CONVERTIR UN LIEU

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CONVERTIR UN LIEU SPECULATIONS SUR LE SACRE A TRAVERS LA RECONVERSION D’UNE ANCIENNE USINE D ’EAU EN CENTRE CULTUREL

DPEA ‘Architecture et Philosophie’

Razvan –George GORCEA

septembre 2012


…à mon père, l’architecte.

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S OMMAIRE Sommaire ................................................................................................................................................ 3 Définitions 1- « lieu » .............................................................................................................................. 4 l’Intuition, le Sacré, la Recherche ........................................................................................................... 8 Définitions 2 – « convertir » / « reconversion » ................................................................................... 12 Le projet - la reconversion d’un bâtiment utilitaire abandonné .......................................................... 14 Repères internationaux .................................................................................................................... 14 « Convertir », en Roumanie .............................................................................................................. 18 Signification initiale – l’usine d’eau .................................................................................................. 22 Le projet ............................................................................................................................................ 24 Une réalisation collective.................................................................................................................. 27 Définitions 3 – « sacré » ........................................................................................................................ 30 Un nouveau lieu – Spéculations sur le sacré......................................................................................... 35 L’oasis ................................................................................................................................................ 35 La grotte ............................................................................................................................................ 39 Le couvent ......................................................................................................................................... 45 Les rites ............................................................................................................................................. 51 Définitions 4 – « spéculation ».............................................................................................................. 55 Pour conclure, un souhait ..................................................................................................................... 56 Annexes illustrations ............................................................................................................................. 57

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D EFINITIONS 1- « LIEU » Portion déterminée de l'espace. [L'espace est déterminé par sa situation dans un ensemble, par la chose qui s'y trouve ou l'événement qui s'y produit.]1 « LOCVS » - locus Du Latin « lieu, place, endroit » ; pluriel « loci » « » - topos Du grec ancien, « lieu, endroit, le lieu où se trouve/ où est situé un corps2, endroit d'un ouvrage3, … » Dérivés en français : topo-***, isotope, topique, utopie, topicité, etc.

« χώρα » - chôra ou khôra Du grec ancien, « le territoire d'une cité, territoire4, étendue, lieu, campagne, pays,…» Terme philosophique défini par Platon dans la « Timée » Repris par Martin Heidegger, Jacques Derrida, Julia Kristeva, Jacques Lacan, John Caputo, Augustin Berque, etc. Dérivés en français : chorème (géographie - représentation schématique d’un espace), chorématique, chorographie, chorésie5

loc français, « portion déterminée de l'espace » fin du Xe siècle (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 407);

leu français, ca 1050 (Alexis, éd. Chr. Storey, 133)6; Autres langues (dérivés du locus): loc (roumain), lloc (catalan), luogo (italien), lugar (espagnol, portugais) En archéologie, le « locus » est le lieu de fouilles délimitant des zones d'occupation humaine.7 En art, architecture, « genius loci » 8 est « l’esprit du lieu »

Ensuite quatre définitions dans le Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, sous la direction de Jacques Lévy & Michel Lussault

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Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL 2012) Académie française (éd. 1986) 3 (CNRTL 2012) 4 Wikitionnaire.fr 5 Augustin Berque 6 (CNRTL 2012) 7 Idibem. 8 Christian Norberg-Schulz 2

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AUGUSTIN BERQUE LA OU QUELQUE CHOSE SE TROUVE OU/ET SE PASSE

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Lieu (du latin LOCUS) est un concept fondamental de la géographie, au point que celle-ci a pu être qualifiée de « science des lieux » (Vidal de la Blache). La divergence entre GEOMETRIE (abstraite) et TOPOGRAPHIE (concrète) est plus ancienne même que la géographie comme discipline. Elle s’exprime déjà par exemple dans les villes de l’époque sumérienne, dont le tracé révèle un conflit entre les exigences d’une géométrie sacrée et les contingences de la topographie profane.*…+ On peut les représenter par les deux concepts de CHORA et de TOPOS. Chacun de ces deux termes peut se traduire par « lieu » ; mais ce qu’ils impliquent est très différent. - dans l’une, le lieu est parfaitement définissable en lui-même, indépendamment des choses. C’est le lieu des coordonnées cartésiennes du cartographe, dont l’ordonnée (la longitude), l’abscisse (la latitude) et la cote (l’altitude) s’établissent dans l’espace absolu des PRINCIPIA MATHEMATICA de Newton. Le lieu y est un point abstrait, totalement objectif. [..]Un tel lieu n’est autre qu’une synthèse du TOPOS aristotélicien avec l’IDEA platonicienne ; - l’autre conception possible relève de la CHORA 10 . C’est la plus problématique, car elle est essentiellement relationnelle. Le lieu y dépend des choses, les choses en dépendent, et ce rapport est en devenir : il échappe au principe d’identité. C’est le lieu du « croître-ensemble » (CUM CRESCERE, d’où CONCRETUS) des choses dans la concrétude du monde sensible.

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Augustin Berque, "‘Lieu’ 1.", EspacesTemps.net, Il paraît, 19.03.2003 http://espacestemps.net/document408.html 10 Platon, Timée

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N I C H O L A S J. E N T R I K I N UNE CONDITION DE L’EXPERIENCE HUMAINE11

Les humains vivent leurs existences dans un lieu et ainsi développent simultanément un sens d’être dans un lieu et hors d’un lieu. L’expérience du lieu implique donc pour une personne à la fois la capacité subjective de participer d’un environnement et la capacité objective de pouvoir observer un environnement comme étant externe et séparé de soi. L’identité du lieu implique des stratégies discursives des sujets, des récits créant un sens d’ensemble, en termes de biographie humaine, de solidarité communautaire, et d’appartenance au monde entier. Le lieu, dans l’acception de la HUMANISTIC GEOGRAPHY, englobe le concept de la spatialité, tout en étendant sa sémantique pour inclure les relations d’un sujet autonome à un milieu. Comme le lieu, la médiance lie le subjectif à l’objectif, cherchant donc à surmonter la conception dualiste du milieu ; celui-ci existe à la fois au-delà de la conscience et est interprété à travers l’agent conscient. En l’opposant à la tradition, des auteurs ont décrit la modernité et la postmodernité comme une ère « sans-lieux », ou du moins caractérisée par la multiplication des « non-lieux ». Cependant de nombreuses études récentes montrent la montée en puissance croissante des mouvements sociaux et des phénomènes d’affirmation identitaire associés au lieu.

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Nicholas J. Entrikin, "‘Lieu’ 2.", EspacesTemps.net, Il paraît, 19.03.2003 http://espacestemps.net/document411.html

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J A C Q U E S LEVY ESPACE DANS LEQUEL LA DISTANCE N’EST PAS PERTINENTE12 La notion de lieu mérite en effet d’être clairement distinguée de celle de LOCALISATION, qui peut ne correspondre qu’à une association entre un phénomène donné et un point de repère sur une étendue vide (par exemple une latitude et une longitude). *…+ Le lieu peut, lui, se manifester à n’importe quelle échelle ou, plus exactement : on peut toujours trouver un principe d’échelle qui fasse d’un espace un lieu. Ainsi le Monde peut-il être considéré comme un lieu du point de vue de certains phénomènes de communication ou d’opinion publique. Plus le nombre de phénomènes est grand, plus le fait de « faire lieu » prend de l’importance. Lorsque le lieu est une société, la suppression des distances internes est, plus ou moins efficacement, obtenue à l’aide d’instruments spécifiques : cadres éthiques et juridique commun, contrôle policier en réseau dense, territorialité politique. À l’autre pôle de la complexité, les lieux faibles méritent attention en ce qu’ils se situent à la limite de la « LIEUITE » : un petit nombre de réalités (objets, acteurs) réunis pour des séquences brèves et à faible signification. Mais c’est justement dans ce genre de situation critique que l’effet de lieu se manifeste, en un sens, à son maximum… M I C H E L LUSSAULT LA PLUS PETITE UNITE SPATIALE COMPLEXE DE LA SOCIETE13 Un véritable lieu n’existe pleinement qu’en tant qu’il possède une portée sociale, en termes de pratiques comme de représentations, qu’il s’inscrit comme un objet identifiable, et éventuellement identificatoire, dans un fonctionnement collectif, qu’il est chargé de VALEURS COMMUNES dans lesquelles peuvent potentiellement – donc pas systématiquement – se reconnaître les individus. Voilà qui différencie le haut-lieu, la place publique, le monument-lieu de mémoire, la galerie commerciale, tous marqués par la coprésence possible des composants sociétaux dans leur diversité et les signes manifestes des valeurs collectives, des lieux domestiques : appartements, maisons, pièces, jardins, qui répondent en général aux premiers critères de définition des lieux mais où le caractère privé s’impose comme l’étalon du fonctionnement de l’espace, où les valeurs sont explicitement configurées à l’aune de l’individualité...

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Jacques Lévy, "‘Lieu’ 3.", EspacesTemps.net, Il paraît, 19.03.2003 http://espacestemps.net/document414.html 13 Michel Lussault, "‘Lieu’ 4.", EspacesTemps.net, Il paraît, 19.03.2003 http://espacestemps.net/document416.html

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L ’I NTUITION , LE

S ACRE , LA R ECHERCHE

« L’intuition réinsuffle la vie aux fantômes qui nous entourent en nous revivant nous-même »14 Regardons ce titre : « Convertir un lieu. Spéculations sur le sacré à travers la reconversion d’une ancienne usine d’eau en centre culturel ». Parler encore aujourd’hui des « lieux » ? Encore de « reconversions industrielles » ? Ou toucher à la notion du « sacré ?!! Aujourd’hui ?! Quand le Monde entier est un « lieu », un lieu généralisé qui perd ses limites réelles, avec l’Internet, sur Facebook (où vivent plus de « 5 millions d’amis ») ?! Quand le sujet des reconversions industrielles est déjà dépassé dans le Monde civilisé où la désindustrialisation massive n’est plus mise en question et est acceptée comme « une conséquence » ? Quand il est encore plus « sacré » (c’est-à-dire interdit) de toucher au sacré (c’est-àdire aux religieux) ?! Qu’est-ce que ces notions ont affaire avec le « contemporain ? Et quel est le lien entre elles? Voilà, je commence par mes propres doutes, les critiques ou les idées préconçues qu’on peut avoir de ces « clichés » déconnectés de la réalité actuelle. Mais qu’est-ce que le contemporain ? Agamben15 nous répondra qu’être contemporains c’est de « percevoir dans l’obscurité du présent cette lumière qui cherche à nous joindre et ne le peut pas » et surtout c’est « une affaire de courage : parce que cela signifie être capable non seulement de fixer le regard sur l’obscurité de l’époque, mais aussi de percevoir dans cette obscurité une lumière qui, dirigée vers nous, s’éloigne infiniment. »16. De même, Roland Barthes17, ou Nietzsche18 nous diront que « le contemporain est l’inactuel » Pour moi tout commence avec l’intuition, ou quelques intuitions, car « l’intuition saisit le mouvement des choses »19 ! Et l’intention de ce texte sera de les regrouper et les mettre ensemble.

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Henri Bergson; commenté par Johannes Schick et RAPHAËL ENTHOVEN, émission « Philosophie » sur ARTE, ép. « L’intuition » diffusé 30 mai 2010 15 Agamben, Giorgio, Qu'est-ce que le contemporain ? , traduit de l'italien par Maxime Rovere ; Paris, Éd. Payot & Rivages, impr. 2008 16 Ibid.. P.24-25 17 ibid. P.8 18 « Considérations inactuelles » 19 Arte, op. cit.

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Je n’ai pas la prétention d’être « contemporain » dans le choix de mon objet d’étude, car un centre culturel ne se situe pas parmi « les obscurités » ou « les ténèbres » qu’un contemporain doit percevoir au lieu de fixer son regard sur les « lumières », comme Agamben le dit. Je suis donc, dans ce contexte un « têtu » et peut-être même un « naïf » de l’époque. Mais, je ne veux pas parler de « désert », de « non-lieu », de « non », de « rien », analyser le « vide », la « banlieue », le négatif. Je veux composer un manifeste pour le « lieu » ! Je veux voir le positif, le « modèle », chercher l’ « oasis », trouver la graine en germination. Je veux inventer, créer, faire ! La spécificité de ce mémoire sera justement de rapprocher des notions qu’en apparence n’ont pas de lien. Et lorsque « dans le ciel que nous contemplons la nuit, les étoiles qui resplendissent sont environnées d’épaisses ténèbres »20, j’ose sonder cette vaste et profonde obscurité, j’ose parler du sacré, oui !...du sacré ! J’ai le courage d’en parler car, (par exemple) ce passage de Mircea Eliade par rapport à l’homo religiosus, m’intrigue et m’inspire à penser l’architecture et la ville : « L’espace n’est pas homogène; il présente des ruptures, des cassures: il y a des portions d’espace qualitativement différentes des autres. »21 Oui, le sacré, car cette notion vaste et vague est compliquée à définir…comme l’architecture d’ailleurs ! De même que « le sacré est la source de la vie », qu’est-ce que l’architecture sans les hommes pour l’habiter? Voilà quel genre de sentiments – de découverte, d’ambition, de curiosité, de passion - se sont « éveillés » en moi lors de l’inauguration d’un nouveau centre culturel dans un ancien bâtiment industriel, abandonné pendant un demi-siècle , au moment où deux cent personnes ont rempli les anciens réservoirs, et on a ouvert des bouteilles de champagne pour l’anniversaire des cent ans de la mise en fonction d’un bâtiment utilitaire. Un bâtiment qui se situait dans une zone considérée « inhabitable », où la ville ne veut pas « s’implanter ». Un bâtiment qui, malgré sa symbolique initiale22, risque d’être démoli s’il ne s’écoule pas par lui-même. Maintenant il renaît, il est « converti en lieu ». Ce que j’ai voulu étudier c’est la « naissance d’un lieu ». Comment un lieu délaissé, en dégradation, en perte de ce titre de « lieu » peut « se convertir », redevenir un « lieu », voire un « haut-lieu ». Pour cela, le titre de ce mémoire pourrait être «Convertir en lieu » ou même « Convertir au lieu »

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Agamben, p.23 Eliade, Mircea, Le sacré et le profane, Ed. Gallimard fr. 1965, (Col. Folio), 1987, 22 Usine d’eau 21

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dans le sens où le « lieu » est un concept, la « chôra », sans qu’on ait besoin de lui ajouter, conformément aux règles syntaxiques, un adjectif (un lieu…fort, de culture, sacré, haut-lieu, etc.). Vous allez dire que je suis « subjectif » ou « nostalgique »…et cela n’est pas compatible avec la « vraie recherche », mais comment peut-on avoir « l’hypocrisie » de l’ « objectivité absolue » de notre pensée et nos « jugements » ? Si après la lecture de ce mémoire la « subjectivité » est la seule critique je serai très content de l’accepter et prêt à l’assumer. Le devoir d’un architecte est de donner l’espoir, montrer le possible, offrir une solution, surtout là où la lumière est très faible, inexistante, dans l’obscurité. C’est par l’abîme, « par la faille qui s’ouvre dans la pensée, que Nietzche conçoit ensemble l’art, la philosophie et le sens de la civilisation »23. Le sacré est espoir et en même temps provocation, interdit. Il est « mysterium tremendum » et « mysterium fascinans », comme le définit Otto24 . Dans la conception de Roger Caillois, le sacré est « ce qui donne la vie et ce qui la ravit. » Je sais que dans nos cultures occidentales, parler du « sacré » aujourd’hui est une action en elle-même tabou (sacré), car ce terme renvoie trop à la religion. Pour cela Otto « va élaborer un instrument conceptuel « le numineux », comme « catégorie spéciale d’interprétation et d’évaluation » qui est certes un outil de recherche »25 qui essaie de « faire abstraction de son élément moral »26. Donc, bien sûr que je ne parle pas du « sacré religieux », car je ne crois pas à la disparition du sacré, mais plutôt à sa transformation, sa métamorphose dans les comportements contemporains. Pour cela je trouve important d’étudier les mécanismes du sacré. « Il ne fait pas de doute aujourd’hui que la « mobilité du sacré » est « corrélative aux états de culture »27, et que si le sacré n’est jamais le même, il ne disparaît pas, car en fait il se métamorphose28. »29 Mon objectif n’est pas de nommer le « sacré contemporain » ou même de définir ce que c’est un « espace sacré » aujourd’hui. Mais c’est de questionner ses mécanismes, en faisant des parallèles, des spéculations (c’est-à-dire des observations) entre un 23

La conception du sacré dans la critique d'art : en Europe entre 1880 et 1914 / Arambasin, Nella . – 1996 ; p.32 24 On va revenir sur ses définitions au chapitre « la Grotte » de la deuxième partie 25 Arambasin, Nella op.cit. ; p.36 26 Otto, Rudolf, Le sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel, Payot 1969 ; p.p.26 27 Michel Meslin, « L’expérience humaine du divin », Paris Ed du Cerf, 1988, p.95 ; en Arambasin, Nella . op.cit. 28 Claude Geffré, « La fonction idéologique de la sécularisation dans le christianisme contemporain »…1976 ; en Arambasin, Nella . op.cit. 29 Arambasin, Nella . op.cit; p.35

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concept philosophique et un projet d’architecture. Enfin on cherche à questionner cette « autre chose » qui permet à l’architecture, à travers différents processus de conception et avec l’aide de ses propres moyens spatiaux et formels, de produire une émotion individuelle et finalement, par sa généralisation, de construire une valeur commune qui pourra constituer un élément de repère pour une société. « La réalité de l’architecture, c’est le concret, ce qui est devenu forme, masse et espace, son corps. In n’y a pas d’idées en dehors des choses. »30 Ce mémoire est aussi un manifeste de « retour à l’architecture construite », car je crois que c’est important d’avoir la possibilité de faire référence à quelque chose de concret, bâti, non pas seulement un projet, parce qu’il ne suffit pas de « lire » ou regarder dans une photo l’architecture. L’architecture signifie espace, matériaux, lumière, elle emploie tous nos sens. « On peut distinguer différentes architectures selon le mode sensoriel qu’elles tendent à privilégier. A côté de l’architecture visuelle qui prévaut, il y a une architecture du toucher, des muscles et de la peau. Il y a aussi des architectures qui reconnaissent les royaumes de l’ouïe, de l’odorat et du goût. »31 J’ai choisi donc un projet d’architecture dont j’ai eu l’occasion de suivre toute son évolution sur 6 ans, depuis la phase initiale de choix du site et du concept, pendant le chantier et jusqu’à son inauguration en août 2012. C'est un projet mené par mon père, l’architecte Constantin Gorcea, et le choix est finalement dû à la connaissance de chaque moment. Mais avec un certain recul, un éloignement, je vois qu’il y a aussi un problème, car je ne suis intervenu personnellement que ponctuellement. Dans le cadre de la recherche j’essaie de garder l’objectivité et d’avoir une attitude critique. Je vais exposer dans une première partie le contexte du projet, pour le « situer » et comprendre son importance contextuelle, en présentant aussi d’une manière assez narrative son évolution. Cette partie est considérée absolument nécessaire pour la « préparation » et la compréhension de la deuxième qui est plus analytique et qui crée le pont vers la philosophie et notamment avec la notion du « sacré » et ses multiples aspects.

