OUVERTURE
Anthony RĂŠgis SĂŠminaire S8 - La Fabrique - 2013/2014 Enseignants : Christel Marchiaro, Thibault Maupoint de Vandeul et Moussa Chemlal
SOMMAIRE
INTRODUCTION...................................................................................................................................5 PARTIE I : TRANSPOSITION DU MUR DANS L’OUVERTURE...................................................11
1. Dissolution de la limite...........................................................................................................12 2. Décomposition de la protection contre la nature..................................................................14 3. Mécanismes de protection sociale.........................................................................................16 4. Habitabilité.............................................................................................................................18
1. Perception depuis l’intérieur..................................................................................................22 2. Perception depuis l’extérieur..................................................................................................30 3. Passage...................................................................................................................................36
PARTIE II : REPERCUTIONS SUR LA PERCEPTION DE L’OUVERTURE....................................21
CONCLUSION......................................................................................................................................44 BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................................45
INTRODUCTION Objet de la recherche : Lors du cours de séminaire effectué le semestre dernier, j’ai pu effectuer un travail sur l’architecte Eduardo Souto de Moura durant lequel je me suis aperçu que la fenêtre était pour lui un élément prédominant dans la constitution de l’architecture et qu’elle était même l’une de ses obsessions. Il dit lui-même ne pas savoir faire de fenêtre, mais plutôt des pleins / vides de murs. Mais de premiers abords je ne comprenais pas l’importance que pouvait prendre la fenêtre dans le travail de Souto de Moura. Après tout, il suffit juste de faire un trou dans un mur... Mais en repensant à mes années passées à l’école d’architecture et aux exercices de projet que j’ai pu réaliser, je me suis aperçu que lorsque je suis face à un nouveau projet, je commence souvent par agencer des volumes, de manière à ce qu’il y ait un dialogue entre eux mais aussi que ces derniers dialoguent avec le site, puis lorsque la recherche s’affine et qu’il faut commencer à rentrer dans les pièces, c’est là que le problème de la fenêtre ou plus généralement celui de l’ouverture se pose. Bien qu’il faille commencer à y penser dans la phase d’agencement des volumes, cela reste au stade de « parois ouvertes ». Mais quand je commence à affiner ces «parois ouvertes», tout un tas de questions viennent se poser en même temps. Quelles dimensions d’ouverture vais-je choisir ? Quel type de lumière ? Quelles relations entre intérieur et extérieur ? Quelles relations au paysage ? Quelles relations au voisinage ? Quelle composition en façade ? Quelle relations à l’orientation concernant le soleil, le vent, la pluie ? Quelles protections par rapport à ces éléments de nature ? Et j’en oublie beaucoup ! De plus, comme je pouvais le pressentir avec Souto de Moura qui conçoit la plupart de ses ouvertures en pleins / vides de mur, je me suis aperçu que le destin de l’ouverture était étroitement lié à celui du mur. En effet, alors que le mur s’oppose à nous comme une barrière qui nous empêche d’avoir un rapport à l’extérieur, l’ouverture permet au contraire de rétablir ce lien entre intérieur et extérieur. Ainsi, lorsque l’on agit sur l’un, on agit forcément aussi sur l’autre, indirectement. Je pense donc que c’est dans cette interaction entre le mur et l’ouverture que je pourrais trouver les réponses à toutes mes questions posées plus haut. Mais nous allons tout d’abord donner quelques définitions qui nous permettront d’apporter plus de précisions à ce sujet.
Etat du savoir : Dans cet état du savoir, je donnerais pour chaque notion une ou plusieurs définitions par des architectes ou autres personnages qui ont construit ma réflexion, puis une définition plus personnelle et plus approfondie, fruit de cette réflexion, et sur laquelle nous nous baserons dans la suite du mémoire.
