23 minute read

PSYCHOLOGIE POSITIVE

Next Article
INTERVIEW

INTERVIEW

34

Dossier 7 CLÉS POUR PRÉVENIR LA DÉPRESSION

Advertisement

Par Jérôme Palazzolo, psychiatre et psychothérapeute à Nice, ainsi que professeur de psychologie clinique et médicale à Alexandrie.

Impression d’être fatigué(e), usé(e), incapable de vous motiver le matin ? Pour éviter que cela ne se transforme en état dépressif, il faut redresser la barre. À cet effet, 7 bonnes pratiques inspirées de la psychologie positive vous aideront à rester en zone sûre.

Vous sentez que la vie a un goût amer en ce

moment, que rien ne va, que vous enchaînez les difficul-

tés, et que vous commencez à en avoir assez ? Peut-être même avez-vous du mal à vous motiver le matin pour aller travailler, ou le soir, pour sortir avec des amis. Une petite déprime, en bref. Pas une dépression, ou pas encore. Mais gare! Si ces coups de blues n’ont, en soi, pas grand-chose à voir avec une vraie dépression, ils peuvent y conduire si on ne réagit pas à temps. En la matière, comme ailleurs, mieux vaut prévenir que guérir. Et la bonne nouvelle, c’est qu’il existe des solutions simples pour se protéger d’un éventuel effondrement thymique, ou trouble de l’humeur quasi incontrôlable.

TROUVER LE BON ÉQUILIBRE

Pour éviter de sombrer dans les affres des idées noires, la clé est d’établir un certain équilibre entre les divers aspects de son quotidien, c’est-à-dire les dimensions sociale, physique, psychique, économique, spirituelle et émotionnelle. Les périodes de

7 CLÉS POUR PRÉVENIR LA DÉPRESSION

la vie – parcours scolaire, cheminement professionnel, vie familiale… –, les difficultés et les défis rencontrés sur notre chemin, viennent parfois faire pencher la balance d’un côté – le négatif – ou de l’autre – le positif. Il serait alors pertinent de se questionner sur les « changements » à mettre en œuvre afin de favoriser le maintien d’une santé mentale équilibrée. Mais quels sont ces changements envisageables? Comment les déployer? Plusieurs facteurs influencent la santé mentale d’un individu: les caractéristiques biologiques et génétiques – l’hérédité; d’autres caractéristiques personnelles, comme les habitudes de vie et les comportements routiniers, le niveau d’estime de soi ou les expériences vécues durant l’enfance; l’environnement social, les relations établies avec la famille, les amis et les proches en général; le milieu de vie, le lieu de résidence ou d’hébergement; le milieu professionnel, les conditions de travail et les facteurs psychosociaux (autonomie dans la prise de décisions, relations avec les collègues, reconnaissance de l’expertise et des compétences…), la sécurité des lieux; le contexte économique, bien sûr, avec le coût des biens de consommation permettant de répondre aux besoins primaires, le taux de chômage…

QU’EST-CE QUE LA PSYCHOLOGIE POSITIVE ?

Bien entendu, il est impossible d’agir sur certains facteurs : c’est le cas de l’hérédité ou de divers éléments environnementaux, comme le taux de chômage. Cependant, la psychologie positive nous apprend à changer nos habitudes et à prendre certaines mesures protectrices pour notre santé mentale. Bien que relativement récente (le terme est apparu pour la première fois en 1998 sous la plume du chercheur américain en psychologie Martin Seligman), cette discipline à part entière est aujourd’hui une véritable science construite grâce à des recherches rigoureuses reposant sur des protocoles expérimentaux bien définis. Elle propose des connaissances spécifiques et des stratégies éprouvées pour améliorer le bien-être de l’individu et celui de la communauté. Elle se concentre sur l’exploration et l’expansion de ce qui rend la vie utile, productive et épanouissante, dans toute sa complexité.

La recherche en psychologie positive montre que le bonheur mène au succès dans presque tous les domaines de l’existence, de la santé à la performance, de la créativité aux relations professionnelles. Telle est la conclusion d’une métaanalyse historique menée par Sonja Lyubomirsky, de l’université de Californie à Riverside, et ses collègues, en 2005, qui ont recensé plus de 200 études sur le sujet menées sur près de 275000 personnes dans EN BREF

£ Se sentir « déprimé »

arrive plus d’une fois dans la vie, et cela n’a pas forcément grand-chose à voir avec une vraie dépression.