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Peter Zumthor, « Penser architecture », p.37 LE REGARD DES SENS, JUHANI PALLASMAA, p.78

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D EFINITIONS 2 – « CONVERTIR » / « RECONVERSION » Convertir X e siècle. Emprunté du latin convertere, 

en latin classique « tourner, faire retourner, changer »

en latin chrétien, « remettre sur la bonne voie ».

1. Amener quelqu'un à adopter une religion ou à changer de religion. [Le complément prép., s'il est exprimé, est introduit par à] convertir à Se convertir : embrasser une religion. Ils se sont convertis à la foi chrétienne. Par analogie : - Amener (quelqu'un) à partager des opinions, des idées (plus ou moins assimilées à des croyances religieuses). Synonymes : gagner, rallier. Si l'on veut nous convertir au communisme, qu'on se serve de moyens un peu moins puérils (GREEN, Journal, 1932, p. 105). SYNT. Convertir qqn à l'anarchisme, au socialisme, à la démocratie; s'efforcer, essayer, entreprendre, tâcher de convertir; vouloir convertir qqn. - Adopter (des idées, des opinions, un système politique ou philosophique) en abandonnant les idées qu'on professait. Se convertir au communisme; se convertir à un avis, à une opinion. Depuis vingt ans, les poètes s'étaient les uns après les autres convertis à la sagesse officielle (MAUROIS, Byron,t. 1, 1930, p. 220) On ne peut se convertir sérieusement au socialisme (...) sans que la philosophie et la vie et les sentiments les plus profonds soient rafraîchis, renouvelés et, pour garder le mot, convertis. (PEGUY, De la Grippe II,1900, p. 7.) 2. Transformer une chose en une autre. [Le complément prép., s'il est exprimé, est introduit par en] convertir en Les alchimistes tentaient de convertir en or les métaux les plus courants. Convertir de la fonte en acier. Convertir des obligations en actions. La possibilité de convertir en or une monnaie. Convertir une proposition… - Changer quelque chose en l'adaptant à de nouvelles fonctions, en lui donnant une autre nature, un autre usage. [Un terrain, un bâtiment, un obj.] Convertir des marais, des déserts en prairies. Une pièce convertie en bureau; une église désaffectée convertie en mairie. En 1816, Joseph obtint de sa mère la permission de convertir en atelier le grenier contigu à sa mansarde (BALZAC, Rabouill.,1842, p. 283). Une table de toilette, une table à écrire que je convertirai en table à coiffer (COLETTE, Cl. s'en va,1903, p. 94).

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Reconversion LE PETIT ROBERT 2012 : N .f. -1944 ; fin.1877 « seconde reconversion » 1874. De reconvertir 1. Econ. Changement qui affecte à un autre usage une activité économique. Reconversion d’une fabrique des tanks en usine d’automobiles . - Par ext. Reconversion économique, technique, politique : adaptation à des conditions économiques, techniques, politiques nouvelles 2. (personnes) Affectation à un nouvel emploi, changement de métier, d’activité professionnelle Recyclage

LAROUSSE : RECONVERSION = n.f. 1. Adaptation d’une industrie ancienne à de nouveaux besoins. 2. Changement de la production, transformations profondes que doivent (ou devraient) opérer certaines entreprises, condamnées par le jeu de la concurrence, soit parce qu’elles produisent des biens dont l’offre est excédentaire par rapport à la demande, soit parce qu’elles produisent selon des méthodes techniquement dépassées 3. Changement de structure productive imposé à une localité ou à une région par l’évolution des technologies ou des localisations industrielles à l’échelle nationale ou mondiale 4. Changement de type d’activité ou de secteur d’activité au terme d’un processus de recyclage et de reclassement 5. Fait pour un employé, un ouvrier, etc., de se reconvertir dans une nouvelle activité ; recyclage

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L E PROJET - LA RECONVERSION D ’ UN BATIMENT UTILITAIRE ABANDONNE

R EPERES

INTERNATIONAU X

Il ne s’agit pas de faire ici une présentation des différents exemples de reconversions et non plus de constituer une chronologie des politiques du patrimoine. Pour ce sujet il existe déjà une bibliographie large et complexe. Mais pour « se situer » dans le contexte contemporain, de point de vue temporel et conceptuel il me semble nécessaire de donner quelques repères en France, en Europe et dans le Monde. Le changement de fonction d’un bâtiment – qui attire des modifications de son architecture - a toujours existé dans le monde. Ce phénomène n’était pas étranger à nos précurseurs, même depuis l’Antiquité. Les cas les plus évidents sont ceux lorsque la transformation implique un changement de la symbolique du bâtiment, dicté par un passage vers une autre idéologie, religion ou autre modification fondamentale de la société, qu’il soit fait par « la guerre ou la paix ». Les exemples sont sans fin et dans « tous les sens de la religion ou la culture » : l’Acropole - en église fortifiée - après en mosquée, les temples romains – en églises catholiques, l’amphithéâtre romain à Arles – en bourg médiéval, la basilique Hagia Sophia – en mosquée, la mosquée de Cordoue – en cathédrale, le fort de Nîmes – en prison – puis en université, etc. C’est intéressant de voir que les « bâtiments importants » ou « signifiants », ce qu’on appelle « les monuments » aujourd’hui ont toujours eu « une vie multiple » s’ils ont été sauvés de la destruction complète. Pourquoi se cela arrive-t-il? Les réponses peuvent être diverses car ce n’est pas possible de généraliser. Cela pourrait être liée à la qualité constructive du bâtiment (grands espaces couverts) et à son emplacement géographique (au centre), mais aussi cela est peut-être lié à la mémoire collective, la symbolique et à la « patrimonialisation » (qui va du matériau de construction jusqu’au paysage ou à l’héritage culturel) ou encore à un certain hasard de l’histoire. De même, le type d’intervention peut être différent. Koolhaas, dans son intervention à la Biennale de Venise en 201032, 32

Chronocaos attire l’attention sur le phénomène mondial de « patrimonialisation » : Près de 12% de la planète est actuellement labélisé comme «protégé», on continue à boucler de Grandes Zones « off-limites » au fil des années à un rythme alarmant. Ces territoires sont déclarés ainsi, sans avoir réellement

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divise en deux grands courants l’intervention sur le patrimoine – Ruskin et Violet Le Duc. Mais la problématique commence bien avant: on peut par exemple citer Riegl, présenté par Jacques Boulet 33 , qui retrace cette problématique du « protection du patrimoine » à la Révolution française ». Il faut noter aussi que cette procédure de « reliquiser » est spécifique à la culture européenne, car en Asie par exemple il existe toute une autre philosophie du patrimoine (l’exemple japonais, v. fig.) De plus, pour parler des Etats Unis, Koolhaas signale à 20 ans depuis l’apparition de son livre « Delirious New York » dans un article que « New York delirious no more »34, qu’une nouvelle politique de la mémoire est mise en oeuvre aussi à New York, une ville où les bâtiments disparaissent les uns après les autres sans beaucoup des soucis. Ce « constat » est fait à partir du concours pour la reconstruction de « Ground Zero » qui devient ainsi un symbole, un lieu de mémoire. Il faut remarquer que cette idée ou ce terme de « conversion » ou «reconversion » est considéré comme nouveau par rapport au « patrimoine ». Voilà ce que décrit en 2010 l’inspecteur général des Monuments historiques, François GOVEN lors de son discours à la fin d’un colloque : « …l’entrée d’un nouveau venu dans notre terminologie, malicieusement proposé par Bruno Foucart : celui de « conversion » du patrimoine »35 Encore plus intéressant est de noter que ce terme de « reconversion » dans l’architecture, tant qu’il est employé dans le langage courent a apparu d’abord comme définition première dans la « reconversion industrielle », donc de ce point de vue on peut le considéré « nouveau », même si la reconversion a toujours existé. En ce qui concerne le « patrimoine industriel », il est « encore considéré par beaucoup comme un sous-patrimoine »36. C’est une notion qui est censée apparaître en France dans les années 1970, « relativement tardivement par rapport aux pays nordiques, aux États-Unis et même à l'Angleterre. » La notion a ces racines en Angleterre avec la création du terme « industrial archeology » (archéologie industrielle) en 1955, par l’historien britannique effectué une réflexion au niveau de la transparence. Aujourd’hui, la préservation ne sait pas trop quoi faire avec son nouvel empire. 33 Riegl, Aloïs, Le culte moderne des monuments, traduit et présenté en français par Jacques Boulet, Ed. L’Harmattan, 2003 34 En 2007 35 P;204, Reconvertir le patrimoine : [actes des 4e] Rencontres départementales du patrimoine de Seine-et-Marne, 36 Gilles Palsky, Professeur de géographie à l'université de Paris 1 - PanthéonSorbonne « Le patrimoine industriel. Construction d'un champ d'étude et d'intervention » Séminaire PCEU, jeudi 6 mai 2010

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Michael Rix, pour définir son étude menée sur les vestiges de la révolution industrielle37. Cette nouvelle notion a été introduite « suite à la destruction de nombreuses usines, lors de la Seconde Guerre Mondiale »38 et a donné naissance à « un mouvement de défense du patrimoine industriel »39. Au début il y a donc une approche « nostalgique » des « châteaux de l’industrie » et « c'est donc une image gratifiante de l'industrie qui est donnée, mais pas forcément représentative. L'approche est plus formelle et esthétique que technique. »40 Mais au fil du temps, les études/les approches de ce patrimoine se diversifient, avec l’apparition régulière de publications, d’associations, de musées, etc. En même temps des politiques de repérage sont menées au niveau national en créant, en 1983, la cellule du « patrimoine industriel » au sein de la Sous-direction chargée de l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Bien sûr, le nombre de ces édifices reste proportionnellement petit par rapport aux autres monuments (450 éléments à caractère industriel classés aujourd'hui, sur plus de 50 000)41 Ce patrimoine industriel est complexe et « pluriel par définition, le patrimoine industriel aborde les domaines de l’urbain, de l’architecture, du paysage et de l’environnement, autant des problématiques d’aménagement auxquelles s’ajoutent celles de l’histoire (technique, sociale, économique) et de la mémoire, nécessaires pour maintenir le sens des lieux»42. La question la plus importante reste donc « que faire avec ? », ou « comment le réhabiliter ? » « Le terme de reconversion peut recouvrir des devenirs très divers. Le changement de destination du patrimoine industriel n'est pas seulement une conservation à l'échelle du bâtiment, mais pose la question de la relation à l'espace. Il s'agit de retrouver une relation du bâtiment à la vie, une une cohérence du site. Ce n'est donc pas une entreprise seulement architecturale, mais aussi urbanistique et aménagiste, surtout quand cela touche non pas à une réhabilitation ponctuelle, mais à de grands ensembles comme les zones industrialo-portuaires. »43 Les exemples de grandes reconversions de la dernière décennie sont innombrables, surtout en Europe du Nord – une grande partie de la ville de 37

Usines reconverties / Mariarosaria Tagliaferri ; éd. Cristina Paredes ; coord. Catherine Collin ; trad. Jay Noden; P. 4 38 Ibidem. 39 Ibidem. 40 Gilles Palsky, op. cit. 41 Ibidem. 42 Antoine FURIO, historien-urbaniste « Le patrimoine industriel – l’exemple de l’usine IDEAL Standard à Aulnay-sous-bois (Seine-Saint-Denis), dans : Reconvertir le patrimoine : [actes des 4e] ; p.134 43 Gilles Palsky, op. cit.

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Copenhague, plusieurs sites entiers en Finlande et Suède, mais aussi les grands projets de reconversion en Suisse, Allemagne ou Autriche donnent un panorama sur l’intervention dans les sites industriels désaffectés et sont même considérés comme des chefs d’œuvre de l’architecture contemporaine. Mais ce qui est le plus proche de notre sujet et est aussi récurrent dans les pays européens est la reconversion du patrimoine industriel en lieux de culture. Ainsi, plusieurs colloques, ateliers ou rencontres se déroulent pour « faciliter les échanges et les pratiques culturelles des jeunes générations s'ouvrant aux nouvelles formes d'expressions artistiques, à l'utilisation des nouvelles technologies et à la coopération interculturelle. Ces anciens lieux de production industrielle sont recyclés en espaces de production et de diffusion artistique et culturelle. »44 Ces lieux sont de véritables oasis culturels, des « lieux consacrés » qui parlent par eux-mêmes de la culture contemporaine. Pour montrer dans quel contexte international se situe le projet de reconversion de l’ancienne usine d’eau45 en « centre de culture urbaine, architecture et paysage », j’ai présenté dans une exposition et conférence une liste d’exemples similaires :

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"Les enjeux en Europe de la reconversion du patrimoine industriel en lieu de culture" - compte-rendu de la séance de travail, Rencontres Européennes Trans Europe Halles - 27 mai 2000, Mains d'oeuvres, Saint-Ouen - Dossier réalisé par Anne Lalaire et Fazette Bordage 45 de la ville de Suceava, au Nord-Est de la Roumanie

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« C ONVERTIR »,

EN

R OUMANIE

Si en France, pendant les dernières décennies, il s’agit de débattre des moyens d’intervention sur le patrimoine, on trouve des voix qui critiquent la dureté des règlements avec certaines « aberrations » qui imposent des matériaux spécifiques46, etc., en Roumanie, le plus jeune pays membre de l’Union européenne, la situation a été très différente et elle ne cesse pas d’être. Je me sens obligé d’insister sur la question du patrimoine en Roumanie et des politiques de protection, car il est important, encore une fois, de « situer » le contexte dans lequel s’insère le projet que j’ai choisi comme objet d’étude. Cela permettra d’avoir aussi une idée sur les symboliques de la « conversion d’un lieu» dans ce pays. Il ne s’agit pas de faire une critique politique mais de présenter, le plus objectivement possible, la situation du patrimoine dans les derniers 50 ans. Car, malgré le fait que la Roumanie a été assez épargnée par les destructions de la deuxième guerre mondiale, on a su mener une autre forme de destruction des monuments, de son patrimoine bâti. D’abord, commençons par l’époque dictatoriale communiste, sous la dictature de N. Ceausescu (au pouvoir 1965-1989). Si dans les années 60, et jusqu’à la moitié des ‘70 on remarque une période propice à l’innovation dans la restauration des monuments historiques 47 , les transformations urbaines de toutes les villes et villages en Roumanie sont considérables et atteignent leur apogée en radicalité vers la fin des années 70 et pendant les années 1980. Il s’agit notamment de la construction de nouveaux centres civiques dans les villes et de la modernisation rurale. Ces « nouveaux centres civiques » ont signifié le remplacement total du tissu existant des centres historiques, une tabula rasa pour effacer le passé et « construire la Roumanie moderne et glorieuse ». Seuls les bâtiments médiévaux (des XIVXVIIIe siècles) ont été sauvegardés, en les isolant en tant que « monuments historiques ». Et si cela n’était pas possible, ils étaient transmutés (le cas de certaines églises à Bucarest). Je donnerai comme exemple le fameux palais du peuple, l’apogée du culte de la personnalité de Ceausescu, un bâtiment qui bat encore aujourd’hui

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Exemple donné par J. Boulet sur l’emploi obligatoire de la « tuile canal » sur des vastes territoires « pour garder le spécifique local » alors qu’elle n’a jamais été utilisée en certains en endroits et ainsi les particularités des villages et du paysage en générale risquent se dégrader avec cette « uniformisation du langage » et les phénomènes de « pastiche » 47 Il s’agit des projets de transformation des certains monastères en musées

