Cerveau & Psycho n°115 - novemre 2019

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Cerveau & Psycho

N° 115 Novembre 2019

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LE GAZ HILARANT, UNE MENACE POUR LE CERVEAU DES JEUNES ?

Comment démasquer les

Test

MON CHEF EST-IL UN PSYCHOPATHE ? PAGE 48

PERSONNALITÉS

TOXIQUES NEUROSCIENCES LE THÉ BOOSTE LES NEURONES

COUPLE SE RELEVER APRÈS UNE TRAHISON CHATONS UN SCHÉMA D’ATTACHEMENT TRÈS HUMAIN ARACHNOPHOBIE POURQUOI AVONS-NOUS PEUR DES ARAIGNÉES ? D : 10 €, BEL : 8,5 €, CAN : 11,99 CAD, DOM/S : 8,5 €, LUX : 8,5 €, MAR : 90 MAD, TOM : 1 170 XPF, PORT. CONT. : 8,5 €, TUN : 7,8 TND, CH : 15 CHF


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LE MAG QUI T’ÉCLAIR

E

Création : Doc Levin / J. Triboul, L. Quetglas. Photo : L. Bonnefous

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N° 115

ÉDITORIAL

NOS CONTRIBUTEURS

p. 50-57

SÉBASTIEN BOHLER

Jean Decety

Professeur à l’université de Chicago, il étudie les mécanismes neurobiologiques et cognitifs des processus socioémotionnels impliqués dans la cognition sociale des enfants et des adultes, ainsi que les troubles socioaffectifs des psychopathes incarcérés.

p. 58-60

Benjamin Rohaut

Rédacteur en chef

Bolsonaro, on t’a reconnu !

Médecin dans l’unité de médecine intensive et de réanimation neurologique de l’hôpital de la Pitié-Salpêtière, Benjamin Rohaut informe sur les dangers du protoxyde d’azote, le gaz hilarant qui fait un tabac chez les jeunes.

p. 68-75

Lisa Letessier

Psychologue clinicienne et spécialiste des problèmes de couple, Lisa Letessier assiste de multiples personnes bouleversées par la découverte d’un mensonge grave ou d’une infidélité. Elle nous conseille sur la façon de réagir.

p. 82-87

Didier Pleux

Docteur en psychologie du développement, psychologue clinicien et directeur de l’Institut français de thérapie cognitive, à Caen, Didier Pleux tire la sonnette d’alarme : nous supportons de moins en moins de limiter nos désirs… Or la planète veut de la sobriété !

D

ans ce numéro sur les personnalités toxiques, on était obligés de parler du grand désherbant planétaire, du roundup universel, de celui qui mène tambour battant l’éradication du poumon amazonien et dit regretter Pinochet. Ce qu’il y a de bien avec la psychiatrie scientifique, c’est qu’elle vous permet de noter point par point les caractéristiques d’une personnalité toxique (page 48). Alors écoute, Bolsonaro : on t’a reconnu ! Bon, le glyphosate de la politique étant identifié, il n’y a plus qu’à le faire interdire. C’est pas gagné... Mais à nos plus humbles niveaux, les personnalités toxiques existent aussi. Probablement 1 % de la population. On parle ici de vrais psychopathes, de ceux qui vous démembrent une carrière, une existence et vous laminent la psyché sans même que vous vous en rendiez compte. Étonnante anatomie du mal, où l’on apprend que le sociopathe associé au narcissique donne le psychopathe, qui combiné au pervers sexuel donne le serial killer. On sait au moins à quoi s’attendre. Alors, réjouissons-nous plutôt de tout ce que l’homme nous réserve de beau et de bon. Par exemple, savez-vous que nous sommes devenus humains grâce à la coopération étroite de la main, de l’œil et de la pensée, découverte livrée par la « paléoneurologie » ? Faisons-en bon usage ! Et c’est bien cette pensée, logée tout à l’avant de notre front, qui forme les images mentales dans une région située à l’arrière et nous permet de créer, d’imaginer, de raisonner... Tout ce qui manque aux maîtres du monde, lesquels devraient lire Didier Pleux : ils apprendraient qu’on ne peut espérer régner sur un pays si on ne règne pas d’abord sur ses propres pulsions. Psychopathes, voilà une leçon à méditer. £

N° 115 - Novembre 2019


SOMMAIRE N° 115 NOVEMBRE 2019

p. 6

p. 16

p. 20

p. 32

COMMENT DÉMASQUER LES

DÉCOUVERTES p. 20 É VOLUTION

Le lobe qui nous a rendus humains

Un de nos lobes cérébraux a subi un développement accéléré au cours de notre évolution. Serait-il à l’origine de l’humanité moderne ? Emiliano Bruner

p. 26 CAS CLINIQUE

p. 16 FOCUS

L’étonnante expérience du portefeuille perdu

Une étude réalisée par des chercheurs suisses et français a montré que nous avons tendance à rapporter les portefeuilles perdus, surtout s’ils contiennent de l’argent ! Lydia Denworth

Dossier

p. 26

p. 6-30

p. 6 ACTUALITÉS Les petits chats veulent de l’amour ! Le nettoyage des souvenirs Cerveaux en boîte : des signes d’activité Comment garder un cerveau jeune  Facebook : du stress à l’addiction Un cerveau mieux connecté grâce à la culture G ? Faux souvenirs de « fake news » !

p. 32-57

LAURENT COHEN

Le visage surgi de nulle part

Monsieur J. ouvre sa fenêtre et voit flotter dans l’air, à trois étages du sol, le visage d’un de ses collègues ! On lui trouve une bizarre anomalie au cerveau…

PERSONNALITÉS

TOXIQUES p. 34 P SYCHIATRIE

QUI SONT LES PERSONNES TOXIQUES ?

Manipulateurs, séducteurs, sans scrupules… Ils vous détruisent sans que vous le sachiez. Décryptez leur monde mental. Grégory Michel

p. 42 I NTERVIEW

FUYEZ LES INDIVIDUS DÉLÉTÈRES ! Thierry H. Pham

p. 48 T EST

REPÉRER UN TOXIQUE EN QUELQUES MINUTES

Ce questionnaire élaboré sur mesure permet de quantifier les cinq grandes facettes vénéneuses d’une personnalité. Grégory Michel

p. 50 N EUROSCIENCES

DANS LE CERVEAU DES PSYCHOPATHES

Pourquoi leur câblage cérébral les rend indifférents aux souffrances d’autrui.

Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, jeté en cahier intérieur de toute la diffusion kiosque et posé sur toute la diffusion abonné. En couverture : © Pictorial Press Ltd / Alamy Banque D’Images

Jean Decety

N° 115 - Novembre 2019

Portefeuille : © Shutterstock.com/granata68

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5

p. 94

p. 58

p. 62

p. 82

p. 88 p. 92

Ψ p. 58-67

p. 68-91

ÉCLAIRAGES

VIE QUOTIDIENNE LIVRES

p. 58 R ETOUR SUR L’ACTUALITÉ

p. 68 P SYCHOLOGIE

Pour s’amuser, de plus en plus de jeunes inhalent du protoxyde d’azote. Les effets sont parfois dramatiques pour leur cerveau.

Quand on découvre qu’on a été trompé, tout s’écroule. Est-ce la fin du couple ?

La mauvaise blague du gaz hilarant Benjamin Rohaut

p. 62 L ’ENVERS DU

DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

YVES-ALEXANDRE THALMANN

Psycho quantique : l’arnaque qui monte

Attention aux pseudo-coachs qui vous font croire n’importe quoi en associant le mot « quantique » à la psychologie. C’est de l’arnaque format XXL !  p. 66 S EXUALITÉ

Les gènes nous rendent-ils homosexuels ?

La plus grande étude jamais réalisée sur la génétique de l’homosexualité fait la part du rôle des gènes sur l’orientation sexuelle. Jacques Balthazart

p. 92-98

Mensonges et trahison : comment tourner la page Lisa Letessier

p. 76 L ’ÉCOLE DES CERVEAUX

Des images mentales pour mieux penser

Comment aider les enfants à imaginer, ce qui est indispensable à leur raisonnement. Jean-Philippe Lachaux

p. 92 S ÉLECTION DE LIVRES Cogito La Révolution des plantes Ne laissez pas votre vie se terminer avant même de l’avoir commencée Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse Singe toi-même Demain j’étais folle p. 94 N EUROSCIENCES ET LITTÉRATURE SEBASTIAN DIEGUEZ

Éclosion, Infestation, Comment reconnaître Destruction : pourquoi un début de démence ? avons-nous si peur Ralf Ihl des araignées ? p. 80 L A QUESTION DU MOIS

p. 82 P SYCHOLOGIE

Savoir s’empêcher, une piste pour sauver le monde ?

Devant l’épuisement des ressources, nous devons apprendre à limiter nos désirs. Didier Pleux

p. 88 L ES CLÉS DU COMPORTEMENT

L’effet tasse de thé

Mémoire, concentration, humeur : le thé serait le meilleur ami de notre cerveau. Natasha Gilbert N° 115 - Novembre 2019

Effrayante histoire d’araignées mangeuses d’hommes, cette trilogie littéraire titille notre fibre arachnophobe, une ancestrale terreur.


DÉCOUVERTES

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p. 16 L’étonnante expérience du portefeuille perdu p. 20 Le lobe qui nous a rendus humains p. 26 Le visage surgi de nulle part

Actualités Par la rédaction PSYCHOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT

Les petits chats veulent de l’amour !

Non, les chats ne sont pas seulement des êtres « indépendants ». Ils veulent de l’amour et de la protection. Une étude vient de faire le parallèle entre leur mode d’attachement et celui des bébés. K. Vitale et al. : Attachment Bonds Between Domestic Cats and Humans, Current Biology, à paraître.

T © Shutterstock.com/Lario

remblement de terre au royaume des matous. Le stéréotype du chat hautain, indépendant, voire exploiteur qui se frotte aux jambes de son maître uniquement pour avoir à manger, se fissure de toutes parts ! La cause ? Une étude inspirée des travaux célèbres du psychiatre John Bowlby, lequel mit en évidence les schémas d’attachement des petits humains à leur mère, voici soixantedix ans. LA THÉORIE DE L’ATTACHEMENT APPLIQUÉE AUX CHATS Bowlby et ses successeurs (notamment la psychologue américaine Mary Ainsworth) révolutionnèrent notre vision de l’éducation en montrant que la tendresse et la qualité du lien entre parents et enfants avaient un impact direct sur la construction psychique de ces derniers et les protégeaient même contre des troubles mentaux. Trois types d’attachement se dégagèrent de leurs études :

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MÉMOIRE RETROUVEZ LA PAGE FACEBOOK DE CERVEAU & PSYCHO

Le nettoyage des souvenirs S. Izawa et al., Science, le 20 septembre 2019.

