Il était une fois... les scènes de Sète

Page 1

2017

couv.scenes2017.qxp_couv2014 23/05/2017 19:50 Page1

Club Sète

Il était une fois...

© FLORENT JOLIOT

Les scènes de Sète

Parmi les multiples singularités de l'île chère à Paul Valéry, il en est une qui tient à la place qu'a occupée et qu'occupe le spectacle vivant dans la vie culturelle sétoise. Il y a un siècle, à la veille de la Première Guerre mondiale, quatre théâtres fonctionnaient dans la ville qui ne comptait pas plus de 35 000 habitants. Trois d'entre eux ont disparu (Jeannin, Pathé, Kursaal), mais le Théâtre Molière inauguré en 1904, magnifiquement restauré et modernisé en 2012-2013, a désormais le statut de Scène nationale qui lui assure un large rayonnement régional tandis que le Théâtre de la Mer est l'écrin des multiples festivals estivaux. C'est l'histoire de ces scènes que le Rotary club de Sète présente dans sa revue 2017.


couv.scenes2017.qxp_couv2014 23/05/2017 19:50 Page2


le mot du président au sommaire 1750-1950 Les scènes de Sète

Une ville d’arts mais pas que… p.4

• Honoré Euzet • La Bordigue

p.15

• “La Favorite” de Donizetti • Maurice Morelly • Jean Vilar • Le cadeau de Georges Brassens

Yves Marchand et le théâtre p.22 • Le label Scène nationale • Bruno Deschamps, Simone Lacomblez • Yvon Tranchant

La transformation du Théâtre Molière

p.28

• Théâtre à l’italienne…? • Le chai Skalli • Sandrine Mini • René Spadone

Le temps des festivals

p.40

• Le Théâtre de poche, La Passerelle • Cette Histoire

Remerciements, bibliographie, webographie p.44 Le Rotary

p.46

© DR

L’œuvre d’Antoine Gour

Sète est une ville d’exception par le fond et la forme. Elle se résume pour certains qui la connaissent à peine comme un port, une plage, des ponts, de l’eau et des pêcheurs. J’allais ajouter des embouteillages... Elle mérite un regard plus subtil car elle regorge de richesses humaines, artistiques et paysagères qu’il faut savoir découvrir. La mixité sociale née d’une forte immigration aux siècles derniers (XIXe et XXe) lui a apporté originalité, fusion des cultures, dynamisme, esprit d’entreprise et amitiés nouvelles. Forte de ce contexte, elle s’est séparée peu à peu de l’activité industrielle pour générer une activité commerciale, touristique et artistique plurielle et créative. Il suffirait de citer quelques noms pour illustrer cette mutation mais je laisse à chacun le soin de les découvrir. Ils sont tellement nombreux. L’art a besoin d’un support pour être touché, vu, lu ou entendu. Sète a mis les moyens. Nombreux musées et lieux de scène, petits et grands, autant magiques que classiques à découvrir ou revisiter dans cette brochure. La saison estivale est longue à Sète et permet de proposer au Théâtre de la Mer, à un public chaque année plus nombreux, une profusion de spectacles abordant tous les genres dans un souci constant de la qualité dans l’éclectisme. Lors de la saison froide, s’il en existe une à Sète, le Théâtre Molière, scène nationale, accueille des artistes et œuvres de très haut niveau. Et le Rotary, dans tout ça, il faudrait bien en parler. Il a été fondé pour un rapprochement entre personnes soucieuses d’aider les autres en leur faisant partager connaissances ou expériences professionnelles. Au fil du temps, conscient des difficultés que le monde traversait, il a orienté ses actions en faveur des plus démunis autant devant la maladie que les besoins élémentaires vitaux. Notre action est large mais peut se résumer en deux mots:servir d’abord. CHRISITAN ESTÈBE PRÉSIDENT RC SÈTE 2016-2017

Rotary Club Sète 2017 : Il était une fois… Les scènes de Sète Edition & rédaction Alain Giraudo • Conception et réalisation Marie-Christine Giraudo Photo de couverture Florent Joliot • Impression Flam Editieur Imprimeur Sète

3


4

© ARCHIVES/DR

Considérée comme la plus grande tragédienne de son temps, la “divine” Sarah Bernhardt a interprété à Sète le rôle titre de “La Dame aux camélias” qui fut l’un de ses plus grands succès.


1750-1950

Les scènes de Sète

Une ville qui s’embourgeoise, fût-elle un port planté là presque par hasard, ne peut plus se satisfaire des spectacles de rue, des saltimbanques et des théâtres ambulants qui prolifèrent dans le Sud de la France à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècles. Pas Cette en tout cas où le négoce du vin et la tonnellerie enrichissent de nombreuses familles ! Quelques mois avant la Révolution, un théâtre en dur ouvre dans le quartier haut. Sous le Second Empire, une salle à l’italienne s’installe Grand-Rue avant que, sous la IIIe République, un théâtre municipal ne soit enfin édifié dans le quartier de la Bordigue et un casino sur la plage. Les plus grands noms des scènes dramatiques et lyriques de chaque époque vont y défiler tandis que des revues s’inspirant de la vie locale font florès.

a

vant la Révolution de 1789, la ville “quichée” 1826), le grand tragédien de son temps, y aurait fait au au pied du mont Saint-Clair tient tout entière moins une apparition. dans un rectangle de 400 La Révolution et l’Empire ne favorisent m de long et 100 m de large guère la prospérité du port qui peu à peu traversé par le canal Royal s’ensable. Les affaires reprennent après et ne compte pas dix mille habitants. La la Restauration, la tonnellerie et le négoce Guerre de Sept Ans a porté un rude coup repoussent les limites de la ville qui compte à l’activité du port qui reprend lentement. bientôt près de vingt mille habitants. Cette Cette ne compte alors même pas une effervescence du commerce n’est pas sufsoixantaine de maisons de commerce. fisante pour assurer la pérennité du théâtre Pourtant le besoin de spectacles est déjà qui est démoli vers 1840. suffisamment fort pour qu’en 1788 une Une baraque en planches est installée rue salle baptisée La Comédie soit ouverte de l’Esplanade, mais les spectacles qui y Grand-Rue Haute, à l’emplacement actuel Des artistes prestigieux sont donnés sont médiocres et son exisde la crèche municipale. tence est éphémère. comme le virtuose Un règlement en dix-huit articles stipule Un riche négociant, Jules Liechtenstein, qui Franz Liszt viennent est aussi conseiller municipal, improvise entre autre que son accès est interdit aux spectateurs sans billet, aux chiens et aux alors une salle dans un vaste grenier du se produire à Cette enfants à la mamelle. À l’intérieur, il est quai de Bosc où des membres de la bourégalement interdit de fumer, de tourner le dos à la scène, geoisie locale triés sur le volet sont invités. de garder son chapeau. Le 9 février 1845, une cantatrice, Loïsa Puget (1810Pendant la Révolution, on y joue des pièces d’inspiration 1889), célèbre pour ses romances et chansonnettes, y patriotique. Et le reste du temps, de joyeuses comédies donne un récital. Quelques mois plus tôt, le 18 août ou des mélodrames typiques de cette époque. Le détail 1844, le compositeur et pianiste virtuose Franz Liszt (1811de la programmation semble s’être perdu. Talma (1763- 1886) est acclamé par une salle bondée. Commentaire

5


© ARCHIVES/DR

6

Durant ces années d’avant la Première Guerre mondiale des concerts, des spectacles lyriques, des opéras, des variétés… se succèdent dans les salles de Cette. Outre les “stars” de l’époque, des artistes de qualité comme (ci-dessus) Marie Didier et Eugénie Conti, Passe-Lacet (en haut, à droite) ou encore le couple Mouret passionnent un public de plus en plus demandeur.


« Les œuvres immortelles de Racine et de Corneille ont acquis avec Mlle Agar, digne émule de Rachel, une interprète fidèle qui donne un éclat nouveau au théâtre classique », écrit Try dans la revue “Cette Illustré” du 1er avril 1876. du journal “La Méditerranée”: « Cette soirée a été pour Liszt un continuel triomphe, une immense ovation. Jamais peut-être il ne lui était arrivé de passionner plus vivement un auditoire, de le subjuguer jusqu’à un tel degré d’exaltation ». Apôtre du libre échange, Napoléon III permet au port de se développer encore. On construit de nouveaux bassins et perce le canal maritime. Et pour accompagner cette prospérité, Cette veut un vrai théâtre. Il est construit en 1846 à l’emplacement de l’actuel numéro 70 de la Grand-Rue Mario-Roustan, qui est alors le cœur du quartier populaire. Il s’agit d’un théâtre à l’italienne, avec un parterre en hémicycle et trois galeries, dont la première comporte des loges numérotées. Neuf cent cinquante personnes peuvent y tenir assises mais dans les grandes occasions la jauge monte jusqu’à mille cinq cents spectateurs. La salle change plusieurs fois de mains mais c’est le nom de son troisième propriétaire qui lui est attaché, un certain Narcisse Jeannin qui règne sur les lieux de 1868 à 1889. L’existence de ce théâtre n’en est pas moins chaotique. La ville paye un loyer annuel qui atteint 5 000 francs au début des années 1890 et elle accorde à l’exploitant une subvention de 20 000 à 25 000 francs pour le

fonctionnement de la troupe. En contre partie, elle impose à la direction d’avoir un orchestre permanent de vingt-huit musiciens. Le cahier des charges pour la saison 1891-93 donne une idée des contraintes: la troupe doit comporter « un fort premier ténor de grand opéra et traduction, un premier ténor léger, un deuxième ténor, un baryton d’opéra comique et d’opérette, une basse noble (grand opéra), une première basse de grand opéra (...) un trial, un laruette, un coryphée ténor, une forte chanteuse, une première chanteuse légère, une première dugazon... une première duègne, des chœurs de 12 hommes et 10 femmes, 3 danseurs dont une maîtresse de ballet... ». Cela permet d’interpréter les œuvres les plus populaires du répertoire. Entre 1880 et 1902, “La Favorite” de Gaetano Donizetti est donnée 54 fois et sa “Lucia di Lammermoor” 40 fois, le “Faust” de Gounod 48 fois. Le public raffole de Meyerber, de Rossini, de Verdi. On se bouscule aussi pour les opérettes: “La Fille du tambour major”, “Les Mousquetaires au couvent”, “La Juive” et “Les Mousquetaires de la Reine d’Halévy”. Cela permet encore de monter les pièces en vogue à l’époque, comme “Jean Pomarèdes” (1887) qui retrace l’épopée criminelle de la “canaille de Caux” finalement

7


© ARCHIVES/DR

8

Ces salles de spectacles abritent aussi des réunions politiques où les joutes verbales remplacent les trémolos et les arias. Ainsi les Cettois peuvent y entendre débattre, entre autres, Jean Jaurès et Louise Michel.

guillotiné à Pézenas, ou de voir Mademoiselle Agar, une 1898) viennent y plaider leur cause. Aux législatives de célèbre tragédienne, se produire dans “Phèdre”, “Horace” 1910, un débat épique oppose le vétéran Jacques Salis, et “Tartuffe” (1872) tandis que Sarah Bernhardt interprète inamovible député de gauche depuis trente ans, et le “La Dame aux Camélias” (1899). jeune maire sortant de la ville, Jean L’Heureux Molle, qui Cela ne permet pas forcément aux treize directeurs suc- s’appuie sur les radicaux et les syndicats. Le débat tourne cessifs de la salle entre 1882 et 1898 de tirer leur épingle à la foire d’empoigne, on échange des insultes et quelques du jeu. Certains démissionnent en pleine saison et le di- coups de poing. recteur du théâtre de Béziers assure l’intérim. La Première Guerre Mondiale met un coup d’arrêt brutal Dès 1885, une partie du conseil municipal, qui déplore à l’activité des théâtres cettois. La salle Jeannin qui s’est l’insécurité des lieux, envisage de ne plus subventionner adaptée aux nouvelles techniques du spectacle et qui la salle Jeannin pour pouvoir financer la construction d’un s’appelle désormais “Théâtre Cinéma des Variétés” ne nouveau théâtre à la mesure de la ville qui compte désor- semble pas devoir s’en remettre. Sauf qu’un revuiste génial mais près de 40 000 habitants grâce s’empare du lieu, Georges Barthélémy à la prospérité du négoce du vin et des (1884-1976). Sur les scènes de la salle alcools et qui remblaie les zones huNon seulement il accueille avec paJeannin et du théâtre mides à l’Est pour assurer son dévelopnache des tournées prestigieuses municipal après les grands pement (lire par ailleurs). comme Mayol, Dranem, le Grand Guiclassiques place aux variétés Dans la longue bataille politique qui gnol mais encore il produit ses propres s’engage pour ou contre un nouveau avec des vedettes tels Mayol revues d’inspiration locale et à l’aplomb théâtre, il n’y aura ni vainqueurs ni vainde les imposer au nouveau théâtre de ou Dranem mais aussi cus. Un nouveau théâtre sera inauguré l’avenue Victor-Hugo. des spectacles comiques au tournant du siècle dans le quartier La salle Jeannin ferme finalement ses séto-sétois de la Bordigue en 1904. Et la salle portes définitivement en 1926 pour être Jeannin, toujours aussi difficile d’accès, démolie. Le casino Kursaal connaît le toujours aussi inconfortable, perdure laborieusement. même sort lorsque la construction du bassin Orsetti entraîne Elle accueille des troupes de passage qui se font étriller la disparition de la plage historique de la ville. par la critique. La Société des concerts classiques formée Le premier bâtiment a été construit en 1854. A la fin du par des “amateurs professionnels” donne épisodiquement XIXe siècle, Cette se rêve un destin de citée balnéaire, des concerts. Condisciple de Paul Valéry, l’avocat Albert comme Cannes ou Menton, où un casino est le pôle d’atDugrip dirige MM. Isenberg, consul de Belgique, Muchel, traction indispensable. On y va à pied ou en calèche. président du tribunal de commerce, et autres notables. Puis le tramway qui remonte la rue Impériale (future rue On vient y suivre des conférences sur des sujets sociétaux Honoré-Euzet) permet aux habitants du centre ville de se rendre facilement à la plage. d’actualité tels l’alcoolisme et le divorce. Le Théâtre accueille aussi des réunions politiques. Jules La grosse bâtisse est construite en bois. La salle du restauGuesdes (1871), Louise Michel (xx), Jean Jaurès (1894, rant donne sur la plage. De mai à octobre, les serveurs,


© ARCHIVES/DR

long gilet noir et tablier blanc, s’affairent. A l’intérieur on propose des spectacles - opéra, opéra comique, opérette, comédie, vaudeville, drame… Il y a aussi des défilés de mode et des conférences. Juillet 1910, un incendie se déclare pendant une représentation de “Carmen”. Il n’y a pas de victime mais le casino est totalement détruit. Il est reconstruit en briques et peut rouvrir dès l’année suivante. Le directeur du théâtre munici-

pal, Jean Brunet, qui est aussi directeur du Kursaal, a donné deux représentations de soutien au sinistré en août. La Première Guerre Mondiale entraîne la faillite des propriétaires du Kursaal qui est rasé. Il est reconstruit en béton en 1919 et résiste jusqu’à l’extension du port. La vie culturelle sétoise est à son étiage le plus bas dans les années 50. Le port se remet lentement de la destruction des quais par les Allemands.