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trois records mondiaux48 : le plus grand bâtiment administratif civil en tant que surface dans le monde, le plus cher bâtiment administratif dans le monde et la plus lourde construction dans le monde. Evidement à l’échelle européenne, la construction détient les « superlatifs de grandeur » dans toutes les catégories. Et tout ceci a été construit, entre 198349 et 1987, en rasant complètement un quartier entier, avec un tissu urbain défini, compact, caractéristique pour le centre-ville de Bucarest. Sur une superficie de 7 km² ont disparu avec les maisons de 40.000 habitants, un couvent de XVIIIe siècle, l’hôpital royal de 1835 et beaucoup d’autres bâtiments. Pour ne pas parler seulement de la capitale, donnons l’exemple de la ville de Suceava, qui a vu son centre historique disparaitre sous les bulldozers à partir des années ’60, avec les maisons et les rues commerçantes de XIXe siècle, pour qu’un nouveau centre civique et moderne y apparaisse. Cette attitude urbaine, dictée par une politique totalitariste et propagandiste, au sein de laquelle des mots comme « habitant », « réhabilitation », « dialogue », « mémoire », « histoire », ne trouvaient pas vraiment leur place, a produit aussi une dégradation dans la société, la perte du système de valeurs de la vie urbaine et de l’habitat urbain. Voici donc avec quel « héritage » on se retrouve après la Révolution de 1989. Pendant les vingt dernières années, les institutions et les règlements ne cessent de changer, de se complexifier, etc. Pendant tout ce temps de grands projets de réhabilitation urbaine50 sont planifiés, mais très peu voient leur première pierre posée, les spéculateurs immobiliers prolifèrent51 et les intérêts économiques et politiques sont visibles partout. Le (dis)fonctionnement institutionnel est arrivé à un point où, juste pour donner un exemple, à Bucarest, en 2011 et 2012, dans le cadre d’un projet urbain très controversé et critiqué par les associations, on voit des tentatives de démolition de la « Hala Matache »52 et la démolition « pendant la nuit, avec les bulldozers » du tissu environnant, avec des bâtiment inscrits dans le patrimoine, et tout cela sans autorisation ni consultation avec les habitants. Il est donc difficile de dire qu’il y a un vrai développement ou protection ou réhabilitation du patrimoine roumain, même si des exemples positives et d’une bonne qualité architecturale existent par-ci par-là, mais

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Conformément à la « World Records Academy » À la même époque en France on mettait en place la cellule du « patrimoine industriel » au sein de la Sous-direction chargée de l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France 50 Ex. Bucarest 2000 51 Des tours de bureaux dans les quartier résidentiels, etc. 52 (Qui a peur du quartier Matache? Principes de régénération urbaine pour la zone Matache – Gare du Nord Bucarest), auteur collectif : « Les Architectes bénévoles », conc. éd. Mirela Duculescu,[Roumain, rés. en anglais] Ed. Pro Patrimonio, 2012 49

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cela reste proportionnellement faible par rapport aux destructions actuelles et au développement urbain chaotique. Dans le milieu rural, en dehors de la « modernisation imposée »53 aux villages, pendant la période communiste, un autre phénomène de dégradation du patrimoine a lieu. Il s’agit du patrimoine (urbain ou rural) des anciennes familles aristocrates, princières, nobiliaires ou juste riches de la Roumanie dont les propriétaires ont été chassés pendant la prise de pouvoir des communistes après la deuxième guerre mondiale. Tous leurs immeubles – châteaux, hôtels particuliers, immeubles de rapport, manoirs, avec tous leurs jardins et annexes – ont été « nationalisés » par l’Etat, qui devenait propriétaire unique lorsque les vrais propriétaires allaient en prison ou fuyaient à l’étranger en exil. Ensuite, si une partie de ce patrimoine a été valorisé en y créant des musées ou des institutions, l’autre partie, surtout dans la campagne, a été complètement délaissée, certains manoirs devenant par exemple abri pour les animaux, étant vandalisés et finalement amenés à l’état de ruine. Toutes ces propriétés reviennent maintenant aux anciens propriétaires, lorsqu’après la Révolution de ‘89 plusieurs lois de rétrocédassions se succèdent. Mais la situation reste délicate et ambigüe, car maintenant il y a plusieurs héritiers propriétaires, répandus partout dans le monde, et ils se retrouvent avec des bâtiments en ruines, ne sachant pas clairement quoi en faire ou n’ayant pas les moyens pour une réhabilitation d’une telle envergure. Alors la destruction, la dégradation de ce patrimoine, continue, n’ayant pas encore trouvé de « solution magique ». Après les années 2000, des initiatives diverses apparaissent, il y a une prise de conscience que cette réhabilitation ne pourra pas se faire « toute seule » ou seulement avec des initiatives privées individuelles. Le président de l’Ordre des architectes roumains, Serban Sturdza avance l’idée d’ « un réseau ». Il s’agit d’un réseau des centres, situés dans le milieu rural, sur ces anciennes propriétés des anciens aristocrates. C’est donc en 2006 que cette idée de « réseau de centres de culture » prend naissance et crée ses premiers « oasis », à Tibanesti ou à Curtisoara par exemple 54 . Des workshops/ateliers se succèdent dans plusieurs endroits, les disciplines impliquées se multiplient et surtout, la population locale est intégrée dans ces programmes culturels. Des équipes se forment, les interactions sont de plus en plus nombreuses et il a un échange continu qui se met en place.

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avec un projet type de « maison avec étage » ou même des quartiers des immeubles 54 J’ai eu mon premier contact avec Serban Sturdza, lui-même descendant de l’ancienne famille princière roumaine, lors d’un premier workshop au manoir de Tibanesti …sur le thème de l’architecture expérimentale en terre crue et bois

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Dans ces « oasis culturels » qui forment un réseau synaptique dans tout le pays, des événements culturels s’organisent, des écoles d’été, des cursus et des concours pour les enfants des villages, des workshops interdisciplinaires pour les étudiants. Sur ce « modèle précurseur du réseau des centres de culture»55, s’est basée une deuxième initiative de l’Ordre des Architectes Roumains (OAR). Il s’agit de créer un réseau de « centres de culture urbaine » dans chaque filiale de l’OAR (21 au total). Donc, chacune de ces filiales est censée trouver un bâtiment, un lieu délaissé, mais avec une importance, une valeur symbolique pour la ville et son développement. L’intérêt est de « reprendre » un lieu abandonné ou oublié et le « redonner » à la ville, le « convertir » en lieu de culture, le « reconsacrer »56. C’est donc dans ce contexte que la filiale Nord-Est de l’OAR a commencé depuis 2006/2007 son projet de reconversion de l’ancienne usine d’eau de la ville de Suceava. Il est nécessaire de faire maintenant une courte présentation historique et culturelle du contexte de ce bâtiment et ses significations pour la ville, car ces aspects ont été pris en compte par les architectes dans la démarche du projet et leur connaissance est essentielle (pour cette étude aussi).

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comme l’avait appelé en août 2012, Serban Sturzda, lors de l’inauguration du centre d’architecture, culture urbaine, et paysage (CACUP) « Uzina de Apa » à Suceava 56 Répère pour les habitants de la ville

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S IGNIFICATION

INITIAL E

– L ’ USINE D ’ EAU

« L’usine d’eau représente dans l’histoire de la ville de Suceava, le moment décisif, marquant l’entrée en modernité de point de vue urbanistique d’une ville qui, jusqu’à ce moment, gardait encore un air médiéval. »57 Située au Nord-Est de la Roumanie actuelle, la ville de Suceava a fait partie entre 1775 et 1918 de la région nommée Bucovine, territoire gouverné par l'empire des Habsbourg d'Autriche (ou l’Empire Austro-Hongrois). Il s’agit d’une région multiethnique (Roumains, Polonais, Magyars, Ukrainiens, Juifs, Roms, Sicules, Allemands) qui a été le noyau originel de la principauté médiévale de la Moldavie .En effet, c’était la rivière Suceava (qui passe au milieu de la ville actuelle) qui constituait la frontière entre l’Empire austrohongrois et la Roumanie58 de l’époque. Dans le contexte de cette gouvernance autrichienne la ville s’est développée plus vite que d’autres villes voisines situées dans la partie « roumaine ». On hérite de cette période notamment le cadastre de la ville de 185659 et 1912 et de nombreux équipements publics et édilitaires. Au début du XXème siècle la ville de Suceava, dirigée par le maire Franz chevalier des Loges60, connaît de multiples modifications qui changeront le cours de son développement urbain. Selon des documents retrouvés dans les Archives61, il lance en 1910 un appel d’offre pour la réalisation du réseau d’alimentation en eau potable et du réseau d’assainissement de la ville (« wasserleitung und kanalisierung »). Ceux-ci vont être réalisés d’après les plans de l’ingénieur Gunther Thiem, de l’agence « Thiem un sohne » 62 de

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On appelle la « Petite Roumanie » (ou « le Royaume Roumain » dans les territoires annexes plus tard) la première union des deux grandes principautés la Moldavie et la Valachie, en 1856 59 En Transylvanie et Bucovine, les travaux de mesurèrent commencent en 1794, alors que dans la capitale roumaine, à Bucarest le commencement du cadastre arrive plus tard en 1813 - 1818 60 «Franz chevalier Des Loges - l'un des maires les plus capables que la ville de Suceava ait jamais connu -il était également préoccupé par le début et la fin de l'approvisionnement en eau et en électricité de la ville. Afin de financer ces deux objectifs, la mairie a fait un prêt substantiel en 1908 à la Centralbank der Deutschen Spaarkassen, d’une valeur de 1,5 millions de couronnes, afin de couvrir les coûts des projets sur les travaux d'électrification, d'assainissement et d'eau de la ville et des barrages de la rivière Suceava. » (Archéologue Florin Hau) 61 62

fondée par son père, Adolf Thiem (21.02.1836 - 02.05.1908) - ingénieur allemand considéré comme le fondateur de l'hydrologie moderne et de l'ingénierie des eaux souterraines. Auteur innovant dans la recherche, il est un pionnier dans la conception et la construction des premiers systèmes d'égouts modernes.

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Leipzig, avec laquelle la ville de Suceava avait signé un contrat en 1908. Ces travaux seront assurés par l’entreprise « G. Rumpel » de Vienne. L’usine d’eau, avec ses bâtiments, la station de pompage, le filtre et le puits collecteur, fait donc partie de cette ample action de modernisation de la ville. Située dans la vallée de la rivière de Suceava, son rôle était de capter l’eau, de la filtrer et la traiter63 et de la pomper ensuite au réservoir d’eau, situé au point le plus haut de la ville, pour qu’elle soit distribuée à la population locale branchée ou aux fontaines publiques. Le 12 aout 1912 a eu lieu l’inauguration de l’usine d’eau, qui a commencé à fonctionner quotidiennement64. Ceci a complètement changé le mode de vie des citoyens de la ville, en ouvrant le chemin vers la modernité, à la hauteur et aux standards des villes européennes65 de l’Empire. Il est déductible que cet endroit a eu une fort symbolique pour les habitants de la ville pendant sa période de fonctionnement de 50 ans 66 . L’eau courante symbolise un élément de confort urbain, représentant une « valeur commune » de la société. Rencontré par hasard en 2011 par un groupe de sociologues dans le parc du centre-ville, un homme, âgé de 102 ans – le même âge que le bâtiment – s’en rappelle parfaitement en faisant la « preuve » de son importance: « Ça c’est l’Usine d’Eau de Suceava. Autrefois, un citoyen appelé Franz Chevalier des Loges a été élu maire de la ville, et c’est sous son mandat que l’usine électrique et l’usine d’eau ont été construites, ainsi que les installations d’eau et d’incendie de la ville, l’hôpital, la mairie, la préfecture. *…+ C’était très moderne pour son époque, on n’avait pas le droit d’entrer dans les locaux qu’avec des chaussons. L’usine électrique et l’usine d’eau étaient la propriété de la mairie. Moi, je travaillais à l’usine d’eau, je nettoyais las barres, avec des pompes et d’autres trucs, il y avait une propreté du jamais vu ! Ce qui était intéressant est qu’en -dessus du tableau électrique de commande il y avait une grande plaque de marbre où il était écrit : « Sous la sage gestion du empereur Franz Joseph fit construite cette usine ».

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Par chloration Selon les annonces en 1910 et 1912 65 La même année est inauguré 66 Après 1960, en raison de la croissance démographique, ce complexe édilitaire n’est plus utilisé, étant remplacé par une autre installation conforme aux besoins de la société. 64

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LE

PROJET

LE FINANCEMENT DU PROJE T

Le projet de transformation de ce qui était l’usine d’eau s’avère complexe et long, car l’initiative de l’OAR Nord-Est d’y créer un centre de culture urbaine qui fera partie d’un futur réseau, n’a pas de modèle à suivre, elle est pionnière à l’époque. Les doutes et les éléments inconnus sont diverses, car, comme on l’a expliqué avant, on ne pouvait pas comptait sur les autorités nationales ou locales pour attirer leur intérêt sur un tel projet, même s’il concernait la communauté locale et le développement urbain. Les initiateurs de l’Ordre portent donc ce combat à plusieurs échelles, un projet culturel qui définit le rôle de ce centre est réalisé et soumis à l’approbation de l’OAR. Assez vite une équipe ad-hoc se forme au sein de la filiale régionale de l’Ordre pour commencer le projet, en travaillant comme bénévoles et une première esquisse de projet est réalisée. Celle-ci concerne le « bâtiment-filtre » qui a été laissé à l’abandon après les années 1960, malgré quelques tentatives de transformation. L’intention des architectes de l’OAR a été de créer dans la partie des réservoirs un espace d’exposition affecté au futur Centre Culturel et, dans la partie supérieure, des locaux pour la filiale régionale Nord- Est de l’Ordre des Architectes de Roumanie. Après plusieurs négociations, la ville67 conclut un accord concessionnel en 2009 avec l’OAR N-E pour le bâtiment et son terrain sur une période de 49 ans. La municipalité devient ainsi associé de l’OAR Nord-Est s’engage d’assurer le branchement aux utilités du nouveau bâtiment 68 C’était donc, un premier pas, et il était très important d’attirer le soutien des autorités locales pour ce projet, même si leur intervention restera assez limitée. Le financement du projet est assuré majoritairement par des fonds publics de l’OAR69 et un deuxième financement, accordé par une autre association d’architectes roumains - UAR (l’Union des Architectes de Roumanie), apparaît en 2010, à condition que l’ensemble soit inscrit comme monument de patrimoine de catégorie B70. Ce type de financement va créer une obligation de « rapports réguliers », pour montrer l’évolution du projet et garantir la continuation du financement.

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Qui était propriétaire des bâtiments par son service des eaux et d’assainissement Défini par le contrat bilatéral 69 Une taxe sur chaque permis de construire 70 Différences similaires entre monument « classé » (=cat. A) et « inscrit » (=cat. B) en France 68

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LA CONCEPTION DU PROJET

La première phase du projet comprenait une étude de faisabilité et un diagnostic, des éléments de « découverte » du bâtiment existant. La tâche du relevé a été assez difficile car les documents qu’on avait étaient incomplets et l’accès dans le bâtiment était très « aventureux », surtout dans la partie enterrée des réservoirs. Alors, une première variante du projet est faite, mais elle est surtout « fonctionnelle » et ne prend pas vraiment en compte les potentialités spatiales du bâtiment. Elle propose donc une entrée frontale, en découpant le talus pour l’entrée au sous-sol, et un double escalier métallique extérieur pour un accès privé à l’étage. Pendant un an le projet n’avance pas beaucoup dû à des retards dans l‘avancement du dossier avec les autorités, et dans le financement du projet. Mais cela permet de repenser le projet architectural71. De poser plusieurs questions et d’élargir la réflexion. D’un côté on avait les difficultés techniques du projet, car on a affaire avec un bâtiment qui n’a jamais été conçu pour être habité, semi-enterré, dont les impressionnants espaces intérieurs sont complètement coupés l’un de l’autre, avec des problèmes structurels72 dans la partie supérieure dus aux tremblements de terre et à tout cela s’ajoute un financement public évidement insuffisant (environs 0,5 mil. Euros). Et de l’autre côté on la multitude des variantes architecturales – ajouter de nouveaux volumes, laisser l’extérieur comme enveloppe et construire une deuxième peau, etc. En revenant sur les spécificités du bâtiment, de la construction elle-même et son espace tel qu’il était, une variante d’intervention simple et franche s’impose73, sans ajouter de nouveaux volumes à l’extérieur, sans modifier l’entrée principale supérieure, ni la forme initiale des talus. On crée une coupure franche dans le talus, en créant un accès direct dans les réservoirs, transversalement sous la triple hauteur de l’édicule frontal (le plus haut). Ainsi on découvre d’une manière assez inattendue la grandeur de l’espace intérieur, difficilement perceptible de l’extérieur, tout en gardant éclairée naturellement cette partie enterrée. Deux murs en béton apparent, filant la pente du talus, longent cette entrée dans l’espace expo. L’accès aux étages se fait soit directement du sous-sol par un escalier métallique, soit séparément par le haut du talus. Les planchers restent détachés