Mur (limite, protection, lieu) : SCOFFIER Richard : « La fonction du mur est de limiter. Comme dans le monde animal ou les animaux marque leur territoire qui est quelque part une extension du corps. Pour l’Homme, la limite détermine deux types d’espaces qui ont chacun une qualité. » Ainsi le mur sépare, limite, exclu, et oppose deux espaces en les qualifiant (dedans/dehors ; privé/public ; profane/sacré ; abondance/pénurie ; etc.). Si on parle de limite entre le dedans et le dehors, le mur permet de créer une sensation d’intériorité par le fait même de pouvoir cloisonner. Cette sensation d’intériorité est plus forte que celle donné par le toit car l’intériorité du toit n’est que signifié, imaginaire alors que celle du mur est physique. Le mur empêche le passage, pas le toit. Cela nous amène à une autre caractéristique du mur qui est la protection. Le mur protège à la fois des éléments de la nature qui sont le vent, la pluie, le soleil ou la terre. Cela nous renvoie à la notion primitive de l’abri qui en premier lieu nous a donné un toit, puis des murs pour parfaire notre protection de l’extérieur. 5
Puis cette protection peut aussi être sociale, « L’Homme est un loup pour l’Homme » Thomas Hobbes. Le mur permet donc de se protéger de son semblable, mais cette caractéristique du mur diffère selon les cultures. Par exemple en France nous avons tendance à entièrement clôturer nos jardins par des murs, différentes parois ou végétaux, pour se couper totalement du monde extérieur et s’en protéger, alors que dans les pays Nord-Américains, la plupart du temps aucune clôture n’est présente autour de leur jardin donnant sur la rue, laissant libre accès à leur porte d’entrée. Cette notion de protection sociale diffère donc selon les cultures, comme celle de protection des éléments de la nature qui diffère selon les climats et les orientations. Et enfin, le mur peut aussi être un lieu habitable. Souvent lié à son épaisseur, des actions ou des usages peuvent y être incorporé, donnant naissance à des alcôves permettant d’obtenir un espace supplémentaire, plus intime, pour la pièce dans laquelle il se trouve.
Ouverture (fracture, perception, passage) : SCOFFIER Richard : « Si le mur permet d’imaginer ce qui persiste d’animal chez l’Homme, l’ouverture marque sa spécificité. L’Homme ne vit pas mais existe et exister c’est être hors de soi, hors de son territoire. Les Hommes n’ont pas de racines, l’Homme est Homme lorsqu’il existe, qu’il sort de son territoire, qu’il s’expose. » L’ouverture est donc une fracture dans le mur car elle permet de mettre en relation deux espaces qui étaient initialement opposés, séparé. L’Homme peut alors s’ouvrir au monde, s’exposer, exister. Mais ce lien entre ces deux espaces donne naissance au rapport entre intérieur et extérieur, qui peut être divisé en trois familles. La première est la perception de l’extérieur par un observateur situé à l’intérieur d’un bâtiment. Ce que nous percevons de l’extérieur grâce à l’ouverture c’est trois choses : Lumière, Vue et Ventilation. La deuxième est la perception de l’intérieur par un observateur situé à l’extérieur d’un bâtiment, dans la rue par exemple. Cette famille correspond à ce que l’ouverture veut bien nous laisser comprendre d’un bâtiment, qu’est-ce qu’elle nous raconte ? La composition de la façade peut donc être un indicateur déterminant. Et enfin la troisième famille concerne le passage de l’intérieur vers l’extérieur ou vice-versa. Cette dernière notion nous montre que l’ouverture, outre le fait de laisser passer la lumière, la vue et la ventilation, ou de laisser voir ce qu’il se passe à l’intérieur d’un bâtiment ou non, peut aussi être un lieu de passage de l’être humain. Ici l’Homme n’est plus statique comme dans les deux familles précédentes, mais en mouvement, ce qui implique une pratique de l’espace différente. On pourra parler de notion de seuil et de séquence.
