Manou Bolomik "La Révolution du pasteur rappeur"

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LA REVOLUTION DU PASTEUR RAPPEUR Manou Bolomik Avec la collaboration de PAUL OHLOTT, journaliste


CHAPITRE I Au ghetto de Mokolo Paul Ohlott : Comme le chantait Maxime Le Forestier, vous êtes « né quelque part », et vous avez appris à marcher sur des trottoirs qui ressemblent un peu à ceux de Manille... Manou Bolomik : Oui, c’est vrai. Je ne suis pas né à Manille, mais dans un autre ghetto, au Cameroun, que l’on surnomme « Madagascar » et qui est situé juste à côté du quartier de Mokolo. Ce ghetto ressemble beaucoup aux images que l’on peut se faire des favelas. Les maisons étaient entassées les unes sur les autres. Les ruelles étaient trop étroites pour permettre aux voitures de circuler. À l’époque, on ne parlait pas de plan cadastral. C’était un vrai bidonville où régnait une pauvreté extrême. Nous vivions tous dans le dénuement le plus total. C’était très sale, très poussiéreux et les maladies se répandaient aisément. Dans le quartier, très peu de gens avaient la chance d’être alphabétisés. Beaucoup de nos voisins ne savaient ni lire ni écrire, ce qui limitait considérablement l’espoir en un avenir meilleur. C’est pourquoi la plupart des familles donnaient naissance à de nombreux enfants, espérant que l’un d’eux réussirait à s’en


sortir et à aider la famille. Certaines maisons pouvaient accueillir une quinzaine de personnes... Autant dire qu’aucune intimité n’était possible. On vivait en communauté 24h/24 et 7j/7. Ma grand-mère a eu 11 enfants. Dans notre petite maison, nous vivions à 17 ou 18. Mon grand-père a quitté la cambrousse, dans le Centre-Ouest du Cameroun, pour s’installer à la capitale. Il a connu d’innombrables galères pour décrocher un travail. Au cours de ses études, il dormait sous un arbre. Il s’est battu pour obtenir le CPE, un diplôme qui lui a permis de passer certains concours, afin d’accéder à la fonction publique. C’est ainsi que mon grand-père est entré dans la police, en tant que subalterne. Grâce au système des concours internes et à une volonté exceptionnelle, il est parvenu au grade de commissaire adjoint. Comme c’est souvent le cas en Afrique, les parents misent sur un ou deux enfants. En général l’aîné, car il y a un réel respect pour le droit d’aînesse. Cette notion biblique a totalement disparu en Occident, mais sur le continent noir, renier ce droit est une décision très grave. En tant qu’aînée de la fratrie, ma mère s’est donc tout naturellement vu confier cette lourde responsabilité de porter la famille. Mon grandpère a tout misé sur elle. Il l’a placée dans un internat qui lui coûtait peut-être le quart, voire le tiers de son salaire. Afin de lui permettre de réussir, les autres enfants ont connu une période de réelle privation. Mon grand-père savait qu’elle était intelligente et qu’elle avait la capacité de tirer la famille vers le haut. D’ailleurs, elle aimait étudier. Et c’est vrai que tout a bien commencé. Lorsqu’elle a eu le CPE, toute la famille s’est réjouie et a organisé une fiesta ! Au collège, elle obtenait de très bons résultats. Tout le monde pensait qu’elle 24

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irait très loin... Personne n’avait imaginé qu’elle pourrait se laisser détourner de sa destinée en flirtant avec un garçon, et pire encore, en se retrouvant enceinte à l’âge de 17 ans. Lorsqu’elle l’a annoncé à notre grand-mère, tout s’est écroulé. C’était l’hécatombe ! C’est comme si elle avait trahi la confiance de toute la famille. Malgré son jeune âge, elle portait une très grande responsabilité sur ses épaules. Elle était tout simplement l’espoir de sa famille. Mon grand-père s’est mis en colère et l’a chassée de la maison. Elle est partie vivre chez sa grand-mère. C’était un village perdu dans la cambrousse où il n’y avait même pas d’eau potable. Et à partir de cet instant, c’était réunion de famille sur réunion de famille. En Afrique, tout prend très vite des proportions inimaginables pour tenter, tant bien que mal, de régler ce genre de « désastre ».

