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DÉCRYPTAGE
from Bbvnnjjn
Un monde en Technicolor
A REBOURS DES TEINTES MONOCHROMES QUI ENVAHISSENT LES MAISONS, UNE GÉNÉRATION DE CRÉATEURS DISSÉMINE UNE EXPLOSION DE COULEURS RADIEUSES DANS LES INTÉRIEURS ET SUR LES MURS DES VILLES…
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PAR MARIE GODFRAIN
Musique, mode, design… Londres a toujours agité l’univers de la création avec ses mouvements avant-
gardistes. Le dernier en date qui a pris possession des espaces publics de la ville, c’est le New London Fabulous, un petit groupe de génies de la couleur qui dissémine mobilier urbain multicolore et installations XXL aux formes géométriques et aux teintes pop… Ils s’appellent Camille Walala, Morag Myerscough, Yinka Ilori ou Adam Nathaniel Furman. Designer textile, graphiste, architecte d’intérieur ou designer, ils sont les représentants d’une génération qui, dans le monde entier, se libère des carcans chromatiques pour élaborer objets, meubles, tissus, installations, architectures ou scénographies. Ils mixent les références historiques et géographiques, les styles – de l’Art Déco au Memphis –, mariant typographies, motifs et couleurs vives… Et rappellent que même s’il n’en reste que des pierres brutes, les murs des églises étaient tous polychromes et que le Bauhaus était aussi un mouvement coloré. Une philosophie mise à l’honneur dans l’exposition “Colors, etc. Couleurs et sens dans le design”* où artistes et designers ont été invités à créer des installations « in situ ». Lumière et couleur, son et couleur, psychisme et couleur, une centaine d’objets montrent que celle-ci est indissociable de la création. Rencontre avec six de ses ambassadeurs jeunes et ultratalentueux.
CAMILLE WALALA
LA PLANÈTE COMME TERRAIN DE JEU
Chacun lit ses propres références dans l’œuvre de l’artiste française installée à Londres : design italien période Memphis, dessins tribaux du peuple Ndebele en Afrique du Sud ou encore Op Art de Vasarely… Autant d’influences qu’elle digère et recompose avec un regard très personnel dans des créations où formes et couleurs atteignent un équilibre maîtrisé. « J’ai été aussi influencée, dit-elle, par le regard de mon père architecte passionné de Modernisme et par celui de ma mère qui raffolait des imprimés africains et provençaux. » Camille Walala déploie son style unique dans le monde entier – « il suffit, dit-elle, d’acheter trois pinceaux et un pot de peinture sur place pour se lancer. » Une façade à Brooklyn ou en Australie, un hôtel sur l’île Maurice, un château gonflable à Londres. Rien ne résiste à son « tribal pop », elle qui a même créé une installation avec la marque de briques pour enfants Lego et qui prépare une exposition personnelle pour Art Basel à Miami.
Gonflée à bloc
“Walala Mansion”, une ville géante gonflable aux allures de fête foraine dressée en janvier 2020 dans le Victoria Park à Hong Kong. La Française installée à Londres trouve l’inspiration dans le mouvement Memphis, l’art africain, l’Op Art… pour créer un univers très personnel et toujours adapté à son environnement. Son objectif ? Embellir la ville. « C’est une vraie fierté pour moi d’afficher mes couleurs dans des lieux très divers et d’aider à illuminer la vie des gens. », dit-elle.
Julia Jomaa ; Owen Harvy
DÉCRYPTAGE PASSION TECHNICOLOR
“Design Drama”, acte II
La pièce théâtrale d’Adam Nathaniel Furman commence en 2017. Il livre en 2019 l’acte II baptisé “The Royal Family”, trois sièges aux couleurs explosives et motifs audacieux, une collection développée avec Abet Laminati (Camp Design Gallery). En cassant les codes du bon goût, il met en scène le « cauchemar bourgeois », dit-il.
ADAM NATHANIEL FURMAN
SON GENRE EST LA COULEUR
Bercée par une tradition esthétique très riche frôlant souvent le kitsch, l’Angleterre est un creuset idéal pour les jeunes créatifs. Parmi eux, Adam Nathaniel Furman, l’inventeur de l’expression « New London Fabulous ». « Mon autre influence, c’est la subculture des années 90, une période très excitante où les cultures queer et alternative revigoraient l’univers du graphisme, raconte-t-il. J’ai embarqué ce bagage dans l’univers du design. » Une palette vive et « désordonnée », selon le designer, qu’il applique tantôt à des projets publics vibrants, portés par des teintes saturées et primaires pour attirer l’attention, tantôt à des intérieurs combinant des coloris plus calmes, mais qui dégagent toujours une puissante émotion. Adam Nathaniel Furman vient d’achever une installation pour le café du National Museum Australia à Melbourne, où il questionne le genre à travers les couleurs, et prépare une exposition pour une galerie parisienne à la rentrée.
Six soleils néon
Broadgate, à Londres. Dans le cadre du réaménagement d’un bâtiment de bureaux, dont le rez-de-chaussée est ouvert aujourd’hui au public, Morag Myerscough a imaginé “Atoll”, une structure permanente et colorée de 7,5 mètres de haut abritant un café. Son idée ? Amener le jardin public dans les entreprises et parier sur la « biophilie », cette tendance innée de l’homme à rechercher des liens avec la nature.
