Il était une fois... Sète et le cinéma (2019)

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Club Sète

Il était une fois...

Sète et le cinéma

Jean Gourguet 1926 - 1928 - 1956 Julien Duvivier 1937 Agnès Varda 1955 Henri Decoin 1957 Christian Jaque 1959 Luis Saslavsky 1959 Philippe Agostini 1963 Claude Sautet 1972 José Giovanni 1974 Bertrand Bouthier 1976 Alexandre Arcady 1988 Tony Gatlif 1990 Jacques Doillon 1990 Nicole Garcia 1990 Philomène Esposito 1991 Bernard Malaterre 1995 - 1998 Olivier Vidal 2001 Abdellatif Kechiche 2007 - 2017 Agnès Varda 2008

Bertrand Blier 2009 Claude Chabrol 2009 Christopher Thompson 2009 Olivier Loustau 2009 Carine Hazan 2009 Claude-Timon Gaignaire 2010 Pierre Salvadori 2010 José Alcala 2011 Gérard Marx 2011 Merzek Allouache 2011 David Roux 2012 Wilfried Meauce 2013 Sandrine Damarais 2013 Damien Manivel 2014 Albane Fioretti 2014 Gérard Corporon 2014 Vanja d’Alcantara 2016 Thierry Klifa 2017 Alice Donard 2017

Du film sonorisé (Jean Gourguet en 1926) à la production Netflix (Alice Douard en 2017), une quarantaine de films ont été tournés, entièrement ou partiellement, à Sète en presque un siècle. Ces œuvres, de qualité forcément inégale, n’ont pas toutes laissé une trace indélébile dans l’histoire du cinéma. Il n’en reste pas moins qu’elles constituent des témoignages forts sur la ville, ses quartiers et leurs coutumes à l’instar du film culte d'Agnès Varda, “La Pointe Courte”. Désormais ce sont les séries télévisées produites par TF1 ou France 2 qui portent la charge émotionnelle que dégage l’île singulière et la lagune de Thau dans les foyers connectés de tous les continents.C’est cette filmographie que la brochure 2019 du Rotary club de Sète passe en revue.



au sommaire Les films tournés à Sète

le mot du président p. 4

Tous les visages, toutes les traditions

Jean Gourguet

p. 8

Une vie vouée au cinéma Regard sur Henri Colpi

p. 13

Agnès Varda

p. 14

La fille favorite; La Pointe Courte; André Lubrano

Jimmy Imperato

p. 20

Acteur malgré lui dans Touche pas à mon copain; Bernard Bouthier

Regard sur Cl-T. Gaignaire

p. 25

Abdellatif Kechiche

p. 26

La Graine et le mulet; Jeanne Corporon; reportage

Regard sur les courts métrages p. 30 G. Corporon; H. Morsly; F. Sadki

L’histoire des cinémas de Sète p. 32 Photographies de C. Mella

p. 36

Téléfilms

p. 39

La Mauvaise réputation; Des Mouettes dans la tête

Les séries télévisées

p. 40

Candice Renoir; Demain nous appartient

Remerciements

p. 43

Sète, l’inspiratrice Le premier club service de l’Hérault a été créé à Sète en 1931. L’ouverture au monde qu’avaient alors les hommes qui faisaient rayonner son négoce dans tout le bassin méditerranéen leur avait inspiré de fonder le Rotary club de Sète. Serait-il audacieux de faire un parallèle entre cette inspiration et celle qui au travers d’un film allait créer un mouvement cinématographique qui marquera toute la deuxième moie tié du XX siècle ? Sète l’inspiratrice ! Le décès d’Agnès Varda, qui a ouvert la voie aux réalisateurs de la Nouvelle Vague avec “La Pointe Courte”, peut nous y autoriser. En tout cas, le fait que depuis 1926 une quarantaine de films ont été tournés dans notre ville où sont désormais installés des studios de tournage permanents pour les séries télévisées, montre qu’il y a ici du grain à moudre pour les réalisateurs. Sans avoir la prétention d’éditer une encyclopédie du cinéma à Sète, notre club a entrepris, avec l’aide de la Société d’études historiques et scientifiques de Sète et du bassin de Thau, de revenir dans la livraison 2019 de sa brochure sur les principaux faits et personnages marquants de cette histoire singulière qui commence avec l’oublié Jean Gourguet et ne se termine pas avec le célèbre Abdellatif Kechiche. Le Rotary club de Sète remercie toutes celles et tous ceux qui lui ont permis de mener à bien cette entreprise soit en lui ouvrant leurs archives soit en achetant de l'espace publicitaire. Car éditer ces pages d’une histoire riche est aussi pour le Rotary club de Sète l'occasion de recueillir des fonds pour mener à bien les actions qu’il a engagées au service des communautés locales et internationales. C’est le moyen pour notre club “d’être l’inspiration” en appliquant la devise du Rotary, “servir d’abord”.

Les actions du Rotary de Sète p. 44

Rotary Club Sète 2019 : Il était une fois… Sète et le cinéma Edition & rédaction Alain Giraudo • Conception et réalisation Marie-Christine Giraudo Impression Flam Editeur-Imprimeur Sète

GILBERT MOINE PRÉSIDENT RC SÈTE 2018-2019

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ÇA TOURNE À SÈTE

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Combien de fictions (films, téléfilms, séries), combien de documentaires (longs ou courts métrages) ont été réalisés à Sète ou sur Sète ? Pour répondre précisément à la question il faudra sans doute qu’un étudiant consacre à cette question un travail doctoral. Dans la compilation de ces œuvres faites par le directeur de Languedoc-Roussillon Cinéma pour une vidéo de promotion de l’Office de Tourisme, trente-quatre œuvres sont citées, fictions de courts et longs métrages, téléfilms et séries confondus. S’y trouvent bien sûr les incontournables, tels “La Pointe courte” (1954) d’Agnès Varda, “Le Feu aux poudres” (1957) d’Henri Decoin, “Babette s’en va-t-en guerre” (1959) de Christian Jaque, “César et Rosalie” (1972) de Claude Sautet, “L’Union sacrée” (1988) d’Alexandre Arcady, “Le petit Criminel ” (1990) de Jacques Doillon, et “La Graine et le Mulet” (2007) d’Abdellatif Kechiche ainsi que tous les titres des films réalisés ces douze dernières années aussi bien pour le cinéma que pour la télévision. Cette longue liste renvoie aussi à des réalisateurs sétois comme Bernard Malaterre (“Des Mouettes dans la tête”), Claude-Timon Gaignaire (“Une Touche de bleu”) et Gérard Corporon, (“Le Dernier trait”). Deux autres Sétois sont néanmoins absents du palmarès : Jean Gourguet (“Les Promesses dangereuses”) et Bernard Bouthier (“Touche pas à mon copain”). Alors que la ville devient un studio à ciel ouvert et qu’il faut consulter quotidiennement les lieux de tournage pour ne pas être piégé dans un embouteillage, la brochure 2019 du Rotary club de Sète s’efforce, sans ambition encyclopédique, de redonner à chacun sa place dans le générique de l’aventure cinématographique sétoise.


Tous les visages, toutes les traditions… En franchissant le seuil d’un immeuble quai Léopold-Suquet, on franchit la Méditerranée. Passée la porte, on se retrouve en effet dans le patio de ce qui aurait pu être la demeure d’un prince arabe. Il aurait besoin d’être restauré mais, en 1937, le négociant en vin qui habitait là y donnait des fêtes somptueuses. Cette touche d’exotisme oriental qu’on retrouvait alors dans maints endroits du port, est-ce la raison pour laquelle Julien Duvivier (18961967) tourna à Sète plusieurs scènes de “Pépé Le Moko” ? L’intrigue (à la faveur d’une liaison avec une demie-mondaine interprétée par Mireille Balin, la police espère faire sortir de la casbah un truand, Jean Gabin, qui s’y est réfugié) est censée se dérouler entre Paris et les bas-fonds d’Alger. Difficile de savoir si le futur réalisateur des “Don Camillo”, né à Lille et travaillant à Paris, connaissait Sète ou y avait des attaches particulières. Ce n’est pas le cas pour Agnès-Varda (1928-2019), qui viendra tourner “La Pointe Courte” en 1954 ni pour Jean Gourguet (1902-1994) qui mettra en scène ses “Promesses dangereuses” entre les quais et le Quartier Haut (1956), ni encore pour Bernard Bouthier dont le “Touche pas à mon copain” (1976) visite toute la ville. Ils ont grandi à Sète comme Claude-Timon Gaignaire (“Une touche de bleu”), Bernard Malaterre (“Des Mouettes dans la tête”) et Gérard Corporon (“Le Dernier trait”). Avec eux, l’île singulière est au cœur sinon le cœur du sujet. Les autres réalisateurs l’ont surtout utilisée comme décor. Sélectionné dans les équipes olympiques de natation en 1908 et 1912, passionné de boxe, chef d’escadrille pendant la Première Guerre, époux de Danielle Darrieux, Henri Decoin (1980-1969) a connu un grand succès avec “Razzia sur la chnouf” quand il commence le tournage de “Le Feu aux poudres” en 1957. Les scènes les plus frappantes de cette affaire de trafic d’armes que cherche à démanteler un policier infiltré se passent dans les caves de Roquefort. Pourtant lorsque Lino Ventura et Charles Vanel sortent de la gare de Sète pour s’engouffrer dans une traction avant Citroën, le “Paul-Bousquet” (ex “Gouverneur Général Lépine”) qui abritera l’école navale jusqu’en 1972 apparaît nettement à l’arrière plan, amarré au quai Maréchal-Joffre. Dans “Babette s’en va-t-en guerre” (1959), Brigitte Bardot monte sur une carriole chargée de bagages et tirée par une mule qui sort au trot de la rue Fondère et évite un camion avec un canon en remorque lorsqu’elle débouche sur le quai de la République transformé en champ de bataille. En face sur le quai d’Orient, il y a encore les grosses grues qui servaient pour décharger les cargos. On est à Sète sans y être. La scène est censée se passer à Douvres où il faisait un temps méditerranéen lorsque la guerre a éclaté, et où il faisait un temps de chien lorsque Christian Jaque (1904-1994) a voulu

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tourner le film. Le réalisateur de “Fanfan la tulipe” était donc venu chercher le soleil à Sète où les artisans locaux furent mis à contribution pour maquiller le port languedocien en port anglais. En règle générale toutefois, le paysage sétois apparaît à “l’état brut” dans les films qui en utilisent le cadre. Entre “Ce corps tant désiré” (1959) tourné par Luis Saslavsky (1903-1995) et “Robin” (2017) tourné par Alice Donard pour Netflix en passant par ”Un week-end sur deux” (1990) de Nicole Garcia ou “Leur Jeunesse” (2012) de David Roux, on voit la gare passer du temps des locomotives à vapeur à celui des TGV. Ni Pierre Salvadori ni José Alcala n’osent imposer aux héroïnes interprétant “De Vrais mensonges” (2010) et “Coup d’éclat” (2011) la montée des 400 marches des escaliers du Mas Rousson. Leur descente offre en revanche une superbe perspective sur le port de commerce. Les ferries marocains qui faisaient encore la ligne Sète-Tanger au début des années 2000 flottent derrière les interprètes de “Bus Palladium” tourné en 2009 par Christopher Thompson, de “Face à la mer” réalisé en 2009 aussi par Olivier Lousteau et de “Suzanne” filmée en 2013 par Wilfried Meauce alors que l’ancien silo à grains n’a pas encore été abattu mais que des centaines de camionnettes surchargées font la queue pour embarquer vers le Maghreb. Des panaches de mouettes accompagnent les chalutiers de retour au port qu’on aperçoit du Cimetière marin où Carine Hazan (“Joyeux anniversaire ma poupée“ - 2009) et Albane Fioretti (“Chaque jour est une petite vie” - 2014) ont posté leurs caméras. Les quais, le môle, le brise-lames, les canaux, les plages, la lagune, les ponts à carcasse métalliques, le Théâtre de la Mer... Parfois, ce n’est pas un décor mais une ambiance qui est recherchée par le réalisateur. Claude Sautet (1924-2000) saisira celles des joutes de la Saint-Louis pour “César et Rosalie” dans lequel une femme est amoureuse à la fois d’un ferrailleur et d’un dessinateur de BD et ne sait lequel choisir. Claude Chabrol (1930-2010) aura lui besoin d’une singularité météorologique, le brouillard que le vent marin dépose sur la ville, pour ajouter du mystère à son “Bellamy” qui raconte l’enquête d’un flic en vacances dans une propriété familiale de la campagne nîmoise. Tous les visages de Sète, toutes ses traditions qui auront été immortalisés dans une quarantaine de films sont ceux et celles du Sète classique, celui du port dans lequel ont grandi Paul Valéry et Georges Brassens, un Sète de cartes postales. Or après les Cévenols, les Italiens, Les Espagnols et les Pieds noirs, une autre immigration a fait souche à Sète, venue du Maroc et d’Algérie essentiellement. Ce n’est pas de ces pays qu’est arrivée la famille d’Abdellatif Kechiche. Il n’y a pas à Sète de restaurant qui serve sa recette tunisienne du couscous au poisson. C’est pourtant avec “La Graine et le Mulet” (2007) que l’île de Thau et ses habitants sont devenus partie intégrante de l’histoire de la cinématographie sétoise. ALAIN GIRAUDO

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Jean Gourguet

Une vie vouée au cinéma

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ue ceux qui ont vu “Les Promesses Dangereu- donnera notamment la réplique à Jean-Paul Belmondo ses“ lèvent la main ! Le film est sorti en salles et Jean-Pierre Cassel. Les Sétois reconnaissent la longue en 1956, un an après “La Pointe Courte” carcasse de Pierre-Jean Vaillard, le fils du secrétaire géd'Agnès Varda. Il a été tourné pour partie dans néral de la ville, qui a entamé une carrière de chansonnier une villa à Meudon et pour partie dans le Quar- et qui tient là le rôle du peu recommandable La Planque. tier Haut à Sète et les rues qui descendent vers les quais. Ils reconnaissent aussi Henri Delpont, le directeur du théLe scénario ? Une bande de jeunes, sous la conduite âtre qui se fait caillasser aux Pierres Blanches. d'un fils de famille, Philippe Marcillac L'auteur du scénario, le dialoguiste, le (Jean-Paul Vignon), sème la pagaille réalisateur et le producteur de ce mélo? dans le Quartier Haut. Philippe s'amuse Un seul et même homme : Jean Gourà faire et à tenir les paris les plus stupiguet que la censure tracasse parce que des. Un soir il organise un “bastringue” son film ne donne pas une bonne image dans une baraquette. Les filles du collède la jeunesse. ge qui ont été invitées ne sont pas au Gourguet ? Il n'y a ni place ni rue ni la rendez-vous. Les garçons payent un traîmoindre impasse ou escalier qui aient ne-savate pour recruter sur le port des été baptisés ainsi à Sète. C'est pourtant filles à matelots. Ces dernières emmèle nom d'une famille de négociants en nent la jeune Marie-Titi (Françoise Vatel) bois exotiques et précieux qui fut prosfille aînée de la nombreuse famille de père avant la guerre de 14-18, nom Cervelle (Rellys), pauvre et honnête remqu'on pouvait encore lire sur le fronton La villa Charmeuse pailleur de chaises. Les garçons veulent d’entrepôts le long des quais avant qu'ils abuser de l'innocente Marie. Philippe fait rue de Montmorency ne soient démolis. Et Jean Gourguet le pari de prendre sa défense et de la s'est éteint en 1994 en laissant une fila vu grandir protéger. Pris au jeu, Philippe tombe mographie ne comportant pas moins le jeune Jean amoureux de Marie-Titi et se met en de quarante-deux œuvres (courts, tête de l'épouser. Mais le père de Phimoyens et longs métrages mélangés), lippe (Andrex) et surtout la mort du rempailleur ruineront dont trois tournées à Sète. ce projet. Philippe ira à Paris poursuivre ses études et Pourtant il faut aller au Samedi de l'histoire de la Société Marie-Titi restera à Sète pour veiller sur sa fratrie. d'études historiques de Sète pour entendre évoquer son La distribution ? Les critiques remarquent les débuts à nom. Et il faut retrouver sur Internet la trace de sa fille l'écran de Françoise Vatel à peine âgée de 16 ans qui pour attraper le fil de son histoire. Voici donc ce que ratournera ensuite avec Claude Chabrol et Luc Moulet conte Geneviève Costovici-Gourguet. avant de se consacrer à la radio et au théâtre où elle Jean Gourguet est né en 1902, dans l'appartement d'une

© Photos archives Geneviève Costivici

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Scénariste, dialoguiste, réalisateur, producteur, exploitant de salle, telle a été la vie de Jean Gourguet. Du muet au parlant, du noir et blanc au technicolor, des longs au courts métrages c’est quarante-deux films tournés. Et quand il s’arrète c’est pour programmer les plus belles productions d’art et d’essai dans sa salle de l’Escurial.


