PABLO ATCHUGARRY, ENTRE TRADITION ET INNOVATION
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Inscrites dans la suite d’une tradition pluriséculaire, les sculptures de Pablo Atchugarry (1954*) détonnent dans un monde où l’éphémère semble primer. Privilégiant des matériaux pérennes et des techniques de travail traditionnelles, l’artiste fait fi des effets de mode et des dictats du marché de l’art pour s’adonner pleinement à son œuvre tel qu’il l’entend, avec passion et détermination, sans jouer sur son image ou sur la valorisation commerciale de son travail. Un besoin instinctif le pousse à créer, à faire naître ses idées et à les extirper de la matière. Figure incontournable de la sculpture contemporaine, il puise l’essentiel de ses racines non pas dans la culture précolombienne de son Uruguay natal, mais dans celle de l’Europe, héritage d’une forte immigration espagnole et italienne vers son pays au XIXème siècle, comme son compatriote avant lui Joaquín Torres García1. Férus d’art, ses parents identifient très tôt chez lui le gène de la création et l’encouragent à pratiquer le dessin et la peinture. Très vite se ressent dans ses travaux graphiques, un besoin de s’échapper de la toile et du papier. C’est donc très naturellement qu’au début des années 1970, désireux d’élargir son horizon créatif, le jeune Pablo s’initie aux matériaux tridimensionnels qu’il commence à modeler et à sculpter: terre glaise, ciment, fer et bois. Sa première œuvre, un Cheval (1971) [Fig.1], annonce déjà une recherche de non-figuration, recherche qui va rapidement évoluer et se cristalliser au milieu des années 1980. Dans l’exécution de chacune de ses sculptures, Atchugarry vise à la pureté des lignes, des formes, à l’harmonie de l’ensemble et à sa dynamique. Dès l’exécution des premières esquisses sur le papier, prémices d’une œuvre en devenir, l’artiste se doit d’anticiper sa matérialisation et doit pouvoir, dans son esprit déjà, transposer les deux dimensions en se figurant la troisième qui permettra de donner corps à cette nouvelle création. Le travail d’Atchugarry relève d’une tradition européenne fortement ancrée dans l’Antiquité, menée à son apogée à la Renaissance. Le sculpteur s’inscrit ainsi dans la continuité des grands maîtres de la sculpture que furent Polyclète, Praxitèle, Michel-Ange ou Le Bernin avant lui et l’héritage auquel il se rattache se matérialisant dans son œuvre sous différentes formes, englobant de multiples aspects de son processus créatif. La finesse des formes allongées et les torsions empruntent au maniérisme italien. Nombre de ses sculptures adoptent le traditionnel contrapposto tout en conservant un équilibre total en se dressant parfaitement proportionnées. De même, ces torsions apparaissent telles des citations à l’anatomie de corps, dont l’artiste nous fait voir des segments de muscles et de tendons. Il semble effectuer des gros plans et en isoler des éléments comme le ferait un microscope. Ceci nous amène évidemment à penser au Saint-Barthélemy écorché (1562) de Marco d’Agrate, à la cathédrale de Milan, ou encore au Transi (vers 1545) de René de Chalon (appelé aussi le Squelette ou le Décharné) où la musculature des cuisses semble reprendre les plis d’un tissu. De plissés il en est évidemment aussi question lorsque l’on se prend à détailler les sculptures d’Atchugarry. Il semble évoquer le tomber de soieries, tels des drapés qui recouvrent les corps des statues non pas pour les vêtir, mais pour en révéler sensuellement les formes2. Le sculpteur nous offre à découvrir des sortes de créatures berninesques auquel le corps aurait été soustrait et dont il ne resterait que les souples étoffes. Le regard s’engouffre entre les plis, mystérieusement happé par ces architectures galbées. L’évolution vers le monumental constitue, elle aussi, l’un de ces éléments. Après des débuts consacrés essentiellement à de petits formats, l’artiste prend confiance et la découverte du marbre est pour lui une révélation qui libérera sa main, le poussant à voir de plus en plus grand. Il apprivoise la matière et se lance dans la création de pièces de plus en plus audacieuses. Tels les colosses de Memnon, ses immenses sculptures semblent les gardiennes d’un sanctuaire et rappellent les piliers des grandes cathédrales, destinés à soutenir la voûte céleste. Plus proches de nous, on songe aussi aux prodiges de la Renaissance que sont le David de Michel-Ange et l’Hercule et Cacus de Bandinelli. Dans un même esprit, Atchugarry effectue des emprunts directs à l’histoire, s’en veulent pour preuve sa Victoire de Samothrace sculptée en 1995 ou encore son Obélisque du troisième millénaire de 2001 [Fig.2], dont le titre n’offre aucun doute sur son rattachement aux obélisques de l’Antiquité. Si le domaine profane occupe une place élémentaire dans le corpus d’œuvres de Pablo Atchugarry, il n’en délaisse pas pour autant la sculpture religieuses, genre à part entière dans la tradition artistique occidentale. 1 Julio Maria Sanguinetti, Un’opera con vocazione classica, cat. exp. Palazzo Isimbardi. Milan, Arti Grafiche Meroni, mai 2001, p.16.W 2 Julio Maria Sanguinetti, op. cit., p.18.