MĂŠmoire Pierre Kerdoncuff Marie-Paule Halgand Ensa Nantes 2014
Merci à Marie-Paul Halgand, Jérôme Sautarel et à mon père Joseph Kerdoncuff pour leur aide et leur soutien.
Sommaire p. 7
Avant-propos
p. 9
Industrie moderne ,société moderne? Art et technique à l’ère industrielle Taylorisme, Fordisme, «l’atelier et le chronomètre» La révolution industrielle : quelle évolution des sociétés?
p. 45
Architecture et Design industrialisé : Cas d’étude Gropius et le Bauhaus, l’école d’Ulm, le rationalisme Jean Prouvé : design et architecture, de l’atelier à la grande série Cas d’urgence
p.77
Une société industrialisée? Les idéaux et leurs échos Buckminster Fuller, technocratie et révolution par le Design Productivisme Et après?
p. 113 p. 114 p. 117
Ouverture Mediagraphie Crédits
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Avant-propos INDUSTRIUS, A, UM (adjectif) (endo, struo) 1 siècle avant J.C. CICERO (Cicéron) Définition : « Qui prépare en lui-même » actif, assidu, laborieux, zélé. 1
Cette définition de faire par soi-même correspond peu à l’idée que je me fais ou bien que j’ai reçue du mot industrie, qui a priori sonne plus comme une manière impersonnelle voir «inhumaine» de produire dans le sens ou même l’homme tient un rôle de machine dans la chaine. Ce mémoire vise à aller au-delà de cette idée reçue et à questionner le rapport entre celui qui fait et celui qui vit, qui utilise ou consomme, à travers l’industrie du design et de l’architecture. L’industrie dans son rapport à l’économie, à la société, à la culture, au travail et à la production soulève des interrogations qui demandent de s’intéresser à la place du progrès technologique, à la manière dont il conditionne la création, dont il peut être instrumentalisé et donc aux enjeux politiques, économiques et sociaux derrière celui-ci. Pour tenter de mieux comprendre nous nous intéresserons au moment de la révolution industrielle au XIXe, puis à des cas d’étude concrets comme Gropius et Prouvé, et dans un second temps aux utopies et aux alternatives suscitées par cette société industrielle qui posent cette question : en est-on à la fin d’un temps ? 1. Félix Gaffiot, Dictionnaire latin français, Hachette, 1934
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Industrie moderne Société moderne?
Art et technique à l’ère industrielle
Avec la révolution industrielle les rôles de l’ingénieur, de l’artiste et du consommateur se mettent à changer. Comment l’art trouve-t-il sa place au sein d’un développement technologique sans précédent, quels sont les débats et les conflits qui s’installent entre conservatisme et progrès et qu’est-ce que cela génère dans la production d’art et d’architecture à l’époque ? Nous tenterons d’approfondir ces questionnements en nous appuyant sur les écrits de Siegfried Giedion, Kenneth Frampton et Pierre Francastel.
Questionnement : Quel est l’impact de l’avancée technologique sur la pratique artistique au tournant du XIXe au XXe siècle, peut-on parler d’un changement de paradigme pour la production artistique et architecturale?
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Développement technique, crise du monde de l’art et crise morale
Siegfried Giedion dans le deuxième volet de sa trilogie Espace, Temps, Architecture2, s’intéresse à la culture technique telle qu’elle prend forme au XIXe siècle. Il opère une distinction géographique dans ce développement, entre l’Europe et les Etats-Unis. L’entrée dans ‘‘l’ère moderne’’ implique dans le monde artistique en général un détachement progressif des modes décoratifs, des styles historiques, vers un dépouillement et une abstraction de plus en plus forte. Dès lors les ‘‘modernes‘’ s’attèlent à reprendre les codes de l’industrie et de l’ingénierie pour s’exprimer d’une manière alors inédite. A travers leurs travaux on peut observer une critique de l’idée reçue selon laquelle la technique, l’industrie, en somme les ‘‘ingénieurs’’, tuent la créativité et l’Art à proprement parler. Selon Giedion l’art dans la seconde moitié du XIXe siècle est marqué par l’éclectisme. Pour lui, celui-ci est au service d’une certaine bourgeoisie, dont l’attrait pour le classicisme soumet l’artiste au ‘‘Bon goût’’ et le contraint à produire pour un marché du luxe. L’artiste est encore rattaché aux métiers de l’artisanat, dont l’influence reste forte en Europe. Des artistes dont le travail est aujourd‘hui reconnu étaient alors réduit à créer en secret, ou du moins leur travail ne trouvait pas le succès qu’on leur connaitra ensuite, on peut lire dès les premières lignes de l’ouvrage de Giedion « Cézanne et Van Gogh, par exemple, étaient enterrés dans la solitude de la Provence. ». Le développement technologique et industriel mène alors l’ « artiste » à se remettre en question, son rôle et sa place dans la 2. GIEDION S., ESPACE, TEMPS, ARCHITECTURE II – Vers l’industrialisation, Ed. Donoël/Gonthier, Paris, 1978, 1ere édition française : Ed. La Connaissance, Bruxelles, 1968. 10
société évoluent. L’ « art moderne » prend des formes telles que le cubisme, à travers lesquelles les artistes se détachent des modes de création et des styles alors enseignés aux beaux-arts qui allaient de pair avec des processus créatifs et techniques hérités du monde de l’artisanat. D’autre part une recherche esthétique apparaît du coté des codes de l’industrie, du dessin technique et des matériaux nouveaux, notamment l’acier en architecture dans le mouvement de l’art nouveau. Cet aspect lié à la recherche est souligné dans le texte notamment par l’œuvre de Horta à Bruxelles, page 19 « Horta se révèle dans cette maison du peuple un véritable chercheur selon l’expression d’un de ses contemporains ». La définition de l’art et de l’artiste est bouleversée, Giedion cite un article dans l’ « art moderne » du 6 mars 1881 : « L’art signifie pour nous le contraire de toute recette et de toute formule. L’art est l’action éternellement spontanée et libre de l’homme sur son milieu afin de transformer celui-ci et de l’adapter à une nouvelle réalité. ». Le peintre et architecte Henry Van de Velde (1863-1957) est mentionné comme tête de proue des défenseurs du mouvement moderne. En peinture comme en architecture, il critique avec force la situation à la fin du XIXe. Il évoque la crise morale en décrivant la production d’alors comme mensongère et fausse, il décrit une « atmosphère empoisonnée » et développe à propos du contexte des années 1890 « Les formes réelles des choses étaient toutes camouflées. A cette époque la révolte contre la falsification des formes et du passé était une révolte morale »3. D’autre part on note un attrait des « modernes » pour la beauté involontaire, celle de l’ingénieur, de l’habitant ou celle de tout autre constructeur ne se désignant pas comme artiste. Les critères de la « beauté » dans l’art évoluent, on trouve une valeur esthétique dans l’architecture industrielle Américaine comme on en trouverait dans un habitat vernaculaire, et parce qu’elle constitue alors l’expression véritable de la culture Américaine. Cette crise est liée en particulier au développement de matériaux comme l’acier et le béton armé. Ce sont des matériaux d’ingénieurs, dont la mise en œuvre nécessite des procédés scientifiques plus qu’artisanaux. Ils réclament des connaissances techniques et un niveau de complexité inédit et différent des problématiques de savoir-faire de l’artisan. Paradoxalement, l’utilisation de ces matériaux bruts et souvent qualifiés de « vulgaires », notamment dans la construction de bâtiments agricoles et industriels aux EtatsUnis se fait de manière apparente, quasi manifeste, alors que l’art décoratif trouve toujours son public en Europe. Les observateurs Européens seront fascinés pas les constructions monumentales que 3. Ibid. p 9 Extrait d’une conversation entre Van de Velde et S. Giedion. 11
permettent ces nouvelles technologies, dans laquelle ils verront une franchise ostentatoire et puissante. Gropius utilise lorsqu’il les décrit les termes « monumental » « majesté » et « grandiose » (p46). Tony Garnier n’échappe pas à ce phénomène, il dessine une « cité industrielle » (1901-1904) où « ce nouveau matériau est employé pour organiser toute une ville » Giedion développe en écrivant « nous nous rapprochons de l’époque où l’architecture européenne parvient à maîtriser les problèmes contemporains grâce aux procédés créés par les ingénieurs. On commença vers cette époque à comprendre que la technique moderne était le seul moyen d’expression qui eût ses racines dans la vie moderne ».
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[02]. L’escalier de l’Hotel Tassel à Bruxelles, œuvre phare de l’art nouveau 18921893 - berkshirefinearts.com
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Un « art de l’industrie » ?
Selon Giedion, le développement de la technique, particulièrement en Amérique où les « métiers d’art » n’ont pas le poids qu’on leur connait en Europe, mène progressivement à reconsidérer l’influence du progrès sur la créativité et la sensibilité des créateurs en général. Plutôt que d’accuser le progrès technique de « tuer » la création et la sensibilité du créateur, on commence à considérer que tout acte de création implique une part de raison et nécessairement une part de sensibilité, ainsi est-il possible d’admettre que l’ingénieur exerce lui aussi à sa manière un Art. A propos de l’Amérique Giedion cite plusieurs observateurs de la première exposition universelle de Londres dont le comte Léon de Laborde qui décrit les Etats-Unis comme « une nation Industrielle qui se fait artiste » et Gottfried Semper « bien qu’il y ait très peu d’exemples d’un vrai artisanat en Amérique, c’est pourtant là que s’épanouira d’abord un art véritablement national ». Les expositions universelles eurent à l’époque une influence forte sur la diffusion du progrès et des idées, malgré une part inévitable de sceptiques, dont l’auteur donne pour exemple Jakob Von Falke sur l’exposition universelle de 1876 à Philadelphie, qui critique « l’absence totale d’ornement » en soulignant avec les termes « vulgarité » et « inauthenticité » à propos des objets présentés4. Giedion se range clairement du coté du progrès avec cette phrase « des visiteurs qui n’avaient pas l’esprit borné par des préjugés furent impressionnés par la beauté de la forme que les Américains donnaient à leurs outils et à leurs machines. « L’industrie avait atteint enfin son plein développement et l’époque était mûre pour de grands bouleversements » pourtant, et de manière assez paradoxale, le mouvement moderne valorise d’abord les « métiers d’art », tout en intégrant la matière nouvelle 4. Ibid. tiré de : Jakob von Falke, “Vorbemerkungen zur Weltausstellung in Philadelphia”, Die Gewerbehalle, XIII, 1875, pp.144 et suiv. 14
apportée par les « métiers de l’industrie ». D’un coté l’exposition Universelle de Philadelphie mettait en lumière l’intérêt des industriels (et par extension des consommateurs ?) pour l’art décoratif et les styles historiques hérités du passé européen. Ceci se traduit par exemple grâce à la production rationnalisée, en série, de meubles innovants et modernes, mais décorés suivant des préceptes du « bon goût » de bas-reliefs et autres moulures ne respirant que peu l’authenticité peut-être , car il ne s’agit pas du travail artisanal duquel ils s’inspirent. D’un autre coté les observateurs Européens rapportent des expériences américaines les formes épurées, des leçons de fonctionnalisme et d’économie de moyen. On peut lire dans une citation de Walter Gropius5 « cela devrait nous inciter à perdre une fois pour toutes la nostalgie des styles historiques, et nos scrupules d’ordre intellectuel qui obnubilent l’activité créatrice en Europe et qui freinent notre spontanéité artistique. » Le mouvement de l’art nouveau se démarque des techniques et matériaux nouveaux à l’état brut, tels que la fonte, ainsi que des conceptions nouvelles de l’architecture, tout en insérant parures et éléments décoratifs à profusion, en cela il représente un moment de transition dans la production artistique au début du XXe. Giedion nous présente les travaux de Horta sur la maison du peuple et la maison rue de Turin à Bruxelles. On peut lire page 18 « L’aspect révolutionnaire de l’œuvre de Horta réside dans l’emprunt d’éléments qui étaient apparus dans des immeubles commerciaux ou industriels des années cinquante et leur intégration dans une maison individuelle. ». On retrouve des concepts de l’architecture moderne comme le plan libre, permis par l’utilisation de poteaux en fonte qui abolissent la contrainte du mur porteur. Dans le même temps le travail du métal est clairement plus artisanal qu’industriel, avec cette profusion d’éléments décoratifs, de motifs naturalistes inspirés du monde végétal. L’auteur évoque l’influence de Mackintosh et son école de Glasgow notamment sur Otto Wagner à Vienne : « dans l’Autriche des années 1900, l’évolution allait de l’architecture à l’artisanat et non de l’artisanat à l’architecture. »(p.30). Le mouvement est empreint de cette question de la matérialité, cela se traduit à la fois par « l’honnêteté » architecturale, la visibilité des modes de construction, des procédés et des matériaux bruts, ainsi que de la fonction abritée derrière la façade, et par l’utilisation de décors et d’éléments façonnés sous un mode artisanal, dont on peut se poser la question du rôle dans la dite « honnêteté » ou « vérité » de l’architecture.
5. Ibib. tiré de GROPIUS W., « Die Kunst in Industrie und Handel » Jahrbuch des Deutschen Werkbundes, Iéna, 1913, pp. 21-22. 15
En Amérique, la mécanisation de l’industrie du bâtiment débute avec le phénomène dit du « ballon-frame ». Grâce à la mécanisation de la fabrication de clous, autrefois forgés en fonte, l’assemblage d’ossatures en bois à l’origine destinées à un usage agricole devient accessible à quiconque. Rapidement les maisons à « charpente – ballon » se construisent partout, contribuant à la conquête de l’ouest et au développement fulgurant de villes comme Chicago. Sa situation au bord des Grands Lacs, connectés à l’atlantique d’abord par le St Laurent puis par le canal les reliant directement à l’Hudson, et ses ressources, notamment en bois lui alors confère une position stratégique qui l’élèvera au rang de grande ville en un temps record. A propos de son développement soudain on peut lire « il devint de plus en plus nécessaire d’utiliser les possibilités nouvelles de la construction qui n’avaient été appliquées jusque-là que pour la réalisation de ponts et de bâtiments industriels ». William Le Baron Jenney fonde l’école de Chicago dans ce but, prônant « la force simple du besoin ». A propos de celle-ci Giedion écrit6 « La signification de leur Ecole, pour l’histoire de l’architecture, réside en ceci : pour la première fois depuis le XIXe siècle la séparation entre la construction et l’architecture, entre l’ingénieur et l’architecte est abolie. »
6. Id.p74 16
[03]. Charpente-ballon ou Ballon-frame Omaha Reservation, Nebraska, 1877
[04]. Usine textile, Angleterre, 1835 - http://graine-dherodote.com/ 17
Progrès versus culture ?
Dans Espace, Temps, Architecture, l’auteur nous explique que l’industrie européenne est née en Angleterre vers la fin du XVIe sous la forme de la mécanisation des métiers à tisser. En Amérique, la rationalisation de la production se met rapidement en place dans tous les corps de métier précisément parce que ces « guildes » d’artisan ont nettement moins d’influence que de l’autre côté de l’Atlantique. Giedion écrit « l’Amérique était riche en matière première mais pauvre en ouvriers qualifiés, alors que l’Europe était riche en ouvriers qualifiés mais pauvre en matière première ». Pour ces raison le progrès technique fut parfois perçut comme une menace en Europe tandis qu’il représente une véritable base pour la culture aux Etats-Unis, où l’art de l’ingénieur et la culture technique font naitre des tendances propre à cette région géographique telles que le balloon-frame. Otto Wagner écrit dans un livre dédié à ses étudiants Moderne Architektur7 « le point départ de la création artistique ne se trouvait que dans la vie moderne ». Il soulève la question de la place de l’artiste dans la culture. On lit « Il soutient avec Goethe cette maxime : l’artiste doit créer ce que le public devrait aimer et non pas ce qu’il aime ». Il valorise ici l’esprit nécessairement critique de l’artiste, cependant on peut se demander si cette vision du public comme réduite à un groupe uniforme et soumis aux modes et de l’artiste comme visionnaire « sachant » qui, comme un berger pour son troupeau saurait mieux que quiconque quels sont les voies à suivre ou à ne pas suivre ne va pas à contre-courant d’une certaine ambition de culture de masse du mouvement moderne, d’une volonté de démocratisation du savoir et de diffusion de la culture. 7. Ibid. tiré de : Otto Wagner, Moderne Architektur (Vienne 1895 ; 4e édition, 1914) « La formation, dans le domaine de l’architecture, devrait faire de l’architecte un artiste et non un simple spécialiste ».