UN BESOIN DE SÉCURITÉ Les trois types d’attachement peuvent être observés dans un dispositif expérimental imaginé par Mary Ainsworth : un enfant et sa mère sont placés dans une pièce, puis la mère s’en va. Alors que l’enfant sécure pleure brièvement le départ de sa

maman puis s’en accommode avant de lui faire la fête à son retour, l’enfant insécure ne présente aucune marque de tristesse au départ, ni de joie au retour ; quant à l’évitant, il est profondément angoissé par la séparation, mais pas entièrement rassuré par les retrouvailles. Ces trois styles d’attachement ont été observés par l’éthologue Kirstyn Vitale et ses collègues de l’université d’État de l’Oregon, chez des chatons et des chats adultes, dans leur relation avec leur maître. Tout comme les bébés, certains chats acceptent sans trop de difficulté le départ de leur maître, et lui font la fête lorsqu’il revient ; d’autres restent indifférents aussi bien au départ qu’au retour du maître, et les derniers manifestent des réactions de stress lorsque le maître s’en va, et ne sont pas rassurés lorsqu’il revient. Or la proportion de chats sécures est la même que celle des enfants humains : environ 65 %. En outre, le style d’attachement acquis au plus jeune âge perdure à l’âge adulte, comme chez l’être humain. Pourquoi observe-t-on les mêmes schémas d’attachement entre chats et maîtres qu’entre parents et enfants ? On sait qu’un humain sécure a tendance à transmettre son style d’attachement à ses enfants. Peutêtre le fait-il aussi tout simplement avec son chat. £ Sébastien Bohler

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i vous deviez retenir tout ce que vous vivez chaque jour – le moindre événement, la plus petite pensée, le plus fugace échange –, votre cerveau serait vite saturé. Heureusement, il dispose de plusieurs moyens pour l’éviter. Une équipe américano-japonaise menée par Akihiro Yamanaka, de l’université de Nagoya, a identifié un groupe de neurones qui fait chaque nuit le ménage dans votre mémoire. Ces neurones, dits MCH, se situent dans l’hypothalamus, une aire cérébrale profonde. Lors des expériences, les chercheurs les ont artificiellement activés ou inhibés chez des souris endormies, après qu’elles eurent examiné des objets placés dans leur cage. Or l’activation des neurones MCH a envoyé ces objets aux oubliettes : après leur somme, les rongeurs les reniflaient ou les touchaient comme s’ils ne les avaient jamais vus. Lorsque les neurones MCH avaient été inhibés, en revanche, les souris se souvenaient des objets – elles s’y intéressaient moins qu’à d’autres, nouveaux, introduits dans leur cage. Ce n’était toutefois vrai que si les manipulations avaient eu lieu lors d’une phase qualifiée de sommeil paradoxal : c’est donc à ce moment que se déroule le grand nettoyage des souvenirs. Une expérience complémentaire a révélé que les neurones MCH agissent en inhibant ceux de l’hippocampe, un centre cérébral de la mémoire, auquel ils sont étroitement connectés. Ils empêcheraient alors cette zone d’ancrer durablement dans le cerveau les informations qui ne méritent pas d’être retenues. £ Guillaume Jacquemont

© Shutterstock.com/Andrey_Popov

l’attachement sécure, l’évitant et l’ambivalent. L’attachement sécure se construit lorsque l’enfant se sent soutenu et consolé par ses parents lorsqu’il en a besoin. Son monde émotionnel fait sens : s’il a faim ou s’il souffre, il est autorisé à exprimer ces émotions et trouve de l’aide et du réconfort chez ceux qui l’aiment. Parti sur ces bonnes bases affectives, il s’épanouit dès lors : la confiance en l’autre est possible, la parole aborde librement le terrain de l’affect et il trouve la bonne distance à ses semblables. L’enfant de type évitant est très différent : n’ayant jamais pu se fier à des parents au cours des premiers mois de sa vie, il a étouffé ses émotions et s’est interdit de les exprimer. Il n’a pas pu bâtir de confiance en autrui, s’est muré dans la méfiance et a même renoncé à chercher de l’affection. Enfin, le profil ambivalent hésite entre attachement et méfiance : il cherche les signes d’affection mais reste inquiet même quand il les obtient.


DÉCOUVERTES A ctualités

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CELLULES SOUCHES

Cerveaux en boîte : des signes d’activité . A. Trujillo et al., Cell Stem C Cell, vol. 25, pp. 1-12, 2019.

es organoïdes sont des sortes de tout petits cerveaux que l’on fait pousser en culture, à partir de cellules souches humaines dites pluripotentes. Placées dans un milieu qui reproduit les conditions dans lesquelles se développe le cerveau, ces cellules se différencient et forment des neurones qui s’autoorganisent et forment une version réduite et simplifiée d’un cortex humain. Alors que des travaux antérieurs avaient engendré des minicerveaux dépourvus d’activité électrique, l’équipe d’Alysson Muotri a perfectionné la technique et suivi pendant dix mois des centaines d’organoïdes… Les chercheurs ont d’abord montré que les organoïdes présentaient les mêmes types de cellules et dans les mêmes proportions que des cerveaux humains au même stade de développement. Ils ont aussi mesuré l’activité électrique des organoïdes en utilisant de multiples électrodes organisées en réseau. En quelques mois, les minicerveaux ont produit des motifs électriques chaotiques que l’on observe également dans le cerveau immature de bébés nés prématurément. Ces signaux sont ensuite devenus plus réguliers et plus riches en termes

Obésité : problèmes d’attention ?

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es enfants ayant un trouble de l’attention avec hyperactivité sont plus vulnérables au surpoids et à l’obésité, ont révélé des études épidémiologiques. Mais pourquoi ? La raison a peut-être été découverte. Contrôler ses impulsions face à la nourriture suppose une faculté de concentration et d’attention

de fréquences. Une transition qui suggère que les minicerveaux continuent de se développer en augmentant le nombre de leurs connexions neuronales. Les chercheurs ont ensuite mis au point un algorithme d’apprentissage profond pour étudier la croissance des minicerveaux. Ils ont utilisé, en guise de référence, l’enregistrement des ondes cérébrales de 39 bébés nés six à neuf mois après la conception. En analysant les signaux des organoïdes à différents stades de leur développement, l’algorithme était en mesure de prédire le niveau de maturité des minicerveaux. Cela confirme que ceux-ci partagent avec les cerveaux humains des stades d’évolution comparables. Les organoïdes seraient donc des modèles très intéressants pour étudier le développement du cerveau, mais aussi des pathologies telles que la maladie d’Alzheimer, les épilepsies ou l’autisme, ou encore pour tester des médicaments. £ Sean Bailly

soutenue. Les enfants ayant un trouble de l’attention sont par conséquent moins aptes à se retenir dans des tests du type « marshmallow », et se jettent sur les chips et autres friandises. Pour la santé des petits, évitons ce qui fragilise leurs capacités attentionnelles, comme un excès d’écrans, de vidéos, de stress ainsi qu’une mauvaise hygiène de sommeil. À l’inverse, la pratique de la méditation ou de la lecture aident à restaurer cette fonction centrale. £ S. B.

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860 VOLTS

C’est la décharge électrique qu’une anguille Electrophorus voltai est capable d’envoyer. Source : C. D. de Santana et al., Nature communication, 10/09/2019

© Muotri Lab/UCTV

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ENTRAÎNEMENT CÉRÉBRAL

La tolérance à la frustration, clé de la réussite

Comment garder un cerveau jeune J. Krell-Roesch et al., Neurology, vol. 93, e548-e558, août 2019.

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ucun enfant n’aime être obligé de faire ses devoirs avant d’aller jouer à la playstation. Les parents qui hésitent à « forcer » leur progéniture devraient lire cela : il est désormais prouvé, grâce aux travaux originaux de Peter Meindl et ses collègues de l’université de Pennsylvanie, que la capacité à endurer ces moments de frustration prédit le succès scolaire, académique et professionnel des enfants lorsqu’ils grandissent. Vous pouvez vous-même tester la tolérance à la frustration de vos enfants (et la vôtre !) en leur imposant un travail rébarbatif suivi d’un temps d’attente plus ou moins long avant une récompense. En augmentant progressivement le délai, on muscle la tolérance à la frustration. Et on prépare son enfant aux succès futurs. À pratiquer avec modération ! £ S. B.

Salariés sans bureau fixe

© Shutterstock.com/ Visual Generation

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’est une des nouvelles organisations du travail qui font florès : l’espace de bureaux communs, ou open space dynamique, où chacun peut choisir son emplacement en fonction des disponibilités. On trouve un coin de canapé, une table basse, on pose son laptop et c’est parti… Évidemment, cela permet de faire de substantielles économies de loyer, mais pour les salariés, le bénéfice est beaucoup moins certain. Témoin, cette étude de l’université de Turku, en Finlande, qui révèle que chez les salariés venus de bureaux traditionnels et ayant emménagé dans de tels locaux, la communication et le sens d’appartenance au sein des équipes est en chute libre, trois mois, puis douze mois après… Modularité, mobilité et adaptabilité ne riment pas toujours avec félicité. £ S. B.

O

ù ai-je posé mes clés ? Il n’y a pas de miracle : avec l’âge, nos aptitudes cognitives et mentales, notamment la mémoire et le raisonnement, diminuent, au point que nous nous demandons parfois si nous ne développons pas « un Alzheimer ». Est-il possible de freiner ce déclin cognitif lié à l’âge ? Oui, selon Janina Krell-Roesch, de la clinique Mayo, dans l’Arizona, et ses collègues ; toutes les activités mentalement stimulantes sont bénéfiques. Les chercheurs ont analysé les données d’une cohorte de 2 000 personnes âgées de plus de 70 ans, en bonne santé et n’ayant pas de troubles cognitifs. Ils les ont interrogées sur leur pratique, depuis leurs 50 ans, de 5 activités stimulantes mentalement – la lecture, l’utilisation d’un ordinateur, les sorties sociales, les jeux en tout genre, les activités manuelles. Les sujets passaient des tests cognitifs tous les 15 mois et ont été suivis pendant 5 ans environ. Sur la période de l’étude, 532 participants ont développé un déficit cognitif léger (qui précède souvent la survenue de maladies invalidantes, comme la maladie d’Alzheimer).

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Les résultats révèlent que toute activité stimulante ralentit le déclin cognitif lié à l’âge, et que plus on en fait, moins le cerveau vieillit. Entre 50 et 65 ans, l’utilisation de l’ordinateur diminue de 48 % le risque de déclin. Après 66 ans, la protection est de 30 %. Aller au cinéma, sortir avec des amis et pratiquer différents jeux de société ou de cartes sont associés à une diminution du risque de 20 %, alors que les activités manuelles n’ont un effet qu’après une longue pratique. Mais il est alors de 42 % ! Quant à la lecture, elle diminue le risque de 17 %. En outre, les participants engagés dans 2 activités ont 28 % de risques en moins de développer un déficit cognitif léger par rapport à ceux qui ne font rien. Pour 3 activités, le bénéfice atteint 45 %. Vous pouvez cumuler 4 activités (56 % de réduction du risque). Mais inutile de vous surcharger (vous retomberez alors à 43 %). Il est vrai que les réseaux de neurones se renouvellent moins avec le vieillissement. Mais plus nous faisons « fonctionner » les différentes zones cérébrales, en diversifiant les activités, plus nous permettons à notre cerveau de rester jeune longtemps. £ Bénédicte Salthun-Lassalle


DÉCOUVERTES A ctualités

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PSYCHOLOGIE COMPORTEMENTALE

Facebook : du stress à l’addiction M. Tarafdar et al., Wiley Online Library, le 27 août 2019.

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acebook m’épuise. Hier, j’étais dans le car pour quelques heures. Alors j’ai pensé : “Oh, je vais regarder Facebook quelques minutes.” Deux heures plus tard, je suis sorti pour prendre l’air… Je me suis rendu compte que j’avais donné des conseils à un ami, père célibataire, qui avait rédigé un post pour demander ce qu’il devait cuisiner à sa fille adolescente, qui déteste apparemment manger ; puis j’ai posté un selfie ; discuté avec passion sur un tchat autour du Brexit ; joué à Candy Crush Saga – car une amie voulait y jouer ; et enfin regardé des photos d’amis en vacances. En un rien de temps, j’avais passé deux heures sur Facebook ! » Voilà comment Monideepa Tarafdar, de l’université de Lancaster, et ses collègues débutent leur publication scientifique, dont l’hypothèse de recherche est simple : comment le stress associé à l’utilisation d’un réseau social rend-il « addict » à ce même réseau ? Pour le déterminer, les chercheurs ont récolté, auprès de 444 personnes âgées en moyenne de 35 ans, les données d’utilisation de Facebook à trois périodes distinctes, espacées de 6 semaines. Lors de la première analyse, ils ont identifié différents « technostress » : l’envahissement de la vie personnelle, l’influence des amis, les demandes exagérées de contacts et de réactions à des posts, le flux important d’informations, ainsi que les mises à jour permanentes des plateformes.