Les trois vies du Kursaal : 1854, en bois, avec sa terrrasse et son restaurant donnant sur la plage, il est détruit par le feu en 1910; 1912, il est reconstruit en briques; rasé pendant la guerre de 14-18, il est rebati en 1919 en béton et porte le nom de Casino… Il perdurera jusqu’à l’extansion du port après la Seconde guerre.

Georges Barthélémy, revuiste de génie La f in du XIXe siècle voit apparaître à Marseille les revues musicales dont l’argument s’inspire de l’actualité locale. Le Sétois Georges Barthélémy va largement s’en inspirer pour enchaîner les succès dans sa ville natale où il sera qualif ié de « revuiste de génie ». Auteur, acteur, metteur en scène, Georges Barthélémy (1884-1976) est aussi co-fondateur de l’école félibréenne cettoise La Felibrenca de San Cla. « Directeur du théâtre Jeannin, il parvient à faire entrer ce genre populaire dans le prestigieux théâtre de l’avenue Victor-Hugo dès 1911 avec sa première revue “V’la la Joconde” » relève Jacques Dalquier dans l’ouvrage publié à l’occasion du centenaire du théâtre Molière. Les airs à la mode accompagnent les spectacles qui brocardent gentiment les travers des habitants de l’île singulière dans “ça sétois, c’est moi”, “Questions de tranchées… tranchées”, “Cette qui chante”, “Au pied levé”, “Aime ton pays”, “Tout à la cettoise”, “Prenez de l’amour”… « Dans beaucoup de revues comme “En pleine joie, en plein mistral” ou dans “Rose de Marseille” il fait jouer Danam, le célébrissime comique sétois Armand Gévaudan, père d’Honoré Gévaudan (le futur directeur de la PJ et tombeur de Mesrine) » note encore Jacques Dalquier à propos de Georges Barthélémy qui écrira trois revues pour Vincent Scotto. Après la Libération, Georges Barthélémy produit encore “Sète, 3 heures d’arrêt” (1949) ou “Un de la Pointe” qui est créé en 1945 et est repris jusqu’en 1957. La mise en musique de ces revues est réalisée par un autre Sétois, Paul Durand.

9


© ARCHIVES/DR

Les kiosques à musiques font partie intégrante du paysage urbain au début du XXe siècle. Jours de fête et dimanches, les familles viennent y écouter les orphéons et fanfares interpréter les grands airs à la mode tout en effectuant une parade sociale. Il y a alors deux kiosques à Cette, l’un sur la place Aristide-Briand qui existe toujours (en haut à gauche), l’autre sur la place en face du théâtre municipal qui a disparu (en haut à droite). Des salles de cinéma qui se sont aussi multipliées à la même époque, il ne subsiste plus que le Comoedia (ci contre).

Les journaux témoins de l’intensité de la vie culturelle

10

Entre la chute du Second Empire et la Guerre de 14, la vie culturelle sétoise est aussi intense que fiévreuse, à la mesure du développement économique de la ville qui devient le premier port pinardier et la capitale mondiale de la tonnellerie. En témoigne la place qu’occupent les chroniques théâtrales dans les gazettes qui annoncent et commentent les spectacles donnés dans les quatre théâtres de la ville, Théâtre de la Ville, Théâtre Galavieille, Théâtre Pathé-Cinéma et Kursall. « A une époque où le théâtre tient dans la vie de la cité une place essentielle aussi bien du point de vue culturel que distractif (si tant est que l’on puisse établir une distinction entre ces deux fonctions), la chronique théâtrale de ces journaux (pour la plupart éphémères mais toujours renaissants) est particulièrement fournie » constate Jean Sagnes dans le chapitre de “L’Histoire de Sète” qu’il consacre à la presse. L’auteur n’a pas recensé moins de dix titres qui furent publiés au cours de cette période dans la ville : « Les journaux annoncent les spectacles du moment comme “Cette illustré”, revue artistique et humoristique (1876) bimensuelle qui publie des textes en français et en occitan (fables, monologues, chansons paillardes) ou “Le Bavard Sétois”(1880). “La Cravache” (1882) est encore plus spécialisée dans le théâtre. On peut aussi citer “Cette artiste” (1883), “Le papillon” (1886-1887), “Cette comique” (1891), “Cette musical” (1893), “Le Mistral” (1912), etc. Plus important est “Le Cettois” (1885-1892) qui devient “Le petit commercial et maritime de Cette” (1894-1900). Enfin de 1894 à 1913, paraît avec des interruptions “L’Armanac Cetori Illustrat” publié en graphie mistralienne par les félibres de la ville ».


Honoré Euzet, le long chemin d’un maire Maire de Cette de 1895 à 1901, Honoré Euzet (18461931) a fait adopter par la commune en 1896 le projet de construction d’un théâtre municipal sur l’île de la Bordigue, le long de l’avenue Victor-Hugo. Ce théâtre inauguré en 1904 est devenu le théâtre Molière en 1983 et une Scène nationale en 1993. Depuis plus d’un siècle, il fait la fierté des Sétois qui peuvent se féliciter de la clairvoyance de ce maire radical et autoritaire, courtier en grain de profession. Pourtant, avant de soutenir le projet de l’architecte de la ville, Antoine Gour, Honoré Euzet avait combattu avec virulence tous les projets de construction de théâtre soutenus par les élus qui s’inquiétaient de l’état de délabrement et d’insécurité du théâtre Jeannin, implanté dans une arrière cour de la Grand-Rue. La chronique de l’époque lui attribue même de véritables coups tordus pour arriver à ses fins. Le “Journal de Cette” du 7 juin 1885 raconte ainsi que les conseillers municipaux ont été avertis au matin du 5 juin que la séance du conseil prévue le soir était annulée en raison des funérailles de Victor Hugo mais qu’en début d’après-midi les membres du conseil favorable au maintien de l’activité de la salle Jeannin avaient été prévenus que la réunion était maintenue. Honoré Euzet est pris à partie par le premier adjoint Théodore Olive qui lui reproche de vouloir favoriser un parent tenancier de la buvette du théâtre. La salle n’en est pas moins été sauvée et en septembre Honoré Euzet peut présenter aux élus un rapport sur les travaux d’aménagements réalisés par l’architecte de la ville qui « avec des ressources minimes a transformé cette salle à l’aspect délabré et d’accès difficile en une salle d’un aspect gai et d’un accès commode ». La fermeture est donc repoussée aux calendes sans que les partisans de la construction d’un nouveau théâtre désarment. En février 1887, c’est le président de la commission des Beaux-Arts, Henri Defarges, qui revient à la charge: il demande la suppression de la subvention au théâtre pour la

saison 1887-1888 et le non renouvellement du bail de la salle qui expire en septembre. M. Defarges estime en effet que le nombre de places du théâtre Jeannin est insuffisant pour assurer des recettes permettant de payer une bonne troupe malgré la subvention de 23 000 francs accordée par la ville. Or, le public cettois étant exigeant, il ne se bousculera pas aux spectacles montés avec des artistes au rabais et les difficultés financières du théâtre n’en seront qu’aggravées. Conclusion de M. Defarges, « évitons la ruine du directeur du théâtre Jeannin, et construisons un théâtre digne d’une ville de bientôt 40 000 habitants». Honoré Euzet s’inscrit en faux contre les assertions de M. Defarges. Pour lui, le directeur du théâtre n’est pas menacé de ruine loin s’en faut et les finances de la commune ne permettent pas de se lancer dans la construction d’un nouveau théâtre. Il ne manque pourtant pas de projets. Le premier adjoint, Théodore Olive, défend celui de Dussol qui affirme être en mesure de faire sortir de terre en sept mois un théâtre correspondant aux désirs des élus qu’il pourrait louer 25 000 francs à la commune. Henri Défarges estime lui que les 30 000 francs de subventions annuelles au théâtre correspondent aux intérêts d’un emprunt de 600 000 francs avec lesquels il serait possible de financer la construction d’un théâtre sur un terrain communal. Selon une tradition bien française, une commission doit être nommée pour proposer une solution. Les “bâtisseurs” semblent avoir remporté la “bataille” lorsque 84 personnes périrent dans l’incendie de l’Opéra comique de Paris le 25 mai 1887. Les élus cettois pouvaient-ils laisser courir un pareil risque à leurs concitoyens alors que la dangerosité du théâtre Jeannin était patente? C’est l’occasion d’une nouvelle querelle entre Théodore Olive le “bâtisseur” et Honoré Euzet, “l’aménageur” au cours d’un conseil municipal fin octobre 1887 à l’occasion duquel est évoqué le projet de théâtre des Lyonnais, les Diose, père et fils, et acté la fermeture de la salle Jeannin.

Farouche opposant à la construction d’un théâtre municipal, c’est pourtant lui qui le fit ériger

11


Une autre idée est alors mise sur le tapis en janvier 1888: pourquoi ne pas racheter le théâtre provisoire de Montpellier, le démonter et le remonter à Cette ? Le conseil municipal du 16 janvier 1888 décide donc de demander au propriétaire de ce théâtre les conditions de cession et de reconstruction mais dans tous les cas Cette construirait un théâtre. Des obstacles juridiques bloquent rapidement l’acquisition du théâtre de Montpellier. Dès le mois de février le projet est abandonné. Et le conseil municipal doit éteindre deux incendies qui couvent: d’une part l’architecte montpelliérain dont l’expertise a servi de base à la fermeture de la salle Jeannin demande des honoraires faramineux; d’autre part la troupe Pietro Bono qui est venue de Bordeaux pour palier la fermeture du théâtre demande elle aussi une subvention pour continuer à jouer les cinq représentations qu’elle donne par semaine. Il n’en est pas moins acté fin février 1888 qu’un choix sera fait entre les trois propositions de l’architecte Léopold Carlier: un théâtre en planche pour 230 000 francs, un théâtre en planche avec une façade en dur pour 260 000 francs, un théâtre en dur pour 320 000 francs. Honoré Euzet décide alors de provoquer de nouvelles élections municipales en démissionnant avec dix autres conseillers municipaux. « Les partisans de la salle Jeannin se prennent à espérer, car s’ils arrivent à l’Hôtel-de-Ville, vous pouvez compter qu’ils feront des pieds et des mains pour ouvrir cette rôtissoire. Un moment on avait cru que le projet Carlier rallierait tout le monde par ses bonnes dispositions, son aspect élégant, son bon marché et la célérité avec laquelle cet architecte s’engageait à le construire, c’était une erreur. » déplore “Le Messager du Midi” dans

son édition du 30 mars 1888. Une nouvelle fois les “bâtisseurs” l’emportent pourtant. Jean-Antoine Guirand (le père de Lucien-Victor, le peintre qui réalisera les décors du théâtre Molières en 1903) convainc en juin 1888 une majorité du conseil de voter la construction d’un théâtre définitif dans le cadre d’un projet d’aménagement des quartiers de la Bordigue et des Quatre-Ponts qui permettrait de prolonger l’avenue de la Gare jusqu’au quai d’Alger. 1,6 million pour l’expropriation des terrains, 1 million pour la construction du théâtre, 1,4 million pour le percement de l’avenue, total 5 millions de francs! Honoré Euzet pronostique une flambée des centimes additionnels pour financer cette folie. Et il conteste le bénéfice que pourrait en tirer les Cettois: « Ce sont les ouvriers étrangers dit-il, qui en profiteront, car les ouvriers cettois sont tonneliers ou portefaix. L’orateur conclut en demandant au conseil d’ajourner ce projet ruineux pour la ville, pensant qu’il serait préférable de construire un abattoir, un hôpital, une bourse et un théâtre définitif sur un emplacement dont le coût ne serait pas de 1 600 000 francs » rapporte “Le Journal de Cette” dans son édition du 24 juin 1888. Tout n’est pas joué pour autant. Avant les élections le préfet a diligenté une enquête sur la salubrité et la dangerosité du théâtre Jeannin. Fin octobre 1888, il en donne les conclusions: la salle peut rouvrir! Le 16 octobre 1888, “Le Petit Méridionnal” fait l’état des lieux suivant : « Nous n’avons jamais pensé que la réouverture du théâtre Jeannin était une solution définitive. Ce n’est là qu’une solution provisoire qui permettra aux Cettois de satisfaire leur goût et de ne pas être privés d’une

Le projet d’aménagement du quartier de la Bordigue inclut en 1888 la construction d’un théâtre municipal évalué à 5 millions de francs