© Photos DR

Deux films tournés à Sète : L’Escale (1930) premier long métrage de Jean Gourguet est un film muet sonorisé; Les Promesses Dangereuses (1956) aux scènes un peu osées a frôlé la censure. de ses tantes, avenue Victor-Hugo. C'est le second fils de Henri et Marie (Moulin) qui habitent une belle maison dans le prolongement de la rue Montmorency, la Villa Charmeuse, avec deux ailes et une tourelle pointue. La famille est apparentée aux négociants Dugrip. Le petit Jean découvre le cinéma en même temps que les premières salles obscures font leur apparition à Cette. Il découvre ce que deviendra sa vie. Puis la guerre éclate. Henri Gourguet qui a d'abord été réformé en raison de son âge est finalement mobilisé dans la défense passive. Il est cantonné à la Ferté-sous-Jouare (Seine-et-Marne) où il est affecté à la surveillance des voies ferrées à l'arrière du front. Son épouse supporte mal cette séparation. En

© Extrait Midi Libre

“L’Escale” de Robert Enrico

juin 1915, elle décide de louer un petit appartement à Paris où elle s'installe avec Jean, André, le fils aîné, restant à Sète chez une tante pour suivre sa scolarité. La Villa Charmeuse est fermée. Jean qui a commencé à fréquenter le collège de Sète quelques mois auparavant est inscrit au lycée Henri-IV, dans le quartier Latin, renommé pour l'excellence de la formation qui y est dispensée. Dans cette fabrique de l'élite française, les dilettantes n'ont pas leur place. Jean qui passe plus de temps dans les salles obscures que dans les salles d'études fait le désespoir de sa mère quand la porte du prestigieux établissement de la rue Clovis lui est fermée.

Le premier long métrage de Jean Gourguet avait pour cadre le port de Sète et s’appelait “L’Escale”. C’est également le titre d’un court métrage que Robert Enrico (1931-2001) réalisa en 1981. La Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) avait besoin d’un support de communication pour le port dont elle était alors le gestionnaire. Son président, Claude Bonfils, eu l’audace de faire appel à celui qui avait fait un triomphe avec “Le Vieux Fusil” (1976) et qui venait de terminer “Coup de Pouce” (1980) toujours avec son acteur fétiche Philippe Noiret. L’histoire est mince : un navigateur (rôle tenu par un employé de la capitainerie) qui fait escale à Sète écrit des cartes postales à sa famille. Elle est le prétexte à montrer toutes les facettes du port où il y a encore des barriques sur le quai François-Maillol mais qui est en train de s’adapter aux nouvelles contraintes du transport maritime. Après cette “pige” (qui n’est pas mentionnée dans toutes ses filmographies), Robert Enrico s’en alla tourner “Au nom de tous les miens” qui fût un autre immense succès.

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Désespoir de courte durée. La vie normale, celle d'avant guerre, semble devoir reprendre son cours. En 1917, Henri est affecté à Sète. La Villa Charmeuse est rouverte. Jean se retrouve au collège de Sète qui occupe l'ancien couvent des Ursulines, les salles de classe ayant été transformées en hôpital. La Grande Guerre terminée, Henri Gourguet constate que le négoce de bois précieux n'est plus rentable. L'affaire est liquidée. La Villa Charmeuse est vendue. La famille part chercher fortune à Agen. Jean n'y reste pas très longtemps. Sa vie, n'en déplaise à ses proches, c'est le spectacle, les lumières. Le revoilà à Paris, sans le sou. Il lui faut gagner sa vie. Son brin de plume et sa connaissance du cinéma lui permettent de se faire engager d'abord comme reporter pigiste à “Paris-Midi” puis comme rédacteur au “Journal”. Le fils de bourgeois de province se frotte ainsi à un monde qu'il découvre, celui des petites gens, des miséreux, des prolétaires, des abonnés aux bancs de la correctionnelle. Jean Gourguet en est marqué à vie. Les faits divers plus ou moins sordides qu'il est amené à relater dans les journaux seront la matière première de ses scénarios. Parce qu'il n'a pas renoncé à raconter ses histoires. Il le fait d'abord pour le théâtre. Il signe Rem de Bandi des pièces qu'il met en scène et joue, avec une petite troupe qu'il a créé, au théâtre Saint-Georges dans le IXe arron-

dissement. Le succès populaire est au rendez-vous. Les critiques eux sont partagés : œuvres d'un maître pour les uns, d'un farceur pour les autres. Qu'importe à Jean Gourguet puisque cela lui permet d'approcher de son but, faire un premier film. Il achète une petite caméra 35 mm, la Eyemo fabriquée par Bell & Howell, qui a la particularité d'avoir une bobine de 30 m, parfaite pour des images documentaires. En 1928, Jean Gourguet parvient ainsi a présenter “Un Rayon de Soleil”, court métrage dont Paris est le sujet et la vedette, en faisant preuve de beaucoup d'astuce pour tenir le maigre budget dont il dispose. L'accueil fait à ce premier travail est plutôt favorable. Si bien qu'il peut envisager de passer à la vitesse supérieure. Il débarque donc à Sète en 1929 pour tourner “L'Escale”. Il est accompagné de René Ferté qui a déjà tourné dans trois films de Jean Epstein, de Jenny Luxeuil qui a été vue dans “Trois Jeunes filles nues” de Robert Boudrioz et “Cagliostro” de Richard Oswald et de Ginette Maddie qui elle a été au générique de 15 films parmi lesquels “Innondation” de Louis Delluc. Un homme encore jeune et séduisant, une jeune femme et une femme d'âge mur : ces trois personnages forment le temps d'une escale fortuite un triangle amoureux dont passion et déchirement ont pour décor la ville-port où a grandi Jean Gourguet. Le “Marius” de Marcel Pagnol n'est encore qu'une pièce

Geneviève, pseudo Zizi vie d'artiste. Geneviève devient Mme Costovici, donne naissance à trois enfants puis devient grandmère. Elle n'en veut pas à son père de ne pas lui avoir donné sa chance auprès de René Clément. Elle s'efforce au contraire de faire sortir son œuvre des limbes cinématographiques dans lesquelles elle attend la reconnaissance.

© Photos DR

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rôle magistralement aux côtés de Blanchette Brunoy, Jane Marken, Grégoire Aslan, André Le Gall, Clarieux, Helena Manson, Peres, Génin. René Clément demande à Jean Gourguet, dont il a été l'assistant, de pouvoir faire jouer la petite Zizi dans “Jeux Interdits”. Jean Gourguet s'y oppose farouchement. Le rôle Jean Gourguet a rencontré caméra de “Jeux d'Enfant ”, Michelle Darvaux sur le un court métrage. Quand elle va à Brigitte Fossey dont la ressemblance avec Geneviève tournage de “Jeanne de a dix ans, Geneviève Bourgogne” en 1940. Il en apparaît, sous le pseudonyme est frappante. La petite Zizi devient Zizi tombe éperdument amoureux, de la petite Zizi, pour la Saint-Clair dans “La Fille divorce et l'épouse quelques neuvième fois au générique Perdue” que tourne son père mois plus tard. De cette union d'un film de son père dans en 1953. C'est sa dernière naît à Paris en 1942 une fille “Le Secret d'une Mère”. qui sera prénommée C'est un mélo dans lequel une prestation devant les caméras. L'enfant actrice tourne Geneviève, comme la fillette subit la colère d'un la page, difficilement mais première fille de Jean décédée homme qui a découvert peu définitivement. Même avec d'une leucémie à 18 mois. après son veuvage que sa la bénédiction de son père cette Le bébé est blonde, souriante femme le trompait et qui fois, elle refuse de rejoindre la et surtout photogénique. Jean doute de sa paternité. Le classe de Georges Chamarat Gourguet la sort du berceau scénario a été spécialement pour la mettre devant la écrit pour elle. Et elle tient son au Conservatoire. Finie, la


Les “Promesses Dangereuses” et ses acteurs : Rellys, Françoise Vatel, Andrex. “L’Affaire Coquelet” ou un certain Tino Rossi tient son premier rôle. Gaby Morlay est la vedette de “Son dernier rôle” de Jean Gourguet. de théâtre. Pourquoi “L'Escale”, qui contient tous les in- sionnels côtoyant des talents reconnus ou en devenir. grédients du succès promis à Pagnol, n'en serait-il pas Y-a-t-il là les prémices du néo-réalisme italien ou de la un de succès ? Le cinéma parlant en est à ses balbutie- Nouvelle Vague ? ments. Jean Gourguet choisit un procédé de sonorisation Ce n'est pas avec les films de Jean Gourguet que les hisanglais parmi la soixantaine qui sont sur le marché. Lit-il toriens du cinéma datent les premiers symptômes de mal la notice ? Le procédé est-il inadéquat ? Le son de ces courants cinématographiques. Sans doute a-t-il eu le “L'Escale” est exécrable. Le film ne sort qu'en 1930. L'af- tort d'avoir osé trop tôt réaliser à l'économie, snober la fiche dans le style constructiviste russe ne parvient pas à technique, montrer un sein ou cadrer sans éclairage artiremplir les salles de projection. ficiel. Après le dernier tour de manivelle Après ce bouillon, Jean Gourguet par- Jean Gourguet invente de “La traversée de la Loire” (1961), il vient malgré tout à rebondir, toujours comprend qu'être un honnête artisan ne dans son cinéma brûlant de la même passion pour le sepsuffit pas. l’Escurial à Paris tième art. En 1934, il donne dans “L'AfCertes Hollywood serait prêt à l'accueillir, faire Coquelet” son premier rôle à la formule la “Dernière mais il ne veut pas sacrifier sa liberté sur l'écran à un jeune chanteur, Tino Rossi l'autel des productions américaines. Il se séance” qui a inspiré consacre donc pendant les vingt années (le film a disparu). Lors de l'Exposition Universelle de 1937, quatre de ses qui suivent à l'exploitation de L'Escurial, Eddy Mitchell courts métrages sont récompensés dont la salle de cinéma du Boulevard Port“Vivent les Vacances” qui reçoit la médaille d'or. En 1941, Royal (XIIIe arrondissement) qu'il a acheté en 1951. Il il est autorisé à aller tourner “Le Moussaillon” à Marseille. donne à voir le cinéma des autres pour le plus grand Pour “Malaria” en 1943, il transforme un studio en une bonheur des cinéphiles. Pour ces fous du cinéma, il injungle humide. En 1945, Gaby Morlay est la vedette de vente la formule de la “Dernière Séance” dont Eddy Mitchell s'est inspiré par la suite. “Son Dernier Rôle” aux côtés de Dalio et Jean Tissier. Après guerre, les réalisateurs continuent à faire ce qu'ils En 1981, il cède l'exploitation à une jeune équipe mais il faisaient avant guerre. Jean Gourguet pense qu'il est ne s'éloigne pas de l'Escurial. Jusqu'à sa mort en 1994, il temps de s'affranchir des studios. Ses mélos, puisque habite dans le petit appartement de fonction de la fac'est le genre qu'il affectionne désormais, sont tournés meuse salle d'art et d'essai. A.G. dans des décors naturels avec des acteurs non profes-

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Regard sur…

HENRI COLPI

© Photos DR

Henri Colpi est né en Suisse en 1921. A dix ans il arrive à Sète où il est hébergé par son frère aîné qui vient d’acheter l’Odéon, place Delille. Il fait la connaissance de Georges Brassens avec lequel il se lie d’amitié et fréquente les cinémas de la rue HonoréEuzet. Puis il fait des études de lettres à Montpellier avant de “monter” à Paris suivre les cours de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC). En 1945, il filme en 8 mm avec la caméra empruntée à un voisin le cortège funéraire qui conduit la dépouille de Paul Valéry au Cimetière Marin. Ce sont les seules images animées de l’enterrement du poète. Ce sont aussi les seules que réalisera Henri Colpi à Sète, où il trouve pourtant des interprètes comme Moni Grégo (pour la série “Bergeval et fils” de 1977). Après avoir été monteur pour Varda (“La Pointe Courte”, “Du Côté de la côte”), Clouzot (“Le Mystère Picasso”), Resnais (“Hiroshima, mon amour”, “L’Année dernière à Marienbad”) et même Chaplin (“Un Roi à New York”), il entame en effet une carrière de réalisateur par un coup de maître : “Une Aussi longue absence” dont le scénario est écrit par Marguerite Duras, obtient la Palme d’Or du festival de Cannes en 1961. L’année suivante, il tourne “Codine”, un obscur drame sentimental qui a pour cadre les méandres du Danube en Roumanie. En 1967, Henri Colpi fait appel à Marina Vlady et Claude Rich pour “Mona, l’étoile sans nom”, improbable coup de foudre lors de l’apparition d’un nouvel astre dans le ciel de Roumanie. Henri Colpi renoue avec le succès grâce à “Heureux qui comme Ulysse”, dans lequel Fernandel joue son dernier rôle et pour lequel il a écrit les paroles de la chanson éponyme interprétée par son copain Georges Brassens. Le film fait près d’un million de spectateurs. En 1972, “L’Île mystérieuse”, qu’il réalise avec Juan Antonio Barden, est son dernier long métrage. Henri Colpi se consacre ensuite à la télévision et au montage. Il joue aussi dans deux films de Francis Girod (“L’Enfance de l’art” et “Lacenaire”). Henri Colpi meurt en 2006. Il est enterré non loin de Paul Valéry au Cimetière Marin. En juin 2011, ses quatre films ainsi que “Le Mystère Picasso” qu’il avait monté pour Henri-Georges Clouzot sont projetés en plein air deux nuits durant pendant la Semaine du Cinéma. A.G.