MORAG MYERSCOUGH UNE ŒUVRE HABITÉE
C’est dans une petite rue du 4e arrondissement parisien, à l’ombre des façades grises de l’église Saint-Merry qu’éclate, comme une formule incantatoire, l’immense totem multicolore de la Londonienne Morag Myerscough. Proclamant en lettre jaune fluo « A New Now », il encourage à construire un avenir plus heureux selon les mots de sa créatrice. « J’ai toujours eu en tête que l’art nous stimulait et nous extrayait du quotidien ; c’est encore plus le cas en ces temps troublés. Il devient carrément indispensable à notre bien-être », explique l’artiste designer qui peint ses œuvres XXL sur des panneaux qu’elle installe dans l’espace public, un travail immersif qui reflète à chaque fois l’identité du lieu investi. « Pour dessiner, dit-elle, je vais piocher dans ma mémoire et j’observe mon environnement. » Hôpitaux pour enfants, parkings..., ses supports sont multiples jusqu’à sa maison – œuvre qu’elle a entièrement personnalisée de ses slogans et couleurs éclatantes pendant quinze ans et qui est aujourd’hui en vente dans le quartier de Clerkenwell.
Rick Pushinsky ;Federico Floriani ; Gareth Gardner
DÉCRYPTAGE PASSION TECHNICOLOR
MASQUESPACIO
LES SURVOLTÉS
Anna vêtue d’un sweat-shirt lilas et Christophe d’un hoodie rose poudré devant un mur ondulé jaune poussin et à côté d’un vase multicolore : la vidéo de présentation de leur masterclass résume à merveille l’esprit du studio espagnol Masquespacio. Fondé par la Colombienne Ana Milena Hernández Palacios et le Belge Christophe Penasse à Valence il y a onze ans, ce studio de création multidisciplinaire imprime depuis couleurs pop – souvent assez tendres – et formes géométriques dans des projets d’architecture intérieure, de stylisme, de mobilier et même dans des sneakers qu’ils autoéditent sous le nom Mas Creations. Leurs inspirations, ce sont les années 1980, mais aussi l’Art Déco, qu’ils déploient dans une palette chromatique subtile mariant le vert pistache, le grège, le violet et le jaune acide. Avec eux, restaurants, résidences universitaires, boutiques, espaces de coworking deviennent des lieux enchanteurs hors du temps.
Colores calientes
Le duo espagnol perpétue le tropisme des designers ibères pour la couleur... Ils ont lancé leur propre marque Mas Creations, dont on perçoit ici une partie de la collection dans cette installation aux teintes pistache et lilas.
DÉCRYPTAGE PASSION TECHNICOLOR
Une maîtrise tout en nuances
Multidisciplinaire, Tekla Evelina Severin a mis en scène le mobilier de l’éditeur danois Montana. Elle démontre avec brio que la couleur peut magnifier n’importe quel projet.
TEKLA EVELINA SEVERIN LA VIRTUOSE
« Une fringale de couleurs vives et franches ! » Alors que la Suédoise Tekla Evelina Severin manipulait des blancs, des gris et des tons crème dans l’agence d’architecture intérieure où elle a débuté, elle explorait parallèlement de nouvelles teintes qu’elle partageait sur Instagram, aux débuts du réseau social. Une plateforme créative où elle montrait son travail plus personnel de la couleur. « Il y a six ans, je me suis lancée comme freelance, explique-t-elle. Depuis, je navigue entre plusieurs activités : photographie, design, direction artistique pour des expositions, avec toujours la couleur en ligne de mire quel que soit le contenu. Par exemple, je collabore en ce moment aussi bien avec un designer de lampes qu’une multinationale de la mode. J’aide aussi des architectes d’intérieur à composer la palette de leurs projets. » Elle a notamment réalisé une scénographie multicolore pour l’éditeur danois Montana. Parmi ses références ? « L’architecture, les jeux d’ombre, la géométrie, le graphisme, l’esthétique cinématique, la lumière du soleil… », les bases du travail de cette créatrice aux teintes saturées et toujours précises.
GUSTAF WESTMAN
GOURMANDISES PASTEL
Ce jeune prodige suédois qui mixe couleurs et formes puise son inspiration dans son village de Dalsjöfors, un hameau boisé dédié au textile, où « la créativité est dans les gènes », raconte Gustaf Westman. C’est ici que se trouvent son ébéniste et son studio secondaire depuis qu’il est installé à Stockholm. Ici que ses dessins aux courbes arrondies donnent naissance à des miroirs ondulés et à des tables en bois aux teintes régressives. « J’apprécie les matériaux provenant de la nature, qui peuvent prendre toutes les formes possibles, souligne-t-il. Mais j’aime aussi expérimenter de nouveaux matériaux comme la fibre de verre recyclée combinée à du papier. » Aujourd’hui, le designer vise des projets de plus grande ampleur comme la décoration, rêvant de rénover un hôtel dans un esprit pastel à la Wes Anderson.
Sweet colors
Gustaf Westman imagine des miroirs festonnés, des paravents ondoyants, des tables trèfles, dans un esprit bubble gum assumé... Son mobilier envahit les intérieurs d’une clientèle jeune et pointue.
Courtesy of Montana Furniture ; presse