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p. 12 Focus p. 16 Mémoire : jamais sans les mots p. 22 Trauma: premiers succès pour l’ecstasy Actualités
Par la rédaction
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PSYCHOLOGIE Les chefs, puissants mais fragiles!
Ils sont influents et respectés… mais recèlent des vulnérabilités psychologiques et physiques dont on commence à découvrir l’origine.
Z. Song et al., Genetics, leadership position, and well-being : An investigation with a large-scale GWAS, PNAS, 2022.
Beaucoup de personnes
aimeraient être influentes, avoir des responsabilités, voire commander aux autres, et bénéficier d’un salaire
et d’avantages associés. Mais s’il y avait un prix à payer pour cela ? Si les responsabilités et le pouvoir allaient de pair avec d’autres désavantages moins évidents ?
Depuis quelques années, on sait que la tendance au leadership est en partie innée. Autrement dit, elle repose en partie sur une base génétique. En 2006, une étude réalisée sur environ 400 jumeaux a montré que les jumeaux monozygotes, dont les gènes sont identiques, exercent en moyenne dans la société des responsabilités plus proches que celles des jumeaux dizygotes, qui ne partagent que la moitié de leurs gènes. Les calculs ont alors mis en évidence que 30 % des variations de leadership entre les individus dans la population seraient d’origine génétique.
L’existence d’une contribution génétique au leadership a conduit des chercheurs des universités de
RETROUVEZ NOUS SUR
NEUROSCIENCES AFFECTIVES Amour: les cœurs se synchronisent
E. Procházková et al., Nature Human Behaviour, 2022.
Hong Kong et de Singapour à établir une liste des régions chromosomiques associées au fait d’être un chef. Leur découverte, fruit de recoupements sur 250 000 Britanniques de la base de données UK Biobank, montre que huit régions chromosomiques (rassemblant un grand nombre de gènes) sont statistiquement associées au niveau de responsabilité d’un individu dans la société. Or ces régions ont par le passé été impliquées également dans d’autres dimensions de la personnalité : l’extraversion, l’intelligence, le niveau de bien-être subjectif, mais aussi la vulnérabilité à la schizophrénie, le trouble bipolaire, les troubles cardiovasculaires et… une moindre espérance de vie !
HEUREUX, INTELLIGENTS… ET CARDIAQUES !
Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien… que le leadership serait comme une monnaie à double face : côté face, les chefs seraient plus heureux, plus extravertis et plus intelligents en moyenne que les personnes occupant des responsabilités moins importantes (attention, il s’agit d’une statistique, et il existe des chefs malheureux et stupides, tout comme il existe des personnes brillantes et épanouies à des postes de responsabilités moins importants). Mais côté pile, ils vivraient en moyenne moins longtemps, souffriraient plus fréquemment de troubles cardiovasculaires, de schizophrénie ou de troubles bipolaires ! Et une des régions chromosomiques impliquées dans le leadership est aussi associée à une vulnérabilité à l’alcool. Le mythe du chef qui a un penchant pour la bouteille ne serait donc peut-être pas entièrement surfait !
Deux réflexions s’imposent : premièrement, si une bonne fée venait vous proposer de faire un vœu, réfléchissez-y à deux fois avant de souhaiter être un boss respecté et puissant. Bizarrement, vous seriez peut-être plus heureux, mais vous vivriez moins longtemps et risqueriez des ennuis de santé. Ensuite, nous pouvons peut-être nous féliciter que la dominance sociale ait aussi des désavantages. On sait en effet que le statut social est associé à une plus forte descendance. Des gènes sous-tendant de telles caractéristiques auraient donc tendance à se répandre comme une traînée de poudre dans la population si rien ne venait les arrêter. Nous vivrions alors dans un monde où tout le monde serait le chef, et je vous laisse imaginer le cauchemar ! Cela dit, cette vision à la Pangloss (pour qui nous vivons « dans le meilleur des mondes possibles ») n’explique en rien comment l’évolution génétique aurait abouti à cette sorte d’équilibre. Ce serait un sujet de recherche en soi… £ Sébastien Bohler Q
u’est-ce qui fait qu’on tombe amou-
reux d’un(e) inconnu(e) ? Pour le savoir, Eliška
Procházková et ses collègues de l’université de
Leyde, aux Pays-Bas, ont réuni des hommes et des femmes dans des séances de speed dating tout en leur demandant de porter des capteurs mesurant leur fréquence cardiaque et leur conductance électrodermale, qui reflète le niveau d’activation émotionnelle. Les participants disposaient de deux minutes face à face pour discuter, puis deux minutes sans se parler. Des caméras filmaient en outre le moindre de leurs mouvements. Ensuite, ils devaient indiquer à quel point la personne qu’ils avaient rencontrée leur plaisait et s’ils désiraient la revoir.
