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p. 16 Focus p. 20 Les neurones du soi p. 24 Norbert, ou la peur de tuer… Actualités
Par la rédaction
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PSYCHOLOGIE SOCIALE Ma gourde, mes amis!
La façon dont vos connaissances boiront à la gourde que vous leur tendez en dira long sur vos liens de confiance et de proximité.
A. J. Thomas et al., Early concepts of intimacy : Young humans use saliva sharing to infer close relationships, Science, 2022.
Àl’école, pendant une
séance de sport, les enfants se prêtent parfois mutuellement leur bouteille d’eau. Mais qui boit à la
bouteille de qui ? Et quand ils le font, essuient-ils le goulot, ou le portent-ils directement à leur bouche ? Si vous avez un jour connu cette situation, vous savez ce que ces détails impliquent. Quand on boit à la gourde de l’autre, c’est qu’on est amis. Et quand on n’essuie pas le goulot (ce qui est plus rare), c’est qu’on partage tout, y compris les microbes.
Ces moments clés de l’évaluation des liens sociaux constituent un vrai sujet en psychologie sociale et font l’objet d’études à travers un protocole dit de « partage de salive ». Car les humains ne partagent pas leur salive avec n’importe qui (les amoureux en savent quelque chose), et ce détail servirait d’indice pour savoir qui est intimement lié à qui. Fait plus surprenant : la capacité à déduire que deux personnes sont très proches à partir du « partage salivaire » apparaît très tôt chez les enfants, dès un an et demi.
RETROUVEZ-NOUS SUR
Bientôt un nouvel antidépresseur?
D. Cao et al., Science, 2022.

Des psychologues de l’université Harvard ont mené des expériences où ils montraient à des bébés de 16 à 18 mois des scènes de partage de nourriture impliquant un contact salivaire : par exemple, une femme mordait dans un quartier d’orange avant d’en donner l’autre moitié à un enfant. Une autre femme, à son tour, coupait le quartier à la main, avant d’en donner un morceau au petit (cette fois, il n’y avait pas de contact salivaire). Puis l’enfant se trouvait entre les deux femmes et exprimait des signes de détresse sur son visage.
On observait alors la réaction des bébés testés, notamment en mesurant la direction et la durée de leurs regards : tous gardaient le regard rivé sur la femme ayant partagé le quartier d’orange avec contact salivaire, comme si c’était elle qui allait secourir et consoler l’enfant triste.
ORANGS-OUTANS : L’ART DU BOUCHE-À-BOUCHE
Conclusion, selon les scientifiques : très tôt, les humains relèvent des détails critiques dans les comportements qui permettent de savoir qui est très proche de qui à l’intérieur d’un groupe. Le partage salivaire fait partie de ces indices clés. Probablement parce que les petits l’observent depuis leur naissance dans leur famille. Peut-être aussi par un mécanisme inné, car on sait que certains primates (notamment, les orangs-outans et les chimpanzés) nourrissent leurs enfants de bouche à bouche, de sorte que ces contacts privilégiés seraient un signe instinctif de parenté. Alors, la prochaine fois que vous prêterez votre gourde à un proche, regardez s’il essuie ou non le goulot. La salive ne ment pas. £ U Une partie des antidépresseurs utilisés
en psychiatrie produisent leur effet en interagissant avec une molécule du cerveau appelée
« récepteur cérébral 5-HT2AR ». Ce dernier est un maillon essentiel par lequel la sérotonine, principale molécule de l’humeur, agit sur notre psychisme. Actuellement, la recherche sur les traitements de la dépression se heurte au fait que beaucoup de patients « résistent » aux antidépresseurs et ne sont que peu ou pas soulagés. C’est pourquoi les scientifiques ont commencé à s’intéresser à une autre classe de molécules, les substances psychédéliques, comme la psilocine des champignons magiques et le LSD, qui sont très efficaces contre la dépression. Leur seul désavantage est leur pouvoir hallucinogène, qui peut se révéler déstabilisant…
Pour pallier cet inconvénient, des chercheurs de Shanghai ont analysé les structures moléculaires des récepteurs 5-HT2AR liés à diverses molécules capables de moduler leur fonctionnement : les antidépresseurs, mais aussi la sérotonine, la psilocine et le LSD. Ils ont découvert que la sérotonine et les hallucinogènes peuvent se fixer aux récepteurs selon des configurations tridimensionnelles jusqu’alors inconnues, et ont mis au point un nouveau composé psychédélique adoptant ce type de fixation. Le nouveau psychotrope a un effet antidépresseur sur les souris, et semble ne pas engendrer d’hallucinations. Comment le sait-on ? Parce que les composés suscitant des hallucinations chez l’homme provoquent un petit mouvement caractéristique de la tête chez les souris. Or cette nouvelle molécule ne produit pas cet effet, ce qui suggère qu’elle n’est pas hallucinogène. Mais seuls des essais cliniques sur l’homme pourront le confirmer. Qui est volontaire ? £
LE BIAIS TRIBAL
Par Laurent Bègue-Shankland, membre de l’Institut universitaire de France et professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble-Alpes, où il dirige la Maison des sciences de l’homme-Alpes.