Lien entre mur et ouverture : SCOFFIER Richard : « L’ouverture ne peut pas être réduite à un simple percement. Elle pondère la puissance du mur qui sépare et qui ferme pour permettre au dedans d’entrer en relation avec le dehors. Si le mur sépare, l’ouverture, au contraire, créée du lien. » « Toute la tradition moderne s’est constitué dans la haine du monde, dans une volonté de casser le mur. Vouloir éclater, exploser, briser, dématérialiser le mur. Tout l’arsenal de la renaissance avec les pilastres, les chaînages dans les angles qui permettaient de renforcer l’épaisseur, la matérialité du mur sont révoqués au profit d’un simple bandeau autour d’un objet ou d’une superposition de surfaces. Tout est identique, pas d’opposition entre plancher, toit, mur, tout est surface. Cela dématérialise le mur qui parait comme pas construit, pas épais. Aujourd’hui parler de mur c’est difficile. La maison refuse à se donner comme une boite qui renferme une intériorité, elle se donne comme une constellation de surface prête à devenir totalement autonomes et à éclater, à exploser. »
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On a donc un premier système, le mur, qui sépare, limite, oppose deux espaces et joue un rôle de protection des espaces intérieurs par rapport aux éléments de la nature et à l’homme. Puis on a un deuxième système, l’ouverture, qui permet à deux espaces de se rencontrer, d’interagir, d’échanger, on a donc plus de protection ni de limite car les éléments de la nature et les hommes peuvent passer. Le mur et l’ouverture sont donc bien liés, comme je pouvais le supposer. Ainsi lorsque le mur se
décompose, se dématérialise, cela a un impact sur l’ouverture. Nous pouvons alors définir trois types d’ouvertures selon la composition du mur. En premier lieu, nous avons l’ouverture dans un mur plein. C’est l’ouverture la plus courante, un percement dans un mur. Puis nous avons l’ouverture dans un mur décomposé où le mur commence à se dématérialiser. On a plus un seul mur plein mais une succession de plans verticaux physiques. L’ouverture commence donc à intégrer la notion de profondeur. Et enfin nous avons l’ouverture sans mur où le mur est complètement dématérialisé, plus aucun obstacle visuel s’oppose à nous. L’ouverture n’est délimitée que par les murs périphériques et les planchers, le mur n’est plus physique mais imaginaire… Notion que nous développerons par la suite. Ces trois types d’ouverture auront donc des caractéristiques différentes et donnerons des réponses différentes quant aux questions posées par l’ouverture. C’est cette comparaison entre ces trois types d’ouverture qui nous intéressera tout particulièrement dans la suite de ce mémoire.
Fenêtre : SCOFFIER Richard : « La fenêtre fait en sorte que les personnes dans la rue soient constamment placées sous le regard des autres. Être en ville, vivre en société, c’est être placé sous le regard d’autrui. » Pour différencier la fenêtre de l’ouverture, je dirais que la fenêtre, tout comme la porte, font partie de la grande famille des ouvertures mais contrairement à l’ouverture, elles ont besoin d’un mur pour exister car elles sont un véritable percement dans un mur alors que l’ouverture peut ne pas avoir besoin de mur pour exister, comme nous venons de le voir plus haut. La fenêtre et la porte rentreraient donc dans la famille des ouvertures dans un mur plein. La fenêtre sera différenciée de la porte par le sens de pratique de l’espace. La porte étant vécue pour passer de l’extérieur à l’intérieur alors que c’est l’inverse pour la fenêtre.
Intérieur : Dans ce mémoire, nous parlerons d’intérieur comme un lieu où l’on serait protégé du monde extérieur, hors-d’eau / hors-d’air, et protégé de l’Homme. On serait donc dans un espace intime où l’on se sentirait chez soi, et un espace où la relation avec l’extérieur serait seulement visuelle, perçu depuis un point fixe à l’intérieur du bâtiment.
Extérieur : L’extérieur sera lui compris comme un espace à l’air libre où le contact avec les éléments de la nature est total. Mais deux types d’extérieur sont à différencier. Celui qui fait partie du bâtiment, comme un jardin, un balcon, une loggia, sera qualifié d’extérieur privé, et celui situé en dehors des limites de propriété du bâtiment, seulement vu ou aperçu, comme le paysage, sera lui qualifié d’extérieur inaccessible. Dans ce mémoire, les relations entre intérieur et extérieur seront comprises comme des relations entre intérieur et extérieur inaccessible.
Perception : ROLLAND Jean-Luc : « La perception est constituée par nos cinq sens plus la proprioception. Elle est interactive et multimodale, tous les sens participent et informent le cerveau de toute part. La représentation de la réalité est construite à l’intérieur du cerveau qui la réinterprète. Il y a au moins deux natures de perception, l’intuition et la logique, en d’autres termes les émotions et la raison, qui s’entrecroisent. » La représentation du monde est donc forcément subjective et culturelle. Chaque personne aura une 7 perception différente des espaces qui l’entourent.
Cadrage : SCOFFIER Richard : « Le cadrage permet de rassembler, de composer, de faire advenir le paysage à la présente. Cadrer un fragment de territoire lui donne le statut de paysage. Le cadrage permet au paysage, au lieu d’être un simple territoire, de s’affirmer en tant que composition. » Pour moi le cadrage existe dès lors que l’on fait une action sur la perception du territoire. Une simple ligne qui souligne le paysage et déjà un cadrage car elle est une prise de position, un regard particulier, lié à la perception subjective d’un architecte sur un territoire. Territoire et paysage : ROLLAND Jean-Luc : « Le paysage n’est ni le site, ni le territoire, ni le pays, c’est un regard, une image. Il n’est ni mesurable quantitativement, ni identifiable physiquement. Le paysage c’est la nature plus un sujet qui la regarde. » Le paysage est donc rattaché à la notion de perception et de cadrage. Le paysage c’est une certaine perception du monde par une personne qui peut être retranscrite au travers d’un cadrage.