A

Alors les utilisateurs réagissaient par deux formes de « distraction » (mesurées lors de la deuxième analyse) ; soit ils basculaient à une autre fonctionnalité de Facebook, passant de la lecture d’informations au visionnage de vidéos ou à l’envoi de messages instantanés ; soit ils quittaient le réseau social pour faire autre chose. Déjà, contrairement à ce que l’on croyait, les chercheurs ont constaté que plus les internautes étaient stressés par la plateforme, plus ils y passaient du temps, en changeant de fonctionnalités, mais toujours en restant sur le même réseau social. Puis, à la troisième période d’analyse, ils ont montré que cette distraction « dans le même réseau » augmentait le risque de devenir dépendant, alors que ce n’était pas le cas quand les participants quittaient Facebook. Ainsi, stressé par la pratique d’un réseau social, on tente de se « distraire » en faisant autre chose sur le même réseau… Mais on ne s’arrête jamais. La « distraction » proposée par les réseaux sociaux aux multiples fonctionnalités est sans doute l’une des raisons de leur succès. £ B. S.-L.

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u sein d’une même classe, les plus jeunes ont souvent presque un an de différence avec les plus âgés et risquent davantage de développer une dépression. C’est la conclusion d’une étude menée par le chercheur britannique Adrian Root et ses collègues, qui ont examiné les données d’une cohorte de plus d’un million d’enfants de 4 à 16 ans. Leur humeur sombre viendrait notamment de moins bons résultats scolaires et d’une plus grande difficulté à se faire des amis. Les chercheurs préconisent alors de leur accorder une attention particulière. Par exemple en évaluant très tôt leurs capacités, afin d’examiner s’il serait plus pertinent de retarder d’un an leur entrée à l’école, ou en informant leur entourage de cette vulnérabilité. £ G. J.

Le yoga, c’est bon pour la planète !

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es efforts que les humains sont prêts à faire pour réduire leur empreinte carbone et préserver l’avenir de la planète sont souvent limités par le sentiment que chacun œuvre seul dans son coin et que les effets de son action sont dérisoires. Une façon de surmonter ce problème serait de développer ce qu’on appelle une « identité globale », c’est-à-dire le sentiment de faire partie d’une seule et même communauté avec les autres êtres humains. Or d’après une étude de l’université de Landau, en Allemagne, la pratique du yoga et de la méditation favorise le développement d’une telle identité, ce qui en retour se traduit par un engagement plus poussé dans les comportements proenvironnementaux et davantage de soutien aux politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre. £ S. B.

© Shutterstock.com/DanieleGay

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Les plus jeunes de la classe sont plus vulnérables


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NEUROSCIENCES

Pourquoi les ados prennentils des risques ? C. Constantinidis et B. Luna, Trends in Neurosciences, le 20 août 2019.

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© Shutterstock.com/BlackDorianstock

remière cigarette à 14 ans, première ivresse et premier joint à 15 ans… Ce ne sont que quelques exemples, et pas les pires, des risques quotidiens auxquels s’exposent les jeunes. D’où vient cette impulsivité ? D’un cerveau en partie immature, savait-on… Mais aujourd’hui, les psychologues américains Christos Constantinidis et Beatriz Luna viennent d’identifier ce qui n’est pas en place dans le cerveau des adolescents : leurs systèmes inhibiteurs ne sont pas assez développés. Prendre des décisions raisonnées ou agir correctement n’est pas si aisé que cela en a l’air ; il faut savoir inhiber certaines pensées ou comportements pour réagir de la meilleure des façons. Les chercheurs ont soumis des adolescents à une tâche qui nécessite de bloquer une réaction réflexe pour répondre correctement à leur demande : les jeunes devaient inhiber une saccade réflexe de leurs yeux, qui se déclenche lors de l’apparition d’un stimulus, pour, au contraire, les tourner dans la direction opposée. Et ce, pendant qu’on enregistrait leur activité cérébrale. Résultat : les circuits neuronaux nécessaires au contrôle inhibiteur sont déjà en place chez les adolescents ; il s’agit des réseaux reliant le cortex préfrontal (impliqué dans le

40 % de réduction des maux de tête liés au stress chez des adolescentes, grâce à des séances d’art-thérapie et de méditation. Source : E. Björling et al., Art Therapy, 22/05/2019

raisonnement et la planification) à des régions sous-corticales et au cortex cingulaire antérieur (davantage liés aux affects et aux émotions). Mais ils ne sont pas matures, en ce sens que les connexions entre les différentes aires ne sont pas toutes fonctionnelles : la gaine de myéline conductrice qui forme la substance blanche cérébrale et entoure les prolongements des neurones, pour faciliter la transmission des informations, n’est pas encore terminée. D’où des connexions inhibitrices du cortex préfrontal moins efficaces, notamment celles qui bloquent la réaction réflexe pour faciliter la réaction voulue. L’adolescence est caractérisée par une augmentation des comportements impulsifs, plus ou moins dangereux, qui provoquent des sensations fortes. Ce manque de maîtrise de soi est dû à l’immaturité des systèmes inhibiteurs cérébraux, qui deviennent fonctionnels à l’âge adulte, et au fait que les adolescents sont soumis à de multiples sollicitations… £ B. S.-L.

Parents âgés, enfants plus sages

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ans les pays de l’OCDE, nous avons des enfants de plus en plus tard. Si cela augmente le risque de certaines pathologies mentales, tout n’est pas négatif pour autant, comme l’a découvert l’équipe de Dorret Boomsma, à l’université d’Utrecht. En examinant le cas de plus de 30 000 enfants de 10 à 12 ans,

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les chercheurs ont montré que plus leurs parents étaient âgés, moins ils avaient de problèmes de comportement (comme la tendance à se montrer agressif). Ce résultat s’expliquerait notamment par le niveau socioéconomique supérieur des parents âgés et leurs habitudes plus saines (ils fument par exemple moins pendant la grossesse). Autre bonne nouvelle pour ceux qui procréent tardivement : aucun lien n’a été trouvé entre l’âge des parents et la dépression ou l’anxiété des enfants. £ G. J.


DÉCOUVERTES A ctualités

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COGNITION

Un cerveau mieux connecté grâce à la culture G ? E. Genç et al., European Journal of Personality, 28 juillet 2019. C. André, Cerveau&Psycho, n° 76, 2016.

t si, à chaque partie de Trivial Pursuit, votre cerveau se connectait un peu plus ? Erhan Genç, de l’université Bochum, en Allemagne, et ses collègues ont en tout cas montré qu’un haut niveau de culture générale était associé à une meilleure connectivité cérébrale. Les chercheurs ont fait passer un test de culture générale à plus de 300 personnes. Ce test, qui comprenait plusieurs centaines de questions, balayait de multiples domaines : art, littérature, économie, histoire, sciences… Les participants ont également subi un examen d’IRM de diffusion, destiné à révéler les fibres nerveuses parcourant leur cerveau. Résultat : plus ils avaient un score de culture générale élevé, plus leurs connexions cérébrales étaient développées. Peut-être parce que les connaissances se gravent dans le cerveau sous forme de modifications des synapses, les connexions entre neurones. Et qu’une information est souvent constituée de multiples constituants élémentaires, stockés à différents endroits de l’encéphale : pour se souvenir que Christophe Colomb a découvert

Êtes-vous un(e) pro du footing ?

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a y est, les chaussures flambant neuves sont prêtes à être enfilées, le legging de vos rêves n’attend que votre première sortie. Allez-vous tenir vos résolutions et faire vos deux heures par semaine minimum ? Cela dépend… d’une facette de votre personnalité appelée « sens de la planification ». Un trait de caractère mesurable

l’Amérique en 1492, il faut lier ensemble les concepts d’individu (et même la connaissance d’un individu particulier), de continent, de date… Lorsque nous accroissons notre culture générale, notre cerveau se connecterait alors tous azimuts. Mais il se pourrait aussi que les personnes ayant un cerveau mieux connecté au départ acquièrent plus facilement une bonne culture générale, ayant moins de mal à construire ce savoir. Ou que la causalité opère dans les deux sens. Dans ce cas, un cercle vertueux se mettrait en place : plus nous augmenterions notre culture, plus notre réseau cérébral se développerait, et plus il serait aisé d’accroître encore davantage nos connaissances. Ce qui serait un atout incontestable : selon le psychiatre Christophe André, l’acquisition d’une large culture ralentit les pathologies du développement cérébral – comme la maladie d’Alzheimer –, favorise l’esprit critique et pourrait augmenter le bien-être et l’estime de soi, en nous aidant à naviguer dans le monde complexe qui nous entoure. £ G. J.

scientifiquement, qui se compose d’une forte sensibilité aux enjeux du futur (s’organiser à l’avance, ne pas se laisser distraire par des tentations immédiates), de fortes ressources cognitives (tendance à décomposer un objectif en étapes, avec des bilans intermédiaires) et une bonne flexibilité mentale (bon, si on n’a pas pu courir un jour, on va s’adapter et trouver un autre moment). Ce sont donc les plus forts mentalement qui ont le plus de chance de réussir sportivement. Le monde est injuste… £ S. B.

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80 % des étudiants éprouvent de l’anxiété face aux matières comportant des statistiques. Source : Scholarship of Teaching and Learning in Psychology, vol. 5, pp.75-89, 2019

© Shutterstock.com/SamJonah

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Un magazine édité par POUR

LA SCIENCE 170 bis boulevard du Montparnasse 75014 Paris Directrice des rédactions : Cécile Lestienne Cerveau & Psycho Rédacteur en chef : Sébastien Bohler Rédactrice en chef adjointe : Bénédicte Salthun-Lassalle Rédacteur : Guillaume Jacquemont Conception graphique : William Londiche Directrice artistique : Céline Lapert Maquette : Pauline Bilbault, Charlotte Calament, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe Community manager : Aëla Keryhuel

PSYCHOLOGIE

Faux souvenirs de « fake news » ! G. Murphy et al., Psychological Science, publication en ligne du 21 août 2019.

Anciens directeurs de la rédaction : Françoise Pétry et Philippe Boulanger Presse et communication Susan Mackie susan.mackie@pourlascience.fr – Tél. : 01 55 42 85 05 Publicité France stephanie.jullien@pourlascience.fr Espace abonnements  https ://boutique.cerveauetpsycho.fr Adresse e-mail : cerveauetpsycho@abopress.fr Tél. : 03 67 07 98 17 Adresse postale : Cerveau & Psycho - Service des abonnements 19, rue de l’Industrie – BP 90053 – 67402 Illkirch Cedex Diffusion de Cerveau & Psycho  Contact kiosques : À juste titres ; Stéphanie Troyard Tél : 04 88 15 12 43 Titre modifiable sur le portail-diffuseurs : www.direct-editeurs.fr Abonnement France Métropolitaine : 1 an – 11 numéros – 54 € (TVA 2,10 %) Europe : 67,75 € ; reste du monde : 81,50 € Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents contenus dans la revue Cerveau & Psycho doivent être adressées par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 162, rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris. © Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de ce numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der Wissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris). Origine du papier : Finlande Taux de fibres recyclées : 0 % « Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,005 kg/tonne La pâte à papier utilisée pour la fabrication du papier de cet ouvrage provient de forêts certifiées et gérées durablement.