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« Aucun progrès matériel ne peut être conservé s’il ne s’intègre pas à notre vie affective. Sinon toute la machinerie s’écroule. C’est la raison pour laquelle les objets usuels ont une signification pour l’artiste authentiquement créateur » L’auteur nous livre ici une idée selon laquelle le « sensible » a un rôle de filtre vis-à-vis de la nouveauté. Il serait donc nécessaire à un objet du progrès d’être « aimé » par les usagers pour être accepté. On peut se demander quels sont les critères de cette intégration dans la culture. Est-ce que l’utilité, la réponse satisfaisante à un besoin, suffisent à faire entrer un objet dans notre « vie affective » ou bien d’autres valeurs d’ordre culturel, esthétique ou moraux interviennent ? Sur ces réflexion on peut lire page 107 « La tendance à s’évader de la réalité que l’on pouvait observer au XIXe siècle venait, en grande partie, de la conviction que l’industrie et la technique n’étaient que des valeurs purement fonctionnelles dépourvues de tout contenu affectif » ce que suggère ce passage est l’inévitable implication de la sensibilité du créateur, qu’il soit désigné comme artiste ou comme ingénieur. En cela le mouvement de l’art moderne altère quelques frontières entre l’artiste et l’ingénieur. Le premier est conduit à tendre vers la « conception », l’élaboration de concepts et de procédés artistiques, a tel point qu’il sort parfois de la production à proprement parlé de l’œuvre, à l’inverse de l’artisan. Le travail de l’ingénieur est lui considéré à partir de ce moment comme intégrant une part de sensibilité, une forme d’expression artistique à travers des procédés scientifiques et des techniques modernes. La question du rapport entre le progrès technique et la culture est toujours - peut-être plus que jamais - d’actualité, Pierre Emmanuel REVIRION écrit dans la préface de MetaDesign8 « Une technologie n’est pas un objet indépendant ou étranger, elle fait intégralement partie de notre appareil sensitif, comme médium, elle conditionne non seulement les modes de communication mais aussi la manière de percevoir et de comprendre notre environnement. ». On peut d’emblée imaginer l’impact d’une technologie révolutionnaire sur la culture et la société.
8. MetaDesign, LAB[au], Ed. Les presses du réel, Dijon, 2013
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Taylorisme, Fordisme, l’ « atelier et le chronomètre ».
Le design subit lui aussi une mutation profonde. A un moment où de nouveaux besoins sont présents dans tous les foyers, le confort évolue et le niveau de consommation des masses suit, les modes de production se doivent eux aussi de muter. Se trame alors la mise en place d’une industrie du design ou la spécialisation prime, le savoir-faire passe au second plan et il s’agit de produire pour la masse des biens dont le designer publicitaire s’attèle à créer le besoin. Cette partie s’appuie sur L’atelier et le chronomètre : essai sur le Taylorisme, le Fordisme et la production de masse et sur Design pour un monde réel de Victor Papanek. On y questionnera le « où ? » et le « comment ? » de cette mutation qui fait entrer l’ « atelier » dans l’ère moderne.
Questionnement : Il y a-t-il un « Avant/Après » l’invention ce nouveaux mode de production mécanisé, quel est l’impact et la résonnance de cette même invention ?
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La chaine : rationalisation de l’outil de production
«A l’origine de la chaine, violence calculée, systématiquement appliquée contre le travail des hommes, ce rêve original du capital à la recherche du «mouvement perpétuel» de la fabrique. La production à flux continu, clé de voûte de tout le système d’organisation du travail, dira cinquante ans plus tard le sociologue Emery, prend naissance, comme il fallait s’y attendre, en Amérique.»9. La chaine trouve son origine dans la production la fabrication d’automobiles, notamment dans les usines Ford, à partir de là, émerge en Amérique une organisation du travail foncièrement différente de celle de l’Europe, mais qui l’atteindra rapidement. La guerre fut un vecteur d’exposition et de diffusion de ces modèles notamment en France, autant dans la production d’armement en masse que plus tard lors de la reconstruction, d’ailleurs rendue nécessaire par la force de destruction de ce même armement... Le management scientifique sur la chaine consiste à augmenter la productivité en évacuant petit à petit les «gestes» issus des «métiers». Ceux-ci impliquaient un apprentissage et un travail minutieux, générant potentiellement des erreurs, et impliquant nécessairement une fabrication évaluée à la qualité du produit fini et non du temps de travail que l’on y consacre. « La machine prend la place de l’homme parce que l’homme accomplissait une fonction de machine »10. La première réponse technique est la transformation des outils par la mécanisation des gestes. Remplacer l’ouvrier par 9. Benjamin CORIAT, l’atelier et le chronomètre, Christian Bourgois éditeur, Paris, 1982 10. Gilbert Simondan, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Auber- Montaigne, 1969. 22
la machine présente un double avantage : d’une part la machine n’est pas syndiquée, elle ne revendique rien et sont coût est plus facile à évaluer et moins douloureux, d’autre part l’ouvrier se met à son service, son rôle se réduisant petit à petit à quelques gestes automatiques et répétitifs, les «ouvrières» - comme les présentent les bulletins des usines Renault du début du XXe - doivent par exemple monter une des pièces préfabriquée présente dans la boite circulant sur un «convoyeur», à chaque poste est attribué une pièce et lorsque la boite arrive au bout de la chaine, l’objet est monté. Une autre méthode consiste à placer à chaque poste une certaine quantité de la même pièce, et chaque ouvrier ajoute à l’objet en circulation cette pièce puis le replace sur la chaine, afin qu’il circule jusqu’à l’ouvrier suivant, et ainsi de suite, méthode efficace pour amener la cadence à se régler d’elle-même et de manière complètement extérieure à la volonté des ouvriers, mais assez terrifiante au regard de la place laissée à la créativité et à l’initiative. Cette vision de l’ouvrier, du constructeur de l’objet fini, tend à lui ôter toute capacité d’esprit critique et à le réduire à une machine de plus dans l’atelier. La grande série implique un flux continu sur la chaine de production. Elle passe nécessairement par la standardisation. Sans celle-ci l’assemblage de pièces interchangeables est impossible. Ces pièces doivent être rigoureusement identiques et c’est dans le secret de leur usinage que se trouve tout le contrôle de la chaine, car sans celui-ci chaque ouvrier doit pouvoir s’adapter, changer de mouvement, multiplier les compétences, en bref se qualifier, ce qui n’arrange pas le dirigeant de la chaine comme on le développera dans les chapitres suivants. Coriat parle de passage de la «machine universelle maniée par un ouvrier possédant une gamme variée de mode opératoire» à la «machine spécialisée qui ne requerra plus souvent que des mains d’OS (ouvrier spécialisé)». La gamme d’opérations réalisables avec une fraiseuse, un étau et un marteau est certainement plus large que celle d’une chaine d’assemblage, mais le savoir nécessaire à leur bon usage exige d’être formé, ce qui implique à l’époque d’appartenir à des réseaux tel que les compagnons, qui
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conservent un certain pouvoir sur le patronat, c’est une des raisons pour lesquelles celui-ci préfère la chaine d’assemblage, sous prétexte de gain de productivité. Appliquées au domaine du bâtiment ces méthodes mettent le chantier à la place de l’atelier, les éléments préfabriqués sont assemblés In situ, on parle d’ «atelier volant». D’emblée les questions inhérentes au contexte prennent toute leur importance. L’ère industrielle permet plus que jamais de construire de la même manière quel que soit l’endroit. Cependant il reste difficile d’imaginer mettre en place une véritable chaine sur chaque chantier, les ouvriers conservent un rôle de mise en œuvre plus éloigné de l’automate que sur la chaine.
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[06]. La chaine d’assemblage dans Les Temps modernes. Le personnage de Chaplin a quelques difficultés à trouver la cadence. - https://users.lal.in2p3.fr
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Spécialisation, savoir et pouvoir.
« Pour l’Amérique, la transformation de l’agriculture artisanale en entreprise de production industrielle n’était qu’une phase dans le grand processus de transformation auquel était assujetti tout travail spécialisé. »11. Aux Etats-Unis au XIXe la matière première se trouve à foison, mais ce sont les ouvriers qualifiés qui manquent. L’usine et la chaine sont une aubaine pour les industriels, car ils permettent d’offrir du travail à des ouvriers sans connaissance, souvent issus de l’immigration et donc relativement isolés et coupés de tous réseaux de coopération ou d’union syndicale. Sont ainsi garantis la productivité, la polyvalence en terme de poste et le caractère remplaçable de chaque employé. Le contrôle du processus de production est entre les seules mains de celui qui la met en place, et tient rôle d’unique « sachant », lui donnant toute autorité dans l’entreprise, autrement dit garantissant la soumission des ouvriers. Cet ingénieur, ce bureau d’études ont d’emblée main mise sur tout le processus créatif. Cela contribue certainement à la normalisation des produits construits, ou du moins tend à faire glisser la création vers un systématisme qui vise plus à s’adapter à l’outil de production plutôt qu’a adapter l’outil à l’ambition du projet. Le capital croissant dans ce type d’entreprise sert théoriquement l’entreprise elle-même, en terme de développement, de progrès technique et donc de gain de productivité, on pourrait imaginer que les salariés profitent de ce potentiel de développement important de par l’éviction progressive 11. S. GIEDION, Op. Cit. p 65 26
des tâches « ingrates » ou difficiles. On voit finalement que ce capital est privé, semble ne profiter concrètement qu’à celui qui capitalise et possède l’outil de production. Ces observations nous éclairent à propos du rôle des « métiers » en Europe, des groupes tels que les compagnons qui donnent aux ouvriers protection, formation professionnelle et réseaux d’entreprises, favorisant donc le travail. Les ouvriers ont plus d’influence sur la production, tant au niveau créatif que constructif. Ceci leur donne droit à une meilleure considération au sein d’une structure, engendre plus d’autonomie et développe – pourrait-on dire au fur et à mesure des erreurs, plus fréquentes en raison de la difficulté de maîtrise des gestes, un esprit critique .C’est cet esprit qui détermine aussi le degré d’implication dans l’entreprise, plus d’engagement et de liberté d’initiative. En terme économique et de développement technique on peut cependant douter de ce système. Le fait de répartir le capital engendre un potentiel d’investissement moindre, une forme d’entreprise plus dissipée et non tributaire d’un centre de décision unique. «Ford saisit chacune de ces techniques là où l’initiative ouvrière - et donc la maîtrise ouvrière des temps - est réduite au minimum.»12 . En effet une autre conséquence de ce mode de travail est la gestion du temps de production, qui elle aussi atterrit entre les mains de l’ingénieur et de sa machine aux dépens de mains d’ouvriers. Il est intéressant de voir l’importance croissante de l’ingénieur dans ces nouvelles méthodes. Le « management scientifique » complexifie son approche car elle sort du cadre de l’étude focalisée sur l’objet technique pour s’intéresser à la main d’œuvre employée à sa construction. D’une certaine manière, les sciences humaines entrent dans le processus de production, pas tant dans le but d’améliorer les
12. Ibid. p71 27
conditions de travail que dans celui de tirer le meilleur parti de l’ouvrier, autrement dit d’augmenter au maximum sa productivité, tout en le conservant le plus docile possible. « De même que les métiers d’horloger, de boucher, de boulanger et de tailleur avaient été absorbés par l’industrie, la charpente-ballon entraîna le remplacement du charpentier par un ouvrier non qualifié »13.Mettre en place des pièces de bois et les assembler grâce aux clous ne demande pas de connaissances en charpente, en maçonnerie, en menuiserie etc. .. Ces constructions réclament seulement quelques paires de bras et un temps minime de mise en œuvre.
13. Ibid. p50 28
[07] Chaine d’assemblage d’une Usine Ford en 1930. - http://web.ac-reims.fr/
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A l’ère de la consommation est-il devenu plus important de répondre au besoin, ou de le créer ?
La grande série est parfois vantée comme un moyen de réduire les coûts, et par voie de conséquence les prix de ce que l’on y produit, rendant d’emblée plus abordable les biens et élargissant ainsi le champ de consommateurs potentiels. La belle idée au départ de ce principe est de répondre en masse et de la manière la plus économique possible à un besoin de masse. Victor Papanek déplore le détournement de cette intention, en nous expliquant que les « designers» s’attèlent plus souvent à vendre quelque biens ou concepts superflus et au-delà du besoin, qu’à simplement répondre à celui-ci .Ils cherchent toujours améliorer les possibles réponses, c’est-à-dire à diminuer les ressources nécessaires à la mise en œuvre d’une construction, d’un processus, d’une idée et à en augmenter les capacités, autrement dit « faire plus avec moins». Selon lui, dans l’esprit du « designer de pacotille » le consommateur est réduit à une seule fonction : consommer. En tant que publicitaire, il le considère comme passif, comme une cible qui une fois le message passé et le « besoin » suggéré n’aura d’autre choix, et d’envie, que de dépenser son argent dans un produit pas forcément pour son utilité, mais pour des raisons plus insidieuses. Pour comprendre ces raisons on peut s’intéresser à la pyramide de Maslow14. Elle soutient l’idée que l’homme, en tant qu’animal social, 14. Abraham Harold Maslow (1er avril 1908 - 8 juin 1970) : Psychologue. - Cofondateur de l’American association of humanistic psychology. - A 30
est soumis à des besoins extérieurs de cinq ordres, et qu’une fois un de ces degrés de besoins atteint, on vise à satisfaire les critères du suivant. Cela commence par des besoins primaires, très directement nécessaires à sa survie. Vient ensuite le sentiment de sécurité, qui nous pousse à construire, à faire des réserves, à vouloir accumuler des ressources, en bref à se prémunir du danger présent et futur. Le troisième degré est celui de l’appartenance, de l’identification à un groupe social plus ou moins large, celui qui nous fait communiquer les uns entre les autres, c’est un sentiment de dépendance, un besoin d’expression. L’étape suivante est le besoin de reconnaissance et d’acquisition d’estime de soi, cela va avec un désir d’indépendance mais aussi désir de se rassurer dans le regard de l’autre, à sortir du lot. Enfin « l’ultime besoin » serait celui de réalisation de soi, notion abstraite liée au développement personnel, à la réalisation parfaite des quatre autres degrés de la pyramide, à l’affirmation de sa personnalité. Les méthodes de marketing visent à convaincre la cible que le produit qu’on lui vend vient répondre à un de ces besoins, en lui assurant une meilleure position sociale, une meilleure visibilité, un enrichissement personnel. D’une certaine façon on vient nous dire ce qu’il faut être, ce qu’il faut faire, où il faut aller, ce qu’il faut avoir pour être soi et que vous soyez reconnu comme tel. L’ère du numérique et de la dématérialisation amplifie ce phénomène. Le « Big data » est l’ensemble des informations collectées sur internet sur les pratiques de consommations, les goûts, les envies et besoins de chacun. Il est sensé être anonyme mais pose vraisemblablement la question de la surveillance de masse. A travers cela, le consommateur devient lui-même le produit, et c’est la question de la gratuité qui se joue. L’accès gratuit à un espaceréel ou virtuel – nous place comme récepteur d’une information que l’on cherche à nous faire passer. L’espace urbain, la télévision, internet, tous ces espaces de circulation d’information à profusion sont ceux dans lesquels on nous vend une image comme un idéal de ce que nous devrions être, faire, avoir etc.