Sept fois maire à Sète

12

Fils de tonnelier, courtier en grains, Honoré Euzet (1846-1931) s'engage en politique dès 22 ans en devenant secrétaire du Comité Jules Simon (député républicain libre penseur opposé à l'Empire) aux élections législatives de 1868. Il est élu conseiller municipal en 1872 et en 1878, et nommé deuxième adjoint en 1884, année durant laquelle il se dépense lors de l'épidémie de choléra qui sévit à Sète. Réélu en 1888, il démissionne deux ans plus tard pour protester contre le projet de théâtre municipal. A la démission du maire radical, le docteur JeanJacques Scheydt, il est élu maire le 8 septembre 1895 sur le programme du Parti Ouvrier Français

(POF), le parti marxiste de Jules Guesdes, puis réélu en 1896 et 1900. Fin 1901, à la suite d'un contentieux sur la Bourse du Travail qu'il a fait construire aux ouvriers, il démissionne à la fois du POF et de la mairie où s'installe Jean l'Heureux Molle jusqu'en 1908. Honoré Euzet redevient alors maire jusqu'aux élections de 1912 où il est battu par Maurice Laurens. Il est une nouvelle fois élu maire le 3 novembre 1919 et décède en fonction, à 85 ans (1931) après une carrière politique d'une soixantaine d'années, sept élections à la magistrature de la ville, les mandats de vice-président du Conseil d'arrondissement (1877-1883) et de conseiller général (élu en 1898). Sète doit à Honoré Euzet de nombreuses

réalisations : l'Ecole pratique de Commerce et d'Industrie (ancien collège technique, grand’rue Haute), l'agrandissement du collège communal (futur lycée Paul-Valéry), la Bourse du Travail, le théâtre municipal (théâtre Molière), certes inauguré par Molle en 1904, les bains-douches de la place Victor-Hugo, la route de Sète à Agde ou, encore, des travaux d'adduction d'eau. Pour saluer son œuvre, le conseil municipal décida de son vivant, août 1927, de donner son nom à la rue Nationale. A l'occasion de cette séance fut décidé le changement de graphie du nom de la ville : Cette devint Sète (arrêté ministériel 20 janvier 1928). Son buste fut placé dans le jardin du Château d'eau et son nom écrit dans un médaillon du foyer du théâtre municipal.


distraction si agréable jusqu’au jour où un grand théâtre véritablement digne de Cette aura été édifié. C’est à ce but si vivement désiré par tous que doivent tendre tous les efforts. Aussi avons-nous été heureux d’apprendre de la bouche même du vice-président de la commission, M. Falguerrettes, que tous les membres étaient unanimes pour hâter autant que possible le projet d’édification d’un théâtre définitif. Mais en attendant, il faut promptement un théâtre provisoire à Cette. Il y a donc nécessité urgente d’en finir avec cette question, d’obtenir l’autorisation de M. le préfet, sans toutefois qu’il faille compromettre les finances de la ville, qui n’ont certes pas besoin de grosses dépenses nouvelles. Si, comme le semble espérer la commission, M. le préfet autorise la réouverture de la salle Jeannin moyennant une dépense de 11 000 francs, il sera facile de donner la première représentation dès les premiers jours du mois

prochain, ainsi que nous en avons déjà formulé le vœu. Le plus court moyen serait de traiter avec la troupe du théâtre de Béziers, qui pourrait venir donner trois représentations par semaine, sans quoi on risque de n’avoir qu’une troupe médiocre et dont le directeur serait loin de faire fortune. » En 1895, Honoré Euzet, irréductible adversaire de la construction d’un théâtre, est élu maire. L’année suivante il confie la construction d’un théâtre à l’architecte de la ville, Antoine Gour. Le premier coup de pioche est donné le 7 février 1898 sur une parcelle de 19 150 m² cédée par les Domaines pour la somme de 1,5 million de franc. Un emprunt de 730 000 francs sur 30 ans est contracté pour financer la construction. Le 12 avril 1904, « le plus beau théâtre à l’italienne de la région » est inauguré par… Jean L’Heureux Molle, maire de 1901 à1908. Quant à la salle Jeannin, elle ne disparaîtra qu’en 1926.

© ARCHIVES/DR

Le joyau du quartier de la Bordigue

Ouverte en 1878, l’avenue de la Gare est rebaptisée Victor-Hugo en 1885 après la mort du poète. Elle est bordée d’immeubles hausmaniens qui témoignent de la prospérité de la ville. Peu après le percement du canal entre l’étang de Thau et la mer, un certain Esprit Turc, obtint en janvier 1685 l’autorisation de construire une pêcherie dans un renfoncement des berges. Cette bordigue alimenta un siècle et demi de contentieux entre les héritiers de Turc et les bénédictins d’Aniane qui avaient des droits fonciers sur Sète. Elle donna aussi son nom à l’île artif icielle qui allait être créée après

le percement du canal latéral et du canal maritime et le remblaiement des zones humides qui subsistaient entre les quais des ces canaux. Ce nouvel espace allait permettre à la ville de s’étendre durant la seconde moitié du XIXe siècle bien que l’usage de pilotis resta nécessaire pour asseoir les bâtiments les plus imposants. Cette expansion a été rapide à l’aune du développement de l’activité

commerciale sur les nouveaux canaux. Dans son livre sur “Les Rues de Sète”, Alain Degage a noté que la bordigue comptait 18 maisons en 1866 et 71 six ans plus tard. La ville devait d’ailleurs acquérir les terrains vagues en 1874 et les diviser en lots à bâtir selon un plan d’alignement des rues similaire à l’autre quartier implanté sur une île artif icielle, les Quatre Ponts, c’est-àdire en “cardo” (Nord-Sud) et “decumanus” (Est-Ouest). Ouverte en 1876 et achevée en 1878, l’avenue de la Gare avait pour vocation d’ouvrir une perspective depuis la gare jusqu’au quai d’Alger dans l’axe du phare du môle Saint-Louis. Le projet était sans doute trop ambitieux (autrement dit onéreux) pour aboutir. Rebaptisée Victor-Hugo en 1885 quelques semaines après la mort du célèbre poète, l’avenue se bordera d’immeubles témoignant de la prospérité de la bourgeoisie locale et de la maîtrise esthétique des architectes. Le joyau de cette avenue demeure le théâtre à l’italienne construit par l’architecte de la ville Antoine Gour entre le 15 janvier 1898, date de l’adjudication, et le 9 avril 1904, date de la première représentation.

13


14


© FLORENT JOLIOT

Antoine Gour réalise une œuvre artistique et technique

e

lu maire, Honoré Euzet, qui avait été jusque là le plus farouche adversaire de la construction d'un théâtre à Cette, se convainc qu'un tel monument sera un élément de valorisation du quartier qui prend forme autour de l'avenue Victor-Hugo qui relie la gare au centre ville. Il confie la mission de son édification à l'architecte de la ville, Antoine Gour, qui va reprendre les volumes du premier projet (abandonné) de l'architecte montpelliérain Adolphe Carlier : 60 mètres de long, 29 mètres de large, 25 mètres de haut. L'œuvre d'Antoine Gour n'en est pas moins originale: tout en respectant les canons de l'architecture néoclassique, elle rassemble toutes les innovations techniques et scéniques de l'époque. Cette, en effet, ne veut pas d'un théâtre au rabais alors que Montpellier vient d'inaugurer son opéra.Naturellement cela fit exploser le budget prévisionnel: de 620 000 francs annoncés, l'addition passe à 1,5 million de francs. « Payez, payez encore, braves contribuables, il y en a qui auront les bénéfices et croyez bien que ce ne sont

pas les ouvriers! » se déchaîne l'éditorialiste de “L'Action socialiste” dans la livraison du 10 avril 1904. Le tohubohu de la presse d'opposition n'entrave pas l'avancée du projet: on emprunte, on vote des crédits supplémentaires, on intente un ou deux procès, on trouve toutes sortes de solutions pour pouvoir payer les factures. Il y a celle, extravagante, d'Eugène Carpezat, décorateur du Palais Garnier, pour les neuf décors qui lui ont été commandés, indispensable à tout opéra. Il y a celle pour les pilotis dont le bois va être immergé dans de l'eau saumâtre. Il y a celle pour les pierres taillées de Beaucaire ou de Fontvieille qui composent la façade. Il y a celle pour le lustre de cristal commandé à Henri Beau qui a réalisé ceux de l'opéra de Paris et des théâtres de Nice et de Genève. Il y a celles de tous les artistes qui sont convoqués pour la décoration de l'édifice, sculptures, peintures, dorures… Cela en vaut la peine. Pour s'en convaincre, il suffit de suivre Simone Lacomblez dans la visite du théâtre qu'elle propose dans l'ouvrage rédigé pour son centenaire. La façade: « Antoine Gour concepteur de l'ensemble du

15


16

Les vitraux, les tableaux, les statues… la moindre décoration, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du théâtre, ont été minutieusement choisis pour former un tout d’une harmonie parfaite.

© MCG

théâtre fit appel pour la décoration de la façade à des cristal, le grand lustre central, œuvre d'Henri Beau (…). » artistes au prestige garanti par leur réalisation et de sur- Les escaliers : « Dans l'escalier de gauche (…), Emile croît, d'origine cettoise ou de la région. Ce furent les Troncy (…) fait défiler le “Carnaval”, cortège nombreux sculpteurs Jean-Antoine Injalbert, Auguste Baussan et An- et populaire au long d'un quai où les voiles latines des dré Saurel (…). bateaux-bœufs, inclinées parallèlement cachent le ciel Né à Béziers en 1845, premier prix (…). Leur entrain, leur allure énergique de Rome en 1874, Injalbert s'est vu montrent combien ils apprécient la gaîté Les escaliers sont décorés confié la réalisation de l'attique qui de bon aloi. Le second panneau de avec deux œuvres doit couronner l'édifice entier, cela pour Troncy montre le débarquement d'une d’Emile Troncy tandis que le prix de 20 000 francs; la ville se cargaison. Le navire est à quai. Des chargeant de l'achat des matériaux et oranges s'entassent dans des barils, des le foyer reçoit les huit de la construction des échafaudages sacs, des caisses et la vente commence panneaux peints (…). L'édifice sétois est en soi un disdéjà. Comme pour “Le Carnaval”, les par Guirand de Scévola cours sur le Beau, une œuvre d'art à couleurs sont gaies et sobres, les groupréserver, durable et vénérable. » pements harmonieux, une impression La salle : « Elle témoigne d'un luxe discret, sans apparat de vie paisible émane de l'ensemble (…). Ces tableaux inutile. Les loges sont modestes, de dimensions restreintes vigoureux sont vraiment à leur place au théâtre Molière. (…). Le rouge et l'or, couleurs symboliques, règnent Notons que chacun fut payé 5 000 francs or. » comme il se doit (…). Le plafond ou “ciel” ne s'alourdit Le foyer : « Admirablement situé, il court le long de la fapas de vélum à pompons comme à Naples, ne s'orne çade. Ses proportions sont belles. Rectangulaire et longipas de l'évocation du monde comme celui de Chagall à ligne, il contraste avec les lignes courbes de la grande l'Opéra Garnier, ni de personnages mythologiques salle (…), il est plein de charme. Ses vitraux d'inspiration comme ailleurs; y apparaissent quelques silhouettes d'édi- “art nouveau” (…) laissent pénétrer à flot la lumière de la fices classiques anonymes. Il se veut discret pour laisser place par les trois grandes baies du premier étage (…). briller de tous ses feux la vedette à pendeloques de Les huit panneaux peints couvrant intégralement les murs


sont l'œuvre de Guirand de Scévola. Ils furent peints à Paris, payés 18 000 francs en 1904, transportés à Sète et marouflés aux frais de la ville (…). Ses tableaux du foyer reflètent avec une habileté fade les modes littéraires de l'époque: “fêtes galantes” et “paysages choisis” chers aux admirateurs d'un style vaporeux et symbolistes sans symbole. » La scène: « La scène, 11 m d'ouverture, 7 m de hauteur, 18 m de profondeur, (…) est un lieu géométrique rigoureux. Juste dans l'axe médian de l'édifice, elle a 3 % de pente pour être vue de partout en tous points ». Cintres et dessous : « Aux velours et aux lumières de la salle répond ici un monde crépusculaire, en bois brut, labyrinthe poussiéreux où tout s'agence avec précision. Ce monde des machinistes qui occupe trois niveaux audessous du plateau où évoluent des acteurs parfois prestigieux (…) se conforme aux lois de la mécanique, de la balistique et plus généralement de la gravitation universelle (…). [Car le théâtre à l'italienne qui a envahi l'Europe à la fin du XIXe siècle] permet aux acteurs et aux décors de se mouvoir dans l'espace (…) dans les deux volumes du théâtre invisibles au public: les “dessous” en sous-sol, les cintres au-dessus du plateau, deux zones pour faire circuler verticalement avec aisance des éléments de machinerie d'un poids parfois énorme. Ceux-ci sont équilibrés par des contrepoids ou “pains”, masses de fonte empilées le long des “fils”, “filins” ou “guindes” ». Conclusion de Simone Lacomblez: « Bien sûr, l'usage de l'électricité et les derniers développements technique ont transformé l'activité des régisseurs et des machinistes. Il n'en reste pas moins que le théâtre Molière, l'un des plus jeunes théâtres à l'italienne, est un témoin exemplaire, le

L’attique qui coiffe le théâtre a été sculpté dans la pierre par le Biterrois Jean-Antoine Injalbert. plus beau de la région, de ce nouvel art du théâtre qui a fleuri au siècle dernier. » Bref Antoine Gour n'aura pas volé une gratification de 10 000 francs qui lui fut attribuée par la commune à la livraison de l'édifice. Honoré Euzet aurait-il été plus généreux? C'est Jean L'Heureux Molle qui occupe le fauteuil de maire lors de l'inauguration du nouveau théâtre. « Construit par l'opérette et le théâtre du début du XXe siècle, inauguré avec l'opéra de Donizetti “La favorite”, la grande salle de Sète va réjouir le public pendant plus d'un siècle. » note d'ailleurs Xavier Favre dans sa réflexion sur la transformation du théâtre dont il conduit les travaux de 2012 à 2014. Et d'ajouter justement: « L'aura dont bénéficie un ancien théâtre tient à une histoire longue et riche où s'entremêlent le coût et les difficultés du chantier d'origines, les souvenirs d'enfant d'un premier spectacle, un passage sur “les planches”, l'image fastueuse des dorures du foyer, un concert de Georges Brassens dans sa ville, voire la fierté d'une façade jamais franchie… »