S

i l’on vous dit : « La police a tiré à balles réelles sur les gilets jaunes », il s’agit probablement d’une fake news. Il se pourrait que vous y croyiez, surtout si vous trouvez cette information sur un réseau social (les fausses informations s’y répandent environ six fois plus vite que les vraies). Mais vous pourriez aussi aller plus loin et déclarer : « Oui, je me souviens, j’y étais ! » Et ce, même si cela n’est jamais arrivé. Vous seriez alors victime d’un faux souvenir. Mais d’un faux souvenir de fake news. Notre cerveau a une forte propension à créer des faux souvenirs. La psychologue Elizabeth Loftus l’a montré dès les années 1970 par plusieurs expériences. Dans l’une d’entre elles, elle montrait à des adultes une photo prise alors qu’ils étaient enfants et leur expliquait qu’ils s’étaient un jour perdus dans un supermarché. Un bon tiers des adultes commençaient alors à se recréer la scène dans leur tête et finissaient par déclarer : « Oui, je me souviens, c’était un moment atroce ! » Elizabeth Loftus s’attaque maintenant aux fake news. Après tout,

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l’histoire du supermarché était une fake news ; alors, pourquoi ne pas examiner si celles qui gangrènent notre société ne provoquent pas des faux souvenirs à la pelle ? Son terrain d’expérimentation : le référendum sur l’avortement en Irlande, en 2018. Plusieurs mois après la campagne, les psychologues ont fait lire à des votants des histoires inventées racontant que les partisans du « oui » à l’avortement avaient détruit des affiches de campagne du camp du « non », et vice versa – ce qui n’avait jamais été dit au moment de la campagne. Or à nouveau, un tiers des participants se sont souvenus que c’était le cas, avec force détails. Les fake news auraient donc le pouvoir de remonter le temps dans notre mémoire pour s’inscrire dans la narration de notre passé. L’idéal pour réécrire l’histoire, comme le met en scène Orwell dans 1984. Elizabeth Loftus a aussi démontré que les personnes sont d’autant plus infectées par ce mécanisme qu’elles ont de faibles capacités cognitives. L’antidote porte donc un nom : l’éducation. £ S. B.

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Marketing et diffusion : Arthur Peys Chef de produit : Charline Buché Direction du personnel : Olivia Le Prévost Fabrication : Marianne Sigogne, Zoé Farré-Vilalta Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot Ont également participé à ce numéro : Maud Bruguière


DÉCOUVERTES F ocus

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LYDIA DENWORTH Journaliste scientifique à New York.

PSYCHOLOGIE

L’étonnante expérience du portefeuille perdu Un portefeuille perdu a-t-il plus de chances d’être rendu à son propriétaire s’il contient 10 euros ou 100 euros ? L’expérience a été tentée : ses résultats ont déjoué toute attente.

I

maginez que vous trouviez un portefeuille perdu. Le rendriezvous ? Pensez-vous que d’autres le feraient ? Et que se passerait-il si ce portefeuille contenait beaucoup d’argent ? Tels sont les dilemmes au cœur de la plus vaste expérience sur l’honnêteté civique menée à ce jour, publiée le 20 juin dernier dans la revue Science. Et les résultats sont aussi remarquables qu’encourageants. Pendant 3 ans, dans 40 pays à travers le monde, une équipe d’économistes a «  égaré  » plus de 17 000 portefeuilles contenant diverses sommes, puis a mesuré combien d’entre eux ont été rapportés à leur propriétaire. Les chercheurs ont observé une proportion de retour très variable, allant de 14 % en Chine à 76 % en Suisse, mais aussi une attitude frappante qui était presque universellement partagée : dans 38 pays sur 40, plus

un portefeuille contenait d’argent, plus celui qui l’avait trouvé était susceptible de le rendre. Beaucoup d’entre nous auraient pourtant parié le contraire ! « Notre vision du comportement humain est un peu trop pessimiste », affirme l’économiste Michel Maréchal, de l’université de Zürich, l’un des principaux auteurs de l’étude. Y A-T-IL QUELQUE CHOSE DE SPÉCIAL EN FINLANDE ? Malgré leur ampleur, ces travaux ont connu des débuts modestes. Tout a commencé en Finlande en 2013, quand Michel Maréchal et Alain Cohn, de l’université du Michigan, ont mené une étude pilote. Les deux chercheurs ont demandé à un étudiant finlandais de se faire passer pour un touriste et de remettre des portefeuilles à diverses institutions (banques, hôtels, musées…). Il devait prétendre les avoir trouvés et

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demander aux employés de s’en occuper. Or plus les portefeuilles contenaient d’argent, plus ils revenaient souvent à leur propriétaire. Dubitatifs, les chercheurs ont demandé à l’étudiant de tripler le montant prétendument égaré. Mais rien n’a changé. « Nous avons pensé qu’il se passait peut-être quelque chose de spécial en Finlande », explique Maréchal. Lui et Cohn ont donc cherché à savoir si ce phénomène était propre à certaines cultures ou s’il était plus global. Dans 355 villes de 40 pays, ils ont utilisé des « portefeuilles » – en réalité des pochettes plastiques transparentes – au contenu bien visible. Chacun renfermait une clé, une liste de courses rédigée dans la langue locale, trois cartes de visite (arborant un nom courant dans la région) et tantôt aucune somme d’argent, tantôt l’équivalent de 12 euros dans la monnaie du pays. Les portefeuilles étaient confiés aux employés d’institutions


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Suisse Norvège Pays-Bas Danemark Suède Pologne République tchèque Nouvelle-Zélande Allemagne our les besoins de l’enquête, plus de 17 000 portefeuilles France ont été « perdus » dans 40 pays à travers le monde, afin Serbie d’observer s’ils étaient rapportés par ceux qui les trouvaient. Australie Le taux de retour s’est révélé très variable, mais a présenté Croatie une tendance commune : dans tous les pays, à l’exception Espagne du Mexique et du Pérou, il était supérieur quand Russe le portefeuille contenait de l’argent. Roumanie Canada Argentine Israël Portugal États-Unis Angleterre Grèce Italie Chili Brésil Afrique du Sud Thaïlande Mexique Inde Sans argent Turquie Ghana Avec argent Indonésie Arabie saoudite Malaisie Kenya Kazakhstan Pérou Maroc Chine

LA PLUS VASTE ÉTUDE SUR L’HONNÊTETÉ CIVIQUE JAMAIS MENÉE

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Source : A. Cohn et al., Science, vol. 365, pp. 70-73, 2019.

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10

20

30 40 50 Taux de retour (en %)

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PROPORTION DES GENS QUI RENDENT UN PORTEFEUILLE TROUVÉ

40

%

quand il ne contient pas d’argent

51

%

quand il contient 12 euros

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72

%

quand il contient 84 euros


DÉCOUVERTES É volution

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Le lobe qui nous a rendus

humains Par Emiliano Bruner, paléoneurobiologiste.

Un de nos lobes cérébraux a subi un développement accéléré au cours de notre évolution. Il pourrait être à l’origine de l’humanité moderne.

A

u sommet de notre cerveau, un peu en arrière du crâne, se trouve peut-être une des clés de notre humanité : les lobes pariétaux. Chacun occupe un volume de 120 à 135 centimètres cubes et représente environ le quart d’un hémisphère cérébral. Divisés en régions « inférieures » et « supérieures » (voir l’encadré page 23), ils ont suscité un intérêt contrasté de la part des chercheurs. Ceux-ci se sont penchés très tôt sur les zones inférieures, car elles jouent un rôle important dans le langage et l’arithmétique. En revanche, ils ont longtemps ignoré les régions supérieures. Et les recherches récentes suggèrent que c’est une erreur. Il y a plusieurs raisons à ce désintérêt. D’abord, comme ces régions contribuent à de nombreux processus cognitifs complexes, il est difficile de les rattacher à une fonction en particulier. Elles ont donc été décrites en termes assez généraux comme des « domaines cognitivo-associatifs ». Ensuite, les limites entre le lobe pariétal et les zones adjacentes du cerveau sont floues. Enfin et

EN BREF ££En étudiant des fossiles de crânes, des chercheurs ont reconstitué le cerveau de nos ancêtres éteints. ££Leur découverte : les zones supérieures du lobe pariétal, en particulier le précuneus et le sillon intrapariétal, se sont étendues au cours de l’évolution de la lignée humaine. ££La croissance de ces zones cérébrales a probablement contribué au succès de notre espèce, car elles sont impliquées dans de multiples capacités cognitives.

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surtout, les régions supérieures de ce lobe sont profondément enfouies, en raison du fort repliement du cortex cérébral à cet endroit. Deux domaines en particulier, le précunéus et le sillon intrapariétal, ont ainsi échappé aux chercheurs pendant des décennies. Depuis la fin des années 1990, en collaboration avec des paléoanthropologues, des neurobiologistes, des psychologues, des médecins et des ingénieurs, j’essaie de découvrir les secrets du lobe pariétal. Avec tous ces spécialistes, nous avons montré qu’il a considérablement changé au cours de l’évolution, grâce à des techniques d’anatomie et de morphométrie assistées par ordinateur. L’analyse des crânes de plusieurs espèces préhumaines, au cours de la première moitié du xx e siècle, avait déjà apporté quelques indices. Le paléoanthropologue australien Raymond


© D’après Emiliano Bruner

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Le cerveau « virtuel » d’un Homo ergaster, vieux de près de 2 millions d’années, reconstitué par ordinateur, en utilisant les empreintes à l’intérieur du crâne.

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Le visage surgi de nulle part

© Shutterstock.com/franz12

Monsieur J. ouvre sa fenêtre et voit soudain flotter dans l’air, à trois étages du sol, le visage d’un de ses collègues. Inquiet devant cette apparition inexplicable, il se rend à l’hôpital, où l’on découvre une étrange anomalie dans son cerveau…

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DÉCOUVERTES C as clinique

LAURENT COHEN Professeur de neurologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

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COMMENT DÉMASQUER LES

PERSONNALITÉS « Petit, j’étais l’enfant parfait. Plus tard, le gendre idéal. Aujourd’hui, ma femme m’adore et j’ai des enfants qui réussissent à l’école. Je suis manager dans une célèbre multinationale, où j’ai de grandes responsabilités, et je gagne très bien ma vie. Mes patrons sont très contents de moi. Tout me réussit. Au club de tennis, j’ai un cercle d’amis avec lesquels je m’entends très bien. Je suis beau, charmant, intelligent, empathique, voire séduisant. Toujours souriant, j’obtiens assez facilement tout ce que je souhaite. Je fais d’ailleurs ce que je veux de ma vie… et de celle des autres. » Sauf que… en réalité, Patrick, âgé d’à peine 40 ans, n’aspire qu’à être au

centre du monde. Il n’est mû que par une obsession : prendre le pouvoir. Et il est prêt à tout pour y arriver. Tel un prédateur, il cherche en permanence celui ou celle qui saura l’emmener là où il veut aller. Sans la moindre culpabilité, il est prêt à blesser et faire souffrir n’importe qui. Son but : exercer une emprise sur autrui, quel qu’il soit. La première à le subir est sa femme, et elle endure tout ce qu’il lui fait vivre ; il la déstabilise, la fragilise, au point qu’elle néglige pour lui ses propres intérêts. Mais elle est devenue complètement dépendante de son mari, qu’elle considère comme son « sauveur ». Un amour qui renforce l’ego de Patrick, lequel se sent encore plus puissant. Surtout sur son lieu de travail. « Il y a quelques mois, j’ai même jeté mon dévolu sur l’un de mes subordon-

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Dossier SOMMAIRE

p. 34 Qui sont les personnes « toxiques » ? p. 42 Interview Fuyez les individus délétères ! p. 48 Test Repérer les personnalités toxiques en quelques minutes p. 50 Dans le cerveau des psychopathes

TOXIQUES nés, Paul. Très vite, j’ai vu chez lui tout ce que je déteste. Il était beau, intelligent et ambitieux. J’ai donc cherché à “l’éteindre” et l’instrumentaliser. Je l’ai séduit avec des promesses que je savais ne jamais tenir ; nous sommes rapidement devenus assez proches. Il s’est ensuite ouvert et m’a fait part de ses idées et projets. Je me les suis appropriés. Ce qui a beaucoup plu à mes chefs. Je jubilais de voir Paul incrédule et de ne pas comprendre pourquoi il stagnait professionnellement… Je n’avais alors plus besoin de lui. Il fallait que j’en finisse avec lui. J’ai menti aux patrons en colportant une horrible rumeur le concernant. Il a dû quitter l’entreprise. J’étais ravi, d’autant qu’une nouvelle recrue, jeune et belle, allait maintenant m’apporter beaucoup de plaisir. »

L’histoire de Patrick est inspirée de cas réels, rapportés par Grégory Michel, spécialiste de psychopathologie clinique à l’université de Bordeaux et chercheur à l’Institut des sciences criminelles et de la justice. Patrick est tout simplement une personnalité hautement toxique, un psychopathe pour l’appeler par son vrai nom. Et il n’est pas le seul dans son cas. Vous en avez certainement rencontré, ou en rencontrerez, dans votre vie. Au travail, dans votre famille ou parmi votre cercle de connaissances. Alors nous avons demandé à Grégory Michel de nous raconter comment fonctionne leur esprit. Deux autres spécialistes de ce dossier nous expliquent aussi en quoi leur cerveau est différent et comment les repérer pour ne pas en être les victimes.

