JE SUIS ENCORE VIVANT Anne Merlo
« Ô GOD, MAY I BE ALIVE WHEN I DIE ! »
« Ô DIEU QUE JE SOIS VIVANT QUAND JE MOURRAI ! »
D.W. WINNICOTT
INTRODUCTION « COMME TU PEUX LE CONSTATER, JE SUIS ENCORE VIVANT ! »
de l’ordre. Son bureau était particulièrement encombré… Par où commencer pour trier tout ça ? Mon cœur se serrait et mes yeux s’embuaient de larmes. C’était si dur d’accepter la réalité de son départ, devant ce fouillis empreint de sa vie. À la suite d’un accimort, il y eut le tourbillon des passages et des nombreuses visites, suivi des préparatifs de l’enterrement sans une minute à moi. Peu son départ et celui de tous ceux qui étaient venus en nombre nous entourer et assister à sa sépulture. Là, dans la douleur ravivée,
« C’est que le risque est grand de se laisser mourir avec la personne qui est morte. »1
qu’il avait écrite en anglais, trois semaines auparavant, et qu’il 1 Lytta Bassett, Ce lien qui ne meurt jamais, Albin Michel, 2010, page 46
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Je suis encore vivant
n’avait pas envoyée. Elle était adressée à un ami russe, s’inquiétant de ne plus avoir de ses nouvelles. « Comme tu peux le constater, je suis encore vivant ! »2 lui disait-il pour le rassurer.
comme s’il m’était adressé : « Je suis encore vivant !
peut ressembler à du déni, dans le but d’éviter l’affrontement avec à sublimer sa mort pour éviter de trop souffrir, comme cela peut souvent être le cas pour des parents « perdant » un de leurs enfants. J’ai du mal à écrire le mot « perdre » car leur mort, loin d’être une pas dire non plus que quelqu’un a « disparu ». Car s’il a disparu à nos yeux, comme le Christ a disparu aux yeux de ses disciples simplement apprendre un autre mode de communion, comme les disciples ont dû le faire pour retrouver Jésus bien présent par son Esprit, pour des retrouvailles glorieuses. le faire peu de temps après la mort de Samuel mais c’était prématuré pour moi et mes proches, et cela valait la peine d’attendre brèches provoquées par ce véritable tremblement de terre, ont laisétablie dans ma véritable identité. Je raconte dans mon premier 2 En anglais : « As you can see, I’m still alive »
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Introduction
livre « Tu n’a plus à craindre le malheur »3 comment le brisement de mon cœur a été l’occasion d’un retour vers le vrai Dieu, retour même ont fait place à une vérité tout autre, réellement exaltante. La souffrance causée par la mort de mes enfants a été pour moi ces pages d’expliquer comment la mort de nos proches peut nous obliger à sortir de l’état de morts vivants dans lequel nous pouvons nous trouver, et à poser les choix de vie indispensables pour
la mort de nos proches nous conduit vers la vie si nous le voulons bien. Elle aussi s’est sentie appelée à transmettre ce chemin à ceux qui vivent un deuil. « À l’évidence ce qui était arrivé m’entraînait ailleurs que dans la mort, mais je ne m’autorisais pas à garder l’accès à ce chemin pour moi toute seule … Ensuite, j’avais besoin de me sentir "autorisée" par Samuel… »4
Je voudrais par ce témoignage, tout simplement redonner courage à ceux qui vivent un deuil particulièrement douloureux. Je d’y chercher un sens, face à l’absurdité apparente de la mort d’un proche. Ensemble si vous le voulez bien, nous allons nous poser ou nous reposer les questions essentielles sur Dieu, sur le mal, sur la souffrance et écouter notre révolte quitte à devenir athée, découvrir en fait qu’il s’agit d’être athée d’un faux dieu. Nous pourrons donc ouvrir les yeux sur l’état de mort dans lequel nous nous trouvons peut-être et nous laisser éclairer sur la vraie valeur de nos vies. C’est ainsi que nous serons conduits à expérimenter la vraie consolation dans la certitude que nos morts ne sont pas morts. Nous entrerons dans les désirs du Créateur en acceptant 3 Anne Merlo, Tu n’as plus à craindre le malheur, éditions Première Partie, 2007 4 Lytta Bassett, Ce lien qui ne meurt jamais, Albin Michel, 2010, page 9
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de devenir nous-mêmes, en dépit des souffrances par lesquelles il nous faudra passer pour y parvenir. C’est un chemin enthousiasmant que nous allons suivre, même si pour l’instant votre chagrin est tel que vous ne pouvez pas encore y croire. Je commence ce livre en racontant l’histoire de Samuel, même si que Dieu peut accomplir dans une vie comme la sienne et comme à nous relever du deuil et avoir un nouveau regard sur la mort et donc aussi sur la vie. Nous allons oser formuler les multiples questions qui se bousculent en nous pour les poser à Celui qui a les réponses et nous parle sans cesse, lui qui désire mettre un baume sur nos cœurs meurtris.
