Lettre à un peintre moribond

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ENÁN BURGOS

LETTRE A UN PEINTRE MORIBOND Peintures de l’auteur

pleamar


© Enán Burgos 17 novembre 2004 Pleamar Digital Collection Bouteille à la mer 06/01/2013 Tous droits réservés


à Jacqueline Rey



« Tous les temps sont obscurs pour ceux qui en éprouvent la

contemporanéité. Le contemporain est donc celui qui sait voir cette obscurité, qui est en mesure d’écrire en trempant la plume dans les ténèbres du présent. » Giorgio Agamben, « Qu’est-ce que le contemporain ? »


MĂŠlancolies 6, 65x50 cm, technique mixte sur papier, Montpellier, 06/01/2013.




Paris, le 1er novembre 2004 Ami des fêtes à qui j’ai donné ma chemise, les clefs de ma solitude. Nous sommes l’espérance. Ce n’est pas simple de t’écrire cette lettre. Le mal qui te poignarde frappe aussi ma poitrine et la déchire. Complicité de tant d'années, partageant le même atelier, peignant les choses au-delà de l’apparence, pénétrant ce royaume de soleil, luttant avec nos couleurs contre cette réalité absurde qui nous rend tous pauvres et vulgaires. Souvenirs d’une jeunesse idéale vécue au seuil des ténèbres. Bouillon permanent de disputes et de réconciliations. Envie d’exprimer l’arborescence… l’art sauvage… Miel des temps savoureux duquel seule reste une ruche vide, en ruine et en débris. La question se pose. Que faire quand des corbeaux dévorent los manjares de la beauté ? Oiseaux d’horreur de ce monde qui sans pitié nous lâche, font de nos cœurs une bouchée. Rapaces forains, rapaces qui dans les murs de l’immondice exposent la fiente de leurs querelles et de leurs faims. Pardonne-moi de te raconter, dans de telles circonstances, des choses si macabres. Je le fais surtout pour te réconforter. Le mal qui t’érode est faux, n’existe pas, n’est pas réel ; il est né d’un ver, d’une larve cachée au fond de l’être, vanité génitrice de frustrations et de simulacres. Ma visite à la FIAC ?... Je te confesse que devant un tel fracas fait d’abattage et de fatuité, les claires connexions de mon esprit se sont brouillées. En voyant tout cela, les ailes de mon regard se sont brisées. Mon peu d’espoir anéanti. Fuir. Le désir me gagne de me réfugier dans une montagne, de devenir un ascète insurgé contre l’impétuosité contemporaine, contre sa confusion plastique et ses écrans virtuels qui s’entassent et formatent. Très cher ami, nous les peintres, sommes-nous une espèce rare en voie d’extinction ?... L’artiste de l’avenir sera-t-il un bricoleur de jouets de bric et de broc, vendus dans les supermarchés pour faire croire à l’homme du commun, qu’il est un soi-disant créateur ?


C’est pour cela que j’insiste en disant que ton isolement, plus qu’un mal, est un bien. Arrête de dépérir, reprends ton élan. Toi, au moins, perdu dans ton monde de lianes, tu es libre, tu échappes à la pétrification de l’univers ! J’espère de tout cœur que ton génie sera sensible à cet appel. De ton lit de moribond, tu me diras : « Je me sens vaincu par les ressacs et les courants d’un entourage inhumain, répugnant, duquel naissent des monstres qui envahissent mes toiles. Inculture écrasante des roses de mes couleurs. Des créatures de glace compriment mon souffle, me poignardent, me harcèlent jusqu’à ma dernière heure. » Llorad, corazón, que teneis razón. Je récite ce vers de Luis de Góngora, pour te donner raison et ne plus tergiverser. Ce portrait que je vais te peindre ici maintenant, coloris minable, tapageur, pigment de la décadence et de l’effondrement ! Bassesse pure illustrant le fouillis, la mièvrerie, les coups de massue qui assomment depuis plusieurs lustres l’art en Europe et dans le monde ! Un mélange globuleux de kitch et de cash, de pipi et de pop, bouillasse adulée par les avant-gardes de tout poil revendiquant l’absence d’œuvre ; une masturbation haineuse qui a tout démoli arrachant à l’Objet le cogito pur, cette transcendance chère à Descartes. Au milieu d’un tel appauvrissement, la gauche distribue, la droite assigne. Assez de consensus ! L’œil perplexe demande au nez renifleur où se trouve l’évidence. Les pieds buttent contre une bouche jaillie de terre, ressemblant à une grosse merde écrasée. Et qui parle ! Et ça fait PPROUT… ! Mon regard, mon ouïe, mon odorat, mon goût, mon tact se murent préférant ignorer ce vacarme sans fondements. Par ci et par là, une profusion de clitoris et de pénis repoussants et mollassons, s’emploie à faire grincer des dents ou à faire éclater de rire les nombreux visiteurs. Mondanité ouatée, qui plaisamment se promène pour se faire admirer, monnayage de son image sagement planifiée. Au milieu d’un tel décor, plaider pour le Beau, c’est courir le risque de se faire lapider. Enfin, pour terminer ce portrait, je dirai que la FIAC de cette année est un sex-shop international résolument pornographique, « CARREFOUR » aux bibelots huileux, aux gadgets gluants, aux estampes obscènes et aux godemichés pour bobos fétichistes et vidangeurs d’ordures. Quel gaspillage ! !Tanto despilfarro! Affirmant cela, je ne joue ni au moraliste ni à l’homme des cavernes ; tu me connais bien, au contraire, dans mon cas ce serait anormal.



