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YVES-ALEXANDRE THALMANN

Professeur de psychologie au collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l’université de Fribourg, en Suisse.

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HALTE AU MYTHE DE LA GRENOUILLE !

L’image de la grenouille qui ne remarque pas la température en train de monter dans sa casserole est souvent utilisée pour expliquer notre inaction face au réchauffement climatique. Oui, mais… est-ce ainsi que se comportent les batraciens?L’univers du déve-

loppement personnel regorge d’his-

toires qui se veulent inspirantes. On pourrait même dire qu’elles jouent un rôle similaire aux données expérimentales dans la psychologie scientifique : dans ces milieux, elles sont utilisées comme référence pour argumenter et convaincre. Mais ces histoires sont-elles construites sur des bases fiables ? Autrement dit, passeraient-elles l’épreuve de la vérification, ou fact checking ? Amusons-nous à décortiquer les ressorts de l’une d’elles, si célèbre qu’elle a accédé au titre d’allégorie (en plus de servir de titre à un recueil d’histoires du même acabit) : il s’agit de la grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite. Particularité : il semble qu’elle ait été relatée par l’ancien vice-président américain Al Gore dans un documentaire sur l’écologie pour illustrer les conséquences néfastes d’une prise de conscience trop tardive du réchauffement climatique. Dans cette histoire, il est question d’une grenouille qui, jetée dans une bassine d’eau bouillante, on s’en doute, saute immédiatement de toutes ses forces pour tenter d’échapper aux brûlures. En revanche, poursuit le récit, si la grenouille est placée dans le même contenant rempli d’eau froide, elle va s’y prélasser comme tout batracien qui se respecte. Lorsque le liquide est chauffé suffisamment doucement, le pauvre animal ne va pas s’enfuir, ne sentant pas le danger se concrétiser, et il finira cuit sans s’en rendre compte : il sera trop tard pour effectuer le bond salutaire. Morale de la fable : les changements modestes et graduels n’entraînent pas la prise de conscience salutaire et finissent par avoir raison de nous, car il est alors trop tard pour réagir. Il existe même une expression pour désigner ce phénomène : la normalité rampante. Nous ne remarquerions pas les petits changements progressifs, que l’on va considérer comme normaux, alors que si nous étions confrontés à leurs effets additionnés en un seul, ils seraient si puissants que nous réagirions immédiatement.

DES ÉTUDES SUR LES GRENOUILLES À LA PELLE !

Je suis certain que beaucoup d’entre vous ont déjà entendu cette histoire, voire l’ont colportée à d’autres. Mais peut-on s’y fier ? À savoir, peut-on cuire une grenouille sans qu’elle ne s’en rende compte ? Et, accessoirement, que penser de cette idée d’une normalité rampante qui étoufferait les prises de conscience ? Commençons par la première question. Contre toute attente, des scientifiques ont tenté l’expérience. Un certain Heinzmann aurait ainsi montré vers 1872 qu’une grenouille ne tente pas de s’enfuir si l’on chauffe suffisamment lentement le récipient qui la contient, conclusion apparemment

corroborée par un monsieur Fratscher trois ans plus tard. Mais d’autres contestèrent cette conclusion.

Les recherches se focalisèrent alors sur la rapidité d’élévation de la chaleur du liquide. En 1897, Edward Wheeler Scripture rapporta dans son livre The New Psychology que si la température s’élève d’environ 0,12 °C par minute, une grenouille se laisse cuire sans bouger et meurt au bout de deux heures et demie. Cependant, les scientifiques modernes mettent sérieusement en doute ces propos qu’ils considèrent comme des allégations sans fondement (des fake news, dirions-nous aujourd’hui). En 2002, Victor Hutchinson, zoologiste de l’université d’Oklahoma, prend la plume pour dire que la légende est incorrecte : quand vous chauffez l’eau d’un degré par minute, le batracien devient de plus en plus actif pour tenter de s’échapper et finit par sauter hors du récipient s’il en a la possibilité.

Certes, il y a une part de vérité dans le fait que nous percevons plus difficilement les changements lorsqu’ils sont graduels (on ne voit pas ses enfants grandir) et c’est probablement ce qu’il faut retenir de pertinent dans la fable de la grenouille, ou dans un livre comme le Désert des Tartares, de Dino Buzzati. Mais cela ne veut pas dire que nous ne réagissons jamais. Inutile de martyriser davantage de grenouilles : si vous les chauffez progressivement, elles sauteront vraisemblablement hors de la casserole dès que la température sera devenue inconfortable pour elles. Ce qui rend la morale de l’histoire douteuse… à moins que les êtres humains soient moins futés que les batraciens. Si les grenouilles ne semblent pas se laisser cuire aussi passivement, qu’en est-il chez nous ? Là aussi, la lente progression d’une situation désagréable ne trompe pas notre vigilance. Ainsi le triste exemple de la violence domestique. Celle-ci se développe souvent de manière insidieuse et lancinante, puisque dans la grande majorité des cas, les coups suivent une phase préliminaire de violence verbale et psychologique.