cette « autorisation » de Samuel et parce que mon cœur est rempli de compassion envers les personnes qui ne se « remettent » pas comme l’a fait Lytta Basset. Vous y trouverez beaucoup de citations de son livre, car l’analogie de nos expériences est étonnante et réconfortante.
de la naissance au ciel de Samuel.
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PREMIÈRE PARTIE LA BELLE HISTOIRE DE SCHMOULI5 Il faisait très chaud en cette nuit du 2 au 3 août 1975, pour la naissance de notre premier garçon, à la Clinique Nègre de Montauban. La sage-femme qui m’assistait avait su favoriser un tel climat de cet accouchement. Le lendemain matin tôt, alors que personne n’était encore au courant de la naissance de Samuel au milieu de la nuit, ma grandmère, en bonne protestante, faisait son « culte personnel » dans son lit avant de se lever. Elle se servait d’un petit calendrier biétait étonnante car elle parlait de la naissance du prophète Samuel et le commentaire disait : « Anne chante sa louange et consacre » Elle a aussitôt pensé à a donc téléphoné à la clinique : « Alors tu as accouché et il s’appelle Samuel ? » « Mais comment le sais-tu ? » « C’est la Bible qui me l’a dit »… Mon mari et moi avions reçu ce prénom quelque temps avant Tu n’as plus à craindre le malheur, éditions Première Partie, 2007
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son prénom tera longtemps ce diminutif de Schmouli qui lui allait si bien. Oui, nous nous sentions bénis par la présence de Samuel, promesse de Dieu, et encore plus comblés quand un deuxième enfant s’est annoncé, alors que nous habitions en Israël. Bien que de trad’Avila, qui m’était alors devenue très proche. La veille de sa fête qui tombe, dans l’église catholique, le 15 octobre, il faisait encore lerai mon bébé Thérèse ». J’ai accouché en effet, le lendemain, dans une petite clinique appelée : « Misgav Ladach »6 (« Un abri pour l’opprimé »), mais c’était un garçon. Étienne, est donc né à Jérusalem le 15 octobre 1976. C’était la fête de la Thora et tout Jérusalem en liesse dansait et chantait. Cette deuxième naissance très rapprochée fut un choc pour Samuel qui avait pris l’habitude d’être l’unique, le bien-aimé. Ce se serait résolu pour Samuel sans trop de mal, comme dans la plupart des familles, sans l’épisode tragique de la mort accidentelle d’Étienne dont il s’est longtemps senti responsable. Alors que nous étions de retour en France, et vivions en communauté à l’époque de ces faits, il avait mis le feu sans le vouloir au lit de son petit frère, à l’heure de la sieste, à cause d’un radiateur électrique, pendant que nous étions au réfectoire. Trop petit pour porter son petit frère, il a quand même réussi à l’extraire de son berceau mais au verset 10
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l’a laissé par terre où la fumée l’a asphyxié. Retrouvé trop tard, il sant les enfants à la garde de personnes manquant de maturité, quand l’enfant a été trouvé mourant. Il est mort en notre absence, pendant son transport à l’hôpital. À la morgue, on nous a empêchés de voir notre enfant mort, sous prétexte que c’était un spectacle trop insoutenable. Nous n’avons donc pas pu lui faire nos adieux et surtout pas pu faire face au réel. Par conséquent, notre imagination a beaucoup travaillé et nous devions lutter contre les images obsédantes d’un petit corps mangé par le feu, tordu et noirci ; autant d’images insupportables qui nous ont longtemps hantés. Bien des années plus tard, les langues se déliant, nous avons appris que l’enfant était entièrement intact car il était mort asphyxié et non pas brûlé, comme on l’avait sous-entendu. On nous avait privés, sous le prétexte de nous ménager, de la possibilité de faire face à la réalité de sa mort et condamnés à rester la proie de fantasmes pendant de longues années. C’est ce qui explique que nous n’ayons pas pu faire le deuil de cet enfant, d’autant plus que nous avions « spiritualisé » ces événements faisant de lui à travers cette mort tragique un vrai petit « martyr » monté tout droit au ciel, pour nous y préparer une place et faire
événement dramatique s’est transformé mystérieusement en une en découler. Le sentiment de l’insupportable et de l’absurde était m’évitant de faire réellement le deuil de cet enfant. Comment aurions-nous pu ne pas entrer dans ce rôle de parents admirables que nous assignaient, dans une manipulation inconsciente, nos frères chrétiens, qui voulaient voir en nous des modèles de croyants inéle monde 17
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été le moyen de faire taire la culpabilité sournoise contre laquelle nous tentions de lutter, alors que nous étions confrontés à nos responsabilité de parents dans ces circonstances tragiques. Mais les ou l’autre à la surface de manière inattendue, et il faut bien les à la mort de Samuel. Mais à l’époque, nous nous sommes laissés assez facilement manipuler par nous-mêmes et par les autres, dans besoin d’être rassurés face aux questions légitimes restées alors sans réponse.
