POUR LA SCIENCE #561 • JUILLET 2024

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Mathématiques

L’INSOLUBLE

ÉQUATION

DES GALETS Médecine COUP DE

AUX ORIGINES DES DIEUX CELTIQUES

La simulation multiphysique favorise l’innovation

Pour innover, les ingénieurs ont besoin de prédire avec précision le comportement réel de leurs designs, dispositifs et procédés. Comment ? En prenant en compte simultanément les multiples phénomènes physiques en jeu.

scannez-moi pour en savoir plus comsol.fr/feature/multiphysics-innovation

MENSUEL POUR LA SCIENCE

Rédacteur en chef : François Lassagne

Rédacteurs en chef adjoints : Loïc Mangin, Marie-Neige Cordonnier

Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly

Stagiaire : Caroline Barathon

HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE

Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe

Directeur marketing et développement :

Frédéric-Alexandre Talec

Chef de produit marketing : Ferdinand Moncaut

Directrice artistique : Céline Lapert

Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy, Ingrid Lhande

Réviseuses : Anne-Rozenn Jouble, Maud Bruguière et Isabelle Bouchery

Assistante administrative : Finoana Andriamialisoa

Directrice des ressources humaines : Olivia Le Prévost

Fabrication : Marianne Sigogne et Stéphanie Ho

Directeur de la publication et gérant : Nicolas Bréon

Ont également participé à ce numéro :

Gérard Eberl, Jérôme Lavé, Clémentine Laurens, Gabriel Lepousez, Catherine Pépin, David Grémillet, Sylvain Raffaele, Cécile Repellin

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stephanie jullien@pourlascience fr

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DISTRIBUTION

MLP

ISSN 0 153-4092

Commission paritaire n° 0927K82 079

Dépôt légal : 5636 – Juillet 2024

N° d’édition : M077 0561-01

www.pourlascience.fr

170 bis boulevard du Montparnasse – 75 014 Paris

Tél 01 55 42 84 00

SCIENTIFIC AMERICAN

Editor in chief : Laura Helmuth

President : Kimberly Lau 2024. Scientific American, une division de Springer Nature America, Inc

Soumis aux lois et traités nationaux et internationaux sur la propriété intellectuelle Tous droits réservés Utilisé sous licence Aucune partie de ce numéro ne peut être reproduite par un procédé mécanique, photographique ou électronique, ou sous la forme d’un enregistrement audio, ni stockée dans un système d’extraction, transmise ou copiée d’une autre manière pour un usage public ou privé sans l’autorisation écrite de l’éditeur La marque et le nom commercial «Scientific American» sont la propriété de Scientific American, Inc Licence accordée à «Pour la Science SARL» © Pour la Science SARL, 170 bis bd du Montparnasse, 75014 Paris En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

Origine du papier : Autriche

Taux de fibres recyclées : 30 %

« Eutrophisation » ou « Impact sur l’eau » : Ptot 0,007 kg/tonne

Imprimé en France

Maury Imprimeur SA Malesherbes N° d’imprimeur : 278 601

DITO É

François Lassagne

Rédacteur en chef

PIERRES FAMILIÈRES

La forêt de Fontainebleau est familière aux promeneurs et aux adeptes de l’escalade. Ces derniers ont même une connaissance intime des caractéristiques des blocs de grès plantés dans son sol sableux : ces rochers sont appréciés pour la variété des défis qu’ils offrent aux grimpeurs. Mais parions que pas même les aficionados de la varappe ne soupçonnent que ces blocs majestueux conduisent à un autre type de vertige. À l’écart des sentiers se cachent sous la végétation d’innombrables gravures venues d’un autre temps. Deux archéologues, Daniel Simonin et Laurent Valois, ont mis au jour certaines d’entre elles, il y a une dizaine d’années. Et ont acquis peu à peu la conviction que les figures gravées qu’ils découvraient au fil de leurs recherches composent un panthéon préceltique, inscrit dans le grès au IXe siècle avant l’ère chrétienne.

On y distingue des silhouettes humaines, dotées de bois de cerf, des symboles évoquant les saisons, des représentations de la déesse mère Les chercheurs y reconnaissent notamment Cernunnos ou Lugus, divinités associées usuellement, en France, à une époque plus tardive : celle de l’ère celtique, pendant l’âge du Fer (entre 800 et 50 avant l’ère chrétienne). Ainsi, à Fontainebleau, certains des dieux les plus célébrés par les Gaulois s’invitèrent-ils très tôt dans l’imaginaire du peuple qui en laissa les représentations livrées à présent par les pierres Le vertige historique était là, à portée de main Le patient travail des archéologues le met aujourd’hui en lumière.

C’est un vertige non pas historique, mais physique, que proposent pour leur part deux mathématiciens, Theodore Hill et Kent Morrison, dans ce numéro. Et ce vertige, lui aussi, se tient devant nos yeux : c’est celui auquel nous convient les galets de nos plages. Pourquoi parler de vertige, au sujet de ces pierres, certes élégantes, mais si courantes en bord de mer ou de rivière qu’elles font l’arrière-plan de tant de photos de vacances ? Parce que leur évidente simplicité recèle, pour les mathématiciens et les physiciens, un abîme de complexité. Comment naît la forme d’un galet ? Combien de temps faut-il pour qu’un fragment brut de roche acquière poli et arrondi ? Les deux mathématiciens esquissent une réponse. Leurs équations mènent, imparfaitement encore, aux origines de la forme des galets. Et avec elles s’éclaire l’histoire des rivages, maritimes et fluviatiles, sur Terre… comme sur Mars. Vertiges des pierres familières !

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OMMAIRE

ACTUALITÉS

P. 6

ÉCHOS DES LABOS

• Comment une foule anticipe un obstacle

• Lacq : des séismes d’origine anthropique

• Le bras perdu du Nil

• Désordre enzymatique

• Embryon humain : le rôle clé de la contraction

• Une phase exotique de la matière dans le graphène

P. 16

LES LIVRES DU MOIS

P. 18

DISPUTES

ENVIRONNEMENTALES

Manger de la vache

engagée

Catherine Aubertin

P. 20

LES SCIENCES À LA LOUPE

Évaluation par les pairs… et par le marketing

GRANDS FORMATS

P. 32

MÉDECINE

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE AGGRAVE-T-IL LA RÉSISTANCE

AUX ANTIBIOTIQUES ?

Carissa Wong

CAHIER PARTENAIRE

PAGES I À III (APRÈS LA P. 55)

Limiter les effets secondaires des radiothérapies de cancers pelviens ?

Parrainé par

Yves Gingras

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En couverture : © Emmanuel Breteau

Les portraits des contributeurs sont de Seb Jarnot

Ce numéro comporte un courrier de réabonnement posé sur le magazine sur une sélection d’abonnés.

Ouragans, inondations, feux de forêts, hausse graduelle des températures… Les microbiologistes évaluent la capacité de ces événements à favoriser la propagation d’infections résistantes aux médicaments.

P. 60

PHYSIQUE

MÉTAUX ÉTRANGES : DE NOUVEAUX MATÉRIAUX DÉJOUENT LES RÈGLES DE LA PHYSIQUE

Douglas Natelson

Cuivre, platine, aluminium, or…

Les métaux ont joué un rôle si transformateur dans notre histoire que certains d’entre eux ont donné leur nom à des périodes historiques (l’âge du Bronze, l’âge du Fer). L’ère de l’information dépend d’eux Pourtant, leur véritable nature devient plus mystérieuse à mesure qu’on les explore.

P. 38

PHYSIQUE

L’INSOLUBLE ÉQUATION DES GALETS

Theodore Hill et Kent Morrison

Comment naît la forme des galets ? Un modèle simplifié apporte une réponse, encore imparfaite Résoudre les équations rendant compte de la géométrie de ces pierres façonnées par l’eau, c’est éclairer l’histoire des rives et rivières, sur Terre… comme sur Mars !

P. 66

HISTOIRE DES SCIENCES

QUAND LE COLLÈGE DE FRANCE EXPLORAIT LE CORPS

Ion-Gabriel Mihailescu, Jérôme Baudry, Anne Chatellier et Jean Dalibard

Jusqu’au 12 juillet 2024, le Collège de France met en lumière les trésors d’inventivité qu’inspira au XIXe siècle, dans ses laboratoires, la toute nouvelle science du corps

N° 561 / Juillet 2024

P. 46

PALÉONTOLOGIE

LES SUPERPOUVOIRS

DES PLUMES

Michael Habib

L’évolution a produit une large variété de plumes, dont on comprend de mieux en mieux les subtiles fonctions, qui s’étendent bien au-delà de la capacité à voler

P. 22

ARCHÉOLOGIE

AUX ORIGINES

DES DIEUX CELTIQUES

Daniel Simonin, Laurent Valois et François Savatier

Un ensemble de gravures rupestres figurant des dieux montre qu’à la fin de l’âge du Bronze, on célébrait un culte dans les profondeurs de la forêt de Fontainebleau. Parmi les personnages représentés, plusieurs préfigurent les divinités celtiques.

RENDEZ-VOUS

P. 72

LOGIQUE & CALCUL

IA : JEU, SET ET MATH

Jean-Paul Delahaye

La recherche autour d’un jeu de cartes profite des modèles massifs de langage de l’IA générative.

P. 78

ART & SCIENCE

Si loin, si proches

Loïc Mangin

P. 80

IDÉES DE PHYSIQUE

Naviguer sans faire de vagues

Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik

P. 84

CHRONIQUES DE L’ÉVOLUTION

Place au nitroplaste ! Hervé Le Guyader

P. 88

SCIENCE & GASTRONOMIE

Le sel, le sodium et l’amer

Hervé This

P. 90 À PICORER

Ce numéro comporte un cahier supplémentaire La science dans les starting-blocks de 33 pages, réalisé en partenariat avec l’université Paris Cité.

