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PSYCHOLOGIE
YVES-ALEXANDRE THALMANN
Professeur de psychologie au collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l’université de Fribourg, en Suisse.
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LA SCOPESTHÉSIE, OU L’ILLUSION DES « YEUX DANS LE DOS »
Vous avez l’intuition qu’un individu vous observe. Et en vous retournant, c’est bien le cas! Seriez-vous doué d’un sixième sens?
Avez-vous déjà
eu la nette impression d’être observé ?
Vous est-il alors arrivé de vous retourner pour constater que quelqu’un était effectivement en train de vous regarder ? Si c’est le cas, vous n’êtes pas une exception, puisque plus de neuf personnes sur dix affirment avoir déjà vécu cette expérience troublante. Au point que le phénomène porte un nom savant : la scopesthésie, ou sensation d’être observé (SEO).
PAPARAZZIS PARANORMAUX
Il se trouve des agents de sécurité et des paparazzis pour appuyer cette thèse en rapportant que certaines de leurs «cibles» se retournent alors qu’elles sont suivies de loin, voire au moyen de caméras de vidéosurveillance cachées, et regardent soudainement en direction de l’appareil pourtant indétectable. Même des photographes animaliers ont déclaré que les animaux leur semblaient parfois conscients d’être observés malgré la discrétion du dispositif employé… Alors, les organismes vivants seraient-ils dotés d’un sixième sens les rendant sensibles au regard d’autrui ? C’est en tout cas un thème qui a la cote dans l’univers du développement personnel, qui propose même des méthodes afin de l’affiner.
Du côté scientifique, la méfiance est de mise quand on évoque la scopesthésie. Elle détonne par rapport aux connaissances que nous avons de la perception, intimement liée aux organes sensoriels, puisqu’il s’agirait ici d’un canal extrasensoriel. En 1898 déjà, le psychologue Edward Titchener a imaginé une étude pour tester le phénomène. Non pas qu’il crût que ce fût possible, mais pour écarter définitivement l’hypothèse et lutter contre ce qu’il appelait une superstition. Ses expériences de laboratoire aboutirent toutes à des résultats négatifs : quand on plaçait un sujet dans une pièce et qu’on demandait à un complice dans son dos de l’observer fixement ou non, les impressions que le premier rapportait ne correspondaient pas du tout aux phases d’observation du second. L’effet du regard psychique (autre nom donné à la scopesthésie) ne serait-il que le fruit du hasard ?
UNE QUESTION DE CHAMPS MORPHIQUES
Les croyances sont souvent plus fortes que la raison. Un tel phénomène, s’il était avéré, serait à proprement parler révolutionnaire. Il plaiderait en
faveur de l’existence d’une sensibilité subtile, se manifestant sans passer par les sens classiques. De quoi porter un coup fatal à la vision matérialiste soutenue par la science, pour laquelle la conscience résulte de l’activité neuronale et ne peut prétendre s’en soustraire. C’est ici qu’intervint un éminent biologiste du nom de Rupert Sheldrake, également parapsychologue à ses heures. Au début des années 2000, celui-ci entreprit de nouvelles séries d’expériences sur la scopesthésie, qui cette fois donnèrent des résultats positifs, à savoir un taux de réussite supérieur au hasard. Pour expliquer cette découverte, Sheldrake conçut la théorie des champs morphiques (ou résonance morphique). D’après lui, la conscience devrait être considérée à la façon d’un champ électromagnétique, c’est-à-dire qu’elle serait capable d’interagir à distance. De quoi ravir toutes les personnes qui croient en l’existence d’un esprit indépendant du cerveau, ou en tout cas pas confiné à l’intérieur du crâne.
Il ne fallut pas attendre longtemps, on s’en doute, pour que les travaux de Sheldrake soient remis en question. La critique, portée par David Marks, alors professeur de psychologie à la City University de Londres, et son collègue John Colwell, s’attaqua au protocole expérimental appliqué et notamment au caractère aléatoire des séquences d’observation. Dans ce type d’expérience, les sujets doivent dire s’ils ont l’impression d’être observés ou non alors qu’un complice alterne des moments où il fixe son regard sur eux ou scrute ailleurs. Le problème résidait dans les séquences utilisées : le hasard peut tout à fait produire par exemple douze phases d’observation suivies de deux de non-observation. Mais les expérimentateurs ont eu tendance à « corriger » ces séquences pour les rendre plus aléatoires d’après eux, par exemple : observation – non – non – observation – non – observation – observation – non… Les sujets misant sur une alternance (un biais connu sous le nom d’« étalement du hasard ») obtenaient ainsi de meilleurs résultats que s’ils avaient opté pour des paquets groupés. Cette pseudo-prévisibilité est alors capable d’expliquer les taux de succès significatifs enregistrés par Sheldrake.
La faculté de scopesthésie, en tant que perception extrasensorielle, n’est ainsi pas confirmée expérimentalement. Alors pourquoi sommes-nous si nombreux à vivre cette impression étrange d’être observés ?
NICOLAS GAUVRIT
Psychologue du développement et enseignant-chercheur en sciences cognitives à l’université de Lille.
LES « NUDGES », UN DANGER POUR LA PLANÈTE ?
Baisser son chauffage de 1 degré, imprimer ses documents en recto-verso : ces gestes censés préserver le climat auraient des effets marginaux et nous distrairaient des mesures réellement nécessaires à grande échelle.