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toujours d’une manière collaborative et ouverte, la maîtrise d’œuvre du projet est coordonné par l’agence AGD Suceava, chef du projet: architecte Constantin Gorcea 72 Solution aberrante avec une consolidation en béton surdimensionnée 73 j’ai travaillé sur cette étape du projet, à l’agence AGD, ensemble avec une autre stagiaire, catalane, Carina Ibanez-Vidal

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latéralement de murs en gardant la communication spatiale, les cloisons des bureaux seront vitrées et la structure métallique de la charpente restera apparente. La variante est acceptée et le projet est ainsi lancé pour le dépôt de permis de construire. Quel est donc le principal atout de ce projet ? C’est l’entrée. Le positionnement de la nouvelle entrée, qui est créée « sur le côté » du bâtiment, a complètement changé la vision de ce projet. D’un côté c’est « la faille dans le talus », le fait de pouvoir pénétrer directement dans le grand espace du bâtiment, ayant la possibilité d’entrevoir de l’extérieur cette forme mystérieuse, couverte de terre. A ajouter qu’ainsi, en dehors de l’entrée –elle-même en creux - on ne touche pas à la forme initiale du bâtiment. Mais, peut-être encore plus important, c’est que ce nouveau positionnement « s’ouvre » vers l’enceinte, en créant un « nouvelle place », un endroit censé avoir un caractère public. Ce « nouveau parvis » sert à la fois d’espace de défoulement propice pour un espace d’exposition, et en même temps recrée un lien avec les deux autres bâtiments qui faisaient partie de l’usine d’eau. A cet égard, l’OAR NE envisage d’inclure dans le projet le petit bâtiment de l’ancien puits collecteur (déjà dans la possession de l’OAR) et la station de pompage qui pourra devenir un espace multifonctionnel avec amphithéâtre, etc. Ainsi, tout le complexe pourra grandir et accueillir plusieurs types d’événements. Pour faire une parallèle, voici les raisons pour lesquelles le projet de Herzog & de Meuron, a gagné à Bankside, Londres, dans le concours de Tate Modern : «Parce que, paradoxalement, ils ont proposé les changements les moins drastiques sur le tissu même de Bankside. Plutôt que d’effacer les qualités du bâtiment industriel qui avait initialement attiré Tate, ils ont choisi de les souligner. Les Londoniens pourront toujours reconnaître la centrale électrique de Gilbert Scott; les gens de Southwark pourront maintenant « pénétrer » à peu près partout dans les 3,4 hectares du site. Alors que le penthouse prolongé est incontestablement nouveau, une ligne horizontale brillante qui traverse le repère vertical sobre de la cheminée, il y a peu d’autres indices extérieurs quant aux transformations à l’intérieur. 74

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Building Tate Modern, Herzog & de Meuron transforming Gilbert Scott

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U NE

REALISATION COLLE CTIVE

LE CHANTIER OUVERT , INNOVATIONS TECHNIQUES

De même que la conception du projet n’a pas été « classique », de même la suite –le chantier – a aussi eu ses particularités. D’un côté la spécificité de ce bâtiment, surtout au niveau des réservoirs, a supposé une intervention particulière avec des machines pour creuser… comme pour faire des trous dans une mine. Une opération assez « violente » mais révélatrice – le « béton de 100 ans. En même temps, il fallait avoir une attention d’archéologue » dans la réhabilitation et la protection des éléments constructifs et des installations trouvées sur place. De l’autre côté l’aspect collaboratif de l’œuvre n’a pas cessé d’agrandir. Cette fois, l’entreprise générale et plusieurs fournisseurs de matériaux de construction établissent des partenariats et le projet devient un chantier d’expérimentation et d’innovation technique. Tout cela se produit en ressemblant régulièrement tous les architectes de l’OAR Nord-Est, invités pour participer aux différentes phases du projet. Le projet devient donc un « chantier ouvert » où des spécialistes dans plusieurs domaines peuvent croiser leurs expertises, les architectes participent à une « formation continue » et en même temps on trouve ainsi de nouveaux moyens de financement.

WORKSHOP SUR L’INTEGRATION URBAINE

Cette interaction se prolonge encore en août 2011, en plein chantier75, avec un workshop interdisciplinaire qui se veut une pré-inauguration du centre à l’occasion de l’anniversaire de 99 ans de la mise en fonction de l’usine d’eau. Le thème de cet atelier est « L'intégration dans la communauté locale du futur centre » et rassemble plus de 20 étudiants76 avec des formations diverses : architecture, urbanisme, paysagisme, design, sociologie, muséographie, histoire. Le but est d’analyser les enjeux de l’intégration urbaine du futur centre, car son positionnement dans la configuration actuelle de la ville est assez problématique. Situé dans la vallée de la rivière Suceava, le site est à la proximité de la zone industrielle qui se trouve de l’autre côté de la rivière. Aujourd’hui, cette zone à caractère délaissé est en pleine mutation, car les bâtiments industriels se transforment en grands centres commerciaux, et en même temps elle devient le centre géométrique de la ville, en raison du développement d’un quartier ouvrier à l’extrémité opposée de la ville. 75 76

Qui a commencé en 2010 jusqu’en septembre 2012 Une majorité locale et une sélection sur dossier nationale

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En dépit du caractère non attractif et des difficultés d’accès depuis le centreville, le but urbain de ce centre est de se constituer comme un générateur culturel pour le développement urbain environnant, dans toute la vallée de la rivière. Pendant plus deux semaines, le workshop divisera ses membres en cinq équipes avec quatre thèmes principales et une étude sociologique 77 : l’identification du Patrimoine industriel de Suceava ; les solutions urbanistiques d’intégration du Centre ; les relations avec l'environnement du Centre ; la signalétique et les moyens de promotion du nouveau Centre. Toute cette partie « pratique » a été complétée par des conférences, des visites des industries locales, des projets d’architecture innovants, des discussions avec différents spécialistes et personnalités invitées. Les échanges et les interactions ont été multiples et productifs, et au final les équipes ont présenté leurs résultats aux membres de l’OAR, aux autorités locales et tout le matériel a été diffusé sur le nouveau site du Centre. Une partie essentielle de ce workshop « en chantier » était de prendre contact avec la population locale, de créer cette connexion entre les architectes et l’équipe impliquée et les gens qui vont « faire usage de ce centre, « le but final de ce centre est de servir à la communauté locale »78 L’étude des sociologues a commencé par une journée de portes ouvertes, où environs 60 personnes sont venues et ont été guidées par l’équipe des étudiants dans le chantier. Ensuite, elle a continué pendant une semaine avec des entretiens quotidiens dans les lieux les plus fréquentés de la ville. Depuis la rue on voit un minuscule édifice, faible. Et à cause des arbres et de la haute clôture on ne peut voir que la pointe des bâtiments. (Femme, 70 ans) A l’intérieur on a l’impression d’être dans une église, avec ses tourelles et tout... (Homme, 50 ans) L'espace est très grand, car depuis la rue il semble plus petit. Ils ont conçu un très beau passage d’une pièce à l’autre, c’est quelque chose de nouveau ! La lumière pénètre par ces fenêtres … c’est vraiment sympa. '(Femme, 38 ans) C’était donc l’occasion d’avoir un premier retour sur le projet lui-même ainsi que sur les possibilités d’intégrer le nouveau centre culturel dans la vie de la communauté.

77 78

Mené par deux sociologues déjà diplômés Selon le projet de l’OAR

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L’ I N A U G U R A T I O N D U L I E U

Le 12 août 2012, le Centre « Uzina de Apa » a été inauguré à l’occasion de l’anniversaire de 100 ans de la mise en fonction de l’ancienne usine d’eau. Plusieurs évènements, conférences, concerts, visites urbaines, débats, portes ouvertes se sont déroulés. A ce moment, on a atteint « l’apogée d’interactivité » car l’événement a été fortement médiatisé, des représentants de toutes les autorités locales et régionales sont venus, ainsi que les représentants de l’OAR national. L’équipe des étudiants et jeunes diplômés s’est réunie et a été réorganisée pour préparer l’événement, ils ont mis en valeur tout ce qu’on a fait l’année dernière pour promouvoir le centre (des T-shirt, des objets promos, des dépliants, etc.) et ils on crée une exposition complexe divisée en plusieurs thèmes. A cette occasion, on a invité des personnalités roumaines, avec de l’expérience dans le management et le fonctionnement des centres culturels, pour tenir des conférences et organiser une table ronde sur le thème : « le rôle et le fonctionnement du centre de culture urbaine », avec le but de mettre en place une « charte de l’usine d’eau », en vue de définir un programme d’activités et moyens de fonctionnements. De par le nombre de gens impliqués dans ce petit projet, de par ce contact avec la population locale, toutes ces interactions interdisciplinaires, ce projet culturel est une initiative pionnière dans la région, et rare en Roumanie en général, et on essaie de créer des connexions internationales avec des centres du même genre (type d’intervention architecturale ou activités) pour organiser en commun de différents types d’activités (expositions, workshops, visites, partenariats, formation continue des architectes, etc.). Mais finalement ce qui reste important c’est la relation avec « le lieu », car on peut dire qu’ « on a créé un lieu », un lieu de culture, qui est censé rayonner et créer de liens, des connexions, des « milieux ».

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D EFINITIONS 3 – « SACRE »

Sacré Sacré, ée79 Adj. XIIe siècle ; Participe passé de sacrer, pour traduire l’adjectif latin sacer 1. Qui appartient à un domaine séparé, interdit et inviolable (par opposition à ce qui est profane) et fait l’objet d’un sentiment de révérence religieuse. Synonymes : saint, tabou ;

2. Qui est digne d’un respect absolu, qui a un caractère de valeur absolue. Synonymes : intangible, inviolable, sacro-saint, vénérable. « Amour sacré de la Patrie Conduis, soutiens nos bras vengeurs ! »80 3. (Familier, antéposé) [À valeur intensive]81 Sert d’épithète à des termes d’injure ou d’admiration ironique, pour leur donner plus de force82. Synonymes : espèce de, fichu « Sacré bavard, menteur, numéro, etc. ». Maudit. Fameux. Substantif masculin. Ce qui est sacré

« C'est en latin que se manifeste le mieux la division entre le profane et le sacré; c'est aussi en latin qu'on découvre le caractère ambigu du « sacré »: consacré aux dieux et chargé d'une souillure ineffaçable, auguste et maudit, digne de vénération et suscitant l'horreur. Cette double valeur est propre à sacer; elle contribue à distinguer sacer et sanctus, car elle n'affecte à aucun degré l'adjectif apparenté sanctus. »83. « Le sacré est aussi une notion d'anthropologie culturale »84

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Le Petit Robert 2012 La Marseillaise au 6e couplet 81 CNRTL, 2012 82 fr.wikitionnaire.org 83 É. BENVENISTE, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, éd. de Minuit, t. 2, 1969, pp. 187-188 84 « Le sacré permet à une société humaine de créer une séparation ou une opposition axiologique entre les différents éléments qui composent, définissent ou représentent son monde : objets, actes, espaces, parties du corps, valeurs, etc. » (wikipedia.fr ; cf. Camille Tarot) 80

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1917 : LE SACRE. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel 85 RUDOLF OTTO

(25 SEPTEMBRE 1869 – 6 MARS 1937)

Le « numineux » : Le mot de sacré n’a pas son sens exact. *...+ Puisque, dans l’esprit de notre langue, une signification morale s’attache toujours au terme de sacré, il sera utile de trouver un nom spécial pour l’élément particulier que nous examinons. Nous nous en servirons au moins provisoirement, au cours de notre étude, pour désigner le sacré, abstraction faite de son élément moral et, ajoutons-nous, de tout élément rationnel. *…+ Il convient donc de trouver un nom pour cet élément pris isolément. Ce nom en fixera le caractère particulier, il permettra de plus d’en saisir et d’en indiquer aussi, éventuellement, les formes inférieures ou les phases de développement. Je forme pour cela le mot: le numineux. Si lumen a pu servir à former lumineux, de numen86 on peut former numineux.

Le « tout autre » : Je me heurte à quelque chose de « tout autre », à une réalité qui par sa nature et son essence, est incommensurable et devant laquelle je recule saisi de stupeur. (p.p.59-60) Le « tout autre », quelque chose qui ne rentre pas dans notre sphère de réalité mais appartient à un ordre de réalité absolument opposé qui provoque dans l’âme un intérêt qu’on ne peut maîtriser. (p.60-61)

85

Otto, Rudolf, Le sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel, trad. de l’allemand "Das Heilige" par André Jundt, Payot 1969 86 Du latin numen réf. à la divinité

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1939 L'HOMME ET LE SACRE87 ROGER CAILLOIS

(3 MARS 1913 - 21 DECEMBRE 1978)

Le sacré appartient comme une propriété stable ou éphémère à certaines choses (les instruments du culte), à certains êtres (le roi, le prêtre), à certains espaces (le temple, l’église, le haut lieu), à certains temps (le dimanche, le jour de Pâques, de Noël, etc.). Il n’est rien qui ne puisse en devenir le siège et revêtir ainsi aux yeux de l’individu ou de la collectivité un prestige sans égal. Il n’est rien non plus qui ne puisse s’en trouver dépossédé. C’est une qualité que les choses ne possèdent pas par elles-mêmes: une grâce mystérieuse vient la leur ajouter. (p. 24)

Sans doute, par rapport au sacré, le profane n’est empreint que de caractères négatifs: il semble en comparaison aussi pauvre et dépourvu d'existence que le néant en face de l’être. Mais selon l’heureuse expression de R. Hertz, c’est un néant actif qui avilit, dégrade, ruine la plénitude à l’égard de laquelle il se définit. Il convient donc que des cloisons étanches assurent un isolement parfait du sacré et du profane: tout contact est fatal à l’un comme à l’autre. « Les deux genres, écrit Durkheim, ne peuvent se rapprocher et garder en même temps leur nature propre. » D’autre part, ils sont tous les deux nécessaires au développement de la vie: l’un comme le milieu où elle se déploie, l’autre comme la source inépuisable qui la crée, qui la maintient, qui la renouvelle. (p.26)

87

Caillois, Roger, L'Homme et le sacré - éd. augmentée de trois appendices sur le sexe, le jeu, la guerre dans leurs rapports avec le sacré, [3e éd.]; 1ère édition publiée à Paris : Leroux, 1939 ; Paris : Gallimard, 1963, imp. 2008

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1965 : LE SACRE ET LE PROFANE 88 MIRCEA ELIADE

(13 MARS 1907 - 22 AVRIL 1986)

Après quarante ans, les analyses de R. Otto gardent encore leur valeur ; le lecteur trouvera profit à les lire et à les méditer. Mais *…+ nous voudrions présenter le phénomène du sacré dans toute sa complexité, et non pas seulement dans ce qu’il comporte d’irrationnel. C’est n’est pas le rapport entre les éléments non-rationnel et rationnel de la religion qui nous intéresse, mais le sacré dans la totalité. Or, la première définition que l’on puisse donner du sacré, c’est qu’il s’oppose au profane. (Introduction, p.17) Le sacré et le profane constituent deux modalités d’être dans le monde, deux situations existentielles assumées par l’homme au long de son histoire. Ces modes d’être dans le Monde n’intéressent pas uniquement l’histoire des religions ou la sociologie, ils ne constituent pas uniquement l’objet d’études historiques, sociologiques, ethnologiques. En dernière instance, les modes d’être sacré et profane dépendent des différentes positions que l’homme a conquises dans le Cosmos ; ils intéressent aussi bien le philosophe que tout chercheur désireux de connaître les dimensions possibles de l’existence humaine. (Introduction, p. 20)

Ce qui intéresse notre recherche est l’expérience de l’espace telle qu’elle est vécue par l’homme non-religieux, par un homme qui refuse la sacralité du Monde, qui assume uniquement une existence « profane », purifiée de toute présupposition religieuse. (L’espace sacré, p.27)

88

Eliade, Mircea, Le sacré et le profane, orig. Du allemand « Das Heilige und das Profane », éd. Rowohlt 1957 ; Ed. Gallimard fr. 1965, (Col. Folio), 1987, nouv. impr. 2010

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1972 : LA VIOLENCE ET LE SACRE89 RENE GIRARD

(25 DECEMBRE 1923 - )

A côté de ces lectures « personnalisées »90 du jeu violent, il y a une lecture impersonnelle. Elle correspond à tout ce que recouvre le terme de sacré ou mieux encore, en latin, sacer que nous traduisons tantôt par «sacré», tantôt par «maudit», car il inclut le maléfique aussi bien que le bénéfique. *…+ Sous un rapport, au moins, le langage du sacer est le moins trompeur, le moins mythique de tous puisqu’il ne postule aucun maître du jeu, aucune intervention privilégiée, même d’un être surhumain. *…+Si le religieux consiste à «humaniser» le non-humain ou à doter d’une «âme» ce qui n’en a pas, l'appréhension impersonnelle du sacré n’existerait pas. (p.384) Mauvais à l’intérieur de la communauté, le sacré redevient bon, quand il repasse à l’extérieur. Le langage du pur sacré préserve ce qu’il y a d’essentiel dans le mythique et le religieux ; il arrache sa violence à l’homme pour la poser en entité séparée, déshumanisée. *…+ Le jeu du sacré et celui de la violence ne font qu’un. […+ Il y a semble-t-il, dans le sacré, tant des choses hétérogènes, opposées et contradictoires que les spécialistes ont renoncé à en débrouiller la confusion ; ils ont renoncé à donner une définition relativement simple du sacré. Le repérage de la violence fondatrice débouche sur une définition extrêmement simple et cette définition n’est pas illusoire ; elle révèle l’unité sans escamoter la complexité ; elle permet d’organiser tous les éléments du sacré en une totalité intelligible. (p.p.385 - 386)