P.O. : Votre venue au monde a causé un véritable séisme au sein de votre famille... Vous en êtes conscient, mais aussi très reconnaissant envers votre mère, au point d’avoir écrit un chant de remerciement dans votre album Révolution. Comment s’est déroulée votre enfance ? M.B. : La grossesse de ma mère a été un tel choc pour mon grand-père, qu’il a commencé à noyer sa peine dans l’alcool. Autant dire que ma venue au monde n’était pas attendue avec beaucoup d’enthousiasme. Quant à mon père, il était prêt à m’accueillir, mais il ne voulait pas épouser ma mère, en raison de son niveau social. Il faisait de grandes études pour devenir ingénieur en agronomie et souhaitait une femme plus intelligente... Ma pauvre mère a été rejetée et méprisée par tous ceux qu’elle aimait, à cause de moi. Naître dans un Au ghetto de Mokolo

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ghetto au Cameroun, ce n’est pas simple, et sa grossesse a vraiment rendu sa vie très difficile. Dès mon plus jeune âge, je ressentais les tensions au sein de la famille et j’ai très vite compris que j’étais le cœur du problème. J’entendais des phrases accusatrices qui vous blessent au plus profond de votre être : « À cause de toi... ». Je suis né avec un lourd fardeau sur les épaules. Ma mère a dû arrêter ses études, afin de trouver du travail. C’est vrai que j’en suis admiratif. Quelle femme courageuse ! Elle a toujours assumé ses responsabilités. Au fil des années, j’ai commencé également à réaliser que je n’étais pas né dans le plus bel endroit de la terre. Le quartier était parfois très violent et j’assistais régulièrement à des bagarres. Ceux qui étaient étrangers à notre ghetto n’osaient pas y entrer la nuit tombée. Certains, parfois, repartaient chez eux totalement dépouillés. Les gens souffraient tellement du manque que lorsqu’ils parvenaient à acheter une chaise, une table, ou un poste de télévision, ils devaient faire attention de ne pas se les faire voler, parce qu’il était facile de s’introduire dans ces petites maisons bâties en tôles. Si un gars se faisait voler sa télévision en noir et blanc, il devenait fou, car c’était le prix de tous ses efforts au travail. Il appelait alors ses amis et ses voisins pour retrouver le coupable. S’il était identifié, le voleur préférait courir se cacher au commissariat et être mis en prison plutôt que de subir les châtiments populaires. Si un voleur était attrapé, il pouvait être battu à mort. Il arrivait aussi qu’il soit attaché, recouvert de sauce, puis léché par les chèvres, jusqu’à ce qu’il meure de rire. De quoi en décourager plus d’un... Au-delà de la violence, la malnutrition sévissait. En face de chez nous, plusieurs familles n’avaient pas de quoi se nourrir. 26

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Ils étaient terriblement pauvres. Je vous assure M. Ohlott, ils me fendaient le cœur. Je les voyais parfois manger de l’eau avec un peu de tomate. J’ai été marqué par la misère et l’ivrognerie ambiante. Je me souviens notamment d’un homme qui revenait systématiquement saoul à la maison. Il était tellement enivré qu’il se roulait par terre en vomissant. L’alcool faisait beaucoup de ravages et causait de nombreuses violences conjugales. Cet homme battait sa femme, comme tant d’autres à « Madagascar ». Il ne se passait pas un jour sans qu’une femme ne soit battue dans le voisinage. Par je ne sais quel miracle, notre famille n’a pas connu de telles dérives. Mon grand-père était vraiment différent des autres. Il avait pas mal de défauts, mais il n’a jamais battu sa femme. Ce n’est vraiment pas simple de grandir dans un tel contexte. La plupart des enfants du quartier étaient livrés à eux-mêmes. Les parents n’avaient ni le temps ni les moyens de s’occuper d’eux. Je ne voyais presque jamais mes parents, alors qu’intérieurement je ressentais le besoin d’avoir un père et une mère à mes côtés. Il y avait beaucoup de monde autour de moi, mais personne ne peut remplacer une mère ou un père ! Cette absence a fait naître en moi un sentiment de solitude, avant de se transformer petit à petit en une haine intarissable. Une haine que je ne pouvais pas extérioriser, parce que la dépression était un sujet tabou en Afrique. Face aux diverses souffrances physiques auxquelles nous étions tous plus ou moins exposés, il aurait été déplacé de parler de mal-être intérieur... La dépression, c’est une maladie de riches. Les pauvres ont d’autres soucis bien plus importants. Mais tabou ou pas, le mal-être était bien présent. J’ai très mal vécu mes premiers Noëls sans ma mère. Non seulement je n’avais pas de cadeau, mais plus terrible encore, je ne comprenais pas... J’avais l’impression d’être abandonné, au Au ghetto de Mokolo

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fond d’un gouffre sans fond. Le vide que je ressentais était comparable à un couteau que l’on m’enfonçait dans le cœur. Personne ne le savait, mais j’avais envie de hurler ma haine et ma tristesse au monde entier.