été en poste à Brandeis university, Waltham, Massachussetts, USA http://catalogue.bnf.fr/ 31
L’obsolescence programmée est un thème récurrent à propos des pratiques de consommation actuelles. Popularisée par le designer Brook Stevens15 dans les années cinquante, celui-ci prône la conception de produits imparfaits, jetables, à la durée de vie limitée. Le but est de renouveler régulièrement la demande, et ainsi de ne pas avoir à faire évoluer le produit, l’outil de production et au sens large le schéma économique de fond. Les ingénieurs et designers ne cherchent pas à concevoir ou améliorer un produit pour le perfectionner, baisser son coût de production, la consommation de ressources qu’elle engendre, mais bien à pouvoir prévoir la durée de vie maximale nécessaire à la santé économique de l’entreprise à court-terme. L’obsolescence programmée - ou ‘‘culture kleenex’’pose principalement problème lorsqu’elle ne s’intéresse pas à la seconde vie des biens de consommations produits. Elle favorise le gaspillage de masse et représente donc un facteur important de la surconsommation des pays industrialisés.
15. Clifford Brooks STEVENS (7juin 1911- 4janvier 1995) Designer considéré comme un pilier de l’industrie américaine. http://www.brooksstevenshistory.com/ 32
[08] Publicité vantant l’obsolescence programmée prônée par Brooks Stevens
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La révolution industrielle pour quelle évolution des sociétés ?
Le tournant du XIXe au XXe siècle amène son lot de mutations sociales, la ville se transforme, les modes de vie évoluent avec les mode de consommation, et cela se répercute à différentes échelles, remettant en question la place de chacun dans la masse.
Questionnement : A l’ère industrielle et au temps des mutations sociales, de quelle manière l’industrie est-elle mise au service des idéologies politiques, pour la masse ou bien pour l’individu?
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Nouvelles technologies et mutation sociale
Avec le développement de l’industrie apparaissent et se démocratisent rapidement de nouveaux moyens de transport, l’échelle des échanges commerciaux évolue, et parallèlement celle des échanges culturels, des flux d’information, des conflits et des alliances, des pouvoirs et des inégalités. La forme des villes est fortement marquée par cette évolution et le fonctionnalisme dont elles héritent de la révolution industrielle. C’est le cas de la cité industrielle de Tony Garnier, organisée grâce à un nouveau matériau, le béton armé. Siegfried Giedion s’intéresse à la ville de Chicago pour mettre en valeur ce phénomène. Grâce au développement de la Charpente-ballon, la ville – alors carrefour important du commerce du bois en raison de sa situation sur les rives des grands lacs connectés au St-Laurent - connait une expansion fulgurante, qui pousse à l’essor de techniques de construction jusqu’alors réservées aux bâtiments agricoles ou industriels ou même aux ouvrages d’arts. Si l’espace urbain se trouve métamorphosé par ces nouvelles architectures, il l’est d’autant plus par les nouveaux usages que l’on y trouve, à travers l’arrivée de l’automobile et du tramway par exemple. La ville de Detroit - où furent construites les premières usines Ford – est fondée sur ces nouveautés, si bien qu’elle se retrouve aujourd’hui dans un état de ville en friche lié au déclin des industries sur lesquelles elle s’est construite durant pratiquement un siècle. Peu à peu, les citoyens de ce monde nouveau sont amenés à appréhender de nouvelles échelles du changement mis à leur portée. La globalisation influe directement sur les structures sociales, à tous les niveaux, de la famille aux nations en passant par les communautés, les quartiers, les villes etc. La diffusion du système libéral le plus 36
répandu actuellement a généré la propagation d’un système familial, celui de la famille nucléaire. En effet celle-ci répond aux contraintes causées par ce système en proposant un groupement d’individus libérés de toute autre forme de communauté, une petite structure où les besoins, les biens et les richesses sont mutualisés, limitant la dépendance à un groupe plus large16. La production architecturale contribue à la diffusion de ce schéma, avec la normalisation des modes d’habiter et des typologies notamment véhiculés par les modernes, lors des CIAM par exemple. Dans le prolongement de cette évolution, nous nous trouvons peut-être actuellement dans la préhistoire d’un nouveau temps, l’ère de la dématérialisation et du tout numérique. La circulation horizontale de l’information et la fin du mythe de la croissance infinie apparaît. L’ère industrielle de la consommation s’essouffle, réclamant un changement d’attitude vis-à-vis de notre environnement et de nos pratiques de consommation, de production, de déplacement, de construction et tout ce que cela englobe. Cette prise de conscience est exacerbée par la mise en évidence des limites des ressources naturelles. De plus la confiance en l’économie basée sur l’accroissement du capital pour garantir le bien-être de chacun s’est effritée et les voix se soulevant contre les formes d’injustice qu’il engendre se font de plus en plus fortes, à l’image des écologistes ou encore des partisans de la décroissance. Comment cela affecte-il nos modes de vies, notre rapport à la société, à l’économie ainsi qu’à la technologie elle-même ?17
16.Développement appuyé sur le texte de W.Gropius, Fondements sociologiques de l’habitation minimale pour la population industrielle des villes, Architecture et société, Op. Cit. pp. 67-85 17. Réflexion développée à partir des propos Yannick Roudaut lors de sa conférence à Université de Bretagne Sud le 13/01/2014. https://www. youtube.com/watch?v=1zrltQFJuf0 37
[10] La coccinelle de Volkswagen, projet portĂŠ par Adolf Hitler.
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L’industrie de masse au service de la société
Les principes de large diffusion, de démocratisation, de vulgarisation se basent sur une volonté de meilleure répartition des richesses et de libération des masses, la grande série a pu être politiquement instrumentalisée dans le sens de cette idéologie, notamment par les régimes totalitaires surfant sur les arguments populistes véhiculés par la « grande industrie ». Victor Papanek évoque en particulier le cas de la propagande nazi. En 1937, Adolf Hitler ordonne la création d’une firme dans l’optique de créer la voiture du peuple, Volkswagen sera implantée dès 1939 dans une ville qui n’existe alors pas encore, Wolfsburg. Le projet mené à bien par Ferfinant Prosche est de créer une voiture standart, accessible et non réservée à une ‘‘classe privilégiée’’. Le discours populiste dévoilé participe alors à manipuler l’opinion en récoltant le soutien des classes ‘‘populaires’’ qui représentent le plus grand nombre.18 Pour Gropius, l’arrivée de la machine a pour conséquence la socialisation du travail. Il explique qu’avant, la famille était l’espace de coopération principale, c’est à dire l’entreprise motrice de l’économie, isolant ses membres du reste de la communauté. Avec l’outil industriel, d’une échelle hors de portée de la cellule familiale, la collaboration s’étend à la collectivité et l’échange est de mise, la satisfaction du besoin personnel n’est plus l’unique but de l’économie19. L’auteur évoque également le progrès permis à la position de la femme en société. Le développement des nouvelles formes d’habitats collectifs, la diminution progressive de la charge 18. Tiré du texte Huile de serpent et thalidomide Victor Papanek, Design pour un monde réel, Ed. Mercure de France, Poitiers, 1974, pp 128-129 19. Développement appuyé sur le texte de W.Gropius, Fondements sociologiques de l’habitation minimale pour la population industrielle des villes, Architecture et société, Op. Cit. pp. 67-85 39
familiale, l’indépendance vis-à-vis de la famille, de l’homme, encore admis à l’époque comme unique source de revenu, ces évolutions conduisent à une certaine émancipation, autonomie intellectuelle et économique. L’idéal suggéré par Gropius est l’égalité, à laquelle est sensée mener l’économie industrielle. On voit apparaitre lors de l’industrialisation des projets tels que le Familistère de Guise de J-B Godin20, les premières cités jardins, souvent mises en place par des dirigeants « philanthropes ». L’ambition affichée est celle d’améliorer les conditions de vie des ouvriers, leur niveau de confort, l’accès à des services mutualisés, les jardins etc. .Benjamin Coriat parle de l’invention du « salaire indirect »21. L’assurance sociale, les habitations à loyer modéré, le salaire minimal, sont ce que Coriat nomme les « appareils éthiques ». Dès lors on observe une divergence. D’une part aux Etats-Unis, se soulèvent de vives critiques vis-à-vis de ce « bolchévisme » qui inciterait à ne pas travailler, à se reposer sur l’assistance proposée par ces outils. D’autre part, en Europe une forme de contrôle social s’instaure. C’est une forme de paternalisme, qui propose ou impose aux ouvriers un mode de vie subit et organisé en mode scientifique, dans le prolongement du management pratiqué à l’atelier.
20. J-B Godin (26 janvier 1817 - 15 janvier 1888) né à Esquéhéries le 26 janvier 1817 et mort à Guise le 15 janvier 1888, est un industriel et philanthrope français, inspiré par le socialisme utopique et acteur du mouvement associationniste, créateur de la société des poêles en fonte Godin (les cheminées Godin) et du Familistère de Guise, dans le jardin duquel il est enterré. Bertrand Beyern, Guide des tombes d’hommes célèbres, Le Cherche midi, 2011, 385 p. 21. Benjamin CORIAT, Op. Cit. pp. 124-135. 40
L’industrie de masse au service du capital
La politique du libéralisme se base en théorie sur un état régalien, c’est-à-dire assurant police, justice et défense, mais n’intervenant pas sur l’économie, laissant un maximum de liberté à chacun et confiant dans la force autorégulatrice du marché, grâce à une concurrence pure et parfaite (tous les partis sont au même niveau d’information), la déclaration universelle des droits de l’homme rédigée en 1789 nous dit « chacun a le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », le libéralisme est fondé sur ce précepte. Comme cela à déjà été évoqué plus tôt, l’industrie de masse, la grande série basée sur la mécanisation de l’outil industriel sert souvent un système capitaliste libéral dans lequel celui qui détient l’outil de production et sa maîtrise est celui qui détient la richesse. Cette idée est fondée sur celle que la croissance économique est vectrice de développement, pour l’entreprise et donc inévitablement pour ceux qui y travaillent. Le risque de ce mode de fonctionnement est que la croissance devienne vite une fin en soi, à l’image d’un jeu d’argent dont l’essence du jeu et les enseignements potentiels qu’il porte seraient complétement évacués pour laisser place à une unique volonté de gain à tout prix. La grande série a pu permettre une certaine frénésie, on ne peut nier l’augmentation générale du niveau de confort observé dans les pays « industrialisés » en parallèle de l’augmentation de richesses. Vue sous un certain angle, on peut constater l’enrichissement des foyers, l’apparition de « classes moyennes » témoignage d’une répartition plus juste des richesses. La protection des individus, le droit privé, le libéralisme ont jusqu’ici, à défaut d’éveiller la conscience du devoir
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envers la société, révélé à chacun les droits qu’elle lui octroie, les libertés, l’égalité des individus. Adam Smith écrivait il y a 238 ans « tout en ne cherchant que son intérêt personnel l’homme travaille d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler »22. La production de biens en masse dans le système capitaliste a donc permis l’enrichissement exponentiel de firmes privées, dont le pouvoir rivalise aujourd’hui avec celui des petits états. Elles diffusent leurs idées avec une portée inédites, les idées de leurs leaders avant tout, mais aussi celles que véhiculent leur manière de distribuer le travail, de rependre l’information, de profiter du contexte dans lequel elles s’implantent. Leur capacité d’adaptation témoigne d’une certaine manière de la valeur universelle des idées qu’elles emportent avec elles, notamment la liberté d’entreprendre.
22. Adam Smith, La richesse des nations, 1776 42
[11]. Couverture du Time magazine du 14 Juillet 1975 : ÂŤ Le capitalisme peut-il survivre?, Adam Smith : Ne Comptez pas sur moi les gars! Âť - http://content. time.com
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Architecture et Design Industrialisés : cas d’étude Gropius, le Bauhaus, L’école d’Ulm, rationalisme
En tant que militant de l’abolition de la barrière entre art et artisanat, Gropius soutient l’idée que l’art et la technique ne vont pas l’un sans l’autre. Son enseignement à la Bauhaus, qu’il mène en atelier, repose sur la création et l’apprentissage de la technique, toujours dans l’optique de la grande série, afin d’en maitriser les processus et les contraintes de production de masse. Derrière cela l’idée est de donner accès au plus grand nombre et au moindre coût à une architecture, un design et la qualité, grâce à une rationalisation des conceptions, des outils et des modes de production. L’école d’Ulm de Max Bill pousse cette technicisation à un tout autre niveau. L’architecture moderne, une histoire critique de Frampton, et Architecture et société de Gropius viendront étayer cette étude.
Questionnement : Quelle place pour le rationalisme et la technicisation dans l’atelier ?
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L’ « art et la manière » de produire pour la masse
Walter Gropius23 est issu d’un milieu plongé dans l’art et l’architecture de par son grand-père peintre et son père architecte, il reçoit une formation d’ingénieur mais souhaite garder une approche artistique de l’œuvre. Disciple de Peter Behrens24, Il adhère en 1910 au Werbund25, dont l’ambition est de donner une forme de « noblesse » aux objets courants. Lionel Richard résume clairement la ligne suivie par l’architecte moderne tout au long du demi-siècle et plus que constitue sa carrière. Il le qualifie d’ « obsédé par une logique de la construction à partir de trois principes essentiels » que sont le rôle de coordinateur de l’architecte dans une volonté artistique, le fait d’être à la pointe de la technologie et la capacité à toujours réinventer des formes suivant leur fonction sociale notamment. Richard écrit « Son but est de voir l’architecture contribuer à une libération des individus, à un bien-être collectif, dans des conditions où une efficacité maximale est atteinte avec le minimum d’investissements économiques ». Il prône une production du logement en masse, tout en récusant l’ambition de profit des industriels et en se défendant de tout penchant totalitaire. « Avec constance il a dénoncé la spéculation foncière et la mécanisation à outrance de la construction à des fins de rentabilité à court terme ». 23. Walter Gropius : Berlin 1883 -Boston 1969 24. Peter Behrens (né le 14 avril 1868 à Hambourg - mort le 27 février 1940 à Berlin) 25. « Werbund, l’union pour l’œuvre, qui a été fondée en 1907 et préconise une collaboration entre les artistes, créateurs de formes, et les industriels » préface de Lionel Richard dans W. Gropius, Architecture et société, Op. Cit. 46
Dans le texte Qu’attend l’architecte moderne de la Chimie des matériaux26 Gropius décrit avec précision ce que peuvent être pour lui des modes de résolution rationnels mis en œuvre grâce aux matériaux modernes issus de la transformation par la chimie, tels que l’acier ou le béton. Il explicite d’abord les avantages de telle ou telle matière en termes techniques, structurels etc. En parallèle, de manière quasi scientifique, il analyse l’impact ‘‘psychologique’’ de chacune et propose des moyens de les transformer pour les adapter suivant leur rôle. Par exemple, l’acier est reconnu comme un matériau froid et dur, peu apprécié dans un espace intérieur, mais ses caractéristiques techniques lui confèrent des avantages non négligeables pour la production de mobilier et d’objets du quotidien par rapport à des matériaux plus naturels et plus difficiles à modeler. En conséquence, il propose de l’hybrider avec une matière caoutchouteuse, plaquée ou projetée, qui pourrait lui conférer les qualités de confort qui lui font défaut et permette en quelque sorte de rassurer l’usager, en faisant référence à une matière plus naturelle, douce et chaleureuse. La production rationalisée reste néanmoins de mise, mais avec une volonté d’économie (de matériau, de transport, de mise en œuvre ou encore d’investissement).Outre les revêtements de métaux, il prescrit ainsi des modes de résolution pour les enduits extérieurs, et plus généralement les peaux de bâtiment, pour les planchers, les revêtements insonorisants. Il va jusqu’à suggérer l’utilisation d’un « mastic universel » permettant d’isoler, de fixer, de protéger etc. Ce passage interroge par cette forme de résolution, par la ‘‘recette ‘’ qu’il semble présenter. Quelle est la place de la démarche créative dans ce mode de production ? Se réduit-elle à une question de forme globale ou d’agencement de matériaux les uns par rapport aux autres de manière à obtenir un ensemble suivant une « unité artistique » tendant dangereusement vers des modèles correspondant au « bon goût » ?