Espace : Pour moi un espace et l’association d’une pièce, avec ses dimensions et sa composition, notamment par les dispositifs mis en place pour ses rapports à l’extérieur, associé à la perception de l’homme, aux sensations qu’il va éprouver dans cette pièce.
Problématique : Après avoir établi les définitions de ces notions, l’objectif de ce mémoire sera d’essayer de comprendre comment la transposition du mur dans l’ouverture permet-elle de définir les trois familles de rapports entre les espaces intérieurs et l’extérieur de l’ouverture ? Les réponses que je trouverais me permettrons j’espère de pouvoir faire des choix plus justifiés lorsqu’il faudra concevoir des ouvertures dans mes futurs projet.
Hypothèses : L’hypothèse serait de dire que le mur ne disparaît pas au profit de l’ouverture, il est toujours présent, mais prend une autre forme. Et c’est précisément cette forme que va prendre le mur dans l’ouverture qui va qualifier les différents rapports entre intérieur et extérieur. Selon la manière dont le mur sera retranscrit dans l’ouverture, ces rapports entre intérieur et extérieur n’auront pas les mêmes qualités. Ainsi, dans ce mémoire, je m’attacherais tout d’abord à la retranscription du mur dans l’ouverture, à savoir comment ses caractéristiques perdurent-elles dans l’ouverture, et quelles formes prennent-elles, et ensuite j’essayerais de voir quelles sont leur impact sur la perception de l’ouverture. Pour cela j’effectuerais une comparaison tout au long du mémoire entre les trois types d’ouverture : dans un mur plein, dans un mur décomposé et dans l’absence de mur, pour mesurer leurs différences.
Période :
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La réflexion proposée dans ce mémoire ne prend pas en compte une période précise. Il est certain que le destin de l’ouverture est lié à l’apparition de nouvelles méthodes constructives et de nouveaux matériaux au cours du temps, mais on se concentrera ici sur l’analyse des différentes perceptions d’une ouverture selon sa composition, sans faire de liens temporel. Des exemples seront donc pris aléatoirement dans le temps pour appuyer le propos. Toutefois, lorsque cela s’avèrera nécessaire, un lien avec le contexte historique sera établi pour une meilleure compréhension.
Méthode : Pour réponse à cette problématique, nous analyserons plusieurs bâtiments conçus par diverses architectes et nous regarderons quelles réponses ont-ils pu donner sur les rapports entre intérieur et extérieur de l’ouverture. Ces réponses pourront être issues de leur propre avis sur la question ou tirée de mon analyse personnelle.
Corpus :
SOUTO DE MOURA Eduardo : - Maison à Serra Da Arrabida - Maison à Ponte de Lima - Hôtel Santa Maria Do Bouro - Hôtel et école d’hôtellerie à portalegre - Couvent des Bernardas - Maison à Rua Do Crasto - Maison à Cascais - Bloc d’appartement à Porto - Trois logements sur la Place de Liège à Porto - Maison à Patio de Matosinhos, Porto CAMPO BEAZA Alberto :
- Olnick Spanu House - Casa Rufo
KAGAN Michel :
- Résidence Etudiante à Paris - 86 Logements à Marseille - 50 Logements à Paris
TERRAGNI Giuseppe :
- Casa Giuliani-Frigerio à Côme
LE CORBUSIER : - Couvent de la Tourette - Villa le Lac KAHN Louis :
- Maison Esherick
UTZON Jorn :
- Can Lis House
KOGAN Marcio :
- Cobogo House
COSTA Lucio :
- Guinle Park à Rio de Janeiro
LOOS Adolph :
- Rufer House
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PARTIE I TRANSPOSITION DU MUR DANS L’OUVERTURE
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PARTIE I : TRANSPOSITION DU MUR DANS L’OUVERTURE Dans cette première partie nous allons voir quelles formes prend le mur dans l’ouverture et donc comment l’ouverture peut-elle intégrer les caractéristiques du mur. Pour cela nous analyserons simplement les différents dispositifs mis en place dans les trois types d’ouvertures, mais sans donner de réponses sur le ressentit que pourra en avoir l’être humain. En d’autres termes, nous analysera la pièce elle-même, et c’est seulement dans la deuxième partie que nous analyserons la perception qu’en fait l’Homme pour ensuite définir des espaces.