Hommage d’architecte

L'architecte Xavier Fabre, auquel a été confié la restauration du théâtre en 2011, rend hommage à la réalisation de Gour dans "Le Théâtre sans fin" le livre qu'il a consacré à la transformation du théâtre historique de Sète. Huit de ces travaux techniques et scéniques ont forcé son admiration : •Des techniques de chapes hydrofuges et de répartition régulière des charges sur un sol sablonneux instable ont permis de poser les fondations sous le niveau de la mer. •Les structures métalliques de la salle «merveilleusement ouvragées pour répondre à la forme de la salle et de la coupole » sont enveloppées par des façades en calcaires durs, blancs ou coquillés de la région. •L'espace scénique est vaste (11x18 m) avec «deux grandes poches latérales pour le dégagement des décors et des comédiens ainsi que des loges sur quatre niveaux et une fosse d'orchestre sous un proscenium démontable au-devant du rideau de fer ». •Les trois dessous démontables de rues et fausses rues et les cintres avec 48 équipes de porteuses contrebalancées correspondent aux innovations de l'équipement scénique de l'Opéra Garnier inauguré en 1875. •La ventilation et le chauffage de la salle sont assurés par de l'air aspiré dans une cour anglaise extérieure puis pulsé jusqu'à des grilles placées sous les fauteuils du parterre et des balcons. •L'évacuation de la salle peut se faire en sécurité grâce à quatre escaliers tandis que deux escaliers d'honneur distribuent le foyer. •Sur 1040 places, il n'y en a que 150, au "paradis" qui sont inconfortables et près de 250 où la vue est médiocre. Mais partout l'audition est bonne. •Le décor initial, dorure, stucs, peintures, est de grande qualité, suffisante en tout cas pour résister sans trop d'outrages à l'usure du temps.

17


“La Favorite“ de Donizetti en ouverture

18

Est-ce que les 1041 spectaIl a quitté Naples après la teurs qui se pressent le 12 mort de sa femme pour s’insavril 1904 à l’inauguration taller à Paris en 1838. Il comdu théâtre de la ville pour asmence à être rongé par la sister à une représentation de syphilis mais il compose à “La Favorite” de Gaetano Doson habitude en quelques senizzetti se doutent de la casmaines la musique de “La Facade d’événements qui ont vorite” qui est créée le 2 déabouti à la création de cet cembre 1840 à l’opéra de opéra? C’est peu probable Paris. car la généalogie de cette Le succès est foudroyant tout œuvre est improbable. autant que le scandale que A la source, il y a Claude l’œuvre déclenche dans les Guérin de Tencin (1682milieux catholiques car la 1749), femme de lettres et de passion l’emporte ici sur les pouvoir, galante et affairiste, préceptes de la religion. mère de Jean d’Alembert. Elle “La Favorite” c’est en effet publie sans nom d’auteur en l’histoire de Fernand, un 1735 une bref roman intitulé moine qui est sur le point de “Mémoires du comte de prononcer ses vœux. Il y reComminge”. L’ouvrage a du nonce car il est tombé amousuccès et sera constamment reux de Léonor qui partage réédité pendant plus d’un siè- C’est à l’opéra de Paris en 1840 que “La Favorite” a été ses sentiments sans lui avouer cle. La critique le considère interprétée pour la première fois avec dans les rôles principaux être la maîtresse du roi de comme le pendant du roman Madame Stoltz et Monsieur Duprez. Castille, Alphonse XI. Or c’est de Mme de La Fayette, “La à ce monarque colérique qui Princesse de Clèves”, c’est-à-dire plus noir que rose. est en train de chasser les maures d’Espagne que Fernand La propriété intellectuelle étant encore un concept flou, va demander la main de Léonor. Le roi l’accorde en saFrançois de Baculard d’Arnaud (1718-1805) s’empare chant que Fernand ne supportera pas d’apprendre que du sujet pour écrire un drame sombre “Les Amants Mal- Léonor est une courtisane. C’est ce qui se produit: meurtri, heureux” donné en 1764. Lui est issu de la noblesse pro- Fernand retourne à la vie monastique. Folle de douleur, vençale. Il écrit depuis l’âge de 9 ans. Voltaire l’a pris Léonor le rejoint pour obtenir son pardon. Elle l’obtient sous son aile. Cela le conduit chez Frédéric II de Prusse mais épuisée par la douleur, elle meurt dans les bras de puis à Dresde. Il se fixe ensuite à Paris où il devient un son amant qui jure de ne pas lui survivre. dramaturge désargenté quoique réputé. En 1790, il re- Voilà ce que donne à voir le 12 avril 1904 le nouveau prend “Les Amants Malheureux” qui deviennent “Le Comte théâtre de Sète avec Escalaïs, Bouxman, Fléreus, Dutrey de Comminge”, son œuvre majeure, la plus sombre. et Roselli sur scène, Amalou à la baguette dans la fosse Un bel opéra peut-il ne pas être un sombre drame? Al- d’orchestre, et Léonce à la régie. phonse Royer et Gustave Vaëz s’inspirent librement de « Tous les ingrédients qui rendent l’opéra attractif sont l’œuvre de Baculard d’Arnaud pour proposer un livret à réunis: de l’histoire, du mélodrame, de l’exotisme, de Gaetano Donizetti (1797-1848). Le compositeur origi- magnifiques arias, des scènes énormément dramatiques naire de Bergame est considéré comme l’héritier de Ros- et émouvantes, des péripéties presque pléthoriques, deux sini, le rival de Bellini et le précurseur de Verdi. Naples héros (Fernand et Léonor) émouvants et beaux… » écrit lui a fait un triomphe quand il a présenté “Lucia di Lam- Simone Lacomblez. « Ce fut un triomphe, la réalisation mermoor” en 1835. du rêve cettois. Les trois coups du nouveau théâtre étaient Il est joué aussi bien à Milan qu’à La Havane et Vienne. superbement frappés. »


© ARCHIVES/DR

Les cinquante ans du théâtre municipal sont fêtés le 30 novembre 1954 lors d’un grand gala où sont donnés “Les Huguenots” de Meyerber. Le lustre que retrouve alors la salle de l’avenue Victor-Hugo est éphémère. Des spectacles sont de plus en plus souvent annulés. Des œuvres de Jean-Paul Sartre, Jean Cocteau, Jean Anouilh, ou Albert Camus sont créées dans l’indifférence. Désormais le théâtre accueille des réunions publiques, des tirages de la loterie nationale, des lotos, des championnats de judo ou des combats de catch. Arbres de Noël et bal des pompiers sont également au programme. L’élection d’un maire communiste met un terme à cette descente aux enfers : « L’avènement de la municipalité Arraut (1959) donne une vigoureuse impulsion à l’activité culturelle de la ville à la fois par la mise en place de nouvelles structures et par l’aide apportée à toute une série d’initiatives privées. Les activités lyriques, théâtrales et musicales connaissent un nouvel essor grâce à la nomination à la tête du théâtre municipal d’un professionnel du spectacle en la personne de Maurice Morelly », souligne Jean Sagnes dans le chapitre Mentalité et idéologie de son “Histoire de Sète”. Maurice Morelly est natif de Béziers. Il a de solides relations dans les milieux du music-hall parisien où il s’est fait connaître en interprétant des chansons populaires avec un certain succès.

Pour ses 50 ans le théâtre retrouve une nouvelle jeunesse avec Maurice Morelly C’est un grand amateur de bel canto. Il reste à la direction du théâtre municipal jusqu’en 1972, année où il s’installe à Perpignan pour diriger le Centre lyrique régional. Son passage à Sète est qualif ié de « décennie prodigieuse » par Jacques Dalquier. En tout cas le théâtre retrouve une vitalité exceptionnelle dans tous les domaines grâce à des personnes et des structures dynamiques. Pour le théâtre Maurice Morelly s’appuie largement sur Jean Deschamps qui met en pratique les leçons de Jean Vilar avec son Théâtre du Midi. Le Théâtre de la Cité de Villeurbanne,

la Compagnie de l’Etang de Berre, la Compagnie Jacques Fabri viennent également présenter des répertoires classique (Molière, Shakespeare, Goldoni, Tchekhov) ou contemporain (Anouilh, P. Luke, T. Williams, E. Manet, P. Nichols, E. Albee) interprétés aussi dans l’esprit du TNP. Du coup le “boulevard” est moins souvent à l’aff iche. La musique et la danse sont remises à l’honneur. Les concerts organisés par les Jeunesses musicales de France créées par Antoine Alleman sont un élément capital de l’initiation et de l’éveil des jeunes en milieu scolaire. Pas moins de 8 à 9 opéras sont donnés par saison avec des voix comme celles de Mady Mesplé, Michel Dens ou Tony Poncet. Les étoiles de la chanson, Dalida, Henry Salvador, Gilbert Bécaud, Serge Reggiani, Georges Moustaki, Michel Sardou retrouvent le chemin de Sète. Toutefois Maurice Morelli ne reprend pas les tournées Lemercier, Mayol ou Tichadel qui ne font pas assez d’entrées. Les spectacles folkloriques gardent leur place mais les troupes venues des pays de l’Est supplantent désormais les Espagnoles. L’élan donné par Maurice Morelly retombe après son départ pour Perpignan. Les trois directeurs, Henri Delpont (1972-1980), Jean-Pierre Duperray (1981) Colette Narchal (1982-1986) qui lui succèdent ont du mal à mettre en place une politique de spectacles qui f idélise un large public.

19


20


JeanVilar, le réfractaire

© MCG

Coïncidence ? Sète fête le centenaire de la naissance de Jean Vilar en 2012, année où débute la rénovation du Théâtre Molière. Mais c’est le seul lien qu’il soit possible de faire entre ces deux “monuments” sétois. Car bien qu’il soit né rue Gambetta au-dessus de la mercerie-bonneterie de son père, bien qu’il ait grandi dans cette ville à laquelle il ne cessera de manifester un vif attachement, sa route d’homme de théâtre ne fit jamais le moindre détour par l’avenue Victor-Hugo. On en comprend le pourquoi en lisant un spécialiste de l’homme et de son travail, Guy Leclerc : « Jean Vilar a été dans les années 50 le principal artisan du renouveau du théâtre français. Fondateur et directeur à partir de 1947 et jusqu’à sa mort en 1971 du Festival d’art dramatique d’Avignon, directeur du théâtre national populaire (TNP) de 1951 à 1963, il renouvela non seulement les structures scéniques, la régie et l’interprétation sous le signe de la sobriété et du dépouillement cher à Jacques Copeau mais aussi le recrutement et l’organisation du public, sous le signe d’une démocratie culturelle inspirée par les idées généreuses de ses devanciers (Firmin Gémier en premier lieu) et aussi par l’esprit de la Résistance. »

En clair le théâtre bourgeois à l’ancienne, dont le théâtre Molière est l’archétype, tout en moulures, éclats et dorures, n’est pas l’espace qui convient à la volonté d’abolition des strates sociales à laquelle aspire Jean Vilar. Il fait de ces théâtres une critique sévère avec pour arguments soit la construction en arc de cercle des salles qui ne permet pas à tout le public d’embrasser du regard la totalité de l’espace scénique, soit le baroque de la décoration qui est le signe d’un temps où le spectacle est d’abord dans la salle, comme la trace d’un divertissement social qui ignorait l’art. Reste à savoir si Jean Vilar a complètement atteint son but. Dans le livre qu’il a consacré à la transformation du Théâtre Molière, l’architecte Xavier Fabre demande si « les théâtres déplacés dans les nouveaux quartiers de la ville, selon une architecture renouvelée vont vraiment à la rencontre d’un autre public ? » La réponse a été donnée dans une enquête sur les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique : c’est non ! Les catégories sociales fréquentant les lieux du spectacle vivant sont au fil du temps d’une très grande stabilité. Bref, Jean Vilar se serait trompé : ceux qui vont au théâtre vont aussi bien au TNP qu’à Avignon et au Théâtre Molière où il a d’ailleurs sa statue.

© DR

Le cadeau de Georges Brassens

Par amitié d’abord mais par générosité aussi, Brassens retrouve sa ville natale, renfloue les caisses du théâtre en y donnant cinq concerts et en prime offre un nouveau rideau de scène.

