cigarettes.. N : et des coupe-pluies, et le soir, on vend aussi des smoothies, du thé thailandais…on vend aussi du poulet frit… V : du poulet frit ? N : ouii! là bas là… V : ça me semble dur… N : c’est dur mais…bref, c’est comme ça…la société ne s’améliore pas, comment veux tu qu’on s’améliore ? Il y a des gens extrêmement riches, on parle de milliers de milliards…comme Quynh Nhu (il faut se rapporter à l’actualité..?), tu connais ? V : qui est-ce ? N : elle travaille dans la banque, et avant elle était dans l’immobilier…elle prend l’argent d’ici, elle investit là bas, et elle gagne des milliards..tu convertis en Euro…tu vois combien ça fait ? V : beaucoup… N : bref…les monsieurs de L’Etat Vietnamien, ils puent…je te dis la vérité…si ils avaient une idéologie bénéfique pour nous tous, je le suivrai jusqu’au bout…(sa voix baisse)…regardes, la grande majorité des gens, si tu les demandes, ceux qui viennent de Saigon, jamais ils suivront… silence… V : et la maison au bout de la ruelle, vous le louez ? N : la maison…elle est à la vieille… V : à la dame âgée…celle qui vend des cigarettes? N parle avec sa femme et donnes quelques consignes… V : si la police arrivait, elle prendrait tout ça, elle ramasse tout ? N : elle vire! V : ça veut dire quoi « virer » ? ils font comment ? N : elle vire, elle ramasse tout V : donc ils arrivent avec un gros camion, et ils ramassent? N : ouii…ils arrivent…ehh…Auparavant, il y a quelques années, ils venaient, mais maintenant, ils viennent pour rappeler d’abord…mais si ils ne sont pas contents, ils ramassent…c’est tout… V : mais vous négociez avec elles ? N : ça, on le fait à chaque fois, bien sûr qu’on négocie, et ils en font tout une affaire… V : Vous devez les payer parfois ? N : non…la plupart du temps, ils nous demandent de monter là haut (au poste) pour payer une amende, c’est là qu’on paye…et
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si ils ne nous laissent pas payer, bah c’est perdu… V : et l’amende, elle est de l’ordre de..? N : ça dépend, ca dépend de la valeur de l’objet. Par exemple la table ou la chaise… V : et votre stand, ils le prennent ? N : le mobile? depuis que je vend ici, ça ne m’est pas encore arrivé…c’est plus les mobiliers, tables, chaises et parapluies. V : si ils prennent, l’amende doit tourner autour de 100 à 200k dông… N : oui, c’est ça. V : ils prennent donc du mobilier.. N : mais quand tu vends dans le district 1, ils prennent TOUT et ils ne vous laissent pas payer… V : mais je vois dans le district 1, il n’y a plus de vendeurs comme vous, les seuls qui subsistent sont ceux qui sont mobiles…et si ils voient la police, ils courent… N : et si ils arrivent pas à les semer, ils perdent tout! V : c’est pas facile.. N : mais c’est comme ça… petite pause… V : Je m’excuse pour toute à l’heure, j’aurai dû vous demander l’autorisation…je comprends tout à fait votre réaction… N : mais c’est natural, c’est la vie, si il arrivait quelques chose, on doit se défendre nous en premier… V : vous protégez votre gagne-pain… N : et oui…on le protège, tu vois, comme dans les films américains ou autres…et ceux qui vivent dans la jungle, ils vont chasser de la nourriture pour leurs enfants, tigres ou lion…bah on est comme eux. Qui s’attaquent à notre famille, on a pas d’autres choix que de se retourner et se rendre la pareille…mais si on vit paisiblement, alors le monde est en paix…chacun son affaire… Il s’occupe de ses coqs… V : et tout votre stock, les boissons/friandises, où les rangez vous ? N : dans la maison… V : et le mobile ? N : ici. V : vous fermez à clé ? N : évidemment, si on ne ferme pas, on peut venir le voler…
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Bibliographie
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Articles Consultés
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Mémoires -Blackburn, Dany , Le développement d’un système constructif de plancher préfabriqué pour l’habitat urbain de Hanoi, Université Laval, Québec, 2006 -Hiba El Youssoufi, Useless is more, une réflexion autour du recyclage urbain, Ecole Nationale Supérieure de Paris-la-Villete,Paris, 07-2014
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Vidéographie -Gilles Deleuze , Appareils d’Etat et machines de guerre, séance 1 Université Paris-VIII, 6 novembre 1979 https://www.youtube.com/watch?v=az-JR9_GOoA -Willem-Jan Neutelings, Ornement, Identité et Espace public Ecole Nationale Supérieure de Strasbourg https://www.youtube.com/watch?v=uJr7_WjncrA -Sou Foujimoto , Between Nature and Architecture The Architectural League, enregistré le 15 Avril 2014 https://www.youtube.com/watch?v=YPeZ4l1tdjs -David Perrier, Vietnam : les maisons tubes d’Hanoi Arte F, Paris, 27’ http://www.arte.tv/guide/fr/057411-016-A/habiter-le-monde Ressources digitales Ressources de photographies anciennes Vietnamiennes : -http://hinhanhvietnam.com/ca-phe-sai-gon-xua/ -http://news.zing.vn/hang-rong-sai-gon-hon-100-nam-truoc-post442661.html Collection de cartes anciennes Vietnamiennes : -http://virtual-saigon.net/Maps/Collection?pn=7 Bibliothèque de lois et décrets Vietnamines : -http://thuvienphapluat.vn -http://www.luatvietnam.vn/VL/trang-chu/ Photographies et documents de la ville d’Ho Chi Minh actuelle : -http://www.sasaki.com/project/139/thu-thiem-new-urban-area/ -http://phumyhung.com.vn -Toutes les photos sont réalisées personnellement, à l’exception de celle citées çi dessus
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Paul TAN HOANG -Master 2 - Ensaplv -Janvier 2017
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