En tant que réalisateur, Henri Colpi a dirigé nombre d’acteurs de renom : Alida Valli et Georges Wilson pour “Une Aussi longue absence”, Fernandel dans “Heureux qui comme Ulysse” ou encore Omar Sharif dans “Lîle mystérieuse”.

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Agnès Varda

© Photo Cécile Mella

La fille favorite

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Entre Varda et Sète c’est une relation étroite qui commence en 1940 et qui comme dans une saga s’est enchaînée année après année. De la venue à Sète de la petite Agnés et presque jusqu’à son décès, les grandes étapes de sa vie ont été ponctuées par des séjours sur cette île singulière qu’elle avait appris à mieux connaître et aimer en tournant “La Pointe Courte”, et là aussi qu’elle fut adoptée.

’une des dernières visites officielles d’Agnès Varda à Sète a eu lieu fin août 2017. Elle était l’invitée d’honneur de la Saint-Louis. L’affiche de la 275e édition du tournoi de joutes avait été confiée à Christophe Vallot, qui avait déjà dessiné l’affiche “Les plages d’Agnès”. L’illustrateur affubla tous les gaillards postés sur les traverses des bigues de la coiffure au bol bicolore de la réalisatrice qui, portant elle un maillot marin, balançait espièglement les jambes, assise sur la tintaine. A l’annonce de son décès, le 29 mars 2019, l’émotion a été vive dans la ville où la journée du 2 avril a été consacrée à la projection de tous ses films. Et il y a eu foule, le soir venu, sur le quai du Mistral pour assister à la projection de “La Pointe Courte”. C’est que les liens entre Sète et Agnès Varda sont singuliers. Il faut d’abord qu’un de ses oncles ait habité ici et que la Seconde Guerre mondiale éclate. Sans ce funeste caprice du destin, il est peu probable que la famille Varda aurait fuit la Belgique pour se réfugier à Sète. Et sans cela, il est certain que la petite Agnès ne serait pas aller en classe au lycée Victor-Hugo et qu’elle ne serait pas devenue copine avec les filles Schlegel. Or l’une d’elles, Andrée, va épouser Jean Vilar, le fils de la mercière de la rue Gambetta, qui sera bientôt à la tête du Festival d’Avignon et du Théâtre national populaire du palais de Chaillot. Les fils du destin continuent ainsi de tisser leur trame : la

petite Agnès n’a pas beaucoup grandi mais a fait des études de photographie, et Vilar cherche un photographe pour immortaliser les spectacles qu’il monte dans la cour du palais des Papes. Or parmi les acteurs que met en scène Vilar, il n’y a pas que des célébrités comme Gérard Philippe, il y a des “petits jeunes” comme Philippe Noiret et Sylvia Montfort. Qu’est-ce qu’ont vraiment envie de faire de jeunes acteurs au début des années 50 ? Tenter leur chance au cinéma, pardi ! Et pour cela ils sont prêts à tous les sacrifices, même tourner pour des clopinettes, même jouer avec une réalisatrice novice. ça tombe bien pour Agnès Varda, elle aussi a envie de faire du cinéma mais elle n’a aucune expérience et elle n’a pas un sou vaillant. Heureusement elle a bien des amis à Sète. Voilà donc tout ce petit monde à la PointeCourte, Noiret, coiffé comme un doge vénitien, l’air un peu benêt, Monfort, corsetée, raide, l’air vraiment frigide, tous les deux empêtrés dans une histoire d’amour agonisante avec tout autour la frénésie de vrais gens qui ont de vraies vies avec de vraies joies et de vrais drames, cette bizarre peuplade de pêcheurs de l’étang que la ligne de chemin de fer a assigné là à résidence, comme des Peaux-Rouges dans une réserve d’indiens. Tout cela donne un objet cinématographique non identifié, ni documentaire, ni fiction, entre bricolage et esthétisme. Ce que, comme par hasard, attendent vaguement


les critiques qui aspirent à un courant d’air frais. Ce qui ne fâchent pas les Pointus qui, même un peu désappointés de s’entendre parler avec l’accent parisien, ne se sentent pas trahis. Voilà Agnès Varda totémisée. Elle mène sa vie, se marie avec Jacques Demy. Elle part vivre à l’autre bout du monde ou à Paris, elle est couronnée dans les plus grands festivals, elle milite pour le droit des femmes. Quand elle revient à Sète, ce qu’elle fait fréquemment, on la fête. Son nom est inscrit sur la plaque de la traverse entre celles des Jouteurs et des Rameurs, puis au fronton d’une école aux Métairies. La presse locale rapporte religieusement chacun de ses passages. Et il y en a : en 2007 elle tourne “Les Plages

d’Agnès” ; en 2009 elle installe au CRAC “La mer etsetera” ; en 2011 elle expose au musée Paul-Valéry, et Arte la suit “De ci de là” chez son ami André Lubrano et le peintre Pierre Soulages ; en 2012 elle expose ses photos de Jean Vilar pour le centenaire de la naissance du créateur du Festival d’Avignon ; en 2017 elle présente au Sun Sète Festival “Visages Villages”, le travail qu’elle a fait avec le photographe JR, puis elle est l’invitée d’honneur, « invitée d’amitié » dit-elle, des fêtes de la SaintLouis... Agnès Varda avait adopté Sète, avait été fidèle à sa singularité. Et Sète en a fait une de ses enfants favorites. ALAIN GIRAUDO

© Photos DR

Avec une pointe de culot

A l’occasion du cinquantième anniversaire de la sortie du film “La Pointe Courte”, “Midi Libre” a publié dans ses éditions du 29 et 30 août 2004 les souvenirs qu’avait de ce tournage Agnès Varda. En voici de larges extraits. Oui, il y a exactement 50 ans que j’ai tourné mon premier film dans ce quartier célèbre à Sète [la Pointe Courte] qui a donné son titre au film. Quelle aventure ! Et quel culot j’avais de me lancer dans un long métrage sans aucune expérience sauf de photographe ! Justement j’avais pris des photos à la Pointe, les quais, le linge, les filets, le goudron, le grand voilier échoué, les barques et surtout les pêcheurs et leur famille. J’avais fait amitié avec les Lubrano, les Jouet, les Moles, je les avaient écouté parler de leurs histoires mais surtout des difficultés administratives de la pêche à la palourde, tracas des gendarmes qui essayaient de les prendre sur le fait, pêche saisie, etc, etc. Une situation bien injuste. J’avais écrit un scénario, préparé de petits dessins et

puis avec très peu d’argent prêté, vraiment très peu, on a loué du matériel et l’équipe du film a été vite composée avec des débutants (...). Tous étaient très jeunes, sauf le chef opérateur, Louis Stein, le “vieux”, il avait 35 ans. C’est Jean-Pierre Bonfils, de Sète, 24 ans, en congé sans solde, qui assurait les contacts avec la mairie, les administrations pour les autorisations, tout ça (j’avais connu sa famille quand la mienne s’est réfugiée à Sète en 1940). Il avait convaincu le général de la subdivision militaire de Montpellier de nous envoyer gratis, un groupe électrogène à condition qu’on nourrisse les militaires qui l’apportaient. C’était pour éclairer l’intérieur de la grande coque échouée vers les chantiers et Léopold Suquet – qui ne savait pas trop à qui appartenait ce bateau – avait

donné la permission qu’on y tourne ! A la Pointe même, ils nous voyaient arriver à 7h30 et travailler en plein soleil, sans sieste, jusqu’à tard le soir. Ils nous avaient adoptés. Les Pointus ont joué des rôles, vaguement inspiré de leurs vraies aventures, nous permettant de tourner dans leurs maisons ou dans les cabanes et sur leurs barques, avec générosité et bonne humeur. Il y avait le vieux Lubrano et sa femme un peu « oublieuse ». J’aimais beaucoup Louis, pêcheur (...). J’ai parfois épluché des légumes avec l’une ou l’autre des femmes de pêcheurs : partager les travaux ménagers facilite la conversation. Nenette Jouet, qui faisait son poids, était la plus bavarde et elle me donnait beaucoup d’idée de dialogues, de conversations. Il y avait la jeune émilie Banégas, et puis la Birbe, comme

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on disait, rebaptisée la Cormacci, avec son petit facteur de mari et ses sept ou huit enfants. Quand on est venu chez elle pour bien tout préparer la veille du tournage, on a vu un coiffeur qu’elle avait convoqué pour couper les cheveux de son mari et de tous ses enfants. Et moi, j’ai dû discuter pour la convaincre qu’il fallait au contraire qu’ils aient l’air naturels et pas apprêtés. J’étais arrivée à temps (...). À part les autochtones, il y avaient deux vrais acteurs : Philippe Noiret qui avait 25 ans et dont c’était le premier film, et Sylvia Montfort, qui avait déjà un nom au cinéma. Je les avais connus au festival d’Avignon (...). Tous deux avaient accepté de travailler “en participation risquée”, comme ceux de l’équipe, c’est-àdire pas payés, et vivant dans des

conditions difficiles, tous entassés dans une villa louée à La Peyrade (c’était moins cher qu’à Sète). On mangeait tous ensemble le soir, tout se faisait à l’économie. On avait quand même dépensé 350 000 F pour une 2CV d’occasion qui permettait aussi de faire certains travellings. Bref la production artisanale était tout le contraire de ce que les gens imaginent du cinéma. Premier jour de tournage, le mercredi 11 août. J’ai décidé de commencer par les scènes les plus difficiles, c’est-à-dire celles chez la Cormacci, avec les enfants. Un plan devait traverser toute la maison, découvrant les enfants grouillant autour et sous la table et plus loin, un petit malade couché dans une caissette. Plus loin encore, on ressortait de la maison pour découvrir l’enclos.

Dans une autre scène un docteur venait voir le petit. C’était étienne Schlegel, qui avait sa boutique de meubles sur le quai de Bosc (et père de trois filles qui étaient mes amies). Et quand le petit était (soi-disant) mort, il fallait que la Cormacci pleure (...). Courageusement, la Birbe a pressé des oignons dans ses yeux, et là, oui, elle a pleuré (...). C’est le lundi 23 août 1954 qu’on a tourné les grandes joutes. Quel monde ! La veille on avait filmé les jeunes jouteurs et le lendemain, pour pouvoir faire des plans de près, des “raccords”, avec Noiret et Monfort en train de regarder les joutes, il y a encore eu des joutes à la Pointe avec l’aide d’Albert Lubrano, de la Lance Sportive, et de M. Ricciardi (...). Le 11 septembre on a tourné le banquet des jouteurs avec l’un d’eux qui chantait "“Gardez vous de vieillir” (…) Ce qui se passait autour de juillet 1954 (...) c’était le temps d’autres événements plus importants qu’un film. Mais quelle passion nous animait pour réaliser, c’est bien le mot, le film qui me tenait à cœur dans un quartier dont j’avais appris à aimer les habitants. L’année suivante (...), nous sommes venus présenter le film au Colisée, séance pour les Pointus en priorité. Ils riaient, ils se reconnaissaient les uns les autres, ils pensaient que le film aurait été mieux sans les deux acteurs (…).

Le premier son de cloche d’un immense carillon

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(…) De la photographie au cinéma il n'y a qu'un pas. Ce pas, Mme Agnès Varda l'a franchi allègrement cet été. Passant ses vacances à Sète, elle a réalisé un film dont elle est à la fois l'auteur, le réalisateur et, pour une bonne part, je crois, le commanditaire. Ce film, qui s'appelle “La Pointe courte”, se déroule dans un quartier de pêcheurs, en bordure de l'étang de Thau. Ces pêcheurs, Mme Agnès Varda nous les décrits avec un humour et une tendresse qui ne sont pas sans rappeler la manière du bon M. Hulot. Son film sent le coquillage et le goudron, le bois fraîchement équarri et la lessive séchée au mistral... Toute cette partie est une réussite. L'auteur nous fait part également des déboires conjugaux d'un couple parisien en vacances à la Pointe courte : avec ses tours et ses détours, cette seconde intrigue m'est apparue surtout comme un témoignage savoureux de l'introspection au bord de la mer (...). La Pointe courte nous prouve que pour la génération à

laquelle appartient Mme Varda le cinéma est devenu un moyen d'expression au même titre que la plume et le pinceau. Ce moyen d'expression est malheureusement fort coûteux, et c'est pourquoi, à de rares exceptions près, il demeure affaire de spécialistes. Nous sommes encore au temps des mandarins. Il n'est pas interdit cependant d'espérer que, la télévision aidant, tous ces jeunes talents réduits au silence trouveront un jour l'occasion de se manifester (…). Le cinéma ne sera plus seulement une lourde machine à fabriquer du divertissement, mais un miroir où se refléteront les tempéraments et les styles les plus divers. (…) Nous n'en sommes pas encore là ! Mais je songeais à cet avenir tandis que se déroulait le film de Mme Varda. Premier ouvrage d'une jeune femme de talent, la Pointe courte est également le premier son de cloche d'un immense carillon. Critique du “Monde” 9 juin 1955


© Archives Midi Libre

ANDRÉ LUBRANO

© Photos DR

Le petit garçon qui a mangé tout le raisin La photo a été publiée dans “Midi Libre” sous le bandeau “1954-2004 souvenirs de tournage”. Elle a été faite un demi-siècle auparavant pendant les prises de vues de “La Pointe Courte”. Le petit garçon en bas à droite, mains sur les cuisses, pieds nus, est alors âgé de 8 ans. André Lubrano en a neuf fois plus. Dans son bureau, au Parlement de la mer, l’ancien talonneur de l’AS Béziers sélectionné dans le XV de France, l’ancien double vainqueur de la SaintLouis, l’ancien barreur de la barque rouge, l’ancien conseiller municipal et premier-adjoint au maire, le retraité de la marine et toujours conseiller régional, André Lubrano donc, tout juste décoré de la Légion d’Honneur, se souvient. Au second rang, derrière lui, c’est son père, Albert. Au début du film, il passe devant un type qu’il ne connaît pas et qui est donc forcément un agent de l’hygiène. Il entre dans la maison et demande à son fils d’aller prévenir l’oncle que la police est là. Albert est mort avant que le film ne sorte. L’homme à la casquette à côté d’Albert, c’est son beaufrère, Jules Jouet. Et à côté de lui c’est Nénette, sa femme et sœur d’Albert, qui joue le rôle de la mère de la fiancée de Raphaël. Ensuite il y a les enfants de Jules et Nénette, les cousins Albert, Henri, Michèle et Marcel. Marcel a un rôle impor-

tant, il interprète Raphaël, le pêcheur que la police envoie en correctionnelle et que le père de sa fiancée, une fille Banégas, ne veut plus qu’il voit, le jouteur qui gagne le tournoi de la Saint-Louis et qui acquiert le statut de gloire locale (ce que Marcel sera effectivement comme jouteur puis comme barreur). Au premier rang, les cinq à gauche, ne sont pas dans le film : au bout Alexandre Lubrano, frère d’Albert et sa femme Carmen, qui tient dans les bras son fils Serge, puis Paulette et un autre frère d’Albert, Louis, qui est très ami avec Agnès Varda. La fillette avec la frange c’est Claudie qui est sur les genoux de sa mère Paulette. A côté, en débardeur, Louis Lubrano. Louisou dans le film. On le voit dans une scène où trois pêcheurs “rémandent” des filets dans une cabane en bois noir et discutent de la situation sanitaire de l’étang. Enfin les grands parents Lubrano, Dominique, sabots au pieds, feutre noir sur la tête et pipe au bec, le trieur d’oursin, et à côté, Henriette-Victoria, sa taciturne épouse qui est surnommée “l’oublieuse”. Et au bout le petit Dédé. Dans le film, Dédé va porter le “pet” en croquant dans une grappe de raisin. Il a fallu plusieurs prises avant qu’Agnès Varda soit satisfaite. Dédé a donc fini par manger tout le raisin et la scène a pu être bouclée avec une grappe d’une autre couleur. La ribambelle d’enfants des

