9 minute read
Tour de France
Dans la roue d’une légende
Des envies de Tour de France ? Pas en France ? Puriste du vélo, le Bernois PATRICK SEABASE nous emmène sur l’une des deux étapes suisses de la Grande Boucle édition 2022.
Patrick Seabase lors de la montée au Pas de Morgins, à 1377 m d’altitude.
Des montagnes, de la sueur et des montées à couper le souffe: le Tour de France sera de retour en Suisse en 2022. Le puriste cycliste bernois Patrick Seabase, 38 ans, nous emmène sur la deuxième étape suisse de la course légendaire.
Les vignobles en terrasses de Lavaux, inscrits au patrimoine de l’UNESCO, offrent un panorama magnifique au bord du lac Léman.
Après un hiatus de cinq ans, le Tour revient en Suisse pour les huitième et neuvième étapes. Je vous invite à m’accompagner sur cette neuvième étape pleine de contrastes. Je m’appelle Patrick Seabase, j’ai 38ans et j’ai commencé à faire du vélo à l’âge de trois ans.
Hugo Koblet (1925-1964), vainqueur du tour de France en 1951, a été l’un de mes premiers héros. J’admirais ce cycliste zurichois autant préoccupé par ses performances que par son apparence. J’ai moi-même participé à quelques courses quand j’étais plus jeune, mais je me suis vite lassé de ce cirque et ai choisi d’approcher ma carrière de manière plus individuelle. Petite précision: être au centre de l’attention et faire de la compétition ne m’intéressent pas.
Située près du lac Léman, Aigle sera cet été le théâtre du départ de la neuvième étape de la Grande Boucle qui y repasse après une escapade dans l’Oberland bernois avant de se poursuivre sur 38 kilomètres jusqu’à la frontière française. Une étape de montagne de 183 kilomètres avec quelque 3700 mètres de dénivelé au menu. La journée est longue, je passe environ sept heures sur mon vélo. Ceux qui sont déjà familiers de ce genre de terrain et des longues distances devraient mettre sensiblement le même temps, mais rien n’empêche les coureurs chevronnés de faire cette étape en plusieurs jours pour profter du paysage. Le parcours est judicieux pour deux raisons: il est tactique et part d’Aigle, le siège de l’Union cycliste internationale (UCI) pour y repasser une seconde fois à quarante kilomètres de l’arrivée.
Quinze kilomètres après le départ, nous atteignons la charmante ville de Montreux, nichée au bord du lac Léman. L’un de mes endroits préférés. À partir d’ici, la route continue à serpenter vers l’est, à travers le «Lavaux», ces 830 hectares de vignobles en terrasses inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. La pente se fait graduellement plus raide, nous prenons de l’altitude. S’il fait beau, un arrêt s’impose pour profter de la vue imprenable sur l’immensité du lac! N’hésitez pas non plus à faire une pause à Chexbres dans le décor
183 km de pur bonheur à vélo: Patrick Seabase à Châtel.
«Lors de telles randonnées à vélo, tu apprends à dépasser tes propres limites.»
Bulle
3 GRUYÈRES
Côte de Chexbres
2 LAVAUX
Châtel-Saint-Denis
1 MONTREUX
DÉPART AIGLE (SUI) Aigle Rossinière
Col des Mosses
Les Diablerets
COL DE LA CROIX 4
PAS DE MORGINS 5
ARRIVÉE CHÂTEL - LES PORTES DU SOLEIL (FRA) Monthey
ÇA VAUT LE DÉTOUR
Les cinq plus beaux endroits de la neuvième étape du Tour de France 2022 selon Patrick Seabase.
1. MONTREUX
Cette ville au flair méditerranéen se situe sur les rives du lac Léman. Je me suis déjà rendu plus de vingt fois au célèbre festival de jazz, qui se déroule chaque année au mois de juillet.
2. LAVAUX
Il s’agit de la première pépite de la journée, ce paysage est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. La vue s’étend sur les vignobles en terrasses et le lac Léman.