Henri Delpont et Georges Brassens se sont connus sur les bancs du collège. Ils y ont noué une amitié inoxydable. Brassens, le mauvais élève, l’adolescent chapardeur, le quasi clochard de la Libération, est dès le début des années 50 un maître de la chanson française que s’arrachent les grandes scènes parisiennes. Delpont qui rêvait de cinéma deviendra le directeur du théâtre municipal à des périodes (avant 1960 et après 1972) qui ne comptent pas parmi les plus prestigieuses de la scène sétoise. Par cinq fois, Brassens viendra donc au secours de son ami. La première fois, ce fut le 23 août 1954 : le théâtre est trop petit pour accueillir tous ceux qui veulent entendre “Le Gorille” ou “La mauvaise réputation”. La recette culmine à 527 240 francs et “Midi Libre” parle alors de « triomphe ». Le même enthousiasme préside aux autres représentations du poète-chanteur qui en avril 1973 réussit la performance de se produire à Sète le vendredi 13, puis à Carcassonne le samedi 14 et de nouveau à Sète le dimanche 15. Jacques Dalquier note en 2004 : « La générosité de Brassens était discrète : sait-on qu’il a offert le rideau de scène rouge actuellement en place? »

21


Yves Marchand

le théâtre instrument

Dans la programmation 2016-2017 “Karamzov” d’après l’œuvre de Dostoïevski, créé à Avignon puis adapté pour la scène du Théâtre Molière, un spectacle fleuve qui a tenu les spectateurs pas moins de 4 h 30 . ès qu’il est élu maire en 1983, Yves Marchand se préoccupe du devenir du théâtre municipal qui n’attire plus guère le public depuis la disparition de Henri Delpont en 1980. Ni le comédien metteur en scène Jean-Pierre Duperray, ni la collaboratrice d’Henri Delpont, Colette Narchal, ne sont parvenus à trouver une programmation qui satisfasse pleinement les Sétois. Le théâtre municipal est rebaptisé Théâtre Molière et plutôt que de donner beaucoup de spectacles, l’accent est mis sur la qualité. Grâce à des affiches où apparaissent les noms prestigieux d’acteurs (Jean Piat, Michèle Morgan, Micheline Dax), de chanteurs (Matteo Manuguerra) ou de chefs (Alain Lombard), grâce aussi à un renouvellement de la programmation lyrique et classique, la “renaissance” du théâtre semble s’amorcer. Yves Marchand comprend alors qu’il faut forcer les feux.

d 22

En 1991, le ministère de la Culture a créé le label “scène nationale”, qui est le dernier chaînon de la politique de décentralisation théâtrale. Voilà le levier dont le maire a besoin. Les négociations avec les pouvoirs publics s’engagent. Il s’agit de montrer que le théâtre a la capacité de remplir trois missions fixées par la direction du théâtre et des spectacles du ministère : - s’affirmer comme un lieu de production artistique de référence nationale dans les domaines de la culture contemporaine, - organiser la diffusion et la confrontation des formes artistiques en privilégiant la création contemporaine, - participer dans son aire d’implantation à une action de développement culturel favorisant de nouveaux comportements à l’égard de la création artistique et une meilleure insertion sociale de celle-ci.

© PASCAL VICTOR

d’une politique culturelle globale


Le théâtre Molière obtient ce label en 1993. Yves Mar- champs dans l’ombre du directeur de l’époque du Théâtre chand en expliquera le contexte ainsi : des 13 Vents (à Montpellier), constituait pour nous un « C’est sans doute la tristesse de salles vides, malgré les atout non négligeable dès lors qu’il connaissait bien le efforts accomplis depuis 1983 en faveur de la qualité public régional et qu’on lui offrait ainsi une possibilité des spectacles, qui m’a convaincu de la nécessité d’aller d’expression en dehors de toute tutelle. plus loin, à la fois dans la programmation théâtrale et La création de la Scène Nationale de Sète fut sans doute dans la communication de cette programmation pour re- le résultat d’une volonté politique, mais sa réussite fut asdonner aux Sétois le goût du théâtre et surément le fait de l’équipe réunie par l’envie d’y retourner. Bruno Deschamps qui, après avoir su “Aller plus loin Ce choix politique ne pouvait se faire motiver ses troupes, a su créer un réseau dans la programmation isolément des autres modes d’expression de fidèles à Sète et au-delà. et la communication de la vie culturelle locale. Il s’agissait Le gage de la réussite d’une Scène Nadonc, après avoir redonné vie au Conserpour redonner aux Sétois tionale est d’ailleurs d’avoir des ambitions vatoire municipal, de créer une médiaqui dépassent le plus largement possible le goût du théâtre…” thèque capable de drainer toutes les son implantation géographique. couches de la population non seulement Ce fut chose faite avec la Scène natiovers le livre mais aussi vers les autres moyens d’accession nale de Sète dont le public se répartissait en deux parties, à la culture : le disque, la vidéo pour élargir au maximum pour moitié d’origine locale et pour moitié d’origine réleur champ d’investigation. Il s’agissait enfin, bien entendu, gionale (essentiellement Nîmes et Montpellier) ; ce qui de promouvoir le spectacle vivant qui constitue le condensé prouvait que Sète pouvait devenir un acteur majeur de la des autres expressions culturelles pour peu qu’on lui confère création culturelle. Personne ne conteste depuis qu’elle le une dimension suffisante. soit devenue. » La Scène nationale s’imposait donc comme l’aboutissement Yves Marchand a perdu son fauteuil de maire en 1996. d’une politique culturelle globale. Ses successeurs, le communiste François Liberti (1996Le choix du directeur constituait par ailleurs une étape ma- 2001) et le républicain François Commeinhes (depuis jeure de la réussite du projet. La présence de Bruno Des- 2001) n’ont pas varié de cap.

Scène nationale, un label créé en 1991 Après les Centres dramatiques nationaux créé en 1972 dans les grandes métropoles, les Scènes nationales ont été mises en place dans les villes moyennes à partir de 1991 par Bernard Faivre d'Arcier, directeur du Théâtre et des Spectacles au ministère de la Culture. Elles constituent le dernier chaînon de la politique de décentralisation culturelle initiée en France après la Libération. Il existe 7o scènes nationales en France métropolitaine et une Outre-Mer. Elles sont traditionnellement cof inancées pour partie par les collectivités locales et par le ministère de la Culture, via les DRAC (direction régionale d'action culturelle). Au moins un quart de leurs ressources provient de recettes propres. Les scènes nationales se présentent, pour la plupart, sous la forme d'associations de type loi 1901.

Elles disposent, par le statut associatif, d'une grande autonomie décisionnelle vis-à-vis de l'État et de la DRAC. Son conseil d'administration est composé à majorité de membres de droit représentant l'État et les collectivités territoriales. Le conseil d'administration choisit le directeur de la structure en fonction de son projet artistique. Le directeur est responsable de la programmation artistique. Il choisit les artistes qui seront présentés sur sa scène, en accord avec les missions imposées par l'État aux scènes nationales. Les scènes nationales doivent participer à la diffusion de la culture en France. Elles ont été créées dans le cadre des politiques d'aménagement du territoire, de décentralisation et de démocratisation de la culture initiées par le ministère de la Culture et de la Communication. Ces établissements ont l'obligation

de la pluridisciplinarité dans le domaine du spectacle vivant. Leurs missions sont déf inies dans leurs statuts qui imposent à chaque scène nationale de « s'aff irmer comme un lieu de production artistique de référence nationale dans l'un ou l'autre des domaines de la culture contemporaine; organiser la diffusion et la confrontation des formes artistiques en privilégiant la création contemporaine; participer, dans leur aire d'implantation, à une action de développement culturel favorisant de nouveaux comportements à l'égard de la création artistique, et une meilleure insertion sociale de celle-ci ». « Obtenir le label “scène nationale” est une marque de reconnaissance, pas une assurance tous risques » écrivait Clarisse Fabre dans “Le Monde” en 2011 lors du vingtième anniversaire du label.

23


24


Bruno Deschamps, jeunesse et expérience Bruno Deschamps a 30 ans quand Yves Marchand lui confie, en 1987, la direction du Théâtre Molière. Il arrive de Montpellier où il a fait ses classes au Centre dramatique du Languedoc avec Jérôme Savary. « Donc jeunesse et expérience » note Jacques Dalquier dans le chapitre intitulé “Renaissance” de l'ouvrage sur les cent ans du théâtre. « En 1993, le théâtre devient Scène nationale. Les objectifs de la Scène nationale s'accordent pleinement avec l'action déjà déployée, alors que tout devait être créé : une équipe, un public, une programmation. Si l'on résume cette action, on peut énumérer : la création de réseaux de spectateurs et de collectivités, l'expansion spectaculaire du secteur Jeune Public, la création de stages et d'ateliers ; et surtout la programmation solide : ni élitisme, ni populisme, faire sans démagogie un théâtre du spectateur et se permettre aussi des découvertes. » Pour cela Bruno Deschamps privilégie le théâtre et la danse contemporaine en dépit de la concurrence de Montpellier. Le public suit, venu des environs et même de Montpellier, attiré par une publicité active et les créations éblouissantes d'une pléïade de jeunes chorégraphes tels Régine Chopinot, Jean-Claude Gallota, Angelin Preljocaj, Edouard Lock, Odile Duboc ou Maryse Delente. Les Sétois découvrent tout cela avec un peu de frilosité d'abord puis avec un grand appétit. Le même désir d'oser des nouveautés parfois dérangeantes (Koltès, Beckett, Genet, Thomas Bernhard par exemple)

se retrouve dans la programmation théâtrale qui est soutenue par des interprètes de talent : Claude Brasseur, Michel Bouquet, Patrice Luchini, Romane Bohringer, etc. Bruno Deschamps prend aussi l'initiative d'inclure dans chaque saison de musique classique un concert des Jeunesses musicales de France. La formule due à Robert Berthier, alors directeur général des JMF l'a séduit : un jeune musicien promis à un brillant avenir fait une tournée nationale aux côtés d'un orchestre de jeunes étudiants étrangers en dernière année de conservatoire. Le dosage du cocktail théâtre classique et moderne, danse, musiques actuelles et classique, lyrique s'attire néanmoins quelques critiques. Les mélomanes se plaignent d'une diminution du nombre de concerts classiques, les amateurs d'opéra veulent être plus souvent satisfaits, ceux de la chanson également. Bruno Deschamps écoute, explique et continue de remplir la salle de gens presque toujours heureux. Les abonnements grimpent à 2500 puis à presque 3500. L'objectif est d'atteindre une fourchette de 35 000 à 40 000 places vendues. La Médaille d'Or de la ville de Sète est décernée à Bruno Deschamps qui quitte en 2002 la direction du Théâtre Molière pour celle de la Scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines. Il revient dans le Midi en 2007, pour diriger les Affaires culturelles et les théâtres de Béziers jusqu'en 2014. Il est depuis en procès avec le maire de la ville Robert Ménard.

L’objectif était d’atteindre une fourchette de 35000 à 40000 places vendues par saison

Simone Lacomblez, l’amour des beaux textes

En juin 2009, à l’occasion de la Fête de l’Université du temps libre (UTL) au théâtre de la Mer, François Commeinhes a rendu hommage à la première présidente de la Scène nationale de Sète en ces termes : « Simone Lacomblez a enseigné pendant quelques années à l’Université du temps libre de Sète, notamment la littérature anglaise qui est une de ses spécialités. Aujourd’hui, Simone Lacomblez vit retirée à Pérols. Je voulais lui rendre hommage, car lorsque

l’on parle d’implication dans la vie culturelle de Sète, elle en est un des exemples incontournables. Enseignante à la retraite, elle était installée à Sète après avoir vécu à Paris, où elle était une fervente abonnée du Théâtre national populaire de Jean Vilar. À Sète, tout le monde a vu le travail remarquable qu’elle a accompli pour les Jeunesses musicales de France, qui ont été pendant très longtemps le seul vecteur des concerts de musique classique à Sète.

Elle fut ensuite, depuis sa création et pendant des années, présidente de la Scène nationale avant de passer le flambeau, l’âge venant, à René Spadone, qui lui-même enseigne à l’UTL de Sète. Retraitée, elle a tout de même souhaité continuer de transmettre ce qu’elle chérissait : l’amour de la culture, des beaux textes et du théâtre. Pour tout ce travail réalisé à Sète, je voulais la remercier. » Actuellement en maison de retraite à Pérols, elle a un peu perdu le contact avec Sète et vit pour sa fille Denise et ses petits enfants, Thaïs et Aurélien.

25


© JULIEN MIGNOT

Yvon Tranchant est âgé de 51 ans quand le ministre de la culture et de la communication, Jean-Jacques Aillagon, et le maire de Sète, François Commeinhes, donnent en mai 2003 leur agrément à sa nomination au poste de directeur de la Scène nationale de Sète. Il succède à Bruno Deschamps en partance pour Saint-Quentin-enYvelines. Yvon Tranchant sort lui du Volcan, la scène nationale du Havre de laquelle il était directeur adjoint. Le communiqué de presse diffusé alors par le ministère indique: « Tout en s’inscrivant dans la continuité de l’action de son prédécesseur qui a fait des théâtres de Sète un lieu de référence pour la diffusion pluridisciplinaire d’excellence notamment en danse et musiques actuelles, le projet d’Yvon Tranchant place en son centre la permanence artistique et l’élargissement des publics afin de conforter la scène nationale dans son rôle de pôle structurant dans l’aménagement artistique et culturel du Bassin de Thau, du département de l’Héraut et de la région Languedoc-Roussillon. » C'est le septième (et dernier) théâtre dans lequel Yvon Tranchant assume des fonctions de direction. Il a commencé à 27 ans à Poitiers où, « fils d'une famille modeste qui a bénéficié de l'ascenseur social », il venait de sortir major d'une formation de direction d'établissement culturel dispensée par le Cresp. Puis il est passé par Châtellerault, Saintes, Conflans-Sainte-Honorine, Cergy-Pontoise et Caen avant Le Havre. Rien ne l'a détourné de sa passion pour le spectacle vivant, pas même le maire de Conflans-Ste-Honorine, Michel Rocard, qui l'a appelé dans son cabinet à Matignon et qui l'a soumis à la tentation de la politique. En dépit de l'admiration qu'Yvon Tranchant porte à l'ancien Premier ministre de François Mitterrand, il n'a pas sauté le pas.