P.O. : Le chant que vous avez écrit en hommage à votre mère évoque la question de l’avortement. Votre mère a pensé mettre un terme à sa grossesse ? M.B. : L’idée de la chanson m’est venue sur le tard, tandis que je regardais un film où une jeune fille hésitait à avorter. Dans le film, cette fille subissait la pression de son entourage et notamment de ses parents. En voyant cette fiction, je me suis dit que ma mère, âgée de 17 ans lors de sa grossesse, avait dû se poser des milliers de questions. Pourquoi m’a-telle gardé plutôt que de préserver son cursus scolaire ? Pourquoi n’a-t-elle pas avorté alors que ma naissance a sérieusement compliqué sa vie ? ... Après cette soirée devant la télévision, je lui ai demandé si elle avait pensé à l’avortement. Elle m’a avoué que l’idée lui avait traversé l’esprit, mais qu’elle avait rapidement choisi de me garder envers et contre tout. Son courage m’a interpellé. C’est à ce moment précis que j’ai eu envie d’écrire une chanson pour la remercier. Cette chanson est un hymne à la vie, un hommage au courage d’une mère sous pression, mais c’est surtout une partie non négligeable de mon histoire. En l’écoutant certains se sentiront concernés, mais c’est avant tout une chanson autobiographique. Je crois que c’est la chanson que j’ai écrite le plus rapidement. Je n’ai pas eu besoin de puiser dans mon imagination ou de rechercher une 28

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quelconque inspiration. Les paroles ont coulé naturellement de mon cœur. Maintenant, il est évident que c’est une chanson qui traite d’un thème d’actualité qui fait toujours débat. Je n’avais pas envie de parler de l’avortement pour critiquer ceux qui le pratiquent, ou chercher à créer le « buzz » avec une polémique. Je suis naturellement contre l’avortement. Je l’ai d’ailleurs chantée sans problème à la télévision, lors de mon passage sur la chaîne Direct8, et elle a été très bien reçue par l’animatrice Evelyne Thomas et par tous ceux qui étaient présents sur le plateau. Au-delà du remerciement que j’adresse à ma mère, je relève le fait qu’en dépit de son choix difficile, elle n’a pas raté sa vie. Ma naissance n’a pas empêché ma mère de réussir et d’atteindre ses objectifs. Je suis tellement heureux qu’elle ait fait ce choix. Tout ce que je fais aujourd’hui découle de ce choix. Merci maman !

P.O. : Votre famille était-elle concernée par la malnutrition ? Avez-vous toujours mangé à votre faim ? M.B. : Mes deux grands-parents travaillaient durement. Nous arrivions donc à vivre, mais avons aussi connu le manque. Que l’on travaille ou non, l’Afrique reste l’Afrique. Selon les jours, c’était un ou deux repas maximum. On se nourrissait principalement de tubercules comme le manioc. Un peu de viande de temps à autre, du maïs... mais je n’ai jamais connu les pauses goûters avec les Kinder ou les petits-déjeuners avec les Chocapic ! Si on avait le droit à un carré de chocolat par an, c’était la fête ! Lorsque j’étais enfant, dans mes rêves les plus fous, je me voyais manger un yaourt ou le célèbre triangle estampillé « La vache qui rit ». Manger de « La Au ghetto de Mokolo

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vache qui rit », c’était le rêve absolu... Ouah, quel décalage avec la vie en France !