Dérives nationalistes, pulsions identitaires, sectarismes, communautarismes : notre société se morcèle. Le coupable serait, pour partie au moins, un biais logé depuis des millénaires dans notre cerveau et appelé « biais tribal ». Sa particularité ? Nous pousser à privilégier les membres de notre groupe aux dépens des autres…
EN BREF
£ Dès lors que
nous appartenons à un groupe – ethnique, professionnel, d’orientation sexuelle… –, notre cerveau a instinctivement tendance à favoriser les personnes qui en sont membres, et à exagérer les différences avec celles qui n’en sont pas.
£ Cette tendance
contient les germes de la discrimination, sur lequels se greffent toute une série de préjugés véhiculés culturellement.
£ Des contextes
difficiles, perçus comme menaçants, risquent alors de conduire à des violences.
£ Pour l’éviter, diverses
interventions sont possibles : une simple conversation imaginaire avec un membre d’un autre groupe atténue les préjugés.
«Un Français n’aura pas le
droit d’appeler son fils Mohammed », déclarait récemment Éric Zemmour, en annonçant ce qu’il ferait s’il était élu président de la
République. De fait, les thématiques identitaires ont envahi le champ politique français en cette période de campagne électorale. Et l’Hexagone est loin d’être le seul pays concerné, comme l’illustre le récent phénomène Donald Trump et son « America first », ou encore la prospérité des Orbán, Poutine, Bolsonaro ou Erdogan. L’exaltation de la nation, le rejet de l’étranger et la stigmatisation des minorités ethniques ou religieuses reposent toujours sur une distinction affichée entre « eux » et « nous », entre le groupe des natifs et celui des étrangers, celui des croyants ou des mécréants, des bons citoyens travailleurs ou des élites corrompues – même si la montée du nationalisme et du racisme sont à nuancer par une analyse des données historiques (voir l’encadré page 38). Comment expliquer cette montée en puissance des sectarismes qui va souvent de pair avec celle des autoritarismes ?
Le point de vue de la psychologie et des neurosciences est qu’il s’agit en partie du résultat d’une tendance ancienne de nos systèmes nerveux, qui s’exprime avec plus ou moins de force selon les contextes historiques ou politiques. Du point de vue de l’évolution du cerveau humain, le fait central est que notre espèce a dû son succès en grande partie à sa capacité inégalée à collaborer. Être capable de s’entendre avec les membres d’un groupe, éprouver de l’empathie pour eux, ressentir un sentiment d’appartenance… Tout cela a constitué un avantage pour la survie des individus, de sorte que ces tendances ont été sélectionnées et se sont développées au fil des générations. Aujourd’hui, le besoin d’appartenir à un groupe est profondément ancré dans notre psychisme.