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Bénédicte Salthun-Lassalle


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Dossier

Vivez-vous avec une personne « toxique », qui vous ment et vous manipule en permanence, uniquement pour arriver à ses fins ? Pour le savoir, il s’agit de bien comprendre qui sont ces individus. Par Grégory Michel, psychologue clinicien, psychothérapeute et professeur de psychopathologie, à l’université de Bordeaux, et chercheur à l’Institut des sciences criminelles et de la justice (ISCJ).

QUI SONT LES

PERSONNES

« TOXIQUES »  N° 115 - Novembre 2019


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££Personnalité toxique, sociopathe et pervers narcissique sont à peu de chose près des termes populaires pour désigner un psychopathe. ££Les traits psychopathiques se retrouvent chez tout un chacun, mais à des degrés plus ou moins poussés.

?

££Quand ils sont exacerbés, on a affaire à un narcissique antisocial. Il avance souvent masqué, est rarement violent physiquement, mais fait des ravages psychologiques.

P

eut-être êtes-vous enfermé(e) depuis de nombreuses années dans ce que l’on nomme aujourd’hui une « relation toxique », avec quelqu’un, votre conjoint ou votre patron par exemple. Celui-ci, que vous vous en aperceviez ou non, profite ou abuse de vous. Tout en vous faisant passer comme le (ou la) responsable de ses propres malheurs ou échecs. Et vous, là-dedans, vous ne savez plus où vous en êtes. Vous vous demandez même parfois s’il n’a pas raison. Comment avez-vous pu en arriver là ? La personne toxique, le pervers narcissique, le sociopathe… De quelque façon qu’on les appelle, ils se ramènent toujours au bout du compte à une entité clinique : le psychopathe. La psychopathie est une pathologie de la personnalité qui tient une place très singulière dans l’imaginaire collectif. Située à l’interface des domaines social, médical et judiciaire, elle véhicule de nombreux fantasmes sur lesquels la culture du cinéma et du roman s’appuie pour créer des personnages horrifiques. L’un des plus célèbres est Hannibal Lecter, le psychiatre psychopathe du film Le Silence des agneaux (1988), incarné au cinéma par Anthony Hopkins. Ce psychiatre imaginé par le romancier Thomas Harris se caractérise tant par son intelligence supérieure que son esprit retors et son anthropophagie. BIEN DÉFINIR LES PERSONNALITÉS PATHOLOGIQUES Autre ambiance, autre psychopathe : Patrick Bateman, inventé par l’écrivain Bret Easton Ellis pour son roman American Psycho (1991), est quant à lui un golden boy, froid et méticuleux, travaillant à Wall Street. Il cloisonne parfaitement son existence, ce qui lui permet de satisfaire ses tendances criminelles. Mais les psychopathes portés à l’écran ne sont pas que des hommes. Dans le roman de Stephen King, Misery (1987), l’infirmière Annie Wilkes, incarnée à l’écran dans le film de Rob Einer par Kathy Bates, est une redoutable psychopathe qui alterne gentillesse apparente et froide cruauté. Mais le psychopathe n’est pas toujours un criminel ou un serial killer. Il peut également se dissimuler sous les traits d’une personne sociable, qui semble bien intégrée dans ses cercles de vie. Et c’est probablement ce genre d’individus que vous côtoyez parfois. Voilà pourquoi il est important de bien définir et cerner toutes ces « personnalités toxiques ».

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© Shutterstock.com/Olga_Angelloz, © Wikimedia Commons

EN BREF


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INTERVIEW

THIERRY H. PHAM

PROFESSEUR DE PSYCHOPATHOLOGIE LÉGALE ET DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHE EN DÉFENSE SOCIALE, À MONS EN BELGIQUE.

FUYEZ LES

INDIVIDUS

DÉLÉTÈRES ! Selon vous, qu’est-ce qu’une personne toxique, dont on entend aujourd’hui souvent parler ? Il s’agit d’une appellation populaire, à la mode aujourd’hui, mais qui ne correspond à aucune définition opérationnelle précise… En fait, elle regroupe potentiellement de nombreux types de personnalités : des harceleurs, des personnes dépendantes affectivement, des manipulateurs, des sujets « sexuellement envahissants », des pervers… D’ailleurs,

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la même difficulté existe pour la notion de perversion ; en France, on utilise beaucoup le mot pervers (issu des mouvements psychanalytiques, voir Qui sont les personnes « toxiques » ?, page 34), mais il regroupe plusieurs formes de perversion (comme les définissait déjà bien Sigmund Freud). Quand on me parle de personnalité toxique ou de pervers, j’ignore à qui on fait allusion. En psychologie et psychiatrie, il est important d’utiliser des termes spécifiques et précis, pour ne pas faire d’amalgames et risquer de catégoriser les gens dans un trouble mental qui ne serait pas le leur, avec un traitement ou une prise en charge non adaptés. En fait, les gens parlent certainement de sociopathes ou psychopathes, qui sont bien plus fréquents dans la population qu’on ne le croit. Ces deux termes sont-ils mieux définis ? Et semblables ? La notion de sociopathie a été forgée aux États-Unis et en Angleterre dans les années 1960 et 1970, et désigne des individus qui ont un problème de lien social, une pathologie du sens social. L’une des critiques adressées à ce diagnostic de sociopathe, c’est qu’il définit le trouble avant tout à partir de caractéristiques comportementales, sociologiques et psychosociales. Et il est équivalent à ce que les spécialistes nomment antisocialité, à savoir l’absence de respect des règles et des droits d’autrui, associée à de l’impulsivité et à des actes délictueux ou violents. Or la psychopathie est un diagnostic – même s’il n’est pas reconnu dans les manuels psychiatriques – qui repose sur la psychologie des individus, sur leur trouble mental, plutôt que sur leurs comportements ou les effets de leur pathologie sur leurs agissements. Il s’agit d’une tradition européenne : un diagnostic mental doit être centré sur des traits psychologiques, et non sur des actes. De sorte qu’aujourd’hui, internationalement, c’est le terme de psychopathie qui prend l’ascendant

Surestimation de soi, tendance envahissante, séduction, loquacité, manipulation, mensonge : des traits pour repérer les psychopathes sociaux auprès des psychiatres, psychologues et scientifiques. La sociopathie ou antisocialité suffit-elle à décrire l’ensemble des caractéristiques mentales d’un psychopathe ? Non ! Le diagnostic de psychopathie est beaucoup plus large. Aujourd’hui, c’est l’échelle de Hare qui permet de le poser (voir Qui sont les personnes « toxiques » ?, page 34) et elle repose sur deux concepts : des traits dits interpersonnels et des tendances comportementales. Les premiers sont les traits psychologiques du psychopathe, à savoir ceux de la personnalité narcissique (surestimation de soi, tendance envahissante, séduction, loquacité, manipulation, mensonge pathologique). Auxquels s’ajoutent des caractéristiques affectives : le manque d’empathie, l’absence de remords et de culpabilité. Les tendances comportementales du diagnostic de psychopathie correspondent quant à elles à celles de l’antisocialité. Une définition de la psychopathie finalement peu éloignée de celle des pervers narcissiques… Il existe bien des recouvrements entre les psychopathes et les pervers

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narcissiques. Car ces derniers manipulent les autres, les blessent ou les détruisent, et ce, sans empathie, ni remords, ni culpabilité. Ils ont aussi éventuellement des tendances sadiques : ils prennent plaisir à manipuler et à faire souffrir autrui. Alors que chez les psychopathes, il semble qu’il n’y ait pas cette sensation de plaisir ? Dans les traits psychologiques de l’échelle de Hare, la notion de plaisir n’est effectivement pas représentée dans les items. Néanmoins, elle existe de manière sous-jacente… Les personnes qui ont tendance à se surestimer et à écraser les autres, sans aucune empathie, prennent très probablement du plaisir. D’autant plus si elles répètent ces comportements ; cela leur procure un sentiment de triomphe, certainement « jouissif ». Étant donné que les traits psychopathiques représentent un continuum, au-delà de quel seuil deviennent-ils pathologiques ? Le sujet est très débattu. La psychopathie est en effet une dimension, c’est-à-dire un continuum qui va du « normal » au « pathologique ». Nous


DOSSIER P ERSONNALITÉS TOXIQUES

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DANS LE CERVEAU DES

PSYCHOPATHES

P

DES PERSONNAGES ÉLOIGNÉS DE LA RÉALITÉ En fait, ces archétypes de psychopathes, véhiculés par la culture populaire, sont assez éloignés de la réalité… Tous les psychopathes ne sont pas des tueurs en série et la majorité des criminels ne sont pas psychopathes. Cette clarification est importante, car le public confond souvent les deux. La plupart des tueurs en série trouvent leur motivation à commettre des crimes dans un désir

© AF archive / Alamy Banque D’Images

eu de concepts psychologiques évoquent à la fois autant de fascination et d’incompréhension que la psychopathie. Pour le public, le terme suscite un mélange de crainte du croque-mitaine et de fascination pour le mal, à l’image de Hannibal Lecter, le tueur en série dans Le Silence des agneaux, ou encore des héros de séries télévisées comme Dexter et Breaking bad. Il existe peut-être même une forme d’envie envers ces personnes qui semblent mener leur vie sans aucune culpabilité, angoisse ni anxiété. Pensons à Leonardo di Caprio dans le film Catch me if you can, qui s’inspire de la vie de Frank Abagnale, un célèbre escroc et faussaire, qui se faisait passer pour pilote de ligne, avocat ou médecin.

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Les études de neuro-imagerie révèlent que les psychopathes ne sont pas vraiment ce que l’on croit : ils ressentent la peur et la douleur, les détectent chez les autres, mais cela ne les affecte pas. Le bien-être d’autrui leur importe peu. Par Jean Decety, professeur à l’université de Chicago, dans les départements de psychologie et de psychiatrie et neurosciences comportementales.

Hannibal Lecter, dans Le Silence des agneaux, est bien un psychopathe ; d’où sa grande habileté à manipuler autrui et à n’éprouver aucun remords. Mais la violence dont il fait preuve ne provient pas de ses traits psychopathiques. Il souffre aussi de sadisme.

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ÉCLAIRAGES p. 62 Psycho quantique : l’arnaque qui monte… p. 66 Les gènes nous rendent-ils homosexuels ?

Retour sur l’actualité BENJAMIN ROHAUT

Médecin dans l’Unité de médecine intensive et de réanimation neurologique de l’hôpital de la Pitié-Salpêtière, chercheur à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière et maître de conférences à Sorbonne Université à Paris.

