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INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
INTERVIEW
JACQUES-ANTOINE MALAREWICZ
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PSYCHIATRE ET THÉRAPEUTE FAMILIAL
LE TDI EST UN MIROIR DE NOTRE SOCIÉTÉ
Le phénomène des troubles dissociatifs de l’identité (TDI) semble de plus en plus visible dans l’espace public, en témoignent de nombreuses chaînes YouTube d’influenceurs sur internet, émissions de télévision, films ou séries. Ce trouble est-il d’apparition récente ? Disons qu’il a une histoire, et qu’il n’a pas toujours existé sous la forme qu’on lui prête aujourd’hui. Les premiers cas ont été décrits au XIXe siècle,
notamment en France par Pierre Janet. Il n’était pas encore question de personnalités multiples, mais de dédoublement de la personnalité. Ce dédoublement était évoqué dans deux situations, l’hystérie et l’hypnose. Dans les cas d’hystérie étudiés par Charcot à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, il apparaît que la patiente (c’étaient presque toujours des femmes) fait des choses différentes, bizarres ou anormales lors de ses crises de ce qu’elle accomplit dans son existence «normale». De même dans le cas de l’hypnose, l’hypnotiseur est capable d’amener une personne à adopter d’autres comportements que ceux qu’elle présente habituellement, ou à dire des choses qu’elle ne dirait pas dans d’autres circonstances. Évoquons aussi, à cette même époque, l’existence d’un troisième «couple dissociatif» à travers le dualisme freudien conscient-inconscient. Dans ces trois cas (et surtout dans les deux premiers) on peut parler de dédoublement, mais certainement pas encore de multiplicité des personnalités.
Pas davantage dans la schizophrénie ? La schizophrénie correspond à une histoire différente. Sa description à partir de la fin du XIXe siècle (notamment par le psychiatre allemand Eugen Bleuler, qui a suivi les cours de Charcot à la Salpêtrière) va en grande partie éclipser l’intérêt porté à la dissociation hystérique. Le début du XXe siècle est marqué par l’opposition entre la névrose et la psychose. L’apparition de la psychose, notamment, dans la psychiatrie allemande, met en avant un autre critère: l’adhésion ou non à la réalité communément admise. Alors que l’individu névrosé admet la réalité des autres, le psychotique s’en détache. Le schizophrène n’est pas dans la réalité, pas plus que le paranoïaque qui interprète faussement des faits de la réalité afin de nourrir son sentiment de persécution. Ce qui fait donc la différence, c’est le rapport à la réalité. De ce point de vue, les personnalités multiples représentent, en quelque sorte, des réalités distinctes, d’autant plus qu’il existe une amnésie entre les différentes sous-parties de leur personnalité. Chaque personnalité a sa propre existence, qui ne nie pas le réel, et la personnalité hôte (celle qui porte l’existence sociale et qui a son nom sur les papiers officiels) est bien obligée d’adhérer à la réalité des autres sous-personnalités que l’entourage lui renvoie et dont elle ne se souvient pas. Tout ceci fait que le trouble des personnalités multiples (qu’on appelle aujourd’hui « trouble dissociatif de l’identité ») n’a rien à voir avec la schizophrénie: cette dernière a parfois été décrite abusivement comme un dédoublement de la personnalité parce que les patients ont parfois des hallucinations auditives (les fameuses «voix intérieures»), mais dans ce cas il n’y a pas plusieurs personnalités, seulement une personnalité qui perd pied avec la réalité.
À partir des années 1980 émergent aux États-Unis les personnalités «flamboyantes», qui abritent des centaines de souspersonnalités...
Après la découverte de la schizophrénie, les personnalités multiples sombrent-elles dans l’oubli ? En tout cas elles semblent rares. En 1944, une revue de psychiatrie cherche à faire l’inventaire des cas que l’on peut recenser, et trouve 76 cas avérés dans les publications internationales de l’époque, ce qui est très peu quand on pense que le TDI en ce début de XXIe siècle toucherait plus de 500 000 personnes en France. Il faudra attendre la troisième version du manuel de psychiatrie américain (le fameux DSM) en 1980 pour voir resurgir les troubles dissociatifs, dont le trouble de personnalité multiple. Le critère central étant l’existence, chez un même individu, de plusieurs personnalités distinctes, l’une d’entre elles pouvant se montrer dominante et jouer le rôle de personnalité hôte.
À partir de quand le phénomène commence-t-il à prendre de l’ampleur ? Le DSM-3 va marquer un tournant. D’abord, il retire l’hystérie de la liste officielle des maladies mentales et insiste sur la notion de personnalité. Et lorsqu’on admet que la personnalité peut prendre plusieurs états (et non seulement deux comme dans l’hystérie étudiée par Charcot), le phénomène
p. 62 La scopesthésie, ou l’illusion des «yeux dans le dos» p. 66 Les «nudges», un danger pour la planète?
Transgenres Un cerveau différent ?
Par Sven C. Mueller, professeur associé de psychologie clinique et expérimentale de la santé à l’université de Gand, en Belgique.
Être homme et se sentir femme, et inversement: comment le cerveau produit-il cette identification? Depuis quelques années, les scientifiques se sont penchés sur cette question. Ils livrent leurs premiers résultats.
Dans quelle catégorie les per-
sonnes transgenres peuvent-elles concourir
dans le monde du sport ? Quelles toilettes doivent-elles utiliser ? Avec quel pronom personnel les qualifier ? Il, elle… ou « iel » ? Dans le domaine sportif, le débat s’est enflammé à partir d’août 2021. Cette année-là, l’haltérophile néozélandaise Laurel Hubbard entre dans l’histoire en devenant la première personne transgenre à participer aux Jeux olympiques en tant qu’athlète féminine. Cet événement était supposé couper court aux rumeurs d’un avantage compétitif lié à son identité génétique masculine. Entendons par là un excès de testostérone. Hubbard présentait depuis un an un taux de testostérone inférieur à la limite autorisée par le Comité international olympique (CIO). Mais limiter le taux de testostérone suffira-t-il à apaiser les esprits les plus circonspects ? Pas si sûr. Le thème « transgenre » – l’identification à un sexe différent de celui hérité à la naissance – divise non seulement le monde du sport, mais aussi celui des médias, de la politique et, finalement, de la société tout entière. Comme dans le cas de Hubbard, les questions les plus diverses sont vivement débattues. À commencer par celle-ci, qu’on me pose souvent : le cerveau d’un individu né homme, mais qui s’identifie comme une femme – ou inversement –, présentet-il des caractères plutôt masculins ou féminins ? La question est complexe. Et cela à plusieurs titres. Revenons tout d’abord sur les particularités des cerveaux masculins et féminins. Si, comme nous le savons aujourd’hui, les cerveaux des deux sexes ont plus de points communs qu’on ne le pensait autrefois, il existe néanmoins des différences qu’il serait abusif de nier. C’est ce qu’ont montré notamment les travaux conduits en 2018 par le psychologue écossais Stuart Ritchie et ses collègues de l’université d’Édimbourg. L’équipe a pu examiner quelque 2 500 cerveaux d’hommes et de femmes britanniques issus de la UK Biobank, la plateforme britannique de données de santé qui collectionne aujourd’hui