£ Toutefois, pour éviter

d’en arriver là, il faut « équilibrer » son quotidien : face à trop de contraintes et de soucis, on doit trouver des moyens d’augmenter son bien-être…

£ La psychologie

positive propose des solutions : plaisirs simples, gratitude, optimisme, résilience, etc., se cultivent chez tout un chacun.

Biographie

Jérôme Palazzolo

est psychiatre et psychothérapeute à Nice, professeur de psychologie clinique et médicale à l’université internationale Senghor d’Alexandrie en Égypte, et chercheur associé au LAPCOS (Laboratoire d’anthropologie et de psychologie cliniques, cognitives et sociales) de l’université Côte d’Azur. le monde. Les chercheurs concluent sans équivoque que les individus les plus heureux – ceux qui présentent le niveau de bien-être le plus élevé – sont plus équilibrés, vivent plus longtemps, sont moins sujets aux accidents, rencontrent plus de succès dans leurs entreprises personnelles et professionnelles, sont plus productifs, plus créatifs, réfléchissent plus rapidement et de façon plus efficace, mettent plus d’ardeur au travail, sont plus attentionnés et altruistes, sont plus engagés socialement et apparaissent plus chanceux que les autres. Que de bénéfices! Alors, pour se prémunir d’un effondrement dépressif, l’objectif est donc de mettre en œuvre quelques pratiques visant à optimiser les sentiments de bonheur et d’efficacité dans la vie quotidienne, que ce soit au travail, à la maison ou avec les autres. Le tout, pour garder la balance de la vie équilibrée lorsque l’on rencontre des difficultés qui la font pencher du mauvais côté…

1 FAIRE NAÎTRE DES ÉMOTIONS POSITIVES

En premier lieu, il s’agit de savoir susciter – en soi, mais aussi chez les autres – des émotions positives, pour optimiser ses capacités et progresser vers un plus grand bien-être. En effet, les émotions positives sont l’une des caractéristiques du bonheur et du sentiment de plénitude. Quand nous sommes submergés par la joie ou la fierté par exemple, cela modifie ce que l’on nomme «l’axe physiologique du stress», qui contrôle la respiration, le pouls, la pression artérielle, ainsi que la production d’hormones et de neurotransmetteurs (les molécules de communication entre neurones). Or tous ces changements physiques ont un impact sur le fonctionnement cérébral à court et long termes.

Sur le court terme, on se sent plus détendu, relaxé et revigoré par l’émotion positive qui nous envahit – notamment parce que les niveaux des hormones de stress, comme le cortisol, chutent et que les concentrations de dopamine et de sérotonine augmentent immédiatement dans le circuit cérébral dit «de récompense». Cela dope la créativité et nous permet de mieux appréhender les différentes options qui s’offrent alors à nous. Sur le long terme, le bien-être procuré par les émotions positives influence nos comportements, car les neuromédiateurs et hormones sécrétés provoquent aussi des remaniements structuraux qui perdurent. On développe alors un sentiment de confiance en soi, on est plus réceptif aux nouvelles informations, on résout mieux les problèmes et on a une attitude plus ouverte aux autres et plus confiante.

Les émotions positives ne sont donc pas seulement bénéfiques du fait des sensations agréables qu’elles procurent au moment où on les ressent: elles ont des effets collatéraux favorables qui sont

loin d’être négligeables. Favoriser leur apparition et les développer sont donc d’excellentes façons d’améliorer notre qualité de vie et d’éviter une éventuelle dépression. Comment?

Quelques petits exercices simples permettent d’y parvenir. Je vous en propose quatre. D’abord, s’offrir chaque jour un plaisir, même petit. Que ce soit un carré de chocolat avec le café, un petit bain de soleil à une terrasse de restaurant ou une petite sieste de quelques minutes avant de reprendre le travail. Ensuite: rire. Car c’est vraiment bon pour la santé, comme l’ont montré de nombreuses études scientifiques, et ce n’est pas uniquement réservé aux enfants! Avec ses collègues de travail et ses proches, en regardant un film drôle ou en racontant une blague, l’objectif est de ne pas passer à côté d’une occasion de s’amuser.

