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CAS CLINIQUE
JEAN-PHILIPPE LACHAUX
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
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Acquérez l’œil de l’expert !
Détecter instinctivement un mot mal orthographié ou une erreur de calcul fait partie des capacités dites «expertes» du cerveau. On sait mieux aujourd’hui comment celles-ci se constituent, et comment les encourager.Au début, un élève
qui apprend à lire traque, mot après mot, lentement et laborieusement, les
fautes possibles dans un texte. Quelques mois ou années plus tard, il lit le texte et se dit: «Tiens, il y a quelque chose qui cloche quelque part.» Et en cherchant un peu, il finit par trouver l’erreur et par rectifier. À partir d’un ressenti. Quelle arme fabuleuse pour progresser! Cette arme, c’est ce qu’on appelle un «œil d’expert». Et le tout est de savoir comment la développer. Comment s’y prendre? Notre cerveau analyse les choses du plus simple au plus complexe. Dans une de ses zones appelée « aire visuelle primaire », il dispose de neurones chargés d’analyser ce que nous voyons et qui se répartissent en deux types de cellules nerveuses : les simples et les complexes. Les premières agissent comme de petits détecteurs de stimuli élémentaires, telle une barre lumineuse verticale traversant une toute petite partie du champ visuel de gauche à droite. Les cellules complexes, elles, sont sensibles à des configurations un peu plus élaborées, comme des arrangements particuliers de ce que détectent les cellules simples (par exemple, une barre lumineuse verticale à un endroit précis du champ visuel ou un peu décalée). Pour simplifier, on peut imaginer qu’une cellule simple détecte « ceci » ou « cela », alors qu’une cellule complexe détecte « ceci et cela » ou bien « ceci ou cela ». En constatant qu’un « L » correspond à l’arrangement particulier d’une barre verticale et d’une barre horizontale, on conçoit facilement que ce principe de combinaison permet progressivement de construire, au sein du système visuel, des détecteurs de cibles de plus en plus complexes – lettres, mots, voire mots dont la caractéristique est d’être mal orthographiés… Connaître ce fonctionnement fondamental de nos systèmes sensoriels va être très utile pour inculquer le fameux «œil de l’expert» à un élève sur le chemin de son apprentissage – notamment pour lui conférer la capacité à repérer instinctivement des erreurs dans un texte ou à «sentir » qu’il y a un problème avant de le corriger.
CALCULS ET COURS DE PIANO
C’est aussi un peu de cette façon que fonctionnent certains algorithmes d’intelligence artificielle (IA), qui sont ainsi capables de reconnaître des formes complexes: votre visage sur une photo, entre autres. Un détecteur complexe, dans un tel programme, considère de la sorte les activités de nombreux détecteurs sensibles à des éléments simples (toujours le même principe allant du simple au complexe) – l’intensité lumineuse d’un pixel particulier de l’image, par exemple – en donnant à chacun une importance (un poids) particulière. En répétant ce principe d’organisation, on finit par former des détecteurs pour des choses de plus en plus abstraites, comme «votre visage». Le cerveau de l’expert dispose lui aussi de détecteurs très sophistiqués pour des
Les capacités expertes du cerveau, si importantes pour réussir, nécessitent en réalité de créer de nouvelles « cibles » attentionnelles.
éléments que le novice ne sait pas remarquer. S’il y prête attention, alors il remarque que quelque chose doit être corrigé ou stabilisé à ce niveau. C’est ainsi qu’un pianiste professionnel change quelque chose dans son jeu s’il remarque que «son interprétation ne communique pas l’émotion qu’il souhaiterait». S’il s’en rend compte, c’est bien parce qu’il dispose de détecteurs très particuliers qui sont apparus dans son cerveau au fil de son apprentissage. Détecteurs dont il augmente au besoin la sensibilité afin de les amener à réagir plus fortement et plus rapidement au moindre «problème». Et, à partir d’un certain niveau, l’expert peut compter sur une détection automatique de ces imperfections pour y réagir aussitôt.