P. 6 Échos des labos

P. 16 Livres du mois

P. 18 Disputes environnementales

P. 20 Les sciences à la loupe

MATHÉMATIQUES

COMMENT UNE FOULE ANTICIPE UN OBSTACLE

Quand les portes du métro s’ouvrent, deux flux de personnes s’opposent, celles qui veulent descendre et celles qui veulent monter. Pour éviter les collisions, les individus anticipent différemment selon leur position et leur visibilité de la situation.

Que se passe-t-il quand une foule rencontre un obstacle ? Elle s’écarte afin d’éviter la collision, un comportement d’anticipation di cile à doser dans les modèles.

Métro à l’heure de pointe : vous sortez de la rame et devez avancer à contrecourant d’une foule qui, elle, souhaite y entrer Plutôt que d’entrer en collision frontale avec la personne en face, vous ralentissez et zigzaguez, alors que certains de vos vis-à-vis se décalent pour vous laisser passer Depuis le début des années 2000, les chercheurs tentent de mettre en équations ce comportement qui apparaît intuitif, mais qui s’avère subtil à décrire de façon réaliste Récemment, Cécile Appert-Rolland et ses collègues, de l’université Paris-Saclay, ont amélioré la précision des modèles en introduisant un facteur qui capture le degré d’anticipation d’un obstacle dans une foule dense. Qu’il s’agisse des supporteurs lors de rencontres sportives ou des pèlerins à

La Mecque,  etc., si les flux ne sont pas maîtrisés, les risques sont élevés qu’un mouvement de foule entraîne de nombreux morts. Les travaux de recherche ont conduit à de nombreuses recommandations : organiser les flux à sens unique,

Si les flux ne sont pas maîtrisés, les risques de mouvements de foule mortels sont élevés

éviter les goulots d’étranglement ou les obstacles sur le parcours Mais cela n’est pas toujours possible, comme aux portes du métro Il faut alors comprendre comment les personnes se comportent à

l’approche d’un obstacle ou d’un marcheur à contresens

En 1995, le physicien allemand Dirk Helbing a proposé un premier modèle mathématique de foule Ici, comme dans un modèle physique , les piétons sont soumis à des forces Elles sont de nature physique dans le cas d’une foule dense où les personnes se touchent et sont dites « sociales » quand il n’y a pas de contact en raison d’une densité faible « Cette approche a eu un grand succès mais elle a un défaut : quand deux piétons arrivent en face de moi , le modèle additionne leurs forces et me demande de faire un plus grand détour. Ce qui ne colle pas à la réalité » , note Cécile Appert- Rolland Dans ce modèle, l’anticipation se résume, de plus, à l’horizon de la prochaine collision. Or dans un comportement plus réaliste, l’anticipation porte plus loin, peu importe la densité de la foule – que les piétons se touchent ou non

La théorie des jeux a fourni une amélioration cruciale En 2006, les mathématiciens français Pierre - Louis Lions et Jean -Michel Lasry ont développé le modèle des jeux à champ moyen ( ou

mean-field games model). Celui-ci repose sur un compromis : lorsqu’un piéton à contresens approche , les autres personnes acceptent de se serrer le temps de son passage pour revenir rapidement à la situation initiale plus confortable. Grâce à ce degré d’anticipation plus étendu, la foule se dévoue à court terme au profit d’un bénéfice global

Ce modèle a permis de reproduire les résultats d’expériences avec des foules conduites entre autres à Paris-Saclay. Ici, le piéton qui cherche à sortir de la rame est remplacé par un cylindre qui avance tout droit vers une foule Or, comme le prédit le modèle des jeux à champ moyen , que la densité de la foule soit faible ou élevée, les piétons anticipent le cylindre, s’amassent sur les côtés pour le laisser passer

Pourtant, l’anticipation fait aussi la limite de cette approche : les agents anticipent trop. Peu importe leur position vis - à - vis de l’obstacle ( de face , de dos ou dans une position aléatoire ), ils se décalent de la même manière En effet, le modèle est construit de telle façon que chaque agent du modèle a une information parfaite de la situation. Pour résoudre ce problème, Denis Ullmo, coauteur de la nouvelle étude, a eu l’idée d’introduire un facteur d’actualisation utilisé dans d’autres contextes, notamment en économie pour simuler la réticence des agents à attendre une récompense qui tarde à arriver Ici, ce facteur relie l’importance de l’anticipation avec la quantité d’information à laquelle les personnes ont vraiment accès Ainsi, quand l’obstacle arrive derrière les agents, ils anticipent beaucoup moins, voire plus du tout. Grâce à cet ajout, le modèle rend mieux compte des observations expérimentales, que l’obstacle arrive dans le dos ou en face des piétons

À terme, comprendre comment une foule réagit lorsqu’elle rencontre un obstacle ou une personne à contre-courant permettra de mettre en place des procédures ou d’adapter les installations afin de prévenir les accidents n Charlotte Mauger

GÉOSCIENCES

Lacq : des séismes d’origine anthropique

Depuis plus de cinquante ans, le bassin industriel de Lacq subit de fréquents séismes. S’ils ont été longtemps attribués à l’extraction du gaz, ce serait davantage l’injection d’eaux usées dans les réservoirs qui en serait la cause. Éclairage par Jean Letort, de l’observatoire Midi-Pyrénées, à Toulouse.

Propos recueillis par Sean Bailly

JEAN LETORT

sismologue, observatoire Midi-Pyrénées

Quelle est la situation sismique de Lacq ?

Le tout premier séisme dans le bassin a été détecté en 1969. Ces événements sont devenus plus réguliers à partir de 1976. Et nous enregistrons, en moyenne, quelques dizaines de séismes de magnitude supérieure à 1 par an. Six tremblements de terre ont dépassé le cap de 4 dont un en 2016. Il est donc important de comprendre l’origine de ce phénomène qui semble assez récent.

Ces séismes sont-ils liés à l’histoire industrielle du bassin de Lacq ?

Très probablement. On a découvert dans la région de grandes réserves de pétrole et surtout de gaz. L’extraction du gaz a débuté, en 1957, dans un réservoir à près de 4 kilomètres de profondeur. L’exploitation a perduré jusqu’en 2013 et est depuis très négligeable. L’extraction a vite été suspectée d’être la cause des séismes. Il faut bien voir que la déplétion du réservoir de gaz entraîne une diminution de la pression dans le sous-sol qui se restructure. La pression du gaz est passée de 66 mégapascals (650 fois la pression atmosphérique) à 1,5 mégapascal entre le début et la fin de la période d’exploitation. Les premières mesures réalisées grâce à des capteurs sismiques installés dans la région semblaient confirmer cette piste.

Existe-t-il une autre hypothèse ? Les exploitants injectent des eaux usées dans le réservoir. Ces fluides viennent en partie de l’extraction. Quand on exploite un réservoir d’hydrocarbures, on extrait aussi de grandes quantités de fluide dont on n’a pas besoin. Ceux-ci sont réinjectés dans le réservoir. Une autre part des eaux usées viennent de rejets industriels. L’injection peut aussi déstabiliser le sous-sol et provoquer des séismes.

Avec Laeticia Jacquemond, une étudiante en géosciences, et nos collègues, notre travail a d’abord consisté à reprendre toutes les données depuis

cinquante ans, et les analyser à la lumière de nos connaissances actuelles. Cela nous a permis d’avoir un lot de données plus cohérentes et de conclure que l’hypothèse d’une sismicité essentiellement liée à l’extraction n’était pas correcte. Depuis 2020, en partenariat avec le centre de recherche allemand en géosciences, à Potsdam, en Allemagne, nous avons installé un nouveau réseau de capteurs plus dense et sensible qui nous permet d’analyser plus finement les séismes pour mieux les localiser.

Qu’avez-vous constaté ?

Grâce aux données quotidiennes sur les volumes d’eau injectée, nous avons constaté que si une forte injection de fluide se poursuivait sur plusieurs jours, alors nous observions une importante activité sismique. Cette réponse n’est pas toujours immédiate et peut se manifester dans un délai de plusieurs semaines à quelques mois. La corrélation est statistiquement forte. Cela suggère avec une bonne confiance que l’injection est la cause des séismes.

Quels sont les enjeux de comprendre ces séismes d’origine anthropiques ?

Depuis quelques années, les activités industrielles qui exploitent le sol en profondeur se multiplient : l’extraction de gaz et de pétrole, la fracturation hydraulique, l’injection d’eaux usées, la géothermie profonde, le stockage de CO2, etc. Il y a donc des enjeux de sécurité pour les populations locales et des questions économiques. À ce titre, trois sites en Europe ont été très étudiés : un site d’exploitation de gaz à Groningue, aux Pays-Bas, le projet de géothermie à Bâle, en Suisse, et celui de Strasbourg. Ces trois sites ont provoqué des séismes et des dégâts matériels qui ont entraîné l’arrêt ou la réduction de l’activité, avec des conséquences financières qui se chi rent parfois en millions d’euros. n L. Jacquemond et al., Geophysical Journal International, 2024.

M. Butano et al., SciPost, 2024.

La chronique de YVES GINGRAS

professeur d’histoire et sociologie des sciences à l’université du Québec à Montréal, directeur scientifique de l’Observatoire des sciences et des technologies, au Canada

ÉVALUATION PAR LES PAIRS… ET PAR LE MARKETING

Qui décide si un article scientifique doit être publié lorsque les rapports d’évaluation sont contradictoires ?