En troisième lieu : développer l’émerveillement. Je m’explique. Nos journées sont bien trop souvent routinières, planifiées, répétitives. Nous en oublions de rester sensibles à la beauté qui nous entoure, d’observer la nature ou de contempler l’environnement: un joli nuage, un coucher de soleil, un oiseau qui chante, les reflets de l’eau, une fresque peinte sur un mur… Il est important de prendre le temps de regarder ce qui se passe autour de nous et d’y voir de la somptuosité. Enfin, il est bénéfique de développer également la sérénité, cet état de paix qui met notre cerveau au repos. En ce sens, la méditation est souvent un exercice intéressant. Il suffit de s’accorder une dizaine de minutes pour soi et de se mettre au calme, à distance du téléphone et d’autres distractions; puis de fermer les yeux et de respirer profondément en imaginant qu’à chaque expiration on évacue du stress, et qu’à chaque inspiration on absorbe une bouffée d’énergie vitale, tout en ne pensant à rien d’autre.

2 ADOPTER UNE ATTITUDE

CONSTRUCTIVE

La deuxième stratégie proposée par la psychologie positive pour éviter la dépression est d’adopter une attitude constructive et un état d’esprit positif. Ce qui améliore l’apprentissage et ouvre notre esprit à de nouvelles façons d’élever le niveau de bonheur. On touche ici à un concept développé par la professeuse de psychologie sociale à l’université Stanford, Carol S. Dweck, en 2017: le mindset, qui signifie littéralement « la configuration de l’esprit ». Il s’agit d’une sorte de formatage mental, d’un état d’esprit que l’on va forger pour atteindre des objectifs précis. Car les attitudes qui composent notre psychisme ne sont pas aussi définies qu’on le croit; on a souvent tendance à penser que nos qualités de base – comme le talent – sont des traits statiques et qu’il ne sert pas à grand-chose de les développer.

Mais dans une dynamique de mindset, l’objectif est de développer ces capacités grâce à un travail régulier. Ainsi, l’amour de l’apprentissage accroît la motivation, la résilience et la performance. Pour cela, l’objectif est de mettre l’accent sur ce que l’on apprend à chaque fois que l’on essaye quelque chose de nouveau. Concentrez-vous sur les progrès que vous faites lorsque vous avancez vers l’objectif, plutôt que de vous inquiéter de ce qui se passerait si vous n’y arrivez pas. Remettez en question les hypothèses autolimitantes!

Sonja Lyubomirsky et ses collègues soulignent d’ailleurs que la différence de niveau de bonheur existant entre les individus s’explique à 50% par des facteurs génétiquement déterminés, mais aussi, pour 10%, par la situation actuelle du sujet – que l’on soit riche ou pauvre, marié ou divorcé, en bonne ou en mauvaise santé –, les facteurs environnementaux représentant donc une partie non négligeable de la sensation de bonheur globale. Et les 40% restants? Ils sont influencés par nos activités intentionnelles ! Ce qui signifie que nous sommes capables d’augmenter – ou de diminuer – presque la moitié de notre niveau de bien-être juste grâce à nos choix et à notre état d’esprit!

Nos journées sont trop souvent routinières, planifiées à l’excès, et répétitives. Au point qu’on en oublie de rester sensible à la beauté qui nous entoure...

7 CLÉS POUR PRÉVENIR LA DÉPRESSION

3 ÊTRE EN PLEINE CONSCIENCE

La troisième stratégie consiste à cultiver les états de pleine conscience. Un mot à la mode, me direz-vous, mais que signifie-t-il? C’est être à l’opposé de l’insouciance: apprendre à être attentif nous permet de rester présents dans l’instant. La pleine conscience nécessite une qualité d’attention portée sur l’expérience en cours, sans filtre, sans jugement, sans attente. Les perceptions, les émotions, les phénomènes cognitifs doivent être observés avec soin, au lieu d’être évalués.

Pour y parvenir, il importe de se déshabituer de notre manie à toujours juger, contrôler ou orienter nos expériences de l’instant présent. En d’autres termes, la pleine conscience serait « l’observation sans jugement du flot continu des stimuli internes et externes tels qu’ils surgissent ». La pratique de la pleine conscience nous amène à nous rendre compte qu’il est rare d’être entièrement absorbé par une activité dans laquelle on est engagé, que ce soit conduire une voiture ou prendre un repas. On est au contraire toujours en train de penser à autre chose, et on se livre à plusieurs occupations en même temps.