combler tout à nouveau mes bras vides et avides de tendresse et de consolation. Ah, comme nous pouvons devenir toxiques pour nos enfants, nous les mères en recherche de consolation auprès
Mon cœur était meurtri en effet, par cette « perte » irréparable, J’étais meurtrie aussi par le fait que mes blessures anciennes ne riage ou la vie communautaire que nous avions choisis à l’époque. Bien au contraire, ma détresse était plutôt aggravée et le sentiment de solitude encore plus lourd à porter.
agrandie avec la naissance de David, né dans des conditions plutôt précaires mais bénies, le 5 août 1982. 18
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bablement dû à une défaillance de ma part. Je ne m’attendais pas à souffrir autant de cette perte, tout mon être était en deuil. Nous avons placé ce petit bébé dans une petite boite et l’avons enterré après lui avoir donné le nom d’Emmanuel. De retour en France, nous avons désiré avoir encore un enfant,
couche. J’étais bouleversée en contemplant cet enfant complètement formé, si petit qu’il tenait dans ma main. Nous avons tous pleuré notre petit Dominique, cet enfant tant attendu qui n’avait
sais que ces enfants sont vivants, qu’en leur donnant la vie sur on entre par la mort, peu importe à quel moment de notre vie nous la mort prématurée de mes enfants aggravait ma dépréciation de sant. Et Samuel aussi souffrait de solitude. Pendant son enfance et son adolescence, le seul rapport que Samuel avait eu avec la mort était celle de son petit frère. Il n’avait pas compris grand-chose, sinon que c’était une grande perte, dont il se sentait responsable. Il était 19
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taciturne et nous parlait peu, enfermé dans le manque d’estime de soi, dur avec lui-même et avec les autres. Une seule fois il a pu exprimer sa peine qui l’empêchait de s’endormir : « Je voudrais Plus tard, dans une lettre à une amie, il disait : « En ce moment tout est confus dans ma pauvre tête. Je n’ai pas vraiment de vie intérieure… Je ne devrais pas me plaindre, mais c’est plus fort que moi. J’ai besoin d’un peu de réconfort… Surtout ne te préoccupe pas de moi, je ne suis qu’un pauvre mec qui ne mérite pas ce qu’on lui donne… En ce moment les mots me manquent, je ne sais pas trop quoi dire, ma vie n’est pas très amusante… »
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devant la souffrance de ses parents, se réveillait à nouveau la question : « Comment Dieu peut-il éprouver ainsi ceux qui l’aiment et ont donné leur vie pour le servir ? » de nous, la révolte de nos cœurs est tombée et une certitude s’est installée : nous étions en train de toucher de très près un mystère d’amour immense et incompréhensible. Il me semblait que Claire -
sur la mort, l’enterrement était si beau et ressemblait tellement à un mariage, le mariage de cette princesse avec son Bien-aimé et
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nouveau parmi nos frères l’expression d’une sorte de fuite dans le spirituel et ils ne pouvaient s’empêcher de faire le parallèle entre ce moment et l’enterrement de notre petit Étienne. Samuel, entendant et vivant ces moments forts, a été bouleversé et nous a dit n’avait pas été seulement une catastrophe, mais que beaucoup avaient été bénis… » C’est une sorte de libération de sa culpabilité pas un événement complètement négatif, mais il y avait une suite après la mort, une Vie qui valait la peine d’être vécue. On peut dire que la mort de Claire a provoqué une ouverture immense dans son cœur sur la réalité du Royaume et de l’Amour de Dieu. Il a commencé alors « une course de géant »7 tout au long des deux années précédant sa propre mort. La Vie qui avait fait irruption, lui-même, communiquer, tomber amoureux, vivre des déceptions, travailler, faire de la musique, danser, avec un grand amour de la vie. Nous avons découvert ce merveilleux cheminement après son départ, en lisant son courrier et par les témoignages de ses amis. Ce qui lui importait désormais était de faire la volonté de Dieu et de vivre dans l’Amour. Nous avons retrouvé cette phrase dans le nisions à l’époque : « La vie que tu m’as donnée autrefois, Aujourd’hui je te la donne, Que ta volonté soit faite. » Samuel Merlo