Au lendemain de
l’élection présidentielle, la question écologique a soulevé des débats, des espé-
rances et des inquiétudes. Dans Le Journal du dimanche du 7 mai dernier, un collectif de 17 personnalités appelait les futurs ministres à se former à l’écologie, condition nécessaire d’une prise de décision avisée. Dérèglement climatique, pollution atmosphérique et marine, naufrage de la biodiversité: alors que les scientifiques s’épuisent à tirer la sonnette d’alarme depuis plusieurs décennies, les signataires de cette lettre ouverte, dont Jean-Marc Jancovici, regrettent la frivolité des initiatives politiques. «S’il y a un débat sur le moyen de conduire la transition, il ne doit plus y en avoir sur les raisons ni sur l’urgence d’y parvenir.»
De fait, depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics ne sont pas restés les bras ballants devant l’urgence écologique. D’ambitieux projets de recherche furent financés, des groupes d’experts internationaux réunis. Toutes les disciplines académiques ont été mises à contribution : sciences de la Terre, biologie, physique et chimie, mais aussi démographie, économie et même psychologie. Les uns ont analysé le drame en cours. D’autres ont cherché des solutions techniques pour en modérer l’ampleur. Les psychologues, de leur côté, ont essentiellement cherché des techniques pour impliquer le citoyen dans le sauvetage.
PETITS COUPS DE POUCE PSYCHOLOGIQUES
Ainsi vint l’ère des nudges, ces incitations discrètes qui influencent en douceur les comportements. Comment mener l’individu récalcitrant à finalement baisser le chauffage, trier ses ordures, prendre un abonnement électrique plus écologique, ne pas jeter le sac plastique sur la voie publique? Par les nudges! Exemple souvent préconisé: utiliser un réglage par défaut adapté. Si le chauffage possède une valeur de 18°C par défaut, il est probable que beaucoup de gens acceptent de
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Un cadrage systémique conduirait à interdire l’exploitation de nouveaux gisements de gaz, à bannir les climatisations privées, à financer le rail et taxer lourdement la route, à supprimer les avions pour tout trajet faisable en train.
l’y laisser, plutôt que de recaler intentionnellement la température à 19°C. Surtout si la température par défaut de 18 °C revient automatiquement à intervalle régulier... Ces petites astuces ont un impact maigre, mais indiscutable et à coût microscopique.
Fait remarquable, des industriels plongent dans l’aventure, tel le géant du pétrole BP, dont l’application en ligne permet de calculer son empreinte carbone et incite à la réduire. Preuve rassurante de considérations éthiques pour les uns… greenwashing pour les autres. Et si c’était pire que ça ? Si cet engouement pour les solutions écologiques centrées sur le consommateur jouait le rôle de distracteur, éloignant des solutions efficaces – des lois contraignantes et d’une révolution globale ?
C’est exactement ce que suggèrent deux auteurs parmi les plus influents du champ de la psychologie comportementale. En mars dernier, Nick Chater, de l’université de Warwick, et son collègue George Loewenstein, de l’université Carnegie Mellon, ont jeté un pavé dans la mare, déclarant regretter leur participation pluridécennale à un programme que brandissent les pouvoirs publics pour absolution de leur relative inaction. Si les résultats de la recherche sur les nudges venaient en appui d’une politique globale ambitieuse, ils en augmenteraient l’impact. Hélas, ils entraînent surtout des conséquences perverses en donnant aux problèmes de l’écologie un « cadrage sur l’individu » permettant le désistement des politiques et la cécité aux véritables solutions.
FOCUS SUR L’INDIVIDU OU LE SYSTÈME ?
Prenons le problème de l’empreinte carbone. Pour la réduire, on peut adopter un point de vue global, ce que les auteurs nomment « cadrage systémique ». Dans cette optique, on considérera qu’il faut modifier le système dans lequel évoluent les citoyens pour qu’ils ne puissent plus rejeter autant de
p. 78 Réguler ses émotions pour progresser p. 82 Les malades mentaux sont-ils dangereux? p. 84 35 °C, le sommeil des neurones
La science de la niaque
Par Patricia Thivissen, journaliste scientifique.
Plus que le talent ou l’intelligence, la clé du succès serait… la niaque. Mais qu’entend-on exactement par là? Des premiers outils pour quantifier cette notion voient le jour, ainsi que des programmes pour la développer.
Si l’on vous demande combien il
existe de nombres premiers consécutifs dont la différence vaut précisément 2, vous passerez peut-être une ou deux minutes à trouver
quelques exemples. Comme 3 et 5, ou 5 et 7, ou encore 11 et 13. Au xixe siècle, des mathématiciens ont subodoré qu’il existerait une infinité de telles paires. Mais sans pouvoir le démontrer. Jusqu’à ce qu’un certain Yitang Zhang, chinois et théoricien des nombres, s’attaque au problème. Zhang, parfait inconnu, enseignait l’algèbre à l’université du New Hampshire, aux États-Unis. Il n’était pas même professeur. Mais, passionné de nombres premiers depuis son enfance, il s’était attelé au problème depuis quatre ans. Sa femme ne comprenait pas ce qu’il faisait lorsqu’il restait assis ou se promenait, profondément absorbé dans ses pensées. « Le problème était si compliqué que je ne savais pas comment le lui expliquer », avoua Yitang Zhang plus tard. Mais à force d’obstination, il a fini par trouver la solution. Publiée en 2013, celle-ci a fait sensation auprès des mathématiciens. Yitang Zhang a reçu EN BREF
£ La psychologue
américaine Angela Duckworth a identifié une qualité qui favoriserait la réussite dans la vie : la niaque, une ténacité teintée de passion, caractérisée par la poursuite de grands objectifs pendant de nombreuses années.
£ Une niaque élevée
conduirait notamment à mieux réussir ses études, à garder son emploi plus longtemps ou à moins divorcer.
£ Mais d’autres
chercheurs critiquent ce concept, qui selon eux n’apporte rien par rapport aux modèles de personnalité déjà utilisés par les psychologues.
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