26. Walter Gropius, architecture et société, Op. Cit. pp 123-136 47
[13]. Exposition sur l’école d’Ulm au centre Pompidou du 23 février au 23 mai 1988 - http://www.centrepompidou.fr/
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Le Bauhaus, l’école d’Ulm, « learning by doing »
La fondation du Bauhaus en 1919 est l’occasion d’un combat idéologique entre Gropius et Mackensen. Tandis que ce dernier souhaite rester dans le schéma de l’académie des beaux-arts, Gropius souhaite la fusion des apprentissages de l’art et de l’artisanat. Il imagine une formation en atelier à la manière des « Bauhüte », les ateliers des maçons au moyen-âge, d’où le nom « Bauhaus », au point qu’il se plait dans l’idée de créer une nouvelle corporation au sein de laquelle la différenciation entre artiste et artisan n’existerait pas. Pour aller plus loin, les productions ne sont pas restreintes à un domaine. Les projets parlent aussi bien de design d’objet que d’architecture et la liberté de création est mise en valeur. Le but du Bauhaus, fondé selon Kenneth Frampton pour devenir « la cathédrale du socialisme » est d’initier les étudiants à la conception de la production de masse. Le niveau de complexité des outils et des processus évolue tout au long de leur parcours mais un des principes essentiels de l’enseignement est qu’ils gardent toujours un contact avec le processus de conception dans sa totalité. Cela permet d’éviter d’entrer dans un modèle tayloriste et de rester dans un rapport de domination par rapport à la machine, tout en développant une stimulation mutuelle de tous les étudiants et professeurs. Le fait de mener à la maîtrise de toutes les phases de la production vient marquer la volonté de se différencier de l’ouvrier
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d’usine qui ne maîtrise souvent qu’une seule phase. L’objectif est avant tout d’apprendre par la pratique, mais en gardant une base théorique et artistique importante en parallèle. On parle d’approche euristique de la création, ou méthode heuristique27. Cette volonté de ne pas entrer dans les dogmes est essentielle. Très vite la technicisation est poussée très loin, et des cours de socialisme, d’organisation industrielle et de psychologie entrent au programme, au gré des différents directeurs. La fermeture de l’école s’opère en 1932 dans un contexte politique méfiant vis-à-vis des milieux artistiques, rationalisme inclus, c’est Mies Van der Rohe qui est alors directeur de l’école. “La HfG d’Ulm n’a pas été créée pour pallier une carence esthétique. Au départ, ses fondateurs (Otl Aicher, Inge Scholl et Max Bill) ne cherchaient pas à dessiner des lampes et des affiches élégantes. Au contraire, ils s’intéressaient au design de la société.” 28 L’école de Max Bill vient prendre la succession du Bauhaus, et ira selon Frampton jusqu’à « défier les contradictions inhérentes à tout design d’une société de consommation » ; autrement les objets produits font preuve d’une qualité qui ne pourrait être atteinte dans un type de design plus conventionnel qu’avec un coût beaucoup plus élevé. Après l’éviction du fondateur la technicisation sera poussée à un niveau scientifique tel que les ambitions sociales et la compréhension globale des objets furent reléguées au dernier rang derrière cette obsession pour la ‘‘méthode’’ et pour l’élaboration de « composants » technologiques sans forcément de notion de projet.
27. « Qui consiste à faire découvrir par l’élève ce qu’on veut lui enseigner. » Piaget et Coudray, 1973 28. http://strabic.fr/HfG-Ulm 50
Design pour tous et propriété intellectuelle.
D’une part la production en masse pose la question de la reproduction en masse. La concurrence entre les industriels tend parfois à tractation des prix vers le bas, consubstantielle d’une perte de qualité, finalement au dépend de l’usager. La question de la contrefaçon va avec celle de la propriété intellectuelle. Une idée peut-elle appartenir à un individu ou même à une entreprise ? On touche ici à la privatisation du savoir, où chaque découverte amène un brevet dont on peut se demander - au-delà d’empêcher la reproduction – s’il ne bloque pas l’amélioration du produit. On reviendra sur cette notion de propriété intellectuelle dans la dernière partie, à propos de l’open-source. D’autre part, d’objets du quotidien produits à destination du peuple, conçus pour être peu coûteux par rapport à leur qualité, les produits industriels sont souvent passés au statut d’objets d’art pour collectionneur. Deux questions sont ici posées, d’abord celle de l’appropriation par une classe bourgeoise des théories et des formes véhiculées par les modernes ; autrement dit d’un détournement plus ou moins délibéré des valeurs populaires par une ‘‘classe dominante’’. Prenons le mobilier métallique de Marcel Breuer29 comme exemple. Il conçoit ses pièces comme des structures construites à partir d’un tube d’acier étiré à froid et cintré sur lequel sont tendus des tissus, comme la célèbre chaise B3 de 1925; le principe inspiré des guidons de vélo est simple, peu coûteux et relativement aisé à mettre en œuvre puisque Breuer contacta une simple entreprise de plomberie 29. Marcel Lajos Breuer, né à Pec, Hungary, le 21 mai 1902, mort le 1er juillet 1981. Il fut entre autre directeur du Bauhaus. 51
dans ce but. Les droits de licence seront acquis par les ateliers Italiens Gavina eux-mêmes rachetés plus tard par l’entreprise Américaine Knoll30 dont le fondateur Walter Knoll avait côtoyé les acteurs du Bauhaus. Par la suite l’objet entre sur le marché, son prix et sa diffusion sont alors contrôlés par une entreprise privée, l’accessibilité est relayée au second plan. On peut se demander si cela ne fait pas figure d’échec du point de vue de l’ambition générale à vocation sociale, porteuse de ce type de projet. Ensuite le problème posé par les nouvelles technologies en général, particulièrement dans le domaine de l’industrie est celui du patrimoine. Si la notion de patrimoine s’intéressa pendant un temps aux pièces d’art et d’architecture particulières et originales, elle s’étend vite à tout ce qui peut concerner l’histoire et la culture sous tous les aspects, incluant donc l’industrie. Cependant le rapport à la masse pose encore question. Un objet diffusé en masse peut-il faire patrimoine ? Est-ce que le patrimoine n’a pas justement pour vocation de mettre en valeur les particularités de chaque époque, chaque lieu, chaque contexte ? Ce qui finit par rentrer dans les caractéristiques générales peut-il en faire partie ? Ou bien au contraire cela favorise-t-il la formation d’un patrimoine commun ? Autant de questions plus que jamais d’actualité à un moment où l’entrée des contenus dématérialisés dans le patrimoine soulève de nouvelles problématiques, qui vont avec celles de la protection et du devenir de ces richesses. Patrick Bouchain soulève des interrogations vis-à-vis de ce patrimoine architectural industriel, issu des ‘‘progrès’’ de l’industrie et du modernisme, tels que les ‘‘grands ensembles’’31. Il suggère que la meilleure manière de développer et de mettre en valeur cet héritage est de le vivre, de le restaurer et de le réhabiliter. A la fois parce qu’il présente une opportunité de « faire plus avec moins », autrement dit de ne pas toujours démolir pour reconstruire, mais aussi de tirer le meilleur parti de ce qui existe. D’autre part il semble important de faire perdurer la mémoire de ces espaces de vie et de travail qui ont marqué l’évolution de nos sociétés et de nos modes de vie. 30. http://art-zoo.com/design/fauteuil-wassily-b3-marcel-breuer/ 31 P. Bouchain, Construire autrement, comment faire, Actes Sud, collection l’impensé, Arles, 2006 52
[14]. Chaise B3 «Wassily» de Marcel Breuer - http://strabic.fr/Une-success-storymanquee-du
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Jean Prouvé : atelier, design et architecture
Dans la lignée de Gropius, Prouvé l’artisan forgeron met en œuvre dans ses ateliers les théories et les enseignements du maitre. D’abord le statut établi d’architecte-ingénieur-artisan soulève la question d’un type de pratique bien particulier sur lequel on se penchera ici, et qui fait écho aux questions précédemment émises sur le rapport entre art et technique. Il est intéressant d’observer le paradoxe entre la forme de l’atelier, celui de Maxéville par exemple, fonctionnant en cogestion, géré sous un mode que l’on peut qualifier d’horizontal, sans franche hiérarchie, et les ambitions de grande série et d’industrie pour la masse qui implique une redistribution par le haut des biens de consommation. Ces questionnements viendront s’appuyer sur un corpus de textes sur Prouvé, celui-ci n’ayant rien écrit par lui-même, et sur Imaginaire technique.32
Questionnement : Prouvé héritier de Gropius ? La pratique de Prouvé est-elle compatible avec l’idéologie de fond ?
32. Sous la direction de Cyrille Simmonet, Imaginaire technique, Les cahiers de la recherche architecturale n°40, Ed. Parenthèses, Paris, 1997 55
Artisan-Ingénieur-Designer-Architecte : Quelle pratique?
Jean Prouvé est originaire d’un milieu artisanal artistique, de par sa formation de forgeron dans les ateliers d’Emile Robert et aussi de par son père Victor Prouvé, artiste membre de l’école de Nancy33. Tout au long de sa pratique il conservera cet attrait pour la fabrication et pour l’univers du « métier », tout en se détachant rapidement des outils de base comme le marteau pour s’intéresser à des technologies plus complexes tels que la plieuse a priori peu compatibles avec le mode de travail de l’artisan et le mode de fonctionnement conventionnel des chantiers. Les nouvelles machines, plus lourdes, réclament non seulement une organisation du travail particulière et une répartition des tâches différente, mais impliquent de par l’investissement qu’elles demandent et le niveau de production nécessaire à leur rentabilité un schéma économique plus compatible avec l’industrie et la production en série qu’avec l’artisanat d’art. Malgré cela son travail restera basé sur l’aller-retour perpétuel entre la fabrication et le dessin, et cela l’amènera au fur et à mesure à formuler le concept d’ « idée constructive ». Cette idée soutient que le concept, qu’il soit architectural, de mobilier 33. Ecole de Nancy : http://www.ecole-de-nancy.com/web/index. php?page=presentation : «A l’approche du XXe siècle et sous l’impulsion décisive de nombreux artistes, architectes et commanditaires, l’Art nouveau connaît un développement exceptionnel et international. Tous les domaines de création et techniques sont concernés par ce mouvement artistique. A Nancy, l’Art nouveau prend le nom d’Ecole de Nancy, ou Alliance provinciale des industries d’art, grâce notamment à la figure emblématique d’Emile Gallé. Verrerie, mobilier, vitrail, céramique, cuir, feronnerie, architecture, etc., participent à ce vaste mouvement de rénovation des arts décoratifs qui marque encore aujourd’hui la ville de Nancy.» 56
ou autre, doit d’emblée aller de paire avec un principe constructif. La forme que trouve les objets de Prouvé trouve toujours une justification mécanique, d’usage, ou liée au mode de fabrication, ce que Philippe Potié qualifie d’ « esthétique de l’action »34. Aussi l’idée constructive suggère que l’idée soit directement portée au stade de la fabrication, ce qui ne peut être mis en œuvre que dans une forme d’auto-construction telle que celle mise en œuvre dans les ateliers Prouvé. Le pli de la feuille d’acier à partir duquel sont générés les différents éléments constitutifs des créations de l’atelier se base sur un principe simple : c’est du pli que nait la résistance de la matière, c’est à la forme que l’on donne à celle-ci en la tordant que l’on acquière les caractéristiques qui nous intéressent et par voie de conséquence la qualité architectonique, structurelle, esthétique de la pièce. Cette machine, ce mode de production conditionne entièrement le processus de fabrication, mais aussi la matière, la forme, impactant directement le concept de l’objet. D’autant plus que se pose la question de la mise en œuvre et l’assemblage des composant usinés, ce qui génère de nouvelles contraintes de conception et de fabrication. Etant donné le fort conditionnement technologique induit par la plieuse, on peut reposer la question de la spécialisation. Si la pratique de Prouvé parait ouverte en terme de commande , allant de la fabrication de mobilier à celle d’habitat d’urgence, en passant par la production de panneaux de façade d’immeuble, le processus de création est quant à lui gagné par un certain systématisme, peut-être à l’origine d’un « style » dont il lui-même se défendait ardemment. Dans l’idée de rapprochement entre industrie et artisanat - dont il hérite notamment de l’école de Nancy- Prouvé adopte une posture d’ingénieur, de ‘‘tortilleur de tôle’’ qui l’amène à s’éloigner de l’art nouveau dans lequel évoluent à ce moment les artisans du métal pour se rapprocher du mouvement moderne jusqu’à en devenir un de ses représentants Français. Les principes modernistes qu’il 34. Philippe Potié, « Autour de la plieuse de Jean Prouvé », sous la direction de Cyrille Simmonet, Imaginaire technique, Les cahiers de la recherche architecturale n°40, Ed. Parenthèses, Paris, 1997, pp47-56. 57
véhicule sont liés à la rationalisation, à une esthétique de la forme suivant la fonction et à travers laquelle se perçoit « l’impression du travail de l’outil »35.
35. Citation de E. Robert, « De l’apprentissage », in Art et Industrie, février 1912, cité dans J.-C. Bignon et C. Coley, Jean Prouvé , entre artisanat et industrie 1923-1939, Nancy, Ecole d’architecture de Nancy, vol. 1, p21, tiré du texte de P. Potié, op. cit., p48. 58
[16]. La plieuse dans les ateliers Jean ProuvĂŠ - http://jcgrosso.blogspot.com/
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L’atelier de Maxéville : pratique paradoxale ? Cogestion et ambition de masse – Prototype et grande série Habité par l’esprit du compagnonnage, allant de paire avec celui de la collaboration entre travailleurs, en opposition au schéma de soumission ouvrière, Prouvé commence par s’installer avec trois compagnons le 1er janvier 1924, l’atelier sera déplacé en 1931 avec ses quinze ouvriers, et en 1933 il compte une cinquantaine d’ouvriers – que Prouvé continuera toujours de qualifier de ‘‘compagnons’’ – ce qui nécessite une remise en question de l’organisation du travail. « Le schéma « post-industriel » qui est convoqué par Prouvé s’inscrit à contre-courant des modèles tayloristes »36 cependant sans parler de mise en place de chaine et d’organisation scientifique du travail, les objectifs de productivité et l’élargissement des effectifs rendent inévitable une division du travail, et donc une certaine forme de spécialisation, suivant les compétences de chacun. En contrepartie, il créé la figure du ‘‘compagnon-actionnaire’’, assurant la participation des salariés dans l’entreprise qui garantit d’emblée la répartition des responsabilités et la décentralisation des décisions, cherchant ainsi à éviter le caractère de hiérarchie pyramidale à l’opposé des principes fondamentaux du constructeur. L’intéressement des salariés dans l’amélioration du produit ou de la productivité aura des effets directs sur les salaires, sur le coût de production, sur la vitalité de l’entreprise et donc l’ambiance qui y règne. Bien que ‘patron’, il se considérera toujours comme un compagnon à part entière et à égalité avec les autres, et c’est d’ailleurs ainsi que le considéreront eux-aussi les employés ou collaborateurs, le qualifiant de ‘‘fidèle à lui-même’’37. Préférant le pacte social, qui garantit la participation de tous les acteurs engagés dans le projet d’entreprise et dans le constant débat d’idée, au modèle tayloriste
36. P. Potier, Op. Cit. p. 47 37. Tiré d’une déclaration de Jean Boutemain le 11 aout 1988, Ibid., p. 51 60
qui génère un mode de production sous pression car fonctionnant par la sanction et la surveillance, Prouvé délègue une grande partie de son pouvoir à ses collaborateurs.38 L’ambition démocratique, autant dans le fonctionnement des ateliers que dans la volonté de rendre accessible au plus grand nombre des conceptions de qualité grâce à la production en grande série porte certaines contradictions. En effet, l’idée est de centraliser la production d’un grand nombre de produits identiques, autrement dit de mettre en place un monopole. Le risque est de largement standardiser l’offre, et d’une certaine manière de priver les individus demandeurs de leur liberté de choix, tout en rendant ceux-ci dépendant d’une seule source de diffusion. Il y a un paradoxe dans le fait d’instaurer un monopole à partir d’une entreprise au sein-même de laquelle l’idée est que personne ne détienne une quelconque exclusivité ; personne ne détiens tout le pouvoir de décision, toute les responsabilités ou toute la connaissance. Le pouvoir est toujours centralisé, mais au lieu d’être détenu par un individu, il est détenu par une entreprise, un groupe d’individu dans lequel sont également réparties les responsabilités. On peut se demander si ce n’est pas la notion même d’exclusivité qui pose problème dans la production de masse.