Dans ses lettres à ses amis, il n’y avait plus trace de tristesse ni ne dépréciation de soi-même : « Nous devons remettre nos vies dans les mains de Dieu pour nous laisser conduire par sa Sainte Volonté, cela ne peut que nous apporter le bon7 Expression empruntée à Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
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heur avec un grand B… C’est vrai que notre foi est une folie, mais une folie qui conduit à l’Amour, l’Amour conduisant à la sagesse, la sagesse conduisant à Dieu et au bonheur. Il nous reste une seule chose, prier pour notre propre conversion et pour la conversion du monde, prier pour que nous ne tombions pas dans les pièges du tentateur. Nous sommes si faibles et nous ne valons vraiment pas beaucoup sans le Seigneur… »
œuvre humanitaire, il disait dans un brouillon de lettre : « Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, j’ai vingt ans. J’ai l’impression d’être trop jeune pour avoir vingt ans. J’ai un peu peur de l’ave-
vivre sa vocation à fond et avec joie. Mais quelle est ma vocation ? Suisje vraiment sur la bonne voie ? J’ai décidé que ce que je ressentais de plus profond en moi, de plus véridique est la volonté de Dieu, à Lui de mettre dans mon cœur la sagesse de son Esprit. Mais à côté des grands mots, il y a la vie. On peut dire de très belles choses et être un monstre. Moi je ne crois qu’à la vérité du cœur. Il faudrait pouvoir "voir avec le cœur" les gens qui nous entourent pour les apprécier vraiment ; seulement ce n’est pas possible en ce bas monde, alors il y a les mots, imparje la relis plus tard, je suis sûr que je la trouverai idiote, bête et tout ce que l’on veut mais Seigneur c’est mon cœur de vingt ans qui l’a écrite, un cœur qui a commencé à battre dans le ventre de ma mère il y a vingt c’est-à-dire Dieu, c’est-à-dire l’éternité d’Amour et donc la Joie… Celui qui n’a pas l’espérance de l’Amour, comment peut-il vivre ? Que lui reste-t-il ? »
sœur. Samuel s’est rendu disponible chaque fois qu’il le pouvait. Elle raconte :
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« Ce qui caractérisait Samuel dans son attitude vis-à-vis de la très grande souffrance dans laquelle j’étais alors, c’est une grande douceur et une me paraît trop proche de "renfermé". Alors que la discrétion de Samuel
secouée par des sanglots violents. Il entrait alors, s’asseyait près de moi et restait là… sans rien dire (il priait sans doute !) Et moi, de m’apaiser tout doucement. Puis, s’il voyait que je ne préférais pas parler de mon trouble, il s’évertuait à me distraire ! C’est ainsi que petit à petit, nous c’est combien il pouvait être calme et apaisant, lui, d’un caractère si vif
là que nous nous sommes "ouverts" à propos de notre vie spirituelle. Notre grand souci était de savoir ce que le Seigneur attendait de nous. (non sans renoncements) ou à la vie de famille, lui à la prêtrise ou à la famille (il avait un penchant pour celle-ci d’ailleurs !) Et puis, on ne se sentait pas "assez bien" pour tout ça. Éduquer des enfants, quelle responsabilité ! Bref, on s’interrogeait. Il m’avait dit à ce sujet à peu près une chaîne, je l’ai eue, une guitare, je l’ai aussi, faire de l’avion, je passe mon brevet… alors que mes parents n’ont pas un rond ! Alors maintenant j’ai compris qu’il peut tout et que c’est à moi de faire sa volonté et même si c’est des caprices. D’ailleurs je suis prêt." »