Yvon Tranchant, le goût du risque

Le voilà donc à la barre de ce navire qui ne navigue jamais en eau calme, « après avoir franchi toutes les étapes depuis la base ». Il est déjà un peu cabossé par la vie (un fils en soins à Montpellier). Il n'en tient pas moins fermement le cap : « amener les gens là où ils ne sont jamais allés ». Ce n'est pas sans risques. Risque managérial en premier lieu. Diriger La Scène nationale, ce n'est pas seulement faire sa programmation, il y a des budgets à tenir, des personnels à gérer. Avec les permanents et les intermittents, Yvon Tranchant est le patron de 25 équivalents temps plein, soit une masse salariale qui représentent 33% d'un budget pour lequel il faut faire appel au mécénat pour compenser la baisse des subventions. Risque artistique bien sûr. Yvon Tranchant voient plus de 150 spectacles par an. Il en retient une quarantaine en tenant compte des attentes du public et des obligations liées au statut de Scène nationale, soit 15 pièces de théâtre environ, 8 ou 9 spectacles de danse, 3 ou 4 lyriques sans oublier les concerts et les spectacles pluri-disciplinaires. « Tout d’un coup, au bon moment, les choses apparaissent avec évidence. Ce sont ces évidences que je traque. Mes choix me sont dictés par le choc des rencontres qui jalonnent mon voyage, cette quête ininterrompue de l’étonnement. Bien sûr, la catastrophe peut surgir au bout du chemin. Nous sommes toujours dans l’urgence, à la limite... Ce risque ne me fait pas peur. » La jauge monte ainsi à plus de 52 000 spectateurs. Yvon Tranchant a su gagner la confiance du public qui ne le lâche pas, même pendant les deux années de rénovation du théâtre : « Programmer n’est pas difficile mais les choix concernant l’action culturelle, la recherche

“Mes choix sont dictés par le choc des rencontres qui jalonnent mon voyage… Bien sûr, la catastrophe peut surgir au bout du chemin”

26


© JEAN-LOUIS FERNANDEZ

De la poésie en danse et en musique, un spectacle du chorégraphe et danseur indien Akram Khan inspiré du recueil de poèmes “Until the Lions”.

© DIDIER GAUDUCHON

et l’élargissement des publics sont beaucoup plus longs. Comme en politique, il faut convaincre et faire adhérer des gens à des idées ». Pour mener à bien sa tâche, Yvon Tranchant affirme « avoir bossé 15 heures par jour ». Cela en aurait usé de plus robustes. Pourtant au moment de poser sac à terre, il ne parle que de bonheur. Celui des ovations faites par le public aux artistes. Celui de la modernisation menée à bien du théâtre centenaire. Celui du soutien apporté à des artistes pour qu'ils puissent créer, répéter et produire leur travail. Celui de la relation avec l'association en charge de la Scène nationale. Celui du pari réussi de la diffusion territoriale. Bonheur enfin d'avoir été là où c'était possible: « Sète est la ville des contrastes, des excès. Il y a une histoire locale forte, elle peut être rude mais on te permet de faire des choses, on y est libre. L’approche n’est pas la même que si je travaillais dans le Nord, dans l’Est ou en Bretagne, il y a une qualité de vie, le climat joue, l’artiste le dit quand il arrive ici. Il peut se balader, boire des coups dehors, goûter aux produits de la mer et ça n’a pas de prix. Les artistes sont comme des VRP, ils sont très sensibles à la qualité de l’accueil. S’il est convivial et dans le partage, le spectacle n’en est que meilleur ! »

27


2012-2013

c 28

e jour-là, Yvon Tranchant, le directeur de la Scène nationale, se demande s’il ne va pas falloir annuler la représentation programmée en soirée. On est en 2005. C’est l’automne. Il pleut. Et l’eau qui s’infiltre entre les plaques de zinc de la toiture ruisselle à travers les cintres jusque sur le plateau où une flaque grossit. Yvon Tranchant redoute que toute cette eau ne provoque des pannes électriques ou des courts-circuits qui pourraient avoir des conséquences funestes. Ce jour là, le vent tourne, le déluge s’arrête, la représentation peut être donnée. Mais cela fait longtemps, trop, que l’eau s’infiltre, que l’humidité s’accumule dans les plâtres, ronge les peintures et les décors, menace les ré-

© FLORENT JOLIOT

La transformation du Théâtre Molière

seaux électriques, fragilise les planchers et le gril. Seaux, bassines et serpillières ne sont plus que cache-misère. L’économie d’un diagnostic général sur l’état de la structure ne peut plus être faite. Inauguré en 1904, le théâtre a connu une réfection limitée des décors dans les années 30, quelques reprises d’entretien après la Libération, un renforcement des structures des cintres dans les années 90 avec un changement des fauteuils du parterre. Pour le reste la machine a continué de fonctionner grâce à d’incessants “rafistolages”. Visites, état des lieux, avis, expertises se succèdent en 2006. La fuite d’eau ne met pas au jour que la vétusté du théâtre, elle montre son inadéquation avec les exigences nouvelles en matière d’équipement scénique, de


© FLORENT JOLIOT

Rafistolé depuis un siècle, le théâtre avait-il besoin d’être restauré ou rénové?

normes de sécurité, d’accueil du public. Que faire ? Les objectifs de l’agglomération qui est propriétaire du théâtre, des services de l’État qui ont inscrit le bâtiment à l’inventaire des monuments historiques et décerné au théâtre le label Scène nationale, de la direction du théâtre qui doit assumer une mission culturelle ne coïncident pas exactement. Toutes les bonnes et mauvaises raisons de tergiverser sont réunies. D’autant que l’étude rendue en 2007 par la direction de l’Agglomération évalue à 20 millions le montant des travaux. Elle soulève aussi l’épineuse question de savoir si le théâtre doit être restauré (choix patrimonial) ou rénové (choix culturel). Dans un premier temps, l’Agglomération ne tranche pas:

elle veut consacrer une première tranche de travaux évaluée à 6 millions à la sauvegarde de l’édifice, puis une seconde tranche d’un montant identique à la rénovation de l’outil scénique. L’agence d’architectes Fabre/Speller est retenue pour assurer la maîtrise d’œuvre du projet. Ils ont à leur actif de nombreuses rénovations de prestige qu’ils préfèrent nommer “transformations”. Ils n’ont pas de mal à démonter la contradiction inhérente à un projet en deux étapes : le patrimoine est indissociable du culturel. « Les contraintes physiques et économiques qu’impose la salle par sa jauge, ses dispositifs scéniques et son niveau d’équipement deviennent vite, en retour, un aspect déterminant des choix de propositions artistiques » expliquent les

29


30


© FLORENT JOLIOT

Après de longues tergiversations, transformation et rénovation vont être conduites de front dans les délais prévus

architectes. Ils sont finalement entendus. La fermeture du théâtre est prévue pendant deux saisons (2012-2013) au cours desquelles l’activité de la Scène nationale est “déportée” dans le chai Skalli. Un théâtre provisoire y a été installé en moins de 3 mois avec des matériaux prélevés dans le bâtiment Molière. Quatre cents spectateurs peuvent y prendre place face à une scène presque aussi grande que celle de l’avenue VictorHugo. La transformation du vieux théâtre s’engage sous l’œil du photographe Florent Joliot et du dessinateur Topolino. De mai à juin 2013, un échafaudage de 29 m de large et de 25 m de haut est érigé sur la façade néo-classique. Il s’agit de renforcer la pierre, restaurer les sculptures,

remplacer le fronton et les balustres. Une équipe de Compagnons s’attèle à la restauration des colonnes corinthiennes et ioniques, des masques, des anges, musiciens et sculptures monumentales ainsi qu’à l’attique de JeanAntoine Injalbert. Des moulages des parties endommagées sont réalisés afin qu’elles soient reconstituées en atelier avant d’être remises en place. Une grue télescopique est nécessaire pour remonter les blocs qui peuvent atteindre jusqu’à 3 tonnes. Au total 3 600 m² de pierre sont nettoyés et restaurés. Les portes du parvis retrouvent leur couleur d’origine, rouge sang de bœuf. Dans la salle, l’ancien parterre est démoli et reconstruit sur un plan curvé pour compenser visuellement l’abaissement de la scène. Le nombre de fauteuils est réduit avec

31


© FLORENT JOLIOT

32

des rangées plus espacées pour améliorer le confort et la visibilité. L’allée centrale est supprimée, ce qui dégage les circulations latérales et facilite l’accès des personnes handicapées. La cage de scène avec le plateau, la fosse d’orchestre, les dessous de scène et les cintres sont complètement démolis pour pouvoir intégrer toutes les normes techniques contemporaines. Les dessous de scène en bois sont remplacés par un cuvelage de béton pour les renforcer, faciliter le détrappage et la mobilité des décors. Ils sont équipés de structures métalliques plus appropriées à l’automatisation. Conçus pour des charges de 150 kg par porteuse, les cintres historiques n’étaient pas prévus pour le poids des

ponts lumières modernes. Il faut renforcer les fondations avec une centaine de micro-pieux pour que la charge de nouveaux planchers et de nouveau gril métallique soit supportée. La charpente de la cage de scène est doublée et l’arc du mur de cadre renforcé. Le fond du plateau de scène est rabaissé de 80 cm afin de supprimer la pente “historique” de 3% qui ne correspond plus à la scénographie actuelle conçue pour des salles à plat. Un proscenium mobile de 4,5 m est créé pour adapter le grand plateau ou la salle aux formats des spectacles. Les travaux permettent aussi de dégager de nouveaux espaces. Dans l’ancien Caveau, une nouvelle salle est aménagée qui peut accueillir 82 spectateurs assis sur


La pente du plateau de scène qui ne répondait plus aux exigences de la scénographie contemporaine est supprimée et un proscenium mobile est créé pour adapter ce plateau au format des spectacles actuels des gradins en amphithéâtre et une entrée indépendante. Huit mois sont nécessaires pour restaurer les décors qui ont été endommagés par l’humidité. Les toiles marouflées sont décrochées, traitées puis recollées. Trois cents gramme de feuilles d’or sont utilisés pour restituer l’éclat des décors du foyer et de la grande salle. Le lustre d’Henri Beau qui est déposé avant le début des travaux est entièrement démonté pour être restauré. Vingt-quatre entreprises interviennent sur le chantier où près de 80 personnes peuvent travailler simultanément. La “transformation” est terminée en temps et en heure dans le budget imparti (17 millions d’euros dont près de 15 financés par Thau agglo). Le 9 novembre 2013 le “nouveau” Théâtre Molière est inauguré lors d’un concert

hommage à Georges Brassens par la Compagnie des Musiques à Ouïr qui est une création de la Scène nationale. Il y aura 43 spectacles qui suivront au cours de cette nouvelle saison. Presque tous de gros succès malgré les “irréductibles Sétois” qui grognent contre la disparition de l’allée centrale, l’abaissement de la scène ou la nouvelle sonorisation. En conclusion du livre dans lequel il expose les enjeux de la transformation du théâtre, l’architecte Xavier Fabre écrit: «… ce lent travail de répétition et d’usure du théâtre dans ses murs mêmes (…) c’est ce qui donne la force aux théâtres historiques d’être toujours vivants, et à leurs murs, sans cesse usés par le jeu, de s’adapter et de vivre sans fin. »

33


34


© FLORENT JOLIOT

Théâtre à l’italienne ou à la française ? « Le théâtre Molière appartient à la grande famille des “théâtres à l’italienne” dont on peut trouver les origines dans les principautés italiennes du XVIe siècle » écrit François Duval, conseiller pour le théâtre et la danse à la DRAC Languedoc-Roussillon dans sa présentation des travaux de transformation. Les règles architecturales de ce type de salle ont été codif iées dans le “Traité sur les machines de théâtre” rédigé par Niccolo Sabbattini en 1637, année où le Theatro San Cassiano ouvre à Venise : une salle, dessinée selon une courbe circulaire tronquée aux trois-quarts avec une scène munie d’un système de machinerie perfectionné face à un mur “tapissé” de plusieurs étages de loges fermées. La Scène nationale de Sète est-elle donc bien dans un théâtre à l’italienne? Ici, la disposition du mur est plus ouverte, le parterre est gradiné de baignoires, de balcons ouverts avec un niveau de loges cloisonnées en retrait. La nuance est inf ime. Elle n’en fait pas moins du Théâtre Molière un théâtre à la française. Pour éviter toute polémique stérile, Xavier Fabre, l’un des architectes qui ont conduit le projet de transformation, préf ère l’expression de « théâtre historique » à celle de « théâtre à l’italienne ». « Les théâtres historiques ont longtemps subi l’opprobre des rénovateurs de la scène contemporain, note-t-il, Jean Vilar lui-même décriait les défauts des anciennes salles de théâtre bourgeois. » Pourtant ces lieux peuvent continuer de vivre. « Ce qui fait sens dans la rénovation d’un théâtre, écrit-il, c’est la diversité des intensions qui s’y croisent et la ligne de force qui peut s’en dégager. Ici, à Sète, patrimoine et production théâtrale ont pu se rencontrer et construire une nouvelle lecture politique de l’édif ice, qui engage et démultiplie sa force culturelle. »

35


© DR

Et c’est parti pour deux saisons au chai Skalli !

Le 10 juin 2011, les trois coups du brigadier sont frappés à la fin de la présentation de la saison 2011-2012 que vient de faire Yvon Tranchant. Les clés du Théâtre Molière sont symboliquement données au cabinet d’architectes Fabre-Speller qui va en entreprendre la transformation et la modernisation. Le public se lève pour applaudir, à la demande de René Spadone, la scène vide avant de se retrouver

36

sur le parvis pour un apéritif. Dans quelques jours ce seront les mêmes ou presque qui forment une longue chaîne humaine pour transporter les fauteuils démontés du parterre vers les nouveaux gradins dressés, de l’autre côté du canal maritime, dans le chai Skalli. L’entrepôt vinicole désaffecté qui a accueilli des expositions photo d’ImageSingulières va abriter les spectacles des saisons 2011-2012 et 2012-2013

de la Scène nationale. La première représentation, “Oh! les beaux jours” de Samuel Beckett, est programmée le 10 janvier 2012. L’aménagement est réalisé en moins de trois mois avec des matériaux provenant du Théâtre Molière pour 600 000 euros. La nef a permis d’installer un gradin de 400 places numérotées, une scène de 12m sur 14m, un espace bar-restauration, un espace d’exposition en accès libre.