La pratique de la pleine conscience repose sur deux composantes: l’autorégulation de l’attention et l’orientation vers l’expérience. Elle implique également trois capacités attentionnelles: l’attention soutenue – la capacité à maintenir son attention pendant une longue période sur un aspect particulier de l’expérience, par exemple la respiration; la flexibilité – la capacité à changer son focus attentionnel d’un objet à un autre afin de pouvoir retourner à l’objet d’attention initial une fois qu’une pensée ou une image a été identifiée; l’inhibition des processus secondaires – la capacité à inhiber l’élaboration plus approfondie, c’est-à-dire secondaire, de pensées, d’images ou de sensations. Petit exercice pour bien comprendre: essayez par exemple de vous asseoir, de fermer les yeux et de ne songer, pendant plusieurs minutes, qu’à votre respiration, à l’air qui gonfle vos poumons en y pénétrant, puis qui ressort le long de votre trachée; et si l’aboiement d’un chien dans la rue vous détourne de votre respiration, reconcentrez-vous immédiatement sur elle sans vous soucier d’avoir interrompu momentanément l’exercice… C’est cela la pleine conscience.

4 DÉVELOPPER LA RÉSILIENCE

La quatrième stratégie pour éviter l’effondrement dépressif consiste à développer notre résilience, c’est-à-dire optimiser notre capacité à résister et à s’adapter aux défis que la vie nous lance. Une compétence que tout le monde peut mettre en œuvre, pour survivre et prospérer! Les personnes résilientes réalisent leur potentiel malgré – voire à cause de – l’adversité, et ont tendance à considérer les défis comme des opportunités de croissance et de renouvellement. Karen Reivich et Andrew Shatte, de l’université de Pennsylvanie aux États-Unis, identifient quatre usages que l’on peut faire de la résilience: pour surmonter les circonstances difficiles ou les conséquences négatives du passé; pour gérer le stress au quotidien; pour rebondir après une épreuve; et pour être capable de s’orienter vers de nouveaux objectifs et vers un plus fort sentiment d’estime de soi. Une telle dynamique permet de dépasser la tendance à l’évitement, qui nous incite souvent à esquiver les problèmes, à penser à autre chose sans que la situation ne s’améliore. La résilience se retrouve dans n’importe quelle stratégie qui aide à gérer les émotions ou à critiquer les pensées négatives. «Les sciences cognitives montrent que nos émotions, notre cerveau et notre corps sont intimement liés. Nous pouvons modifier nos sentiments en ajustant notre façon de penser ou de nous comporter», soulignent, en 2002, les chercheurs américains.

Par exemple, un simple exercice de respiration profonde (à nouveau!) peut vous permettre d’oxygéner plus efficacement votre corps et votre cerveau et, en conséquence, de modifier votre état émotionnel. Bon nombre de thérapeutes conseillent d’ailleurs de sortir se balader dans la nature ou simplement de changer d’environnement lorsqu’on se sent stressé. Même une simple action, comme ranger son bureau, crée parfois les conditions favorables permettant d’ajuster nos sentiments et de choisir la meilleure façon de réagir à une situation problématique, plutôt que de laisser nos émotions dicter un comportement mal adapté.

Les émotions positives améliorent nos ressources sociales. Plus nous partageons de rires et de bons sentiments avec la famille, les collègues et les amis, plus nous augmentons notre capacité à gérer les émotions négatives et à rebondir. Dites à un proche que vous l’aimez, souriez à un étranger… Ce sont d’excellents moyens de renforcer la résilience au quotidien. Apprenez à être plus intelligent avec vos émotions et avec celles des autres!

5 ÊTRE OPTIMISTE

Autre stratégie: le fait d’être optimiste; il s’agit là d’une tendance à attendre les meilleurs résultats possibles. Facile à dire! Mais cela s’apprend aussi. Et une telle dynamique permet d’envisager un plus grand nombre de solutions et de stratégies, car l’optimiste est persuadé qu’elles fonctionneront. Ce qui permet de rester motivé. L’objectif n’est pas de regarder ce qui nous entoure au travers d’un filtre rose, mais de bien prendre conscience des écueils qui parsèment la route afin de se frayer un

COMMENT DEVENIR OPTIMISTE!