La mauvaise blague du gaz hilarant A

Une drôle de mode sévit chez les jeunes : inhaler du protoxyde d’azote extrait de cartouches de gaz pour crème chantilly. Malheureusement, les conséquences sont parfois dramatiques pour leur cerveau... N° 115 - Novembre 2019

ulnay-sous-Bois, Nîmes, Valenciennes, Arras… un peu partout en France sévit une drôle d’épidémie. Le spectacle est toujours le même : des petites cartouches grises qui jonchent les trottoirs, les cages d’escalier ou les devantures des bars. Et parfois, un ou deux jeunes à l’air béat, voire hilares, à proximité. Ces cartouches contiennent un gaz, le protoxyde d’azote, habituellement destiné à émulsifier la crème chantilly dans les siphons. Sauf que chez ces jeunes en quête de sensations nouvelles, le gaz en question produit un effet euphorisant, voire hilarant. On se sent planer, on se met à rire, on s’évade du quotidien. Un jeu qui peut sembler inoffensif, sauf que… Il y a quelques mois, le service de neurologie de l’hôpital Bichat, à Paris, a reçu un patient atteint de tétraplégie, de troubles de la coordination des mouvements et d’incontinence après avoir inhalé le fameux gaz. De premiers décès sont signalés. Des maires prennent des arrêts d’interdiction. Que se passe-t-il ? Pourquoi ce gaz en vente légale a-t-il été ainsi détourné de son usage et quels risques encourt-on en l’inspirant ? S’amuser avec le protoxyde d’azote ne date pas d’hier. Dès la fin du xviiie siècle, ses propriétés


© Getty Images/Malcolm P Chapman

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L’ACTUALITÉ

LA SCIENCE

L’AVENIR

Une mode nouvelle se répand parmi les jeunes : inhaler du protoxyde d’azote à partir de cartouches pour crème chantilly. Ce gaz provoque un sentiment d’euphorie, avec parfois une irrépressible envie de rire. Mais de récents cas de paralysie, voire de décès, ont incité des municipalités à en interdire la vente. Quels sont les effets du protoxyde d’azote ?

Ce gaz interagit avec des neurotransmetteurs neuronaux, dont il perturbe le fonctionnement. L’activité cérébrale est globalement réduite, ce qui diminue le contrôle sur les émotions. Mais il peut en résulter un manque d’oxygène, des chutes, voire des lésions pulmonaires ou un étouffement – plus tard une maladie conduisant à la paralysie...

L’usage et la vente du protoxyde d’azote devraient être réglementés. Ce gaz est de moins en moins utilisé en anesthésie, et il faut alerter les parents et les professeurs sur les usages récréatifs de telles substances psychotropes. En cas d’exposition régulière, il faut être particulièrement attentif aux premiers symptômes de fourmillement ou de paralysie des membres.

euphorisantes et relaxantes avaient, semble-t-il, un certain succès dans les soirées mondaines britanniques. C’est à cette époque que Humphry Davy, le chimiste qui en découvrit les effets psychotropes, lui donne son nom qui est resté : « gaz hilarant ». Cette pratique a survécu jusqu’à nos jours et le protoxyde d’azote, maintenant plus souvent appelé simplement « proto » (de formule N2O, composé d’un atome d’oxygène et de deux atomes d’azote), semble même de plus en plus fréquemment consommé par les jeunes. La raison en est simple : facilement accessible dans le commerce en toute légalité sous forme de cartouches à usage domestique (pour émulsifier des produits alimentaires, on revient à la crème chantilly…), son prix est abordable (une cartouche de huit grammes ne coûte que quelques euros… et débite, une fois dépressurisée, environ huit litres de gaz pur), il agit en quelques secondes et son effet est très fugace, s’estompant en quelques dizaines de secondes. En plus, il est indétectable par les tests de routine de dépistage de stupéfiants. UN RIRE MÉCANIQUE De quoi expliquer son succès fulgurant. Déjà en 2017, le protoxyde d’azote faisait partie des 10 substances les plus utilisées dans un but récréatif (en excluant l’alcool, le tabac et les produits caféinés). En Angleterre, il vient aujourd’hui

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en deuxième position derrière le cannabis. En Hollande, une personne sur deux en a pris au moins une fois dans sa vie… Le protoxyde d’azote, lorsqu’il est inhalé, passe rapidement dans le sang puis diffuse dans le cerveau où il agit au niveau des synapses en bloquant (inhibant) des récepteurs neuronaux, les récepteurs NMDA (N-methyl-D-aspartate) impliqués dans la transmission de l’influx nerveux d’un neurone à l’autre. Cette inhibition diffuse de l’activité neuronale provoque une diminution globale de l’activité cérébrale et est responsable ainsi d’une altération de la conscience dont la profondeur dépendra notamment de la dose administrée. C’est cette altération de la conscience qui, au départ, provoque une simple sensation d’ébriété et d’euphorie. L’activité générale du cerveau diminuant, les émotions remontent plus facilement à la surface, étant moins contrôlées, et peuvent donner lieu à des réactions de rire, par un relâchement du « frein » qui contrôle les mécanismes spontanés du rire. Toutefois, l’absorption du gaz entraîne aussi parfois un phénomène dit de dissociation, c’est-àdire une modification de la perception du réel, voire une altération plus profonde de la conscience, dangereuse en dehors d’un encadrement médical et proche du coma. Du rire on a vite fait de passer aux grincements de dents, dès que le produit est mal


ÉCLAIRAGES L’envers du développement personnel

YVES-ALEXANDRE THALMANN Professeur de psychologie au collège Saint-Michel et collaborateur scientifique à l’université de Fribourg, en Suisse.

PSYCHO QUANTIQUE L’arnaque qui monte… Mettez le mot « quantique » à côté de « psychologie », et vous obtenez la recette miracle pour faire croire à l’existence de la transmission de pensée et à l’influence de la conscience sur l’Univers. Le pire, c’est qu’on vous croira !

C

omme si la conscience, l’intelligence et l’imagination ne suffisaient pas ! Certains chantres du développement personnel aimeraient encore affubler le cerveau du pouvoir quasi magique d’influencer la réalité à distance. La pensée serait, d’après eux, une énergie capable d’inter­ agir avec la matière bien au-delà du corps où elle prend forme, rendant possible des phénomènes tels que télépathie, médiumnité ou encore guérison miraculeuse. Une telle assertion, bien sûr, heurte les neuroscientifiques, dont les connaissances sont loin de valider ce type d’hypothèses. Qu’à cela ne tienne :

ils invoquent une autre science pour légitimer leurs propos, la physique quantique ! Après tout, énergie, matière, inter­actions sont bien des concepts qui appartiennent au domaine de la physique… CONSCIENCE, PENSÉE : TOUT EST QUANTIQUE ! L’avantage de s’en référer à la physique quantique, hors des laboratoires académiques s’entend, c’est que cette théorie est tellement complexe que peu de personnes peuvent se prévaloir d’en comprendre toutes les subtilités. Le Prix Nobel de physique Richard Feynman

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avance même dans son ouvrage La nature de la physique (1967) : « Je pense pouvoir dire sans trop me tromper que personne ne comprend la mécanique quantique. » A insi, quand un non-­ physicien se pique d’utiliser le mot quantique dans un discours portant sur la conscience ou la pensée, la méfiance doit être de mise. Et plutôt deux fois qu’une ! C’est ici que les lectrices et lecteurs perspicaces m’arrêteront, ayant mesuré tout le paradoxe de ma dernière affirmation, puisque je m’apprête à disserter à propos de mécanique quantique. Je me dois donc de préciser que ma première formation, avant d’être psychologue, est

© the Noun Project/n.o.o.m.

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la physique. La thèse que j’ai rédigée pour l’obtention du doctorat ès sciences portait sur les muons, des particules exotiques produites dans de puissants accélérateurs… J’ai durant mes études suivi des cours, à vrai dire laborieux, dans le domaine du quantique. Par exemple, une année universitaire entière, à raison de deux heures par semaine, rien que pour poser et résoudre l’équation décrivant l’atome le plus élémentaire, l’hydrogène. Ce que j’ai appris durant ces cours n’a pas manqué de me surprendre : même en connaissant toutes les conditions initiales, il est impossible de prévoir exactement la position de l’électron dans l’atome d’hydrogène. On ne peut que calculer une probabilité de le trouver à un endroit donné à un moment donné. La physique quantique fraie avec les probabilités et s’écarte donc du déterminisme de la physique classique. Dit autrement : il faut compter avec un vrai hasard dans le monde subatomique. Non pas un pseudo-hasard qui résulterait d’un manque de connaissances de notre part, mais un hasard véritable, irrémédiablement intriqué dans la mécanique ultime du réel. Une idée si déroutante qu’Albert Einstein s’est toujours refusé à y souscrire, lui faisant dire que Dieu ne jouait pas aux dés, dans une citation

devenue célèbre. Et pourtant ! Les résultats expérimentaux obtenus par la suite par Alain Aspect, dans les années 1980, lui donneront tort et entérineront le bien-fondé de la théorie quantique.

Les particules sont imbriquées, donc les esprits aussi ! Voici comment, d’un claquement de doigts, on démontre la transmission de pensée… N° 115 - Novembre 2019

NOUS SOMMES TOUS LIÉS, PUISQUE LES PHOTONS LE SONT Une autre conséquence étonnante des équations de la physique quantique concerne les interactions à l’échelle subatomique : une fois que deux particules ont interagi, nous ne pouvons plus les décrire isolément. Leurs descriptions mathématiques sont irrémédiablement liées. Ce qui est outrageusement généralisé par certains à nos existences : nous serions tous liés dans un Grand Tout et nous ne ferions en réalité qu’un ! Et ne nous arrêtons pas en si bon chemin : si nous ne sommes pas séparés les uns des autres, nous pouvons avoir accès à la pensée d’autrui et même communiquer mentalement. Ça y est, l’existence de la télépathie vient d’être prouvée par la physique quantique ! Hum… Il n’empêche : les mesures réalisées montrent effectivement que deux photons (des « grains » de lumière) ayant interagi semblent liés. Si l’on agit sur l’un, l’autre réagit instantanément, même distant de plusieurs kilomètres. Comme si


VIE QUOTIDIENNE

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p. 76 L’école des cerveaux p. 80 La question du mois p. 82 Savoir s’empêcher, une piste pour sauver le monde ? p. 88 L’effet tasse de thé

Mensonges et trahison

Comment tourner la page Par Lisa Letessier, psychologue clinicienne et spécialiste des problèmes de couple.

J

«

Colère, tristesse, confusion… La découverte d’une dissimulation majeure, comme une infidélité, plonge souvent dans un tourbillon émotionnel douloureux. Les conseils d’une experte pour surmonter cette épreuve.

e suis passée à autre chose », me confie Sophia lors d’une consultation. Pourtant, elle souffre de troubles somatiques, comme des maux de tête ou de ventre, et s’énerve contre Nicolas, son compagnon, à la moindre occasion. Après avoir surpris une conversation téléphonique en rentrant chez elle, elle a découvert qu’il avait une liaison. Des semaines d’excuses et d’efforts ont permis de rabibocher le couple, mais, quoi qu’en dise Sophia, il reste des séquelles… QUELS SONT LES MENSONGES LES PLUS GRAVES ? L’infidélité est loin d’être la seule « dissimulation » qui met le couple à l’épreuve. Dans une enquête en ligne que j’ai effectuée récemment, les sondés devaient indiquer les mensonges qui entamaient le plus le lien de confiance. Outre l’adultère, ils ont jugé particulièrement grave de

EN BREF ££Qu’il s’agisse d’« omissions volontaires » ou de falsifications explicites, les mensonges sont fréquents dans le couple, avec un effet parfois dévastateur. ££Il existe des exercices psychothérapeutiques pour mieux les comprendre, et ainsi décider en toute conscience de partir ou de chercher à reconstruire. ££Ces exercices aident aussi à instaurer des habitudes plus saines dans le couple.