89

Girard, René, La violence et le sacré [Nouvelle éd.] (Pluriel), Fayard, 2010 Version originale éd. Grasset et Fasquelle, 1972 90 A comprendre « …des interprétations religieuses »

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U N NOUVEAU LIEU – S PECULATIONS SUR LE SACRE L’ OASIS Dans les chapitres précédents j’ai présenté l’évolution d’un bâtiment abandonné vers un « lieu », « lieu » dont le sens est multiple et, comme je l’ai présenté en « Définitions 1 »91 ne se résume pas à ses coordonnés cartésiennes, car son identité est définie par les relations sociales qui s’y produisent. Je veux faire appel maintenant à une autre notion, qui pourrait introduire une distinction qualitative aux lieux, « l’oasis ». Ce concept est décrit par Hanna Arendt comme étant partie de trois éléments constitutifs de la spatialité de sa philosophie de « la condition humaine »92: « Le Monde, le Désert et les Oasis. »93 « On peut circuler dans le désert, traverser bien des désert, mais il faut connaitre la carte des oasis, oasis de l’art, de la pensée, de l’amour. L’oasis est l’espace privé où il est possible de se réfugier lorsque l’on traverse un trop long désert. L’oasis est un espace apolitique, mais il n’est pas en soi antipolitique. *…+ Arendt les compare à des « fontaines qui dispensent la vie » et qui nous permettent de vivre dans le désert sans se réconcilier avec lui »94 Qu’est-ce qui fait qu’un « lieu » devient une « oasis » ? Est-ce que le Centre Culturel « Uzina de Apa » est devenu une telle « oasis » ? Et qu’est-ce que cela veut dire, en quoi cela est-il important cela pour interroger le « sacré contemporain » ? Déjà, vous allez dire, il y en a beaucoup d’ambiguïté dans ces comparaisons entre les « oasis réelles » de vrais lieux et les « oasis virtuelles » de la pensée, mais dans la philosophie de Hanna Arendt « la spatialité du politique n’est pas une métaphore. La politique prend naissance dans l’espace entre les hommes »95. Donc je me réserve le droit de maintenir cette dialectique des sens, je reste dans ce langage métaphorique ou allégorique. Si on le territoire culturel roumain actuel peut être considéré comme peu habité et affecté par la sècheresse des lieux de culture, de l’art, ce nouveau lieu créé, la « Uzina de Apa », se constitue comme un « oasis » sur la carte 91

Voir page 5: Augustin Berque, Nicholas J. Entrikin Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, Paris, Presses Pocket, 2002 ; traduit de l'anglais "The human condition" 93 Chris Younès et Benoît Goetz « Hannah Arendt : Monde – Déserts – Oasis » en Le territoire des philosophes, p.29 94 Ibidem. 95 Ibidem. 92

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des Centres de Culture Urbaine que l’Ordre des Architectes Roumains a initié avec son programme national. Si autrefois, cette usine d’eau offrait les prémisses d’une vie urbaine moderne à Suceava en amenant l’eau courante à ses habitants, le succès de ce projet dépend de la « propagation vers la ville d’une vraie vie culturelle à partir de ce centre », et ce sera juste à ce moment que « les architectes pourront dire qu’ils ont vraiment donné quelque chose en retour à la ville »96. Et pour continuer avec la théorie de Hannah Arendt, elle compare les oasis à des « fontaines qui dispensent la vie » et qui nous permettent de « vivre dans le désert sans se réconcilier avec lui »97. Pour marquer notre « entrée dans la spéculation » sur le « sacré », je veux étendre ce débat sur l’oasis, en employant d’autres notions, syntagmes lancées par Mircea Eliade, dont j’ai trouvé des étonnantes similitudes avec « l’oasis ». Voici donc apparaître « les points fixes », « le Centre », « la fondation du monde », « le centre du monde ». Quand Mircea Eliade parle de « l’opposition entre l’espace sacré, le seul qui soit réel, qui existe réellement, et tout le reste, l’étendue informe qui l’entoure » 98 ou de l’existence d’un espace « fort, significatif » et d’autres espaces « nonconsacrés et partant sans structure ni consistance, *…+ amorphes. » 99 on peut, je crois, faire facilement allusion à « l’oasis » et au « désert ». Ces espaces sacrés, représentent des points de repère, des « points fixes » et constituent « l’axe central de toute orientation future »100. En référence à la « consécration d’un lieu », il donne l’exemple des certains peuples nomades pour qui « le poteau sacré » représente « un axe cosmique car c’est autour de lui que le territoire devient habitable, se transforme dans un « monde » *…] ils ne peuvent pas vivre dans le « Chaos » »101. Et encore pour définir « le Monde », « Pour vivre dans le Monde, il faut le fonder, et aucun monde ne peut naître dans le « chaos » de l’homogénéité et de la relativité de l’espace profane ». Qu’est-ce que signifiait l’usine d’eau dans la vallée de la rivière de Suceava ? Avant, quand il y avait rien, l’usine d’eau était aussi une oasis, « une oasis de modernité » dans un monde prépondérant rural. Qu’est-ce que c’est maintenant la vallée de la rivière de Suceava ? Un espace amorphe, non défini, sans aucune règle d’organisation urbaine, même pas une friche, une zone inconnue, homogène dans le manque 96

Cosmina Goagea, « Huit reconversions et quelque chose en plus », publication à paraître dans la collection Zeppelin, Bucarest, septembre 2012 97 Ibidem. 98 Mircea Eliade, « Le sacré et le profane », p.25 99 Ibidem. 100 Ibidem. 101 P.35-36

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d’attribution de fonction ou signification. Le nouveau centre y crée un repère, un lieu de culture, une destination, il devient un repère sur la carte des « destinations culturelles » de la ville et de la région, des festivals de films, des rencontres artistiques, des expositions et de débats publics vont y avoir lieu. Il sera un refuge de la vie monotone et vide de sens pendant cette période de désert culturel d’un peuple ancré dans une vicieuse crise identitaire. Par cette « conversion », qui est plus que fonctionnelle, car elle est symbolique, elle a un sens pour la ville et ses habitants, on « désacralise un lieu ». Et dans ce sens le Centre Culturel devient « lieu sacré », un point central, un axe qui est censé établir autour de lui une nouvelle urbanité102. Bien sûr que Mircea Eliade aborde cette question d’espace sacré du point de vue de l’homme religieux (« homo religiosus ») et son expérience sacrée en contraste avec l’expérience « profane » de l’homme areligieux, qu’il se réfère en effet aux peuples primitifs, et toutes ces comparaisons n’ont plus de sens aujourd’hui. Comme il le reconnaît lui-même, ce problème de mesure dans laquelle « le profane peut-il devenir, en lui-même sacré » ou « une existence radicalement sécularisée, sans Dieu ni dieux, est-elle susceptible de constituer le point de départ d’un nouveau type de religion », dépasse la compétence de l’historien des religions et il y « touche que par des allusions *…+ d’autant que le processus est encore au stade initial ». Donc pour comprendre ses textes et toute cette « logique et la grandeur de la conception du Monde » de l’homme primitif, le l’ « homo religiosus » archaïque, ça ne sert à rien de démystifier certains comportements étranges ou valeurs exotiques lorsqu’on a compris leurs systèmes. « Il est futile de proclamer, à propos de de la croyance de tant de « primitifs », que leur village et leur maison ne se trouvent pas au Centre du Monde. »103 Mircea Eliade considère l’homme moderne, areligieux, en tant qu’« héritier » de l’homo religiosus, car malgré le fait que « la plupart de des situations assumées par l’homme religieux des sociétés primitives et des civilisations archaïques ont été depuis longtemps dépassées par l’Histoire », « elles n’ont pas disparu sans laisser des traces : elles ont contribué à nous faire ce que nous sommes aujourd’hui »104. En ce qui concerne l’expérience de l’espace sacré pour ce « homme moderne », Mircea Eliade lui désigne plutôt des « espaces privés » liés à un univers individualisé. « Il subsiste des endroits privilégiés, qualitativement différents des autres : le paysage natal, le site des premières amours, ou une rue ou un coin de la première ville 102

Le CACUP a commencé les démarches pour réaliser un projet de développement urbain de la vallée de Suceava, commençant par un concours international de type EUROPAN. 103 p.11 104 P.173

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étrangère visitée dans la jeunesse. Tous ces lieux gardent, même pour l'homme le plus franchement non-religieux, une qualité exceptionnelle, « unique » : ce sont les « lieux saints » de son univers privé, comme si cet être non-religieux avait eu la révélation d'une autre réalité que celle à laquelle il participe par son existence quotidienne »105. Alors moi, j’évoque un citoyen roumain, profane au monde artistique, un personnage dont les valeurs culturelles ont été brisées par un système totalitaire, un homme confus et étourdi des mensonges électoraux, qui n’a plus d’espace public pour se promener et discuter avec ses amis sans qu’il soit écrasé par une voiture qui se gare sur son trottoir. Je parle de quelqu’un qui n’habite plus en ville et qui s’isole dans des quartiers de villas dans les champs environnants et dont les seuls sorties culturels se font, avec toutes les difficultés des embouteillages, au plus grand mall commercial de la région 106 . Cet homme-ci est un profane de la « culture urbaine », du « paysage », de « l’architecture », ainsi de de la « réhabilitation urbaine ». Et quand il découvre cet endroit, quand il comprend sa signification initiale et le fait que ce qui lui permettait d’avoir un confort de vie, a été ensuite oublié, délaissé, et maintenant il renait dans un « lieu de culture », il ne peut pas ne pas être ému. Pour ce « profane », le CACUP « Uzina de Apa » est un « lieu sacré » dont il s’en souviendra sans doute, un lieu qu’il ne comprendra pas entièrement et dont il aura le choix de le fréquenter ou pas.

C’est étonnant comme à Suceava il y a cent ans, les gens étaient si civilisés. (Femme, 50)107 Il existe des éléments architecturaux qui ont marqué certains moments de l’histoire de la ville en développement. Cela reste comme un témoignage culturel, historique et si on pouvait leur donner une utilité civique et publique ça aurait été très bien. (Femme, 50ans)108

105

Op.cit., P.28 A Suceava on a le plus grand de surface commerciale per habitant de l’Est de l’Europe et le plus grand mall de la région, alors que la ville ne dépasse pas 100 000 habitants 107 Extraits de l’étude sociologique réalisé en 2011 108 Ibidem. 106

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LA

GROTTE

En dépit de ses significations en tant que lieu et des symboliques de l’usine d’eau pour la ville, j’aimerais réduire l’échelle et le champ de vue. Concentrons-nous sur ce bâtiment – le « bâtiment filtre » – quel drôle de bâtiment ! De l’extérieur c’est difficile à dire avec quoi nous avons affaire…il ressemble « à tout et à rien ». On pourrait dire de petites tourelles d’une église, un petit château en miniature pour le jeu des enfants…c’est vraiment difficile de lui attribuer une fonction si on ne la connaît pas d’avance. On ne peut même pas dire s’il a été conçu pour être habité ou pas. Pour Gaston Bachelard il en existe une « signification interne » de l’espace, une correspondance spécifique : « La maison signifie l’être intérieur, ses étages, sa cave, son grenier symbolisent divers états de l’âme. La cave correspond à l’inconscient, le grenier à l’élévation spirituelle»109 . Mais ce bâtiment, qu’est-ce qu’il signifie vraiment ? Peter Zumthor parle de ces sensations, les atmosphères que l’architecture peut laisser dans la « mémoire sensible » de quelqu’un : « Quand je pense l’architecture, des images remontent en moi. Je me rappelle le temps où je faisais l’expérience de l’architecture sans y réfléchir. Je crois sentir encore dans ma main une poignée de porte, une pièce de métal arrondie comme le dos d’une cuillère. C’est celle que ma main saisissait quand j’entrais dans le jardin de ma tante. Aujourd’hui encore, cette poignée-là m’apparaît comme un signe particulier de l’entrée dans un monde fait d’atmosphères et d’odeurs diverses. » 110 Je vais essayer de décrire les espaces de ce bâtiment d’après ma propre « découverte » lors des premières visites en imaginant leur fonction initiale111. Ce bâtiment était, en effet, une construction purement technique : un système de 8 réservoirs d’eau - d’arrivée, d’accumulation, de décantation, de chloration et évaporation du chlore - dont quatre avec des voûtes cylindriques sont situés symétriquement. Ces réservoirs, tenant de l’eau, ne communiquaient entre eux que par des tuileaux en partie basse ou supérieure (en fonction de leur destination). Ils ont été construits avec des murs évasés en partie basse, en béton non-armé, épais comme ceux d’une citadelle – jusqu’à 1,5 mètres. Ils étaient, semi-enterrés et recouverts de terre avec les talus réalisés comme une charpente. Quatre d’entre eux, les plus grands, ils étaient accessibles uniquement par le haut par des trappes. 109

Bachelard, Gaston, La poétique de l'espace, Paris, Presses universitaires de France, 1954 - 7e éd. impr. 1998 ; p. 604 110 Zumthor, Peter, Penser l'architecture, Birkhäuser, 2008, p. 7 111 Le fonctionnement complet, malgré les recherches effectuées, ne se connaît pas encore entièrement

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De cette partie « sous-sol » émergent en partie supérieure deux volumes, avec de grandes ouvertures vitrées en demi-cercle, avec chacun sa porte – identiques, construits dans un style architectural propre à l’architecture industrielle viennoise de XIXème siècle, avec une tentative plus épurée. Le plus grand, avec une double hauteur mais sans planchers, servaient à abriter les installations112 de filtrage, sur toute hauteur, l’eau étant montée afin qu’elle s’écoule à travers un système multicouche des grilles en bois et arriver dans les réservoirs d’accumulation. Le deuxième édicule, plus petit, et parfaitement symétrique contenait le local de chloration, et regroupait l’eau des deux réservoirs en faisant le passage de l’eau, après le traitement au chlore, dans deux derniers, situés un peu plus bas que les premiers. L’accès se faisait régulièrement donc par les portes - d’une taille humaine avec un hémicycle en haut - de chacun des édicules, principalement pour l’entretien des installations. Comme la plupart des bâtiments utilitaires, ils ont tous comme particularité qu’ils sont conçus pour une certaine technologie de l’époque, avec des dimensions et les utilités spécifiques, et lorsqu’il y a un développement technologique ou un besoin d’augmenter la production, il est souvent plus simple et économique de construire un autre bâtiment, nouveau, conforme aux nouvelles exigences et abandonner l’ancien, même si le bâtiment peut se trouver encore en bon état. C’était le cas de ces bâtiments, qu’on retrouve maintenant après cinquante ans de non-utilisation. On a l’impression d’entrer dans une fouille archéologique, une maison hantée des fantômes ou une grotte. Je garde ce dernier terme « grotte » car la configuration voûtée de de l’espace, le fait qu’il soit enterré, avec de petits trous de lumière me fait plus penser à cela. Ces espaces du bâtiment-filtre de l’usine d’eau sont en même temps mystérieux et impressionnants, ils effrayent et ils attirent en même temps, par la forme de leurs espaces, la pénétration de la lumière, leur ambiguïté de fonction, le noir et les incertitudes, etc. Je veux donc m’intéresser aux sentiments produits par ces espaces, en prenant en compte leur forme primaire mais aussi les significations subjacentes. A cet égard, je trouve qu’on pourrait rapprocher la définition du « sacré » Rudolf Otto. Comme j’ai présenté dans la partie « Définitions 3 » (v. p.p.33), Otto emploie le terme de « numineux » au lieu de « sacré » pour le détacher de la religion et lui enlever le caractère moralisateur.