Résultat : la synchronisation des fréquences cardiaques des participants et les variations conjointes de leur conductance électrodermale étaient les facteurs clés qui permettaient de prédire s’ils allaient se revoir et, donc, si le « courant » était passé entre eux. Ces facteurs étaient bien plus importants que la synchronisation de leurs mouvements ou de leurs regards, notamment.
Ces mesures rejoignent des observations analogues réalisées par le passé, comme le fait que des individus ayant regardé ensemble un film provoquant une forte activation émotionnelle sont plus attirés l’un vers l’autre que s’ils ont vu un film calme.
Lorsque les cœurs battent en rythme, l’amour n’est pas loin, et c’est sans doute aussi pourquoi la danse a formé tant de couples ! £
Mémoire
Jamais sans les mots
Par Jordana Cepelewicz, journaliste scientifique à New York.
Nos souvenirs sont-ils une simple répétition neuronale des expériences vécues? Probablement pas si l’on en croit des chercheurs qui viennent d’associer, dans le cerveau, des centaines de concepts sémantiques aux minuscules régions du cortex qui les représentent dans notre mémoire et nos perceptions. Or des «décalages» existent…
Cet article a d’abord été publié en anglais par Quanta Magazine, sous le titre « New Map of Meaning in the Brain Changes Ideas About Memory » : https://www. quantamagazine.org/ new-map-of-meaning- in-the-brain-changesideas-aboutmemory-20220208/
Q
u’est-ce que la mémoire ? Une répétition du passé, une reproduction mentale des événements et des sensations que nous
avons vécus ? C’est en général ce que nous pensons. Dans le cerveau, cela reviendrait à ce que les mêmes schémas d’activité neuronale se réactivent: par exemple, se souvenir du visage d’une personne activerait les mêmes réseaux de neurones que ceux permettant effectivement de voir son visage. Et, en effet, pour certains processus mnésiques, quelque chose comme ça se produit…
QU’EST-CE QUE LA MÉMOIRE ?
Mais ces dernières années, les chercheurs ont mis le doigt, à plusieurs reprises, sur quelques phénomènes atypiques : ils ont identifié des distinctions subtiles, mais significatives, entre les représentations visuelles et les représentations mnésiques correspondantes, ces dernières apparaissant – se matérialisant sous forme d’activités neuronales – toujours à des endroits légèrement différents du cerveau. Or les scientifiques ne savaient trop que penser de cette translation, de ce décalage: quelle est sa fonction? Qu’est-ce que cela signifie pour la nature même de la mémoire? Aujourd’hui, ils ont peut-être trouvé une réponse, grâce à des travaux reposant sur le langage, et non sur la mémoire. En effet, une équipe de neuroscientifiques a créé une carte dite « sémantique » du cerveau qui révèle, de façon remarquablement détaillée, quelles sont les régions du cortex qui réagissent aux informations linguistiques concernant un large panel de concepts, allant des visages aux lieux en passant par les relations sociales, les phénomènes météorologiques… Et lorsqu’ils ont comparé cette carte cérébrale à une autre mettant en évidence où le cerveau se représente les catégories d’informations visuelles, ils ont observé des différences surprenantes… Qui ressemblaient
fortement à celles signalées entre les représentations visuelles et mnésiques.
Cette découverte, publiée en octobre 2021 dans la revue Nature Neuroscience, suggère que, dans de nombreux cas, un souvenir n’est pas un fac-similé de perceptions ou d’expériences passées qui sont rejouées à l’identique dans le cerveau. Il s’agit plutôt d’une reconstruction de l’événement original, reposant sur son contenu sémantique. Cette idée, nouvelle, répondrait à bien des interrogations que se posent les chercheurs depuis de nombreuses années, notamment pourquoi la mémoire est si souvent un enregistrement si imparfait du passé… Ce qui expliquerait, entre autres, les faux souvenirs et ce que signifie réellement le fait de se rappeler quelque chose.
