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ACTUALITÉS
p. 14 Focus p. 18 Le neurone, plus gros calculateur au monde? p. 22 Quand les nombres modifient nos souvenirs p. 28 Comment notre cerveau simule le monde Actualités
Par la rédaction
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PSYCHOLOGIE COMPORTEMENTALE Ados stressés: le pouvoir des mamans
Plus il existe de complicité, de partage et de cohésion entre un adolescent et sa mère, mieux le jeune est capable de faire face aux difficultés liées à sa nouvelle vie sociale.
X. Li et al., Journal of Early Adolescence, 2022.
Tous ceux qui ont élevé
un adolescent ou une adolescente, ou vécu avec, savent à quel point le quotidien n’est pas toujours
évident… Opposition, retrait, prise de risques conduisent souvent à des conflits : mais le parent doit-il lâcher prise – se désinvestir – ou persévérer pour continuer à conseiller, raisonner, aider son enfant ? Le jeune traverse de véritables bouleversements hormonaux, biologiques et psychologiques, sa personnalité se développe, et il change de comportement, mais aussi de relations sociales, privilégiant souvent ses pairs à ses parents. Rien de plus normal en réalité : l’adolescence est une période de transition nécessaire qui se manifeste différemment chez tout un chacun. Mais elle est stressante : jour après jour, l’ado doit s’adapter à de nouvelles situations, de nouvelles fréquentations. Comment l’aider au mieux ?
La façon dont la mère (ou la figure d’attachement principale) interagit avec son ado, à savoir le climat émotionnel de complicité et de cohésion qui règne entre eux, joue un rôle
Comment notre cerveau simule le monde
RETROUVEZ NOUS SUR
PSYCHOLOGIE ANIMALE Chats, amour et destruction
K. R. Franck et al., Journal of Veterinary Behavior, le 20 mai 2022.
crucial dans l’« adaptation sociale » du jeune : selon Xiaomei Li, chercheur à l’université de l’Illinois, aux États-Unis, et ses collègues, « les adolescents se tournent souvent vers leur mère pour discuter de leurs problèmes, en particulier quand ils ont des difficultés avec leurs pairs. Lorsque les mères leur prodiguent des conseils, ce n’est pas seulement ce qu’elles disent, mais la façon dont elles le disent, qui importe. Dans mon équipe, nous nous sommes intéressés au climat émotionnel de ces conversations ».
COMPLICITÉ ET COHÉSION SONT ESSENTIELLES
Pour ce faire, les chercheurs ont évalué pendant environ un an la proximité émotionnelle d’une centaine de duos mère-ado, composés de 53 % de jeunes garçons, 47 % de filles, âgés en moyenne de 11 ans, puis ils ont déterminé dans quelle mesure l’ambiance familiale présageait, l’année suivante (à leur entrée dans l’équivalent de la classe de cinquième), de la capacité des jeunes à faire face à des défis sociaux. D’abord, Li et ses collègues ont observé (au laboratoire) et analysé des discussions entre les mères et leur enfant lorsque celui-ci parlait des difficultés rencontrées avec ses amis. Simultanément, ils ont enregistré le rythme respiratoire sinusal du jeune, à savoir un indicateur de la façon dont il gère naturellement, sur le plan physiologique, le stress. L’année suivante, les adolescents faisaient part aux scientifiques des difficultés sociales qu’ils rencontraient et de la manière dont ils les surmontaient ou non.
Résultat : plus les tandems étaient soudés émotionnellement lors de leurs conversations, plus le jeune demandait ensuite de l’aide à sa mère ; en outre, plus l’« affect » maternel était positif pendant les échanges, plus l’adolescent s’adaptait, l’année suivante, au stress causé par ses relations sociales et parvenait à le surmonter. En d’autres termes, une mère complice, à l’écoute et attentionnée permet à son enfant de s’engager activement dans ses liens avec autrui, de mieux résoudre les problèmes quand ils se posent et de gérer efficacement ses réactions émotionnelles. Alors qu’une mère plus critique ou qui montre moins d’intérêt pour son adolescent ne l’aide pas à gérer son stress social… Surtout si le jeune est déjà « naturellement » anxieux.
« Un parent peut toujours donner des conseils à son adolescent, certes, mais ce que montre notre étude, c’est que la façon dont il parle avec son enfant est plus importante encore pour l’aider à faire face au stress que ce qu’il dira », concluent les chercheurs. Confiance, dialogue, sécurité, autonomie, responsabilités, affection et espoir : voilà, en gros – selon le sociologue français Michel Fize –, les sept besoins capitaux qui permettront à un ado de devenir un adulte plus serein. £ Bénédicte Salthun-Lassalle Si vous avez un chat, peu de chances que votre mobilier soit intact. Votre adorable compagnon a probablement déjà fait ses griffes sur votre canapé ou sur la moquette du salon avec une volupté destructrice. L’équipe de Fernanda da Costa, de l’université fédérale du Rio Grande do Sul, au Brésil, a identifié un facteur étonnant susceptible d’exacerber ce comportement chez lui : l’amour que vous lui portez !