Ventilation, sanitaires, parking contribuent au confort des spectateurs qui découvrent dans cette «base de repli» la dimension expérimentale du théâtre «officiel». La salle « résolument contemporaine » pourrait devenir le lieu complémentaire idéal du Théâtre Molière. Ce n’est pas l’option du nouveau propriétaire du chai auquel le bâtiment est rendu en 2014 après démontage intégral des installations du théâtre provisoire.


Sandrine Mini, la scène en héritage propose pour la scène nationale un projet ambitieux, à l’écoute de la diversité des parcours des artistes et des publics. Son projet laisse place aux acteurs de la scène artistique régionale et prévoit un pôle de création et de diffusion dédié au jeune public. Sandrine Mini aura à cœur de renforcer l’empreinte de la scène nationale dans la région, en organisant dans l’espace public des communes de l’agglomération un événement annuel autour du cirque, de la danse, de la musique et des arts plastiques. » Dans l'interview qu'elle a donnée à “Midi Libre”, Sandrine Mini a précisé: «Ici, il y a beaucoup de public et un fort taux de remplissage. Je retiens qu'il y a une grande diversité dans les propositions artistiques, des fidélités à des artistes. Tout cela, il faut le respecter. Je ne compte donc pas changer radicalement la programmation mais peut-être, petit à petit, faire au public d'autres propositions. J'ai vécu durant sept ans à Rome, j'y ai un important réseau artistique. Je peux donc soumettre des spectacles venant de ce coin. » Sandrine Mini reçoit en «héritage» d’Yvon Tranchant pour la saison 2017-2018 une des plus belles programmations qui soient avec douze créations sur trente-cinq spectacles dans une «maison qui tourne» où « elle pourra s’appuyer sur une équipe formidable ». Elle aura aussi à lancer le pôle jeunesse du Centre culturel de Mireval. «C’est un projet d’avenir qui est tout neuf» a expliqué Yvon tranchant à “Midi Libre“. «Toutes les scènes nationales de France disposent d’une petite salle pour travailler et élaborer des spectacles. Mireval le permet, l’enjeu étant de faire venir des jeunes qui ont d’autres occupations et d’autres centres d’intérêt que les enfants. Eux font des sorties théâtre organisées par leurs professeurs pendant la période scolaire, c’est facile de remplir la salle.»La Drac, l’agglo, et le département sont impliqués dans l’aventure, en attendant la Région. © DR

Originaire du Vaucluse, Sandrine Mini a été en classe préparatoire au lycée Joffre de Montpellier. De là elle est montée à Paris où elle a obtenu une maîtrise de Lettres à la Sorbonne puis un DEA en Sciences de la formation et de la communication. En 2000 enfin, l’International School of Management Paris/New York lui a décerné un MBA (Master of Business Administration) en gestion culturelle. Tout en poursuivant ses études, Sandrine Mini a été chargée du développement à la RMN (Réunion des Musées Nationaux) qui de 2000 à 2004 lui confie la direction de sa filiale italienne à Rome. De retour à Paris, elle a occupé le poste de chef de l’export puis chef du département des publics (2004-2009). De 2009 à 2012, Sandrine Mini a été attachée culturelle à l’ambassade de France en Italie avant de devenir directrice des publics et du développement culturel au Musée national Picasso, Paris. En février 2014, elle a été nommée directrice du complexe culturel le Toboggan à Décines. En désaccord avec la municipalité qui lui demande de programmer du diver tissement de base alors qu'en quelques mois elle a fait passer le nombre de spectateurs de 5 000 à 19 000, elle décide de postuler à la direction de la Scène nationale de Sète que doit quitter Yvon Tranchant et à celle de l'Institut français de Casablanca au Maroc. Sa candidature a été retenue ici (où il y avait plus de 70 postulants) et là (où il y en avait tout autant). Elle a donné la préférence à Sète comme une évidence: « Quand j'arrive à Sète, j'ai l'impression d'être un peu à la maison. J'ai un véritable coup de foudre pour cette ville. Il y a une vraie dynamique à l'œuvre. C'est une ville qui est très tournée vers la culture et en même temps vers la population. J'ai vraiment hâte de m'y installer. » Le communiqué que la ministre de la culture a publié pour officialiser sa nomination indique: « Sandrine Mini

La nouvelle directrice du théâtre Molière a été choisie parmi 70 postulants

37


38


Litanies pour un président de Scène nationale

© FRANCK COUVREUR

Devenir président alors qu’on n’a rien demandé et qu’on n’y pensait même pas… Pressenti d’abord par un adjoint à la culture de gauche et, peu de temps après, par un adjoint de droite, je me suis réjoui d’une neutralité affichée dès le départ. Et je la revendique toujours, d’autant que j’étais (et je suis) rotarien et syndiqué à la CFDT: les amis d’un côté, les camarades de l’autre! Au début, j’étais impressionné de pouvoir inviter (voire convoquer!) le ministre de la Culture, le préfet de l’Hérault et d’autres autorités à des conseils d’administration ou à des manifestations importantes. Et puis on s’habitue, avec chaque fois un sourire intérieur: gloriole ou fierté inavouée? Spectateur parmi les autres, dans la salle, au milieu de tous, et plus ou moins incognito, outre le spectacle, j’apprécie la “jauge” (700 personnes? Un peu moins? quand je pense aux temps lointains où l’on se contentait d’une demi-salle, et encore). Je juge le public et me réjouis d’y voir peu de connaissances; je me demande quel est l’âge moyen de ces gens et me satisfais qu’il y ait de plus en plus de jeunes; je sens vite que le courant entre scène et salle passe bien, et j’aime les applaudissements nourris. Bref, seul au milieu de tous, je maugrée intérieurement devant un spectacle moyen et me souris à un spectacle enthousiasmant. Récemment j’ai dû rencontrer une personnalité qui s’avisait de se “mêler” d’un petit grincement dans l’équipe de la Scène nationale, bien renseignée qu’elle était par quelque syndiqué. En fin de conversation, elle énonce: «Savezvous que s’il y a plainte, c’est vous qui irez en prison? » Et toc ! La dite personnalité s’est étonnée de ma réponse : « Eh bien, ils seront au moins 700 (une salle bien remplie) à venir m’apporter des oranges ! ». Sourire contre moue.

La Scène nationale comme alibi : elle me facilite les “pieux mensonges”, ceux par lesquels je peux crânement affirmer: « Ah! Je ne suis pas libre, je participe à des rencontres à la Scène… ». Elle est donc un refuge, une fuite, un prétexte. Du coup dans mon mensonge, je trouve le “nouveau lieu” dont parle un film récent et où ne peuvent me rattraper les “briseurs de rêves”. Je rentre dans un chez moi virtuel. J’ai découvert une réalité administrative qui m’était étrangère, perçue à travers des mots et des expressions typiques: budget à “flux tendu”, quel beau “travail!” (pour un spectacle réussi), “association fermée” (dont les membres sont cooptés et pas élus), la “fabrique” de rencontre (avec des artistes, avec des politiques). Et j’ai découvert la réalité des coulisses : la lampe allumée en permanence, la couleur verte honnie (pourquoi?), la quasi nudité pour un changement de costume rapide : l’envers de la médaille, le spectacle avec son bricolage, ses rites, avec sa superstition aussi. Bénévole à la Scène nationale (les responsables de l’association paient leurs places, nous y tenons), il me plaît, parfois, de jouer un rôle dans la société sans me prendre au sérieux avec presque l’illusion d’être indispensable – ça, c’est pour les moments de grande exaltation… mais l’ivresse passe vite, heureusement! en entendant « Monsieur le président » par-ci, « Monsieur le président » par-là, pour un peu la tête enflerait, ou les chevilles! Heureusement, les pieds bien posés au sol, et un sourire intérieur jamais pris en défaut, on résiste… Et on retrouve, ravi, « le plus beau théâtre du monde… Espace infini où toutes les créations, folies et sagesses s’inscrivent dans le ciel » (Jean Vilar, parlant de sa ville natale où il n’a jamais joué). RENÉ SPADONE

cinquième position sur sa liste de choix. Il débarque ainsi au lycée Paul-Valéry à la rentrée Réné Spadone a fait des études de lettres de l’année scolaire 1965-1966. Il y restera modernes. Capésien, il part faire son service jusqu’à la retraite en ayant obtenu l’agrégation militaire en Algérie. Il est démobilisé avec le et partagé une partie de son temps avec l’Institut grade de sous-lieutenant et commence à universitaire de formation des maîtres. enseigner à Alger. L’inspecteur pédagogique régional estime que A l’indépendance du pays, il est nommé à Belfort René Spadone est trop jeune pour s’arrêter de où il reste en poste trois ans. Désireux de se travailler! Et lui propose de donner des cours à rapprocher de la Méditerranée, il place Sète en des détenus. Il s’acquitte de cette mission

René Spadone, rotarien et cédétiste

pendant trois ans avant de passer à l’Université du temps libre où il professe jusqu’en 2015. Rotarien et cédétiste, René Spadone a été sollicité par les conseillers à la culture de deux maires successifs, François Liberti et François Commeinhes, pour succéder à Simone Lacomblez à la présidence de l’association qui gère la Scène nationale de Sète et du bassin de Thau depuis sa création en 1993. René Spadone occupe cette fonction depuis 2002.

39


a 40

vant de s’éteindre en 2007, Jean Deschamps, acteur, metteur en scène et grand “inventeur” de lieux dédiés à l’art dramatique a écrit: «On peut croire au hasard, mais il n’est pas interdit de penser à la prédestination d’un lieu qui attend, pour vivre, son créateur.» Était-il prédestiné à passer par Sète ? Jean Deschamps est né en 1920 à Strenquels dans le Lot. En même temps qu’une licence de philosophie, il obtient à 20 ans les premiers prix de tragédie et de comédie du Conservatoire d’art dramatique de Toulouse. Alexandre Arquillière l’engage alors au Théâtre du Forez basé à Saint-Étienne où il se voit confier tous les premiers rôles tragiques (le Cid, Ruy Blas, Cinna, Nicomède, Oreste, Œdipe roi, etc.). Dix ans plus tard, Jean Vilar l’appelle au Festival d’Avignon pour jouer avec “les monstres” de l’époque, Gérard Philipe, Jeanne Moreau, Silvia Monfort, Philippe Noiret, Georges Wilson. Il quitte le TNP en 1956 pour la Comédie française où il débute dans le rôle de Titus de Bérénice aux côtés d’Annie Ducaux.

© ERIC MORERE

Le temps des festivals

Très vite, il se sent à l’étroit sur la scène du théâtre du Palais Royal. Il monte sa troupe et part pour le Sud en quête de lieux à la mesure de son ambition. Ce sera d’abord la citadelle de Carcassonne où il monte “La chanson de Roland” en 1957 et, au cours des 20 années suivantes, 37 autres pièces. Ici c’est l’histoire qui l’attire. A Sète, il y a le Théâtre Molière où sa troupe se produit régulièrement mais aussi la mer. Fort de son succès à Carcassonne, Jean Deschamps obtient l’agrément du conseil municipal fraîchement élu pour créer un festival de théâtre. Il prévoit de mettre une scène flottante dans l’anse du Lazaret. Les Ponts et chaussées maritimes s’opposent au projet. Jean Deschamps se retourne alors vers l’ancien fort SaintPierre qui a été édifié deux siècles auparavant suite à une attaque des Anglais et qui a été successivement une caserne, une prison et même un hôpital. En abandonnant la ville, les Allemands ont miné les quais et le môle, il est sérieusement endommagé. En 1958, le fort à l’abandon est le refuge des amoureux. Avec l’architecte parisien Per-


cet, Jean Deschamps en fait un amphithéâtre à ciel ouvert mois au rythme des festivals qui se succèdent dans le maoù peuvent prendre place près de 1 000 personnes. gique Théâtre de la Mer mais aussi en ville. Du 13 au 20 août 1960 a lieu le premier Festival de Jean-Hervé Mirouze, l’ancien directeur des affaires cultumer. Jean Deschamps assure la mise en scène avec Daniel relles de la ville, peut ainsi affirmer au reporter du magaLeveugle. Une douzaine d’éditions suivent avec la partici- zine “Le Point” qui n’en revient pas de l’enthousiasme des pation de tous les grands comédiens de l’époque. interprètes qu’il rencontre: «Face à des festivals à plus Le succès est vif mais pas aussi durable que celui de forte notoriété, le Théâtre de la Mer, devant lequel de l’autre grande création de Jean Desnombreux bateaux viennent jeter l’ancre Une cinquantaine champs, le Festival de Carcassonne. La les soirs de concert, est devenu un argude spectacles notoriété des metteurs en scène, le talent ment pour attirer les artistes». Le journaliste des acteurs n’attirent bientôt plus assez suggère que le chanteur californien Ben sur quatre mois de spectateurs. Le théâtre a beau être reHarper aurait accepté de baisser le monde programmation baptisé Jean-Vilar en 1971 et réaménagé tant de son cachet pour se produire dans pour accueillir plus de 1 500 personnes, l’art dramatique «cet endroit fabuleux». Laurent Voulzy, Thomas Dutronc, cède irrésistiblement la place aux shows. Télévision, ci- Michel Legrand, Nathalie Dessay ne tarissent pas non lus néma, mise en scène, la carrière de Jean Deschamps se d’éloges pour un lieu «unique et magnifique». poursuit ailleurs, notamment avec le Théâtre du Midi. Une cinquantaine d’événements sont programmés chaque A Sète, un concert monstre de Claude François ouvre en été. Jazz (Jazz à Sète depuis 1995), musiques du monde 1970, le temps des festivals de variétés. «Un cas d’école» (Fiest’A Sète depuis 1997), chansons françaises (Quand écrit Clarisse Fabre dans “Le Monde“ du 3 juillet 2013 je pense à Fernande depuis 2001), électro (K Live, World après avoir recensé qu’avec le World Wide Festival, Jazz Wide depuis 2007), poésie (Voies Vives en Méditerranée à Sète, Fiest’A Sète, Voix Vives, Sète vit pendant quatre depuis 2009) ont les affiches les plus importantes.