P.O. : Un jour, tout va commencer à changer, lorsque vous quittez le ghetto pour aller vivre avec votre grandpère au sud du Cameroun... M.B. : Oui, lorsque mon grand-père a réussi son concours d’officier, il a été affecté dans un commissariat au sud du Cameroun. Et ma mère m’a demandé de choisir entre rester au ghetto avec elle, ou partir pour vivre auprès de mon grandpère. Je ne sais pas ce qui a nourri ma décision, mais j’ai choisi de quitter ma mère pour rejoindre mon grand-père. Quelque part, ce choix a changé ma vie. Pour la première fois, je me suis retrouvé dans une maison de fonction, autrement plus confortable. J’y suis resté pendant deux ou trois ans. C’était littéralement extraordinaire. Cette nouvelle vie m’a aidé à gagner en stabilité et à étudier correctement au primaire. C’était très important pour moi, parce que dès ma naissance, en raison de ce qui s’était passé, j’ai tout de suite compris que je devais exceller à l’école. Je devais étudier à fond pour espérer m’en sortir un jour. L’avantage du ghetto, c’est qu’on ne reste pas enfant très longtemps. On analyse très vite les chemins qui peuvent nous permettre de nous extirper de notre misère. La réussite scolaire était mon objectif, même si l’école m’a accueilli comme un « bâtard ». À l’heure de l’appel, le professeur prononçait le nom des élèves, en y ajoutant le nom du père et de la mère. J’étais le seul enfant à n’avoir pas officiellement de père. Un jour, il m’a appelé à son bureau et m’a discrètement demandé : « Qui est ton 30

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père ? Le connais-tu ? » J’ai reçu comme un coup de poignard dans le cœur. J’avais envie de disparaître de la planète pour ne pas avoir à répondre à sa question. Les larmes ont commencé à couler sur mes joues. À l’époque, en Afrique, ma situation était très mal perçue, alors à chaque fois qu’il faisait l’appel, j’étais terriblement angoissé. Je comprends ce que peuvent vivre les enfants qui ne connaissent pas un de leur parent. Ce manque a fait germé la haine dans mon cœur. Mais cette énième épreuve ne m’a pas empêché d’obtenir de très bons résultats. À tel point que mon grand-père a transféré sur moi la fierté qu’il avait à l’égard de ma mère. Je suis devenu son trophée. Lorsque j’étais premier de la classe il m’offrait un cadeau. Mais après trois courtes années de bonheur, où je commençais à entrevoir l’avenir différemment, mon grand-père est décédé subitement d’une crise cardiaque. Du haut de mes neuf ans, c’était déjà la deuxième fois que j’étais confronté à la mort. Dans le ghetto, alors que j’avais cinq ans, une voisine avait allumé un grand feu de bois et avait déposé une marmite pour préparer à manger. À proximité, l’un de mes copains s’amusait à sauter sur un lit à ressorts. Mon ami est tombé la tête la première dans la marmite. Il n’a pas survécu. Son corps était déchiré en lambeaux. Sa mère a poussé un hurlement de terreur. Cette scène m’a glacé le sang. Depuis ce jour, j’ai compris ce que signifiait la mort. Pour autant, j’ai continué à côtoyer les affres de la mort. À l’âge de 12 ans, l’oncle avec lequel je partageais mon lit a été atteint par un cancer du foie. En l’espace de six mois il est devenu squelettique. Il a dû perdre près de trente kilos.

Au ghetto de Mokolo

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Je l’ai vu déchoir petit à petit, jusqu’à mourir dans d’atroces souffrances. La vie ne nous a pas fait de cadeau. Avant qu’il ne décède, je lui rendais régulièrement visite à l’hôpital. Mon oncle était installé dans une grande chambre où l’on avait entassé une dizaine de cancéreux. Certains étaient amputés d’une jambe ou d’un bras. Un jour, j’ai même vu un fœtus qui traînait par terre, suite à un avortement. J’ai été marqué à vie. Je me souviendrai toujours de l’atmosphère qui régnait dans ce mouroir. La mort... on la fréquente souvent en Afrique. Quand j’étais petit, il y a eu un coup d’État au Cameroun. Les affrontements ont duré plus d’une semaine. Chaque nuit j’entendais les rafales de mitraillettes et les tirs de mortiers. Je me cachais sous mon lit. Mon ghetto n’a pas été détruit, mais pendant plusieurs semaines, la population affolée par une éventuelle pénurie s’est ruée dans les magasins. Cela a provoqué une terrible inflation.

P.O. : En plus de la tristesse, la mort de votre grand-père a été lourde de conséquences... M.B. : Lorsque mon grand-père est décédé, notre famille a immédiatement perdu tous les avantages octroyés par la fonction publique. Avec mes oncles, nous avons été contraints de quitter le logement de fonction et de repartir au ghetto. J’ai vécu cet événement comme un retour en arrière, un terrible échec. C’est à partir de ce jour que la haine et la rébellion ont germé de plus en plus et ont commencé à s’exprimer.