Les chercheurs ont fait remplir à 500 propriétaires de chats des questionnaires qui mesuraient leur niveau de proximité émotionnelle avec leur animal, ainsi que les comportements problématiques de ce dernier. Or les félins qui avaient l’habitude de griffer et détruire des objets étaient en moyenne plus aimés et choyés par leur maître. Pourquoi tant de hargne de la part des chats dorlotés ? Fernanda da Costa et ses collègues envisagent diverses explications, comme une tendance de leurs propriétaires à les garder davantage à l’intérieur ou à se montrer plus tolérants envers leurs dégradations.
En tout cas, les chats de ces maîtres aimants n’étaient pas plus agressifs que les autres, ni n’avaient plus tendance à faire leurs besoins partout dans la maison ou à miauler sans arrêt. Signe que leurs propriétaires n’abandonnaient pas toute ambition éducative et ne les transformaient pas en équivalents félins de « l’enfantroi », celui qui se croit tout permis car on ne lui a posé aucune limite… £ Guillaume Jacquemont
Selon une expérience récente, il faudrait environ mille neurones artificiels pour rendre compte de la complexité d’un seul neurone biologique. Notre cerveau ne sera peut-être pas de sitôt dépassé par une intelligence artificielle…
Àpremière vue, notre cer-
veau est une masse de substance grasse et
molle d’environ un kilo et demi. Pas grand-chose à voir, a priori, avec les puces électroniques en silicium des processeurs informatiques qui composent les fameuses intelligences artificielles, ou IA. Pourtant, les scientifiques comparent l’un et l’autre depuis longtemps. Comme l’a dit Alan Turing en 1952, « nous ne sommes pas intéressés par le fait que le cerveau ait la consistance d’une bouillie [porridge en anglais, ndlr] ». En d’autres termes : le support, ou la matière, n’a pas d’importance. Seule compte la capacité de calcul.
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L’IA EST DEVENUE TRÈS « PROFONDE »
Aujourd’hui, les systèmes d’intelligence artificielle (IA) les plus puissants et récents au monde utilisent un type d’apprentissage dit « automatique » (ou machine learning) très avancé qu’on appelle « apprentissage profond » (en anglais, deep learning). Ce qui signifie que leurs algorithmes apprennent à réaliser leurs tâches en traitant d’énormes quantités de données grâce à de multiples couches dites « profondes » de neurones artificiels (ou nœuds) interconnectés, couches que l’on appelle « réseaux neuronaux profonds ». Mais qu’est-ce qu’un réseau neuronal – en informatique? Comme son nom l’indique, ce type de réseau s’inspire fortement des réseaux de neurones du cerveau, chaque nœud (ou neurone artificiel) correspondant, a priori, à un vrai neurone – du moins à ce que les neuroscientifiques savaient des neurones dans les années 1950, Par Allison Whitten, journaliste scientifique à Nashville, aux États-Unis.
EN BREF £ Quelle est la puissance
de calcul d’un vrai neurone ? Pour le déterminer, des chercheurs en IA l’ont modélisée avec un réseau neuronal profond…
£ Résultat : il faut au
moins cinq couches de neurones artificiels dans le réseau pour reproduire le comportement d’un seul neurone biologique. Soit mille neurones artificiels au moins.
£ On imagine
maintenant de créer des IA faites de « superneurones » regroupant en réalité mille neurones de base.
quand le premier modèle de neurone artificiel (appelé à l’époque « perceptron ») a vu le jour. Depuis lors, notre compréhension de la puissance de calcul d’un neurone individuel s’est considérablement améliorée, de sorte que l’on considère aujourd’hui que les biologiques – les vrais! – sont bien plus complexes que les artificiels – même ceux qui sont le plus à la pointe de la technologie. Restait à savoir quel écart séparait encore le faux du vrai neurone.