1. Dissolution de la limite
Nous savons que le mur est une limite entre intérieur et extérieur dans le sens où il sépare physiquement et brutalement ces deux espaces. L’objectif ici sera de comprendre comment cette limite prend forme dans l’ouverture. Pour une ouverture dans un mur plein, cette limite reste assez brutale et ne se différencie pas beaucoup de la limite imposé par un mur si ce n’est que l’on a tout de même une partie vitrée et donc un contact avec l’extérieur. Ce qui détermine cette limite est exclusivement la position du vitrage. Elle reste donc unique et précise, comme pour le mur. Mais lorsque le mur se décompose, la limite fait de même et passe d’une limite unique à une limite multiple. En effet, les plans successifs induits par exemple par le détachement du vitrage par rapport au mur créent deux limites successives. Nous commençons alors à avoir une certaine difficulté à lire cette limite mais elle reste tout de même appréhendable physiquement. Et enfin, lorsqu’il s’agit d’une ouverture sans mur, la limite entre intérieur et extérieur devient beaucoup plus complexe car il n’y a plus de parois verticales qui arrêtent notre regard pour déterminer un plan vertical et ainsi une limite physique. La limite se dissout dans l’espace. Auparavant physique, elle devient imaginaire. Les plans verticaux permettant de la déterminer sont simplement signifiés par des lignes horizontales qui peuvent être des débords de toitures ou des nez de dalles. Cette démultiplication de la limite lui donne donc une épaisseur qui n’est pas présente pour un mur qui est une limite en soi et donc qui est unique. Donc plus le mur se décompose, plus la limite se dissout dans l’espace et prend de l’épaisseur. C’est la contrepartie au fait de supprimer le mur au fur et à mesure.
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Intérieur
Extérieur
Muraille de Palestine
Muraille de Chine
Intériorité
Mur de Berlin
Muraille de Tijuana
Souto de Moura, Maison à Serra Da Arrabida, 1/100
Souto de Moura, Maison à Ponte de Lima, 1/100
Campo Baeza, Olnick Spanu House, 1/100
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2. Décomposition de la protection contre la nature
Par protection de la nature est entendue la protection contre l’air extérieur, le vent fort, la pluie, le soleil et la terre. Le type de protection dépendra évidemment du site sur lequel se trouve le bâtiment comme le climat, le vent dominant, ou la proximité avec la mer, et de son orientation Nord, Sud, Est ou Ouest. Mais ici nous développerons plutôt le « comment » elle se décompose plutôt que le « pourquoi ». Pour une ouverture dans un mur plein, toutes les protections sont cumulées sur un seul plan vertical, le vitrage. Suivant l’épaisseur du mur il peut servir de légère protection à la pluie, au soleil ou au vent fort, mais je pense qu’il ne faut pas trop y compter à moins d’avoir des murs d’un mètre de large et une petite ouverture. Il faudra donc rajouter des éléments pour avoir une protection efficace. Par contre les différentes protections commencent à se délier lorsque le mur se décompose. Le vitrage ne protège plus que de l’air extérieur, les autres protections sont assurées par d’autres plans verticaux et horizontaux. L’ouverture de Michel Kagan est la version évoluée d’une ouverture dans un mur plein car il a justement rajouté des éléments en façade pour la protéger. Dans l’absence de mur, les protections sont établies exclusivement par le débord de toiture pour le soleil et la pluie, la protection au vent fort ne peut être assurée que lorsque les murs périphériques sortent de la façade. S’il n’y a aucun mur périphérique, c’est le vitrage qui protègera du vent fort en plus de l’air extérieur. La meilleure exposition face aux éléments de la nature est donc assurée par l’ouverture décomposée car le vitrage n’est là que pour parfaire la protection en finissant le « hors-d’air », signe que l’intérieur est bien protégé par les autres éléments en façade. Vient ensuite l’ouverture sans mur protégeant bien le vitrage malgré que le vent fort puisse être une menace. Et enfin l’ouverture dans un mur plein protège le moins si aucune protection n’est rajoutée en façade car c’est le vitrage qui reçoit toutes les agressions extérieures.