112

Malheureusement beaucoup de ces installations ont disparues avant notre intervention

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Le « numineux »113 est ainsi un « mystère » (latin : mysterium), à la fois « terrifiant » (tremendum) et « fascinant » (fascinans). Tous les auteurs qui ont écrit ensuite sur le thème du sacré, ont pris comme référence cette définition donnée par Otto, qui est considéré comme un pionnier de ce sujet. Par exemple, Roger Caillois, dans son livre « L’homme et le sacré », qu’ se réfère à Otto « chaque fois qu’il lui paraissait nécessaire de le faire »114. Dans la perspective de R. Caillois, Otto traite la partie « subjective » du sujet, « le sentiment du sacré » : « Le sacré y est analysé au point de vue psychologique, de façon presque introspective, et quasi exclusivement sous les formes qu’il a prises dans les grandes religions universalistes ». Mircea Eliade note aussi que le succès d’Otto est dû « à la nouveauté et à l’originalité de la perspective. Au lieu d’étudier les idées de Dieu et de la religion, Rudolf Otto analysait les modalités de l’expérience religieuse. »115 Mais, en même temps, « négligeant le coté rationnel et spéculatif de la religion, il éclairait vigoureusement le coté irrationnel. *…+ Dans son livre, Rudolf Otto s’efforce à reconnaître les caractères de cette expérience terrifiante et irrationnelle. »116 En parlant d’abord du « mysterium tremendum », Otto l’explique avec difficulté et fait diverses allusions à notre mémoires et expériences vécues pour le comprendre –« par un examen minutieux, en les faisant (les sentiments) en même temps entrer en vibration ». D’un côté « Le concept de mystère désigne que ce qui est caché, c’est-à-dire ce qui qui n’est pas manifeste, ce qui n’est ni conçu ni compris, l’extraordinaire et l’étrange, sans indiquer avec précision la qualité »117 . L’élément du tremendum, « l’effroi mystique » est censé d’ajouter une qualité positive. Même si tremor se traduit simplement par le sentiment naturel, bien connu de « peur », Otto note dans ses explications que ce terme « est en réalité bien autre chose que le fait d’avoir peur ». Ce sentiment d’effroi mystique dépasse l’angoisse, la crainte, la frayeur, en intégrant le sentiment de « sinistre » et de « la chair de poule », et il pourrait « se résumer dans l’idéogramme de l’inaccessibilité

113

La même source étymologique avait été utilisée par Kant dans son concept de noumène, un terme grec signifiant la réalité inconnaissable qui sous-tend toute chose 114 « Pour le reste, j’ai suivi de fort près les travaux de l’école française de sociologie *…+ de Durkheim, de Hubert et de Hertz, comme celles que M. Mauss, Granet et Dumézil continuent à mener à bien» ; R. Caillois, op. cit. p.18 115 Mircea Eliade, op. cit. p.p.14 116 Ibidem. 117 Rudolf Otto, op. cit. P.37

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absolue » 118 . Mais encore Otto ajoutera au contenu de tremendum, à l’inaccessibilité, l’attribut de « majestas »119. Si Rudolf Otto essaie de « positiver » le sens du mot « sacré », René Girard attire l’attention sur son caractère « négatif » et ambivalent, car « il inclut le maléfique aussi bien que le bénéfique », en ajoutant que dans la plupart des langues on retrouve des termes analogues, « le fameux mana de Mélanésiens, le wakan des Sioux, l’orenda des Iroquois », des concepts explorés aussi par Mircea Eliade en tant qu’historien de religions. Mais René Girard rapproche encore un autre terme à celui du latin sacer, cette fois venant du grec ancien : le fameux pharmakon. Ce terme – « à la fois le poison et son antidote »120 - défini par Platon en « Phèdre », est également longtemps « étudié » par les philosophes, notamment par Derrida qui est surtout intéressé par cette ambiguïté du « à la fois » du terme. Girard insiste aussi sur cette importance du double sens du terme : « Derrida montre que les traductions modernes de Platon effacent toujours plus complètement les traces de l’opération fondatrice en détruisant l’unité dédoublée de pharmakon, en recourant, c’est-à-dire, à des termes différents, étrangers l’un à l’autre, pour traduire le pharmakon-remède et le pharmakonpoison.»121 Ce qui m’intéresse donc c’est de comprendre les effets émotionnels que les gens ont à la découverte de ces espaces, ce bâtiment mystérieux par sa forme, étonnant par ses atouts technologiques de l’époque avec ses installations, ses murs énormes qui tenaient des tonnes d’eau. Est-ce qu’ils arrivent à émouvoir, à nous amener au moins jusqu’à la « stupor »122 de Rudolf Otto, sinon jusqu’au « mirum »123 ? Qu’est-ce qu’on peut sentir quand on entre dans ces lieux souterrains qui ressemblent à des catacombes, des tunnels des mines ou des galeries d’une grotte ? Et puis quand on arrive dans le local où l’eau été remplie de chlore – « le pharmakon de la société moderne »… On peut avoir au moins un sentiment d’angoisse qu’on a franchi, on pénètre un lieu interdit à l’homme, un lieu destiné à purifier l’eau, la source de la vie. Voici comment Roger Caillois définirait un objet consacré : « il n’en est pas moins transformé du tout au tout. *…+ Il n’est plus possible d’en user librement avec lui. Il suscite des sentiments d’effroi et de vénération, il se présente comme « interdit ». Son contact est devenu périlleux. Un 118

Ibid., p.46 P.44 « l’élément de majestas peut rester vivant quand le premier, celui de l’inaccessibilité, s’efface et s’éteint, comme cela peut arriver, par exemple, dans le mysticisme. » 120 René Girard, op.cit., P.144 121 Ibid., P.444 122 Rudolf Otto, P. 56-57, (latin) stupeur 123 Ibid., P.58, (latin) étonnement 119

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châtiment automatique et immédiat frapperait l’imprudent aussi sûrement que la flamme brûle la main qui la touche: le sacré est toujours plus ou moins « ce dont on n’approche pas sans mourir »124. Evidement qu’on découvre tous ces espaces par l’intermède de nouvelles interventions125 qui permettent l’accès, par des trous dans les murs. Il s’agit d’opérations violentes mais sans lesquelles on n’aurait jamais faite cette « initiation » de l’espace. En quelque sorte, si on accepte que c’est une « grotte », cela signifie que de la même manière que l’homme préhistorique de Lascaux peint et « humanise » ses grottes avec ses peintures - des révélations de son inconscient, on y entre et on y laisse nos empreintes, et finalement, on « habille » et on « habite » ce bâtiment, ce « lieu », qu’autrefois était utilitaire et pas conçu pour les hommes. Autrefois « sacré », c’est-à-dire « interdit » aux habitants de la ville », il devient maintenant un « abri », avec un nouvel objectif – culturel, éducationnel, artistique. Revenons maintenant sur l’attribut de « fascinans » que Rudolf Otto assimile au sacré (numineux) de la même façon que le tremendum – « mysterium fascinans ». Encore une fois, les difficultés de description reviennent car « cette harmonie de contrastes dans le contenu et la qualité du mystère, nous cherchons en vain à la décrire » 126 . Il emploie cette fois, par « analogie », celui de « sublime », un terme « qui n’appartient pas au domaine de la religion mais à celui de l’esthétique »127. Mais bien sûr que le sublime est d’autant plus complexe que le sacré lui-même, selon Kant étant une notion non analysable128, et donc on va se limiter à quelques exemples sur l’ « expérimentation » du sublime et non pas à sa définition. Par exemple, Octave Mirbeau l’aurait confirmé en 1889 : le visiteur ne peut nier physiquement sinon mentalement qu’il se soumet à une puissance supérieure, face aux peintures de Monet et aux sculptures de Rodin : « Lorsqu’il entre dans cette galerie, le visiteur, même le plus réfractaire aux joies de l’esprit, le plus fermé aux supérieures compréhensions de l’art, éprouve comme une puissance sensuelle, comme un trouble physique,

124

R. Caillois, p.25 Sans commenter les moyens d’intervention architecturale – le but du prochain chapitre – je peux dire que l’intervention a essayé de garder les caractéristiques initiales de l’espace. 126 R. Otto, p.87 127 Ibidem. 128 R. Otto, p.88 125

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devant l’éblouissement de cette lumière, et la sublime beauté de ces formes. *…+ Il ne rit plus. »129 Peut-on dire que les espaces de l’usine d’eau peuvent impressionner autant pour donner cette impression de l’ « au-delà », du « sublime », ces sentiments décrits par d’autant des gens par rapport aux bâtiments considérés sacrés ? « Quand je vis l’Acropole, j’eus la révélation du divin. »130 Peut-être pas… Peut-être qu’on ne puisse pas avoir cette « révélation du divin » face à ce bâtiment industriel et qui n’a pas été conçu pour impressionner, être une œuvre d’art. « Voici la machine à émouvoir. Nous entrons dans l’implacable de la mécanique *…+ ces formes provoquent des sensations catégoriques. » (Le Corbusier131, à propos du Parthénon) « Lorsque j'ai eu quatorze ans, c'est devant l'abbatiale de Conques que j'ai décidé que, seul l'art m'intéressait dans la vie [...]. Conques est le lieu de mes premières émotions artistiques » (la découverte de l'église Sainte-Foy de Conques132 - Pierre Soulage) Mais qu’est-ce qu’un bâtiment ou un espace sacré aujourd’hui ? Est-ce qu’il suffit, dans cette ère technologique, que la lumière pénètre par les vitraux d’une cathédrale, pour nous faire encore sentir le « tout autre » ? C’est sur ces questions que je vais continuer à argumenter et spéculer dans les chapitres suivants, par rapport à ce nouveau centre culturel ouvert dans une ancienne usine et par rapport d’eau aux événements qui s’y sont passés.

129

Octave Mirabeau « Auguste Rodin », 1889; citation reprise de Arambasin, Nella, La conception du sacré dans la critique d'art en Europe entre 1880 et 1914, Genève, éd. Droz, 1996 130 Renan, Ernest, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Calmann-Lévy, 1883, p. 60 131

Le Corbusier, Vers une architecture, chapitre « Architecture, pure création de l’esprit », Paris, Ed. Crès et Cie, 1923, p. 173. 132 Chef-d’œuvre de l'art roman occidental sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, située près de Rodez, la ville natale de Pierre Soulages.

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LE

COUVENT

Si on vient d’analyser les qualités « intrinsèques » du bâtiment, c’est-à-dire les formes spatiales initiales, maintenant je m’arrêterais sur la nouvelle intervention architecturale et ses implications. D’abord, il faut noter que parmi toute la diversité des interventions « modernes » dans un bâtiment, généralement des monuments historiques, il y a un architecte – Carlo Scarpa – qui a « fait école » en ce qui concerne « le geste » d’intervenir dans l’existant avec son projet à Castelvecchio à Vérone : « La réhabilitation du Castelvecchio médiéval de Vérone par Carlo Scarpa (1956-64) a longtemps été considérée comme La référence en matière d’intervention créatrice dans une substance historique d’importance. Les principes mis au pour ce projet – la dissociation franche entre l’intervention volontaire et l’existant, par l’utilisation de matériaux contrastants – n’ont rien perdu de leur pertinence jusqu’à aujourd’hui et continuent toujours d’inspirer par-ci, par-là des interventions sur des monuments historiques. La rénovation urbaine d’Alvaro Siza à Salemi en Sicile ou la reconversion d’une église en centre culturel à Tolède par Ignacio Mendaro Corsini s’inscrivent parfaitement dans la tradition de Scarpa, sans le maniérisme des détails. »133 On parle donc d’un type d’intervention plutôt « à la Viollet-le-Duc » théorie conçue déjà à la deuxième moitié du XIXe siècle selon laquelle toutes les étapes, les interventions dans une construction sont perceptibles par rapport à leur époque, avec les matériaux de l’époque respective, etc. Mais évidemment que souvent il ne s’agit pas d’une approche cent pourcent pure et, comme le remarque le même livre de « DETAIL », « il est plus souvent question des projets dans lesquels la limite entre l’existant et la nouvelle intervention a tendance à s’effacer, quand les architectes réinterprètent et complètent le bâti ancien. C’est le cas de deux reconversions grandioses d’architectures industrielles monumentales – celle de l’ancienne Bankside Power Station de Londres pour la Tate Modern et celle des anciennes usines Fiat à Turin »134 Pour l’usine d’eau les approches peuvent aussi être considérées multiples, mais elles en gardent une unité. Commençons par le haut, la partie supérieure, des deux édicules, qui a été traité comme une réhabilitation « à l’identique » d’un bâtiment historique protégé. On a refait les toits, la couverture et les fermes métalliques ont été reconditionnés avec l’attention 133

Schittich, Christian, chapitre « Reconversion créative » dans Construire dans l'existant : reconversion, addition, création, col. « DETAIL », Bâle : Birkhäuser, 2006 134 Ibid. P.9

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attribuée à une pièce de musées. La structure en brique, qui était très affectée par les tremblements de terre a été renforcée soit avec une technique en fibres de carbone soit avec des ceintures en béton, cachées. Les menuiseries anciennes, ainsi que les portes ont été reconditionnées et doublées par de nouvelles fermetures vitrées, avec les menuiseries complètement cachées dans l’enduit. Les nouvelles cloisons sont aussi complètement vitrées avec des joints réduits au minimum. L’intention donc a été clairement de garder les formes initiales de cet espace, très lumineux, et ouvert sur une triple hauteur. Si les escaliers et les paliers intermédiaires sont en caillebottis, il en existe aussi une partie des planchers pleins, en béton au milieu de l’espace. Ceci est certes une faiblesse du projet, car elle annule un peu la conception générale135. De plus, une autre critique que je pourrais faire est celle de la couleur du sol : le tapis PVC qui couvre les planchers d’étages est noir avec des éclats métalliques. Pour souligner cet effet de lumière qui envahie tout l’espace, il devrait être aussi blanc. On peut ainsi saisir, par rapport à l’obscurité des réservoirs enterrés, comment ces parties extérieures surgissent de la terre comme deux tournettes d’une église. Revenons à la hiérarchisation allégorique de l’espace chez Bachelard, on sent – physiquement, en visitant le bâtiment – comment, en montant l’escalier l’espace devient plus éclairé et plus dégagé. Le dernier niveau, couronnant l’ensemble, sans cloisons, complètement ouvert, sans faux-plafond, aura comme fonction d’être un espace de documentation et formation des architectes, ainsi que du public. Et pour reprendre cette idée de réhabilitation d’une église, en regardant plus attentivement les détails, on remarque des parties de parois originales – taillées en rectangles de différentes dimensions - avec des sédiments de fer de l’ancienne fonction du filtre, « conservés avec une attention digne à des fresques technologiques »136. Cette idée de garder les traces et les symboles de l’ancienne fonction de l’usine d’eau a été continuée aussi dans la partie souterraine. Les réservoirs deviennent une sorte de « crypte de l’église ». Ainsi, dans cette allégorie, on crée une entrée séparée, directe depuis l’extérieur, dans la partie enterrée du bâtiment137. Ensuite, à l’intérieur, le parcours est réalisé partialement avec des ponts en caillebotis pour avoir le même niveau de passage et pour garder visibles tous les canaux et les tuileaux de l’ancien filtre. Toutes les 135

Les ingénieurs du projet ont considéré nécessaire l’existence des planchers et des poutres en béton pour la consolidation du bâtiment. Ils ont refusé le projet d’une structure métallique, jugé trop compliqué. Par souci d’argent et de temps, on n’a pas pu revenir en arrière. 136 Goagea Cosmina, op. cit. 137 Certains détails, comme la tranche ferme de deux murs en béton apparent, ainsi que la de terre au-dessus de l’entrée, amplifient cette intention de « couper »le talus et pénétrer par dessous du bâtiment. –fig…

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nouvelles interventions ont un « caractère industriel, technologique », le nouveau réseau d’électricité est laissé apparent, mais concentré dans un « couloir technologique », etc. On y retrouve dans chaque espace les traces de la fonction initiale par des bouts de tuileaux qui permettaient le passage de l’eau, etc. Mais peut être le contraste avec la nouvelle intervention s’affirme par les cadres en panneaux d’OSB, qui marquent les entrées transversales qu’on a créées dans les réservoirs. Ils sont, on pourrait dire, des « patches » pour « cicatriser » ces trous qu’on a creusé dans les murs d’une épaisseur d’un mètre. L’usage de ce matériau a, plus qu’une valeur de contraste visuel, une symbolique plus profonde liée aux caractéristiques du matériau. En premier, c’est du bois, et comme je l’ai présenté dans une de mes recherches précédentes138, le bois est un matériau « qui a créé un lien très intime avec l’humain ». Ce caractère « humain » du bois aide à compenser la froideur des réservoirs en béton. Mais l’usage du bois n’est plus le même aujourd’hui qu’il y a quelques années. Aujourd’hui il est apprécié pour ses qualités renouvelables, sa valeur recyclable, dans le contexte du développement durable. C’est n’est pas par hasard non plus qu’on a choisi ces panneaux d’OSB139 parce qu’il est un matériau industriel, produit localement140 qui est assez banalisé dans l’usage contemporain. Mais pour nous, il représente les principales qualités du bois, ses caractéristiques de réversibilité, de recyclage et donc ainsi, à travers le caractère « éphémère » du bois, nos interventions prennent un caractère « provisoire », temporaire par rapport à l’ancienneté du bâtiment et la durabilité « éternelle » de ses murs en béton141. En plus, ce matériau dans sa forme brute ne résisterait pas (à cause de sa recomposition avec de la colle) sous l’action de l’eau – que les réservoirs étaient censés de contenir avant. On a voulu donc souligner encore une fois, par l’usage même des matériaux, cette distinction entre ce qui était et ce qu’on a fait. Revenons à la problématique de la « trace », du témoin de la mémoire, plus généralement de la protection ou la conservation des monuments historiques. Sans entrer dans les débats concernant cet énorme sujet, je me limiterai à quelques propos, faits par Aloïs Riegl - auteur de la loi des monuments historiques d’Autriche en 1903 – dont les réflexions ont été 138

Le retour du bois dans l’architecture contemporaine. Questionnement critique sur sa signification, mémoire recherche, sous la coordination de Chris Younès, ENSAPLV, Paris, 2011 139 OSB ou Oriented Strand Board (Panneau de lamelles minces, longues et orientées) est un panneau à base de bois composé de lamelles collées ensembles par une résine synthétique ; les lamelles sont pressées en couches 140 A 40km de Suceava, par une grande compagnie allemande, EGGER 141 On a remarqué que le béton simple, non armé, après cent a de sa mise en œuvre, devient si homogène et compact qu’on puisse l’assimiler à une roche naturelle.