DICTÉE SURPRISE POUR LE CERVEAU
En classe, c’est grâce à l’acquisition de détecteurs complexes qu’un élève finit par être capable de détecter au premier coup d’œil une faute d’orthographe ou une erreur de calcul : son regard s’arrête soudain sur un mot parce qu’il « sent » que quelque chose ne va pas. Et même avant d’arriver à ce niveau de maîtrise, il peut déjà augmenter la sensibilité de son détecteur de fautes: cela correspond pour lui à « se relire en faisant attention à l’orthographe du texte », ce qui est différent de « se relire en veillant aux Si vous prenez quelques instants pour réfléchir à une activité que vous pratiquez depuis longtemps et que vous maîtrisez bien, je suis sûr que vous constaterez que vous aussi êtes attentif à des perceptions qui ne sont pas évidentes à décrire – et encore moins à faire comprendre – à un néophyte. Une joueuse de badminton de niveau international m’a ainsi confié qu’elle ressentait parfois la présence du filet de la façon dont on discerne la proximité de la toile quand on ferme les yeux dans une tente. Quand elle parvenait à se focaliser sur cette sensation très claire – la présence physique du filet, ressentie dans son corps –, envoyer le volant de l’autre côté sans faire de faute lui paraissait aussi facile que de contourner sa tête avec sa main pour aller toucher sa nuque. Mais comment développer cette forme d’attention chez un joueur débutant?
lourdeurs de style ». Et c’est aussi cette capacité à être attentif à des éléments de haut niveau qui permet à l’élève de prépa scientifique de reconnaître immédiatement, dans un énoncé de physique, un « type » d’exercice qui lui est familier.
UN RESSENTI SPÉCIAL
L’acquisition de nouvelles cibles complexes se traduit d’abord par un ressenti qui n’est pas toujours facile à verbaliser : « Ce mot est écrit bizarrement », « Cette formulation est étrange »… C’est le moment où l’élève commence à saisir une différence entre deux objets, deux situations. Puis en poursuivant le processus d’apprentissage, la différence devient de plus en plus nette et la sensation de plus en plus caractéristique. Il commence à acquérir un « œil » d’expert, qui n’est rien d’autre qu’une façon particulière de faire attention. Ce développement de sa sensibilité s’accompagne ou non de l’acquisition parallèle de nouvelles manières d’agir, elles aussi expertes, pour corriger ce qui ne va pas. Mais l’exemple de certains grands mélomanes montre qu’on peut avoir une grande finesse d’écoute et remarquer des imperfections subtiles dans une interprétation – et avoir donc une oreille d’expert – sans savoir soi-même jouer de la manière que l’on souhaiterait.
DES TECHNIQUES D’APPRENTISSAGE SUPERVISÉ
L’enseignant, qui a la capacité de percevoir ce que son élève ne perçoit pas encore, a pour rôle de l’aider à trouver ces nouvelles cibles attentionnelles. C’est pourquoi, avec mes collègues, je mets aujourd’hui en œuvre ces principes au sein même de l’enseignement, à travers mon programme éducatif Atole (ATtentifs à l’écOLE). Avec une question cruciale :
La mélatonine aide-t-elle vraiment à s’endormir ?
LA RÉPONSE DE INGO FIETZE
Directeur du centre interdisciplinaire de médecine du sommeil, à l’hôpital universitaire de la Charité, à Berlin.
De plus en plus de publicités
vantent les mérites des préparations à base de mélatonine et peut-être en avez-vous déjà testé quelques-unes parce que vous aviez des difficultés à
trouver le sommeil. Sprays, pilules, cachets ou gouttes, contenant plus ou moins de mélatonine, sont en vente libre dans les pharmacies: ils sont censés favoriser l’endormissement pour une nuit paisible. Mais qu’en est-il réellement?
UNE HORMONE DU SOMMEIL PARMI D’AUTRES…
En fait, la mélatonine est une substance naturellement présente dans notre corps. Elle est produite dans le diencéphale, au cœur du cerveau, plus précisément dans la glande pinéale, ou épiphyse : elle y régule le rythme veillesommeil et influe sur notre horloge interne, d’où son surnom d’«hormone du sommeil». En effet, pendant la journée, la glande pinéale produit peu de mélatonine, car le rayonnement lumineux inhibe une enzyme nécessaire à sa synthèse. Mais à partir de 18 heures environ, la concentration de mélatonine augmente progressivement pour atteindre son pic en pleine nuit, en général entre 2 et 4 heures du matin. En d’autres termes, la mélatonine permet d’aller se coucher à la tombée de la nuit et de ne pas passer sa journée à dormir!
Si la mélatonine favorise l’endormissement, elle n’est pourtant pas la seule molécule du sommeil, et certainement pas la plus importante ! Il en existe bien d’autres, comme l’acide gamma-aminobutyrique, ou GABA, neurotransmetteur bien plus essentiel que la mélatonine pour dormir : les personnes souffrant d’une carence en GABA ne s’endorment guère, contrairement à celles qui présentent peu de mélatonine.