TROP, C’EST TROP…

Pourtant, il y a un stade, souvent symbolique, où la victime réagit : tant que l’agresseur ne s’en prend qu’à elle, elle décide d’endurer les coups, mais dès que les enfants deviennent également des cibles, par exemple, une plainte est déposée. Idem avec les abus sexuels. La progression sournoise et graduelle de la violence semble se traduire par des paliers dans la conscience de la victime. Passé un certain stade, cela devient inacceptable.

La grenouille de notre fable mourait car elle n’avait pas conscience qu’elle cuisait. Ce qui nous diffère des batraciens, c’est justement nos prises de conscience : contrairement à eux, nous

NICOLAS GAUVRIT

Psychologue du développement et enseignant-chercheur en sciences cognitives à l’université de Lille.

LA PNL EN PLS

La PNL – la fameuse programmation neurolinguistique – est une star de la psycho. Mais en grattant sous le vernis, qu’y trouve-t-on? Des savoirs traditionnels connus depuis des siècles sur le comportement humain, plus quelques innovations – hélas scientifiquement invalides.

Le 11 janvier 2013,

Alberto Brandolini, un informaticien italien, fondateur de la société de conseil et de formation Avanscoperta, lâchait un petit mot sur Twitter qui lui valut par la suite une certaine notoriété dans les milieux rationalistes.

Depuis, il se dit encore émerveillé de constater que l’adage qu’il y proposait porte désormais son nom. Ce que l’auteur nommait le « principe d’asymétrie du baratin » est en effet aujourd’hui également connu comme la « loi de Brandolini ». Cette loi informelle stipule que « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des foutaises est dix fois supérieure à celle nécessaire à leur production. » Autrement dit, il est bien plus facile de faire croire des âneries que de répondre efficacement à leurs effets. Une méthode appréciée et glorifiée par de nombreux coachs, formateurs, managers et spécialistes de la vente, illustre parfaitement ce principe : la PNL (programmation neurolinguistique).

Cette doctrine fut imaginée dans les années 1970 par deux auteurs et consultants américains diplômés en psychologie : Richard Bandler et John Grinder. Les inventeurs ne fournissent guère de définition satisfaisante de la PNL, qu’ils décrivent obscurément en 1979 comme « l’étude de l’expérience subjective ». Le point de départ de leurs travaux est tout à fait louable pour autant. Selon Grinder et Bandler, les psychologues praticiens performants agissent selon des théories implicites ou des techniques intuitives pertinentes. Par l’observation des meilleurs d’entre eux, Grinder et Bandler pensaient pouvoir extraire ces savoir-faire et ainsi permettre à n’importe qui de devenir un bon psychologue, mais aussi un bon communicant, vendeur, éducateur, manager ou coach…

Sur la base de leurs observations, Bandler et Grinder ont alors énoncé un certain nombre de principes, dont beaucoup relèvent des connaissances courantes en psychologie ; comme l’idée que « la carte n’est pas le territoire» (on ne perçoit pas la réalité directement, on n’en a qu’une représentation en partie subjective).

QUAND LES YEUX PARTENT EN VRILLE

D’autres conceptions en revanche, parmi celles qui sont propres à la PNL, apparaissent pour le moins aventureuses et parfois assurément fausses… Ainsi, la PNL prétend qu’il est possible de savoir si une personne ment en observant la direction de son regard: si le regard d’un droitier se porte vers le haut à droite, la personne ment. S’il se porte en haut à gauche, elle dit vrai. Pour en avoir le cœur net, le psychologue britannique Richard Wiseman et ses collaborateurs ont mené une série de trois études en 2012.

Dans la première expérience, un expérimentateur confiait son téléphone aux participants (tous droitiers) qui devaient se rendre dans un bureau avec le portable en question, le déposer dans un tiroir ou (selon le cas) le cacher dans leur poche, puis revenir pour une entrevue avec un second expérimentateur qui ignorait où on avait demandé aux participants de placer l’objet. Dans tous les cas, les participants devaient répondre au second expérimentateur qu’ils avaient déposé le téléphone dans le tiroir. Deux experts indépendants codaient les mouvements des yeux à partir de la vidéo de l’entretien. Résultats : aucune différence entre ceux qui mentent et ceux qui disent la vérité. L’indistinction entre les situations perdure même lorsqu’on informe les participants des assertions de la PNL. Enfin, la comparaison de vidéos télévisées de personnalités dont on sait qu’elles ont menti refuse encore de se plier aux prédictions de la PNL ! Il n’y a décidément rien à sauver de cette assertion concernant la direction du regard.

La PNL est enseignée dans de nombreuses formations. Les futurs psychologues, éducateurs, coachs, démarcheurs ou managers en ont presque tous entendu chanter les louanges un jour ou l’autre. Que ce soit en psychologie, en santé ou en coaching, la PNL n’a jamais fait la preuve de son efficacité, malgré des recherches nombreuses. Bien que plusieurs publications scientifiques dénoncent de nombreuses défaillances de cette « théorie » (notamment un article de synthèse accablant publié en 2019 par les chercheurs Jonathan Passmore et Tatiana Rowson, de la Henley Business School, au RoyaumeUni, recensant lui-même quatre métaanalyses), elles n’ont en rien entamé la popularité de la PNL…

La PNL prétend qu’il est possible de savoir si une personne ment en observant la direction de son regard

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