38. P. Potié relie cette volonté aux recherches de Elton Mayo, et ses ‘‘versions françaises’’ Schuller, Hiacynthe Dubreuil et Emile Rimailho, qui travaillèrent sur ces deux cultures du travail en opposition. « Elton Mayo (1880-1949) fut professeur de recherche industrielle à la Harvard Business School de 1926 à 1947. Il publia deux petits ouvrages qui eurent un retentissement considérable : The human Problems of an Industrial Civilisation (1947). » « Hyacinthe Dubreuil, ouvrier métallurgiste, est l’un des premiers à avoir fait le voyage d’Amérique, où il a travaillé dans plusieurs usines. De retour en France, il raconte sa découverte du modèle américain dans une série d’ouvrages qui connaitront un grand succès ». 61
[17]. La de Jean Prouvé à Nancy, réalisée à partir d’éléments réccupérés au départ des ateliers de Maxéville et construite avec l’aide de «compagnons» des usines. Maison-jean-prouve-nancy-1-lecatalog.com
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La « mort » de Jean Prouvé
Les ateliers de Maxéville connaissent un développement important, qui va avec une augmentation de la commande, et donc un besoin de réinvestir pour moderniser et répondre à cette demande croissante. Pour cela, une augmentation du capital devient inévitable et Prouvé se tourne vers l’industrie de l’Aluminium. Dans l’idée constructive on peut lire « La cogestion, la méthode de conception-fabrication, les étudiants et les architectes dans l’usine, c’était beaucoup trop pour une multinationale habituée à d’autres systèmes d’organisation »39. Il se retrouve piégé quand la grande entreprise prend possession de la majorité du capital, s’attribuant ainsi le pouvoir de décision qui mettra rapidement Prouvé en position d’infériorité. Les ateliers où collaborent et participent novices et professionnels, où la hiérarchie est peu marquée et tous les compagnons sont considérés à l’égal les uns des autres, dire que cela correspond peu à la vision du grand groupe et de ses dirigeant est un euphémisme. Pas vraiment sur la même longueur d’onde, Prouvé est petit à petit coupé de l’atelier, jusqu’à se voir proposer un poste dans un bureau d’études à Paris où on lui propose de « faire du Prouvé », concept absurde et inconcevable à ses yeux, l’aller-retour entre la table à dessin et la machine pour réaliser directement les idées étant le seul processus de création viable à ses yeux. Privé de son outil, son atelier, par une forme d’industrie à contre-courant de laquelle il évolue, mais qui finance son développement, Prouvé est anéanti. Non seulement parce qu’il est 39. CLAYSSEN Dominique, Jean Prouvé, l’idée constructive, Paris, Ed. Dunod, 1983. 63
indirectement mis à la porte, mais aussi et surtout par la manière avec laquelle le projet d’entreprise est détourné, les engagements sociaux ou du moins les ambitions de coopération laissés aux oubliettes au profit, à court terme, du groupe acquéreur. Cette issue questionne sur la possibilité d’engagement dans un modèle de société capitaliste. Comment se développer tout conservant une volonté de fonctionnement démocratique basé sur l’amélioration des conditions de travail et des prestations fournies, sans être pris au piège par le jeu de pouvoir qu’engendrent les rachats d’entreprise et autres augmentations de capital. Dans la mort de Jean Prouvé40, est soulevée une question importante vis-à-vis de cette mésentente entre Prouvé et les dirigeants du groupe industriel. Une raison pour laquelle ces derniers sont frileux par rapport au fonctionnement de l’usine est la fabrication de petites séries, à partir de conceptions toujours différentes. Cette méthode contraint de faire évoluer en permanence les outillages, de lancer de nouvelles études. Elle oblige à toujours former les ouvriers, sans compter que cela augmente les risques de malfaçon, dus au manque de maîtrise qu’implique la nouveauté. Le fondateur des ateliers de Maxéville s’installera à Paris comme ingénieur-conseil et c’est paradoxalement après son départ qu’il travaillera sur quelques-uns de ses projets perçus comme les plus importants comme la buvette d’Évian, la maison de l’abbé Pierre ou encore le pavillon du Centenaire de l’aluminium. Il continuera également d’enseigner grâce au CNAM, véhiculant sa passion pour l’industrie et le dessin d’objets techniques, décrivant notamment consciencieusement différentes pièces et modes d’assemblage d’automobiles, univers pour lequel il avait toujours conservé un fort attrait.41
40. MARREY Bernard, La mort de Jean Prouvé, Paris, Ed. du Linteau, 2005 41. LEVASSEUR J-P. Jean Prouvé, cours du C.N.A.M 1961-1962, 1983 (ville inconnue). Cette ouvrage contient la retranscritption des dessins réalisés au CNAM par Jean Prouvé. 64
[18]. Jean ProuvĂŠ au CNAM, ses cours se composaient essentiellement de dessins techniques, plus que de paroles. - http://www.pixelcreation.fr/
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[19]. Extraits de notices de construction de différentes maisons démontables conçues par Prouvé en acier, bois, et aluminium.
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L’industrie rationalisée dans l’urgence
La rationalisation des modes de production trouve tout son sens dans les situations d’urgence, que ce soit dans le design ou dans l’architecture, à travers quelques exemples, notamment le travail sur la maison démontable de Prouvé et la wiki house - maison ‘‘en kit’’ à découper à l’aide d’une découpeuse laser et à assembler tel un meuble Suédois au nom imprononçable - nous étudierons ce rapport entre rationalisation et urgence au sens large. Design pour un monde réel de Papanek nourrira aussi ce chapitre.
Questionnement : La réponse dans l’urgence comme référence ? 67
Prouvé et les maisons démontables
A contre-courant des politiques de construction de l’époque, qui vont dans le sens de structures faites pour durer au maximum, Prouvé travaille sur l’architecture démontable, avec la conviction que l’on ne doit pas imposer un mode de construire contemporain aux générations futures. Les maisons démontables sont conçues dans cette optique, et en cela elles présentent une réponse possible à l’architecture de l’urgence. En 1944-45 elles seront utilisées dans ce but en France pour reloger des sinistrés. Réalisée en bois et en métal, la maison 8x842 est un exemple intéressant de construction légère. 8m est le format maximal autorisé par la grande-presse plieuse qui équipe les ateliers, ce qui détermine le format du module et sur lequel s’adapte la ‘‘trame Prouvé’’ pour laquelle Pierre Jeanneret délaissera le modulor en 1939, notamment pour la maison d’ingénieur de la SCAL dans laquelle il utilise le procédé breveté des Ateliers Jean Prouvé pour la 8x8. Au fil des améliorations et des prototypes montés, la maison se développe pour aboutir en 1949 à la maison métropole que Catherine Coley qualifie de « légère, économique et confortable »43, d’autres seront mises sur pieds : la maison de l’Abbé Pierre, la maison 6x6 ou encore la Ferembal sont autant d’exemples de la double vision humanisme et progressiste du constructeur. La croyance de Prouvé en la nécessité de construire des maisons usinées va de paire avec celle que presque rien ne doit être fabriqué 42. Laurence et Patrick Seguin, Michael Roy et Catherine Coley, Jean Prouvé, maison démontable 8x8, Galerie Patrick Seguin, Paris, 2013 43. Ibid. p 11. 68
sur le chantier, si ce n’est la maison elle-même. Il critique par là , la débauche d’énergie que suppose la mise en place de coffrage de matière nécessitant séchage comme les mortiers, ciments et bétons. Les maisons démontables sont accompagnées de notices de montage et de nomenclatures simples et précises qui témoignent de l’exigence en termes d’ordre et d’assemblage. Le processus de montage diffère de celui des constructions traditionnelles qui consiste à monter les murs puis la toiture. Ici l’ossature primaire est tout d’abord mise en place, et permet aux ouvriers d’ensuite travailler abrités, pour monter murs, pignons et menuiseries. Il faut compter 10 h pour le montage d’un module, sans compter les travaux préliminaires de fondation et de viabilisation du terrain. De nombreuses formes de portiques furent dessinées et prototypées, suivant la taille du module, sa forme, pour réduire son poids etc. Catherine Coley explique que Prouvé voyait dans les constructions provisoires de l’après-guerre un moyen de parvenir à créer une industrie du bâtiment comparable à celle de l’automobile, et capable de produire des modèles destinés à la reconstruction définitive. En appliquant les mêmes principes que pour la production de mobilier, Prouvé témoigne du peu de différence qu’il conçoit entre design et architecture, dans cette idée de structures assemblables, aisément démontables, déplaçables, ouvertes à l’amélioration ou à la modification.
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[20]. «Kit» de wikihouse prêt à découper sur une machine de type CNC (découpe lazer de bois) - http://www.wikihouse.cc/
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La « wikihouse »44, ouverture du champ des possibles ?
Qu’est-ce que la « wiki-house » ? Le préfixe « wiki » est un sigle signifiant « what I know is » (littéralement ce que je sais est…). Dans la mouvance de l’open-source, le wiki désigne le moyen pour tout un chacun de partager de manière libre et gratuite ses connaissances, idées, informations, compétences sur un sujet. « Wiki-house » est un site web sur lequel il est possible de trouver des modèles informatiques de constructions. Ces modèles, libres de droit et modifiables par tout le monde, permettent de générer des « kits », sous la forme de patrons. Ces patrons peuvent ensuite être envoyés à une machine, une découpeuse laser, une imprimante tridimensionnelle, pour être ainsi ‘‘usinés’’ automatiquement, sans plus de connaissances que celles nécessaires à l’utilisation de la machine. Les auteurs s’adressent notamment à l’architecture d’urgence grâce à cet outil. Les avantages qu’il présente dans ce cadre sont la souplesse dans la forme de constructions réalisables, la rapidité de fabrication , le peu de matière et de connaissances nécessaires à la mise en œuvre. L’outil de fabrication de départ présente aussi l’intérêt d’être transportable, adaptable et lui-même potentiellement construit sur une base open-source. Elle donne une liberté de création qui permet aussi bien l’expression de chacun que la standardisation à grande échelle. En cela la wiki-house questionne sur la capacité des intervenants à discerner ce qui attrait à la rationalisation de la production et ce qui définit l’identité d’un lieu, d’un groupe, d’une 44. http://www.wikihouse.cc/ 71
région. On remarque d’emblée que ces risques, exacerbés dans l’urgence, peuvent être extrapolés à des contextes apparemment plus sereins. Produire vite et sans difficultés et en quantités importantes rend cette pratique intéressante pour les industriels. On traverse là les problématiques de production que soulevait déjà Gropius, qui soutenait que tous ces « ateliers volants » devrait être supervisés par des acteurs comme les architectes, capables de garder un regard transversal sur la production mise en place. Hertzberger écrivait à propos de ‘‘l’espace polyvalent’’ en 1963 « ce que nous devons rechercher, plutôt que des prototypes qui sont des interprétations collectives de modes de vie individuels, ce sont des prototypes qui assurent des interprétation individuelles de tous les modèles collectifs possibles ; autrement dit, nous devons faire des maisons qui permettent à chacun de développer sa propre interprétation du modèle collectif. »45. On peut espérer que de tels outils permettent cette réinterprétation de chacun, sans pour autant généraliser le type d’infrastructure mis en place, aussi flexible puisse-t-il être. Enfin l’intérêt de cette culture open-source comme on y reviendra plus loin, est la valeur formative qu’elle intègre. A partir de l’outil de base qu’est un ordinateur connecté à internet, n’importe qui peut se lancer dans l’apprentissage d’un sujet où un autre, devenant lui-même une source d’information locale. La diffusion du savoir, notamment dans les zones sinistrées, peut devenir une grande force de reconstruction, générer un fort lien de communauté à travers des ateliers participatifs notamment46.
45. Tiré de F. Kenneth, L’architecture moderne, une histoire critique, Ed. Thames & Hudson, Paris, 2066, quatrième édition, traduit de l’anglais par Guillemette Morel-Journel. p 318. 46. Cf Cameron Sinclair à propos des architectures Open source et quelques exemples Africains. http://www.ted.com/talks/cameron_ sinclair_on_open_source_architecture?source=facebook&language=fr#. Ulb0iSb_qbl.facebook 72
Le standard et le particulier, le contexte de l’urgence, le contexte dans l’urgence
L’urgence est en soi un contexte et une contrainte forte, qui détermine économiquement, temporellement et spatialement le projet. Ce contexte oblige à répondre de manière rationnelle pour résoudre rapidement et avec relativement peu de moyens à des situations qui peuvent mettre en danger des populations. En conséquence le risque est d’oublier le contexte, les modes de vies locaux, les manières de construire et de faire la ville, tout cela pour les substituer par des constructions potentiellement inadaptées, répondant seulement à des contraintes de coût et de facilité de mise en œuvre. L’objectif est de répondre à un besoin immédiat, celui d’offrir un toit et un minimum de services à des habitants délogés, sans nécessairement se demander ce qu’il adviendra de ces constructions et de ces personnes à plus long terme. Cette question de réponse au court-terme est particulièrement prégnante dans ce contexte, mais si on regarde à une échelle plus globale c’est finalement le même type de problématique qui se pose. La surindustrialisation, la surconsommation « ostentatoire », comme la qualifie Victor Papanek, ces dérives ont poussé le monde globalisé dans une situation d’urgence. La question centrale du développement durable doit se poser aussi bien dans les situations particulières d’extrême urgence liées aux catastrophes naturelles ou aux guerres que dans la société de consommation dans laquelle nous évoluons. Elle implique tous les acteurs concernés, c’est à dire nous tous, et en cela elle réclame la participation de chacun dans la résolution des problèmes locaux. Le travail de Shigeru Ban sur l’architecture de l’urgence est intéressant par son engagement dans une architecture de qualité à partir du recyclage de matériaux préfabriqués, telle la Paper Loghouse, construite à partir de carton, de casiers à bouteilles, de tiges métalliques et d’une toile. Il conçoit des notices de montage appropriables par les constructeurs et les habitants en fonction des besoins spécifiques de chacun. Son approche durable concerne 73
aussi bien l’architecture d’urgence que les projets urbains loin des contextes d’urgence et ce, bien avant que le mot développement durable devienne le terme à la mode qu’il est aujourd’hui. L’exemple de la Paper Church à Kobe au Japon, est significatif. Construite en 1995, elle est démontée en 2005. Ces constructions légères présentent cette particularité d’être démontables, flexibilité qui permet d’imaginer pouvoir perpétuellement remettre en question ce qui est construit, pourvoir sans débauche d’énergie considérable, démonter, modifier, transformer pour toujours mieux s’adapter.47
47. http://www.shigerubanarchitects.com/ 74
[21]. Axonométrie éclatée de la «Paper Loghouse» - http://indayear2studio1314s1.blogspot.com/
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Une société industrialisée? Les idéaux et leurs échos Buckminster Fuller et ses disciples, la révolution par le design et la technocratie
Lorsque Fuller met en place le World-Game, il cherche à faire passer l’image de son idéal de société, gouvernée par la technologie, et reposant sur des écologies sociales, industrielles et énergétiques. Cet idéal utopique repose à la fois sur le contrôle et la répartition des ressources par le haut et sur l’implication totale de chaque individu dans la société à un niveau local et global à la fois. Un idéal dans lequel le capital n’a plus de sens, seuls les progrès sociaux et technologiques en lien avec le développement personnel de chacun comptent. A l’inverse de la contre-utopie d’un monde dénué de toute technologie (Super-studio, la grille par exemple) où encore une fois l’individu, l’individu dans la société, est remis au cœur du projet. La Révolution par le design, celle dont parle Papanek et dont parlent encore les makers –ces apprentis sorciers de l’informatique, adeptes du « do it yourself » - consiste à retrouver un design intelligent qui, faute de « designer » le monde entier tel un vaisseau spatial à la manière de Fuller. Cette Révolution amène chacun à reconsidérer la place du design, de la création en réponse à un besoin, au sens large, dans son quotidien, dans son éducation et dans la forme de la société.