quelques unes de ses lettres, dont voici des extraits : « J’ai aussi une grande espérance dans l’Amour autant conjugal que fraj’aurais donné et que l’on dise, "Il aime pour toujours". »
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« Samuel vivait au quotidien avec cette certitude, nous partagions ensemble cette sensation de ne pas appartenir au monde mais au Bonheur que l’on tait dans les magazines, celui d’aimer et d’être aimé par Dieu. »
Alors qu’il était étudiant à Toulouse, il visitait à l’hôpital un ami de fac alors dans le coma, sans savoir qu’il serait lui-même un sans cesse, sans savoir si celui-ci pouvait l’entendre. Plus tard, ce la messe d’enterrement de Samuel auquel il avait tenu à assister. Il ne cessait de pleurer, ne comprenant pas pourquoi il avait été saula promesse qu’il m’avait faite de me recontacter. C’est à la même période que nous avons accueilli pendant quelques s’alimentant presque plus. Nous avions beaucoup hésité à l’accepter parmi nous. C’est Samuel qui avait insisté, se donnant comme malgré tous nos efforts, il avait fallu, à son grand désespoir, la rendre à ses parents. Nous la leur avons ramenée alors que nous allions assister à l’enterrement de Colette, une chère amie et sœur en Christ 8. On avait demandé à Samuel, venu avec nous, d’aider à porter le aurait-il pu savoir alors qu’il ne lui restait plus que deux mois à vivre ici-bas ?
8 Colette Estadieu, partie prématurément après une longue maladie début mars 1996, deux mois avant Samuel.
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nous, après la mort de sa mère, Samuel a repris son travail de consolation auprès d’elle comme il l’avait fait pour S. Il n’allait pas se coucher sans s’être assuré qu’elle était apaisée et pourrait dormir. conscience que Dieu préparait sérieusement Samuel à son passage.
« J’ai eu l’occasion de parler de la mort avec Samuel, au fond de lui, il n’en avait pas peur, mais par contre la mort fuyait dès qu’il parlait en tant qu’homme de Dieu. Samuel était un brasier ardent d’amour ! »
nous : « Dans sa dernière lettre, il disait qu’il était dans une joie intérieure sans de jamais vu encore et que les humains ne pourraient comprendre qu’en en ayant vu l’accomplissement". »
Ce samedi matin-là, Samuel partait avec son frère François à retard pour prendre au passage à l’aéroport M., de retour de vacances de chez son père. Il est donc parti avec son croissant en travers de la bouche, dans la précipitation. Après une période de perdu le contrôle de son véhicule et la voiture s’est encastrée dans un platane. Ils étaient gravement blessés tous les deux et furent d’abord évacués sur l’hôpital de Castres, le plus proche de chez ragie cérébrale avec des foyers multiples, condamnant la tentative 25
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de toute intervention dans le but d’éviter l’œdème cérébral. Il fut évacué en urgence sur Toulouse par hélicoptère. François restait en chirurgie à Castres avec une fracture du bassin et très anémié par une hémorragie due à une fracture du fémur.
pour l’hôpital sans oser me réveiller lorsque les gendarmes étaient venus nous prévenir de l’accident. Quand il m’a appelée depuis un aumônier qui avait pu administrer à Samuel le sacrement des malades. En tant que neurologue, ayant vu les résultats du scanner, il savait qu’il n’y avait rien à faire, à part prier pour un miracle. -
apaisée car c’était un contact vrai avec lui. Je ne pouvais rien faire
soins d’amis proches qui se sont sans cesse relayés à son chevet Samuel aux soins intensifs de l’Hôpital de Purpan. En entrant dans le box où il reposait, entouré d’appareils de toutes nous nous sommes retrouvés comme tous les parents au chevet d’un enfant mourant, dans le désarroi le plus total, bourrelés de remords, le ventre tordu de peur et d’angoisse. Ne sachant absolument pas comment on aide son enfant à mourir, il nous fallait l’apprendre au plus vite.