Étape 9 Berne SUISSE
3. GRUYÈRES
La petite ville médiévale est un bijou idyllique et intemporel. C’est sans conteste l’un des endroits les plus exaltants de l’étape, principalement pour le musée Giger et son univers fantastique tout à fait inattendu.
4. COL DE LA CROIX
La montée la plus difficile de l’étape. Ambiance de haute montagne avec les imposantes Alpes bernoises en toile de fond.
5. PAS DE MORGINS
Depuis le col, situé à moyenne altitude et à cheval sur la frontière franco-suisse, on peut regarder les Dents du Midi dans le fond des yeux.
«Les petits villages et hameaux agricoles nous donnent l’impression d’être au XIXe siècle.»
Le charmant Café de la Poste à Chexbres, un village de 2000 âmes.
de carte postale du vieux Café de la Poste. Nous atteignons Bulle trente kilomètres plus loin (déjà 60 des 183 km dans les jambes) et roulons à présent sur les routes vallonnées des Préalpes fribourgeoises, le regard happé par les magnifques cimes du Gastlosen, du Vanil Noir et du Moléson, qui culminent à plus de 2000 mètres d’altitude.
Nous arrivons bientôt à Gruyères. C’est l’occasion d’acheter de quoi s’alimenter et de remplir nos bouteilles d’eau à la fontaine. C’est l’un des grands avantages de la Suisse: on trouve de l’eau potable presque partout. Du grand luxe! Besoin d’une petite parenthèse culturelle? Montez jusqu’au château de Saint-Germain qui abrite un musée consacré à l’œuvre du sculpteur et dessinateur H.R. Giger, créateur du monstre «Alien».
En s’enfonçant dans la vallée parsemée de petits villages et d’hameaux agricoles, on a l’impression d’être revenu au XIXe siècle. À 908 mètres, Rossinière est un véritable village de conte de fées qui abrite l’incroyable Grand Chalet du peintre Balthus. L’ascension continue sur une pente étroite jusqu’au col des Mosses, encore sous la ligne des arbres à 1445 mètres d’altitude. Nous avons parcouru presque cent kilomètres. La montée vers le col, ponctuée par trois virages en épingle, est assez tranquille et ne présente pas de diffculté majeure.
Pour moi qui suis Suisse, le coin n’est pas très marquant: visuellement, il ressemble à n’importe quel autre endroit des Préalpes.
Après une courte descente, nous continuons vers Les Diablerets, une station bien connue des skieurs située au pied d’un gigantesque massif montagneux au sein duquel trône le fameux domaine skiable de Glacier 3000. Si vous avez le temps, n’hésitez pas à explorer ce paysage alpestre peuplé, si l’on en croit la légende, de petits diables. Sinon, la vue depuis la route vaut déjà son pesant d’or!
Après une impitoyable ascension à 7,6%, nous atteignons enfn le col de la Croix. À 1778 mètres, c’est le point culminant de notre étape et le seul endroit du parcours que l’on peut véritablement qualifer de haute montagne. C’est le moment de boire, manger et faire un break. Il est important de reprendre des forces, et ses esprits, avant la descente, histoire d’aborder celle-ci dans les meilleures conditions.
Nous laissons le paysage escarpé des Alpes bernoises derrière nous et dévalons la pente le long d’une série de virages serrés en direction de Villars-sur-Ollon. Vingt-trois kilomètres après le col de la Croix et 1384 mètres plus bas, nous retrouvons notre terrain de départ, Aigle se profle bientôt. Fin du parcours? Non, car c’est le Tour de France! Une fn d’étape exceptionnelle nous attend, c’est le moment d’appuyer sur les pédales direction sud-ouest où, après la traversée du Rhône, nous entamons une ascension d’une vingtaine de kilomètres à 6,1% de moyenne sur des
L’étape est bientôt terminée: Patrick sur le Pas de Morgins. Cette étape du Tour de France traverse des villes, des collines et des montagnes. Après Montreux, la pente devient plus raide, on prend de l’altitude. La première montée abrupte mène à 1445 mètres au col des Mosses, suivie d’une courte descente vers les Diablerets. La montée la plus difficile est celle du col de la Croix (pente: 7,6%), qui est aussi le point culminant de l’étape avec 1778 mètres. Suivent de longues descentes avant de repasser par Aigle et de se concentrer sur la dernière ascension: 20 kilomètres de montée vers le Pas de Morgins (pente: 6,1%) à 1377 mètres.