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PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN GIRAUDO

© Photo DR © Photo Jean-Loup Gautreau © Photo DR

Birbe ont aussi été victimes du perfectionnisme de la réalisatrice : ils ont dû ingurgiter plâtrées de pâtes sur plâtrées de pâtes avant que la scène du repas familial ne soit dans la boîte. André Lubrano se souvient que les prises de vue du tournoi de joutes ont été faites dans le Cadre Royal et dans le canal de la Pointe. Qui a remarqué que les barques ne sont pas les mêmes et que le mistral “boulègue” celles de la Pointe ? Pendant cette séquence, le regard se porte plutôt sur Guy Mole, Francis Ricciardi ou Louis Michel, futur président du FC Sète. André Lubrano se souvient que les barques n’avaient pas de moteur et que pour aller caler et relever les filets, tout se faisait à la rame. André Lubrano se souvient qu’en ce temps-là, les Pointus n’étaient pas malheureux. L’étang était généreux mais les eaux noires (entre les pointes du Barrou et de Balaruc), prétendument insalubres, étaient interdites à la pêche. Il y avait donc ce jeu de cache-cache permanent entre les Pointus et les gendarmes. Les gosses faisaient le guet. Ils criaient “Gare ! Gare !” quand les contrôleurs arrivaient. Tout cela, André Lubrano l’affirme, Agnès Varda l’avait parfaitement intégré lorsqu’elle était venue faire des photos et se faire des amis à la Pointe, comme elle avait intégré le lien social que créent les joutes entre toutes les catégories de la population sétoise. Elle a pu ensuite saisir avec sa caméra la réalité sociologique sinon ethnologique d’une époque révolue. Il n’y avait pas l’eau courante à la Pointe, juste deux fontaines sur le quai du Mistral et de grosses citernes accrochées aux toits.Il n’y avait pas d’échangeur pour franchir la voie ferrée ; pour entrer et sortir de la Pointe, il fallait emprunter un passage à niveau. Il n’y avait pas de voiture, tout le monde vivait dehors, partageant bonheurs et chagrins. Il n’y avait pas d’assainissement, tout partait dans le canal; la station d’épuration qu’évoquent les remailleurs ne verra le jour que plusieurs années après grâce à une coopérative de pêcheurs. Il n’y avait pas de route le long du port, juste un sentier qui serpentait entre les filets qui séchaient (et qui sèchent toujours) sur les bigues. Et les gamins allaient faire toutes les conneries que font les gamins dans la carcasse de la grosse balancelle abandonnée qui servira aussi de refuge à Noiret et Monfort. Bref on n’était pas malheureux. Que reste-t-il de tout cela ? Quatre ou cinq pêcheurs. Une cabane en bois, celle où a été tournée la scène du remaillage des filets. Des images. Les souvenirs aussi qu’André Lubrano accumule dans la cabane familiale réaménagée - pavois, lances, tableaux de son grand-père maternel Honoré Roques, illustration de Robert Combas, photos d’Agnès Varda. Elles lui tiennent à cœur ces images. Car après avoir été très liée à Louis Lubrano, Agnès Varda s’était rapproché d’André qu’elle visitait à chacun de ses passages à Sète. Il était le guide auquel, d’autorité, elle confiait des amis en visite comme le photographe JR.

André Lubrano, en haut, revoit avec émotion le film dans lequel il avait tourné enfant. Le pot de l’amitié, au milieu, à la Pointe avec Agnès Varda. Ci-dessus, de gauche à droite, André Lubrano, Guy Molle, Francis Ricciardi (qui ont tous joué dans “La Pointe courte”) Olivier Rojas (président de la Lance sportive sétoise qui n’est pas Pointu) Jeannine Fernet, Pierrette Jouet (femme de Marcel Jouet qui tient le rôle de Raphaël), et Agnès Varda présentant l’affiche de la Saint Louis 2017.

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Jimmy Imparato

Acteur malgré lui

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Jimmy Imparato, à droite, avec Christian Cucurullo, copains dans la vie et dans le film.

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es vieux Sétois se souviennent sans doute du magasin Jimmy Sport qui avait son enseigne 11, rue Honoré-Euzet. Il était tenu (forcément pourrait-on écrire) par Jimmy. Jimmy, qui était enregistré à l'état civil sous le prénom de JeanMichel, appartenait à une famille arrivée du Sud de l'Italie à la fin des années 1800, la famille Imparato. Son grandpère avait alors deux bateaux de pêche, son père avait ensuite tenu deux cafés, dont l'Odéon, place Delille. Lui, il n'aimait pas trop le service de bar ; après le bac et l'armée, il s'était donc lancé dans le commerce après une brève tentative dans l'informatique. Bref Jimmy Imparato, quand il ne vendait pas des baskets,

des ballons, des raquettes, des skis ou des survêtements observait ce qui se passait dans la rue. C'est comme ça qu'il remarqua un homme attablé au Colibri, le bar en face la Caisse d'épargne. « Il avait les cheveux longs, barbu, pas épais, il était habillé artiste. Il regardait les gens sans rien faire. » Un jour le bonhomme a traversé la rue et il a posé quelques questions. Puis le lendemain, il a recommencé. Que cherchait-il ? La réponse n'a pas tardé. Le bonhomme s'appelait Bernard Bouthier. Il réalisait des documentaires pour la télévision mais là il voulait faire un « vrai film », à Sète, avec des Sétois, l'histoire d'une petite bande de copains. Bernard Bouthier pensait que Jimmy pourrait tenir un rôle dans ce film, celui de Gustave, un petit trafiquant. Est-ce que cela l'intéressait ? Jimmy avait 34 ans, pourquoi cela ne l'aurait-il pas intéressé ? D'autant que Bernard Bouthier envisageait de recruter deux copains, Christian Cucurullo, un ostréïculteur fils d'un restaurateur de la Consigne, pour le personnage d'Antoine, l'assureur grassouillet, et Pierre Pascal, le fils du greffier du tribunal, pour le personnage de Gérard, le journaliste dragueur. Celui-ci ne donnera finalement pas suite et sera remplacé par le Montpelliérain Jean-Louis Blenet. Le quatrième viendra de Paris, Claude Ventura, un peu acteur, un peu documentariste, un collègue de Bouthier, qui sera Jean, le musicien désabusé. Un jour capricieux de mars, Jimmy se souvient de tout cela devant une bourride généreusement servie par Fred dans le restaurant de la Consigne où nous a convié Gérard Réthoré*. Il a bonne mémoire, Jimmy. Comment a-t-il fait l'acteur ? Bernard Bouthier a loué un appartement sur le quai Docteur Scheydt, en face le commissariat. Là pendant deux mois, à raison de trois réunions par semaine, l'équipe va s'imprégner du scénario et apprendre les dialogues. Le tournage ? Une quarantaine de jours, en septembreoctobre. Bernard Bouthier n'était pas dur avec ses acteurs, les mettait à l'aise, ne criait pas. Il acceptait les expressions sétoises dans les dialogues pour qu'ils sonnent juste. Tout s'est passé sans incident. Le temps était particulièrement beau, ce qui a permis de prendre les bains de nuit dans le canal et la mer sans se geler.

© Photo archives Jean-Michel Imparato

Comment un jeune commerçant sétois devient un des acteurs principaux de “Touche pas à mon copain” ? C’est l’histoire d’une rencontre de Bernard Bouthier, le réalisateur, avec Jean-Michel Imparato, dit Jimmy, et quelques autres Sètois qui a permis à ce film de sortir sur les écrans…


Les lieux de tournage ? Au coin des rues dans le Quartier Haut bien sûr puisque c'est là que Jean a son appartement. Les scènes de la vie quotidienne, enfants pieds nus dans le caniveau sale, linge qui sèche aux fenêtres, forcent le trait sur la réalité d'une époque qui était un peu moins misérabiliste. Le bar où se rencontre les amis s'inspire sans doute du Social, il a été entièrement reconstitué dans une salle de l'ancien lycée professionnel à côté de la chapelle du quartier Haut. Douze jours de tournage ont eu lieu dans ce décor. La caméra a aussi été posée dans les anciens locaux du Parti communiste au-dessus de l'Esplanade transformés en salle d'exposition, au Boucanier une boîte de nuit (disparue) du quai Aspirant-Herber, sous le sémaphore qui n'est pas encore cerné de barbelés, sur une plage entre Marseillan et le Cap d'Agde (c'est le cascadeur Jean-Marc Allègre qui règle la scène de bagarre), dans

la garrigue des collines de Poussan où ne tournent pas encore d'éoliennes, à la pointe du Barrou qui abrite toujours un chantier naval et les cabanes de pêche des Sétois modestes. La première scène du film a été tournée au Kalinka (où se trouve approximativement aujourd'hui La Ola), établissement de plage qui n'a pas encore été détruit par la tempête de 1982. Gérard, Antoine et Gustave draguent lourdement deux jeunes filles qui viennent acheter des glaces. Ils se font vertement houspiller par une “bourgeoise”. La bourgeoise en question n'est autre que l'épouse de Jimmy, Dominique. Le garçon qu'elle tient par la main aurait pu être leur fils mais il était trop jeune pour le rôle finalement dévolu au petit Blanc. Bernard Bouthier qui avait caché jusqu'au dernier moment le nom de son actrice avait été impressionné par le caractère bien trémpé de Dominique qui a travaillé à la Poste jusqu'à sa retraite.

© Archives Midi LIbre

Bernard Bouthier, l'oublié Bernard Bouthier figure dans les registres de l'état civil de Sète en date du 6 juin 1944. Monté à Paris en 1965, il débute dans la critique de télévision avant de devenir réalisateur puis producteur de télévision. Il a été le directeur de la société Ego Productions de1998 à 2012. Il a surtout réalisé des documentaires et des fictions et produit des magazines, avec Pascale Breugnot, pendant une trentaine d'année pour Antenne 2 et TF1. Après des débuts dans le « reportage scénarisé », Bernard Bouthier a tourné “Le Temps de la Timidité” (1968), pour Harris et Sédouy, travail qui le fera se pencher de façon récurrente sur le monde de l'adolescence

et les rêves de jeunesse. Il a ainsi mis en scène cette mythologie en abordant le cinéma : ce sera “Touche pas à mon copain”, coproduit par la S.F.P., et présenté en 1976 au Festival de Cannes dans la section Perspectives. Il a réaliséle film dans le décor naturel de Sète où il aurait passé une partie de son enfance et serait revenu à la faveur d'un reportage sur le monde viticole. Il fallait sans doute regarder “Voici la fin mon bel ami”, tourné lui à Nantes, essai nostalgique sur « le temps des adultes » co-écrit avec Claude Fléouter et diffusé dans

la série Cinéma 16 de FR3 quelques mois seulement après la sortie sur les écrans de “Touche pas à mon copain” pour aller au bout du propos. Est-ce pour cela que le film, pourtant récompensé par le prix GeorgesSadoul, est tombé dans l'oubli à Sète ? Ou parce qu'une fois passée l’excitation de reconnaître des gens et des lieux, le réalisme des images d'un port fatigué jusqu'à l'épuisement par des années de « municipalisme » communiste étaient insupportables ? Ou parce que les diffuseurs déprogrammèrent le film sans sommation pour passer à la place “L'Aile ou la cuisse” de Claude Zidi avec Louis de Funès et Coluche ?

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Trois amis âgés d'une trentaine d'années vivent sans enthousiasme, passant facilement de la gravité inquiète à la farce puérile. Antoine qui souffre d’embonpoint tente de placer des assurances et de séduire une femme maigre et mariée, Gérard qui ne parvient pas à finir un roman pisse de la copie pour le journal local et Gustave qui traficote sur le port travaille dans une vague maison d'import-export. Un de leurs copains, Jean, revient à Sète pour l'enterrement de sa mère après une absence de sept ans, sept ans dont il ne veut rien dévoiler ni à ses encombrantes vieilles tantes ni à ses amis qu'il retrouve au café comme autrefois. Il reste muet sur sa carrière de musicien et sur sa vie avec Catherine,“montée” à Paris avec lui. Jean semble décidé à rester à Sète et il commence par travailler au port puis est engagé comme peintre-décorateur. En accompagnant Gérard qui fait un reportage dans une maison d'enfants handicapés, Jean fait la connaissance de Suzanne, une des éducatrices. Jean partage alors son temps entre ses petits travaux, Suzanne et ses copains. éméchés à force d'avoir trompé leur ennui au café, la bande se retrouve une nuit à barboter dans le Cadre Royal après les joutes. Jean et Suzanne tentent de voir clair en eux, mais ils se rendent compte qu'ils sont incapables d'assumer l'autre. Un soir, dans une boîte de nuit, Antoine provoque une bagarre. Les quatre amis se retrouvent « cabossés » sur la plage au petit matin. Le lendemain, Jean reçoit un coup de téléphone: il doit être à l'arrivée du train de Paris. Ses copains guettent sa sortie de la gare et le voient partir en tenant la main d'un petit garçon: le fils qu'il a eu avec Catherine.

© Photo archives Jean-Michel Imperato

LE SCRIPT DE “TOUCHE PAS à MON COPAIN”

Critique de Claire Devarrieux dans “Le Monde” du 13 mai 1977 Ils sont quatre à vouloir noyer ce qui leur reste d'adolescence, à ne pas vouloir vieillir, à vouloir partir, à ne pas vouloir se quitter, à vouloir trouver la femme qu'ils aimeraient toujours, à fuir la femme qui les aimerait trop (...). Quatre types. Ils ont peut-être trente ans, vivent à Sète, se retrouvent autour du pastis, des filles, des barques la nuit, des paquebots le jour, des vieilles illusions à perdre. Bernard Bouthier a réussi cet éternel portrait nostalgique. Il a trouvé un ton juste dont la qualité est en grande partie due aux acteurs : interprètes non professionnels (tous), ils ont une conviction un peu gauche qui renforce le réalisme immédiat, aussi bien qu'il permet sa recréation poétique, par glissements et légers décalages.