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Souto de Moura, Maison à Serra Da Arrabida, 1/100
Souto de Moura, Maison à Ponte de Lima, 1/100 Michel Kagan, Résidence étudiante à Paris, 1/100
Campo Baeza, Olnick Spanu House, 1/100
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3. Mécanismes de protection sociale
La protection sociale induite naturellement par le mur car s’opposant au passage, se trouve affaiblie lorsque qu’une ouverture est créée. Nous allons voir ici comment peut-elle être rétablie dans l’ouverture, en admettant que toutes ces ouvertures sont de plein pied. Pour une ouverture dans un mur plein, la protection sociale reste quasiment intacte car seulement une petite partie du mur est ouverte et qu’en plus nous n’avons pas de continuité de sol. Le mur restant permet de rétablir presque entièrement cette protection, le reste est assuré par le vitrage. Puis dans une ouverture dans un mur décomposé, la protection sociale reste tout de même forte malgré la perméabilité des différents plans successifs. Ce sont les zones interstitielles qui permettent de rétablir la protection sociale du mur plein car ils forment comme des zones d’inaccessibilités partielles avant d’arriver à l’intérieur du bâtiment. Pour une ouverture sans mur, la protection n’est plus du tout présente ou seulement par le vitrage. L’objectif est là de signifier à l’étranger qu’il rentre dans une zone privée. La notion de seuil prend alors toute son ampleur car il est défini par des espaces, parfois hors du bâtiment, permettant à la fois d’accompagner l’habitant d’un espace à un autre sans brutalité, mais aussi de faire comprendre à l’étranger qu’il entre dans un espace privé. L’utilisation du verre pour son reflet peut aussi permettre de créer une barrière opaque. La protection sociale reste donc quasiment intacte pour l’ouverture dans un mur plein, tandis qu’elle est partiellement affaiblie dans une ouverture dans un mur décomposé et quasiment inexistante dans une ouverture sans mur. Dans ce cas-là il faudra utiliser la notion de seuil pour avoir une protection sociale plus subtile mais qui peut être tout aussi efficace que pour les autres ouvertures.
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Souto de Moura, Maison à Serra Da Arrabida, 1/100
Souto de Moura, Maison à Ponte de Lima, 1/100 Michel Kagan, Résidence étudiante à Paris, 1/100
Campo Baeza, Olnick Spanu House, 1/100
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4. Habitabilité
L’ouverture peut aussi intégrer la notion d’habitabilité c’est-à-dire qu’elle peut être le lieu d’un usage et donc que l’Homme peut accéder à cet espace. Cette capacité à recevoir un usage dépend donc en grande partie de son épaisseur. L’habitabilité est rarement possible dans une ouverture dans un mur plein car son épaisseur est souvent faible et ne permet pas à l’Homme d’y trouver une place. Toutefois, lorsque nous avons la chance d’avoir un mur assez épais, d’au moins 60 centimètres pour une place confortable, nous pouvons imagier un usage à cet espace. La position du vitrage est aussi importante car c’est seulement en le plaçant côté extérieur qu’un espace pourra se dégager. Mais dans tous les cas, la pratique de ce dernier se fera de manière statique. Pour une ouverture dans un mur décomposé, son habitabilité est possible sans aucun problème, c’est même l’un des objectifs recherchés. Elle permet souvent de recevoir une loggia ou un usage est possible mais là aussi de manière statique. Et enfin l’habitabilité dans une ouverture sans mur est aussi possible mais sera plus un lieu de passage. En effet, l’espace couvert sert plus de transition entre l’intérieur et l’extérieur privé que de réel lieu d’usage même si toutefois il peut en recevoir un. Ainsi l’habitabilité de l’ouverture sera la plus forte dans l’ouverture dans un mur décomposé où c’est même l’objectif recherché alors qu’elle pourra être possible dans les deux autres types d’ouvertures mais seulement si certains paramètres sont réunis.
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Louis Kahn, Chateau de Comlogan
Souto de Moura, Hôtel Santa Maria Do Bouro, 1/100
Souto de Moura, Maison à Ponte de Lima, 1/100
Campo Baeza, Olnick Spanu House, 1/100
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PARTIE II REPERCUTIONS SUR LA PERCEPTION DE L’OUVERTURE
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PARTIE II : REPERCUTIONS SUR LA PERCEPTION DE L’OUVERTURE Dans cette deuxième partie nous analyserons les répercussions de cette dématérialisation du mur sur l’ouverture. Mais contrairement à la première partie qui montrait simplement comment les propriétés du mur étaient retranscrites dans l’ouverture pour définir la composition de la pièce, ici nous verrons quels sont les effets sur la perception qu’en fait l’Homme. Ainsi, plus que le dispositif lui-même, c’est le ressenti de l’être humain qui sera mis en avant car l’architecture est faite pour être vécu et perçue par l’Homme. Il en découlera des qualités d’espaces que nous essayerons de définir.