La façon dont chacun se considère (son estime de soi) dépend même étroitement de son sentiment d’être intégré dans un groupe, comme le révèlent plusieurs études, dont celle publiée en 1999 par Nyla Branscombe, de l’université du Kansas : plus une personne s’identifie à un groupe, plus son estime de soi est élevée. En 2015, Jolanda Jetten, de l’université du Queensland, a en outre montré que ce phénomène est d’autant plus marqué que le nombre de groupes auxquels on
INTERVIEW
MICHEL WIEVIORKA
SOCIOLOGUE, DIRECTEUR D’ÉTUDES À L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (EHESS), SPÉCIALISTE DES PHÉNOMÈNES DE RACISME ET DE VIOLENCE
POUR DÉPASSER LES FRACTURES, IL FAUT UN RÉCIT COMMUN
Les recherches en sciences cognitives montrent que nous privilégions notre groupe, même quand celui-ci est totalement artificiel. Comment analyser le nationalisme dans ce cadre ? Autrement dit, qu’y a-t-il d’artificiel et de « naturel » dans notre sentiment d’appartenance à une nation ? Je n’utiliserais pas ces catégories d’« artificiel » ou de « naturel », mais
il est sûr que l’idée de nation est une construction. Selon l’historienanthropologue irlandais Benedict Anderson, auteur d’un livre de référence sur la question, la nation est une « communauté imaginée ». Car, contrairement à d’autres groupes humains, la plupart de ses membres ne se connaissent pas concrètement. Leur sentiment d’appartenance se fonde alors sur un imaginaire commun et sur un certain nombre de principes partagés. Cet imaginaire commun implique en général un récit des origines plus ou moins fantasmé. Pensez à « nos ancêtres les Gaulois » en France ou à l’histoire mythique de Rome, selon laquelle une louve a allaité les jumeaux qui ont fondé la ville. Nous sommes tous différents et pour que nous puissions vivre ensemble, fonder un corps social, il faut qu’il y ait des valeurs, des références communes qui nous unissent. Dans l’histoire, la religion a aussi joué ce rôle de ciment, souvent d’ailleurs de façon plus puissante que la nation. Celle-ci reste une abstraction.
Une abstraction ? Mais la nation, ce sont aussi beaucoup d’éléments concrets qui régissent nos vies au quotidien : les services publics, les institutions, les impôts… Ne contribuent-ils pas à forger un sentiment d’appartenance ? Ce que vous décrivez, c’est un État, et il ne faut pas le confondre avec la nation. Les deux coïncident très souvent, mais ce n’est pas automatique. Il existe, par exemple, un sentiment national corse, sans qu’il soit nécessairement ou toujours associé à la perspective d’un État. Mais vous avez raison, le sentiment d’appartenance se fonde aussi sur des éléments concrets. Pas forcément au niveau de l’État-nation d’ailleurs, tout dépend de l’organisation politique et administrative : en Italie, jusqu’au XIXe siècle, c’étaient plutôt les villes, au plus les régions, qui régissaient le quotidien des gens. Et tout évolue. L’historien américain Eugène Weber, qui a écrit sur la France de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, raconte qu’à l’époque, quand on demandait « Quel est ton pays ? » à un habitant des campagnes, il répondait en donnant le nom de son village. Le sentiment d’appartenance peut être variable, changeant, tant dans son étendue géographique que dans sa tournure : certains vont considérer qu’il est compatible avec une ouverture au monde, d’autres estimeront qu’une telle ouverture menace leur identité « nationale »…
L’archipélisation actuelle correspond aussi à l’émergence d’un monde nouveau
Comment un imaginaire et des principes communs peuvent-ils apparaître dans une communauté dont les membres ne se connaissent pas ? Il y a une part de volonté politique – en France, le pouvoir royal a joué ce rôle – et de vécu concret partagé, comme nous venons de l’évoquer. Un élément déterminant dans l’émergence du sentiment national, et donc du nationalisme, a été l’invention de l’imprimerie. Car en permettant l’essor de la presse et du livre, elle a autorisé dans bien des cas la diffusion d’informations qui ont soudé les gens autour des mêmes préoccupations et ont forgé un imaginaire partagé. Quand on lit les journaux, on sait ce qu’il se passe dans tout le pays, on se sent partie prenante d’un espace plus large que son seul voisinage.
Vous dites que le sentiment national se fonde sur un imaginaire et des principes partagés. Mais très souvent, la construction d’une identité de groupe semble passer par la désignation d’un ennemi commun… C’est vrai, c’est aussi un moteur puissant. Pour le philosophe allemand Friedrich Hegel, « on ne se pose qu’en s’opposant ». Le groupe se constitue face à l’extérieur, il se définit par rapport à ce qui n’est pas lui. La psychologie sociale en apporte de fortes démonstrations. Et le fait que cet extérieur soit souvent perçu comme dangereux, avec la désignation d’un ennemi, aide à souder ses membres. Une autre facette de cette dimension d’exclusion est le phénomène de bouc émissaire. C’est ce qu’a remarquablement analysé l’anthropologue français René Girard : pour résoudre des tensions ou des problèmes, les groupes humains les projettent sur l’un de leurs membres, identifié par une quelconque « différence », ou sur un autre groupe ; et en se débarrassant de ce bouc émissaire, ils pensent se débarrasser de leurs difficultés. Les migrants ou les minorités ethniques sont ainsi régulièrement accusés de tous les maux. Parfois, le bouc émissaire est à la fois un membre du groupe et un soi-disant ennemi extérieur : ce fut par exemple le cas de Dreyfus, à qui l’on reprochait d’être à la fois juif, donc pas un « vrai Français », et un traître à la solde de l’Allemagne.