Par ailleurs, les travailleurs de nuit n’ont pas toujours des difficultés à dormir la journée : en rentrant le matin de leur travail, ils peuvent très bien se coucher et se reposer convenablement – même sans mélatonine, encore peu présente dans leur corps durant le jour. Car la pression du sommeil après une nuit blanche suffit à endormir l’individu fatigué… Toutefois, certaines personnes travaillant de nuit, dont le sommeil est particulièrement léger et fragile, ont du mal à se reposer le matin, malgré leur épuisement. Dans ce cas, il est parfois judicieux de les aider avec une prescription de mélatonine.
CONTRE LE « JET LAG »
Autre cas de figure : les vols longcourriers et leur principale conséquence, le jet lag, ou syndrome de désynchronisation lié au décalage horaire. Si l’on veut s’accorder une petite sieste dans l’avion pour être en forme à l’arrivée, alors qu’il ne s’agit pas de sa fenêtre de sommeil classique, un comprimé de mélatonine facilite en général l’endormissement et prévient ainsi, ou du moins limite, le décalage horaire – à condition que l’on soit un peu fatigué et que l’on n’ait pas consommé auparavant de café ou d’autres boissons contenant un excitant.
Si vous êtes jeune et avez des troubles du sommeil (le plus souvent liés au stress), la mélatonine ne vous sera d’aucune aide : autant vous abstenir de tester toutes les préparations à base de cette hormone !
En médecine du sommeil, la mélatonine est également importante pour les personnes aveugles. Pourquoi? Car une personne ne percevant pas du tout la lumière présente parfois ce que l’on appelle un «syndrome hypernycthéméral» ou «syndrome du rythme différent de 24 heures»: le rythme veille-sommeil est déréglé, en général avec un retard quotidien chronique et régulier, de une à deux heures, du début du sommeil et de l’heure de réveil, parce que l’organisme n’a pas d’horloge naturelle liée à la lumière. De sorte que chez certaines personnes totalement aveugles, l’éveil et la fatigue suivent une horloge interne qui ne correspond pas exactement au rythme de 24 heures: ces individus ont souvent des difficultés à s’endormir et à rester endormis, et sont fatigués pendant la journée. La mélatonine les aide alors à rester dans le bon rythme!
Enfin, cette hormone du sommeil est la seule du système veille-sommeil connue à ce jour dont la production et les taux diminuent dans le cerveau avec l’âge. Ce qui n’est pas le cas des autres substances impliquées dans le rythme circadien, comme le GABA, la sérotonine, la dopamine, les orexines…
LA MÉLATONINE S’APPAUVRIT EN VIEILLISSANT
Ainsi, la quantité de mélatonine diminue progressivement à partir de l’âge de 55 ans environ. C’est pourquoi certains séniors restent souvent éveillés plus longtemps le soir. Dans ce cas également, la mélatonine est parfois utile avant le coucher, à un dosage de 2 à 8 milligrammes, et peut être prescrite sur ordonnance par un médecin.
En revanche, si vous êtes jeune et souffrez de troubles du sommeil, le plus souvent liés au stress, la mélatonine ne vous sera d’aucune aide! Sauf si vous en présentez une réelle carence, qu’il est possible d’évaluer par des analyses médicales. En dehors de ces cas, vous pouvez tout à fait économiser votre argent en vous abstenant de tester toutes les préparations à base de cette substance. £ Bibliographie
P. P. Posadzki et al.,
Melatonin and health: An umbrella review of health outcomes and biological mechanisms of action, BMC Medicine, 2018. F. Auld et al., Evidence for the efficacy of melatonin in the treatment of primary adult sleep disorders, Sleep Medicine Reviews, 2017.
R. B. Costello et al.,
The effectiveness of melatonin for promoting healthy sleep: A rapid evidence assessment of the literature, Nutrition Journal, 2014.
E. Ferracioli-Oda et al.,
Meta-analysis: Melatonin for the treatment of primary sleep disorders, Plos One, 2013.
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SEBASTIAN DIEGUEZ
Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.
Le Parfum
L’odeur capture-t-elle l’essence des choses?
Dans le célèbre roman de Patrick Süskind, le personnage principal cherche à capter « l’essence » des êtres et des choses. Une tendance que nous partageons tous dès le plus jeune âge, même si elle ne se porte pas toujours sur les odeurs…
Pourquoi les objets et les gens sont-ils ce qu’ils sont, et pas autre chose ? Voilà une question qu’on croirait réservée à la philosophie, et en particulier à la métaphysique et à l’ontologie, branches qui s’intéressent, respectivement, aux principes premiers et à l’existence. Mais cette question est pourtant au cœur de notre psychologie ordinaire. Nous sommes tous métaphysiciens sans le savoir, et ce dès le plus jeune âge !