BIEN PLUS COMPLEXE QUE PRÉVU
Pour le savoir, David Beniaguev, Idan Segev et Michael London, de l’université hébraïque de Jérusalem, ont entraîné un réseau neuronal profond artificiel à imiter par simulation les calculs d’un véritable neurone biologique. Et ils ont montré que le réseau neuronal profond nécessite entre cinq et huit couches de neurones artificiels (ou nœuds) interconnectés pour rendre compte de la complexité d’un seul véritable neurone. Les chercheurs eux-mêmes n’avaient pas entrevu une telle richesse. « Je pensais que ce serait plus simple et plus petit », déclarait ainsi Beniaguev, qui s’attendait à ce que trois ou quatre couches suffisent à représenter les calculs effectués au sein d’une vraie cellule. Pour Timothy Lillicrap, concepteur des algorithmes de prise de décision au sein de la société d’intelligence artificielle DeepMind, détenue par Google, ce résultat suggère qu’il faut remettre en question l’habitude, fermement ancrée dans le milieu de la recherche, de comparer les neurones cérébraux à ceux qu’on utilise dans le
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Quand les nombres modifient nos souvenirs
Peut-être vous êtes-vous inscrit sur
un site de rencontre en ligne – vous n’êtes pas le seul ! – et voilà le moment de choisir des photographies de vous-même pour compléter votre
profil. Vous êtes partagé entre deux options: poster vos plus belles photos, qui ont déjà quelques années et vous ressemblent un peu moins, ou sélectionner des images plus récentes, mais moins avantageuses. Dans le premier cas, vous risquez de décevoir vos interlocuteurs lorsque vous les rencontrerez « en vrai » ; dans le second cas, vous risquez de n’obtenir aucun rendez-vous. Vous décidez donc de couper la poire en deux, en mettant une photo récente ainsi que quelques autres plus anciennes. Bonne idée, mais dans ce cas, arrangez-vous pour que la photo la plus flatteuse arrive en premier. Car selon un biais très célèbre en psychologie, appelé « effet d’ancrage », les suivantes seront perçues comme plus attirantes qu’elles ne le sont réellement, comme « attirées » vers le point de repère initial qu’est la photo de vous plus jeune.
Cet effet d’ancrage est un des biais cognitifs les plus robustes. Il modifie nos raisonnements Par Aglaé Navarre, Cyril Thomas et André Didierjean.
£ Souvent, un nombre,
quel qu’il soit, influence nos choix, nos estimations ou nos décisions, sans que nous en ayons conscience.
£ C’est l’effet d’ancrage,
un biais cognitif qui se produit quotidiennement dans de nombreux domaines. Ainsi, des juges infligent une peine de prison d’autant plus importante qu’ils ont été exposés, au préalable, à un grand nombre, même aléatoire.
£ Mais cet effet, selon
une première étude, modifierait aussi notre mémoire… Un fait qu’il faudrait prendre en compte, car il est susceptible de provoquer de « faux souvenirs ».
Juste après avoir assisté à un accident de la route, on vous annonce que vous allez devoir témoigner. Mais à ce moment-là, un individu surgit et vous demande de tirer une carte pour une loterie. Sans le savoir, le nombre que vous allez tirer influera sur votre souvenir de la vitesse du véhicule avant le choc…
EN BREF
et nos choix de façon presque quotidienne, le plus souvent sans que nous en ayons conscience. Voici presque cinquante ans qu’Amos Tversky, psychologue israélien, et Daniel Kahneman, psychologue et économiste américano-israélien, en ont détaillé les caractéristiques dans un article de la revue Science. Ils y publiaient les résultats d’une série d’études sur la prise de décision en situation d’incertitude qui allait révolutionner la psychologie et l’économie comportementale. Ces travaux ont d’ailleurs valu à Kahneman le prix Nobel d’économie en 2002 (Tversky étant décédé à cette date n’a pas été récompensé, un prix Nobel n’étant jamais attribué à titre posthume).
DES DÉCISIONS PAS TOUJOURS RATIONNELLES
Mais depuis peu, notre équipe de recherche a montré que l’effet d’ancrage ne se contente pas de modifier nos décisions à venir sur une personne ou une chose, il agit aussi rétrospectivement. Autrement dit, il modifie la façon dont nous nous remémorons les souvenirs liés à des choix que nous
Comment notre cerveau simule le monde
Par György Buzsáki, neuroscientifique à l’université de New-York. D’après les avancées les plus récentes en neurosciences, notre cerveau ne verrait pas directement le monde qui l’entoure, mais créerait une simulation intérieure qu’il s’efforcerait de faire correspondre à ses entrées sensorielles...
EN BREF
£ Contrairement
à ce qu’on a longtemps supposé, notre cerveau ne se contente pas d’enregistrer ce qui se passe autour de lui.
£ C’est avant tout
un générateur de modèles aléatoires qui n’acquièrent de sens qu’en les faisant correspondre aux résultats de nos actions. Ce qui aboutit à la représentation d’un objet extérieur.
£ Une fois « calibré »
par l’action et l’expérience, le cerveau peut se désengager de l’activité neuronale et explorer les possibles par l’imaginaire.
Lorsque j’étais jeune profes-
seur dans des séminaires pour étudiants en médecine, j’enseignais la neurophysiologie selon les règles, expliquant avec conviction comment notre cerveau percevait le monde et pilo-
tait le corps. Le message en substance était que lorsque nous regardons un objet ou entendons un son, les stimuli sensoriels visuels et auditifs étaient convertis en signaux électriques, puis transmis au cortex sensoriel qui traitait ces entrées et donnait ensuite lieu à des perceptions. Et pour entamer un mouvement, les neurones du cortex moteur envoyaient des instructions à des neurones intermédiaires, situés dans la moelle épinière, ce qui se traduisait par une contraction musculaire.
La plupart des étudiants étaient plutôt satisfaits de ces explications sur les mécanismes d’entrée-sortie du cerveau. Mais une minorité
© Islenia Milien