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Domaine Grand’Cour Le vigneron qui n’aurait pas dû l’être

DOMAINE GRAND’COUR

Le vigneron qui n’aurait pas dû l’être

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C’est le temps long qui se déploie avec douceur au Domaine Grand’Cour à Peissy, dans la commune de Satigny: le temps de la mémoire, du vignoble et du terroir. Nous rencontrons le maître des lieux, Jean-Pierre Pellegrin, un discret vigneron-œnologue genevois, qui a repris les rênes du domaine familial en 1989 et redonné une nouvelle vie aux 15 hectares de vigne. Si ses vins - tels que le «P» Grand Pinot noir - ont acquis une réputation qui dépasse nos frontières, l’histoire du Domaine est moins connue. Elle s’est tissée autour des gens, des cultures et des bâtiments, formant un tout indissociable.

Avec sensibilité, Jean-Pierre Pellegrin vinifie ses raisins en cépages purs ou en assemblages pour produire des vins précis et subtils.

«Je suis la neuvième génération de vignerons dans cette bâtisse, mais la première à réorienter ma production en encavant une part importante du raisin», explique en toute simplicité Jean-Pierre Pellegrin, qui a repensé de fond en comble l’encépagement. Au préalable, son père et son grandpère livraient l’ensemble de leur récolte à la coopérative, devenue Cave de Genève. Pour sa part, Jean-Pierre Pellegrin ne voyait aucun sens à envisager le métier de cette manière, «d’autant plus que le vin n’était pas vraiment bon!». C’est un chemin sinueux qui l’a mené à reprendre le Domaine, car on ne peut pas dire qu’il soit tombé dans la marmite (ou plutôt dans la cuve…) de la profession familiale. Il a fallu une succession de circonstances fortuites et de rencontres édifiantes.

La défense du vignoble genevois

Alors que Jean-Pierre Pellegrin se passionnait pour les vieilles pierres aux côtés de l’ancien archéologue cantonal Charles Bonnet, Claude Desbaillet, œnologue cantonal à cette époque, repère en lui un «nez» et le prend sous son aile pour tester les vins de la région. Il développe cette qualité qui débouche sur de nouvelles responsabilités auprès des vignerons, voisins et cousins de son village. En retrouvant ainsi le lien - de la terre au verre - la vigne reprend pour le jeune Pellegrin toute sa raison d’être. De fil en aiguille, Jean-Pierre Pellegrin suit les cours à l’école de Changins, où il a la chance de cotôyer la Valaisanne Marie-Thérèse Chappaz, vigneronne spécialisée en œnologie et érigée en 2016 par le guide Gault et Millau en «icône du vin suisse» pour le Valais (au même titre que Jean-Pierre Pellegrin pour Genève). Peu après ses études, Jean-Pierre Pellegrin se trouve confronté à une dure réalité: les caves de Vin Union font faillite et 200 familles vigneronnes du canton sont durement touchées. Il s’associe alors à d’autres jeunes pour donner un nouvel élan à la viticulture genevoise en créant la Cave de Genève et améliorer ainsi la qualité des produits. Mais le viticulteur du Domaine Grand’Cour suit en parallèle une autre voie: «Mettre tous ses œufs dans le même panier est trop dangereux, on peut en pâtir selon les évolutions économiques du moment! Voilà pourquoi j’ai trouvé judicieux de construire ici un outil de travail cohérent et indépendant du système de la coopérative, que je pourrai transmettre le moment venu».

Chaque cépage a son identité

Aujourd’hui, Jean-Pierre Pellegrin cultive sur ses coteaux vallonnés pas moins de 25 cépages (50 000 bouteilles par année). Avec sensibilité, il vinifie ses raisins en cépages purs ou en assemblages pour produire des vins précis et subtils. Son Grand’Cour (Cabernet Franc, Cabernet-Sauvignon & Merlot) compte parmi les assemblages de type bordelais les plus élégants du pays. Ce vin possède la souplesse typique qui caractérise les meilleurs crus du canton de Genève. Le Domaine pro-

Jean-Pierre Pellegrin a redonné une nouvelle vie aux 15 hectares de vigne.

duit aussi des vins de cépages purs destinés à la garde ou pour un plaisir immédiat à un prix plus raisonnable, baptisés «Pellegrin». Pour parer aux principales maladies du raisin, les vignes de Grand’Cour sont traitées de manière naturelle, en dispersant un mélange (soufre, cuivre et tisanes) toutes les semaines, de mai à juillet. «Recourir aux produits de synthèse permet de traiter deux fois moins et d’assurer une qualité du raisin optimale, mais empêche d’utiliser certaines techniques ancestrales de macérat du raisin. Au Domaine, toute la grappe est gardée. La lie, riche en antioxydants et vitamines, est ainsi préservée. Pour enrichir sa culture, Jean-Pierre Pellegrin aime se rendre régulièrement dans d’autres contrées en Suisse, France, Italie, Autriche, etc. et s’imprégner des savoir-faire régionaux.