On répète souvent que les publications scientifiques sont d’abord évaluées par des pairs, experts du domaine, ce qui assure, autant que faire se peut, la validité des résultats publiés. Cela se fait parfois en simple aveugle (seuls les évaluateurs sont anonymes), parfois en double aveugle (les noms des auteurs de l’article sont aussi enlevés). Poussant le scrupule plus loin encore, certaines revues (je l’ai vécu !) font même du triple aveugle ! L’éditeur responsable de la décision d’accepter ou de refuser l’article ignore alors le nom des auteurs et des évaluateurs.

Cependant, on oublie une question cruciale : qui décide à la lumière de rapports d’évaluation contradictoires ? Cherche-t-on de nouveaux évaluateurs ou le responsable de la revue tranche-t-il de lui-même ? Un scandale récent impliquant Ranga Dias, de l’université de Rochester, aux États-Unis, jette un peu de lumière sur ce qui se passe au sein d’une revue prestigieuse, Nature. Expert en supraconductivité, le physicien avait fait parler de lui en 2020 grâce à une publication, dans

cette revue, annonçant la mise au point du premier matériau supraconducteur à température ambiante. Le résultat spectaculaire avait attiré l’attention des experts et, les doutes s’accumulant sur la validité des données, la revue avait dû rétracter l’article deux ans plus tard, tandis qu’une enquête pour fraude était lancée Mais en mars 2023, à peine un an

La course au scoop scientifique favorise sans doute la publication

après, Ranga Dias est revenu à la charge et a publié dans la même revue, pourtant très sélective, un autre article sensationnel annonçant un matériau supraconducteur à température ambiante ! Plusieurs physiciens ont alors contesté la décision de la revue et exigé de voir les rapports d’évaluation, sans succès Mais des journalistes y ont eu accès Les quatre

rapports étaient tous très critiques L’un d’eux a même mentionné le danger que ce cas ne devienne une autre « affaire Schön » ! Employé des laboratoires Bell, aux ÉtatsUnis, Jan Hendrik Schön avait publié des résultats exceptionnels dans le domaine des transistors moléculaires , lesquels s’étaient révélés totalement inventés Découvertes en 2002, ces fraudes avaient mené à la rétractation de nombreux articles, dont huit avaient paru en 2001 dans Science et dans Nature Deux évaluateurs de Ranga Dias rappelaient que des doutes sérieux existaient sur l’article de 2020 – alors toujours sous enquête – et qu’il manquait des détails importants sur la procédure de synthèse du matériau Après cinq versions où le physicien tentait de défendre ses résultats, un seul évaluateur conclut que les résultats étaient solides et un autre appuya mollement la publication Les deux autres étaient contre et demeuraient insatisfaits des explications fournies ou exigeaient d’autres mesures. Face à cette division, la revue décida tout de même de publier l’article Sachant que le précédent était sous enquête pour fraude et que l’éditeur et les évaluateurs connaissaient le nom des auteurs, pourquoi ne pas avoir sollicité l’avis d’autres évaluateurs ? La course au scoop scientifique a sans doute favorisé la publication Après tout, une fois l’excitation passée, il est toujours possible de rétracter l’article sans trop de bruit. En revanche, refuser de le publier risque de mener à une parution dans une autre revue qui gagnerait alors la visibilité associée à une découverte potentiellement majeure… Le bénéfice semble donc supérieur au risque, d’autant que ce n’est pas la première fois que des résultats extraordinaires sont rétractés dans les revues les plus prestigieuses. L’affaire Schön rappelle que cela est vite oublié Le nouvel article de Ranga Dias fut finalement rétracté en novembre 2023.

En somme, l’évaluation par les pairs est nécessaire , mais non suffisante Encore faut-il que les responsables des revues fassent passer la science avant le marketing… n

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ARCHÉOLOGIE

Aux origines des

Comme tous les Indo-Européens, les habitants de la région de Fontainebleau, pendant l’âge du Bronze, avaient des dieux masculins et féminins. À gauche, la représentation d’un personnage portant une ramure de cervidé : un dieu masculin évoquant le dieu Cernunnos, figure majeure du panthéon celtique et possible dieu père, puisqu’il est fréquemment associé à la déesse mère. À droite, une représentation probable de celle-ci, reconnaissable dans le contexte bellifontain à la forme de sa tête et à son vêtement à carreaux. Dans une composition saisissante, elle porte au niveau de son abdomen un humain paraissant juché sur un travois.

dieux celtiques

DANIEL SIMONIN, LAURENT VALOIS ET FRANÇOIS SAVATIER

L’ESSENTIEL

> Deux zones de la forêt de Fontainebleau ont livré un important ensemble de pierres et de panneaux rocheux gravés.

> La comparaison de ces représentations avec des décors de céramiques, datant du IXe siècle avant l’ère chrétienne, situe le corpus juste avant l’âge du Fer, la période gauloise.

> Des figurations évoquant d’importants dieux gaulois suggèrent qu’au fond d’une forêt qui allait devenir celle de Fontainebleau, on pratiquait déjà un culte apparenté à celui des Gaulois

LES AUTEURS

DANIEL SIMONIN archéologue émérite au musée de Préhistoire d’Île-de-France, à Nemours

LAURENT VALOIS président du Groupe d’études, de recherches et de sauvegarde de l’art rupestre

FRANÇOIS SAVATIER journaliste à Pour la Science

Un ensemble de gravures rupestres figurant des dieux montre qu’à la fin de l’âge du Bronze, on célébrait un culte dans les profondeurs de la forêt de Fontainebleau. Parmi les personnages représentés, plusieurs préfigurent les divinités celtiques.

En 2014, Richard Lebon prospecte un secteur de la forêt de Fontainebleau pour le Gersar – le Groupe d’études, de recherches et de sauvegarde de l’art rupestre . L’archéologue et mythologue amateur fait une découverte inattendue : plusieurs panneaux rocheux gravés dans un style différent de celui de l’art rupestre connu jusqu’alors dans la région. Ils portent des personnages étranges et des idéogrammes inhabituels dans ce contexte. Au fil du temps, c’est un vaste corpus de gravures rupestres que le chercheur, rejoint par l’actuel président du Gersar, Laurent Valois, va mettre au jour, révélant ainsi nombre de figures du panthéon préceltique, celui des ancêtres de nos ancêtres les Gaulois

Comme de nombreuses œuvres du corpus de Fontainebleau, ce panneau gravé sur rocher était difficile à remarquer, tant il est discret. Il ne mesure en effet que 38 centimètres de large.

Le Gersar est une association qui inventorie depuis 1975 le patrimoine rupestre de la forêt de Fontainebleau et contribue à sa protection. Territoire investi par les rois depuis le XIe siècle , cet immense domaine est une vaste étendue dont le substrat sableux résulte de la dernière incursion dans le Bassin parisien de la mer, il y a 33  millions d’années. Depuis le retrait marin, un phénomène naturel entraînant la précipitation de silice entre les grains de sable a produit au sein de la masse sableuse des lentilles de grès plus ou moins épaisses. Découvertes par la forte érosion éolienne des périodes glaciaires, ces lentilles sont devenues des « platières » , c’est- à - dire des tables gréseuses, partiellement disloquées, produisant ainsi les célèbres chaos rocheux, sur lesquels viennent s’exercer des grimpeurs du monde entier Les chasseurs-cueilleurs fréquentent cette importante zone sableuse et gréseuse depuis des périodes très reculées Les cultivateurs en revanche s’y sont peu intéressés, car les sols sont impropres à la mise en culture, de sorte que la seule activité agricole pratiquée pendant la protohistoire fut le pâturage ovin Quant à l’ambiance particulière qui se dégage des roches sculptées par les vents chargés de sable des périodes glaciaires, elle paraît avoir inspiré des croyances et cristallisé des pratiques cultuelles depuis des temps immémoriaux. Les étonnants pétroglyphes qui parsèment certaines zones de la forêt en portent indéniablement le témoignage De quoi sont- ils la trace ? Certains semblent très anciens, mais sont de prime abord difficiles à interpréter et dater. Utilisant essentiellement un répertoire de sillons – dispersés ou regroupés en séries –cruciformes , de quadrillages , de cupules (petites dépressions en forme de coupe) et de motifs « géométriques » divers, ces gravures dites « classiques » de Fontainebleau forment un ensemble ésotérique, qui ne se rattache par ses thèmes à aucun type de répertoire graphique connu ailleurs. Il en va tout autrement s’agissant des panneaux découverts par Richard Lebon , puisqu’ils incluent des symboles

© Emmanuel Breteau

inhabituels pour ce lieu, ainsi que des personnages et des animaux stylisés

Invité à examiner ces gravures par leur découvreur, Laurent Valois fit immédiatement le lien avec les signes présents sur certaines céramiques de la fin de l’âge du Bronze, point qu’il s’agissait d’approfondir… Ainsi, pour la première fois , un groupe de gravures de Fontainebleau promettait de pouvoir être mis en rapport avec un ensemble iconographique extérieur, situable chronologiquement !

UN ART RUPESTRE SIGNIFIANT

Ces panneaux se distinguaient par divers aspects des gravures classiques connues de longue date , notamment par leur grande finesse de trait et la concentration des gravures sur des surfaces restreintes. Leur réalisation dans des cavités discrètes (voir l’exemple de panneau page ci-contre) explique en outre qu’ils aient échappé jusqu’à aujourd’hui à l’attention des prospecteurs. La découverte des panneaux gravés s’annonçait donc importante ! Il apparut aussi que les pétroglyphes du style

« de la Malmontagne » – ainsi nommés d’après le lieu-dit de la découverte –, au-delà de leur similarité avec certains décors céramiques de la toute fin de l’âge du Bronze (voir les tableaux de pétroglyphes page 26), comportaient des éléments complètement nouveaux pour cette période Ainsi, ces représentations de travois systématiquement associés à un personnage et tirés par des animaux de trait (voir la photo page 23), ces créatures fantastiques, ces divinités aux attributs étranges… Bref, nous avions affaire à une iconographie complexe, qui donnait l’impression persistante d’un code mythologique ancien. Une fois obtenue l’autorisation du service régional de l’archéologie d’Île - de - France et en accord avec l’O ffi ce national des forêts , nous lançâmes un « programme collectif de recherche » Résultat : aujourd’hui , près de 300  panneaux gravés sont répertoriés , auxquels s’ajoutent plus de 300 petits blocs transportables figurant des gravures similaires Ce total tient compte d’un groupe de gravures identifié à partir de  2016 : le style

La forêt de Fontainebleau est depuis très longtemps un domaine forestier, car ses terres sableuses parsemées de chaos de blocs de grès sont impropres à l’agriculture.

« du Long Rocher », d’après le lieu-dit où il fut mis au jour. Manifestement, ce groupe de gravures est apparenté au style de la Malmontagne, mais il est aussi un peu différent Les dalles et autres blocs assez petits pour pouvoir être déplacés ont souvent été retrouvés sous des surplombs rocheux et , dans quelques rares cas, au pied de stèles Ainsi, par exemple, étaient enfouies, autour de l’une de ces dernières ( voir la photo page ci - contre ) , quatre pierres gravées de figures féminines à tête arrondie et au corps quadrillé dont de très nombreux exemplaires sont connus tant sur des panneaux fixes que sur des blocs mobiles au sein du corpus de Fontainebleau. Trois des stèles découvertes sont parfaitement alignées et donnent l’impression de marquer le tracé d’une sorte de « voie sacrée » partant du secteur de la vallée du Loing, cet affluent de la Seine qui longe en partie la forêt par le sud. Bref, c’est une véritable zone sanctuarisée qui semble se profiler, même si après des siècles et des siècles d’aménagements forestiers, les indices de son existence sont devenus ténus. Il fallait donc tout faire pour dater cette zone sanctuarisée A priori, la tâche promettait d’être redoutable D’une manière

À gauche, une partie des motifs relevés sur les panneaux gravés dans le grès en forêt de Fontainebleau. À droite, des motifs très similaires figurant sur des poteries datées de l’extrême fin de l’âge du Bronze français.

générale , la détermination des âges de gravures rupestres classiques de la forêt de Fontainebleau est très difficile, car leur datation directe est impossible

LE PROBLÈME DE LA DATATION

On a bien espéré pouvoir le faire grâce à des comparaisons stylistiques, mais cela s’est avéré hasardeux, tant le répertoire et les techniques de réalisation des pétroglyphes présentent des spécificités. Un autre espoir fut caressé : les dater grâce au matériel archéologique pouvant leur être associé. Malheureusement, cela aussi est inenvisageable en pratique, car l’exploitation par des carriers des grès de Fontainebleau pendant des siècles a détruit un nombre difficilement évaluable de cavités gravées, de sorte que nous manquons d’indices probants Pour ne rien arranger, de nombreuses cavités ont déjà été fouillées selon des méthodes anciennes ne satisfaisant pas aux exigences scientifiques actuelles Le mobilier archéologique issu de ces fouilles est d’ailleurs le plus souvent dispersé ou perdu À cela s’ajoute que les sols sableux de la forêt ont rarement permis la formation de sols stratifiés exploitables Ainsi, on comprend que la datation de « l’art rupestre

© Daniel Simonin et Laurent
Valois

Autour de cette stèle ont été découvertes des pierres portant des figurations de têtes de cervidés dont les ramures sont représentées à leurs différents stades de croissance au cours de l’année. Cette stèle et sa suite d’éléments mobiles étaient érigées dans la forêt le long de ce qui semble avoir été une sorte de voie sacrée.

classique » de Fontainebleau tient beaucoup de la cause perdue. Extraordinairement, ce n’est pas du tout le cas de la datation des gravures des styles de la Malmontagne et du Long Rocher Dans ce cas en e ff et , des parallèles stylistiques sont possibles ! Les personnages et les animaux sur les supports rocheux de ces deux ensembles sont représentés aussi sur des poteries datées de la toute fin de l’âge du Bronze En l’état actuel des découvertes, les céramiques portant ce type d’iconographie proviennent toutes cependant de contrées plus méridionales que la forêt de Fontainebleau : on en trouve dans le sud - est et le sud - ouest de la France et dans le centre du pays, mais aucune au nord de la Loire.

Parmi les signes concernés , on trouve notamment des peignes opposés séparés par des cupules, des svastikas, des croix comportant des points entre leurs branches , des motifs circulaires compartimentés en quartiers et présentant souvent des rayons périphériques, des personnages filiformes à tête marquée par une petite dépression circulaire, formant parfois des frises d’individus qui semblent se tenir par la main, des cervidés eux

L’ensemble des comparaisons donne la possibilité de proposer une a ribution claire des gravures à la période dite « du Bronze final » £

aussi filiformes Si ces éléments communs, pris un à un, n’ont pas valeur de preuve, leur présence sur les supports gréseux gravés par une culture de l’âge du Bronze vivant sur le territoire de la forêt de Fontainebleau et sur les céramiques de plusieurs autres cultures de la fin de cette même période constitue un phénomène frappant à propos duquel il serait très malaisé d’invoquer on ne sait quelles convergences hasardeuses ! L’ensemble de ces comparaisons permet donc de faire une proposition d’attribution claire des gravures relevant du style de la Malmontagne et peut-être de celui du Long Rocher – supposé un peu plus ancien –à la période dite « du Bronze final », soit aux dernières décennies du Xe siècle et à tout le IXe siècle avant notre ère (cette période précédant immédiatement le premier âge du Fer, dont le début se situe vers – 800).

DES ATTRIBUTS SPÉCIFIQUES

Or, certains des outils utilisés par les graveurs, découverts dans la forêt, constituent un indice qui conforte cet ancrage chronologique Mis au jour au sein de di ff érents dépôts de blocs mobiles gravés, ces outils ne sont que de simples fragments de silex obtenus en faisant éclater par percussion directe de petits galets probablement ramassés sur les rives du Loing ou de la Seine Aucun d’eux ne semble donc relever d’une tradition de taille préhistorique bien établie caractérisée par des formes standardisées reconnaissables, résultant de la mise en œuvre d’une chaîne opératoire optimisée Conclusion : il ne peut s’agir que de simples éclats produits par des gens qui ne taillaient plus habituellement le silex, ce qui est le cas des sociétés du Bronze final Des indices supplémentaires aident à préciser la nature et

Cet étrange svastika aux têtes de cerf (ci-dessous) est une image calendaire. En effet, dans le cas du cerf élaphe dominant en Europe, les mâles perdent leur bois après le solstice d’hiver (de février à mai), puis la repousse se manifeste vers l’équinoxe de printemps par des excroissances sur la tête, qui ont pris la forme de bois au solstice d’été, la croissance s’achevant en août avant la saison des amours terminée à l’équinoxe d’automne.

La symbolisation des états de la ramure du cerf élaphe servait donc peut-être à représenter la succession des saisons.

Les sistres sont des instruments sonores parfois munis de pendeloques, comme sur ce fac-similé (à gauche) découvert vers 1850 dans une tombe de l’âge du Bronze à Hochborn, en Allemagne. On les agitait pendant les cérémonies de l’Antiquité. Ci-contre, deux des personnages masculins, gravés sur les pierres de Malmontagne, portent un sistre.

l’époque de réalisation des gravures : certains personnages y sont représentés tenant un objet qui pourrait correspondre à une lyre D’autres portent une sorte de bâton terminé par un motif en forme de boule, que l’on est tenté d’assimiler à un sceptre. Tous ces individus, dont la tête est figurée par une simple cupule, sont généralement de petite taille et peuvent être interprétés comme des représentations d’êtres humains. Par ailleurs, certains personnages à tête triangulaire brandissent un objet, que nous avons identifié comme étant un sistre , un instrument constitué par un

En haut à gauche
Devilliers, musée de préhistoire de Nemours ; en haut à droite et ci-contre
Laurent
Valois

cadre – ici un arc – auquel sont accrochées des pendeloques, qui produisent du son en s’entrechoquant lorsque l’on agite le manche (voir page ci-contre).

Pendant la protohistoire récente et l’Antiquité, des instruments de ce type ont eu un rôle rituel à travers un très vaste territoire, par exemple chez les anciens Égyptiens, chez les anciens Grecs et Romains, etc On a trouvé des restes de nombreux sistres, mais le modèle archéologique qui se rapproche de façon très précise des instruments représentés par les graveurs de Fontainebleau est un exemplaire en bronze trouvé au XIXe siècle dans le sudouest de l’Allemagne Or cette découverte unique est aussi datable de la fin du Bronze final, ce qui, une fois de plus, invite à situer les panneaux gravés des styles de la Malmontagne et du Long Rocher dans cette période

DES DIVINITÉS PRÉCELTIQUES

La présence sur ces panneaux de représentations de sistres suggère qu’au moins certaines compositions gravées renvoient à d’énigmatiques cérémonies religieuses orchestrées par des initiés Il est d’ailleurs envisageable que dans le système iconographique de la Malmontagne cet instrument soit un attribut permettant d’identifier une divinité, car les créatures qui brandissent un sistre possèdent clairement un statut supérieur à celui des représentants de l’humanité « ordinaire » Certains aspects des compositions gravées amènent aussi à considérer le corpus comme préceltique, même s’il date de l’âge du Bronze final, vers 950 avant notre ère ! C’est fascinant,

car on considère usuellement qu’en Europe tempérée l’ère celtique ne s’ouvre vraiment que vers 800 avant notre ère Au premier âge du Fer (800 à 450 avant notre ère), leurs cultures se sont d’abord développées dans une région que l’on situe généralement entre l’est de la France et l’Autriche ; puis , au second âge du Fer, période dite aussi « de La Tène » (450 à 25 avant notre ère), elles sont entrées en expansion au point de se répandre des îles atlantiques (Grande-Bretagne et Irlande) à l’Anatolie et des régions rhénanes et danubiennes à l’Italie et à l’Ibérie Trouver dans la forêt de Fontainebleau des représentations du futur panthéon des Celtes, gravées bien avant que leurs cultures dominent presque partout en Europe tempérée, est plus que notable Les panneaux de la Malmontagne et du Long Rocher intègrent en effet de nombreuses représentations de divinités des deux sexes Les créatures à tête ronde et vêtement quadrillé, à la vulve explicitement figurée dans de nombreux cas, sont indéniablement des divinités féminines Quand ils sont sexués, les personnages à tête triangulaire sont visiblement masculins. Or les têtes de certains d’entre eux figurant un dieu masculin sont dotées de bois de cerf, attribut qui identifie un important dieu du panthéon celtique : Cernunnos. Selon une interprétation répandue, ce dieu ordonnerait le cycle de la vie et représenterait simultanément la vie et la mort : germination et dépérissement C’est ce cycle que semblent représenter les différents états des ramures de cerf associées à un étrange svastika aux branches terminées par quatre têtes triangulaires (voir page ci-contre, en bas)

Ci-dessous, à gauche, une représentation du dieu Cernunnos opposée à celle d’un personnage aux doigts démesurés assimilable au dieu « Lugus aux longs doigts ». À droite, sur l’une des plaquettes gravées de Fontainebleau, une curieuse représentation de Cernunnos accompagné d’un serpent filiforme et cornu ainsi que d’un cervidé étrangement figuré.

L’une des plus célèbres représentations de Cernunnos d’époque gauloise est celle qui figure sur le bassin de Gundestrup, un vase cérémoniel celtique découvert au Danemark, qui d’après certains détails aurait été commandé au Ier siècle avant notre ère par des Gaulois immigrés en Europe de l’Est à des artisans thraces. L’un des panneaux du récipient montre Cernunnos assis en tailleur accompagné par un cerf et des taureaux, tous dotés de leurs bois ; d’une main, il brandit un serpent… cornu ! Semblablement , les Cernunnos filiformes de Fontainebleau sont régulièrement associés à des cervidés et à des serpents qui sont, eux aussi, pour nombre d’entre eux, cornus (voir les photos ci-dessus)

Nombre de raisons conduisent à penser que Cernunnos pourrait être la figure majeure du panthéon celtique , le dieu père des Gaulois L’une d’elles est le fait que pas moins de 900  ans après la réalisation des panneaux de Fontainebleau , Jules César a évoqué

À gauche, sur l’un des panneaux du bassin celtique de Gundestrup, le dieu Cernunnos est représenté assis en tailleur tenant un torque (bijou identitaire celte) de la main droite et un serpent cornu de la gauche. Un cerf a forte ramure se tient à côté de lui. À droite, ces représentations de personnages portant des ramures de cerf sur l’un des panneaux gravés de la forêt de Fontainebleau font irrésistiblement penser à Cernunnos.

l’importance de Cernunnos pour les Gaulois, en le rapprochant du dieu romain des enfers Dis Pater, qui deviendra Pluton Ainsi, au chapitre 18 du livre VI de La Guerre des Gaules, il écrivait : « Les Gaulois se vantent d’être issus de Dis Pater, tradition qu’ils disent tenir des druides C’est pour cette raison qu’ils mesurent le temps, non par le nombre des jours, mais par celui des nuits Ils calculent les jours de naissance, le commencement des mois et celui des années, de manière que le jour suive la nuit dans leur calcul. » Le fait que sur le bassin de Gundestrup, Cernunnos porte un torque à tampons – le collier emblématique des Celtes – et en tienne un autre à la main ne contredit nullement l’idée d’un Cernunnos dieu père des Gaulois. Donner à voir que cette divinité joue déjà un rôle prépondérant, et que différents aspects de son iconographie sont déjà en place, dès la phase ultime de l’âge du Bronze, n’est pas l’un des moindres apports du corpus gravé de Fontainebleau !

ET LA DÉESSE MÈRE

?

Chez les Indo-Européens, le dieu père est toujours accompagné d’une déesse mère £

Chez les Indo-Européens, le dieu père est toujours accompagné d’une déesse mère Estelle présente à Fontainebleau ? Nous en sommes convaincus, puisque des représentations d’un être féminin très caractéristique apparaissent sous forme isolée ou intégrée à de nombreuses compositions gravées. Sur ces représentations, la déesse féminine a pratiquement toujours le corps recouvert par un vêtement symbolisé par un quadrillage Ce dernier comprend parfois quelques cases ponctuées ; dans certains cas , la représentation de la déesse se limite même, semble-t-il, à de tels

quadrillages à cases ponctuées Des vulves triangulaires isolées figurent souvent à proximité des représentations et viennent confirmer le caractère féminin de la divinité. Celle - ci est souvent montrée en compagnie d’un oiseau aux ailes déployées , dont la représentation est très stéréotypée , mais également trop schématique pour permettre d’en identifier l’espèce Pourrait-il s’agir d’un corvidé ou d’un rapace , très présents dans la mythologie celtique ? On sait notamment que le vautour joue un rôle de passeur vers la mort chez les Gaulois Or, sur le bassin de Gundestrup, les oiseaux encadrant la déesse féminine – qu’une compagne est en train de natter et tenant elle-même un oiseau – se présentent aussi avec les ailes déployées (voir les photos ci-dessus)

La lecture du panthéon bellifontain, toutefois, ne se résume pas à cette polarité Les dieux peuvent être représentés à plusieurs, en position parfois opposée au bout d’un axe Ainsi , sur une plaquette gravée , on voit Cernunnos reconnaissable à ses bois, opposé à un dieu à tête triangulaire nue, doté de bras exagérément longs ou terminés par des mains aux doigts très longs. Les mythologues spécialistes de la période celtique Daniel Gricourt et Dominique Hollard pensent qu’il s’agit là de Lug (ou Lugus), le « brillant » (voir page 29, en bas). Cette autre puissante divinité celtique présente souvent des bras et des doigts démesurés qui symbolisent sa capacité à frapper partout et celle de maîtriser tous les arts Jules

César, au chapitre 17 du livre VI de La Guerre des Gaules, l’assimile à Mercure, et le présente comme le plus célébré des dieux gaulois : « Le

dieu qu’ils honorent le plus est Mercure : ses statues sont les plus nombreuses, ils le considèrent comme l’inventeur de tous les arts, il est pour eux le dieu qui indique la route à suivre, qui guide le voyageur, il est celui qui est le plus capable de faire gagner de l’argent et de protéger le commerce » Dans le corpus de la Malmontagne, il est représenté plusieurs fois en opposition à Cernunnos Cette opposition est connue par ailleurs, par exemple sur un fourreau d’épée datant de La Tène précoce (460-400 avant notre ère) provenant de la tombe 994 de la nécropole celtique aristocratique de Hallstatt, en Autriche, ou sur un autre fourreau sans doute de la même époque repêché dans le lac de Garde, en Italie Cernunnos et Lug y sont aussi représentés en opposition, de part et d’autre d’une roue à huit secteurs Ce dernier motif, très présent à Fontainebleau, représenterait l’année rythmée par les grandes fêtes celtiques. Une forme de calendrier, donc. Ensemble, Lug et Cernunnos s’occupent de faire défiler les saisons. Mais bien d’autres scènes sont pour le moment ininterprétables, et de nombreuses figures, divines ou surnaturelles, sont actuellement impossibles à identifier. Une chose , cependant, est claire : de nombreux éléments du nouveau corpus de Fontainebleau sont compatibles avec ce que l’on connaît du panthéon celtique, dont on sait désormais qu’il s’enracine à la fin de l’âge du Bronze C’est là, déjà, un résultat majeur, même si l’exceptionnel ensemble graphique de la Malmontagne et du Long Rocher pose aussi de nouvelles énigmes De longues années de travail s’annoncent, qui vont être nécessaires pour le décrypter n

Sur un panneau du bassin celtique de Gundestrup on reconnaît la déesse mère en train d’être coiffée par une servante, tenant un oiseau à la main et flanquée de deux représentations d’oiseaux (à gauche). On retrouve des éléments similaires à Fontainebleau, comme cette image d’oiseau sur un bloc de grès (au centre) et de nombreuses représentations de déesse féminines (à droite, l’une d’elles)

BIBLIOGRAPHIE

D. Simonin (dir.) et L. Valois (dir.), Pierres secrètes. Mythologie préceltique en forêt de Fontainebleau, Actes Sud, 2023.

J.-L. Brunaux, La religion celtique : une origine orientale ?, Pour la Science, n° 309, 2013.

D. Gricourt et D. Hollard, Cernunnos, le dioscure sauvage. Recherches comparatives sur la divinité dionysiaque des Celtes, L’Harmattan, Paris, 2010.

C. Goudineau, La religion gauloise revisitée, Pour la Science, n° 345, 2006.

L’ESSENTIEL

> Les propriétés des métaux, comme la conduction électrique, sont dues au comportement et aux interactions des électrons.

> Certains métaux, dits « étranges », défient les modèles physiques traditionnels à cause des fortes

interactions et corrélations entre les électrons.

> De nouvelles méthodes expérimentales sondent ces matériaux pour mieux les comprendre et guider les e orts théoriques.

L’AUTEUR

DOUGLAS NATELSON professeur de physique à l’université Rice, au Texas, où il étudie les propriétés émergentes des matériaux

Métaux étranges De nouveaux matériaux déjouent les règles de la physique

Cuivre, platine, aluminium, or… Les métaux ont joué un rôle si transformateur dans l’histoire de l’humanité que certains d’entre eux ont donné leur nom à des périodes historiques (l’âge du Bronze, l’âge du Fer). L’ère de l’information dépend d’eux. Pourtant, leur véritable nature devient plus mystérieuse à mesure qu’on les explore.

Après des siècles d’études, les physiciennes et physiciens ont une bonne compréhension de la plupart des métaux. Leur aspect brillant et la fraîcheur au toucher qui les caractérisent sont toutes deux des conséquences du mouvement et de l’in teraction de leurs électrons. L’éclat d’un métal , par exemple , provient de sa capacité à conduire l’électricité même aux fréquences extrêmement élevées de la lumière visible, et la sensation de froid qu’il procure résulte de sa capacité à conduire la chaleur, meilleure que celle d’un matériau isolant tel que le bois ou le verre

Cependant, les scientifiques ont récemment découvert que certains métaux, nommés « métaux étranges » , présentent un comportement électronique déroutant. Les électrons semblent y perdre leur identité individuelle et se comportent plutôt comme une soupe dans laquelle toutes les particules sont liées par intrication quantique. La physique de ces électrons en forte interaction semble même refléter certaines des façons dont les particules agissent à l’horizon des trous noirs. En observant ces cas singuliers, les physiciens espèrent mieux comprendre tous les métaux et les phénomènes physiques extrêmes susceptibles de se produire dans les matériaux solides.

Pour cerner l’étrangeté de ces métaux, examinons d’abord le fonctionnement des métaux ordinaires Comme tous les matériaux, les métaux sont constitués d’atomes : des noyaux chargés positivement entourés

d’électrons chargés négativement. Grâce à des liaisons chimiques, les atomes transfèrent et partagent des électrons. Dans les métaux, certains de ces électrons (les électrons de valence) circulent librement dans le matériau et transportent leur charge électrique négative lorsqu’ils sont propulsés par un champ électrique Ce mouvement est appelé « courant électrique ».

Les électrons ont été découverts en 1897, à l’époque où les physiciens commençaient à définir les propriétés statistiques de particules en grand nombre. Étant donné que 1 centimètre cube d’un solide contient environ 1023 atomes, toute approche visant à décrire les matériaux réels doit en effet être statistique Les premières tentatives d’application de la physique au fonctionnement des matériaux solides partaient du principe que les électrons d’un métal se comportaient comme les molécules d’un gaz Toutefois, à la fin des années 1920, la première révolution quantique a eu lieu, révélant que les électrons, comme toutes les particules quantiques, ont des propriétés ondulatoires

PRINCIPE D ’EXCLUSION

En considérant les électrons comme des ondes, nous pouvons imaginer un modèle quantique simplifié d’un métal . Chaque onde électronique a une quantité de mouvement inversement proportionnelle à sa longueur d’onde et une énergie cinétique proportionnelle au carré de sa quantité de mouvement Dans ce modèle très rudimentaire, énergie et quantité de mouvement varient donc dans le même sens Si nous ne prenons en compte qu’une seule dimension, nous pouvons envisager les états des électrons comme des voies de circulation sur une autoroute L’état le moins énergétique est la voie lente, et il y en a une en direction de l’est et une autre en direction de l’ouest. Une loi quantique connue sous le nom de « principe d’exclusion de Pauli », qui stipule que deux électrons ne peuvent pas partager

Dans certains alliages métalliques, et dans certaines conditions expérimentales, les électrons semblent perdre leur individualité et agir collectivement comme une « soupe » quantique.

© Mark Ross

des états quantiques identiques, implique que chaque voie peut contenir deux électrons (représentés par des voitures), avec un électron prenant une valeur de « spin up » et l’autre de « spin down » (représentées par les couleurs bleu et orange, voir la figure 1). La propriété quantique du spin exprime le moment angulaire de l’électron, mais n’équivaut pas à une rotation réelle En toute rigueur, ces voies de transport parallèles sont indexées par la quantité de mouvement et le spin des électrons

Une fois que les voies lentes sont pleines, les voitures-électrons supplémentaires doivent emprunter les autres à plus grande vitesse. Imaginez maintenant un très grand nombre d’électrons et donc un très grand nombre de voies Les électrons qui se trouvent dans les plus lentes ne peuvent pas en changer parce que celles dont l’énergie est immédiatement supérieure ou inférieure sont déjà pleines (c’est ce qu’on appelle le « blocage de Pauli »). Seuls les électrons les plus rapides ont accès aux voies inoccupées (voir la figure 2).

Branchez maintenant une batterie au système pour ajouter un champ électrique orienté vers l’ouest le long de l’autoroute Ce champ accélère les voitures-électrons se dirigeant vers l’est, de sorte que les électrons ayant des voies libres à côté d’eux peuvent se déplacer vers celles à plus grande vitesse Il décélère également les voitures allant vers l’ouest, de sorte que les électrons ayant des créneaux libres près d’elles circulent vers les voies à plus faible vitesse se dirigeant vers l’ouest L’augmentation nette du trafic vers l’est qui en résulte (les charges négatives se déplaçant vers l’est) est le courant électrique (voir la figure 3).

Ce modèle est un modèle simplifié parce qu’il ignore délibérément deux choses importantes Premièrement , il ne décrit que les

Atome

Noyau

Trou dans la couche de valence

Un électron de valence comble le trou

Les électrons suivent le mouvement en cascade

Électron

Dans les métaux ordinaires, certains électrons (les électrons de valence) circulent librement dans le matériau et transportent leur charge électrique négative lorsqu’ils sont propulsés par un champ électrique. Ce mouvement est appelé « courant électrique ».

Mouvement des électrons

Sens du courant électrique

électrons et n’a rien à dire sur les atomes qui composent le matériau. Or dans les solides cristallins, les atomes s’alignent en réseaux réguliers et périodiques. L’état de chaque électron équivaut à une onde qui tient déjà compte du réseau d’atomes. Notre analogie avec les voies de circulation s’applique toujours, mais il y a maintenant des bandes de voies ( des bandes d’énergie accessibles aux électrons) séparées par un espace symbolisant l’écart en énergie à combler pour passer de la bande du bas à celle du haut ( zone hachurée sur la figure 4) Si la voie de la plus haute énergie occupée par les électrons en possède à côté d’elle une autre, libre, le système est un métal, car les électrons peuvent toujours changer de voie En d’autres termes , le matériau peut conduire le courant. Si toutes les voies de chaque bande sont complètement occupées ou complètement vides, il y a deux possibilités selon l’écart d’énergie séparant les bandes Si cet écart d’énergie est très grand par rapport à l’échelle d’énergie thermique, le système est un isolant ( comme le diamant ). Si l’écart d’énergie entre les bandes est plus petit que

l’énergie thermique, le matériau est un semiconducteur (comme le silicium).

La deuxième raison qui fait que ce modèle est simplifié est qu’il ignore les interactions entre les électrons Nous apprenons pourtant à l’école que les charges similaires se repoussent Le principe de Pauli est la clé pour comprendre ce modèle : dans les atomes, comme cette loi oblige les électrons supplémentaires à se placer dans des états d’énergie de plus en plus élevés ( également qualifiés d’« orbitales »), l’énergie cinétique finit souvent par être plus importante que la répulsion entre électrons.

LIQUIDE DE FERMI

Il y a près de soixante-dix ans, le physicien russe Lev Landau et ses collaborateurs ont formulé une conjecture incroyablement fructueuse , aujourd’hui connue sous le nom de « théorie du liquide de Fermi », pour tenter de comprendre les interactions entre les électrons dans les métaux. Les électrons qui interagissent dans un liquide de Fermi donnent naissance à ce que nous appelons des « quasiparticules » Une quasiparticule est un état excité qui possède toutes les propriétés que l’on associe à une particule (charge, spin, quantité de mouvement, énergie), sauf qu’elle n’existe que lorsqu’elle est intégrée dans un système plus vaste à plusieurs corps L’analogue d’une quasiparticule est la ola dans un stade. Lorsque les supporteurs font la ola, un observateur voit une vague de personnes debout qui semble se déplacer dans le stade, avec à tout moment une position et une vitesse précises , quand bien même chaque spectateur reste à sa place La vague est un objet collectif construit à partir des mouvements coordonnés des membres du public qui

interagissent Les physiciens ont découvert tout un zoo de quasiparticules dans les matériaux solides : phonons , magnons , spinons , holons et plasmons. Les quasiparticules sont le résultat d’interactions électron-électron. Imaginez une personne essayant de se frayer un chemin dans une pièce bondée : sa vitesse, par exemple, n’est pas celle qu’elle aurait dans une pièce vide (où il n’y a pas interaction), car son mouvement est affecté par les autres personnes, qui doivent se réorganiser pour permettre le passage. En considérant les actions collectives des électrons comme des quasiparticules, les physiciens ont fait des prédictions testables, vérifiées à maintes reprises lors d’expériences sur des métaux tels que l’or, l’argent, le cuivre et l’aluminium Par exemple, la résistivité électrique – la résistance d’un matériau au passage d’un courant – d’un liquide de Fermi à basse température devrait varier proportionnellement au carré de la température, et les expériences montrent que c’est bien le cas. Ces dernières années, les physiciens ont découvert plus d’une dizaine de matériaux qui sont manifestement des métaux, en ce sens que leur résistivité électrique diminue avec la température, mais qui ne sont pas des liquides de Fermi. Dans ces métaux étranges, la résistivité à basse température varie linéairement avec la température plutôt qu’avec son carré. Parmi ces matériaux figurent certains supraconducteurs à base d’oxyde de cuivre et à base de fer, certains matériaux à fermions lourds et les doubles couches de graphène, dans certaines conditions

La plupart d’entre eux sont issus d’expériences de laboratoire portant sur des matériaux connus pour être proches d’une transition entre deux phases ( par exemple entre un

Ce texte est une adaptation de l’article Strange Metals,publié par Scientific American en avril 2024.

Métal
Isolant

supraconducteur et un métal ou entre différents états magnétiques). À première vue, ces métaux étranges ne semblent pas très remarquables

Bien qu’ils aient tendance à être durs et cassants plutôt que mous et ductiles, leur « étrangeté » n’est pas apparente à température ambiante, car l’énergie thermique écrase les effets quantiques

De nombreux matériaux semblent être des métaux parfaitement ordinaires jusqu’à ce qu’ils soient proches d’un point critique quantique particulier, sur le plan de la température, de la pression et d’autres paramètres. À ce point critique, lorsqu’ils sont proches du zéro absolu (c’est-à-dire dans leur état fondamental), les matériaux passent d’une phase conventionnelle à l’autre (par exemple, deux phases métalliques ordinaires mais aux propriétés magnétiques différentes). En revanche, à des températures et des énergies plus élevées, ils deviennent des métaux étranges

La différence entre une dépendance en T ou en T2 à basse température peut sembler anodine, mais ce n’est pas le cas. Ce changement implique l’échec de la théorie du liquide de Fermi et, selon certains scientifiques, l’effondrement de l’image des quasiparticules des électrons excités. En l’absence de quasiparticules, c’est comme si les électrons perdaient leur individualité et agissaient collectivement comme une soupe à forte interaction dans laquelle toutes les particules sont fortement intriquées L’intrication est une sorte de connexion quantique qui fait que les destinées des particules sont entrelacées Lorsque les électrons d’un métal sont fortement intriqués, leur comportement collectif change

UNIVERSELLEMENT ÉTRANGES

Un résultat fascinant est que l’échelle de temps sur laquelle les électrons se répartissent la quantité de mouvement dans de nombreux métaux étranges (mais pas tous) est planckienne, ce qui signifie qu’elle est essentiellement régie par la mécanique quantique (à travers ce que l’on appelle la « constante de Planck ») et la température, indépendamment de tout détail des matériaux Ce type d’universalité entre tous les

MÉTAUX CONVENTIONNELS

Évolution de la résistance en fonction de la température

Résistance

Température

Résistance

métaux étranges et le fait que la métallicité étrange apparaisse dans de nombreux matériaux différents suggèrent qu’un principe d’organisation plus profond est à l’œuvre. Les modèles théoriques décrivant les phénomènes des métaux étranges tirent vers l’exotisme. Certains modèles font même correspondre le comportement des électrons à la physique des horizons des événements autour des trous noirs

Ces perspectives inspirent les expérimentateurs : comment pouvons-nous savoir si les électrons agissent en coopération dans une « soupe » quantique ou comme des quasiparticules électroniques presque indépendantes ?

Comment , avec un ensemble limité d’outils , distinguer expérimentalement différents modèles, étant donné que nous ne pouvons pas observer tous les électrons ?

Quatre pistes expérimentales laissent entrevoir des réponses La première approche consiste à utiliser un faisceau d’électrons pour fournir des quantités précises d’énergie et de mouvement aux électrons du métal, un processus appelé « spectroscopie de perte d’énergie des électrons », résolue en quantité de mouvement En déterminant comment l’ensemble du système électronique absorbe l’énergie et la quantité de mouvement, les physiciens peuvent distinguer les contributions des quasiparticules conventionnelles de celles d’une soupe quantique collective.

Une deuxième technique repose sur des méthodes très précises récemment mises au point pour étudier la manière dont un courant circule à l’intérieur d’un matériau. Dans cette approche, les physiciens utilisent des capteurs de champ magnétique incroyablement sensibles L’un de ces capteurs est un minuscule anneau supraconducteur (un Squid, pour superconducting quantum interference device), qui produit une tension précisément liée à la quantité de champ magnétique qui circule à travers l’anneau Un autre capteur est constitué d’un cristal de diamant présentant un défaut particulier : il manque un atome de carbone et la place vacante est occupée par un atome d’azote ( d’où le nom de centre NV pour nitrogen

MÉTAUX ÉTRANGES

Évolution de la résistance en fonction de la température

Température

Supraconductivité éventuelle

vacancy). Les propriétés optiques de ce centre NV sont très étroitement associées au champ magnétique local, ce qui en fait un bon capteur

En cartographiant les champs magnétiques à proximité d’un métal étrange, les chercheurs peuvent déduire les détails du courant électrique, y compris les signes de coopération des électrons, et la « mer » d’électrons qui se comporte comme un fluide à très faible viscosité

Une troisième approche fait appel à l’optique pour étudier la transmission et la réflexion de la lumière à des longueurs d’onde comprises entre 100 nanomètres et 1 millimètre environ

Les chercheurs exploitent cette approche pour déduire comment le processus de conduction électrique, y compris la diffusion, dépend de la fréquence du champ électrique Les relations entre la conductivité, la fréquence et la température peuvent permettre de mieux comprendre si le matériau est planckien

BRUIT DE GRENAILLE

La quatrième piste, celle que nous suivons dans mon laboratoire, consiste à mesurer le bruit de grenaille dans le courant circulant à travers un métal étrange Le bruit de grenaille est lié à la granularité de la charge électronique. Si un courant est transporté par des porteurs de charge discrets (tels que des électrons individuels ou des quasiparticules), par opposition à une soupe continue, la variation statistique de leurs temps d’arrivée entraîne des fluctuations du courant . Prenons l’exemple des gouttes de pluie qui tombent sur votre toit La même quantité d’eau par unité de temps peut arriver sous la forme d’une pluie douce et régulière composée de nombre de petites gouttes ou sous la forme d’une averse très variable composée de gouttes moins nombreuses mais beaucoup plus grosses La mesure des fluctuations du courant nous renseigne sur la quantité de charge transportée à un moment donné Nos mesures ne sont possibles que parce que nous utilisons des films de haute qualité d’un métal étrange, dont la formule chimique est YbRh2Si2. Il est élaboré par nos collaborateurs de l’université technique de Vienne, en Autriche. Ce matériau présente un point critique quantique entre deux états correspondant à des liquides de Fermi distincts, qui devient clair et net à des températures inférieures à 50 millièmes de degré au-dessus du zéro absolu, selon le champ magnétique Dans mon laboratoire, nous avons créé des fils nanométriques à partir de ces films et observé le bruit de grenaille dans le courant électrique. Aux températures de nos expériences, de 3 kelvins à 10 kelvins, ce matériau se comporte comme un métal étrange. Si les électrons de ces fils s’écoulaient davantage comme un fluide continu que comme un flux de quasiparticules discrètes, le bruit de grenaille serait inférieur à celui d’un liquide de Fermi

MÉTAL CONVENTIONNEL

Point critique quantique

Distance entre les atomes

Température

Supraconducteur

MÉTAL ÉTRANGE

MÉTAL CONVENTIONNEL

De nombreux métaux semblent ordinaires jusqu’à ce qu’ils soient proches d’un point critique quantique, sur le plan de la température, de la pression et d’autres paramètres. À ce point critique, lorsqu’ils sont proches du zéro absolu, ces matériaux passent d’une phase conventionnelle à l’autre (par exemple, deux phases métalliques ordinaires, aux propriétés magnétiques différentes). Mais à des températures et des énergies plus élevées, ils deviennent des métaux étranges.

Nous avons effectivement mesuré une telle suppression du bruit de grenaille dans notre métal étrange, alors que des mesures de contrôle sur des fils d’or ont donné les résultats attendus d’un liquide de Fermi Nos mesures ne correspondent pas encore à un modèle théorique définitif de ce qui se passe dans les métaux étranges, mais elles nous aident à nous orienter dans la bonne direction

BIBLIOGRAPHIE

L. Chen et al., Shot noise in a strange metal, Science, 2023.

P. W. Phillips et al., Stranger than metals, Science, 2022.

Les métaux étranges révèlent l’échec apparent de l’un des modèles physiques les plus performants pour décrire les solides Pour les physiciens, cet échec constitue une invitation à l’exploration Mais ces métaux ne sont pas seulement un sujet de recherche fondamentale motivé par la curiosité Ils pourraient s’avérer importants pour des technologies dont on a un besoin urgent Les scientifiques ont observé l’émergence de la supraconductivité dans plusieurs familles de métaux étranges à des températures relativement élevées. La compréhension de ces métaux nous aiderait à développer des supraconducteurs fonctionnant à température ambiante ou approchante, ce qui pourrait transformer les réseaux électriques, l’informatique quantique et les appareils médicaux Si nos explorations des frontières inconnues de la physique de l’état solide sont couronnées de succès, il y a toujours une chance que la prochaine ère technologique soit connue sous le nom d’« ère des métaux étranges » n

LES AUTEURS

JEAN-MICHEL COURTY ET ÉDOUARD KIERLIK

professeurs de physique à Sorbonne Université, à Paris

Comment concevoir la coque d’un bateau pour optimiser la puissance de sa propulsion ?

En étudiant le comportement de maque es en bassin. Mais le passage d’une échelle à une autre n’est pas si simple…

NAVIGUER SANS

FAIRE DE VAGUES

En 1858, le Great Eastern, le plus grand paquebot jamais construit à l’époque , fut inauguré en grande pompe Hélas, le bateau était si lent qu’il ne fut jamais rentable pour transporter des passagers et fut reconverti pour poser le premier câble transatlantique sous - marin C’est que son système de propulsion combinant voiles , roues à aubes et hélice, conçu empiriquement, était sous - dimensionné . Personne n’avait su correctement estimer la puissance motrice nécessaire pour composer

avec l’accroissement de la résistance de l’eau qui allait de pair avec celle de la taille du navire. L’ingénieur britannique William Froude, dans les années 1870, fut le premier à combler cette lacune en établissant les lois de la résistance à l’avancement des navires.

PREMIERS ESSAIS EN BASSIN

William Froude s’attela à ce problème en étudiant le comportant de maquettes, tout d’abord dans une rivière, puis dans le premier bassin d’essai de carène où ses modèles , solidaires d’un chariot suspendu à un long rail et tiré par un treuil (voir la figure ci-dessus), se déplaçaient à vitesse constante. La traînée, la force de résistance à l’avancement, était mesurée par un dynamomètre.

À quoi peut-on s’attendre ? Comme le passage du bateau met l’eau en mouvement, la physique prévoit que la traînée est proportionnelle à la moitié du produit de la masse volumique de l’eau, de la surface mouillée et du carré de la vitesse Le coe ffi cient de proportionnalité est un nombre sans dimension Cela ne signifie pas qu’il soit constant ! L’ingénieur constata que ce nombre dépendait peu de la forme précise de la coque et se comparait bien entre maquettes différentes seulement si leurs vitesses étaient dans le même rapport que la racine carrée des longueurs de leurs carènes, c’est-à-dire de la partie immergée de la coque

Par exemple , une maquette de 1  mètre qui se déplace à une vitesse de 1 nœud (1,852 km/h) modélise un bateau

© Illustrations de Bruno
Vacaro

Si William Froude s’était occupé du Great Eastern, en estimant la puissance motrice nécessaire pour son gigantisme, à partir de maquettes, ce paquebot aurait peut-être connu un destin plus glorieux.

long de 25  mètres qui se déplace à 5 nœuds, et non à 25 nœuds Autrement dit, si l’on veut conserver le même comportement dynamique, lorsque l’on fait un changement d’échelle géométrique, il faut aussi changer celle du temps Dans notre exemple, la dilatation des grandeurs d’un facteur 25 doit s’accompagner d’une dilatation du temps d’un facteur 5.

DES VAGUES RÉSISTANTES

Pour interpréter les observations de William Froude , soyons audacieux et oublions un instant des sources de dissipation possibles : la viscosité et la production de turbulences Un résultat étonnant de la mécanique des fluides est que tant que l’on se trouve en profondeur, loin de la surface, sans turbulence, un objet qui

DANS LE CREUX DE LA VAGUE…

Le coe cient de traînée CW due aux vagues croît avec le nombre de Froude Fr, un nombre sans dimension qui dépend de la vitesse du navire, de l’accélération de la pesanteur g et de la longueur de la carène (en bleu). De fait, plus le bateau va vite, plus le débit d’eau déplacée est important et plus la hauteur des vagues, donc leur énergie, augmente. Cependant, la longueur d’onde (en orange) des vagues créées influe aussi, à cause de phénomènes d’interférences, ce qui explique les creux et les bosses dans la courbe.

Longueur de la carène

Longueur d’onde

Nombre de Froude Fr

se déplace à vitesse constante dans un fluide incompressible sans viscosité ne subit aucune traînée : c’est le paradoxe de d’Alembert Même si la pression exercée en chaque point de la coque dépend de la vitesse de l’écoulement à côté de ce point, la résultante de l’ensemble des forces qui s’exercent sur la coque est juste la poussée d’Archimède, car les effets de pression dus à la vitesse se compensent entre eux. Remontons doucement l’objet jusqu’à le faire sortir de l’eau. Dès qu’il commence à s’approcher de la surface, celle-ci se déforme et des vagues apparaissent. Or ces vagues s’éloignent de la trajectoire du bateau en emportant avec elle de l’énergie La conséquence est une résistance à l’avancement et donc une force de traînée d’autant plus importante que la hauteur des vagues est grande. Et cela alors que nous n’avons considéré ni la viscosité, ni la présence éventuelle de turbulences. De plus, les résultats expérimentaux de William Froude suggèrent que ce qui détermine l’effet des vagues sur le bateau est essentiellement le rapport entre la longueur d’onde du système de vagues et la taille du navire L’étude de la dynamique des vagues montre que la distance entre deux crêtes successives – leur longueur d’onde donc – est égale à 2 fois le carré de leur vitesse V – ici celle du bateau – divisée par l’accélération de la pesanteur g. Aussi, si l’on veut conserver avec une maquette le même rapport entre longueur d’onde des vagues et taille du navire, doit-on diviser la vitesse de déplacement par la racine carrée du facteur de réduction de la longueur de la coque

La figure ci-dessus montre comment évolue typiquement le coefficient de traînée CW due aux vagues avec, pour parler un langage contemporain, le nombre de Froude Fr, un nombre sans dimension,

Les auteurs ont notamment publié : En avant la physique !, une sélection de leurs chroniques (Belin, 2017).

rapport de la vitesse du navire sur la racine carrée du produit de l’accélération de la pesanteur par la longueur de la carène. Premier constat : le coefficient de traînée croît rapidement avec Fr, car plus le bateau va vite, plus le débit d’eau déplacée est important et plus la hauteur des vagues, donc leur énergie, augmente. La puissance motrice nécessaire pour vaincre la résistance des vagues, produit de la traînée par la vitesse, varie ainsi plus vite que le cube de la vitesse. C’est difficile d’aller vite sur l’eau !

Deuxième constat : la croissance de CW n’est pas régulière Il y a des bosses et des creux (voir la figure page précédente) Pourquoi ? Toute la coque contribue à créer le système de vagues qui entourent le bateau Néanmoins , la proue et la poupe jouent un rôle particulier La première écarte l’eau immobile devant elle et cette dernière va former un bourrelet, la vague d’étrave. La poupe au contraire libère derrière elle un espace où l’eau environnante s’engouffre et forme donc un creux La vague d’étrave se développe vers l’arrière, les crêtes étant séparées par une longueur d’onde

Que se passe-t-il si la crête de la vague d’étrave coïncide avec le creux de la vague de poupe ? On a une compensation au moins partielle qui va diminuer la hauteur de la vague issue de la superposition de ces deux vagues Des vagues moins hautes, c’est moins d’énergie à fournir par le bateau et donc une traînée réduite Au contraire, si le creux de la vague de poupe coïncide avec le creux de la vague d’étrave, on va plus creuser la mer et former un système de vagues plus hautes audelà La traînée sera augmentée

Cette analyse très simplifiée garde sa pertinence lorsqu’on tient compte de toute la coque : les variations de vitesse s’accompagnent d’interférences constructives ou destructives dans le système de vagues qui viennent moduler légèrement la croissance du CW. Ce phénomène peut être inspirant : il explique l’intérêt du bulbe d’étrave, ce renflement qui pointe vers l’avant, sous l’étrave (voir la figure ci-dessus).

L’EFFET DE LA VISCOSITÉ

Le bateau doit aussi être assez gros En effet, plus il est petit, plus la traînée visqueuse, oubliée jusqu’ici, joue un rôle important. Quelle en est l’origine ? Plus elle est proche de la coque, plus l’eau a une vitesse qui se rapproche de celle du navire En conséquence, des filets d’eau s’écoulent à des vitesses différentes et se

UN BULBE À VITESSE DE CROISIÈRE

Le bulbe d’étrave, même sous l’eau, crée une vague dont la crête naît à l’avant du bateau. Quand le premier creux de cette vague (en orange) coïncide avec le bourrelet avant de la vague d’étrave (en blanc), le système de vagues est atténué, ce qui diminue la traînée. Profiter de cet avantage suppose de choisir la bonne vitesse, aussi est-il réservé aux bateaux qui se déplacent à une vitesse constante, cargos ou paquebots.

Bourrelet avant de la vague d’étrave

Premier creux de la vague du bulbe d’étrave

frottent les uns sur les autres , car ils sont visqueux : de l’énergie se dissipe , d’où l’apparition d’une traînée supplémentaire, accentuée par les turbulences de l’écoulement

Deux maquettes auront le même coefficient de traînée C F dû à la viscosité quand elles auront cette fois-ci le même nombre de Reynolds Re, qui fait intervenir le produit de la vitesse par la longueur de la carène De façon générique, le coefficient CF diminue lorsque Re, et donc la vitesse ou la taille du bateau, croît On a ainsi des effets de viscosité qui dominent pour les petites tailles/petites vitesses et des effets gravitationnels (les vagues) aux grandes tailles/grandes vitesses. Plus embêtant, si on travaille à Fr constant, on ne peut pas conserver Re. Une maquette au 1/25e qui se déplace au 1/5e de la vitesse du modèle original aura le même Froude mais un Re divisé par 125 ! Dès lors, on ne peut pas avoir de similitudes dynamiques parfaites de nos maquettes. Heureusement, il se trouve, comme William Froude en fit l’hypothèse , que la résistance des vagues dépend peu de la viscosité, donc de Re et que le frottement visqueux dépend peu des vagues, donc de Fr Même si on doit in fine conjuguer leurs effets, il est donc possible de les étudier séparément au prix d’un peu d’astuce. On peut aussi, comme on le fait aujourd’hui, utiliser des méthodes numériques… n

BIBLIOGRAPHIE

L. Birk, Fundamentals of Ship Hydrodynamics, Wiley, 2019.

A. Molland (éd.), The Maritime Engineering Reference Book, Elsevier, 2008.

C. Vaughan et M. O’Malley, Froude and the contribution of naval architecture to our understanding of bipedal locomotion, Gait & Posture, 2005.

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Étrave

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