Questionnement : L’Utopie : avec ou sans technologie ? 77
Le Worldgame
Richard Buckminster Fuller fut un personnage atypique. Né dans le Massachusetts près de Boston, le 12 Juillet 1895, rapidement détourné du milieu académique après plusieurs échecs, il fut qualifié tour à tour d’architecte, ingénieur, designer, géographe, etc. Au regard de son parcours on peut certainement le qualifier d’inventeur et d’expérimentateur. Sur le nombre impressionnant de géodésiques qu’il put concevoir, on en retrouve aussi bien abritant des groupes de hippies dans les années 60 que sur les camps militaires de l’US Army. Idéaliste, il fut selon un de ses petits-enfants Jaime Snyder48, toute sa vie animé par cette question « est-il possible de rendre le monde vivable pour la totalité des êtres humains ? ». Cette question étant plus que jamais d’actualité, on peut sur ce point le qualifier comme en avance sur son temps. Le « World-Game »49 est une expérimentation de cette maxime. Dans ce « jeu » organisé autour d’une grande mappemonde interactive intitulée « Dymaxion », Fuller développe des réponses scientifiques à l’organisation du monde avec pour ambition un schéma gagnantgagnant pour chaque individu en réponse au schéma gagnantperdant qu’il constate et déplore à l’époque. Le World-Game consiste dans ses grandes lignes à évaluer les ressources présentes sur la planète et à imaginer les moyens et les outils pour parvenir à la meilleure répartition possible de ces richesses, dans le but utopiste que chacun puisse se consacrer à la recherche et au développement personnel, participant au progrès global de la civilisation. Dans ce monde dépolitisé, la machine, le calculateur, estime à la place de l’humain les choix à mettre en œuvre. Parallèlement à cela, un système de suffrage électronique permet de recueillir en temps réel l’avis du plus grand nombre sur les décisions à prendre. Une des problématiques principales est 48. Jaime SNYDER « Manuel d’instruction pour le vaisseau spatial « terre », Lars Müller Publishers, Baden, 2010, 1ere parution 1969, traduit par René Pelletier et Georges Khal, première parution française en 1980. 49. E3 energy, earth and everyone, une stratégie énergétique globale pour le vaisseau spatial terre ? : world game, 1969-1977, éditions B2 78
celle de la distribution égale de l’énergie électrique, qui permet à la machine de prendre la place de l’homme dans toutes les tâches desquelles il peut désormais être débarrassé. Les lieux de production et les voies de distribution de cette énergie sont donc mis en place de manière logique, en fonction de la densité de population et des potentielles fluctuations futures, sur la base du développement démographique et industriel. Ensuite viennent les préoccupations agro-alimentaires, de logement et de transport, toujours traitées de manière industrielle, mais pas nécessairement soutenues par une idée de « masse ». Il est frappant de noter que ce type de réflexion est clairement inspiré des stratégies militaires, et que par certains côtés il présente des aspects totalitaires, de par la centralisation à l’extrême du pouvoir, aussi « apolitique » soit-il, et par la soumission globale du peuple à une entité « supérieure » telle que semble ici considérée la machine50. En comparaison avec les régimes totalitaires, le soviétisme par exemple, Fuller souhaite travailler par la persuasion plutôt que par la contrainte, comptant sur l’éducation pour que d’elle-même s’impose la voie du plus grand nombre. L’autorité vient du Peuple, supposé « éduqué » et non du Tyran, ou d’une « Dictature du prolétariat ». L’expression « Thermodynamique industrielle » est utilisée à propos du mode de production globale dans le « jeu » inventé. La volonté de résoudre par des procédés scientifiques toutes les questions de société se traduit par une industrialisation à tous les niveaux. A travers ce qu’il nomme une logique « synergétique », on tente de prévoir les transports de matières premières, de population, d’énergie, afin d’adapter la production industrielle, en fonction des besoins de la population. Victor Papanek parle à propos de cette vision d’une « entropie vertueuse » grâce à la laquelle « toujours moins se transforme en toujours plus. ». On peut d’ailleurs comparer ce type de « management scientifique »51 à celui que l’on trouve dans le Fordisme. Les méthodes d’organisation du travail sont ici appliquées à grande échelle, à des groupes fluctuants de personnes et non plus à l’ouvrier en particulier. L’ambition est bien de diffuser l’outil industriel, et non plus les biens de consommation qu’elle produit. C’est cette décentralisation du moyen de production et de gestion qui redonne, justifie la mise en place au centre de tout d’une sorte de supercalculateur géré par des techniciens dont on peut mettre en question la place, le rôle et le pouvoir placés entre leurs mains. L’idéal de Fuller se détache de certaines questions concrètes liées à l’impact d’un tel projet. On peut se demander au même titre que dans l’usine de Ford ce qu’il advient des populations qui 50. Ibid. p20 51. Ibid. p17 79
gèrent et travaillent dans ces infrastructures industrielles, s’agit-il de populations mobiles ? Qu’en est-il de la spécialisation du travail et le savoir-faire est-il mis en valeur, ou bien la technologie a-telle évacué toute forme d’intervention humaine de la chaine de production ? On peut s’interroger sur l’uniformisation que génère ce mode de pensée, d’autant plus que dans le type de design imaginé ici, la valeur d’appropriation n’apparait pas, seule la réponse purement rationnelle au besoin est évoquée. On verra ensuite de quelle manière la « révolution par le design » critique et répond à ce questionnement. Buckminster Fuller aborde le Word-Game comme une solution globale, à l’échelle de la planète, et pour y parvenir il propose une « écologie sociale, énergétique et économique » comme mode de fonctionnement, s’intéressant de manière transversale aux problèmes soulevés à chaque échelle : celle de l’humain et celle de la planète. Que deviennent la ville et le territoire dans ce système radicalement global ? Quels sont les rapports d’échelle qui se mettent en place à un niveau local, dans la ville par exemple. Dans son traité « L’économie de mouvement et les économies de contact », Fuller explore l’idée de « la rationalisation des économies locales de contact » et imagine « un système réalisable de survie mutuelle ».N’imagine-t-il pas à la manière d’un Frank Lloyd Wright un monde constitué de Prairie Houses, où la ville n’a plus de raison d’être ? A travers son projet il questionne sur le rôle la ville dans nos vies et nos sociétés. Il valorise les circuits courts dans tous les domaines, et tous les échanges, tout en soulignant l’importance de la circulation des idées et des solutions apportées à chaque problème particulier. Ces idées, qui n’ont pas été inventées par Fuller, sont plus que jamais véhiculées aujourd’hui à l’heure de l’explosion des technologies de l’information et de communication. A la manière d’une œuvre de science-fiction, Bucky nous présente la planète comme « ultime machine », qu’il va jusqu’à désigner comme « vaisseau spatial », ce qui n’est pas sans rappeler les travaux postérieurs des métabolistes comme Archigram, et jusqu’aux travaux de Norman Foster comme le projet de siège de la Hong Kong and Shangai Bank52[28]. Cette vision d’un monde technocratique dont sont honnies politique et croissance économique, marque un moment important de la fin des années 60, étroitement lié au contexte géopolitique international, que l’on décrit parfois comme «la fin des grands récits ». Le World-Game apparait comme une proposition d’alternative à ces modèles alors essoufflés et auxquels beaucoup ne croient plus. Elle est intéressante. Elle questionne, car malgré son aspect rationnel et radical, elle est à la fois naïve 52. Foster and associates, Hong Kong and Shangai Bank, Hong Kong,1979-1984 80
dans le sens où ce projet se détache des idées reçues sur le progrès technologique et des fantasmes de la soumission de l’homme à la machine, et philosophique dans le sens où elle se base sur une forme d’humanisme, de croyance en la capacité de l’homme à évoluer dans une société globale sans rapports de force ou de domination. C’est comme si le fait de se soumettre au pouvoir de décision d’une entité extérieure permettait d’exclure toute forme de domination entre les hommes eux-mêmes.
[23]. Image du globe, carte dymaxion repliée, vaisseau spatial terre pilotée par un astronaute arborant un noeud-papillon à la Bucky. - http://strabic.fr/ 81
Les contre-cultures ou l’utopie sans l’industrie
Dans Architecture moderne, une histoire critique, Kenneth Frampton s’intéresse au team X et au point de vue de Giancarlo Decarlo et d’Aldo Van Eyck à propos de la société de masse, du rationalisme, du fonctionnalisme et de la société contemporaine en générale. Les CIAM soutiennent alors l’importance des modes de production rationalisés, le besoin de garantir un ‘‘niveau moyen de qualité’’ dans la production de masse notamment de logements. De fortes critiques naissent à propos de ce mode pensée. Frampton cite Van Eyck « Nous ne savons rien de la multitude – nous ne pouvons pas y faire face – que ce soit en tant qu’architecte, qu’urbaniste, ou qui que ce soit d’autre »53. Dès lors on voit apparaître une opposition à la vision de l’architecture comme généralisable dans tous les contextes possibles et différents. A travers cela c’est une critique générale contre l’ambition de masse de l’architecture rationalisée prônée par les modernes. Van Eyck base son argumentaire sur l’observation de l’échec de l’urbanisme fonctionnel d’après-guerre, aux Pays-Bas en particulier. Pour lui, le fonctionnalisme n’a rien généré d’autre que du ‘‘non-lieu’’, ce qui provoque chez lui un fort scepticisme vis-à-vis du progrès en général. « Je réprouve tout autant l’attitude des antiquaires, sentimentale vis-à-vis du passé, que l’attitude technophile, sentimentale vis-à-vis du futur »54 cette citation d’Aldo Van Eyck témoigne de son degré de réprobation des dogmes ou des modes de pensée fermés, comme un appel à ôter des œillères qui sont autant de barrières irrationnelles à la véritable création. Dans cette ligne de pensée, les acteurs de
53. K. Frampton, Op. Cit., p296, tiré de A. Van Eyck, «Labyrinthine Clarity» in World Archiecture/Three, 1966, p. 121-122 54. A. Van Eyck dans sa revue Forum, 1967, tiré de K. Frampton, L’architecture moderne, Op. Cit. p. 317-318 82
la Tendenza55 prônent selon Frampton un refus de la technique, une approche purement artisanale et culturelle de la production architecturale et urbaine. De manière plus radicale, Super-studio56[24] conceptualise avec le monument continu un monde essentiellement basé sur une trame, une surface unique et égale où les hommes n’ont d’autres préoccupations que le développement personnel, en harmonie avec un milieu totalement neutre, quasi virtuel, où seul l’esprit fait le lieu, la matière n’a plus d’importance. Dans ce sens Van Eyck se pose la question : « si la société n’a pas de forme, comment les architectes peuvent-ils construire une forme qui y réponde ». On ne peut pas agir sur la société dans sa masse, dans sa globalité. L’organisation à grande échelle et le fonctionnalisme ne parviennent pas à créer des lieux habitables à l’échelle locale. On peut se demander ce qui maintient ce plébiscite permanent qui fait qu’un groupe de personnes qui ne se connaissent pas et ne vivent pas dans le même contexte forment une ‘‘société’’. C’est l’authenticité de cette société que Van Eyck remet en question. Toujours d’après Frampton, Claude Shnaidt faisait partie des enseignants les plus critiques de la Hochshule für Gestaltung (HfG, littéralement « Université des arts et du design »). Il semble qualifier de naïve l’attitude des modernes. Pour lui, les jeunes modernistes étaient pleins de bonne volonté, souhaitaient sortir du modèle élitiste, pour que l’architecture soit faite pour le peuple, par le peuple, et pour cela ils s’inspiraient des progrès de l’industrie et du rationalisme pour créer des outils capables de rendre le système plus égalitaire. Or ils n’avaient pas compté sur le pouvoir de la bourgeoisie mercantile. Celle-ci n’a de cesse de récupérer leurs théories pour les détourner à leur profit. Shnaidt écrit « Le concept d’utilité fut identifié à celui de rentabilité, les formes antiacadémiques 55. K. Frampton, Op. Cit. p 313 « rien n’est plus éloigné du propos populiste que le mouvement nérationaliste italien «tendenza» qui chercha à sauver l’architecture et la ville des griffes envahissantes du consumérisme des mégalopoles». 56. K. Frampton, Op. Cit. p 308 «Il existait ainsi de nombreux groupes dont le propos était franchement politique, et l’apréhension des techniques de pointe, résolument critique. Parmi eux, les Italiens de Superstudio étaient sans doute les plus doués de sensibilité poétique.» 83
constituèrent le nouveau décor de la classe dominante, le logement rationnel se transforma en habitat minimal, la cité radieuse en grand ensemble, le dépouillement plastique en pauvreté. »57. En allant chercher les moyens, économiques notamment, de produire les nouvelles formes que les modernes prônaient, ils se sont en fait vendu, jusqu’à se transformer en vecteurs de dégradation de l’habitat et de la ville en général.