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P.O. : C’est aussi à cet instant que la religion est apparue furtivement dans votre vie... M.B. : Oui, c’est vrai... ma mère a voulu que je m’inscrive au catéchisme. Je me suis fait baptiser lors d’une messe pendant laquelle je me suis endormi, parce que je ne comprenais rien au latin. J’ai dû aller me confesser et répéter les prières traditionnelles sans les comprendre. Je n’aimais pas la religion. J’avais eu beau répéter ces prières, il ne se passait strictement rien. Quant à Dieu, s’il existait, je n’attendais qu’une seule chose de sa part : qu’il me libère de cette vie de souffrances engluée dans la misère. Comme il ne s’est rien passé, j’ai rapidement claqué la porte de l’église pour me réfugier dans l’univers du rap. La musique me permettait de m’échapper un peu, de rêver et de crier ce que j’avais dans le cœur.

P.O. : Et cette haine que vous aviez dans le cœur... À qui ou à quoi était-elle destinée ? M.B. : J’avais la haine, face à la misère, à la souffrance et à l’inégalité... Une haine qui s’est renforcée avec l’émergence des médias au Cameroun. Lorsque la télévision en noir et blanc a débarqué dans notre quartier, on était certes émerveillé de pouvoir suivre la coupe du monde de foot ou les exploits de John Wayne, mais inévitablement, le sentiment d’inégalité est remonté à la surface. En Afrique, je n’avais pas réellement l’occasion de visiter les beaux quartiers, mais, avec la télévision, nous avons été exposés de manière brutale à la richesse occidentale. M. Ohlott, imaginez l’impact que peut avoir sur un enfant de Mokolo une pub pour le Nutella ou pour du lait en brique... C’est monstrueux. Au ghetto de Mokolo

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La qualité de vie des Occidentaux a engendré une frustration immense et un profond sentiment d’injustice dans mon cœur. Les questions se mettaient à fuser dans ma tête... Pourquoi vivent-ils dans la richesse, dans l’opulence, dans la décadence... Et pourquoi moi je n’ai rien ? Dans quel monde je vis ? Suis-je maudit ?

P.O. : Au collège, vous avez continué à noyer votre haine dans le rap... mais pas seulement ? M.B. : Oui, au collège, j’ai commencé à faire des « battle » de rap et des concours de hip-hop. Puis, après quelques boums entre copains, on a commencé à fréquenter le milieu des boîtes de nuit. Avec mes amis, on s’est tous plus ou moins laissé entraîner dans une vie sexuelle dépravée. Les bagarres et la violence faisaient également partie de notre quotidien. J’essayais de combler le vide qui dévorait mon être, mais rien n’y faisait. Je ne parvenais pas à être heureux. Aujourd’hui, fort d’un certain recul, je me rends compte à quel point la vie que je menais était pitoyable. Je me suis engouffré à fond sur ce chemin qui mène toujours plus bas. J’allais de moins en moins en cours. Je me suis mis à flâner dans les cages d’escalier d’une cité proche du collège. Je n’étais plus motivé par mes rêves d’enfant. Les rares fois où j’allais à l’école, c’était pour faire plaisir à ma mère. Et je trichais autant que je le pouvais pour lui ramener de bonnes notes. Je suis tombé bien bas... Le fils de la secrétaire de direction était dans ma classe. On lui demandait d’aller s’emparer des sujets d’examens dans le bureau du directeur, et il le faisait ! Je n’avais plus de morale ni de repères.

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J’étais de plus en plus largué et complètement déphasé avec le système. Pire, je menais une double vie. Si vous interrogez ma mère, M. Ohlott, elle ne va jamais vous dire que j’étais un voyou. Elle n’a jamais su la vie que je menais. Je ne vais pas rentrer dans tous les détails, parce qu’aujourd’hui je n’en suis vraiment pas fier, mais pour vous donner une idée, dès la sixième, avec nos amis, on s’abreuvait de films pornos, et en troisième, j’ai commencé mes virées en boîtes de nuit. Avec mes potes, nous étions complètement paumés.

Au ghetto de Mokolo

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Table des matières

Préface .......................................................................................................... 13
 Présentation des auteurs...................................................................... 17
 Introduction de Paul Ohlott .............................................................19
 CHAPITRE I Au ghetto de Mokolo............................................... 23
 CHAPITRE II Le basculement.............................................................37
 CHAPITRE III Premiers pas au service de Dieu en France.. 47
 CHAPITRE IV L’échec de l’intégration : La multiplication des Églises ethniques .............................................................................73
 CHAPITRE V Les défis à relever par l’Église de France ....... 85
 ANNEXE I Revue de presse .............................................................. 105
 ANNEXE II...................................................................................................113
 Témoignages .............................................................................................113



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