CE N’EST PAS UN FAC-SIMILÉ DES EXPÉRIENCES VÉCUES
Ces nouveaux travaux sur la sémantique étaient complètement indépendants de ceux menés sur la mémoire, des équipes de chercheurs travaillant à leurs cartes cérébrales respectives à peu près au même moment, mais à des extrémités diamétralement opposées des États-Unis. Reprenons leur histoire. En 2012, Jack Gallant, neuroscientifique cognitiviste à l’université de Californie à Berkeley, avait passé la majeure partie de la dernière décennie à développer des outils et des modèles d’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) pour étudier le système visuel humain. En effet, l’IRMf permet de mesurer des variations du flux sanguin et de l’activité électrique dans le cerveau, de sorte que les neuroscientifiques l’utilisent souvent pour déterminer les régions du cortex réagissant à différents stimuli.
L’un des étudiants de Gallant à l’époque, Alex Huth, a bénéficié des techniques de pointe de leur laboratoire pour analyser où le cerveau «encode» différents types d’informations visuelles, en demandant à des volontaires de regarder des heures de vidéos (sans aucun son) à l’intérieur de scanners d’IRMf. Puis, en segmentant les données en enregistrements pour des volumes de tissu cérébral minuscules, de la taille d’un pois et appelés «voxels» (un voxel étant l’équivalent d’un pixel, mais en trois dimensions), les chercheurs
En 2016, des neuroscientifiques ont cartographié comment des régions du cortex de la taille d’un pois – et nommées « voxels » – réagissent à des centaines de concepts sémantiques. Ils s’appuient désormais sur ces travaux pour comprendre les liens entre les représentations visuelles, linguistiques et mnésiques dans le cerveau.
Trauma
Premiers succès cliniques pour l’ecstasy
Par Jennifer M. Mitchell, professeuse de psychiatrie et de neurologie à l’université de Californie, à San Francisco. Loin des «rave parties», la MDMA (l’autre nom de l’ecstasy) pourrait bien devenir la première drogue psychédélique autorisée pour un usage médical. Et pas n’importe lequel: le traitement du trouble de stress post-traumatique.
Au printemps 2017, j’ai été
invitée par hasard à ce qui semblait être en toute apparence une mauvaise conférence
scientifique. L’invitation m’était parvenue de troisième main, mais un fond de curiosité m’a conduite jusqu’à cette salle de réunion d’un banal hôtel de centre-ville. La Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies (l’Association multidisciplinaire pour l’étude des psychédéliques) y tenait conseil pour rien de moins que le lancement d’un essai clinique de phase 3 sur les effets bénéfiques de la MDMA (ou ecstasy, ou 3,4-méthylènedioxy-N-méthylamphétamine…) sur le syndrome de stress post-traumatique sévère. Improbable projet. Mais quand Berra Yazar-Klosinski en personne, la directrice scientifique de cette éminente association, m’a conviée à participer à l’aventure et à m’associer à ce projet, je n’ai pas pu résister. EN BREF
£ Pour la première fois,
l’ecstasy a passé avec succès les principales étapes des essais cliniques pour être approuvée par l’agence du médicament aux États-Unis.
£ Ses bénéfices dans
le traitement du trauma semblent à présent avérés, et ses effets neurotoxiques écartés.
£ En France, cette
évolution se heurte aux réticences d’une partie du corps médical qui la voit toujours comme une drogue festive.
Le syndrome (SSPT), ou trouble de stress post-traumatique (TSPT), se développe chez des personnes qui ont été victimes ou témoins d’un événement traumatisant (guerre, attentat, agression physique, catastrophe…) et face auquel elles ont ressenti une peur intense et un sentiment d’impuissance. Il se manifeste par la reviviscence régulière de souvenirs traumatiques, accompagnée de manifestations physiques et psychologiques qui altèrent profondément la vie personnelle, sociale et professionnelle. Selon le National Center for Post-Traumatic Stress Disorder (PTSD), aux États-Unis, ce trouble anxieux est diagnostiqué chez plus de 15 millions d’Américains chaque année. Et l’utilisation de la MDMA, plus connue sous les noms de Molly ou d’ecstasy, en appoint des psychothérapies, pourrait bien changer la donne dans leur vie.