Ce sont, par exemple, les deux vieilles tantes (pareilles, à force d'âge) s'affairant autour de Jean qui vient de perdre sa mère. Attentif Bernard Bouthier s'attarde sur chacune des figures qu'il a choisies - Jean, Antoine, Gérard, Gustave, - qui sont Claude Ventura, Christian Cucurullo, Jean-Louis Blenet et Jean-Michel Imparato. Entre eux, il élabore avec finesse le réseau des amitiés d'enfance. A priori, il n'y a pas là de quoi tout à fait séduire :

rien de vraiment neuf dans ce prix GeorgesSadoul 1976. La musique, envahissante, est dans chaque séquence aussi prévisible que le danger dans un film policier - même si ce n'est pas si simple, même si elle peut introduire une certaine relativité dans le dialogue ou l'image. Bien sûr, ce n'est pas cet agacement qui survit au film. Mais ce n'est pas non plus l'émotion qui persiste. On oublie trop vite les quatre personnages. Ce qui compte, c'est cette exactitude très particulière avec laquelle Bernard Bouthier restitue certains éléments de la vie en province. Sans doute parce qu'il est lui-même Sétois, il a construit son scénario autour des verbes “partir” et “revenir” (...).


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Page de gauche, Bernard Bouthier dirigeant la scène dans la garrigue et, ci-dessus, Claude Ventura et Sandrine Finck sur les quais de Sète. Ci-contre, les deux adolescentes et Dominique, la femme de Jimmy, dans la séquence sur la plage. La dernière scène du film est un travelling à 360° sur le prototype de Sétois des années encore heureuses. parvis et le pont de la gare encombrés de voitures. La Bernard Bouthier ? Jimmy a fait appel à lui une fois pluR16, dans laquelle s'engouffrent Gérard, Gustave et An- sieurs années après la sortie du film. Sa fille Aude venait toine pour rattraper sur le pont Jean et son fils débarqué de terminer des études de cinéma et cherchait un stage. de Paris, appartenait à Jimmy. Le réalisateur lui a ouvert les portes de France Télévision L'histoire de Jean-Michel Imparato acteur se terminerait- où elle fera carrière pendant onze ans avant de revenir elle, comme le film dans lequel il a joué, ouverte à tous vivre à Sète où elle a conseillé les meilleures lectures aux les possibles ? clients de l'Echappée Belle. Depuis ils n'ont pas eu de Possibilité du succès. Le film tourné en 1975 sort en salle contact. en 1976. Quand il est “monté” à Paris pour voir le résultat Christian Cucurullo ? Parti trop tôt. du montage, Jimmy a bien aimé mais il ne s'est pas Jean-Louis Blenet ? Pris de passion pour l'occitan et trouvé très bon, plutôt “emprunté”, ne reconnaissant milite pour le développement des calandrettes. pas sa voix. Pour autant le film est assez Sandrine Finck, qui interprétait l'athléJamais après cette apprécié par la critique parisienne (voir tique et blonde Suzanne ? Elle a tenu l'article paru dans “Le Monde”) et par un magasin de jouets éducatifs dans le parenthèse les Sétois qui se bousculent lors de sa vieux Montpellier, avant d'être maquilsortie (voir la coupure de “Midi Libre”). cinématographique l’idée leuse à l'Opéra, de défendre les interde faire l’acteur n’a Il se voit décerner le prix Georges-Samittents du spectacle puis de disparaître doul qui récompense une première œudes radars. effleuré Jimmy vre et il est présenté au Festival de Avec tout cela, Jimmy peut continuer Cannes dans “Perspectives cinéma français” en même de chambrer gentiment sa petite sœur, Danielle. Lui, il a temps que “Comment ça va ?” d'un certain... Jean-Luc fait du cinéma. Elle, elle avait menacé de se suicider si Godard. leurs parents ne la laissait pas devenir actrice. Les parents Possibilité de changer de vie. Jimmy est un bon com- l'avaient donc inscrite dans un cours parisien prestigieux. mercial sans aimer le commerce. Il songe à vendre son Et elle a fait carrière sur les planches de la capitale mais fonds. Pour faire acteur ? Cela ne le tente pas. Sa vocation n'était pas encore apparue à la télévision ni au cinéma c'est la représentation. Il diffusera des marques de sports quand son frère fut mis au générique de “Touche pas à dans tout le Sud de la France jusqu'à sa retraite, faisant mon copain” Ce n'est que plus tard qu'elle figurera dans plus de deux fois le tour de la Terre par an au volant de des séries télévisées puis en 1996 dans le téléfilm de sa voiture pour visiter ses clients. Bernard Malaterre, “Des Mouettes dans la Tête”. Possibilité de souvenirs. Son expérience d’acteur dans le ALAIN GIRAUDO film “Touche pas à mon copain” a été une parenthèse * C’est Gérard Réthoré qui a sorti de l’oubli le film “Touche pas à mon copain” ponctuée de points de suspension dans la vie de ce pur et qui a retrouvé Jimmy Imparato et l’a convaincu de raconter son expérience.

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Regard sur…

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CLAUDE-TIMON GAIGNAIRE

entièrement réalisé à Sète et alentours, entre 1969 et 1971, avec une caméra 16 mm fournie par la Ville. Le film reste inachevé par manque de moyens. Le négatif ayant été miraculeusement retrouvé dans les souterrains des laboratoires Éclair, les images anciennes sont intégrées dans une re-création tournée en partenariat avec l'INA en 1984: ce sera “L’Enfant des dunes”, où Moni Grégo traquée par les caméras, est confrontée au personnage, entre réel et imaginaire, qu’elle a été une quinzaine d’années auparavant. Dans “Une Touche de Bleue”, cette fois Ne pas confondre Claude Gaignaire, la vedette féminine n’est pas Moni Grégo, grand reporter d'Antenne 2 et réalisateur mais sa mère, Lolette Miniana-Grégogna. de documentaires sur les États-Unis, et Celle-ci interprète une grand-mère, Claude-Timon Gaignaire, le réalisateur veuve de pêcheur, personnage de sétois dont le travail a pour épicentre tragédie antique, qui est obsédée par Sète, le Bassin de Thau et plus largement la disparition de son petit-fils et qui l'espace imaginaire Méditerranéen. entraîne dans ses obsessions un Dans son œuvre, on retient surtout inspecteur lyonnais au bout du rouleau. “Les Enfants du diable” , présenté à Ce polar labyrinthique part d’un fait-divers Cannes dans la sélection de l'ACID, réel, le triple meurtre du motel à histoire (s’inspirant de celle de son père) l’embouchure du canal de Sète au Rhône. d’un instituteur laïque affecté au début L’action se passe ensuite sur les canaux, de la Seconde Guerre mondiale dans les ponts, le site de Lafarge, l’anse et les un hameau perdu de Lozère où il doit grottes de l’Anau, et un obscur « bar à faire face aux passions intimes en même filles » où se cachent, entouré par ses deux temps qu’à celles de l'Histoire. filles « gardes du corps », jouées par Moni Dans la distribution, parmi de nombreux Grégo et Linda Barbera, un parrain de la « acteurs naturels », il y a un docker sétois, pègre italo-sétoise, interprété par le père Gérard Pradilles, colosse qui incarne le maire du village, au côtés de Jean-Pierre Aumont, François Négret et Moni Grégo, dramaturge, auteure et actrice, qui tient ici le rôle de l'amante parpaillote et résistante que le maire catholique a abandonnée pour épouser une femme possédant des terres. Moni Grégo, alors compagne du réalisateur et qui est la fille aînée du peintre René-François Grégogna, a été le personnage central de son premier film de fiction, “La Jeune fille aux étangs”

de Claude. Le film a été présenté dans la section Perspectives du Cinéma Français au Festival de Cannes 1988. Tous les critiques ont souligné que Sète y tenait en fait le rôle principal et vénéneux... La filmographie de Claude-Timon Gaignaire, qu’il a construit patiemment à l’écart des circuits standardisés, comporte en outre plusieurs documentaires, dont le premier sur les pêcheurs-paysans de Sérignan et les immigrés italiens qui s’installaient dans des paillotes le long des plages de Valras, “Les Paysages du temps” (1981), un autre sur les thoniers sétois d'origine italienne et leur mémoire, “La Stratégie du thon”, plusieurs fois diffusé par FR3 en Région et au National. Claude-Timon Gaignaire a utilisé ce matériau pour écrire le scénario d’une fiction. En attendant de trouver les fonds pour tourner ce drame, Claude-Timon Gaignaire, retraité du spectacle en pleine activité, termine en 2019 un longmétrage documentaire, “Camargue, la terre à fleur de mer”, troisième volet après “La Terre des artifices” et “Femmes de Camargue” d’un travail en profondeur sur le modelage du delta du Rhône par la main de l’homme, retrouvant ainsi les univers lagunaires de sa première fiction. A.G.

Moni Grégo dans le film bien nommé “Une Touche de bleu”, un sombre polar où elle joue le rôle de garde du corps de son père mafieu.

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Abdellatif Kechiche

La gloire pour un couscous perdu

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le Sète de la vague d’immigration qui a suivi celle des Italiens et des Pieds Noirs, Sète de l’île de Thau, un Sète qui parfois dérange. Avec la matière première qu’il y a trouvé Abdellatif Kechiche a néanmoins fait un film, primé à Venise et aux Oscars, qui a été classé comme le meilleur français de la première décennie du XXIe siècle par les “Cahiers du Cinéma”, un film qui a échappé à la découpe pour être vendu aux chaînes de télévision. Le patron du distributeur Pathé, Jérôme Seydoux (qui aura d’autres démélés avec le réalisateur) avait en effet trouvé le film Abdellatif Kechiche l’a avoué : il ne trop long et ennuyeux et voulait le pensait pas à Sète comme lieu de destiner au petit écran. Il changea d’avis tournage de “La Graine et le mulet”, film quand le jury de la Mostra de Venise qu’il avait en tête de longues années 2007 accorda le prix Marcelloavant de le réaliser, l’annonçant même Mastroianni (meilleur espoir) à Hafsia dans une scène de “La Faute à Voltaire” Herzi.“La Graine et le mulet” était lancé : sorti en 2000. Sans l’insistance de son près de 900 000 spectateurs achèteront producteur Claude Berri, il aurait sans un billet pour regarder une interminable doute pris un autre port méditerranéen, danse du ventre et un vol de mobylette. Marseille peut-être, comme toile de fond Sète a accueilli Abdellatif Kechiche a à l’histoire de ce vieux travailleur tunisien bras ouverts quand il est revenu en 2016 qui mobilise toutes ses familles pour tourner “Mektoub, my Love : Canto tenter de servir du couscous au poisson Uno” sur la vie amoureuse d’un apprenti sur un chalutier désarmé. Mais Claude scénariste qui revient passer ses Berri a insisté, et Sète s’est imposé. vacances dans le port où ses parents Pas le Sète des dépliants touristiques, tiennent un restaurant tunisien.


I

JEANNE CORPORON

Banquière , un rôle à sa mesure

l y a des acteurs qui ont la tête de l’emploi. s’arrête. Des semaines et des semaines passent. Sans Est-ce que Jeanne Corporon a une tête de nouvelle. Puis le téléphone sonne. Les répétitions rebanquière ? Franchement ce n’est le rôle que prennent avec un autre comédien. Et le tournage comje lui confierais si je devais faire un film sur le mence. crédit et la finance ; je la verrais plutôt, aé- Les scènes à la banque, dans un bureau du siège du rienne et féline, en danseuse étoile. Elle est pourtant Crédit Maritime, sont bouclées rapidement. Jeanne criante de vérité en fondée de pouvoir du Crédit Maritime connaît son texte, elle le dit comme il se doit, sèchement, sodomisant les diptères pour ne pas accorder un prêt au sans changer une virgule. Il n’y a pas d’Oscar pour les chômeur qui tente d’ouvrir un restaurant de couscous salopes, il aurait fallu le créer pour cette banquière là. sur un vieux rafiot. A tel point qu’au Le tournage sur le bateau lui n’en finit début du tournage de “La Graine et Venue du théâtre amateur, pas. En fin d’après-midi, on se retrouve le Mulet”, ses partenaires l’identifiaient dans les loges dans un local de la place Jeanne Corporon à ce personnage peu sympathique et Delille qui est depuis devenu une bous’impose en banquière lui faisaient la gueule. cherie halal. Costume, maquillage, répéComment Abdellatif Kechiche l’a-t-il impitoyable dans le film titions. Puis on se retrouve dans le bateau, repérée pour ce rôle ? Jeanne Corpode Kéchiche qui lance une ancienne péniche amarrée au quai ron ne se souvient plus précisément d’Orient qui est arrivée nue de Barcelone sa carrière d’actrice comment elle a su que le réalisateur et qui a été habillée avec des découpes cherchait des figurants. Le casting avait lieu dans l’ancien de wagons. Et là, Kechiche laisse tourner la caméra. bowling du Barrou. Elle y est allé « comme ça » avec Une prise, deux prises, trois prises... Il cherche, tâtonne, pour tout bagage ses années de théâtre amateur. On l’a essaie encore. Il ne s’arrêterait pas. Il le faut. On va manger mise devant une caméra et on l’a fait parler, elle a bougé sous le grand barnum qui a été dressé dans l’enceinte aussi. Kechiche a visionné les rushes et il a changé le du port de commerce. Puis on recommence. scénario : c’était un homme qui devait tenir le rôle, ce La longue attente du couscous, la longue et langoureuse sera une femme, ce sera Jeanne. danse du ventre. Là, Jeanne est à la table officielle, avec Commencent alors les répétitions dans l’ancienne Bras- les notables, et il faut forcément improviser, broder autour serie Alsacienne, qui est le QG du réalisateur. L’acteur d’un fil conducteur, faire vrai, ne pas laisser de blanc. tunisien qui lui donne la réplique meurt subitement. Tout Cela dure parfois jusqu’à 4 heures du matin. Et on

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recommence comme ça tous les jours pendant presque un mois. Un mois, cela laisse le temps de changer le regard des autres, de se faire des amis, Henri Cohen, par exemple, qui interprète un adjoint du maire. Un mois, cela rend aussi nerveux les producteurs, ceux qui signent les chèques. Kechiche ne veut rien lâcher, il se fâche avec Claude Berri. Il s’obstine, ne cède rien. Le film finit par sortir (2007). Le distributeur n’y croit pas. Les critiques adorent. Les récompenses pleuvent, Venise, Cannes, Oscars. A 50 ans, Jeanne Corporon, fille de l’ancien directeur des théâtres de Sète, Henri Delpont, ex-gérante de l’hôtel Valéry, a entamé une carrière au cinéma. On la voit en femme de truand dans “L’Avocat” de Cédric Anger (2011)

et en banquière (encore une fois) dans “Le Dernier Trait” de Gérard Corporon (2014). Reste que le courant est passé avec Kechiche. Elle apprécie l’homme, passionné, obsessionnel, fidèle. Il lui a promis un rôle dans un prochain film. Elle sera une grande bourgeoise blanche dans “Venus Noire” (2010). Elle joue aussi dans “Mektoub 2” qui devait être présenté à Cannes en 2019, la suite de “Mektoub my Love : Canto Uno”. Double titre de fierté pour Jeanne Corporon : Kechiche avait prévu de tourner cette « série » dans les environs de Marseille, mais quand, à son invitation, il est venu au Sun Sète Festival, il s’est dit qu’il ne pouvait pas filmer ailleurs qu’à Sète. ALAIN GIRAUDO

Durant le tournage Abdellatif Kechiche a rencontré le même accueil chaleureux et la même complicité avec les Sétois qu’avait connu Agnès Varda cinquante ans auparavant.