C’est presque une évidence : le fait de penser « positif », d’être optimiste, aide à surmonter les difficultés et rend donc plus heureux. Bonne nouvelle : tout le monde peut devenir plus optimiste. Pour ce faire, la « fiche de Beck » ci-dessous, inventée par le psychiatre américain Aaron Beck (1921-2021), va vous aider à mettre en évidence vos pensées pessimistes dysfonctionnelles afin de mieux les analyser. Ce formulaire comporte cinq colonnes, que vous remplissez de gauche à droite.

Situations Émotions

Spécifier

Tristesse

Colère

Anxiété

Pensées automatiques

La pensée automatique qui a conduit à l’émotion

Réponses rationnelles

La pensée rationnelle qui répond à la pensée automatique

Résultats

Ré-évaluation de la croyance dans la pensée automatique

Tristesse

Colère

Anxiété

Spécifier de nouvelles émotions éventuelles

Évaluer l’intensité globale de l’émotion Niveau de croyance dans cette pensée automatique Niveau de croyance dans cette pensée rationnelle Évaluer l’intensité globale de l’émotion après analyse

Situations : vous y décrivez rapidement l’événement ou la situation qui déclenche une contrariété. Vous n’y inscrivez aucune émotion, ni aucune pensée, mais uniquement des faits (par exemple : « J’ai laissé un message téléphonique à mon amie et elle ne m’a pas rappelé(e) »).

Émotions : vous y décrivez et vous évaluez le plus précisément possible les émotions ressenties (pour chaque situation), et vous les cotez en pourcentage de 0 à 100. L’émotion globale vécue est à décomposer en termes de tristesse, colère et anxiété, qui sont souvent les trois principales composantes d’une humeur pessimiste. Vous pouvez éventuellement en ajouter d’autres (frustration, dégoût…).

Pensées automatiques : c’est la liste de toutes les pensées pessimistes liées à la situation qui passent par la tête et qui rendent malheureux, anxieux ou en colère. Vous indiquerez le niveau de croyance pour chacune de ces pensées automatiques (là encore, en pourcentage, de 0 à 100).

Réponses rationnelles ou pensées alternatives : il s’agit ici de prendre du recul par rapport aux pensées de la colonne précédente, et de les analyser, en mettant en évidence les pensées pessimistes dysfonctionnelles exactement comme cela a été décrit précédemment. L’objectif est alors de faire la liste des réponses rationnelles face à l’événement ou la situation problématique de départ. Vous indiquerez par ailleurs le niveau de croyance (en pourcentage) en ces réponses rationnelles.

Résultats : après avoir inscrit les pensées automatiques et les réponses rationnelles qui s’y rapportent, vous évaluez à nouveau les émotions pessimistes ressenties en termes de tristesse, d’anxiété et de colère. Vous indiquez également l’intensité globale de l’émotion après analyse, que vous pouvez, bien sûr, comparer avec l’intensité globale de l’émotion avant l’analyse (deuxième colonne).

Certes, la fiche de Beck n’est pas un outil qui fait disparaître toutes les contrariétés de la vie. En revanche, elle permet de rationaliser l’approche que vous pouvez en avoir… Très souvent, cette technique conduit à une nette amélioration de l’humeur par rapport à une situation donnée.

7 CLÉS POUR PRÉVENIR LA DÉPRESSION

La vie plaisante

C’est avoir: le plus d’émotions et le plus de plaisir possible; la capacité de les amplifier. Comment faire? En: augmentant sa capacité de pleine conscience pour apprécier les moments plaisants; montrant de la gratitude aux autres; faisant preuve d’altruisme.

La vie d’engagement

C’est être pleinement absorbé et engagé dans différents domaines de vie (famille, travail, couple, loisirs…). Comment faire? En: identifiant ses forces et ses ressources personnelles; en s’engageant dans des activités de défis et de challenges.

La vie pleine de sens

C’est: vivre au quotidien selon ses valeurs; s’engager dans des objectifs permettant de se dépasser. Comment faire? En redéfinissant ses valeurs et en s’engageant dans des actions variées qui y répondent de différentes façons.

chemin à travers eux. Il s’agit d’un vécu spécifique du quotidien, sachant que celui-ci est constamment influencé par la façon dont on se sent et qu’il peut donc changer d’un instant à l’autre.

Pour bien comprendre, considérons l’optimisme et le pessimisme comme les deux extrémités d’un spectre. Si, aujourd’hui, vous vous sentez triste et inquiet, vous développerez un style interprétatif plutôt pessimiste; si, demain, vous vous sentez heureux et détendu, vous envisagerez la même situation avec un style interprétatif plus optimiste.