MĂŠlancolies 1, 65x50 cm, technique mixte sur papier, Montpellier, 31/12/2012.




Je mets fin à ce passage scabreux avec une phrase qui ces temps-ci me monte souvent à la bouche : la pornographie et ses déguisements est l’éclat facile de l’obscur Eros. Eros. Voilà un thème qui me passionne, je dirais même le thème essentiel de mon œuvre. Mes tableaux sont habités par les évidences pures de ce grand Dieu. Divinité suprême à qui Platon assigne dans la voûte céleste une place d’honneur. Et il a bien raison ! Figures et formes que j’ai dû soustraire de l’intime pour rendre à l’art à nouveau un sujet. Un corps tangible, visible, amoureux, propice à la réconciliation du plaisir et de la pensée, qui puisse enfin mettre un terme à la dualité imposée par la scolastique entre nature et esprit. C’est un prétexte aussi pour parler de moi, de mon ego, de mes relations intimes avec le monde. Donner à voir, sans voyeurisme ni perversion, l’acte créateur commun à tous : l’amour ! Mes nus ont une histoire, un rythme, un lien sacré avec la vie. J'ai toujours pensé que la bourse qui me fut attribuée par le Ministère pour étudier la peinture à Paris, c’est toi qui l’avais méritée. Ce maudit concours nous a séparés coupant à ras, hélas, notre très belle amitié. Elle nous a poussés jusqu’au paroxysme : toi, malade, presque moribond, sans savoir de quoi, et moi, jeté dans un monde contre lequel j’aurais préféré ne jamais trébucher. Pour finir, mon souhait est de te voir renaître. Ouvre grands les yeux, tes yeux d’or. Sors de cette boue qui t’afflige, remonte la pente, peins, caresse l’insurmontable, ris de tout : de la mort, de la vie, de l’orage… ris de tout ! Si tu me veux, je viendrai. Nous serons comme avant, passagers pour toujours de notre aventure écrite dans les bacchanales d’un festin difficile à oublier. Ton complice d’offrandes et d’olympes, nan-E


MĂŠlancolies 3, 65x50 cm, technique mixte sur papier, Montpellier, 02/01/2013.



MĂŠlancolies 2, 65x50 cm, technique mixte sur papier, Montpellier, 01/01/2013.



MĂŠlancolies 4, 65x50 cm, technique mixte sur papier, Montpellier, 04/01/2013.



MĂŠlancolies 5, 65x50 cm, technique mixte sur papier, Montpellier, 05/01/2013.




Pour accéder à toute la collection : http://pleamareditorial.free.fr/fondos.html Pour accéder au site de l’auteur : http://enanburgos.free.fr/


Signature numérique de Enán Burgos DN : cn=Enán Burgos, c=FR, o=PLEAMAR, ou=Poesía, email=enanburgos@gmail.com Motif : Soy el autor de ese documento Lieu : Montpellier France Date : 2013.01.07 12:13:56 +01'00'


LETTRE A UN PEINTRE MORIBOND a été imprimé à Montpellier, le 17 novembre 2004. 101 exemplaires Publication numérique Le 06 janvier 2013. PLEAMAR DIGITAL



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