Jérémie Couston à la rencontre des personnages du film Deux ans après la sortie de “La Graine et le mulet” et son énorme succès (16 prix et 8 nominations), le magazine “Télérama” a envoyé à Sète un de ses journalistes amateur de coucous au poisson, Jérémie Couston. Il a été déçu de ne pas trouver ce plat tunisien qui donne son titre au film. En revanche il a apprécié la rencontre avec les Sétois qui ont joué dans le film. Voilà ce qu'il a écrit.

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La manière dont Kechiche s'est approprié la ville de Sète (43 000 habitants) fait davantage penser au premier film d'Agnès Varda, “La Pointe courte” (...). Plus d'un demi-siècle sépare les deux films, mais d'Agnès à Abdel, on retrouve la même générosité, le même sens du partage. Pas étonnant que la population ait adhéré sans réserve au nouveau projet du réalisateur de “L'Esquive”. Quand Abdellatif Kechiche présente son scénario à la mairie de Sète, début 2005, il trouve tout de suite une oreille attentive. Le maire, François

Commeinhes (UMP), voit dans l'histoire de ce vieil ouvrier au chômage qui se lance, avec l'aide de sa famille, dans la restauration « un bel exemple d'intégration ». « J'y ai été d'autant plus sensible, ajoute l'édile, les yeux humides, qu'en 1960 j'aidais ma mère à faire des sandwichs sur le port pour les rapatriés de Tunisie. » Avant de confier qu'il a mis au monde (il est obstétricien) deux des enfants qui jouent dans “La Graine et le Mulet”. La municipalité apporte donc toute l'aide logistique nécessaire (...). Entre les repérages, les répétitions et le

tournage, Kechiche et son équipe sont restés plus d'un an sur place. Dès le départ, le projet a remporté l'adhésion des Sétois. Tout le mérite en revient à la méthode Kechiche : pour filmer local, recruter local. Si les deux rôles principaux sont tenus par des acteurs non sétois (Habib Boufares est niçois, Hafsia Herzi est marseillaise), une bonne partie des seconds rôles et la grande majorité des cent soixante-trois figurants ont été recrutés parmi la population sétoise. (...) Même Claude, le SDF à qui l'on apporte dans le film “l'assiette du pauvre”, est


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bien connu des Sétois. Il est tous les jours sur le port, où il propose aux touristes de leur imiter le cri de la mouette ou du rat mort en échange d'un euro... Leila D'Issernio a aussi saisi sa chance. Cette brunette de 43 ans, d'origine tunisienne, n'avait aucune expérience dans le cinéma avant d'obtenir le rôle de Lilia, l'une des filles du patriarche qui se rêve en roi du couscous (...). Mariée à un restaurateur sétois pour l'amour duquel elle a lâché son poste de secrétaire de direction à Valence, la plantureuse Leila n'avait jamais songé être actrice. Depuis qu'elle a goûté au métier, elle se contente de « surfer sur la vague », sans plan de carrière. Elle a désormais un agent et vient de tourner un court et un moyen métrage (“Bon Vent”, de MarieSophie Ahmadi, et “Sitting”, de Frédéric Dubreuil) (...). Elle a vu le film près de quinze fois et, à chaque fois, elle pleure. En longeant le quai d'Orient, où la péniche blanc et rouge a longtemps stationné après le tournage avant d'être mise en pièces faute d'acquéreur, on aperçoit la façade du bar-hôtel de l'Orient, tenu dans le film par la nouvelle compagne de Slimane - et dans la réalité par Lucien Cyprès (...). La trentaine pimpante, Nadia Taoul a elle aussi porté une double casquette. « En allant chercher ma mère au casting, on m'a demandé de faire un essai. Au départ, c'était pour un tout petit rôle mais au fur et à mesure des répétitions, il a pris de la consistance. Et puis Abdel a fini par me confier également un poste d'assistante mise en scène. » Nadia et sa mère Khadidja sont des figures incontournables de l'île de Thau, l'insolite ZUP sétoise érigée sur une

langue de terre face à l'étang du même nom, où ont été tournées la fameuse scène du repas et la course-poursuite en mobylette qui clôt le film. Les Taoul ont le verbe haut et le cœur sur la main. Khadidja partage son temps entre médiation sociale et Secours populaire. Nadia élève ses trois enfants. Elle garde en mémoire l'été 1989 où, tout juste adolescente, elle a assisté, au pied de son immeuble, au tournage d'une scène du “Petit Criminel”,de Jacques Doillon. Et elle peut parler pendant des heures de la cité « des Arabes et des Gitans ». On y trouve autant de paraboles et de linge aux fenêtres qu'aux Franmoisins à

d'animateur pour se consacrer à pleintemps au cinéma. Il a participé à quatre longs métrages dont “Un Secret”, de Claude Miller, et “Les Randonneurs à Saint-Tropez”, de Philippe Harel, où il a servi de chauffeur à Benoît Poelvoorde. Nouvel exemple d'« intégration » réussie, selon la formule municipale, Kader, qui vit toujours à Sète, est sollicité par le cabinet du maire pour « dynamiser les échanges » entre l'île de Thau et le centreville. Comme par exemple de permettre à une centaine d'habitants de la ZUP d'aller voir le cirque de Tanger, en représentation au Théâtre Molière, dans le centre (...). Interrogé sur la représentation peu glorieuse des notables dans le film et sur la fin pour le moins pessimiste, le maire récuse tout soupçon de racisme antifrançais et objecte que le film a rassemblé plus de deux mille spectateurs en un mois d'exploitation (soit un Sétois sur vingt, environ deux à trois fois plus qu'un film habituel sur la même Saint-Denis (où a été tourné période). “L'Esquive”), sauf qu'ici il y a des barques Pour François Commeinhes, arabe ou de pêche devant les cages d'escaliers. Reste pas, « ouvrir un restaurant ou obtenir un que si les habitants de Thau ont les pieds prêt à la banque est un véritable dans l'eau, cela n'en demeure pas moins parcours du combattant, à Sète comme une cité, avec des problèmes de cité. partout en France ». Inutile de Kader Boulaga en sait quelque chose. polémiquer... en tout cas sur ce point. Animateur à la maison de quartier de Car, pour ce qui est de la véracité l'île de Thau, ce jeune Sétois de 29 ans culinaire, c'est autre chose ! a été contacté pour servir de lien entre Les fans du film d'Abdellatif Kechiche, les habitants du quartier et l'équipe de magnifique synthèse de Pagnol et de Kechiche (...). Pialat, savent-ils qu'ils n'auront aucune L'implication de Kader est telle qu'il chance de venir déguster un couscous au finit par être engagé comme régisseur poisson sur le port de Sète ? La spécialité stagiaire. Après cette aventure sociale locale, c'est la tielle, une tourte au poulpe inédite, le régisseur général, Benjamin et à la tomate. Réalisme, jusqu'à un Hesse, lui propose de continuer avec lui. certain point... Kader lâche alors son travail J.C.

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Regard sur les réalisateurs de courts métrages… GÉRARD CORPORON, de la projection à la réalisation

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Gérard Corporon est né à Sète quelques mois après qu’Agnès Varda y avait tourné " La Pointe Courte ". Il n’y a sans doute pas de relation de cause à effet entre les deux événements, la vie de Gérard Corporon n’en sera pas moins dédiée au cinéma. Il est projectionniste au Palace et au Comœdia avant de faire son service militaire au Cinéma des armées à Châteauroux. Puis il intègre le service de communication de Sète, branche audiovisuel. Festivités, traditions, sports, culture, santé, politique, traités sous forme de reportages, de publicités, de clips ou de teasers, pendant une quarantaine d’années il nourrit d’images animées la mémoire de la ville. Immortaliser tournoi de la Saint-Louis après tournoi de la SaintLouis, cela ne fait pas de vous un réalisateur de fiction. Toutefois, quand le désir existe, il ne manque alors qu’un élément déclencheur. Ce sera l’amitié que le couple Corporon noue avec Henri Cohen pendant le tournage de “La Graine et le mulet”. “Sous le regard de Rimbaud” (2013), drame passionnel alambiqué, sert au trio de galop d’essai. La mue est faite, le cameraman devient réalisateur. D’ailleurs il a une histoire à raconter : un drame, celui d’un patron pêcheur qui vient d’obtenir un prêt pour moderniser son bateau alors que le poisson bleu disparaît et que le gas-oil augmente et qui périt lorsque casse le câble du chalut, coincé par une épave. Une histoire qui se révèle être celle du père d’un membre de l’équipage du canot de sauvetage, Bruno Liguori, le président de la caisse du Crédit Maritime.

En l’apprenant de la bouche de l’intéressé, Gérard Corporon a un doute. Peut-il faire resurgir du passé les chagrins anciens de son ami ? Bruno Liguori ne s’y oppose pas. Le film se fera donc en hommage à cet homme qui a péri en mer, son père Thomas. Encore faut-il que les Affaires maritimes donnent l’autorisation à un chalutier de sortir pêcher en mer un week-end. Le papier arrive le vendredi après-midi. Dans la nuit qui suit, le “Gaëtane 2”, prêté par Pierre d’Acunto pour le tournage, prend la mer. Elle est calme, la mer. La pêche est bonne. Rien ni personne ne vient contrarier le tournage, sinon les hauts le cœur que provoquent les odeurs de gas-oil et de poisson. Le vieux chalutier en bois rentrera au port empanaché de mouettes qui n’attendaient pas pareille aubaine le jour du Seigneur. Les quelque 500 kg de poissons remontés par le chalut sont stockés à la criée. Le produit de la vente ira au canot de sauvetage. Gérard Corporon en garde un souvenir heureux. D’autant que son court métrage qui fait ressentir physiquement la dureté et les dangers du métier de pêcheur est très bien accueilli. Henri Cohen est parfait dans le rôle du patron pêcheur. Les cinéphiles apprécient notamment une “citation”. Comme dans “La Graine et le mulet”, Jeanne Corporon joue le rôle d’une banquière. Et c’est dans le même bureau, au siège du Crédit Maritime, et avec les mêmes vêtements que dans le film d’Abdellatif Kechiche que cette fois elle accorde le crédit demandé par le pêcheur. Bref “Le Dernier Trait” (2014) est présenté dans de nombreux festivals et est primé plusieurs fois. Son deuxième court métrage, “D’une Rive à l’autre” (2018) qui met en scène un conchyliculteur qui veut venir en aide à des immigrés clandestins, est encore plus apprécié, il obtiendra huit récompenses dans les Festivals où il est présenté. Le troisième a un titre, “Cheyenne” (nom d’un bateau de petit métier), et un scénario (un bénévole de la société de sauvetage en mer quitte une soirée d’anniversaire pour partir secourir un bateau signalé à la dérive qui s’avère vide). Il reste à boucler le financement du projet (un compte a été ouvert sur la cagnotte en ligne Leetchi) pour que le tournage commence. A.G.


HÉLÈNE MORSLY, de la tradition au quotidien J’ai fait la connaissance d’Hélène Morsly à Toulouse en 2001 à l’occasion d’une improbable et éphémère aventure éditoriale dans la quelle s’était lancé la direction du “Monde” pour en découdre avec “La Dépêche”. Les hasards de la vie ont fait que nous nous sommes, retrouvés trois ou quatre ans plus tard, à Sète où elle était arrivée dans le sillage de son compagnon d’alors. C’était dans les halles, autour de la Saint-Louis. La méticuleuse secrétaire de rédaction que j’avais connue brandissait une petite caméra numérique et filmait tout ce qui bougeait avec une sorte de gourmandise. Quelques semaines plus tard, avec “Joutes la relève” (2006) Hélène Morsly montrait comment une tradition, véritable marqueur de l’identité sétoise, pouvait se perpétuer dans le siècle 2.0 de la disruption. Traditions encore quand elle filma les gamins qui s’initiaient au rugby (“Les Voix du stade, le rugby de l’enfance et des jardins” - 2008) ou les pêcheurs de la lagune confrontés au changement climatique (“Les Hommes et l’étang, et si le printemps ne revenait pas” - 2011). Avec son approche des sujets à hauteur d’homme, elle se verra confier le film sur les travaux de restauration et de modernisation du théâtre Molière (“Il y a des théâtres qui chantent” 2014). Hélène Morsly est aussi une femme engagée : elle a suivi le candidat communiste à la mairie de la ville en 2009 (“François Liberti, la campagne de Sète”), la grève des éboueurs de l’île de Thau fin 2010 (“Que le feu dure”) ou encore à l’île de Thau, une chorale de femmes (“Les femmes et les enfants d’abord”). Ce travail documentaire, elle le qualifie volontiers de « films de noces et banquets », ce qui n’est pas de la modestie mais une référence à Jean Eustache. Elle nous fait en effet retrouver aussi bien l’afficheur Pascal Granger, le barreur Louis Mole, le peintre Pierre François, que les fêtes de la Pointe Courte. A.G.

“Et Après” est un court métrage réalisé à Sète en mai et décembre 2017 par Florida Sadki. Un homme (Daniel Kupferstein), il est photographe rue AlsaceLorraine, rencontre une femme (Agnès Dupressoir), fleuriste rue du 11-Novembre 1918. Un cinéaste américain, qui cite à Ken Loach et Woody Allen, leur demande d'interpréter une relation intense mais brève sans leur donner de fil conducteur. S'agit-il d'un rêve ou de la réalité ? La mise en scène de la fugacité du sentiment amoureux est l'occasion d'une visite complète de Sète en douze minutes. Le marché du mercredi autour des halles, l'escalier

FLORIDA SADKI “Et Après” post mortem

majestueux de l'Orque Bleue et sa chambre avec vue sur la criée, les terrasses d'un restaurant de la Marine, le jardin du Château d'Eau, la redoute au-dessus du Théâtre de la Mer, le quai Commandant-Samary et le quai d'Alger, la digue du port de la Pointe Courte, la rue Honoré-Euret en direction de la place Delille, le Zanzi Bar et son plafond de petites culottes, les marches du

réalisé de nombreux documentaires pour les chaînes de télévisions britannique, brésilienne et française, notamment “Abd elKader, l'exil et le divin”, “Dans les tranchées, l'Afrique”, “ Au cœur des mots” et “Alice Guy ou l'enfance du cinéma”. Florida Sadki est décédée en théâtre Molière, la rue Jean2018 avant que le montage Jaurès, le pont de la civette, le de sa première fiction ait été cadre Royal, la rue Général-de- terminé. Ce travail achevé, ses Gaulle sont les étapes des amis (Peter Mullett, Jules personnages de Florida Sadki, Martens, François Dunesme, et autant de citations des Thierry Nardin, Shane Dillon, réalisateurs qui ont aimé et Jeff Tillotson) ont présenté “Et filmé Sète avant elle. Après ?” lors d'une soirée Florida Sadki vivait une partie hommage, organisée samedi de l'année à Sète dans un 15 mars 2019 au Planète, où a appartement rue Révolution également été projeté un depuis le début des années documentaire qu'elle avait 2000. Née en 1953 à Paris, réalisé auparavant, “Les Quatre d'origine algérienne, elle a saisons d’Aveyron”. A.G.

