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LA QUESTION DU MOIS

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PATHOLOGIE

PATHOLOGIE

SCIENCES COGNITIVES

L’intelligence dépend-elle de la taille du cerveau ?

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LA RÉPONSE DE JAKOB PIETSCHNIG

Docteur en psychologie, il étudie les fondements biologiques de la pensée à l’université de Vienne, en Autriche.

«C’est une grosse tête ! » ou « Tu

as la bosse des maths ! » : de telles expressions populaires traduisent l’idée selon laquelle un gros cerveau serait associé à une intelligence supérieure…

Cette association entre la taille du cerveau et l’intelligence ne date pas d’hier et semble intuitivement plausible: plus l’organe de la pensée est volumineux, plus il offrirait d’espace pour les neurones, pour le traitement des informations et la mémorisation. Mais est-ce vrai?

DU CACHALOT À LA MUSARAIGNE

Tout n’est pas si simple, comme le montre une simple comparaison des cerveaux de différents vertébrés. Le cachalot a – de loin – le plus gros cerveau. Mais c’est parce que son corps est énorme, son cerveau étant donc proportionnel à sa taille et à son poids ! L’intelligence dépendrait-elle plutôt du rapport entre la masse cérébrale et la masse corporelle? Si c’était le cas, la musaraigne (un tout petit rongeur) remporterait le titre de surdoué, son encéphale étant, ramené à sa masse corporelle, le plus gros de tous les vertébrés…

En fait, d’une manière générale, la taille (relative) du cerveau des espèces animales ne révèle pas grand-chose sur leur intelligence ni sur leurs flexibilités mentale et comportementale. Pourquoi? Parce que tous les cerveaux ne se ressemblent pas : il existe, entre les diverses espèces, des différences de taille, de ramification et de densité des neurones – ce que l’on nomme la « substance grise cérébrale ». Ainsi, les neurones sous notre crâne sont bien plus «serrés» et occupent bien moins de place que ceux de nombreux cerveaux d’animaux, notre cortex présentant notamment de nombreux « replis », et nous disposons d’un réseau de prolongements neuronaux – que l’on appelle la « substance blanche » – bien plus dense.

NE PAS MÉLANGER LES TORCHONS ET LES SERVIETTES !

Toutefois, la taille du cerveau jouet-elle un rôle sur l’intelligence au sein d’une même espèce ? Une anecdote historique concernant le tombeau du poète allemand Friedrich von Schiller montre que l’on a longtemps considéré que cela coulait de source. Avant son inhumation dans le caveau princier du cimetière de Weimar, en Allemagne, Goethe, son ami poète, avait exigé que Schiller soit enterré à ses côtés. Mais comme ce dernier était mort jeune, on ignorait où, exactement, il avait été placé dans le caveau… À la suite de cela, plusieurs restes avaient été exhumés et on décida de placer le plus grand des crânes retrouvés à côté de celui de Goethe, supposant que l’esprit brillant de Schiller devait avoir besoin de beaucoup de place pour ses pensées et idées… Seulement voilà : on a effectué des analyses ADN dans les années 2000, et l’on sait maintenant qu’aucun des os du «cercueil de Schiller» ne provient réellement du poète – voilà pourquoi son tombeau est aujourd’hui vide… Un autre contre-exemple flagrant est celui de l’écrivain Anatole France, Prix Nobel de littérature, mais doté d’un minuscule cerveau pesant tout juste 1 kilogramme – contre environ 1,350 kilogramme pour la moyenne de la population…

Sur 4 points de différence de QI entre deux personnes, un point serait dû à la différence de taille entre leurs deux cerveaux

Néanmoins, la thèse d’un grand cerveau qui serait plus intelligent n’est pas totalement fausse. Les premières études scientifiques sur le lien entre la taille du crâne et les capacités cognitives ont été menées au début du XXe siècle. La majorité de ces travaux ont alors révélé une association positive. Mais ces premières mesures étaient encore très imprécises. Le développement des méthodes d’imagerie cérébrale, comme l’imagerie par résonance magnétique (IRM), changea la donne à partir des années 1970, permettant de déterminer avec précision le volume du cerveau de personnes vivantes, les chercheurs ne tenant pas compte des dimensions du corps et considérant alors le volume absolu. Dès lors, on a réussi à montrer que la taille du cerveau explique en partie des différences d’intelligence.

UN POINT DE QI EN PLUS…

Ainsi, certaines études ont révélé qu’en cas de différence de QI (quotient intellectuel) de quatre points entre deux personnes [la moyenne de la population française étant située à 98 selon les dernières études, ndlr], l’un de ces points serait uniquement dû à la différence de taille de leur cerveau. Ce qui n’est pas négligeable ! Depuis, de nombreux autres travaux de recherche ont été publiés sur le sujet. Ils révèlent essentiellement deux faits importants : d’abord, qu’il existe bien une corrélation positive entre la taille du cerveau humain et l’intelligence, mais que celle-ci est – au mieux – modérée et n’explique qu’un point de différence de QI sur vingt entre deux individus.

LA CONNECTIVITÉ NEURONALE, UNE DONNÉE ESSENTIELLE

En conséquence, le volume de notre organe de la pensée ne doit en aucun cas être considéré comme le seul facteur déterminant l’intelligence. Il s’agit seulement de l’un des nombreux paramètres qui constituent les fondements biologiques de nos aptitudes cognitives. La qualité de la mise en réseau des neurones et l’intensité de la communication entre les différentes régions du cerveau – qui sont sous-tendues par la substance blanche cérébrale – se répercutent encore bien plus sur le QI que la simple taille du cerveau. Car plus les cellules grises sont câblées, plus elles travaillent ensemble, efficacement. £

Bibliographie

J. Pietschnig, Intelligenz – Wie klug sind wir wirklich?, Ecowin, 2021.

L. Willerman et al.,

In vivo brain size and intelligence, Intelligence, 1991.

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