Lorsqu’un problème survient, l’optimiste pense qu’il n’est pas fautif et que les circonstances environnementales ont pu jouer un rôle; la situation est passagère et changeante, et le problème n’affectera pas toute son existence. À l’inverse, les échecs et les frustrations répétés sont parfois à l’origine d’une pensée pessimiste récurrente qui se transforme peu à peu en croyance qui, ellemême, influence les réactions et le comportement du sujet. L’objectif est alors de briser le cycle vicieux en orientant différemment ses cognitions et en se concentrant sur autre chose.

Un simple rappel visuel, dans son lieu de vie, aide à acquérir une attitude optimiste : par exemple, pour se souvenir de sourire davantage, il est possible de coller un pense-bête sur le miroir de la salle de bains ou de porter un bracelet qui, lorsqu’on pose les yeux dessus, nous rappelle notre engagement dans ce comportement positif. Et si l’on veut réaliser un travail psychologique plus élaboré, on formalise les choses en travaillant sur la «fiche de Beck» : il s’agit d’une technique très simple, inventée par le psychiatre américain Aaron Beck (1921-2021), pour aider le sujet à mettre en évidence clairement ses pensées pessimistes dysfonctionnelles afin de mieux les analyser. Je vous invite à faire l’expérience (voir l’encadré page 39), car il s’agit d’un outil qui permet d’avoir une approche plus rationnelle et moins stérile des problèmes…

6 PRATIQUER LA GRATITUDE

La sixième stratégie pour éviter de sombrer dans la dépression coule presque de source: c’est pratiquer la gratitude, à savoir être reconnaissant. Le fait de donner de soi après avoir reçu nous aide à résister au stress, mais aussi à prendre conscience que nous avons besoin des autres pour exister.

La gratitude est bienfaisante quand elle est exprimée en toute conscience, après être passée par deux étapes : tout d’abord, la constatation du bien reçu – qu’il soit matériel (cadeau) ou immatériel (soutien moral, présence) – et de son coût (l’effort qu’il a demandé) ; ensuite, la reconnaissance du fait que la source de ce bienfait se trouve en dehors de soi – que la source soit une autre personne, mais aussi la vie elle-même. Ainsi, la gratitude nous aide à diriger notre attention vers les choses heureuses de la vie et à la détourner de ce qui nous manque. Non que celle-ci anéantisse nos sentiments négatifs, elle nous incite plutôt à développer des émotions positives en nous concentrant sur notre chance. L’objectif est de passer de l’âpreté – « je veux ça » – à la gratitude – « je suis heureux de ce que j’ai ». Cela permet de nous décentrer : une attitude qui non seulement nous soulage de la pression que nous nous mettons à force d’attention à nousmêmes, mais qui nous fait également entrer dans

Trois « types de vie », définis par la psychologie positive, permettent d’éviter de sombrer dans la dépression.

une relation chaleureuse au monde et aux autres. En effet, il n’existe jamais de « retour décroissant » de gratitude. Remercier les autres nous rend plus tolérants envers les différences, créant un sentiment de fraternité et d’appartenance.

D’ailleurs, la gratitude est indissociable de la psychologie positive: lorsqu’on apprécie une chose, sa valeur augmente et on est alors en mesure de comprendre qu’elle vaut la peine qu’on se donne du mal pour l’obtenir. Sheldon et Lyubomirsky constatent, par exemple, que lorsqu’un individu pratiquant la gratitude bénéficie d’un changement de vie agréable, il est plus susceptible d’apprécier l’expérience et de se sentir heureux de la vivre. La prise en compte des événements existentiels positifs – une nouvelle romance, un poste de rêve ou une santé retrouvée – contrecarre la tendance naturelle de l’homme à s’adapter à son environnement et à se contenter d’un niveau de bien-être médiocre. Ainsi, plutôt que de tenir pour acquis des événements heureux et des succès plaisants, le fait de continuer à nous rappeler les raisons pour lesquelles ils nous ont rendus plus heureux nous satisfait plus longtemps…

LE JOURNAL DE GRATITUDE : UN ANTIDOTE CONTRE LA DÉPRESSION ?

Voilà pourquoi la gratitude est l’un des antidotes les plus puissants contre les émotions négatives et l’effondrement dépressif. Plusieurs études scientifiques ont révélé qu’en couchant régulièrement sur papier les événements dont on peut être reconnaissant, on améliore notablement notre humeur, nos capacités d’adaptation et même notre santé physique.