En effet, les recherches révèlent une tendance obstinée de l’esprit humain à postuler, inconsciemment, l’existence d’une force sous-jacente aux êtres et aux choses, une entité interne et inobservable, une «essence» qui expliquerait leur nature, leur identité et leurs comportements. Cette propriété particulière de notre cognition,
EN BREF £ Nous avons
spontanément tendance à attribuer aux êtres et aux choses une « essence » qui caractériserait leur nature profonde.
£ Si elle se fonde parfois
sur l’odeur ou sur d’autres facteurs, cette essence reste souvent indéfinie.
£ Qualifiée
d’essentialisme, cette tendance aide à structurer notre pensée, mais serait aussi à l’origine de nombreux stéréotypes et préjugés.
qualifiée d’essentialisme et active dès l’âge de 4 ans, nous rend bien des services, mais elle n’est pas sans provoquer quelques difficultés. Un exemple littéraire extrême nous aidera à mieux la saisir : Le Parfum, de l’écrivain et scénariste allemand Patrick Süskind.
ISOLER LE CŒUR INVISIBLE DES CHOSES
Ce roman a connu un grand succès dès sa parution en 1985. Son statut de « livre olfactif » en fait une réussite très originale, puisqu’il met à l’honneur une modalité sensorielle plutôt négligée dans le monde de l’art et de la fiction. L’histoire est celle d’un meurtrier qui cherche à s’emparer de l’odeur de ses victimes afin d’en faire un parfum exceptionnel. Né en 1738 dans les bas-fonds parisiens, au milieu des effluves les plus sordides, Jean-Baptiste Grenouille se découvre rapidement un don inouï pour identifier, interpréter, mémoriser et reproduire les senteurs. D’un tempérament ombrageux et dénué de toute moralité, il apprend le métier de parfumeur afin d’extraire et posséder l’odeur de jeunes filles, odeur qu’il cherche à reproduire à partir de
p. 48 CAÏD DES CRAYONS
Dès l’âge de trois ans, les enfants attribuent des statuts de dominants et de dominés à leurs camarades. À défaut d’autres critères, celui qui possède le plus de crayons peut être considéré comme le chef.
p. 24 PHOBIE D’IMPULSION
Étrange forme de TOC où l’on craint par-dessus tout d’agresser les autres – sans jamais le faire. La peur d’agir par impulsion plonge ceux qui en souffrent dans une angoisse de tous les instants…
p. 34 CHOISISSEZ VOTRE CAMP!
Si on vous dit que vous avez tendance à surestimer le nombre de points présentés sur un écran, vous aurez instinctivement tendance à vous lier davantage d’amitié avec des personnes dont on vous dit qu’elles ont fait la même erreur qu’à des individus ayant sous-estimé ce nombre ! Alors, si on vous dit que vous croyez dans le même Dieu, ou aimez la même équipe de foot?
p. 70 VIEILLES RECETTES PSY
« Dans la PNL (programmation neurolinguistique), il y a du bon et du neuf. Malheureusement, le bon n’est pas neuf, et le neuf n’est pas bon. » Nicolas Gauvrit, chercheur en sciences cognitives
p. 16 32
fois plus de risques de développer une sclérose en plaques lorsqu’on a eu le virus d’Epstein-Barr (le virus de la mononucléose) que si on ne l’a pas eu.
p. 20 QUI SUIS-JE?
Lorsque nous pensons à la personne que nous étions il y a plusieurs années, la partie du cerveau qui nous fait voir les choses à la première personne reste inactive. Signe que notre moi passé est considéré comme un autre – ce qui n’est pas le cas de notre moi présent.
p. 74 PSYCHORIGIDE
Les émotions négatives auraient tendance à nous rendre plus psychorigides, ce qui peut être un avantage pour rester focalisé sur un problème jusqu’à ce qu’il soit résolu. À l’inverse, voir des films drôles entraîne une plus grande flexibilité mentale, mais risque de conduire à se disperser davantage.
p. 66 CONSCIENT… ET ALORS?
En dix ans, la proportion d’Américains conscients de l’importance de manger des fruits et légumes a été multipliée par quatre. Mais la part de ceux qui en ont mangé plus est restée inchangée.