1778 m Col de la Croix
1445 m Col des Mosses 1377 m Pas de Morgins 1 297 m Châtel – Les Portes
1147 m Les Diablerets
908 m Rossinière
810 m Châtel-Saint-Denis
806 m Bulle
558 m Côte de Chexbres
387 m Montreux
394 m Aigle 399 m Monthey 394 m Aigle
Départ
km 15 km 28,5 km 40,5 km 59 km 83,5 km 99,5 km 113 km 122,5 km 145 km 156,5 km 173,5
km 183
DES HAUTS ET DES BAS RELIEF CAPRICIEUX
La neuvième étape du Tour de France nous emmène sur 183 kilomètres et 3 700 mètres de dénivelé.
routes larges et dégagées qui nous emmènent au Pas de Morgins, à 1370 mètres d’altitude, dans un décor préalpin typique de la Suisse romande.
Depuis les lacets près de Troistorrents, j’apprécie particulièrement la vue sur les sommets des Dents du Midi, qui culminent à 3000 mètres au sud. Une vue qui nous accompagne jusqu’à Morgins, où nous traversons la frontière française pour atteindre les Portes du Soleil, l’un des domaines skiables les plus idylliques du coin.
Si vous avez trop chaud après la montée depuis la vallée du Rhône, prenez un moment pour vous rafraîchir en allant piquer une tête dans le lac de Morgins. Il serait dommage de s’en priver, car il vous reste encore une diffculté à surmonter, la dernière de la journée: une montée de quatre kilomètres jusqu’à la ligne d’arrivée à Châtel
«La descente, c’est le moment où le vent me rafraîchit et où la vitesse me chatouille les nerfs. L’intérêt est de se battre pour obtenir cette récompense.»
Après 183 km, l’étape se termine à Châtel, en France.
Les Portes du Soleil. Encore un conseil: depuis la France, garez votre voiture en Suisse, à Aigle, et n’emportez que l’indispensable avec vous.
Gravir un sommet à vélo par ses propres moyens est extrêmement gratifant: cela permet de s’impressionner soi-même. Je ne cherche à impressionner personne d’autre que moi. Psychologiquement, ce genre de sorties nous apprend à dépasser nos propres limites sans que cela soit synonyme de souffrance. Je ne prends aucun plaisir non plus à souffrir: c’est surtout la fuidité et les bonnes sensations que je recherche sur la route.
Ce qui compte fnalement c’est d’entrer dans une transe agréable, d’atteindre le fow tout en couvant la beauté du paysage des yeux. En montée, j’ai parfois l’impression d’être sous l’eau à cause de cette légère pression qui s’exerce sur les tympans en prenant de l’altitude, et aussi à cause de l’économie de mouvements, qui donnent le sentiment d’être au ralenti.
Puis vient la récompense: la descente, le vent rafraîchissant et la vitesse qui titille nos nerfs. C’est ce qui fait le sel de tout ça: se donner à fond, aller au bout de soi, lutter pour cette récompense. Dans la vie, ce pour quoi on se bat résonne toujours plus longtemps en nous que ce qui arrive par hasard.
Gagner le Tour de France ou reproduire une étape à son propre rythme revient au même: c’est une performance individuelle, un moment qui n’appartient qu’à soi. C’est une sorte d’égoïsme sain, qui ne s’opère pas au détriment des autres. Je considère d’ailleurs que c’est le seul égoïsme à la fois acceptable et propice à l’inspiration. Car c’est de cette confrontation et de cette sollicitation du corps et de l’esprit, l’un permettant de repousser les limites de l’autre, que naît l’équilibre. Instagram: @patrickseabase