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mentir sur ses sentiments ou ses intentions (par exemple en affirmant être sûr de vouloir s’engager alors qu’on en est pleine hésitation). Autres mensonges peu appréciés : ceux qui concernent la santé, la situation professionnelle, le compte en banque, ou le fait de rester en contact avec son ex. À cela s’ajoutent les petits mensonges du quotidien, même s’ils sont jugés bien moins dommageables que le reste. Notez que sur 189 personnes qui ont ouvert mon enquête, plus du quart ont abandonné dès la première question (portant sur la fréquence du mensonge). Ce qui en dit long sur le malaise qu’entraîne ce sujet dans le couple… Si vous avez vous-même été victime d’un mensonge important, vous savez probablement quel tourbillon émotionnel cela entraîne. Faut-il pour autant tout envoyer promener ? Pas forcément. Chez bien des couples qui viennent me consulter, il reste beaucoup d’amour. Voici donc


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VIE QUOTIDIENNE L’école des cerveaux

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JEAN-PHILIPPE LACHAUX

Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

Des images mentales pour mieux penser

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Nous raisonnons, dès le plus jeune âge, à l’aide d’images mentales. En découvrant comment notre cerveau les élabore, les neurosciences donnent des pistes pour développer - ou restaurer - cette capacité essentielle.

u’est-ce que le nombre « neuf cent quatre-vingt-sept mille six cent cinquante-quatre » a de particulier ? Par quelles grandes villes – et dans quel ordre – doit passer le train allant de Nantes à Quimper en longeant la côte ? Quelle est la forme du Japon ? Qu’ont en commun les coupes de cheveux de Donald Trump et de Boris Johnson ? Ces questions relativement simples ont en commun de solliciter chez l’immense majorité d’entre nous ce qu’on appelle « l’imagerie mentale visuelle », c’est-àdire la capacité à former mentalement des images qui, même si elles n’ont pas la vivacité ni la précision des vraies images que l’on voit avec ses yeux, en partagent tout de même les caractéristiques : des zones plus ou moins claires, une orientation, éventuellement des

couleurs... Ces caractéristiques les distinguent notamment de l’imagerie mentale auditive, une autre forme d’imagerie qui sert à imaginer l’air de « colchiques dans les prés (c’est la fin de l’été) » et de l’imagerie olfactive, gustative ou tactile, avec lesquelles elle peut d’ailleurs s’associer pour créer de jolies impressions multisensorielles. UNE APTITUDE CRUCIALE DANS DE NOMBREUX DOMAINES Si je vous parle de l’imagerie mentale visuelle dans cette chronique, c’est parce qu’elle joue un rôle souvent négligé dans la vie des élèves. Par négligé, je veux dire qu’il est rare qu’un professeur s’interroge sur la capacité d’un de ses élèves – faible en géométrie par exemple – à imaginer des formes géométriques

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« dans sa tête ». On s’intéresse généralement davantage à des comportements immédiatement observables comme le calcul de surfaces ou l’application du théorème de Pythagore. Mais c’est sans doute une erreur, car il existe une très grande diversité dans la capacité des individus à former volontairement des images mentales, et ces différences engendrent des disparités dans les aptitudes scolaires. Certaines personnes ont une capacité d’imagerie proprement stupéfiante, obtenant une qualité d’image proche de celle d’une photo, tandis que d’autres ont même du mal à comprendre à quoi ce terme fait référence. Parmi celles-ci, certaines ont d’ailleurs une réelle incapacité à former ces images, appelée en termes cliniques « aphantasie ».


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Les images mentales se forment dans le cortex visuel, qui joue le rôle de page blanche où vient écrire le cortex préfrontal. Mais pour que la page soit blanche, il faut éviter les distractions. C’est ce que nous rappelle une revue récente de la littérature sur l’imagerie mentale visuelle, publiée dans la revue Nature Reviews Neuroscience par Joel Pearson, de l’université de NouvelleGalles du Sud, à Sidney. Dans ce très bon article, l’auteur dresse un panorama de toutes les fonctions cognitives qui dépendent d’une manière ou d’une autre de la capacité à visualiser volontairement des images avec « l’œil de l’esprit » et parmi celles-ci certaines sont justement très sollicitées en

classe : la capacité à comprendre un texte, la réflexion mathématique, la créativité, la mémoire prospective (qui permet de se programmer pour faire quelque chose dans le futur) et à un niveau plus fondamental : la mémoire de travail visuospatiale (retenir des images pendant quelques secondes) et la mémoire épisodique (se souvenir d’événements passés). Face à une telle liste, il apparaît comme une évidence de questionner l’hétérogénéité de la capacité de visualisation dans les

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classes. Quels élèves rencontrent des difficultés à former de telles images ? Pourquoi ? Vont-ils rencontrer des difficultés dans certaines matières et certains types d’exercices ? Peuvent-ils améliorer cette capacité ? COMMENT RÉAPPRENDRE À CRÉER DES IMAGES MENTALES ? Ces questions fondamentales pour l’enseignement sont encore loin d’être résolues, mais l’article de Joel Pearson livre du moins quelques pistes, notamment pour comprendre à quoi correspond une image mentale visuelle dans notre cerveau : selon le modèle le plus accepté actuellement, celle-ci traduirait une activation descendante du cortex – comprenez : une activation partant des régions de plus haut niveau vers les


VIE QUOTIDIENNE P sychologie

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Savoir s’empêcher, une piste pour sauver le monde ? Par Didier Pleux, docteur en psychologie du développement, psychologue clinicien et directeur de l’Institut français de thérapie cognitive, à Caen.

Dans un monde fini, nos désirs ne peuvent être infinis. Vingt ans après ses premiers travaux sur les enfants tyrans, Didier Pleux tire la sonnette d’alarme : nous n’avons pas appris à nous limiter. Or, l’avenir de la planète en dépend.   EN BREF ££Nous vivons dans une société de pléthore où la difficulté n’est plus d’obtenir, mais de se limiter. ££Or nous n’avons jamais été aussi peu armés pour cela. Les jeunes générations sont de plus en plus intolérantes à la frustration. ££Nous devons nous rééduquer pour transformer la frustration en liberté, plutôt qu’en asservissement.

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l y a presque vingt ans, dans De l’enfant roi à l’enfant tyran, je livrais le fruit de mon expérience de thérapeute auprès d’enfants habitués à donner libre cours à leur désir pulsionnel, sans prise en compte des limites de la réalité. Vingt ans après, où en est-on ? Malheureusement, le constat n’est guère plus optimiste. Les enfants et les adolescents que je côtoie dans ma pratique de psychologue psychothérapeute souffrent de plus en plus de carence éducative et développent toujours une hypertrophie de l’ego, une volonté de jouissance immédiate avec pour corollaire la réification d’autrui. Le mal empire et mes contacts avec les

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enseignants, les parents, les éducateurs en général corroborent malheureusement mon hypothèse : les jeunes qui souffrent d’une faible tolérance aux frustrations sont de plus en plus vulnérables au principe de réalité. Que ce soit la non-performance scolaire avec son refus de ce qui ne « donne pas envie », son dégoût de l’effort, et, le plus souvent, sa contestation de l’autorité adulte qui enseigne. Que ce soit la fascination pour une culture toujours plus éloignée des valeurs adultes, l’illusion du bien-être ou du bonheur immédiat avec toutes les addictions possibles et, en particulier, celle aux « écrans » et aux réseaux sociaux. Quant aux patients adultes que


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La fameuse expérience du marshmallow mettait en évidence l’importance de savoir résister à l’envie du moment. Aujourd’hui, c’est un enjeu de survie pour nous tous.

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VIE QUOTIDIENNE L es clés du comportement

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L’effet tasse de thé Par Natasha Gilbert, journaliste scientifique à Washington.

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Limiter les risques de démence, de dépression… tout en étant moins stressé et plus concentré : et si tout cela passait par une tasse de thé ?

epuis des siècles, les buveurs de thé du monde entier sont convaincus des propriétés relaxantes et vivifiantes de cette boisson. Produite à partir des feuilles de la plante Camellia sinensis, elle ne sert pas qu’à étancher la soif : ses adeptes l’utilisent pour accompagner un état méditatif, pour apaiser leurs nerfs ou tout simplement pour s’accorder un moment de détente. Mais si les bienfaits de C. sinensis pour la santé mentale sont une évidence pour ces amateurs, les scientifiques commencent seulement à les quantifier. MOINS D’HORMONE DE STRESS CHEZ LES BUVEURS DE THÉ Ainsi, les chercheurs ont découvert que la consommation de thé réduit les niveaux de cortisol, l’hormone du stress. Et ils ont mis en évidence des effets bénéfiques à long terme sur la santé : boire au moins 100 millilitres (environ une demi-tasse) de thé vert par jour semble réduire le risque de dépression et de démence. Les scientifiques tentent également d’identifier les principales substances actives à l’origine de ces bienfaits, et de déterminer si elles agissent seules ou en combinaison avec d’autres composés de la boisson. Les catéchines – des antioxydants tels que le gallate d’épigallocatéchine (EGCG) – représentent jusqu’à 42 % du poids sec du thé vert infusé, et l’acide aminé l-théanine environ 3 %.

EN BREF ££Les études scientifiques commencent à confirmer les bienfaits du thé sur l’humeur et le fonctionnement cognitif. ££Elles montrent aussi que certains composants du thé modifient l’activité cérébrale, stimulant les ondes associées à la relaxation et à la concentration. ££Ces bienfaits font de cette boisson un candidat intéressant pour aider à lutter contre la dépression et la démence.

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On pense que l’EGCG, consommé seul, exerce un effet apaisant, tout en améliorant la mémoire et l’attention. La l-théanine a des bienfaits similaires lorsqu’elle est prise en combinaison avec la caféine. Celle-ci, qui constitue jusqu’à 5 % du poids sec du thé vert, est par ailleurs connue pour améliorer l’humeur, la vigilance et la cognition. L’effet du thé sur le comportement est quelque peu paradoxal, explique Andrew Scholey, psychopharmacologue à l’université technologique Swinburne de Melbourne, en Australie. « Cette boisson apaise, tout en réveillant », dit-il en sirotant une tasse d’Earl Grey. L’exploration des effets du thé intervient à un moment où l’intérêt scientifique pour le rôle de la nutrition dans la santé mentale et la médecine préventive ne cesse de croître. Nous avons besoin de plus de moyens pour lutter contre l’anxiété, la dépression et le déclin cognitif lié à l’âge, qui imposent un fardeau énorme aux systèmes de santé et pour lesquels les options de traitement sont limitées. « Nous sommes assez dépourvus dans ce domaine », explique Scholey. « S’il s’avère que des agents diététiques aident à ralentir le déclin, cela pourrait avoir d’énormes implications pour la santé préventive. » Stefan Borgwardt, neuropsychiatre à l’université de Bâle, en Suisse, déplore également le manque de thérapies disponibles. Selon lui, environ un tiers des personnes souffrant


© charlotte-martin/www.c-est-a-dire.fr

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LIVRES

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p. 92 Sélection de livres p. 94 Éclosion, Infestation, Destruction : pourquoi avons-nous si peur des araignées ?