Le respect du patrimoine

Jean-Pierre Pellegrin a restauré la magnifique cour et la cave historique du Domaine. Comme il chérissait particulièrement les murs vieux de 600 ans, il a utilisé des matériaux anciens pour construire un chais. Quel est le rapport entre ses deux passions, l’archéologie et l’œnologie? «Dans les bâtisses anciennes, on découvre des objets qui mobilisent tous nos sens, dont l’odorat. Ces paramètres

olfactifs donnent lieu à un univers d’une grande richesse, nous transportant dans des époques variées. Quand par exemple je déguste un vin de 1945, c’est toute une période qui s’ouvre à moi, avec ses histoires et ses manières de travailler». Pas étonnant que Jean-Pierre Pellegrin et son épouse, Patricia Cottier Pellegrin, aient réalisé un projet immobilier peu commun, à 500 mètres de la gare de Cornavin. Situé dans une petite cour intérieure au 47 bis de la rue de Lausanne, le bâtiment abrite le dépôt et les bureaux de la société de Patricia Cottier Pellegrin, Cotfer SA. En 2016, au moment de la rénovation-surélévation de l’immeuble, des caves voûtées en pierres naturelles ont été réhabilitées au sous-sol. Le lieu a été baptisé «Corne à Vin», en référence au lieudit Cornavin où, selon la légende, une auberge accueillait les voyageurs et les retardataires coincés à l’extérieur des fortifications de la Cité de Calvin après le couvrefeu. Deux espaces improbables sont disponibles à la location pour des événements festifs, des séminaires, conférences, etc. Elles sont magnifiées par un bel éclairage et équipées de matériel audiovisuel. Un bar de 20 mètres de long est aménagé pour les dégustations. Juste à côté, derrière une porte de verre, se trouve une grande cave voûtée, dans laquelle Jean-Pierre Pellegrin élève ses têtes de cuvée. Un lieu atypique et unique à Genève!

Améliorer la réputation des vins locaux

Depuis des siècles, la vigne est cultivée sur les pentes douces des coteaux genevois de la campagne, mais également en ville. Pour rappeler le pan urbain de cette histoire, une initiative originale a été lancée l’été passé par la Ville de Genève, sous la houlette du Maire Sami Kanaan: la création d’une vigne à valeur symbolique. Jean-Pierre Pellegrin y a largement contribué en mettant à disposition 200 pieds de vigne, ainsi que ses compétences professionnelles. La vigne nouvellement réalisée se trouve à côté du Palais Eynard, sur le Bastion de Saint-Léger, à l’emplacement même du tout premier jardin botanique privé de Genève, créé en 1793 par la Société de Physique et d’Histoire Naturelle de Genève, qui surplombe l’ancien site du jardin botanique des Bastions, fondé en 1817 par le botaniste genevois Augustin-Pyramus de Candolle. Ce lieu à l’abri du vent et bien ensoleillé était idéal pour la vigne et de nombreuses variétés y étaient autrefois cultivées. Par cette action, la Municipalité entend rappeler que Genève, malgré son territoire restreint, constitue le troisième canton viticole de Suisse. «Les vins genevois font clairement partie des spécialités issues de notre terroir, avec des savoir-faire largement reconnus et un renouvellement constant dans la profession, y compris un nombre croissant de femmes», s’est réjoui Sami Kanaan lors de l’inauguration de la petite vigne. Les vignobles représentent un potentiel attrayant pour le tourisme, ainsi que pour la Genève internationale. Cependant, force est de constater que les citadins ne sont pas toujours conscients du patrimoine et de la richesse viticole de notre région. Entretenue, récoltée et vinifiée dans les règles de l’art, cette vigne servira de levier pour une sensibilisation auprès du public.

Quand vin rime avec dessin

Durant le confinement et pour habiller 800 bouteilles d’un vin rare élaboré au Domaine Grand’Cour, le dessinateur de presse Patrick Chappatte a réalisé une étiquette sur le thème du gel hydroalcoolique, liquide star de 2020. Et le flacon renferme un Auxerrois, une rareté dans nos contrées. Pour 80 exemplaires, un coffret a été créé, numéroté et signé par le dessinateur. Il contient, outre la bouteille de vin, un exemplaire de la bande dessinée «Au cœur de la vague» de Chapatte, un flacon de gel hydroalcoolique «Cuvée Chappatte 2020» (au profit de Terre des Hommes) et un masque hors-série estampillé Chappatte et Magnificients. Sans aucun doute, le vin s’accompagne de saveurs infinies… n

Véronique Stein

Jean-Pierre Pellegrin - 48, route de Peissy 1242 Peissy - Genève - Tél: +41 (0)22 753 1500

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