41


Théâtre de poche mais digne des grands

France-Jehanne Lee est originaire de Lyon. Elle a été comédienne, marionnettiste, conteuse et professeure de théâtre avant que ne lui vienne l’envie, «comme une évidence», de s’occuper des artistes. Elle a le désir de faire naître ou découvrir des talents dans l’esprit du café-théâtre. Le lieu pour le faire éclore sera une salle de cinéma abandonnée du quartier haut, au 29 de la Grand’Rue Haute. Le Théâtre de poche ouvre fin 2004. C’est la plus petite salle de spectacle de la région : elle ne contient pas plus de 50 spectateurs. France-Jehanne Lee leur propose, trimestre après trimestre, une programmation à l’éclectisme revendiqué qu’elle puise essentiellement dans les spectacles off du Festival d’Avignon. Près de 750 compagnies se sont ainsi produites sur cette scène depuis son ouverture avec «Le grand chaperon rouge et le petit loup» à l’affiche. La salle est confortable et le public fidèle. La subvention de la ville laisse néanmoins le Théâtre de poche sur le fil du rasoir. Les compagnies, qui co-réalisent les spectacles avec France-Jehanne Lee, ne viennent définitivement pas pour le montant du cachet.

42

Remblais de 28 hectares, l’île de Thau a été aménagée au début des années 70 pour l’implantation de logements HLM. En 1993, le maire Yves Marchand y a inauguré le long du boulevard Pierre-Mendès-France une médiathèque baptisée André-Malraux et une salle de spectacle appelée La Passerelle qui peut accueillir 150 spectateurs assis ou 400 debout. Implantée dans un quartier qualif ié de “sensible” par euphémisme (plus de 6 000 habitants dont 31% sans emploi) sa gestion s’est avérée diff icile. Elle a été reprise en 2016 par une association présidée par Hélène Scheffer, la MJC La Passerelle, qui a l’ambition d’en faire « une maison vivante, un lieu d’expérimentation, pour imaginer de nouveaux liens sociaux ». Dirigée par Corinne Bonnet, la MJC qui poursuit « un projet d’éducation populaire » propose des concerts et des spectacles produits dans les différents ateliers de création ainsi que des spectacles créés dans le cadre de “La fabrique du spectateur” de la Scène nationale de Sète.


Cette Histoire, le port, la mer comme décor

© DR

Y-a-t-il plus belle scène que la mer, plus beau décors que le port de Sète ? Jean Deschamps avait rêvé d’un festival de théâtre sur l’eau. Serge Barbagallo l’a fait. Lui est né au bord de l’étang de Thau, il a suivi la classe d’art dramatique du Conservatoire de sète et il a brûlé ses premières planches au Théâtre Molière dans “Les caprices de Marianne” d’Alfred de Musset. “Monté” à Paris faire carrière, il n’en a pas moins gardé des liens avec Sète où il joue en 1984 au Festival de la Mer et où un de ses spectacles, “Les fenêtres qui parlent”, est donné en 1995. Serge Barbagallo n’hésite donc pas quand Philippe Sans et Michel Gay lui proposent de mettre en scène le spectacle son et lumière sur l’histoire de Sète qu’ils ont imaginé. Le premier a fait des études d’architecture et de journalisme. Il travaille à France 3 et briguera bientôt la mairie de Sète. Le second est enseignant et collabore à France Bleu. Ils se sont connus à Radio France. Ensemble ils ont imaginé avec tendresse un récit “flottant” de la naissance et de l’essor de leur

ville en sept tableaux, dans l’esprit du spectacle donné au Puy-du-Fou. Ici, les moyens seront bien sûr plus modestes qu’en Vendée. L’imagination du décorateur Jean-Jacques Malderez palie les manques. Les Sétois font le reste.

“Cette Histoire” mobilise une dizaine d’associations locales pour la création des costumes, la confection des décors, la participation des figurants (parmi eux nos amis André Caussegal en papé racontant le port aux enfants et Robert Olive en magistrat). Des mois de travail pour arriver à «mettre le feu» au vieux port, quai de

la Consigne, du 1er au 5 juin 2005: une locomotive, des centaines de tonneaux, une pieuvre géante, des tours immenses, le Kursaal ressuscité, les joutes et les barques, trois plateaux, du son, de la lumière, de la pyrotechnie… Le public adore. Les comptes sont équilibrés. La deuxième édition a lieu sur le grand bassin quai du Maroc. Faute d’un engagement de la mairie, les pêcheurs ont refusé de quitter la Consigne. Il faut construire un quai flottant, un échafaudage pour la régie. La billetterie prend du retard, le temps n’est pas de la partie. Il manque finalement 23 000 euros. La troisième édition est programmée en été pour attirer les touristes mais reste au quai de Maroc avec les pesanteurs inhérentes au lieu. L’enthousiasme est intact, le public présent. Le bilan est à l’équilibre mais il reste à éponger le déficit de l’année précédente. La mairie ne veut pas rajuster sa subvention. Décors et costumes sont vendus. L’aventure s’arrête là. Près de 20 000 spectateurs au total ont assisté aux fééries de Cette Histoire.

43


Remerciements Le Rotary club Sète remercie tous ceux qui lui ont permis de réaliser la rédaction et l’iconographie de cette brochure consacrée aux scènes de Sète, et en particulier : Yvon Tranchant, directeur de la Scène nationale, Olivier Maby, responsable de la communication de la Scène Nationale, Philippe Sans, journaliste France 3 André Caussegal, Robert Olive, Gérard Réthoré, René Spadone, membres du RC Sète, le service de communication de la ville de Sète et de l’agglomération Bassin de Thau. ••• Le RC Sète remercie encore les annonceurs qui ont soutenu la publication de cette brochure : Le crématorium de Sète, la Banque Dupuy de Parseval, La Société Générale, la poissonnerie Cyril Caumette; Les experts comptables du Languedoc (ECL 34), MP Clean, La Ola, L’Adresse; La banque LCL, Optique Krys, MMA, Sélectour, Eleka Les Pyramides, Les 2 Ramiers, C&F Jacquemart, Sci St-Léon; Chai Alex, Floralies Sète, Sarl Lubrano, La Griffe création fourrures, Magic Coiffure, L’Arseillière, Le Feu de Bois, Le Monte-Christo, le Zanzi-Bar, Le Passage, le garage Michon, Cuisine de référence, The Marcel, Areal Cuisines, Garage Favolini, Château la Peyrade, Languedoc Etanchéité, Hôtel Venezia, Artem, L’Epicerie, Paris-Méditerranée.

Bibliographie “Histoire de Sète” ouvrage dirigé par Jean Sagnes (éd. Privat) 1991 “Les rues de Sète” par Alain Degage (éd. Ville de Sète) 1988 “Sète la singulière” par Louis-Bernard Robitaille (éd. Au fil du Temps) 2011 “Les Cent ans du Théâtre Molière de sète 1904-2004” par Simone Lacomblez et Jacques Dalquier (éd. Ville de Sète) 2005 “Le théâtre sans fin” par Xavier Fabre (éd. Actes Sud) 2013 Revue d’histoire, d’archéologie de Sète et de sa région : “Naissance et croissance du quartier de la Bordigue” par L. Bourgue tome XII (1980) “Petite histoire du théâtre de la Grand-Rue” par F. Massabiau, tome XVI (1991) “La vie culturelle à Sète de 1880 à 1905” par F. Martin, thèse de maîtrise Montpellier III (2000)

Webographie

44

Cette Histoire : www.opisline.com/cettehistoire/spectacle.html Théâtre de la Mer : fr.wikipedia.org/wiki/Théâtre_de_la_Mer Théâtre Molière : www.theatredesete.com/ Honoré Euzet : euzet.genealogie.free.fr/jeanclaude/triadou14suite2/triadou14suite2.htm Festivals : JazzASète: www.jazzasete.com/ Fiesta Sète: www.fiestasete.com/ Quand je pense à Fernande: www.festival-fernande.com/ K Live: k-live.fr/festival/ World Wide Festival: worldwidefestival.com/


45


Le premier Rotary club a été réuni en 1905 à Chicago par un jeune avocat, Paul Harris, qui souhaitait que les acteurs de chaque groupe professionnel agissent ensemble dans un esprit de camaraderie et de bonne volonté pour servir ceux qui en ont besoin. Le Rotary est aujourd’hui une organisation mondiale de plus 1,2 million de membres issus du monde des affaires, des professions libérales, de la société civile. Les membres des Rotary clubs, appelés Rotariens, apportent un service humanitaire, encouragent l’observation de hautes normes éthiques dans le cadre professionnel, et aident à développer bonne volonté et paix à travers le monde. Le Rotary compte plus de 35 000 clubs répartis dans plus de 200 pays dont près de 1 100 clubs en France. Les clubs sont apolitiques, non religieux et sont ouverts à toutes cultures et croyances. La devise du Rotary, « Servir d’abord », indique bien que son objectif principal est le service à autrui, dans les collectivités, sur les lieux de travail et à travers le monde. Le Rotary s’attache particulièrement à promouvoir la santé en soutenant la recherche sur les maladies du cerveau, en participant de manière active à l’éradication de la polio et en favorisant l’accès à l’eau potable dans les régions les plus défavorisées. Le Rotary entend également aider au rapprochement des peuples par le travail en commun sur des actions d’intérêt local ou international, par des échanges d’étudiants et de professionnels, par un soutien aux populations victimes de catastrophes naturelles ou humanitaires et en luttant contre l’illettrisme et l’exclusion. Le Rotary club de Sète1 s’inscrit résolument dans cette perspective. Il a fêté ses 80 ans en 2011. Il est le plus ancien club service de l’Hérault. Avec “Espoir en Tête” et le salon “Auto-Moto-Vélo“, il participe au financement des recherches sur les maladies du cerveau. Avec les “Entretiens d’embauches”, il initie les élèves du lycée JoliotCurie à s’exprimer face à un employeur. Avec la “Banque alimentaire”, il collecte des denrées de premières nécessités pour les plus démunis. Avec “Mon sang pour les autres”, il aide l’Etablissement français du sang dans les campagnes de dons. Depuis 1972, le RC Sète participe aussi à la sauvegarde de l’abbaye Saint-Félix-de-Monceau qui est un

ROTARY CLUB SèTE

46

n°11052 District 1700. Siège: Grand Hôtel 17, quai du Mal-de-Lattre-de-Tassigny 34200 Sète - France Réunions : 1er et 3e jeudis du mois, apéritif à 19 heures 2e et 4e jeudis du mois, dîner à 20 heures 5e jeudi du mois, dîner mixte à 20 heures. Site internet : rotary-sete.org/wp/ Courriel : contact@rotary-sete.org

des trésors médiévaux de l’agglomération sétoise. Depuis 2006, le Rotary club de Sète édite une brochure dont les bénéfices, cumulés avec ceux tirés d’actions mises en œuvre par le club pour recueillir des fonds, permettent de financer des actions d’utilité locales et internationales. Le club a ainsi : •participé à l’achat d’un chariot spécifique permettant aux handicapés de prendre des bains de mer ; •doté les couveuses du service de néonatalogie de l’hôpital de Sète de webcams, permettant ainsi aux parents d’enfants prématurés de rester en permanence en contact avec leur bébé ; •financé un défibrilateur aux Pergolines, établissement d’hébergement des personnes âgées dépendantes de Sète ; •fourni des ordinateurs portables à des élèves sétois en difficultés ; •financé un jeu de voiles à un équipage du lycée de la mer Paul-Bousquet engagé dans le Défi des ports de pêche ; •accueilli trois étudiants américains et envoyé aux Etats-Unis deux lycéennes sétoises pour une année scolaire ; •créé et électrifié une école dans un village malgache et électrifié un village laotien ; •acheté des containers de survie pour Haïti ; •favorisé l’opération en France d’une petite malienne souffrant d’une malformation congénitale d’un pied ; •aidé l’hôpital de Douala (Cameroun) de se doter d’un service d’oncologie et d’hématologie ; •apporté un soutien financier régulier à des associations sétoises notamment celles qui accompagnent des personnes en difficulté sociale, des personnes handicapées et des personnes hospitalisées ou en fin de vie (La Croix Rouge, Les Blouses Roses, Lou Angel, Saemen’s Club, etc.). La brochure 2017 retrace l’histoire des lieux du spectacle vivant à Sète depuis 1750, et notamment celle du Théâtre Molière et du théâtre de la Mer . 1) Un second Rotary club, le RC Sète Bassin de Thau a été créé en 1992, son siège social est à l’hôtel Impérial.

SOUTIEN AU ROTARY

Les personnes qui après avoir consulté cette brochure souhaiteraient prendre contact avec le Rotary club de Sète ou soutenir le club ou la Fondation Rotary sont invitées à adresser leur courrier à l’adresse suivante : Rotary club de Sète Le Grand Hôtel 17, quai du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny 34200 Sète

Les chèques de soutien sont à établir à l’ordre du Rotary cub Sète


couv.scenes2017.qxp_couv2014 23/05/2017 19:50 Page2


2017

couv.scenes2017.qxp_couv2014 23/05/2017 19:50 Page1

Club Sète

Il était une fois...

© FLORENT JOLIOT

Les scènes de Sète

Parmi les multiples singularités de l'île chère à Paul Valéry, il en est une qui tient à la place qu'a occupée et qu'occupe le spectacle vivant dans la vie culturelle sétoise. Il y a un siècle, à la veille de la Première Guerre mondiale, quatre théâtres fonctionnaient dans la ville qui ne comptait pas plus de 35 000 habitants. Trois d'entre eux ont disparu (Jeannin, Pathé, Kursaal), mais le Théâtre Molière inauguré en 1904, magnifiquement restauré et modernisé en 2012-2013, a désormais le statut de Scène nationale qui lui assure un large rayonnement régional tandis que le Théâtre de la Mer est l'écrin des multiples festivals estivaux. C'est l'histoire de ces scènes que le Rotary club de Sète présente dans sa revue 2017.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.