1. Perception depuis l’intérieur
Commençons comme d’habitude par l’ouverture dans un mur plein. Pour ce qui est de la lumière, elle dépendra principalement des dimensions de l’ouverture en hauteur et longueur, de sa position sur le mur qui pourra être en haut, en bas ou sur le côté et de son épaisseur. L’ouverture pourra même être exclusivement réservé à l’apport de lumière, sens que l’on puisse vraiment voir à travers, ni qu’elle puisse être ouverte pour ventiler la pièce. Par exemple, Le Corbusier sépare totalement ces trois fonctions au couvent de la Tourette. Il y a des ouvertures pour la ventilation, d’autres pour la lumière et d’autres pour la vue, disposée chacune le long d’un parcours architectural, celui des moines qui vont jusqu’à leur chambre. Louis Kahn sépare aussi ces 3 fonctions, mais la différence avec Le Corbusier est que lui les fait cohabité dans la même ouverture, ce n’est plus une ouverture par fonction. On peut donc voir une gradation de la simple ouverture qui ne fait pas de distinction entre lumière, vue et ventilation, puis celle de Kahn qui sépare les trois fonctions tout en les faisant cohabiter dans la même ouverture et enfin celles de Le Corbusier qui sépare totalement les trois fonctions en faisant une ouverture par fonction.
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Le Corbusier, Couvent de la Tourette
Ventillation
Ventillation Lumière Ventillation
Ventillation
Ventillation
Ventillation Vue
Ventillation
Louis Kahn, Maison Esherick
Ventillation
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Pour ce qui est de la vue, ce sont les notions de cadrage et d’orientation de la vue qui sont prédominantes dans l’ouverture dans un mur plein. Ces ouvertures sont principalement traitées comme des tableaux qui cadrent une partie du territoire, lui conférant ainsi le statut de paysage. Car le paysage c’est deux choses, c’est un territoire, plus le regard de l’Homme sur ce territoire. Sans l’Homme le paysage n’existe pas car il est le fruit de sa réflexion sur un territoire qui peut être propre à sa culture et à sa vision du monde et donc subjective. Le cadrage apporte donc une vision particulière sur le territoire et devient alors paysage. Le cadrage dans un mur plein produira plutôt une mise à distance par rapport au paysage car il nous est donné à voir, mais il reste simplement vu, on en fait pas encore parti. On peut le voir concernant la maison de l’écrivain de Souto de Moura et la Casa Rufo de Campo Baeza. L’épaisseur du mur a aussi son influence sur le cadrage : plus l’épaisseur du mur est importante, plus le cadrage se rétréci et l’empêche de devenir panorama lorsque l’on s’approche trop de l’ouverture. Mais lorsque l’on n’a pas la chance d’avoir un mur d’un mètre de large, certains artifices peuvent nous permettre de rétablir cette épaisseur, comme le fait Le Corbusier à la Villa Savoye ou à la Villa du Lac. Il peut aussi y avoir un travail sur l’orientation de la vue. Si le mur est, là encore, assez épais, l’embrasure de l’ouverture peut être biseautée. Cela donne donc une orientation à la vue avec un axe de vision qui est décalé, pointant sur un élément particulier du site. Nous pouvons le voir par exemple au Couvent des Bernardas de Souto de Moura ou à la Can Lis House de J.Utzon.