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Des années 1900 à nos jours

Dessin Maurice Corporon

L’histoire des salles obscures de Sète

Entre 1906 et 2011 Sète a compté pas moins de huit cinémas et trois salles associatives. Un seul subsiste à ce jour, le “Comœdia”. C’est ce récit que Gustave Brugidou, président de la Société d’études historiques et scientifiques de Sète et de sa région, nous relate dans ces pages.

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a première projection cinématographique a eu lieu à Paris en 1895. Il faut attendre dix ans pour que les premières images animées soient projetées à Cette. Le “Journal de Cette” a relaté l’événement dans un entrefilet sur les manifestations du réveillon de Noël de 1905 où, en raison de la récente séparation de l’Eglise et de l’Etat, la traditionnelle messe de minuit n’avait pas été célébrée. Sous le titre “La Noël” on pouvait lire : « La nuit de Noël, malgré la suppression de la messe de minuit, fut joyeusement mouvementée. Il est inévitable tout de même que l’absence de la traditionnelle messe, a porté un coup aux réveillons familiaux. La messe de minuit, surtout pour les femmes et les jeunes

filles était un prétexte à réveillonner. Mais la jeunesse n’en a pas festoyé avec moins d’entrain. Nombres d’établissements de notre ville ont tenu table ouverte. Mais c’est encore dans les baraquettes que les réveillonneurs s’en sont donné avec le plus de bruyante allégresse : n’était la bise cinglante, on eut dit une nuit de la fête de la “Saint-Clair”. A 5 heures du matin, des “colles” de réveillonneurs se sont rencontrées dans le centre-ville et un grand monôme a été organisé. Il fut tout pacifique, et la police n’a pas eu à intervenir. La journée de Noël a été marquée par une affluence extraordinaire sur l’Esplanade, où la foire bat son plein. Les diverses attractions foraines et surtout “l’Electro” en outre


de Bioscop théâtre et cinématographe cettois qui a rou- de 3 salles de projection. Il deviendra par la suite “Le vert ses portes, ont dû réaliser de fructueuses recettes. » Trianon”. La première salle obscure se nommait “L’Eldorado”. Dès “L’Odéon” qui s’est d’abord appelé “Palace”, apparaît 1906, un projecteur est installé dans ce music-hall de la en 1910. Il est situé au tout début de rue Nationale (rue rue Neuve du Nord (rue Maurice-Clavel) qui existe depuis Honoré-Euzet) côté gauche en venant de la place Delille 1897. Elle changera de nom devenant “L’Olympia” entre juste à côté du Café de la Paix. Le directeur est en 1919 1906 et 1910. On y accédait en traversant la brasserie M. Comas. La réclame est déjà bien présente. Tatonville qui deviendra la brasserie AlsaEn 1912, le théâtre Galavielle, situé au 72, cienne. On l’appellera aussi le “Gaumont”, Le premier cinéma grand’rue Mario-Roustan a installé du mapuis dès les années 20, cette salle portera tériel de projection et porte le nom de L’Eldorado s’est le nom d’“Athénée”. “Fémina Cinéma”, ce que confirme un arappelé successivement Rachetée vers 1972 par M. Doumayrou et ticle du “Journal de Cette” du 23 novemrevendue en 1990, cette salle a été récupé- Olympia, Gaumont bre 1912. rée par une association qui présentait une En 1921 à côté d’un hôtel-restaurant réet Athénée scène ouverte jusque dans les années 80. puté, L’Hôtel Continental, s’ouvre une Le théâtre Pathé-Cinéma situé sur le quai de Bosc, au grande salle de 1 300 places, le “Comœdia” qui sera un n°15, apparaît en 1907 fondé par MM. Lorel et Jules théâtre puis un cinéma. Carrière. Il propose des séances caritatives et projette Devenu “Le Colisée” en 1938, dirigé par M. Daniel avec les films Pathé. Il porte le nom “Ciné National” (Pathé trois salles, une de 375, et deux de 116 places. La façade frères) pendant la Première Guerre mondiale. est richement ornée d’une mosaïque, de masques de la Administré par M. Pouget jusqu’en 1985, il est composé tragédie et de la comédie ainsi que d’une grande lyre.

Une invention française : le spectacle photographique animé mais ces films ne pouvaient être visionnés qu’individuellement grâce au Kinétoscope. Les premières projections de films non photographiques datent de 1882, soit trois ans avant les Frères Lumière : le Français Emile Reynaud peignit directement sur la pellicule des images qui ont Le cinématographe des frères Auguste et Louis Lumière été les premiers “dessins qui a permis la première projection publique. animés” en quelque sorte. Début 1894, Antoine La photographie est née reçue, le cinéma n’a pas Lumière, père des frères dans les années 1820 par été à proprement parler Auguste et Louis, a assisté à les recherches du Français “inventé” par les frères une projection du Nicéphore Nièpce puis vers Lumière. Kinétoscope. Fasciné par 1835-1839 au travers des En effet c’est le Français cette découverte, découvertes de l’Anglais Étienne-Jules Marey qui a il s’est lancé à son tour dans Henry Fox Talbot, enregistré en 1889 les l’aventure avec ses fils. du Français Hippolyte premières suites de prises Et le 26 décembre 1894, Bayard. Elle fut surtout de vues instantanées sur le journal “Le Lyon consacrée par le Français bandes. Son but était Républicain”, pouvait Louis-Jacques Mandé scientifique : il voulait annoncer que les frères Daguerre avec le analyser des mouvements Daguerréotype. C’est dans par la photographie rapide. Lumière « travaillent les années 1880-1890 que En 1891, l’Américain Thomas actuellement à la construction d’un nouveau se fait jour puis se concrétise Edison et ses équipes ont l’idée des images animées. produit des films enregistrés kinétographe, non moins remarquable que celui Contrairement à une idée à l’aide du Kinétographe,

d’Edison et dont les Lyonnais auront sous peu, croyonsnous, la primeur ». Et de fait les Frères Lumière vont ainsi devenir les inventeurs du cinéma en tant que spectacle photographique en mouvement projeté pour un public réuni. Après quelques projections privées, la première projection publique du Cinématographe Lumière aura lieu à Paris le 28 décembre 1895 au Salon Indien du Grand Café de l’hôtel Scribe, 14, boulevard des Capucines, devant 33 spectateurs, le prix d’entrée étant fixé à 1 franc. Au programme, dix petits films tous tournés en 1895, mais n’y figurait pas encore la fameuse “Arrivée d’un Train en Gare de La Ciotat” qui connaîtra un immense succès. La belle aventure du cinéma venait néanmoins d’être lancée.

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Chichois ? Vous avez dit chichois ?

A la fin du XIXe siècle, vingt ans de “chichois” précédèrent la décision de construire un théâtre municipal avenue Victor-Hugo (lire “Il était une fois... les scènes de Sète ”). L’histoire est-elle en train de bégayer avec le cinéma multiplex ? Un premier projet est dévoilé en septembre 2013 dans les colonnes

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de “Midi Libre” : le maire et le gérant du Comœdia ont un terrain (celui de l’entrepot Vossloh entre le pont Sadi-Carnot et la station service Total), une maquette et un budget (6 millions d’euros). Le terrain n’est-il pas adapté ? Le budget est-il fantaisiste ? Le partenaire n’est-il pas fiable ?

Le Comœdia (en haut) qui a gardé son nom d’origine devrait rester le seul cinéma de Sète face à la future concurrence Frontignanaise et Balarucoise. Le Rio dont les installations sont restées “dans le jus” est repris par l’équipe du Comptoir The Marcel. Concerts, expositions, restauration… sont au menu de ce nouveau lieu de sorties pour les Sétois et les habitants des communes environnantes.

Toujours est-il que le premier coup de pioche qui aurait dû être donné à la fin de l’été 2014 ne l’a toujours pas été en 2018. Or cette année, le gérant du Comœdia, dont le loyer n’était plus payé, va céder son fonds de commerce ; le maire de Sète qui était aussi devenu président de l’agglopôle du Bassin de Thau lorgnait sur d’autres terrains à Balaruc ; le maire de Frontignan rêvait lui de porter à six le nombre de salles dans sa ville. Chichois donc ! La Commission départementale d’aménagement cinématographique a sifflé un arrêt de jeu en février 2019 en estimant que les deux projets sont viables. La partie n’en est pas finie pour autant. En attendant leurs multiplex de 8 salles et 1 050 fauteuils désormais promis pour fin 2021, les Sétois se contentent donc du Comœdia qui a été repris par la société Véo-Cinémas. Ce cinéma est le dernier de la ville où les salles obscures ont fait leur apparition en 1905.


Il reprend son appellation initiale de “Comœdia”. Jacques Font, le dirige de 2004 à 2018, au travers d’une société “Les cinémas du Bassin de Thau”. La Société Véo-Bassin de Thau (Véo-Cinémas, société corrézienne), est devenue gestionnaire de ces salles depuis fin 2018. Il est le seul cinéma encore en activité sur la ville de Sète en ce début de XXIe siècle. Le “Lynx” est à côté de la Brûlerie Orientale, sur le quai Noël-Guignon, devenu Léopold-Suquet, quai qui tient tant au cœur du réalisateur sétois Bernard Malaterre. Tenu par M. Doumayrou (1), l’établissement a été créé par ses parents en 1955. Il est spécialisé dans la projection de films populaires, notamment des westerns. La fermeture interviendra dans les années 80. A quelques mètres du “Lynx” et appartenant aussi à M. Doumayrou, le “Rio” est traversant jusqu’à la rue Maurice-Clavel. Ce cinéma se spécialisa dans les films de karaté et aussi érotiques. Il ferma ses portes au tout début des années 90. Au 24, avenue de la gare, (Victor-Hugo), un café glacier tenu par M. Guichard, se transforme en un cinéma “L’Habitude” avec orchestre symphonique sous la direction de M. Fournier. Une salle de 1 200 places, dirigée par MM. Vachier et Righi s’ouvrait à l’arrière sur un jardin. L’immeuble a été reconstruit, et accueillera trois salles. “L’Habitude” changera de nom et deviendra “Le Palace”. Le 20 décembre 1967, le premier film sur les aventures d’Astérix sera projeté. Il s’appellera aussi “Le Planet 2” avant sa fermeture en 2011. Il est actuellement géré par la ville de Sète et mis à la disposition de l’Université du Temps Libre et d’associations pour des conférences et projections. On ne peut pas évoquer les cinémas de Sète sans présenter les cinémas associatifs et paroissiaux qui ont existé avec le Cinéma de Saint-Jean, de Saint-Philippe et de la paroisse Sainte-Thérèse... Le cinéma familial Saint-Jean, d’abord hébergé à l’intérieur de l’école Saint-Jean s’est installé dans le nouveau local des Giuseppes, situé en face de l’école Saint-Jean. Une autre salle, laïque, a existé rue de la Douane, au rezde-chaussée dans les anciens bâtiments de la caserne de la douane, dans la rue du même nom. Mais, surtout, dans toutes ces salles ont été projetés des films, parmi lesquels certains ont été créés par des réalisateurs sétois ou adoptés. Jean Gourguet, le précurseur d’entre tous, Jean Vigo qui a vécu une partie de son enfance à Sète, Henri Colpi (Grand Prix de Cannes en 1961), Claude-Timon Gaignaire, Gérard Corporon, Agnès Varda qui, a adopté Sète, Bernard Malaterre.

Le Lynx, le Trianon, l’Odéon, le Rio… quelques-unes des salles qui ont permis au Sétois de voir durant des décennies les meilleures réalisations et les plus grands acteurs de la production cinématographique française et internationale.

© Photos DR

TEXTE ET PHOTOS GUSTAVE BRUGIDOU L’histoire des salles obscures de Sète a été présentée par Gustave Brugidou, président de la société d’études historique de la ville de Sète, lors d’une conférence donnée au Grand Hôtel pour les membres du Rotary club de Sète le 31 janvier 2019 à l’occasion du dîner où a été intronisée Jacqueline Degerman, première femme du club.

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“Plus belle la ville”

Un travail de la photographe Cécile Mella sur les lieux de tournages mapping) a été exposé en 2017 à la Chapelle du Quartier Haut avec pour sous-titre « un florilège de photos, sons et objets en lien avec Sète à l'écran ». Cécile Mella a autorisé le Rotary club de Sète à reproduire gracieusement son travail qui s'est articulé notamment autour : • des photographies de plateaux sur des tournages récents. Ces plans généraux de scènes tournées en extérieur, dont les personnages nous donnent l'échelle, nous montrent comment un décor fictif s'inscrit dans un territoire existant, tout en entretenant un doute : est-ce un décor ou la ville ellemême ? Est-ce une mise en scène ou un instant de la vie quotidienne ? Les clichés (des plateaux, mais aussi des Native de Montpellier, Cécile Mella a étudié le photocoulisses) rendent visible la création soignée d’un nouveau journalisme à l'université de Westminster après un diplôme lieu imaginé, les mécanismes de la production d'images. de cinéma à la Sorbonne. Puis elle a travaillé comme • des portraits au moyen format des personnes habitées photographe indépendante à Londres et au Cap. Elle a alors par les mémoires de ces tournages. Dans ces mises en réalisé sur différents tournages cinématographiques dans scènes avouées, on croise des figurants en pose entre deux le monde un travail intitulé “Dreamland”. prises, mais surtout des Sétois qui posent dans leur quartier, Quand Cécile Mella vient s'installer à Sète, la ville est entrain leur rue, tels qu'ils souhaitaient apparaître, s'ils pouvaient de devenir un plateau de tournage. Sur ceux de “Candice être les héros de leur propre film. Renoir” et de “Robin”, elle a ainsi prolongé son premier L'exposition donnait aussi à voir des reliques des tournages travail avec “Plus Belle La Ville”, exploration du lien entre passés (accessoires, bout de décors, document technique...) le territoire et l'utilisation de son image dans les œuvres de et à entendre des témoignages sur la manière dont les fictions ciné ou télé. Sétois vivent l'expérience (intrusive mais fructueuse) Le fruit de sa collaboration avec Baptiste Genoyer du tournage. (scénographie) et Juan Carlos Cruz Rodriguez (son et dataSite : www.cecilemella.com

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Page de gauche, en haut, Agnès Varda, lors de sa visite à l’exposition à la chapelle du Quartier haut en juin 2017. En-dessous, et ci-contre, des scènes de tournage de Candice Renoir ou de Robin (film Netflix); des photos posées comme Jeanne Corporon et son mari au môle; ou encore des Sétois dans leur quartier, leur rue ou chez eux… Chaque image de Cécile Mella nous raconte une histoire.