SÉLECTION

A N A LY S E

Par Jean-Louis Dessalles

PSYCHOLOGIE Ne laissez pas votre vie se terminer avant même de l’avoir commencée de F rançois Bourgognon First

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE C ogito de V ictor Dixen Robert Laffont

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ogito est un roman qui décrit un futur proche, où l’intelligence artificielle est omniprésente. Les parents de Roxane sont des « auxis » : ils assurent des tâches de nettoyage non standardisées, que les robots sont encore incapables de prendre en charge – ramasser un sac poubelle qui éclate, détacher un vieux chewing-gum incrusté dans le trottoir… Roxane pourrait bien s’extraire de ce sous-prolétariat, car elle vient d’être tirée au sort pour participer à un stage proposé par Damien Prinz, le pape de l’intelligence artificielle. Son cerveau va être augmenté à l’aide de « neurobots ». Elle acquerra ainsi sans efforts les connaissances qui lui permettront de gravir l’échelle sociale. On s’en doute, rien ne va se passer comme prévu… J’ai passé de très bons moments à lire ce roman, même si certaines pages nécessitent de réactiver l’adolescent latent en chacun de nous. De nombreux détails attachants ou amusants font mouche, comme le robot de la laverie, dont la tête est toute cabossée suite aux coups assénés par les clients mécontents. Surtout, Dixen réussit à nous faire réfléchir. À maintes reprises, j’ai cru que le livre se dirigeait droit vers le thème cliché de la singularité, ce point où les IA deviennent assez autonomes pour s’améliorer elles-mêmes et, au passage, asservir l’humanité. Mais non. Enfin, oui et non. Le thème y est abordé, bien sûr, mais de manière inattendue et avec beaucoup d’inventivité. Le personnage de Damien Prinz affirme par exemple qu’une IA ne peut avoir de conscience, même si elle est capable de s’immiscer dans celle des humains via les neurobots. Une conscience, peut-être pas. Mais une volonté propre, non programmée, capable de se fixer ses propres objectifs ? Bien sûr, le futur imaginé par Dixen semble un peu manichéen : d’un côté, une « zone franche », où vivent des reclus qui refusent toute IA et se révèlent incapables de gérer une société un tant soit peu démocratique ; de l’autre, une organisation verticale allant des auxis jusqu’aux « élites » démesurément fortunées, pour qui l’IA sert d’outil de domination économique. Mais après tout, qui peut dire que ce n’est pas ce qui nous attend ? Jean-Louis Dessalles est enseignant-chercheur à Télécom Paris et spécialiste de l’intelligence artificielle.

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NEUROBIOLOGIE VÉGÉTALE La Révolution des plantes de S tefano Mancuso Albin Michel

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émoriser de nouvelles informations, « voir » son environnement, imiter les feuilles d’autres espèces… Les plantes ont des capacités étonnantes, comme nous le révèle Stefano Mancuso, père du concept de neurobiologie végétale. Avec un enthousiasme communicatif, le chercheur italien raconte les expériences qui ont mis en évidence ces capacités. Et soutient que le monde végétal pourrait guider l’élaboration de nouveaux dispositifs plus écologiques – certaines plantes étant par exemple capables de créer du mouvement sous l’effet d’une simple variation d’humidité…

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u lieu de s’épuiser à essayer, en vain, d’échapper à sa propre expérience, il convient d’embrasser l’inconfort d’exister et de dégager cette énergie pour la mettre au service de ce qui compte réellement pour soi ». Tel est le principe de la thérapie d’acceptation et d’engagement, développée dans les années 1980. Le psychiatre et psychothérapeute François Bourgognon s’en sert comme colonne vertébrale de son ouvrage, afin de nous aider à trouver une vie pleine de sens. Avec le constant souci d’ancrer son propos dans le concret, en le parsemant d’histoires de patients et d’exercices à pratiquer.


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COUP DE CŒUR Par Alexis Bourla

ÉVOLUTION Singe toi-même d’Alain Prochiantz Odile Jacob

SCIENCE & SOCIÉTÉ Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse d’Anne de Labouret et Christophe Butstraen Thierry Souccar

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ix ans : c’est l’âge moyen auquel un enfant est exposé pour la première fois à la pornographie. La faute aux vidéos gratuites et à la dérégulation totale qu’elles provoquent. Conséquence : une exposition massive des enfants et des ados à des contenus potentiellement addictifs et sexistes, qu’ils ne sont pas en mesure d’intégrer. Au-delà du constat, ce livre permet d’organiser la parade, via des outils techniques (comme des moteurs de recherches conçus pour les plus jeunes), mais surtout par l’éducation et le dialogue.

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e génome des humains n’a que 1,23 % de différences avec celui des chimpanzés : comment des espèces aussi proches génétiquement ont-elles pu diverger à ce point ? L’occasion pour Alain Prochiantz, professeur au collège de France, dans ce livre dense et précis, d’expliquer comment une poignée de mutations génétiques et d’innovations culturelles entraînent de véritables sauts évolutifs. Montrant une maîtrise impressionnante du sujet, il réfléchit ainsi à ce qui nous rend humains, et à ce que cela implique sur nos responsabilités vis-à-vis des autres espèces.

PATHOLOGIE D emain j’étais folle d’Arnhild Lauveng A utrement

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ans cet ouvrage, Arnhild Lauveng, qui a guéri de la schizophrénie, raconte son histoire. Et nous offre ainsi un témoignage aussi poignant qu’instructif. Le récit de son entrée dans la maladie est fascinant et permet de comprendre de l’intérieur des symptômes très complexes. On assiste, désemparé, à l’émergence des premières hallucinations, à la construction d’un « Capitaine » illusoire et tyrannique, qui prend progressivement le contrôle de son corps et de son esprit. On suit ensuite, pas à pas, le chemin de cette jeune patiente, les hospitalisations, les interrogations et les doutes au sujet d’une maladie mal connue – en dehors de son nom. À plusieurs titres, ce livre mérite de devenir une référence. D’abord, il pourrait aider certains patients à identifier leurs propres troubles et à prendre conscience qu’ils ne sont pas les seuls à les vivre ; beaucoup peinent en effet à accepter la maladie et dénient tout caractère pathologique à leurs symptômes. Ensuite, pour l’entourage, la famille et les amis des malades, souvent démunis, ces pages ouvrent une fenêtre inestimable sur le vécu intérieur de leur proche. Pour nous tous enfin, soignants et psychiatres, au-delà du caractère magistral de la description clinique, c’est une occasion de faire un pas de côté, de nous décaler de notre position extérieure pour plonger dans un monde subjectif toujours délicat à appréhender. Et aussi de s’interroger sur certaines pratiques, comme la contention et l’enfermement – controversées, parfois nécessaires, théoriquement utilisées en dernier recours mais pourtant fréquentes. Se mettre à la place du patient est une première étape pour contenir ces pratiques dans des limites éthiques. Cet ouvrage aide aussi à penser la stigmatisation dont sont victimes nos patients. La psychiatrie fait peur, et cela a pour conséquence sérieuse d’entraver aussi bien la prise en charge précoce des malades que la mise en place des traitements. C’est un double espoir que fait naître le témoignage d’Arnhild Lauveng : guérir les patients atteints de pathologies psychiatriques, et réinstiller de l’humanité au cœur de la prise en charge. Alexis Bourla est chef de clinique dans le service de psychiatrie et de psychologie médicale, à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.

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LIVRES N eurosciences et littérature

SEBASTIAN DIEGUEZ Chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’université de Fribourg, en Suisse.

Éclosion, Infestation, Destruction

Pourquoi avons-nous si peur des araignées ?

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La trilogie Éclosion, Infestation, Destruction raconte une terrifiante histoire d’araignées mangeuses d’hommes, exploitant ainsi une peur ancrée au plus profond de nous. Mais d’où vient cette peur ?

apie dans un recoin sombre, sa toile tissée à travers l’espace, elle attend son heure. Patience… son prochain repas ne tardera pas à se faire piéger, probablement un malheureux insecte de passage. Ou peut-être un humain ? Cette idée est parfaitement absurde : on n’a jamais vu une araignée dévorer un humain. Et pourtant, beaucoup d’entre nous en ont peur. Au point que l’« arachnophobie » – la phobie des araignées – est à la fois l’une des phobies les plus connues du grand public et les plus étudiées en psychiatrie. Le cinéma et la littérature n’ont pas manqué d’exploiter cette étrange horreur des bêtes à huit pattes. Dernier succès dans le genre, la trilogie des livres Éclosion, Infestation et Destruction, par Ezekiel Boone, qui reprend avec verve et humour tous les clichés de l’horreur arachnéenne.

EN BREF ££Dans sa trilogie, le romancier Ezekiel Boone exploite une phobie très répandue, l’arachnophobie. ££Cette phobie est d’autant plus étonnante que l’immense majorité des araignées sont inoffensives. ££Elle vient peut-être alors du dégoût qu’elles nous inspirent, parce qu’elles signalent un environnement insalubre ou parce qu’elles ont été accusées de propager des épidémies.

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Dans cette fresque cauchemardesque, une espèce inconnue d’araignée se réveille après une longue hibernation. Ces « araignées de l’Enfer » sont innombrables, très agressives, mortellement dangereuses et déterminées à en finir avec l’espère humaine. Elles submergent leurs proies par leur nombre et les dissolvent avec leur venin, ou s’introduisent subrepticement dans leur corps au moyen d’une petite incision, avant d’y pondre leurs œufs, qui éclosent par milliers et déchiquettent leurs victimes de l’intérieur… L’intrigue suit plusieurs groupes de personnages à travers le monde, chacun exposé aux conséquences cataclysmiques de cette invasion qui conduira à une lutte sans merci pour la vie. Le tout sur fond d’explosions nucléaires ! Placée en première ligne pour comprendre ce phénomène, et donc responsable de la survie de

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À retrouver dans ce numéro

p. 58

p. 66

SCLÉROSE

La sclérose combinée de la moelle épinière, maladie qui se traduit par une perte de sensibilité, voire une paralysie des membres, des troubles urinaires et génitaux, est une conséquence possible de l’absorption récréative – très en vogue – du protoxyde d’azote. p. 62

PSY QUANTIQUE

Si vous entendez parler d’un coach qui pratique la psychothérapie quantique, prenez vos jambes à votre cou. C’est une arnaque complète qui repose sur le fait que l’on peut faire dire tout et n’importe quoi à la mécanique quantique, discipline extrêmement ardue dont le gourou en question ne connaît probablement pas les bases. p. 42

JUMEAUX HOMOS

Quand un jumeau est homosexuel, son frère ou sa sœur a plus de probabilité de l’être également si leur similarité génétique est totale (il s’agit alors de jumeaux monozygotes, dits « vrais jumeaux ») que si elle est partielle (jumeaux dizygotes, dits « faux jumeaux »). Signe qu’il existe une composante génétique de l’homosexualité.

PERVERS NARCISSIQUES

« Ils manipulent les gens, les blessent ou les détruisent, sans empathie, remords ou culpabilité, avec sadisme. Ils sont proches des psychopathes. » Thierry H. Pham, professeur de psychopathologie légale

p. 68

33 %

des choses que se disent deux amoureux au début d’une relation sont des mensonges. Pour l’un et l’autre, il s’agit de donner une image de soi aussi reluisante que possible, en évitant de tout faire capoter… p. 88

p. 76

APHANTASIE

Incapacité de former la moindre image mentale, de se représenter un visage, un lieu, un paysage, un objet… Les aphantasiques ont, paradoxalement, un cortex visuel trop étendu, ce qui le rend vulnérable aux distractions extérieures.

GALLATE…

… d’épigallocatéchine : le nom de la principale substance active du thé qui produit des effets à la fois relaxants, éveillants, bénéfiques pour l’attention et la mémoire. Cette molécule stimule même la puissance de la plupart des ondes électriques produites par notre cerveau.

p. 16

DANOIS

Un Danois qui trouve un portefeuille contenant 84 euros va le rapporter dans 85 % des cas. Les Français sont, eux, honnêtes 6 fois sur 10.

Imprimé en France – Roto Aisne (02) – Dépôt légal novembre 2019 – N° d’édition M0760115-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412 – Distribution Presstalis – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 239959 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot


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