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Le plus dur dans ces services de réanimation, c’est le droit à seulequi ont besoin d’une présence aimante constante. Cette inhumanité me révoltait, heureusement qu’Alain était là pour me faire le laisser affronter seul ce dur combat entre la vie et la mort. Cette première étape de séparation déchirante était nécessaire, sembleEn attendant, dans les rares moments où nous pouvions être seuls avec lui, nous lui parlions sans savoir s’il pouvait nous entendre. Nous avons surtout prié pour lui et avec lui. Nous apprenions alors une autre forme de communication et de communion avec son son angoisse profonde et le poids de culpabilité qui pesait encore fortement sur lui. Croyait-il qu’il avait encore tué un de ses frères dans cet accident à cause de l’état de détresse de François qu’il avait entrevu avant de perdre connaissance ? Nous-mêmes, dans notre angoisse, étions assaillis par la culpabitoutes les erreurs commises à son égard remontaient à notre mémoire et nous faisaient beaucoup souffrir. Ce poids pesait sur lui et sur nous : nous ne savions pas quoi faire. Je priais en langues, prit Saint est venu à notre secours : un refrain s’est imposé à mon Dieu. J’ai donc attaché de l’importance aux paroles qui me revenaient en mémoire, celles d’un vieux cantique protestant :
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« Torrent d’amour et de grâce, Amour du Sauveur en Croix. Je m’abandonne et je crois Ô Jésus, agneau de Dieu, Et couvert par ta justice, J’entrerai dans le Saint Lieu… » Voilà l’arme dont nous avions besoin, en tant que parents, pour veC’était une certitude, seul le Sang de Jésus, versé pour nous, pouvait nous libérer de l’oppression mortelle de l’accusation et de la culpabilité, et faire de nous des êtres libres de choisir la Vie. Nous avons donc prié et avec l’aide du Saint-Esprit, pratiqué sur lui une prière de libération en invoquant la puissance du Sang du lavé, restauré en profondeur, il se sente libre de choisir à nouveau sa vie pour mourir bien vivant. Il n’était plus enserré dans les liens de la mort. Cette certitude, qui n’était pas un ressenti, reçue à ce évidemment pas être démontré, de la même façon que l’Amour ne se démontre pas, on l’expérimente. Libérés, nous avons pu, dans la paix, lui dire de partir si tel était son choix. Nous l’avons assuré qu’il n’avait pas à tenir compte de notre souffrance, mais qu’il pouvait aller vers son destin, destin passant peut-être par une mort prématurée en ce monde, mais cernous paraissait certaine : notre enfant nous quittait mais c’était un tude allait souvent être remise en question au cours des temps qui 28
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déplaise à ceux qui pensent que nous serions encore dans un déni. Était-ce encore un déni de la réalité ou n’était-ce pas la réalité ellemême qui s’imposait à nous ? Ayant fait tout ce qui était en notre pouvoir pour l’aider, nous avons laissé Samuel pour aller au chevet de François qui avait aussi bien besoin de nous. Il venait d’être opéré et était en attente d’une transfusion. Il avait perdu trop de sang et était littéralement exsangue. Nous arrivions à temps pour signer l’autorisation.
mort cérébrale de notre Samuel. C’était dur, même si nous savions que cela était inéluctable. Nous sommes donc retournés sans avoir pu nous reposer, à l’hôpital de Toulouse. Et là ce fut une curieuse expérience que de nous retrouver à nouveau dans ce box de réanimation, avec, cette fois-ci, tout le loisir d’y être nombreux. Rien reils, et son cœur battait régulièrement. J’ai mis ma main sur lui et sivement celui qui partait. J’ai simplement posé longuement ma main sur sa poitrine, pour garder dans le creux de ma paume, le souvenir des battements de ce cœur qui avait souffert mais aussi aimé. Quelle expérience rien à voir avec un culte des morts, comme certains pourraient le craindre. Nous prenions simplement conscience de la sainteté de ce corps qui avait été le Temple du Saint-Esprit, le tabernacle de la table même après qu’une certaine vie l’ait quitté. J’ai eu alors le grand désir que beaucoup de gens puissent le voir, l’approcher, le contempler avant qu’on l’enterre. Et ce désir, Dieu l’a exaucé bien au-delà de mes espérances, comme on le verra plus loin. 29
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nous poser la question d’usage : acceptions- nous de faire don de ses organes, puisque tout son corps était encore vivant. Nous ne savions que répondre ; notre ami prêtre qui était présent nous a assurés que c’était une bonne chose, nous avons donc accepté. J’ai seulement demandé que son visage reste intact pour que tous ses amis puissent le voir pour un dernier adieu. La nuit qui a suivi, au cours de laquelle nous savions que l’ablation der qu’on arrête, me reprochant d’avoir dit oui. Ce qu’on subisn’en avais plus rien à faire de permettre de sauver des vies avec trouvant aucun secours et aucun apaisement. les yeux levés vers son Fils, et comme si l’horreur de ce spectacle