57. Claude Shnaidt, Architecture et engagement politique, 1967, tiré de K. Frampton Op. Cit. p307. 84
[24]. Superstudio -* supersurface, la mort de l’architecture, instrument de domination et symbole du capitalisme, en faisant intervenir les technologies contemporaines et futures, sur le corps humain - http:// laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2012/12/architecture-radicaleecologie.html
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La Révolution par le Design
Le « Time » titrait en 1973 « A time of learning to live with less »[25]. La Révolution par le Design telle que la dépeint Victor Papanek tourne principalement autour de cette question d’apprendre à faire plus avec moins. On parle non seulement d’économie de moyens, mais aussi et avant tout de « Design compréhensif ». Fuller en parle ainsi, c’est un Design trouvant son point de départ et son essence dans la résolution de problèmes concrets et dûment analysés. Il ne s’agir plus d’un Design dont le but plus ou moins affiché serait marchand et uniquement tourné vers le profit, au mépris des ressources limitées et des besoins de demandeurs en situation de crise, qu’elle soit économique, sociale, climatique ou autre. Il s’agit en fait plus d’une volonté d’évolution que d’une révolution au sens politique du terme.58 Il convient d’abord de bien définir le mot Design. « Les hommes sont tous des designers » écrit Victor Papanek, qui discerne deux types de design, le design utile, c’est-à-dire la conception d’outils en réponse à un besoin étudié, et le design du superflu, de « pacotille ». On considère alors comme acte de Design toute posture de réponse scientifique et raisonnée à un problème donné, toute acte de transformation de notre environnement direct ou indirect, quel que soit le domaine, pas seulement pour des objets physiques, mais aussi pour des systèmes, des modes d’organisation, des process etc. Le Design est donc lui-même un processus, qui met en œuvre - selon l’auteur – trois éléments fondamentaux : le matériau (entendre le sujet), l’outil, le procédé. Toute démarche de Design s’articulerait autour de ces principes de base. « Tout design est une forme d’éducation »59. Le designer Victor Papanek développe ici l’idée que toute transformation de 58. E3 energy, earth and everyone, Op Cit. p27: «[ils] rejettent les idéaux révolutionnaires, Youngblood en était aussi venu à penser que l’évolution par la technologie remplacera la politique révolutionnaire comme mécanisme de changement social ». 59. Victor Papanek, Design pour un monde réel, Ed. Mercure de France, 86
son environnement implique une transformation de soi-même, que l’on assimile en apprentissage qu’en le mettant en œuvre de manière concrète, quelle que soit sa nature. La problématique de l’éducation est centrale dans cette idée de ‘‘révolution’’ par le design, car il s’agit d’impliquer tous les individus dans la conception de leur environnement commun jusqu’au système dans lequel ils évoluent. A travers cela se croisent les notions de recherche et de participation. Dans cette vision, la posture du designer et celle du chercheur s’hybrident, un troisième acteur y trouve sa place : le maitre d’usage. La participation rend son rôle central, car il est le mieux placé pour définir les objectifs du travail de recherche et de design en fonction de ses besoins, de ses attentes, de ses ressources etc. Dans une conférence, Neil Gershenfeld60 parle de « récolter la puissance innovatrice du monde pour concevoir et produire localement des solutions aux problèmes locaux ». Il évoque l’idée que les plus grands défis à venir sont de l’ordre de la ‘‘problématique d’ingénierie sociale et organisationnelle’’. Ce mode de pensée s’oppose à toute volonté de superflu, de décor, d’expression personnelle ou sensible. On retrouve là un débat déjà survenu au moment de la révolution industrielle, plus d’un siècle en arrière. La différence se trouve peut-être dans le caractère systématique de la production industrielle et du raisonnement appliqué un siècle auparavant, qui cherchaient à standardiser et à mettre en place des « solutions » à des problèmes précis. Ils partaient du particulier pour aller vers le général, appliquant ainsi les mêmes recettes quel que soit le contexte. Ici, comme l’a théorisé Fuller, on cherche plus à diffuser des « sessions », c’est-à-dire des propositions faites en réponse à n’importe quel type de problème. Ces propositions peuvent servir d’exemples ou de contre-exemples, mais ne sont en aucun cas destinées à être reproduites à l’identique, sinon à partager un savoir expérimental. Dans cette démarche le prototype devient en quelque sorte la norme, chaque production est nouvelle et tente de répondre de manière adaptée à une situation concrète. Ce n’est qu’à travers cela que se manifeste l’expression personnelle, vue comme un outil de réinterprétation plus que d’invention « pure ». On peut se demander où se positionnerait la démarche de l’artiste dans cette nébuleuse d’information. Le terme « a-culturel » est un néologisme qui désigne l’effacement de toute trace de Poitiers, 1974, p125. Victor Papanek est un designer austro-américain né à Vienne en 1923 et mort à Lawrence (Kansas) en 1999. 60. Neil Gershenfield, professeur-chercheur au MIT, auteur de Fab, The Coming Revolution on Your Desktop - From Personal Computers to Personal Fabrication (2005). 87
culture, comme une forme de rationalisme extrême qui exclut l’objet de toute identification à un peuple, une époque, un contexte, etc. On peut penser que les technologies de l’information tendent à se rapprocher de cette notion illusoire, de par la relative abolition des frontières et des limites qu’elles produisent, autrement dit la globalisation peut paraitre entrainer une perte d’identité. Sous un autre angle, on peut aussi imaginer ce qu’elles génèrent comme force d’innovation, de circulation des idées et donc de diffusion de toutes les cultures. Paradoxalement, c’est la richesse de la diversité d’approche qui rendrait cette forme de savoir libre, intéressante et féconde, mais c’est aussi celle-ci qui tendrait à lisser, à uniformiser et systématiser les modes de pensée, de création, de vie etc. Aller vers le savoir libre est-ce aller vers la pensée unique ? La place de l’artiste est-elle de se placer en critique de cet élan, de décaler les manières de penser préétablies, de sortir du consensus pour toujours questionner et alerter sur les dangers de l’uniformisation et du systématisme ?
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[25]. Couverture du Time du 3 décembre 1973, en plaine crise pétrolière, numéro contenant l’article A time of learning to live with less - http://content.time.com/
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Foster héritier de Prouvé ? Le productivisme
Foster se dit héritier de Prouvé, comment voir un « héritage » de celui-ci dans les projets de Foster, qu’est-ce qui le rapproche de celuici, et quelle forme cet « héritage » prend-t-il ? Quel est le rapport entre la High-tech et L’atelier, et qu’est-ce que le productivisme ? Autant de questions basées au départ sur L’architecture moderne, une histoire critique, de Kenneth Frampton au travers duquel nous tenterons de comprendre l’enseignement de Prouvé et son influence sur les architectes, designers, et ingénieurs d’aujourd’hui.
Questionnement : Prouvé et l’outil industriel, quelle référence ?
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Productivisme
Kenneth Frampton décrit le productivisme comme un mouvement consistant à considérer que chaque architecture est un pure produit d’ingénierie, un assemblage d’éléments de haute technologie issus de l’industrie, c’est-à-dire de matière largement transformée par les mains de l’homme dans le but d’améliorer les performances, la vitesse et le coût de construction, voir même dans une ambition esthétique61. Il inscrit l’architecte Norman Foster62 dans ce courant comme l’un de ses principaux représentants, alors que lui-même se dit héritier de Jean Prouvé63[27]. Dans la lignée du Bauhaus et de manière peut-être plus proche encore de l’école d’Ulm, la sophistication et les techniques de pointe sont au cœur du projet au point de lui conférer sa valeur ajoutée. Les ‘‘produits’’ générés sont autant de prototypes qui seront rapidement dépassés parce que la construction suivante sera allé plus loin encore dans le détail. Les technologies employées sont si loin de la simplicité qu’elles réclament une garantie de leur constructeur, un suivi dans le temps de chacun des composants très spécifique. L’assemblage de composants variés repose le problème de la mise en œuvre, de par le manque de souplesse dans le montage ou à terme par l’insuffisance de rigidité structurelle. Enfin, comme cela a été formulé plus tôt pour l’école de Max Bill, le bâtiment est 61. Développement basé sur le texte de K. Frampton, Op. Cit. pp. 320325. 62. Norman Foster, né le 1 juin 1935 à Manchester, architecte britannique 63. Jean Prouve, un homme moderne [Jean Prouve, a modern man], Architecture d’aujourd’hui no. 335, juillet/aout 2001 92
tellement poussé dans ses détails qu’il y a un risque d’oublier son fonctionnement global, dans l’articulation de ses fonctions, sans parler de sa place dans l’espace urbain ou le contexte en général. Cette mouvance interroge sur un type de pratique particulier : créer à partir de catalogues. On voit émergé une véritable culture ‘‘LEGO©’’. Ces jouets ont la particularité de proposer une liberté de création d’une infinité de formes à partir d’un nombre réduit d’éléments assemblables dans un nombre limité de configurations. Si la contrainte est libératrice, elle enchaine à un mode de création particulier, elle engendre plus ou moins d’uniformisation selon sa propre force. On en revient à la plieuse de Prouvé : sans elle, impossible de donner au matériau les caractéristiques qui nous intéressent, en contrepartie, les possibilités de variation et d’assemblage sont celles permises par cette machine. Transposé à l’architecture ou au design cela consiste à choisir des éléments de construction préfabriqués ou préconçus pour venir les imbriquer tant bien que mal les uns dans les autres au gré de leur capacité d’adaptation. Inévitablement la question de la normalisation est prégnante. Deux méthodes s’opposent : d’un coté l’assemblage de composants prévus pour l’être, conçus par un outil unique et limitant les dispositions possibles et de l’autre celui d’éléments isolés, pas conçus pour être articulés entre eux dont la mise en œuvre pose problème, d’autant plus dans le cas de technologies complexes et rigides, peu altérable, difficilement ajustables, mais qui offrent la possibilité d’une approche plus libre dans la disposition, la transformation étant inévitable, la contrainte de la précision a priori moins forte.
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[27]. Couverture d Arquitectura Viva, sous la direction notamment de Norman Foster, qui y rédige un article sur le constructeur et la «beauté industrielle (industrial beauty)
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Pas besoin d’être artisan pour « savoir-faire » ?
Faut-il faire pour savoir faire ? Faut-il savoir faire pour être architecte ? L’architecte peut-il vraiment concilier les mondes de l’art, de l’artisanat et de l’ingénierie? Pour Le Corbusier, Prouvé est l’acteur qui répond à ces questions. Il le qualifie d’ ‘‘architecteconstructeur’’ et témoigne de son admiration pour sa faculté à concevoir des formes à la fois structurelles et élégantes. A force de mener des projets techniques et de les réaliser en prototypes ou en série, le forgeron aurait acquis une faculté particulière. Celle-ci lui permet de visualiser d’emblée une forme répondant à un programme donné, à la fois dans ses caractéristiques architectoniques, spatiales, abstraites, et à la fois dans ses caractéristiques techniques, grâce auxquelles l’idée sera mise en œuvre. Cette capacité acquise par expérience paraît essentielle à la pratique d’un constructeur, d’un bâtisseur, en cela elle est plus proche d’une démarche d’ingénieur. Entre le monde des idées et celui de leurs réalisations, l’architecte doit trouver sa place, ce qui s’avère d’autant plus compliqué pour un personnage comme Foster, qui évolue dans une époque où on attend de chacun qu’il soit spécialisé, sache ‘‘faire’’ quelque chose. Et sa principale qualité d’architecte était de ‘‘savoir faire faire’’, de savoir rassembler un groupe de personnes aux diverses spécialités, et à les amener à donner une réalité à un projet. Il ne peut pas détenir la maîtrise dans tous les corps de métiers, il doit donc savoir déléguer et faire confiance pour mener à bien cette matière organique et vivante qu’est le projet. Le ‘‘projet’’ serait donc le domaine d’expertise de l’architecte. Cette notion est difficile à définir, car elle est mouvante. Le projet ne peut pas être le même à l’état d’idée qu’à celui de mise en œuvre, car les contraintes extérieures et intérieures ne sont elles-mêmes pas fixes. Dans ces conditions, il semble plus s’agir de garder un 95
cap, de tracer les lignes directrices, de fixer des contraintes comme autant de points de repères. La dérive est une contrainte essentielle du projet. Par itération, par accumulation, en s’adaptant au fur et à mesure, si les contraintes évoluent, le projet évolue. Le projet pourrait être défini comme l’art de maîtriser cette dérive, c’est-àdire d’en tirer parti tout en conservant les objectifs. Pour conclure sur cette question on peut penser que si savoir faire revient à savoir réunir les compétences nécessaires à la réalisation d’un projet, alors comme Foster, il ne semble pas forcément nécessaire de faire pour savoir-faire. L’acte de ‘‘faire’’ délivre toutefois une compétence particulière qui rend la supervision plus efficace, en ayant dès le départ une idée de la réalité et des contraintes qui interviendront dans la concrétisation. D’une autre coté cela soulève le problème de l’idée préconçue, et donc de la liberté dans la création.
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Prouvé : Quel héritage pour Foster ?
L’idée constructive chez Foster n’est peut-être pas exactement la même que chez Prouvé. Ce dernier la définit comme le passage rapide de l’intention à la fabrication, induisant d’appliquer directement un imaginaire technique dans le but de réaliser ce que l’on veut, autrement dit de toujours avoir en tête la simple question du « comment ça fonctionne ?». Foster cherche peut-être plus à trouver par tous les moyens possibles, une manière de mettre en œuvre, un volontarisme lié aux compétences qu’il réunit autour de lui .Foster ne construit pas forcément par recours aux technologies et à l’ingénierie de pointe. Dans les deux cas on assiste à un processus créatif par l’application de modèles. Cependant on ne peut pas dire que ceux-ci soient forcément préconçus. La place de la recherche et de l’innovation est aussi importante pour Norman Foster qu’elle l’était pour Jean Prouvé. L’élaboration de ces modèles est une part non négligeable de leur travail. Anne Coste évoque ce type d’approche à partir de la modélisation64. Elle défend que celle-ci ne doit pas être dissociée d’une posture plus intuitive, au ‘‘processus de résolution’’ par le ‘‘projet’’, grâce auquel se développe « l’œil de l’esprit ». A travers cela elle défend que le rôle de l’architecte doit être celui de médiateur, elle cite Jean-Pierre Epron, qui écrivait déjà au tournant du XVIIe et XIXe, moment où architectes et ingénieurs commencent à prendre des voies différentes : « Le problème posé aux architectes est d’occuper dans le processus de construction la place de coordinateur ». En d’autres termes Prouvé comme Foster ne sont pas des scientifiques, mais chacun à sa manière fait intervenir des « modèles d’intelligibilité » différents qui amènent l’un à construire 64. Anne Coste, Le modèle en architecture, tire de Imaginaire Technique, Op. Cit. 97
des prototypes, autrement dit des modèles construits, l’autre à savoir réunir les compétences d’ingénierie et les coordonner, tous deux dans le but de réaliser le projet. La démarche de Foster se rapproche plus de celle de Prouvé dans la période après-Maxéville, lorsque celui-ci travaillait avec Marcel Lods et l’ingénieur Vladimir Bodiansky sur la Maison du Peuple à Clichy en 1939. Kenneth Frampton la décrit en soulignant l’importance de ce bâtiment au sein des ouvrages high-tech de la fin du XXe, 70 ans après sa construction. On peut relier la forme d’exercice de Foster à celle évoquée par Fuller - dont Foster se prétend aussi le disciple – à cette forme de ‘‘Design compréhensif ’’ qu’il tente de mettre en œuvre dans son processus de projet. Si l’on peut rapprocher les pratiques des deux à travers leur posture de Designer-chercheur, on peut se questionner sur leur différence d’engagement, de cause défendue. La forme d’entreprise qu’ils soutiennent, le type de commandes vers lesquelles ils tendent nous renseignent sur cette nuance. Foster évolue ‘‘confortablement’’ dans le système capitaliste libéral mondialisé, participant à des projets définitivement destinés à des élites comme une tour à la City à Londres, au nouveau World Trade Center à New-York ou encore des dizaines d’autres projets menés avec de grandes multinationales dont la réussite n’est pas toujours fondée sur l’éthique[28]. L’agence Foster & Partners a fondé sa réputation internationale sur un véritable business du « sustainable design » - décrit sur son site internet65 comme une combinaison de technologie de pointes et de vernaculaire - jusqu’à devenir elle-même une multinationale de l’architecture, au sein de laquelle on aurait du mal à imaginer que tous les employés soient considérés à l’égal des uns et des autres. On semble loin d’un Prouvé aux ambitions d’architecture et de design accessibles à tous, des ‘’ateliers participatifs’’ de Maxéville, du ‘‘symbole du front populaire’’ représenté par la Maison du Peuple.
65. http://www.fosterandpartners.com/about-us/the-way-we-work/ 98
[28]. Foster and associates, Hong Kong and Shangai Bank, Hong Kong,19791984 - http://greenbuilding.world-aluminium.org/
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[29]. Une du Monde ĂŠco&entreprise du 6 novembre 2012, La question de la diffusion des outils de la production industriel et de la technologie de pointe questionne dĂŠjĂ les entreprise. - http://lemonde-emploi.blog.lemonde. fr/2012/11/06/tous-industriels-dans-le-supplement-eco-entreprise-du-mondedu-6-novembre/
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Les « makers » et les nouvelles technologies, l’industrie : et après ?