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LIVRES ET TRAV VA AUX D’IMPRESSION

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Des téléfilms aussi…

BRASSENS, évidemment

Le trentième anniversaire de la mort de Georges Brassens, qui était aussi le quatre-vingt-dixième anniversaire de sa naissance, a été l’occasion de plusieurs évocations de la vie du chanteur poète anar sétois à la télévision. “Le regard de Georges Brassens” est un documentaire de 53 mn diffusé par France 3 en 2013. Il a été réalisé par Sandrine Dumarais (“A la campagne”) qui a utilisé les images prises par Brassens avec les caméras super 8 puis 16 mm qu’il avait achetées après ses premiers succès. Avec le même matériau, Remi Sautet (photographe et sculpteur) a réalisé “En bateau avec Georges Brassens”, qui a été diffusé en avril 2012 dans l’émission Thalassa sur France 3. C’est l’occasion de retrouver les quais, le port, la Pointe-Courte, les chats et les amis du poète qui embarquent sur son bateau pour aller passer la journée au phare de Roquérols sur l’étang. Gérard Marx (“Navarro”) s’était lui intéressé aux circonstances qui ont permis à un jeune Sétois un peu voyou de devenir un immense poète. Dans cette fiction, “La mauvaise réputation”, diffusée par France 2 en 2011, le rôle de Brassens, de 16 à 31 ans, est interprété par Stéphane Rideau qui a été choisi au terme d’un casting interminable et qui n’a pas eu le temps d’apprendre le phrasé du chanteur. Le réalisateur a autant filmé Sète que son personnage.

© Photos DR

BERNARD MALATERRE, retour aux sources En mars 2019, à soixante-douze ans, Bernard Malaterre est remonté sur les planches de l’Artistic Théâtre dans le XIe arrondissement de Paris pour jouer “Les Rivaux”, une comédie du Britannique Richard B. Sheridan. C’était un retour à ses premières amours pour ce Sétois qui a abandonné des études de médecine pour suivre le cours de théâtre René Simon. De la fin des années 60 au début des années 2000, il avait inscrit son nom au générique de 22 pièces, 11 téléfilms, 9 séries, et 4 films. Puis il s’était orienté vers la réalisation. C’est ainsi qu’il a tourné en 1996 pour FR3 dans sa ville natale “Des Mouettes dans la Tête”. C’est l’histoire d’un gamin de 13 ans qui veut empêcher son père de vendre la sardinerie familiale après la mort du grand-père. Les “conneries” de gosses s’enchaînent donc : décapotable remplie de sardines, incendie d’un entrepôt... Du sommet de Saint-Clair aux salins de Villeroy, en passant par le môle, le brise-lames (comment les gamins peuvent-ils aller s’y poursuivre à vélo?), le quai Léopold-Suquet ou les berges de Balaruc, Bernard Malaterre a visité les lieux et les mythes sétois : l’immigration italienne, le déclin de la sardine, la spéculation immobilière, la force des traditions. Dans la distribution, aux côtés de Michel Galabru (l’ami du défunt Enzo) et d’Anne Roumanoff (Francette la seconde fille d’Enzo), il y a des acteurs chevronnés, Roger Mirmont (Maurice,

le père), Agnès Torrent (Gina, la première fille d’Enzo, la mère), Richard Guedj (Mario, le mari de Francette). Il y a aussi des figures sétoises, comme Lolette Grégogna-Miniana (Santina, la veuve d’Enzo), Danielle Imparato (la mère de Bobo), Angel Girones (le père de Bobo), Grégory Britto (la brute). De tous ces personnages, le plus attachant n’est pas tant le “héros”, Julien (Thomas Ginoul), mais son copain, Bobo (Frédéric Swall), pauvre petit pêcheur de poulpe dont le désespoir tirerait les larmes du corps quand il hurle sa rage en battant sur les rocher du môle un pouffre.

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Du côté des séries

La puissance télévisuelle de Sète

C

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ertains vendredis soir, Sète s’invite chez quelque neuf millions de téléspectateurs. C’est le chiffre auquel on arrive en ajoutant l’audience des séries “Demain nous appartient” diffusée sur TF1 à 19h20 et “Candice Renoir” qui passe elle à 21 heures sur France 2. Il n’est donc pas surprenant que sur le site du guide “Le Routard” on explique aux futurs visiteurs de la ville où se trouve les lieux de tournage ou que l’Office de Tourisme en propose une visite guidée payante. Et il est encore moins surprenant que désormais 20% des touristes qui ont décidé de venir à Sète l’auraient fait après avoir regardé une de ces séries. Dans l’une comme dans l’autre, l’île singulière est un personnage à part entière qui mérite le détour. Les équipes de “Candice Renoir” se sont installées en 2012 sur le quai Vauban dans les anciens locaux de la Sécurité sociale transformés en commissariat de police et dans l’ancien atelier de la carrosserie Varrel qui servira de cantine. Les riverains râlent parce que les camions de la régie et les voitures de la production occupent des places de parking ou parce que l’accès au quai est interdit pour le tournage. Les Sétois qui assistent à l’avant-première de la série donnée au Palace en sortent néanmoins satisfaits, ils aiment les décors qui leur sont familiers. Les téléspectateurs le seront tout autant même si quelques critiques trouvent que les aventures de ce commandant

de police, un peu ronde, un peu ailleurs qui se débat autant avec ses problèmes sentimentaux et familiaux qu’avec sa hiérarchie, ses collègues et ses enquêtes, « ne cassent pas trois pattes à un escarpin » (“Télérama”). La preuve par l’audimat ayant été faite, après les huit premiers épisodes de la saison 1, la société de production Boxeur de Lune se voit commander dix épisodes pour la saison 2 et ainsi de suite jusqu’à la saison 7 dont la diffusion a commencé le 19 avril 2019. Et le tournage de la saison 8 est déjà programmé. Sans tomber dans le pittoresque, la série s’est “sétorisée” au fil des épisodes. Les péripéties des enquêtes sont ancrées dans les singularités sociales et économiques du port, de la lagune et de la montagnette autant que dans les lieux (appartements, villas, ateliers, chantiers...) qu’elles donnent à voir. Les images prises avec des drones offrent de la cité des vues époustouflantes. Et Candice est devenue partie intégrante du paysage : son interprète, Cécile Bois, habite quai de Bosc pendant les tournages qui durent quatre mois hors saison ; une cinquantaine d’intermittents du spectacles locaux sont requis chaque fois pour compléter l’équipe de base qui compte au moins soixante personnes. Et même le maire François Commeinhes sera amené à jouer son propre rôle. Ce que rapporte tout cela se calcule : au moins 1 million d’euros par an pour la ville, dit-on. Auquel s’ajoutent les 500 000 euros de retombées mensuelles produites par


© Photos Fabien Malot - Photos DR

“Demain nous appartient”, la série quotidienne programmée par TF1 depuis l’été 2017. La chaîne qui cherchait à contrer l’audience de “Plus belle la vie” le feuilleton diffusé depuis 2004 sur France 3 (la vie d’un quartier marseillais) a débarqué en force à Sète. Les sept mille mètres carrés de l’ancienne usine d’embouteillage de la maison Skali, avenue du Maréchal-Juin, sont transformés en studios ultra-modernes intégrant le dispositif de post-production pour une plus grande réactivité. Un local du quai Aspirant-Hébert, à côté du restaurant Le Boucanier, devient “Le Spoon”, un bar avec terrasse sur le quai (bientôt abandonné et reconstitué en studio à cause des perturbations que les tournages occasionnaient sur le quai). Une villa dont le jardin donne sur l’étang de Thau est réquisitionnée aux Eaux-Blanches. Une paillote éphémère sur la plage du lido sert aussi de décor... La société Telfrance est chargée de produire 130 épisodes qui commencent à être diffusés en juillet 2017. Est-ce que la guerre de clans que se livrent des familles censées représenter les différentes couches sociales sur fond d’enquêtes criminelles va tenir en haleine les téléspectateurs? Le casting composé autour notamment d’Ingrid Chauvin, Alexandre Brasseur, Charlotte Valendrey, Patrick Rocca, a au moins autant contribué à capter l’attention de plus

de trois millions de personnes chaque soir que les péripéties du feuilleton imprégnées de sujets sociétaux. « La puissance de la ville en terme visuel » selon l’expression de Stéphane Caput, producteur de la série, a aussi contribué au succès d’audience. Il faut dire que la production a eu l’intelligence de prendre conseil auprès « d’autochtones », comme Robert Rumeau, l’un des derniers pêcheurs de la Pointe-Courte, ou José Llinarès, le directeur de la criée. Soixante nouveaux épisodes viendront donc s’ajouter au tournage des 130 premiers dès fin 2017, puis encore 260 qui permettent à DNA de voir sa durée de vie prolongée au moins jusqu’en 2019 et au delà. A Sète, on se frotte les mains. Deux cents repas sont servis tous les jours à la cantine du tournage, six cents figurants sont appelés par semaine, cinquante-quatre appartements et une villa sont loués, vingt-cinq chambres d’hôtel sont retenues par semaine. Et cela cinquante semaines par an depuis 2017. Cela fait 300 emplois créés sans compter les retombées chez les artisans et les commerçants. Le maire de Sète, François Commeinhes, pouvait donc se réjouir de l’impact sur l’économie locale : « Sète est une muse pour le cinéma et la télévision ». ALAIN GIRAUDO

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REMERCIEMENTS Le Rotary club Sète remercie chaleureusement tous ceux qui lui ont permis de réaliser la rédaction et l’iconographie de cette brochure consacrée à l'histoire du cinéma à Sète, et en particulier :

• Gustave Brugidou, président de la Société d’études historiques et scientifiques de Sète et du bassin de Thau • Gérard Corporon, réalisateur du “Dernier trait” • Jeanne Corporon, banquière dans “La Graine et le mulet” • Geneviève Costovici-Gourguet, fille du réalisateur Jean Gourguet • Jérémie Couston, journaliste à “Télérama” • Claude-Timon Gaignaire, réalisateur de “Une Touche de bleu” • Jean-Loup Gautreau, auteur du livre “La Pointe Courte” • Jean-Michel Imparato, acteur de “Touche pas à mon copain” de Bernard Bouthier • André Lubrano, conseiller régional, ami d’Agnès Varda • Cécile Mella, photographe de lieux de tournages • Hélène Morsly, réalisatrice de “Joutes la relève” • Thierry Nardin, monteur de “Et Après...” • Isabelle Regourd, attachée de presse de “Candice Renoir” et “Demain nous appartient” • Le service de communication de la ville de Sète • L’Office de tourisme de la ville de Sète

Le Rotary club de Sète remercie encore les annonceurs qui ont pris un espace dans cette brochure:

la Banque Dupuy de Parceval, Hexis, Poissonnerie Cyril L'Adresse, Cabinet comptable Eurex, MMA, La Ola, SCI St Léon Le Lazaret, Laurent Elec, Optique Krys, Restaurant En Face, Sélectour, Sète Utilitaires L'Arseillère, Chai Alex, Du côté de chez Fred, Lubrano frères, la Griffe création fourrures, Château de La Peyrade, Le Monte-Christo, Le Zanzi Bar, Nouvelle Librairie Sétoise, Garage Favolini, Languedoc Etanchéité, Artem, L'Epicerie, Le Paris-Méditerranée, François Garcia.

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UNE DEVISE:Servir d’abord Le premier Rotary Club a été réuni en 1905 à Chicago par un jeune avocat, Paul Harris, qui souhaitait que les acteurs de chaque groupe professionnel agissent ensemble dans un esprit de camaraderie et de bonne volonté pour servir ceux qui en ont besoin. Le Rotary est aujourd’hui une organisation mondiale de plus 1,2 million de membres issus du monde des affaires, des professions libérales, de la société civile. Les membres des Rotary clubs, appelés Rotariens, apportent un service humanitaire, encouragent l'observation de hautes normes éthiques dans le cadre professionnel, et aident à développer bonne volonté et paix à travers le monde. Le Rotary s’attache particulièrement à promouvoir la santé en soutenant la recherche sur les maladies du cerveau, en participant de manière active à l’éradication de la polio et en favorisant l’accès à l’eau potable dans les régions les plus défavorisées. Le Rotary entend également aider au rapprochement des peuples par le travail en commun sur des actions d’intérêt local ou international, par des échanges d’étudiants et de professionnels, par un soutien aux populations victimes de catastrophes naturelles ou humanitaires et en luttant contre l’illettrisme et l’exclusion. Le Rotary Club de Sète* s’inscrit résolument dans cette perspective. Il a fêté ses 80 ans en 2011. Il est le plus ancien club service de l’Hérault. Le plan d’actions 2018-2019 du Rotary club de Sète a comporté: • en octobre le Markethon de l’emploi, • en novembre, la collecte pour la Banque alimentaire, • en décembre la préparation aux entretiens d’embauche au lycée Joliot-Curie, • en février le financement d’un voyage des élèves en chaudronnerie industrielle sur le bassin d’emploi de Saint-Nazaire,

ROTARy CLUB SèTE

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n°11052 District 1700. Siège: Grand Hôtel 17, quai du Mal-de-Lattre-de-Tassigny 34200 Sète Réunions : 1er et 3e jeudis du mois, apéritif à 19 heures 2e et 4e jeudis du mois, dîner à 20 heures e 5 jeudi du mois, dîner mixte à 20 heures. Site internet : rotary-sete.org/wp/ Courriel : contact@rotary-sete.org

• en mars une projection en avant-première pour Espoir en tête en faveur de la recherche sur les maladies du cerveau, • en mai le nettoyage de la Plagette avec l’Alesse. Ces actions ont été financées par l’organisation d’une marche pour l’éradication de la polio, un concert au Théâtre Molière et la publication de cette brochure. Au fil des ans, le Rotary club de Sète a ainsi : • planté des arbres dans la cour de la chapelle Notre Dame de la Salette, • contribué à la formation d’un chien d’aveugle, • participé à l’achat d’un chariot spécifique permettant aux handicapés de prendre des bains de mer, • financé un défibrillateur automatique aux Pergolines, établissement d’hébergement des personnes âgées dépendantes de Sète, • fourni des ordinateurs portables à des élèves sétois en difficultés, • financé un jeu de voiles à un équipage du lycée de la mer Paul-Bousquet engagé dans le Défi des ports de pêche, • accueilli trois étudiants américains et envoyé aux EtatsUnis des lycéens sétois pour une année scolaire, • apporté son soutien à un équipage de jeunes de la région au raid “4L Trophy 2016“, • créé et électrifié une école dans un village malgache et électrifié un village laotien, • acheté des containers de survie pour Haïti, • favorisé l’opération en France d’une petite malienne souffrant d’une malformation, • aidé l’hôpital de Douala (Cameroun) de se doter d’un service d’oncologie et d’hématologie, • apporté un soutien financier régulier à des associations sétoises (La Croix Rouge, Les Blouses Roses, Saemen’s Club, etc.), • aidé des apprentis méritants du lycée Charles-de-Gaulle et du CFA Nicolas-Albano.

*Un second Rotary Club, le RC Sète Bassin de Thau a été créé en 1992, son siège social est à l’hôtel Impérial, Place Edouard-Herriot.

Club Sète

SOUTIEN AU ROTARy

Les personnes qui souhaiteraient prendre contact avec le Rotary club de Sète ou soutenir le club ou la Fondation Rotary sont invitées à adresser leur courrier à l’adresse suivante : Rotary club de Sète - Le Grand Hôtel 17, quai du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny 34200 Sète Les chèques de soutien sont à établir à l’ordre du Rotary club Sète


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