détacher mon regard d’Elle. Je lisais cette vision d’horreur dans sur elle et avec elle ; sa présence et sa douleur m’ont été un baume que c’était Elle qui était en train de le faire pour moi. Je me suis rendormie comme un bébé. en nous aidant à sortir de nous-même pour entrer en compassion 30
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Et Marie était là, vivant la douleur de toutes les mères auprès de leur enfant mourant. Elle est comme nous et nous sommes comme
être transplantés, a eu pour conséquence bénie que l’hôpital s’est sans qu’il soit enfermé dans un cercueil. Dieu exauçait ainsi mon désir que tous puissent le voir. Nous avons donc exposé son corps dans l’oratoire de notre maison de dans son costume noir, sa chemise blanche et son nœud papillon, lui qui aimait tant se « saper » et disait pour s’amuser : « Je m’appelle James, James Bond… » Il n’aurait certainement pas apprécié pas trop aller à contre-courant de ce que les visiteurs faisaient, pensant lui rendre un dernier hommage de cette façon-là. plus la force de prier avec ceux qui arrivaient de partout pour cette ultime nuit. Je suis allée me coucher. Au matin, en retournant à la réalité insoutenable et le désespoir m’a submergée. Me voyant sangloter, la maman de Claire, arrivée dans la nuit, m’a fait venir vers elle pour me raconter le songe qu’elle avait fait cette nuit-là. auprès de Samuel. Elle avait vu Samuel au ciel. Il dansait et sautait pourquoi il disait cela et il aurait répondu : « Victoire, le Sang de
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Encore une fois, face à l’absurdité de la mort prématurée de mon sible et de la vie éternelle pour laquelle nous sommes faits. Le Dieu vivant nous avait exaucés, non en empêchant la mort de
presque mourante, elle a senti soudain une présence entrer dans sa chambre et s’approcher d’elle. Elle a nettement reconnu qu’il s’agissait de Samuel et qu’il lui demandait de vivre. Elle s’est Elle est allée au frigo, a mangé de tout sans précaution et s’en moment précis où Samuel quittait ce monde. Une fois de plus, -
morts, bien vivants après leur mort, nous supplient de vivre. Nous ne nous doutions pas que tant de gens avaient été touchés les fax et les télégrammes. Nous avons commencé à nous demander comment trouver un endroit assez grand pour les obsèques. Nos frères bénédictins de l’abbaye d’En Calcat proche de chez nous, ont fait une exception à leur règle en nous ouvrant leur abbatiale pour le déroulement de la cérémonie. Les gens ne cessaient d’arriver, même de très loin, notamment un couple de Moscou ; beaucoup espéraient encore le voir avant qu’on ne ferme le cercueil. Mais il est obligatoire de sceller le cercueil avant de le trans-
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l’autorisation nous soit donnée de ne pas le fermer. Et au dernier moment, alors que son corps venait d’être déposé dans la bière et nous osions célébrer ses obsèques devant le cercueil ouvert, mais elles ne savaient pas que c’était le Seigneur qui l’avait permis. L’église était pleine à craquer et la cérémonie très belle. La messe se déroulant devant le cercueil ouvert a été source de questionnements importants, en particulier pour nos amis ou membres de nos familles protestants. Nous n’avons pas voulu agir en fonction des préventions qui sont les nôtres généralement devant la mort. Nous ultime de la mise en terre, il a continué à le faire au long des années ; et il va continuer à le faire au travers de ce témoignage. « Nul de nous ne vit pour lui-même et nul ne meurt pour luimême »9 Nous luttons contre les coutumes de certains peuples, qui pratiquent le culte des morts dans la crainte et la soumission à des oppressions malignes. Il ne s’agissait pas du tout de cela avec le corps de Samuel. Personnellement ce fut un grand privilège et une grande source de guérison face à la mort que de pouvoir tenir son corps, l’embrasser, le caresser. C’est ce qui m’a permis de faire vraiment le deuil, contrairement à l’épisode de la mort d’Étienne, La peur de la souillure au contact du corps d’un mort nous vient c’est un choix très respectable. Mais le danger du spiritualisme ou du dualisme est bien réel dans notre manière de comprendre
