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NEUROSCIENCES
p. 82 Écoutez, bougez, apprenez ! p. 86 Acquérez l’œil de l’expert ! p. 90 La mélatonine aide-t-elle vraiment à s’endormir ?
Psychorigide... ou neuroflexible ?
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Par Anna von Hopffgarten, biologiste et cheffe de la section neurosciences de la revue Gehirn & Geist.
La routine et les habitudes nous font économiser de l’énergie cérébrale. Mais il faut parfois reconfigurer nos réseaux de neurones pour faire face aux changements. Comment s’y prendre?
Un Européen continental qui
descend du car-ferry à Hull, dans l’est de l’Angleterre, doit faire preuve d’une bonne dose de
flexibilité mentale. Dès la sortie du port, il va devoir s’engouffrer dans un énorme rond-point à plusieurs voies qui brasse une gigantesque masse de voitures – le tout en roulant à gauche, bien sûr ! Il faut réagir à la vitesse de l’éclair : où se placer ? Dans quelle direction regarder ? Comment sortir de ce tourbillon ?
Inutile de dire que si vous avez toujours roulé sur le côté droit de la route, une telle situation est un cauchemar. Mais de courte durée. Dès le deuxième ou troisième rond-point, la tension diminue généralement, et une certaine routine s’installe.
Notre cerveau est plus adaptable qu’on ne le pense. Le passage de la circulation à droite à la circulation à gauche (et inversement, bien sûr) en est une très bonne illustration. De la même façon, nous parvenons également à adapter notre comportement à des conditions changeantes dans d’innombrables autres situations. La crise du Covid-19 en est un exemple. Nous avons dû à maintes reprises revoir nos actions et nos opinions en tenant compte de nouvelles données. EN BREF
£ Le cerveau humain
dispose de zones spécifiques permettant de s’adapter à une multitude de contextes.
£ Attention : la flexibilité
a aussi des désavantages car elle disperse l’attention et rend moins efficace dans les tâches où il faut être focalisé.
£ La clé : savoir basculer
d’un mode rigide à un mode flexible au bon moment. Une sorte de « superflexibilité ».
£ Sport et pratique
des langues sont de très bons exercices pour cela.
« J’ai été surprise de voir à quel point la plupart d’entre nous y sont parvenus, explique Gesine Dreisbach, de l’université de Regensburg, en Allemagne. Notamment, nous avons rapidement intériorisé le fait de ne plus se serrer la main, d’éviter les embrassades. » La psychologue étudie avec son équipe les facteurs qui influencent la flexibilité cognitive des personnes.
RECÂBLAGE NEURONAL
Mais qu’est-ce que cela signifie réellement d’être « mentalement flexible » ? Selon les chercheurs en sciences cognitives, cet attribut s’applique aux personnes capables de modifier rapidement leur comportement et leurs schémas de pensée lorsque les circonstances extérieures l’exigent. Des études montrent qu’elles sont en moyenne plus performantes dans leur travail et qu’elles obtiennent de meilleurs résultats académiques que les personnes à l’esprit plus rigide. Alors, qu’est-ce qui fait que l’on est psychorigide ou neuroflexible ? Les psychologues considèrent que la flexibilité cognitive fait partie d’un ensemble de capacités cognitives qu’on appelle les «fonctions exécutives».
Écoutez, bougez, apprenez !
Par Matthew Hutson, journaliste scientifique, contributeur des revues Nature, Science et The New Yorker.
On nous l’a souvent répété: il ne faut pas montrer du doigt, parler avec les mains ou s’agiter sur sa chaise en cours. À tort! Car en joignant le geste à la parole, ou à l’écoute, on apprend plus efficacement. Plusieurs études l’attestent…
Ces battements de main, ces
gestes qui nous semblent superflus quand ils ponctuent une explication s’avèrent bien plus utiles qu’il n’y paraît : ils aident à communiquer une idée et permettent aux auditeurs de mieux
se concentrer et apprendre. C’est ce que pointent aujourd’hui les recherches sur l’impact du geste sur les processus d’apprentissage.