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remontées en attention par Jacques Boulet en 2003142. Même si dans notre cas – l’usine d’eau – nous sommes « sauvés » par la disparition, l’absence de sa fonction, selon Riegl on ne pourrait jamais rénover un monument historique car n’importe quelle attitude on adoptera on va entrer en conflit entre deux de ses trois valeurs de culte qui l’ont désigné « monument » : commémorative, historique et d’ancienneté. L’explication est simple, ces valeurs sont entre-incluses, et en conservant une on entre en conflit avec une autre. Donc cela montre qu’une fois encore, on ne peut pas avoir une approche absolue de conservation. De même, ni l’approche « par contraste » expliquée avant avec l’exemple de Viollet-le-Duc ou Scarpa – n’est pas sans faute. Pour vous donner un exemple, j’ai invité un ami, photographe, qui désirait faire dans les réservoirs de l’usine une séance photo un peu spéciale, dans le genre de films d’horreur. Il a essayé d’y entrer plusieurs années avant, mais les conditions étaient trop dangereuses. Donc, quand il a entendu qu’on a rénové le bâtiment il s’est montré très impatient d’y retourner. Mais cela a été une déception pour lui, car il ne trouvait plus l’ambiance qu’il avait connu avant, cette ambiance de ruines, d’hostilité, de peur… Donc pour lui on a tué le mysterium tremendum de la « grotte ». Pour lui, l’espace avait perdu sa valeur, malgré tous nos efforts de garder les traces, les murs à l’identique, de faire des ponts surélevés en caillebotis, etc. Comme on a « enlevé la poussière » on a aussi enlevé une partie du temps, de l’authenticité. Voilà donc un exemple de conflit de valeur de la mémoire auquel moi, je ne m’y attendais pas. C’aurait été l’attitude « scatologique », de « laisser en péril » de Ruskin, l’opposé de celle de Viollet-le-Duc, qui aurait satisfait le système de valeurs de mon ami photographe. Par ce genre de conflit de valeur, impossible à éviter par la constitution même de ces valeurs, que Jacques Boulet, à travers l’œuvre de Riegl, explique que finalement « tout monument a une valeur 143 d’actualité » .

Je retournerais maintenant à la notion du sacré. Pour Roger Caillois le sacré représente avant tout « une énergie éminemment efficace », qui « ne se dilue pas, ne se fractionne pas. Elle est indivisible et toujours tout entière partout où elle se trouve ». Et il explique encore que « le plus petit fragment de relique ne possède pas moins de pouvoir qu’en avait la relique intacte »144. Donc si on croit en quelque chose qui nous est extérieure, en devenant sacré pour nous, elle pourra se garder sous différentes formes 142

Riegl, Aloïs, Le culte moderne des monuments, traduit et présenté en français par Jacques Boulet, Ed. L’Harmattan, 2003 143 Notes de cours Jacques Boulet, 2011/2012 144 Roger Caillois, op.cit. P.27-28

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symboliques. Mircea Eliade peut nous donner des milliers d’exemples dans le monde archaïque et de leur importance pour l’homme croyant145 « Devant un arbre quelconque, symbole de l’Arbre du Monde été image de la Vie cosmique, un homme des sociétés prémodernes est capable d’accéder à la plus haute spiritualité : en comprenant le symbole, il réussit à vivre l’universel »146 Mais en même temps, Eliade constate que des « traces » de cet homme religieux sont héritées par l’homme areligieux des sociétés modernes, pour lequel « l’image de l’Arbre est encore assez fréquente dans son univers *…+ : elle constitue un chiffre de sa vie profonde, du drame qui se joue dans son inconscient et qui intéresse l’intégralité de sa vie psycho mentale et, partant, sa propre existence. »147 Si on reprend l’entrée et le parcours que les architectes ont imaginé, ce choix de réaliser l’entrée latéralement, à part ces avantages fonctionnels présentés dans la première partie, met aussi en valeur les aspects archétypaux de la construction, de son environnement et des bâtiments qui l’entourent. Prenons les talus dont on a essayé de recréer les pentes et la forme initiale - perdue au fil du temps. On pouvait par exemple, après les opérations de réparation de l’isolation (pendant lesquelles la terre a été partiellement enlevée) garder l’enveloppe cylindrique des réservoirs visible à l’extérieur – et cela de point de vue conceptuel pourrait être plus « juste ». Mais on peut apprécier que, d’autre part, cette forme des talus pourrait être utilisée comme amphithéâtre extérieur en créant un usage plus efficace de la cour, devenue une place, devant la nouvelle entrée. Encore une fois, l’archétype de théâtre grec - situé sur une pente naturelle du terrain – nous a aidé de concevoir l’espace d’une manière « naturelle ». Ainsi, en créant de multiple possibilités de parcours, on peut monter sur le talus, pars les escaliers ou pas, l’espace extérieur – cette toiture verte - devient terrasse, peut avoir des interprétations ludiques. En plus, on a aussi envisagé d’intégrer le bâtiment voisin – en face de l’ « amphithéâtre » - qui était une station de pompage, dans ce complexe culturel. Selon un acteur et directeur148 de théâtre, les particularités de ce bâtiment, avec les cadres et les poutres de suspension, sont propres aux installations d’une scène de théâtre. Et tout cet ensemble pourrait finalement « s’achever » avec un troisième bâtiment de l’ancien puits collecteur - une fontaine d’une

145

Eliade, Mircea, Images et symboles. Essais sur le symbolisme magico-religieux, Ed. Gallimard, 1979 146 Eliade, Mircea, Le sacré et le profane, Ed. Gallimard (Col. Folio), 1987P.179-180 147 Ibid., p.180 148 Il s’agit de Ion Caramitru, considéré un de plus grands acteurs roumains, président depuis 1990 de Union Théâtrale de Roumanie

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profondeur de 15m et un diamètre de 3m, avec des escaliers et installations – qui est toujours en attente d’une « spéculation symbolique ». On voit donc, comment l’homme contemporain, en se référant à des archétypes – de la grotte à l’église, au couvent et l’amphithéâtre – transforme l’espace et l’habite, avec des gestes simples, primaires mais qui pour lui portent une signification qui dépasse un simple usage fonctionnel d’un lieu abandonné et jamais habité. C’est un « jeu savant » d’un enfant qui donne du sens et de l'importance aux objets, une mise en scène similaire à celle que les enfants font avec des objets trouvés auxquels ils donnent des significations. Ce « jeu » peut être considéré par un « primitif » ou un artiste, comme une création, une « fondation d’un monde » dans d’un Chaos, une sacralisation d’un lieu profane ? Certainement ce regard aux archétypes, que Mircea Eliade essaie de retrouver dans les « mythologies privées » de cet homme contemporain et « le plus franchement areligieux » mérite une attention beaucoup plus importante que celle que moi, j’ai juste apportée dans ces pages. Et pour finir avec cette idée de retour à la typologie que l’homme a développé pendant des siècles et dont souvent les architectes oublient l’importance en étant aveuglés par le caractère symbolique - religieux, j’aimerais raconter une anecdote concernant l’architecte portugais Alvaro Siza, qui étant interrogé149 sur sa typologie de bâtiment préférée, celui-ci avait répondu qu’il s’agissait du couvent. Pour lui, « le couvent était l’objet qui avait le mieux su s’adapter au cours des siècles aux fonctions les plus différentes ». On devrait se demander comment « la forme la plus stricte, la plus codifiée et en apparence la plus rigide serait-elle la plus adaptable?»150

149

Lors des Entretiens du patrimoine de Marseille en novembre 2003 par Stan Neumann, cinéaste et directeur de la collection Architecture diffusée sur ARTE. 150 François GOVEN – inspecteur général des Monuments historiques dans : Reconvertir le patrimoine : [actes des 4e] Rencontres départementales du patrimoine de Seine-et-Marne ; P;204

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L ES

RITES

L’inauguration151 a été un premier grand événement152. L’usine d’eau renaît dans un « Centre d’Architecture, de Culture Urbaine et de Paysage » en devenant cette fois quelque chose jamais pensée auparavant dans une forme concrète. La plupart des gens, autorités locales, simples visiteurs, de même que les architectes invités, ne savaient pas à quoi s’attendre et ont manifesté un étonnamment généralisé, mais en même temps cet « acte » a toujours été attendu, désiré, ou rêvé par les gens153. Si l’on se souvient, au milieu du XIXe siècle, l’hygiénisme fut une grande révolution de l’homme moderne, et à cette époque, l’usine d’eau représentait encore un lieu mystique, un lieu-saint pour cette société. Comme cet homme de 102 ans – ancien travailleur à l’usine d’eau – qu’on a pu rencontrer, a insisté de nous expliquer « il y avait une extrême propreté et attention donnée à l’accès au bâtiment, au nettoyage des barres du filtre », quelque chose « du jamais vu ». Alors, si on a parlé de « reliques » et de « symbole », il faut aussi explorer les « rites », les actions avec lesquelles la croyance et le sacré sont maintenus. Comment maintenant ce nouveau lieu symbolique va « exister » dans le monde contemporain ? Ainsi on a aussi nos propres symboles : le logo qui rappelle la nouvelle intervention en rouge ou la « mascotte » en forme de brique-éponge154. On retrouve ces symboles partout, sur les T-shirts, les sacs, étiquettes, etc. De même qu’un chevalier était prêt à mourir dans la guerre au nom du blason qu’il portait sur son armure, de même que la croix signifie pour un chrétien toute sa croyance en Jésus, sa mort et renaissance, de même ces objets, qu’on a créés avec l’ensemble de l’équipe des étudiants et collaborateurs, sont plus que des objets de design, il ont aussi une symbolique … pour « ceux qu’y croient ». Bien sûr que ceux-ci peuvent être assimilés à des produits de marketing, de « branding » qui est répandu partout dans la société contemporaine155. Oui, mais peut-être l’une des différences de notre « marketing culturel » est que l’objet qui est promu n’est pas matériel, à la différence d’une paire de 151

La réception de la première étape du chantier Les des « Journées de la culture urbaine à l’usine d’eau », entre le 10 et le 17 août 2012 153 Cela est perceptible de l’étude sociologique réalisé en 2011/2012 154 Qui transforme un élément céramique caractéristique pour la décantation de l’eau en éponge de bain lui donnant une autre fonction de « nettoyage/filtrage de l’inculture » 155 L’étude de la psychologie humaine fait partie du marketing contemporain, des médias 152

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chaussures, par exemple. On ne « vend » rien finalement. Tous ces objets, cet « habillage »156 d’appartenance, parlent d’une « valeur », qu’on partage et qu’on respecte. Il s’agit d’une valeur culturelle, immatérielle, qu’on ne peut peut-être pas bien définir, mais à laquelle on croit et qu’on veut considérer intouchable, protégée,… sacrée. Un dispositif culturel 157 ne peut pas exister de nos jours sans cet« habillage », sans tout cet arsenal de rituels contemporains, qui le fait vivre et qui confirme d’une part, sa qualité de « lieu » au milieu d’une zone urbaine dégradée et d’autre part, sa symbolique, sa valeur culturelle et artistique. Quelques jours après l’inauguration, un couple de jeunes mariés décide déjà de se photographier à l’usine d’eau. Leur geste, le choix de ce site pour immortaliser un tel évènement important de leur vie – un moment sacré parle par lui-même. D’autant plus que le monde contemporain a des nouvelles valeurs, dans les formes les plus inattendues, qui se manifestent dans les endroits considérés les plus profanes. Le dernier fastfood, le plus banal surburb, la plus fade des immenses bagnoles américaines ou la plus insignifiante des majorettes de bande dessinée est plus au centre du monde que n’importe quelle manifestation culturelle de la vielle Europe158 Plusieurs ouvrages récents remarquent les effets radicaux qu’ont les « renaissances mythologiques », sous la forme de l’internet, du téléphone mobile, des jeux vidéo, des réseaux sociaux, sur notre quotidien. Ainsi, selon certains auteurs « les nouvelles technologies nous incitent à retrouver instinctivement des réflexes archaïques qui ne nous ont jamais quittés » et « nous vivons les prémices d’une réinvention du monde qui prend sa source dans l’imaginaire collectif »159. On pourrait croire à la mort du mythe comme à la mort de Dieu. Pourtant il suffit d’assister à un concert de rock pour constater des comportements de

156

Nomination donné par un connu architecte roumain, Florian Stanciu. De l’anglais « device » : le dispositif culturel est une forme architecturale qui n’est pas requis par leur présence physique, mais par les activités qu'il distribue, et ce qui donne naissance à l'extérieur / en dehors de lui-même. L'essence du projet n'est pas son existence, mais de chercher à produire / déclencher des effets / conséquences en dehors de soi ; Gausa, Manuel, The metapolis dictionary of advanced architecture, Actar, Barcelona, 2003, p.533. 158 Baudrillard, Jean, Amérique, Ed. Descartes & Cie, 2000, p. 31 159 Jamet, Thomas, Ren@issance mythologique : L'imaginaire et les mythes à l'ère digitale, Paris, Bourin éditeur, 2011 157

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communication spontanée, de voir les visages déformés par l’excitation des fans dévots de Lady Gaga à chacune de ses apparitions *…+160 Mais de quoi parle-t-on quand on dit des « rituels contemporains » ? Mircea Eliade parle d’une « mythologie camouflée et de nombreux ritualismes dégradés ». Il en donne beaucoup d’exemples : « les réjouissances qui accompagnent la Nouvelle Année où l’installation dans une maison neuve présentent, laïcisée, la structure d’un rituel de renouvèlement. On constate le même phénomène à l’occasion des fêtes et des réjouissances accompagnant le mariage ou la naissance d’un enfant, l’obtention d’un nouvel emploi, une promotion sociale, etc. »161 Une grande partie de mes considérations sur le « comportement » de l’homme contemporain s’est basée sur l’œuvre de Mircea Eliade et sur sa perception de l’« homme moderne » en tant qu’héritier de l’homme religieux. « La majorité des hommes « sans-religion » partagent encore des pseudoreligions et des mythologies dégradées. Ce qui n’a rien pour nous étonner, du moment que l’homme profane est descendant de l’homo religiosus et ne peut pas annuler sa propre histoire, c’est-à-dire les comportements de ses ancêtres religieux, qui l’ont constitué tel qu’il est aujourd’hui »162 Je garde mes doutes sur les rapports de causalité décrits par Mircea Eliade, notamment en ce qui concerne la question de l’inconscient. Selon Mircea Eliade « les contenus et les structures de l’inconscient présentent des similitudes étonnantes avec les images et les figures mythologiques, *…+ sont le résultat des situations existentielles immémoriales, surtout des situations critiques, et c’est la raison pour laquelle l’inconscient présente une aura religieuse »163. Il y a des études récentes, notamment dans le domaine de la neuroscience, qui ont détruit certains « mythes psychanalystes » freudiens, comme par exemple la découverte de neurones-miroir164 et leur impact dans le développement de la civilisation humaine. Cet exemple ajoute aussi plus

160

Jamet, Thomas, op.cit., p.25 Mircea Eliade, op. cit., p.174 162 ibid., p.177 163 Ibid. 164 En neurosciences cognitives, les neurones miroirs joueraient un rôle dans la cognition sociale, notamment dans l'apprentissage par imitation, mais aussi dans les processus affectifs, tels que l'empathie. Le professeur Ramachandran, une autorité dans le domaine, les appelle neurones empathiques. (Conférence TED et wikipedia.fr) 161

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de valeur scientifique sur le concept du « désir mimétique »165 développé par René Girard bien avant leur découverte en neuroscience. En tout cas, comme Mircea Eliade le dit lui-même, ses considérations sur l’inconscient s’arrêtent à ses compétences « d’historien des religion ». Donc, tant qu’Eliade continue à faire son observation, ses « allusions » basées sur « le principe d’héritage » de l’homme moderne de son ancêtre religieux, moi aussi je vais suivre mes intuitions spéculatives, sans entrer dans la causalité des choses. D’une autre façon, notre chère usine d’eau existe sur Facebook, sur internet, elle fait des liens et elle y est référencée. Les gens y croient, y adhèrent. Tous ces éléments sont des rituels contemporains. Mais ce centre qui a une existence sans limites dans le monde du Facebook, où des « amis » l’ont « aimé »166 et y ont « souscrit », il a aussi besoin d’une réalité physique. Dans cette réalité, définie par une architecture particulière et pleine de symboliques, qu’on vient d’explorer dans les chapitres précédents, des événements doivent avoir lieu, pour que des énergies s’en dégagent régulièrement. Alors, parallèlement avec les expositions, le concert de musique classique, les conférences, les discours des autorités, des architectes, des ingénieurs et des invités ainsi que les journées de portes ouvertes, se sont déroulés toute sorte d’événements considérés en apparence « profanes ». Il y avait des concerts live jazz et rock, un party électro, l’anniversaire de 100 ans de l’usine arrosée de champagne, etc. Ce centre devient ainsi un lieu reconnu pour son existence mais aussi pour les événements qui s’y passent. En même temps, ce lieu, n’étant plus interdit, avec une accessibilité pour tous les gens ne pourrait pas être considéré, dans ce sens, sacré, mais plutôt profane. Mais sa symbolique reste sacrée et cet acte de reconversion, peut faire preuve d’un processus de (re)sacralisation d’un lieu.