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d’une vie appelée « spirituelle » mais qui ne l’est pas. Une vie spirituelle chrétienne qui ne se vit pas dans la chair, dans l’incarnaun corps, même lorsqu’il s’agit d’un cadavre. Une chose est certaine, beaucoup ont été bénis de pouvoir embrasser Samuel une dernière fois, non pas d’une manière superstitieuse mais comme Joseph d’Arimatie avec le corps de Jésus à la descente de Croix, avec beaucoup de respect. Nous avons d’ailleurs chanté ce merveilleux chant issu de la liturgie orthodoxe qui rend hommage à ce moment. « Le noble Joseph ayant descendu du bois Son corps immaculé Lui ayant rendu les derniers devoirs, Il le déposa dans un tombeau neuf » Je m’appuie aussi sur ce qu’enseigne Watchman Nee : « Nous avons consacré tout notre être au Seigneur. C’est pourquoi notre bouche ne nous appartient pas. Nos oreilles ne nous appartiennent pas, avait servi de temple au Seigneur pendant vingt ans… Ne savez-vous pas ceci : Votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu, et vous n’êtes pas à vous-mêmes ? »10
La Bible nous dit encore : « Donnez-vous vous-mêmes à Dieu, comme vivants de morts que vous étiez, et offrez à Dieu vos membres, comme des instruments de justice »11 10 1 Corinthiens 6, 19. Watchman Nee, La vie de vainqueur, Living Stream Ministry, 1998, page 199 11 Romains 6, 12-13
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La belle histoire de Schmouli
« Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, Dieu, ce qui sera de notre part un culte raisonnable »12 C’est la raison pour laquelle on encense le corps avant l’ensevelissement et chacun peut le bénir avec de l’eau consacrée. Tous ces gestes de foi peuvent bien évidemment être vécus comme des rites superstitieux, à l’instar de nombreux comportements rituels. Ce n’est pas une raison pour ne pas les pratiquer, à condition toutefois de nous positionner dans la foi en la présence réelle et incarnée de Jésus dans nos vies, assurance de la gloire. Il avait appelé Samuel, C’est d’ailleurs ce texte de la Lettre aux Romains que nous avons fait lire : « Ceux qu’il a connus d’avance il les a aussi prédestinés à mier né entre plusieurs frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi 13
Au cours de cette cérémonie glorieuse, la présence de Dieu était palpable. Des bénédictions importantes ont été répandues sur l’asétait sur leur vie. Un ami proche de Samuel en particulier a réponguérie, et bien d’autres libérations se sont produites. La foi en la résurrection a été puissamment proclamée et reçue. Encore une dans ces moments. Était-ce encore une fois du déni de la réalité face à la mort d’un enfant bien-aimé ou une expérience de ce que 12 Romains 12, 1 13 Romains 8, 29-30
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Je suis encore vivant
peut produire la présence consolatrice de Dieu quand on croit en Lui ? Il a été mis en terre auprès de son frère Étienne et du tout petit Dominique, dans le cimetière de Cuq-les-Vielmur. Je sais qu’ils cet autre côté du monde que nous aurons à explorer après notre auxquelles ils ont été destinés bien avant la fondation du monde. « Béni soit Dieu, le père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans les lieux célestes en Christ ! En lui Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui, nous ayant prédestinés dans son amour à être ses enfants d’adoption par Jésus-Christ… »14 Nous n’avions pas hésité à proclamer notre foi lors de ces moments tragiques. Dans notre entourage, parmi nos parents et amis, certains étaient admiratifs, d’autres désapprouvèrent. Malgré tout, nous nous pensions inébranlables. Malheureusement, ou plutôt les mois qui ont suivi ces événements, toute cette belle assurance l’existence du mal et de la mort.
14 Éphésiens 1, 3-5
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TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : La belle histoire de Schmouli
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DEUXIÈME PARTIE : Comment se relever du deuil ?
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I. TANT DE QUESTIONS ! II. LES ETAPES DU DEUIL
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A . L’importance de l’au-revoir B. Laisser partir C. La culpabilité D. La consolation E. Aller vers la restauration de notre vraie vie 1) Refuser l’amputation 2) Rechoisir de vivre
TROISIÈME PARTIE : Changer de regard sur la mort I. ON NE SAIT PAS ASSEZ CE QU’EST LA MORT A. La mort, c’est triste, mais pas grave B. Y a-t-il une vie après la mort ? C. Dieu a mis dans nos coeurs la pensée de l’éternité
II. APPRIVOISER LA MORT
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A. Se préparer à mourir, c’est se préparer au Royaume B. La communion des saints C. Une communication est-elle possible avec nos morts ?
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E. Les noces de l’Agneau
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CONCLUSION
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Du même auteur :
Tu n’as plus à craindre le malheur Je t’aimerai quand même Maman lâche-moi !