De nombreux travaux ont depuis longtemps mis au jour le lien étroit entre le geste, la parole et la cognition. On sait qu’un individu intègre, en sus des données auditives qu’il reçoit, les données visuelles relatives à l’attitude de son interlocuteur (gestes, expressions, postures), et que celles-ci participent à la compréhension du message. Cependant, ce sont plus particulièrement les
gestes de la personne qui reçoit l’information qui ont commencé à intéresser plus récemment les chercheurs. Selon ces études, les individus se souviennent mieux de ce qu’on leur inculque quand ils effectuent des mouvements spontanés ou quand ils reproduisent, inconsciemment ou non, ceux de leur instructeur…
BALANCER LES BRAS POUR MIEUX RAISONNER
Les résultats d’une expérience publiés en mars 2009 dans la revue Psychonomic Bulletin & Review suggèrent même que le fait de bouger de manière spécifique favorise la capacité de raisonnement. Ses auteurs, Laura E. Thomas, de l’université Vanderbilt de Nashville (Tennessee), et Alejandro Lleras, de l’université de l’Illinois, avaient proposé, au choix, à 52 étudiants, soit de balancer les bras, soit de les étirer (sous prétexte de favoriser la bonne circulation du sang) pendant qu’il leur était demandé de résoudre un problème de logique. La question était de trouver le moyen de relier deux cordes pendues au plafond, trop éloignées l’une de l’autre pour être saisies en même temps. La réponse attendue était de suspendre un poids à l’une d’elles pour pouvoir atteindre l’autre par un effet de balancier. Résultat : les volontaires qui avaient choisi de balancer les bras ont été majoritairement plus nombreux à trouver la solution. Sachant que, sur l’ensemble du panel, seuls trois participants avaient établi un lien entre le fait de balancer les bras et la résolution du problème. Les chercheurs en ont conclu que certains mouvements favorisent parfois la réflexion, même quand on les exécute sans faire de rapprochement conscient avec une tâche cognitive réalisée simultanément. Évidemment, les gestes qui mettent sur la piste EN BREF
£ Lever les bras en
forme de U devant une fonction mathématique parabolique ? C’est gagné !
£ Votre cerveau fait le
lien entre le geste et le concept. Les connexions entre neurones se renforcent.
£ La « pédagogie
incarnée » fait l’objet d’études de plus en plus nombreuses qui devraient peu à peu valider son utilisation dans l’enseignement...
d’une idée intelligente (celle du balancier) semblent particulièrement efficaces, et ce détail aura son importance pour concevoir des mouvements qui aident à intégrer certains concepts.
DES MODÈLES MATHÉMATIQUES À PORTÉE DE MAIN
De nouveaux travaux, rapportés dans l’édition de février 2021 d’une autre revue scientifique, Cognitive Science, par une équipe conjointe de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) et de l’université d’État de Californie à Los Angeles (CSULA), étendent cette découverte. « Nous essayons de déterminer où se situent les limites du pouvoir du geste», explique Icy (Yunyi) Zhang, chercheuse en psychologie à l’UCLA et autrice principale de l’article. Pour ce faire, les expérimentateurs ont entrepris de tester les effets inconscients des mouvements de la main sur l’apprentissage d’un concept abstrait.
Dans une première expérience, 60 étudiants de premier cycle ont été invités à visionner une vidéo expliquant un modèle statistique représenté par une fonction mathématique produisant des prédictions. Les données étaient représentées par des barres d’histogrammes. Les participants à l’étude ont été divisés en trois groupes. Un groupe témoin a simplement regardé la vidéo. Un second groupe, dit « concordant », a visionné la même vidéo sur laquelle était superposée une animation : lorsque le narrateur disait, par exemple, qu’un ensemble de données présentait plus de variations qu’un autre (représenté par un histogramme avec plus de barres placées le long de l’axe x) deux barres rouges verticales (sans rapport avec les barres de l’histogramme) s’éloignaient l’une de l’autre. On a demandé à ces participants d’imiter le mouvement des barres