D’où l’intérêt de tenir un journal de gratitude: il s’agit d’un document personnel dans lequel on rapporte, par écrit, toutes les raisons qui suscitent en nous reconnaissance et bonheur. C’est donc un outil avec lequel on fait, au quotidien, un travail relaxant et plaisant. Et plusieurs études scientifiques ont montré que le simple fait d’écrire régulièrement de brèves réflexions sur les moments pour lesquels nous sommes reconnaissants augmente considérablement le bien-être et la satisfaction de la vie. Car le fait de tenir ce carnet et d’y consigner quelque chose quotidiennement prédispose notre esprit à refouler l’ingratitude. Cette routine affecte favorablement le mental et dirige les pensées vers le positif, au détriment du négatif.

Concrètement, au début, il va vous sembler difficile de savoir quoi écrire… Mais il n’y a pas de règle particulière pour tenir un journal de gratitude: on y note ce que l’on veut, par exemple, ce qui nous a fait sourire aujourd’hui, quelque chose qu’un être cher a fait pour nous, ce qui nous rend unique, Bibliographie

J. Palazzolo,

Ma bible des TCC (thérapies cognitives et comportementales), Leduc, 2021.

J. Palazzolo,

La Psychologie positive, PUF, Que sais-je, 2020.

C. Martin-Guehl

et J. Tignol, Quand la dépression commence et recommence: Prévenir la récidive dépressive, Odile Jacob, 2016.

S. Lyubomirsky et al.,

The benefits of frequent positive affect: Does happiness lead to success?, Psychological Bulletin, 2005.

P. A. Linley et S. Joseph,

The human capacity for growth through adversity, American Psychologist, 2005. un moment où on a pu aider quelqu’un d’autre, le nom de quelqu’un qui nous a permis de traverser une situation difficile ou qui a fait quelque chose d’agréable pour nous sans qu’on le lui demande… L’objectif est d’entraîner notre cerveau à prendre conscience des expériences positives que l’on vit, augmentant en cela nos aptitudes naturelles.

7 IDENTIFIER SES FORCES

Dernière stratégie démontrée efficace, par la psychologie positive, contre les idées noires : identifier ses forces. Lorsque nous utilisons nos forces de caractère, nos aptitudes propres, nous apprécions ce que nous faisons, nous le faisons mieux et nous prenons conscience de notre potentiel. Pour Alex Linley et Stephen Joseph, de l’université de Leicester en Angleterre, une force est « une capacité préexistante consistant en une manière particulière de se comporter, de réfléchir ou de ressentir, qui est authentique et énergisante pour l’utilisateur et permet un fonctionnement optimal, le développement et la performance ». Il est intéressant de les identifier, car elles constituent un gisement de performance et d’épanouissement personnel et professionnel.

La recherche dans ce domaine montre que lorsqu’un individu utilise ses forces de façon optimale, il se sent plus heureux et plus confiant en lui, moins stressé, plus résilient et plus engagé dans une dynamique de développement personnel. En combinant nos forces avec celles des autres et en les aidant à utiliser les leurs, il est possible de construire des relations durables à l’origine d’une meilleure collaboration et d’un travail d’équipe stimulant.

Or bon nombre de sujets ne connaissent pas leurs forces et ne savent pas comment les exploiter! Il est alors possible de les identifier de façon ludique à l’aide, par exemple, d’un jeu de cartes tel que proposé par l’enseignante française Laure Reynaud, la graphiste française Emmanuelle Pioli et la psychothérapeute française Ilona Boniwell. Puis rien que le fait de réfléchir à ses propres aptitudes, de déterminer s’il s’agit de forces ou de faiblesses, suffit à améliorer la confiance en soi.

Voilà donc résumées sept clés pour éviter la dépression, et surtout pour équilibrer correctement la balance de sa vie, avec, d’un côté, les contraintes et les difficultés, et, de l’autre, les trois «types de vie» que la psychologie positive définit et qui résument bien tout ce que nous venons d’aborder: la vie plaisante, la vie d’engagement et la vie pleine de sens (voir le tableau page ci-contre). Car en plus des plaisirs simples, la poursuite du sens et l’engagement (pour y parvenir) sont les meilleurs remparts contre la dépression… £

This article is from: