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Personne ne sait comment les baleines à fanons trouvent leur nourriture £

des limites de pêche prudentes dans les eaux de la péninsule antarctique – moins de 1 % du stock dans le secteur Atlantique du sud-ouest de l’océan Austral – ces derniers, dans cette région , sont tout de même en déclin Cela peut être imputable au fait que les navires de pêche concentrent leurs efforts dans des zones que les manchots privilégient également La distribution et la biomasse du krill et d’autres espèces de proies changeant, les prédateurs , y compris les baleines , doivent adapter leurs routines de recherche de nourriture en conséquence

Des Routines Fragilis Es

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Tandis que le bateau pneumatique s’éloignait du bateau de croisière, les chercheurs installaient leur équipement. Ils utilisent un échosondeur pour envoyer des ondes sonores dans l’eau, où elles rebondissent sur le krill et les autres animaux qu’elles rencontrent, créant sur l’ordinateur portable de Joseph Warren une image des créatures dérivant dans la colonne d’eau. Plus la fréquence du « ping » est basse, plus le transducteur « voit » en profondeur Les pings à haute fréquence , en revanche , permettent de voir des cibles plus petites Ainsi, l’équipe utilise deux fréquences, l’une basse et l’autre haute, pour rechercher les agrégations de krill, qui se trouvent généralement dans les 200 mètres supérieurs de la colonne d’eau La mascotte du laboratoire de Joseph Warren, un jouet à l’effigie d’un petit cochon couinant, nommé Sir Pings-a-Lot II, surveillait les travaux « On ne fera pas plus excitant que ça », plaisante le chercheur en laissant tomber l’échosondeur à la mer

Le krill n’est pas aussi passionnant à suivre que ses prédateurs, mais ces dernières années, c’est la science qui s’est développée à son propos qui a produit les meilleurs résultats

Pendant que le bateau principal se déplaçait le long de « lignes de transect », dessinant un quadrillage de la zone à explorer, Kentaro Saeki se penchait toutes les deux minutes par-dessus bord afin de prélever de l’eau à la surface de la mer en vue de l’analyser. Deux mallettes en plastique de la taille d’un sac et d’une valise à main contenaient l’équipement nécessaire pour mesurer la présence de DMS dans les échantillons d’eau . D’abord , le barboteur y insuffle de l’air pour faire passer le DMS en phase gazeuse, puis le séchoir élimine toute humidité persistante Après cela, l’ozonateur forme du soufre élémentaire à partir du DMS gazeux, et un photomultiplicateur mesure la lumière émise par le soufre – la quantité de lumière est proportionnelle à la quantité de DMS présente. Auparavant, ce type d’analyse était effectué en laboratoire ; mais les chercheurs de l’institut Woods Hole ont pu miniaturiser le dispositif de mesure du DMS mis au point par Kei Toda pour le faire tenir dans un petit bateau « Avoir réussi à faire fonctionner le détecteur de DMS dans un bateau aussi petit, c’est notre exploit de la saison, se réjouit Daniel Zitterbart Nous ne savons pas combien de temps le signal du DMS issus de l’échantillon d’eau demeure viable Par prudence, nous le traitons en moins de deux minutes. »

Contrôler les données de l’échosondeur, prélever l’eau, traiter l’échantillon. Répétez l’opération Il n’y avait aucune baleine ici pour distraire les chercheurs de la monotonie de ce travail ; rien d’autre qu’un ciel d’un bleu intense, un vent brutal et le bourdonnement du moteur hors-bord Nous avions effectué plus de la moitié du relevé lorsque l’échosondeur a enfin détecté du krill – un groupe de crustacés suspendus au-dessus du fond marin dans les eaux peu profondes de la baie Le manque d’adrénaline de ce travail a été compensé par son impact scientifique potentiel « Une grande partie de ces baies n’a pas encore été étudiée par qui que ce soit, donc toutes les données que nous pouvons obtenir sont précieuses », remarque Joseph Warren Les scientifiques sont retournés sur le navire avec deux agrégations de crustacés détectées et des dizaines d’échantillons d’eau analysés des données qui les aideront à comprendre comment le krill et le DMS sont répartis dans l’océan Austral et à établir une base de référence pour mesurer les changements futurs. En mars, le bref été austral touchait déjà à sa fin. La lumière du jour cédait du terrain à l’obscurité et la glace de mer commençait à s’étendre. Bientôt, les baleines à bosse se dirigeraient vers le nord pour se reproduire dans les eaux chaudes au large des côtes occidentales de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale. Peut-être était-ce pour cette raison qu’elles ne coopéraient pas Bien que les chercheurs aient réussi à marquer les cinq individus pour lesquelles ils avaient obtenu un permis, seules deux d’entre eux se sont nourris pendant qu’ils étaient surveillés Les trois autres somnolaient ou erraient en toute détente dans les baies. Pour Daniel Zitterbart, le manque d’intérêt des cétacés pour la recherche de nourriture signifie que, la prochaine fois, l’équipe devra modifier le calendrier de ses recherches . « En mars , [ les baleines à bosse] sont déjà si grosses qu’elles dorment trop , constate - t - il . Nous ferons mieux de nous y prendre plus tôt dans la saison, car les baleines seront encore en train de constituer leurs réserves corporelles et seront plus actives. »

Leur stratégie relative à la chimie de l’eau de mer pourrait aussi nécessiter des ajustements L’analyse préliminaire des échantillons obtenus par les chercheurs ainsi que des échantillons supplémentaires recueillis par les passagers, dans le cadre du programme de science citoyenne du navire , a révélé des signaux plus faibles que prévu de DMS Il est possible qu’il n’y ait tout simplement pas eu beaucoup de DMS dans l’eau Toutefois, une autre possibilité , selon Joseph Warren , est qu’une couche d’eau douce fondue au-dessus de l’eau de mer ait dilué le signal. « La physique de l’eau complique les choses », préciset-il. Pour obtenir une image plus claire de la composition chimique , les chercheurs devront peut- être prélever des échantillons d’eau plus profonde

VERS UNE SURVEILLANCE DEPUIS L’ESPACE

À l’avenir, Daniel Zitterbart souhaite s’éloigner des programmes de visites touristiques en bateau de croisière et se concentrer sur la mise au point d’une image détaillée de l’activité dans une seule et unique baie L’idée est d’embarquer sur une croisière à destination de l’une des bases de recherche de l’Antarctique et d’y rester, seulement avec les bateaux pneumatiques. Ils étudieraient alors les baleines, le krill et la chimie de l’eau au même endroit, plusieurs jours d’affilée, et verraient comment ils évoluent, puis ils rattraperaient le navire principal sur le chemin du retour Cependant, il leur faudra d’abord trouver un bateau capable de les emmener au bout du monde Ces dernières années, l’industrie des croisières a accumulé une liste d’attente de clients ayant payé leur voyage sans pouvoir l’effectuer à cause de la pandémie. Ainsi, hélas, les voyages auxquels l’équipe pourrait normalement se greffer sont complets. « D’après nos plans, nous avons besoin de cinq ans de données, mais trois années sont déjà passées à la trappe », déplore Daniel Zitterbart à propos de l’impact de la pandémie sur le projet. Il espère qu’il sera possible d’obtenir un passage en 2024. En attendant, il s’intéresse à d’autres approches possibles qui, à l’autre bout de la planète, pourraient accélérer l’aide apportée aux baleines qui en ont le plus besoin

Les baleines franches de l’Atlantique nord sont en danger critique d’extinction. Les chercheurs espèrent utiliser le sulfure de diméthyle pour prédire où ces baleines vont se nourrir – une information qui pourrait guider la gestion de la conservation de ces animaux.

Au cours des trois dernières années, en attendant la prochaine occasion en Antarctique, Daniel Zitterbart, Kylie Owen et leurs collègues ont étudié la relation entre le DMS, le zooplancton et les mysticètes dans les eaux au large du Massachusetts, aux États-Unis. Comme ils ne peuvent pas marquer les baleines franches de l’Atlantique nord, ils recherchent des corrélations entre les points chauds du DMS et les agrégations de baleines franches dans la baie de Cape Cod L’idée est de voir si ce composé chimique peut servir d’indicateur pour prédire où les baleines vont faire leur apparition Pour cela, l’équipe étudie les cétacés par bateau et par avion, mais sans utiliser de balises Alors que les recherches menées en Antarctique visent à identifier le mécanisme précis par lequel les baleines à fanons trouvent leurs proies – que ce soit en suivant les gradients de DMS jusqu’aux essaims de krill ou par un autre moyen –, les travaux de Cape Cod visent uniquement à établir si ces baleines ont tendance

David Wiley

à se montrer dans les parties de l’océan où les concentrations de DMS sont plus élevées. Si c’est le cas, les scientifiques peuvent théoriquement utiliser les valeurs de DMS pour prédire où et quand les baleines apparaîtront, que ces mammifères détectent réellement le DMS ou qu’ils suivent un autre indice qui y est lié

Les efforts actuels pour protéger les baleines franches de l’Atlantique nord impliquent des restrictions saisonnières de vitesse pour les navires et des systèmes de surveillance visuelle et acoustique. Par exemple, du 1er janvier au 15 mai, dans la baie de Cape Cod, qui est une importante aire d’alimentation pour les baleines franches, tous les navires de 19 mètres de long ou plus sont soumis à une limite de vitesse de 10 nœuds afin de réduire le risque de blessures graves causées par des collisions avec les cétacés Si des baleines sont vues ou entendues dans la région à n’importe quel moment de l’année, les bateaux de toutes tailles sont priés de ralentir et de faire attention à ces créatures. Une application gratuite, appelée Whale Alert, affiche les zones de gestion saisonnière et les données de détection des baleines sur une carte en temps quasi réel Ces approches de gestion manquent cependant de puissance prédictive, d’après l’écologiste

David Wiley, du Stellwagen Bank National

Marine Sanctuary de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique , qui travaille avec Daniel Zitterbart sur la recherche sur le DMS. Par ailleurs, les gros bateaux qui empruntent des voies de navigation encombrées sont souvent incapables de changer de cap assez rapidement pour éviter les collisions avec ces gros animaux, qui se déplacent lentement « Avec un outil prédictif comme le DMS, nous pourrions planifier au lieu de réagir »

En 2021, Kylie Owen, Daniel Zitterbart, David Wiley et leurs collaborateurs ont publié un article fondé sur les recherches menées à Cape Cod, montrant que des niveaux plus élevés de DMS correspondent à des concentrations plus élevées de zooplancton, de sorte que si les baleines à fanons suivent en effet le DMS, celui-ci les conduira bien vers leurs proies. Les chercheurs tentent à présent de déterminer si les baleines à fanons se regroupent effectivement dans ces points chauds de DMS Les résultats préliminaires indiquent que c’est bel et bien le cas pour les baleines franches de l’Atlantique nord et les rorquals boréals (une autre espèce à fanons qui se nourrit de copépodes). Pour étayer leur argument, les chercheurs mesureront à partir de cette année les concentrations de DMS dans la baie de Cape Cod et la baie du Massachusetts toutes les deux semaines le long de lignes de cheminement normalisées, avant l’arrivée des baleines franches, mais aussi lorsqu’elles arrivent et lorsqu’elles repartent Leur objectif est de déterminer à partir de quelle quantité de DMS dans l’eau elles font leur apparition. « Nous devons déterminer les seuils, c’està-dire ce qui est biologiquement pertinent pour les baleines », explique David Wiley à propos de l’étude, qui devrait durer environ deux ans L’objectif serait de pouvoir surveiller depuis l’espace , grâce à l’imagerie satellite , les endroits où les niveaux de DMS augmentent et qui sont donc susceptibles d’être des lieux de rassemblement pour les baleines franches de l’Atlantique nord Les responsables de la gestion de la faune pourraient détourner les navires de ces zones ou fermer temporairement les pêcheries ou les sites d’énergie éolienne qui dérangent les baleines, jusqu’à ce que les niveaux de DMS diminuent et que les cétacés s’en aillent. Par ailleurs, les climatologues s’intéressent depuis longtemps au DMS, parce qu’il favorise la formation des nuages Ils ont déjà découvert que cette substance chimique pouvait être détectée depuis l’espace Mais il faudra des données satellitaires à plus haute résolution que celles dont on dispose actuellement pour prédire les mouvements des baleines. Pour les baleines franches de l’Atlantique nord et tous les organismes dont le destin est lié au leur, le corpus de connaissance ne s’étoffe pas assez rapidement… « Si les choses ne changent pas , ces baleines franches disparaîtront de notre vivant », s’alarme David Wiley. Il estime que le sort de cette espèce clé est le problème de conservation de notre époque . Peut - être qu’avec l’aide des baleines à bosse affamées de l’Antarctique et de quelques scientifiques curieux, les baleines franches de l’Atlantique Nord et d’autres mysticètes en péril reprendront un jour leur place de souveraines du royaume océanique n

Bibliographie

M. S. Savoca et al., Baleen whale prey consumption based on high-resolution foraging measurements, Nature, 2021.

J. H. Geisler et al., The origin of filter feeding in whales, Current Biology, 2017.

C. T. S. Little, Life at the bottom : The prolific afterlife of whales, Scientific American, 2010.

L’ESSENTIEL L’AUTEUR

> Depuis l’irruption dans la sphère publique de ChatGPT, dont la 4e version vient d’être implémentée, les « modèles massifs de langage » impressionnent par leurs capacités.

> Constituées de réseaux de neurones artificiels à plusieurs centaines de milliards de paramètres, ces IA semblent développer des compétences émergentes, telles des capacités de calcul ou de déduction, dépassant le simple traitement du langage pour lequel elles ont été conçues et entraînées.

> Les chercheurs tentent de comprendre les mécanismes de cette apparente émergence, qui souvent se manifeste brutalement à partir d’un seuil de taille du réseau, afin de la rendre prévisible et de contrôler des e ets qui pourraient se révéler néfastes.

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