L’impression 3D, la découpe laser et autres machines de haute technologie aujourd’hui pratiquement accessibles à tous viennent reconfigurer le rapport entre consommateur et produit, entre création et production. Il rendent l’usine accessible à tous, remettent en question la grande série, la production de masse, et donc beaucoup de fondamentaux sur lesquels repose le système dans lequel nous évoluons. Quelle forme prennent ces mouvements ? Quels sont leurs rapports aux antécédents historiques et idéaux cités précédemment ? Quelle mutations peuvent-elles impliquer dans la société, ouvre-t-on la porte à l’hyperconsommation, ou au contraire quitte-t-on l’ère de la consommation pour passer dans l’ère de la création ? Quelles sont les limites et dangers de ces nouveaux horizons ?
Questionnement : Progrès technologique rime-t-il avec progrès social ?
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Tous créateurs ? La technologie conditionne la méthode de création, en tant qu’outil, mais aussi par sa nature propre. L’industrialisation a fait naître de nouveaux processus créatifs, par lesquels l’artiste cesse de tordre lui-même la matière. Aujourd’hui l’informatisation conditionne de plusieurs manières notre façon de créer. D’abord la matière est potentiellement extraite du contenu créatif, on parle de « dématérialisation ». Ensuite la polyvalence de l’outil nous rend capables de créer une « réalité virtuelle ». Les voies empruntées sont si diverses, que se fait sentir une vague de développement anarchique. Elle est difficile à définir tant la quantité de production est importante, concerne tous les domaines et un nombre d’acteurs inédit. Eleonore de Lavandeyra-Schöffer nous interroge sur la condition de ‘‘l’artiste 2.0’’ dans une « société technologique » telle que la nôtre, où se développe un « art des systèmes et des processus » 66 . Ces dernières années apparait sur la toile une forme d’art parfois qualifiée de dadaïsme, autrement dit de travail par l’absurde. Ce qui en réponse à l’explosion de la quantité de données en circulation induit une forme d’expression complètement dématérialisée, jouant souvent avec les codes de l’absurde, dans une position critique par rapport à « l’information ». D’autre part on peut noter que le degré d’abstraction de l’œuvre évolue avec celui de la technique. La maîtrise de nouveaux outils vise pourtant à nous faciliter l’acte concret de construire. L’impression 3D permet par exemple la production « à domicile » d’objets à très haut contenu technologique, ce que ne proposait auparavant que l’industrie de masse. Elle est rendue possible par la conception assistée par ordinateur. Elle permet de supprimer la plupart des intermédiaires entre le moment de la conception et celui de la fabrication. Paradoxalement, ce genre d’outil est un pur produit du développement industriel et technologique, mais il a le pouvoir de transformer considérablement la nature même de cette industrie. L’imprimante 3D autorise à décentraliser le lieu de production. Elle offre à un nombre étendu de personnes la possibilité de fabriquer 66. Texte de Eleonore de Lavandeyra-Schöffer dans MetaDesign, LAB[au], Ed. Les presses du réel, Dijon, 2013 102
soi-même ce dont elle a besoin. Dans ces conditions, à quoi est vouée la logique de production de masse, avec son industrie, son marketing, son modèle économique et social ? C’est toute la chaine constitutive de la société de consommation qui est remise en cause, comme on y reviendra dans la suite.[29] L’art numérique est une nouvelle forme d’expression qui questionne de nouveau sur la place de l’artiste. La culture contemporaine tend une fois de plus à démocratiser les outils de la production artistique, à démontrer que l’art n’est pas l’apanage des élites, voir des « artistes ». En d’autres termes la définition d’artiste évolue, peut-être se fond-il petit à petit dans la masse, plus personne n’ayant besoin de se spécialiser dans une technique ou une autre pour le devenir ? La valeur de vision critique de l’artiste reste néanmoins essentielle, afin de questionner nos rapports au monde qui nous entoure, de remettre en question l’uniformisation et de sortir de la pensée unique. D’une certaine manière, l’artiste est inadapté, dans l’idée que l’esprit critique perdure, on peut espérer que son regard en décalage continue d’interroger sur l’univers dans lequel nous évoluons. Ce danger de lissage de l’esprit critique est d’autant plus fort que le savoir est aujourd’hui distribué en masse par internet. On se rend compte petit à petit que l’information est comme la matière, que la diffusion en masse des idées résonne au moins autant que la diffusion des produits de consommation sur la normalisation et la standardisation des individus. Est-ce là la limite de l’open-source ? Le principe fondamental de ce mouvement est de donner accès à toutes les résolutions possibles pour un problème particulier, localisé, posé à un ou plusieurs individus, non de construire une solution uniforme à un type de problème quel qu’il soit. L’éventualité d’une dérive vers des solutions globales à des problèmes locaux et non le contraire est un danger qu’il faut toutefois prendre en considération. Le savoir libre de licence est une problématique inévitable. Il se pose déjà pour la musique, le cinéma, la littérature, et dans ces conditions il parait inévitable qu’il se pose pour le design. Il s’agit de reconsidérer la valeur de la propriété intellectuelle, de sortir les 103
idées de la logique de marché dans laquelle elles sont enfermées aujourd’hui. S’agit-il d’un risque pour la culture, ou bien cela contribue-t-il à sa large diffusion ? Va-t-on de ce point de vue vers un appauvrissement, ou bien vers un foisonnement inédit ? Quoi qu’il en soit, la place de la culture change dans nos vies et dans nos sociétés, elle y prend plus de place, mais à la fois elle se banalise.
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[30]. DIY - DIT, les makers à l’assault des nouvelles technologies et de l’économie collaborative - http://www.inside3dp.com/ 105
« DIY » un changement de paradigme ?
Avec ces nouvelles technologies apparait un nouveau comportement de consommateur, le « Do It Yourself » (littéralement fait-le par toi-même). Vu sous un certain angle, c’est un peu le rêve des modernes qui trouve ses voies de réalisation, dans l’idée l’architecture et du design pour le peuple, par le peuple. Au-delà de ces nouveaux potentiels individuels, grâce notamment aux réseaux sociaux, ces outils fédèrent des groupes de personnes. Naissent un peu partout dans le monde, depuis quelques années des communautés de « makers », des ateliers citoyens, dédiés à l’utilisation et à l’apprentissage des ces outils en groupe. On parle dorénavant du « Do it together » (faites-le ensemble)[30]. Les régions qui ont accueillis ces communautés, hasard et nécessité, avaient besoin de résoudre des situations d’urgence par des moyens techniques innovants et pointus. L’un de ces premiers ‘‘ateliers vernaculaires’’ est le ‘‘Fablab MIT Norway’’ (Fablab, de fabrication laboratory). Il se trouve dans une région reculée de la Norvège à Lyngen. Haakon Karlsen Jr est chargé au début des années 2000 de mener une recherche pour parvenir à un meilleur taux de réussite de l’insémination artificielle de moutons, dont un grand nombre sont morts de maladie. Rien à voir avec le sujet? Et bien si, le norvégien collabore alors avec le MIT, notamment Neil Gershenfeld pour concevoir directement sur ce terrain très reculé un outil technologique capable de mesurer le taux d’hormones, par conséquent les périodes d’ovulation des animaux. Pour le moment nous sommes loin des imprimantes 3D et les découpeuses laser !! Pourtant, les contours et les principes du « fablab » sont nés de cette expérimentation. Il n’est nul besoin d’être dans un laboratoire universitaire pour manier des technologies de pointe. Il
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devient possible de trouver des solutions concrètes à des problèmes complexes, dans le but de sauver une région agricole. Tout se passe sur place, l’expérimentation est de mise, l’apprentissage aussi.67 Lors de sa conférence, Neil Gershenfel68 évoque ces structures et ces nouveaux outils en lançant « ça casse les limites conventionnelles » ou encore « [il est] illégal pour beaucoup d’institutions de laisser les gens créer des technologies au lieu de les consommer ». Il touche ici quelque chose d’essentiel. Les conventions et les institutions qui ont fondées le système dans lequel nous évoluons depuis plusieurs siècles ne se prêtent pas à ce que de tels changements qui s’opèrent du jour au lendemain. De la même manière que les élites de la bourgeoisie marchande du XIXe ont pu récupérer les progrès technologiques et la modernité pour la mettre à son profit et faire perdurer son pouvoir, sa domination en tant que classe. Une élite pourra-t-elle mettre à son profit la diffusion en masse du savoir et des outils de production ? Qui nous vend internet, nos ordinateurs, nos téléphones, et autres gadgets technologiques à l’utilité plus ou moins prouvée ? Au-delà de cela, c’est la question de notre propre conditionnement que pose Gershenfeld. Pour y répondre intervient un concept déjà évoqué à propos du Bauhaus, la méthode heuristique, le ‘‘learning by doing’’. C’est un point essentiel développé dans les ateliers du type Fablab. Beaucoup sont professionnalisant, tous permettent de se former en créant et réalisant des projets d’envergure plus ou moins importante. Les makers se confrontent à travers cette volonté formative à un problème concret : la dépendance vis-à-vis de l’outil informatique. Pour cela, un des principaux défis reste l’apprentissage du langage informatique. Le rapport à la machine n’est plus le même, elle n’est plus le prolongement du corps, on utilise pratiquement plus ses mains, mais elle devient presque le prolongement de l’esprit, elle calcule, traduit les idées en matérialité et fabrique pour vous.
67. http://strabic.fr/FabLab-MIT-Norway-la-ou-tout-a 68. Cf note n°50, Neil Gershenfield est un pionnier du mouvement Fablab. 107
[31]. Technodépendance : tous cernés par nos écrans, devenus extensions de nous-même. Photo : Grégoire Alexandre http://www.telerama.fr/techno/ dependance-aux-ecrans-qui-va-payer-l-addiction,31352.php
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L’individu, la machine et la société
Gropius parle déjà dans architecture et société du passage de l’époque de l’individu à ‘‘l’époque future’’ de la coopération69. Victor Papanek parle-lui d’utopie raisonnable. Ils posent à chacun la question du rôle de l’individu dans la société, et réciproquement du rôle de la société pour chaque individu. Au travers de cette remise en cause, ils convoquent l’esprit de changement, d’adaptation ou d’évolution. Si l’homme est un animal social, c’est vraisemblablement parce qu’il présente de meilleures capacités de survie en groupe. Pour cela le fonctionnement de ce groupe est fondamental. L’échelle de la communauté et la capacité de collaboration des membres entre eux sont des paramètres déterminants de son fonctionnement. Le développement technologique et industriel a bouleversé l’échelle mécanique de la société contemporaine, avec toutes les possibilités et toutes les dérives que cela suppose. Le nouveau rapport à la masse de paire avec le libéralisme ont provoqué à la fois une hausse incontestable du niveau de confort des pays industrialisés, et un creusement des inégalités inédit. Parmi les dérives, la croissance comme fin en soi a engendré l’enrichissement déséquilibré d’individus au dépends d’autres moins ambitieux. Parmi les progrès, internet donne la possibilité à un nombre de plus en plus grand de citoyens de s’exprimer, de s’instruire, et même de construire. Les
69. W. Gropius, Op. Cit. p68 109
outils se démocratisent, la haute technologie n’est plus réservée à une minorité de sachant. Par voie de conséquence l’économie et la société mutent. Un facteur déterminant de l’économie est le jeu d’échelle de réseau sur lequel elle se définit. Avec le développement des réseaux sociaux se répand un type d’économie particulier : l’économie collaborative. Avec le crowd-funding par exemple, il permet à n’importe qui, se trouvant n’importe où, de participer au financement d’un projet. Issu d’une critique du comportement des banques, il donne accès à la production à des entrepreneurs qui n’auraient pas obtenus de fond par des moyens conventionnels, mais dont l’idée parvient à convaincre une communauté de prêteur, qui se répartiront une partie des potentiels bénéfices générés. Une nouvelle ère de coopération signifierait quelques changements pour l’entreprise. Dans sa conférence, Neil Gershenfeld dit à propos des imprimantes 3D « des machines qui font des machines ont besoin d’entreprises qui font des entreprises ». D’une part il conçoit les pôles de recherche et d’innovation, ainsi les universités deviennent, capables d’incuber de jeunes entreprises. Ce sont les ‘‘start’up’’, ainsi se tissent des liens de collaboration entre le monde de la formation et le monde professionnel. D’autre part il évoque les grandes entreprises de type ONG, qui essaiment dans le monde entier des organismes capable d’intervenir à l’échelle locale grâce aux fonds collectés à l’échelle globale. L’exemple qu’il a en tête est certainement celui du réseau des Fablab, dont la communauté s’étend à l’internationale. Il ne cesse de faire des émules dans tous les domaines et dans toutes les situations qui demandent la participation de citoyens à la résolution de problèmes plus ou moins complexes ou urgents. La capacité à construire indépendamment des réseaux conventionnels, en remettant en question la manière de consommer, change la vision du marketing de masse. Que nous vendra-t-on
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quand on pourra nous même réaliser ce dont on a besoin ? De quoi aurons-nous envie quand les designers publicitaires n’auront plus le pouvoir de nous le suggérer ? Et question plus radicale encore, si la liberté de créer et de choisir va avec la liberté de penser et l’esprit critique, quel système politique saura s’adapter à cette nouvelle société ?70 L’utopie du « tous gagnants » basé sur l’écologie humaine de Fuller semble prendre forme à travers ces nouvelles pratiques, qui pourraient révolutionner nos sociétés par le Design. A l’inverse, on peut se demander ce que cache cette ambition de progrès. Il y a un scepticisme inhérent à la dépendance vis-à-vis de ces technologies qui de plus en plus deviennent des extensions de nos propres corps et esprits[31]. Est-ce là le mythe du progrès que de penser que lui seul est capable d’améliorer le sort des individus ? Se rassuret-on dans la technologie quand nous nous voyons incapables de vivre ensemble sereinement et sans conflits d’égo ? Toujours est-il que le changement est le moment d’essayer de se poser les bonnes questions pour s’adapter à des problématiques nouvelles, surmonter des défis nouveaux et laisser la possibilité aux générations futures d’en faire de même.
70. Questionnement développé à partir de l’article de Yannick Rumpala, l’impression tridimensionnelle comme vecteur de reconfiguration politique, université de Nice/Faculté de Droit et de Science politique, Equipe de recherche sur les mutations de l’Europe et de ses Sociétés (ERMES), 2012. 111
Ouverture Depuis la découverte de l’Amérique le monde nouveau n’a cessé de croître et de se réinventer, générant autant de dérives que de progrès. L’ère de l’individu a peut-être atteint son apogée, et avec celle de la production et de la consommation de masse. Le design et l’architecture ont suivi cet élan, les idéaux qu’ils véhiculent ont évolué dans le même temps, tout en gardant un objectif fixe, celui d’améliorer les conditions de vie des hommes, que ce soit celles d’une minorité de ‘‘puissants’’ ou dominants, ou celle du peuple. Le développement économique et social s’est accompagné d’une diffusion du savoir et toujours plus étendue, et des outils de la connaissance. L’information de masse est un danger, contre lequel la seule arme reste l’esprit critique, comme vecteur de changement et de débat. La coopération réclame de débat, et si on sent que l’économie réclame la coopération, elle ne pourra se faire que dans l’optique de toujours faire plus avec moins. L’architecte doit trouver son rôle dans cette coopération, en tant que médiateur, en tant qu’initiateur de projets, ou peut-être en se spécialisant, dans tous les cas en tant qu’acteur engagé et conscient du contexte social et économique dans lequel il s’engage.
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Médiagraphie Bibliographie :
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