165

René Girard estime que son concept de désir mimétique, permet de mieux expliquer et de rendre bien plus cohérentes les observations de la psychanalyse (wikipedia.fr) 166 Allusion de « like » sur Facebook

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D EFINITIONS 4 – « SPECULATION » Spéculation Nom Fem. - XIIe; bas latin speculatio « espionnage ; contemplation » 1. DIDACT . Etude, recherche abstraite. Théorie. « Dans les profondeurs inouïes de l’abstraction et de la spéculation pure » HUGO - Considération théorique. Spéculation mathématique « Les spéculations de *…+ des philosophes sur les qualités abstraite de la matière » RENAN 3. FIG. Action de miser sur qqch.

Spéculer v. intr. – 1370 ; trans. « observer » 1345. Latin speculari « observer » 1. PHILOS. Méditer, se livrer à la spéculation. « Un philosophe qui spécule sur le monde, sur la connaissance » VALERY . 3. FIG . SPECULER SUR (qqch.), compter dessus pour réussir, obtenir qqch. Elle comptait « spéculer sur la tendresse de son premier mari pour gagner son procès » BALZAC

Spéculatif, ive Adj. – 1265 . bas latin speculativus 1. PHILOS. Qui pratique la spéculation (1°), s’occupe de théorie (sans considérer la pratique) Esprit spéculatif.

« Toute recherche de science pure commence en général par avoir un caractère purement spéculatif » BROGLIE

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P OUR CONCLURE , UN SOUHAIT J’ai essayé de montrer que la conversion d’un lieu « en (véritable) lieu » ne se fait pas juste par la construction d’un bâtiment, qu’il soit nouveau ou pas. Que cette « création » implique tout un tas de relations, et on peut faire référence à l’anthropologie et à la « radiographie » sociologique de la communauté. Pour cela j’ai osé « explorer » cette notion du sacré, qui se définit tout simplement par son « opposition au profane »167. Et finalement, j’ai présenté les jeux de mutation qui existent, car ce qui est considéré sacré dans un certain contexte peut basculer au domaine du profane et viceversa. Je ne sais pas si toutes ces « spéculations » sont vraiment applicables, si ces connexions que j’ai faites avec le sacré sont qualifiables, ou si c’était juste un « délire » de mon imagination, de mon « voyage » dans la pensée de Mircea Eliade. Je ne sais pas si j’ai réussi à « toucher » assez au « sacré contemporain », il faut peut-être plus de courage, le courage d’une recherche doctorale. Mais je crois que certains aspects du sacré, de ses manifestations et mécanismes, de ses transformations « cachées » dans le monde contemporain, ont pu être révélés par cette « étrange » mise en relation avec le projet choisi et en se basant parallèlement sur les quatre textes de Rudolf Otto, Roger Caillois, Mircea Eliade et René Girard. Enfin, pour conclure, j’aimerais exprimer un « souhait ». Pour (me) montrer à la fois mon attachement à ce nouveau lieu et aussi mon détachement quant à son avenir : Je souhaite que le Centre Culturel « Uzina de Apa » soit profané. Par cela je sous-entends que je souhaite que ses talus deviennent les aires des jeux des enfants ; que ses pentes enneigées se transforment l’hiver en pistes des traîneaux pour les gosses du quartier et que pendant les soirées chaudes d’été on s’assoie librement sur l’herbe pour voir une pièce de théâtre ou un concert des habitants. Je crois donc, que le but final de ce projet est d’aider à l’« accouchement » d’un « lieu habité » dans la ville, situé à la proximité du centre, dans la vallée de la rivière - un nouveau quartier. Pourquoi profane? Parce que, l’idée, le but des architectes n’est pas de créer un « lieu sacré », inaccessible, privé, mais au contraire de le rendre publique, et comme Giorgio Agamben l’explique : « Profaner c’est restituer à l’usage commun ce qui a été séparé dans la sphère du sacré »168 167 168

R. Caillois, Mircea Eliade, op. cit. Giorgio Agamben, « Profanations », Ed. Bibliothèque Rivages, 2005

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A NNEXES ILLUSTRATIONS

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REPERES INTERNATIONAUX

- la reconversion a toujours existé

01A, 01B. L’Acropole (reconstitution 3D) - du temple classique grec au château fort ottoman

02A, 02B. Les Arènes romaines d’Arles devenues bourg médiéval

03A, 03B. Hagia Sophia, Istanbul/Constantinople. De l’église à la mosquée.

04A, 04B. Cordoue, Andalusia, Espagne. De la mosquée à l’église.


REPERES INTERNATIONAUX

- les philosophies et les politiques du patrimoine

05A,05B. Le modèle européen : Des ruines ou des reconstructions «respectant le passé» - temples grecs Athènes

06A, 06B. Le modèle japonais: Reconstruction complète. Sanctuaire reconstruit chaque 20ans, pendant 1300ans

07. Rem Koolhaas, Cronocaos.Biennale de Venise 2010

08. Jon Ruskin vs. Viollet-le-Duc

09. Ancienneté : un bâtiment devient monument à...

10. UNESCO et la « patrimonialisation du monde »


REPERES INTERNATIONAUX

- les grandes reconversions industrielles

11. Les grandes opérations de reconversion des bâtiments industriels et silos, Copenhague, 2000 -

12A, 12B. La rénovation urbaine du quartier de la gare / Technoparc à Zurich, Suisse, 2001

13. Hanfen City Master Plan à Hambourg, Allemagne, commencé en 2000


REPERES INTERNATIONAUX

- bâtiments industriels transformés en centres culturels

14A, 14B. Dépôt de locomotives 1911 – « LOKremise », centre multifonctionnel, St-Galen, Suisse 2000

15A, 15B. Brasserie1927 – « AUT », Centre d’Architecture de Tyrol, Innsbruck, Autriche, 2004

16A, 16B. Bâtiment des Pompes Funèbres – « 104 », centre de création artistique, Paris, 2008

17A,17B. Usine électrique XXe s. – «Le 308», Conseil Rég. de l’Ordre des Architectes d’Aquitaine, Bordeaux, 2009


« CONVERTIR », EN ROUMANIE

- les politiques urbaines avant et après la Révolution de 1989

18. Le centre-ville de Suceava démoli après 1965

19. Le nouveau centre civique de Suceava, 1975

20.Démolition et mutations des monuments, 1980

21. Le « Palais du Peuple » vue latérale, 1983-1987

22. Concours international « Bucuresti 2000 »

23. Le palais du peuple, satellite 2010

24. Projet alternatif pour « Hala Matache » 2011

25. Les démolitions illégales continuent en 2011…


« CONVERTIR », EN ROUMANIE

- la rétrocession et les nouveaux réseaux

26A, 26B. Le Manoir de Tibanesti, rétrocédé en 2008 avec des graves modifications structurelles irréversibles

27A, 27B. Les workshops à Tibanesti et l’implication de la population locale, centre d’apprentissage, 2006-2012

28A, 28B. Le réseau des manoirs – centres de restauration 2005. Le réseau de centres de culture urbaine 2012


« L’USINE D’EAU »

- la signification initiale

29. La Bucovine entre 1775 et 1918

30. Le cadastre de 1856 et le futur emplacement

31. Les annonces publiques du maire en 1910/1912

32. Coupe du bâtiment-filtre, ing. Gunther Thiem 1908

33. carte postale avec la nouvelle usine d’eau - wasserwerk der stadt Suczawa, 1914( ?)


« L’USINE D’EAU »

- la découverte du bâtiment en 2006

34A, 34B. Le bâtiment-filtre envahi de végétation, les talus déstabilisés

35. L’ancien puits collecteur et les interventions

36. L’état de l’intérieur du bâtiment-filtre

37A, 37B. Exploration des réservoirs, accès individuel dans chacun d’entre eux


« L’USINE D’EAU »

- le relevé de l’existant

38. La partie du terrain accordée à l’OAR pour 49 ans

39. Modélisation 3D de l’enveloppe extérieure

40. Coupe transversales sur les réservoirs

41. Coupe longitudinale du bâtiment et des talus avec leur forme existante


ESPACE D’EXPOSITION ET BUREAUX OAR - le projet final

42. plan masse avec l’aménagement extérieur

43. vue avec la nouvelle entrée

44. coupes 3D horizontales

45. plans des niveaux


LE CENTRE D’ARCHITECTURE, CULTURE URBAINE ET PAYSAGE - le chantier : une réalisation collective

46A, B. Présentation de la consolidation en fibres de carbone aux architectes membres de la filiale OAR Nord-Est

47A, 47B. Le travail in situ avec les étudiants en architecture, urbanisme et paysagisme

48. spécialistes espagnols en réhabilitation du patrimoine

49. l’équipe de l’workshop en chantier, août 2011


LE CENTRE D’ARCHITECTURE, CULTURE URBAINE ET PAYSAGE - workshop 2011 : l’intégration dans la communauté locale

50A, B. localisation de l’usine d’eau au centre géographique de la ville actuelle ; étude de mobilités

51A, B. Les premiers visitateurs, dans la phase de chantier, accompagnés par les étudiants du workshop

52 . A la fin de la visite, les sociologues prennent des entretiens pour noter les opinions des habitants de la ville


LE CENTRE D’ARCHITECTURE, CULTURE URBAINE ET PAYSAGE - l’inauguration et « les journées de l’usine d’eau », août 2012

53. Les discours d’inauguration des organisateurs et des autorités locales et régionales

54. Visites des expositions

55. Concerts d’inauguration

56. Conférence des “Jounées de la Culture Urbaine à l’Usine d’Eau” 2012


SPECULATIONS SUR LE SACRE - l’oasis

57. L’usine d’eau dans la vallée de la rivière Suceava, en 2006

58. Une oasis culturelle lors dès son inauguration en août 2012


SPECULATIONS SUR LE SACRE - la grotte

59. Le grand réservoir dans son état initial, 2006

61. Le réservoir du fond après les nouvelles interventions, 2012


SPECULATIONS SUR LE SACRE - l’église

62. L’espace ouvert du haut, « fresques de l’enduit originel et des interventions en fibre de carbone

63. Les fermes métalliques originales apparentes

64. au-dessus de l’entrée – espace toute hauteur


SPECULATIONS SUR LE SACRE - la crypte

65. La nouvelle entrée coupée dans le talus, la seule intervention à l’extérieur


SPECULATIONS SUR LE SACRE - le couvent

66. Les espace supérieurs extérieurs et le talus deviennent utilisables – multifonctionnels

67. L’usine d’eau, un espace complètement utilisable, les pentes des talus / amphithéâtres


SPECULATIONS SUR LE SACRE - symboles

68. les passages dans les murs en béton sont marqués par de cadres en OSB

69. Le Logo du Centre, rappelant la nouvelle entrée, devient un symbole décliné en plusieurs formes


ENTRE SACRE ET PROFANE

- l’agora

70. Discours et débats avec les architectes et les autorités locales

71. Ça devient un lieu de rencontre et d’échange, une vraie agora

72. Table ronde et débat entre architectes et les représentants des associations


ENTRE SACRE ET PROFANE

- les fêtes

73. La jeune mariée entre dans l’espace du réservoir de l’usine d’eau

74. Concert live de jazz à l’Usine d’eau

75. Party électro à l’Usine d’eau


B IBLIOGRAPHIE 1. P H I L O S O P H I E , L I T T E R A T U R E Question de Demeures du Sacré. Pour une architecture initiatique, Œuvre collective, Paris, Question de/Albin Michel, 1987 Agamben, Giorgio, Qu'est-ce que le contemporain ? , traduit de l'italien par Maxime Rovere ; Paris, Éd. Payot & Rivages, impr. 2008 Agamben, Giorgio, Profanations, traduit de l'italien par Martin Rueff; Paris, Éd. Payot & Rivages, 2005 Arambasin, Nella, La conception du sacré dans la critique d'art en Europe entre 1880 et 1914, Genève, éd. Droz, 1996 Arendt, Hannah, Condition de l'homme moderne, Paris, Press. Pocket, 2002 Bachelard, Gaston, La poétique de l'espace Paris, Presses universitaires de France, 1954 - 7e éd. impr. 1998 Baudrillard, Jean, Amérique, Ed. Descartes & Cie, 2000 Caillois, Roger, L'Homme et le sacré - éd. augmentée de trois appendices sur le sexe, le jeu, la guerre dans leurs rapports avec le sacré, [3e éd.]; 1ère édition publiée à Paris : Leroux, 1939 ; Paris : Gallimard, 1963, imp. 2008 Durkheim, Emile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Presses Universitaires, 1968 Eliade, Mircea, Le sacré et le profane, orig. Du allemand « Das Heilige und das Profane », éd. Rowohlt 1957 ; Ed. Gallimard fr. 1965, (Col. Folio), 1987, nouv. impr. 2010 Eliade, Mircea, Images et symboles. Essais sur le symbolisme magicoreligieux, Ed. Gallimard, 1979 Girard, René, La violence et le sacré [Nouvelle éd.] (Pluriel), Fayard, 2010 Version originale éd. Grasset et Fasquelle, 1972 Kazantzakis, Nikos, Dans le palais de Minos, trad. du grec par Jacqueline Moatti-Fine, Paris, Plon, 1984 Lévy, Jacques & Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, 2003

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Jamet, Thomas, Ren@issance mythologique : L'imaginaire et les mythes à l'ère digitale, Paris, Bourin éditeur, 2011 Otto, Rudolf, Le sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel, trad. de l’allemand "Das Heilige" par André Jundt, Payot 1969 (Col. Petite Bibliothèque), 2010 Perec, Georges, Espèces d’espaces, Galilée, 2000 Renan, Ernest, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Calmann-Lévy, 1883 Younès, Chris et Paquot, Thierry (sous la dir. de), Le territoire des philosophes. Lieu et espace dans la pensée au XXe siècle ; chap.2 : « Hannah Arendt : Monde – Déserts – Oasis » (par Chris Younès et Benoît Goetz); Paris, La Découverte, 2009 2. A R C H I T E C T U R E , P A T R I MO I N E , R E C O N V E R S I O N S Reconvertir le patrimoine : [actes des 4e] Rencontres départementales du patrimoine de Seine-et-Marne, dirigé par Isabelle Rambaud, Dammarie-lès-Lys, 2010 Usines reconverties / Mariarosaria Tagliaferri ; éd. Cristina Paredes ; coord. Catherine Collin ; trad. Jay Noden Goodman, Nelson et Elgin, Catherine, « La signification architecturale », dans Soulez, Antonia (dir.), L’architecte et le philosophe, Ed. Mardaga, 1993 Gausa, Manuel, The metapolis dictionary of advanced architecture. City, Technology and Society in the Information Age, Barcelona, Actar, 2003 Le Corbusier, Vers une architecture, chapitre « Architecture, pure création de l’esprit », Paris, Ed. Crès et Cie, 1923 Le Corbusier, Modulor 2, Boulogne, Ed. Architecture d’aujourd’hui, 1955 Pallasmaa, Juhani, Le Regard des sens, Ed. Du Linteau, 2010 Riegl, Aloïs, Le culte moderne des monuments, traduit et présenté en français par Jacques Boulet, Ed. L’Harmattan, 2003 Schittich, Christian, Construire dans l'existant : reconversion, addition, création, col. « DETAIL », Bâle : Birkhäuser, 2006 Zumthor, Peter, Penser l'architecture, Ed. Birkhäuser, 2008

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3. O U V R A G E S R O U MA I N S

Cui i-e frică de cartierul Matache? Principii de regenerare urbană pentru zona Matache - Gara de Nord din Bucureşti (Qui a peur du quartier Matache? Principes de régénération urbaine pour la zone Matache – Gare du Nord Bucarest), auteur collectif : « Les Architectes bénévoles », conc. éd. Mirela Duculescu,[Roumain, rés. en anglais] Ed. Pro Patrimonio, 2012 Caruntu, Mihai A. : article « Un adept al modernizarii Sucevei la cumpana dintre doua veacuri . Franz Ritter von Des Loges (1846-1914) » en: Historia Urbana, XVI, 2008, no. 1-2 Goagea Cosmina, « Huit reconversions et quelque chose en plus », publication à paraître dans la collection Zeppelin, Bucarest, septembre 2012 Satco, Emil : Enciclopedia Bucovinei, vol.I, Suceava, 2004 Marian, Liviu : Sacagiul sucevean, in: Fat- Frumos , XVI, 1941 Cosovan, Tiberiu : article « Ape curgatoare si fantani cu apa rece », en: Monitorul de Suceava, 21.07.2007 Directia judeteana Suceava a Arhivelor Nationale : fond Primaria orasului Suceava, dosar 11/1912 Oprea, Nicolai : Suceava - cronica ilustrata , ed. Musatinii, 2004

4. D I V E R S ( E XP O SI T I O N S , F I L M S , SO U R C E S I N T E R N E T )

Le retour du bois dans l’architecture contemporaine. Questionnement critique sur sa signification, mémoire recherche Razvan-George Gorcea, sous la coordination de Chris Younès, ENSAPLV, Paris, 2011 Re-architecture, exposition du pavillon de l’Arsenal Paris avril/mai 2012 Tracés du sacré, exposition, publication et vidéo, Centre Pompidou, 2008 Cronocaos Koolhaas, Rem /OMA expo présentée à la Biennale de Venise en 2010. Publication inexistante ; sources propres (visite) et wwwdesignboom.com Conférence TED, VS Ramachandran: The neurons that shaped civilization. www.ted.com Philosophie sur ARTE, émission « L’intuition » diffusé 30 mai 2010, avec Johannes Schick et Raphaël ENTHOVEN

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