MON LEADER, CE HÉROS
EN BREF
£ Au fil de son évolution
biologique, l’être humain aurait développé une préférence innée pour les formes d’organisation hiérarchiques, même si certaines personnes sont plus enclines que d’autres à l’autoritarisme et au conformisme.
£ Les expériences
de psychologie sociale révèlent que le penchant pour l’autoritarisme se renforce en période de crise, notamment pendant les crises sanitaires, où s’exprimerait tout un répertoire de réactions instinctives comparables à un système immunitaire.
£ Le pire risque est la
combinaison possible de l’autoritarisme et d’un régime instituant la domination de certains groupes sociaux sur d’autres. Ce qu’on appelle une « combinaison létale » .

MON LEADER, CE HÉROS
Par Johan Lepage, chercheur associé au Laboratoire interuniversitaire de psychologie, à l’université Grenoble-Alpes.
Le succès grandissant des leaders autoritaires dans le monde et la fragilité des systèmes démocratiques posent une question : pourquoi sommes-nous autant attirés par les hiérarchies ? Et comment éviter que ce penchant ne nous conduise à une société autoritaire ?
Le président russe, Vladimir Poutine, a toujours cultivé une image d’homme fort, susceptible de plaire à ceux qui sont attirés par l’autoritarisme. (Ici dans une exposition à Moscou le 16 mars 2015 pour célébrer le rattachement de la république de Crimée à la fédération de Russie.)

© Dmitry Serebryakov/AFP Xi Jinping, Trump, Bolsonaro,
Poutine, Erdogan… De la Chine à l’Amérique de la Russie à la Turquie, et même en Europe avec la montée des partis d’extrême droite, la tentation de l’autoritarisme est palpable aux quatre coins du monde ces dernières années.
Outre l’appétence pour un « leader fort », elle va souvent de pair avec une hausse de la répression et une diminution des libertés civiles. Plusieurs indicateurs internationaux montrent d’ailleurs que la tendance mondiale à la démocratisation observée depuis plusieurs décennies s’est arrêtée avec la crise économique de 2008, s’inversant dans toute une série de régions, notamment en Europe, aux États-Unis et en Amérique latine. Parmi ces indicateurs, l’indice de démocratie
p. 64 Les jeux vidéo sont des leviers d’apprentissage p. 66 Halte au mythe de la grenouille! p. 70 La PNL en PLS

Pour ou contre la « gamification » à l’école ?
Par Myriam Schlag, docteure en psychologie et autrice de nombreux articles de recherche sur l’apprentissage.
Si vous avez des enfants scolarisés, vous l’aurez sans doute remarqué: les jeux dits «sérieux», ou «éducatifs», ont la cote dans les écoles. Cette «ludification» des enseignements est-elle bénéfique pour les apprentissages? Tour d’horizon des derniers résultats de la recherche.
EN BREF
£ Introduire du jeu
dans les apprentissages renforce la motivation des élèves, et améliore par conséquent leurs résultats.
£ Le degré de motivation
est notamment stimulé par le sentiment qu’a l’élève d’être compétent, autonome et socialement impliqué dans le jeu.
£ Tous les éléments
de jeu ne répondent pas à ces besoins de la même manière. Le feedback positif augmente certes le sentiment de compétence. Mais les récompenses ou les classements peuvent aussi avoir des effets négatifs.
Le bus s’ébroue une der-
nière fois, puis plus rien. Panne de moteur. « Arriverons-nous à temps pour assister au
grand show de Las Vegas ? » Monsieur Bauer ne cache pas son inquiétude. Cela fait deux semaines qu’il sillonne les États-Unis avec sa classe. Ce roadtrip d’un genre nouveau a déjà permis à ses élèves de découvrir plusieurs sites incontournables et d’enchaîner les aventures. Mais, désormais, les voilà retenus à Fredericksburg, petite commune de 11 000 habitants au cœur du Texas, et ils n’ont pas un sou en poche pour payer les frais de réparation du véhicule…
À y regarder de plus près, Fredericksburg est un endroit étrange. Plusieurs rues, magasins et