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Impact de l’épaisseur de mur sur le cadrage
Souto de Moura, Maison Ă Serra Da Arrabida, 1/200
Campo Baeza, Casa Rufo, 1/200
Le Corbusier, Villa le Lac, 1/200
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Il peut aussi y avoir un travail sur l’orientation de la vue. Si le mur est, là encore, assez épais, l’embrasure de l’ouverture peut être biseautée. Cela donne donc une orientation à la vue avec un axe de vision qui est décalé, pointant sur un élément particulier du site. Nous pouvons le voir par exemple au Couvent des Bernardas de Souto de Moura ou à la Can Lis House de J.Utzon. Concernant l’ouverture dans un mur décomposé, et la lumière, un nouveau paramètre rentre en compte, la profondeur. Les jeux de parois successives vont former comme des filtres à la lumière. Ici ce sera plus la manière dont sera filtrée la lumière qui importe plutôt que ses dimensions et son placement. Pour les loggias, la profondeur de cette dernière aura un impact sur la quantité de lumière qui arrivera à l’intérieur de la pièce. Cette lumière peut aussi être gérée par des systèmes de brises soleil comme des moucharabiehs ou des cobogos, qui permettent de la filtrer suffisamment sans avoir une forte épaisseur entre ce dernier et la vitre. Ces cobogos permettent aussi d’avoir une lumière plus tamisée, cassée, alors que les loggias sont éclairée par une lumière directe et dure. Pour la vue, les plans successifs d’une ouverture dans un mur décomposé font aussi offices de filtre à la vue. Le cadrage est aussi présent et dans ce cas-là il est formé de plusieurs cadres successifs opérant ainsi une mise en abime du paysage. Lorsque l’on se situe entre deux cadres on se sent un peu plus attiré dans le paysage, on commence à en faire partie, comme pour la loggia du Couvent de la Tourette de Le Corbusier ou celle de la maison de l’écrivain de Souto de Moura. Mais le cadrage peut aussi être déconstruit, et l’objectif peut même être d’empêcher que l’ouverture ne cadre. C’est le cas des cobogos ou des moucharabiehs.
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Utzon, Can Lis House
Convent des Bernarbas
Souto de Moura, Maison Ă Ponte de Lima, 1/100
Kogan Marcio, Cobogo House, 1/100
Le Corbusier, Couvent de la Tourette
Souto de Moura, Maison Ă Serra Da Arrabida
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Pour une ouverture sans mur, comme tout est vitré et qu’aucun plan vertical de protège la vitre, la lumière rentrera pleinement dans la pièce. Les seuls éléments pouvant la faire varier sont les dispositifs de protection solaire employés qui seront souvent les débords de toiture. Ensuite, pour le traitement de la vue, rien n’arrête le regard, pas de linteau, pas d’allège, pas de mur dans les angles, de sorte que la vue soit accompagnée par les murs périphériques et les planchers et forme de véritables canons à vues. Il n’y a donc plus aucune barrière entre nous et le paysage. Mais la position du vitrage et les murs périphériques restreignent quand même notre champ de vision. Lorsque l’on enlève les murs périphériques, le champ de vision s’élargit encore plus et nous sommes donc encore plus attirés par le paysage. Mais le cadrage est toujours présent dans ce type d’ouverture car je pense qu’il commence dès lors que l’on fait une action sur la perception du territoire. Une simple ligne est une action sur cette perception car elle est déjà une prise de position sur le type de paysage que l’on veut donner à voir, c’est une sélection. Elle est donc un début de cadrage. La différence réside dans le fait que plus on rajoute des lignes au cadrage, plus la sélection est forte et plus le paysage s’éloigne et devient un objet de contemplation tel un tableau. Ainsi pour la Olnick Spanu House de Campo Baeza, le fait de souligner le paysage nous donne l’impression qu’il vient vers nous, que l’on en fait partie, alors que le fait de l’encadrer totalement comme le fait Souto de Moura pour la maison de l’écrivain nous donne l’impression que le paysage s’éloigne. Ainsi la transposition du mur dans l’ouverture a un impact sur la vision que l’on a du monde extérieur. La dissolution de la limite nous donne l’impression de faire partie du paysage alors que lorsqu’elle est franche, le paysage s’éloigne et devient un objet de contemplation. Plus il y a d’obstacle entre nous et cet objet, notamment au sol empêchant sa continuité, moins on arrive à apprécier la distance entre nous et ce dernier et plus il s’éloigne. Quant à la décomposition de la protection, elle permet d’agir sur le type de lumière que l’on souhaite dans nos espaces intérieurs ou dans nos espaces intermédiaires comme les loggias. Pour chacune des trois ouvertures, plusieurs solutions sont possibles pour gérer l’apport de lumière.
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Souto de Moura, Hotel et ecole d’hotelerie à portalegre, 1/500
Campo Baeza, Olnick Spanu House, 1/500
Cadrer c’est faire des choix
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2. Perception depuis l’extérieur
L’ouverture étant à la limite entre intérieur et extérieur, elle est à la fois perçue de l’intérieur mais aussi de l’extérieur, depuis la rue. C’est cette perception depuis l’espace public qui sera développée ici, pour voir ce qu’un bâtiment nous raconte en regardant sa façade.
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Concernant l’ouverture dans un mur plein, sa dimension a toujours fait débat. On se souvient notamment de celui entre Le Corbusier Et Auguste Perret où Le Corbusier disait que la fenêtre en bandeau devait devenir l’acteur principal de la maison, car pouvant courir sur toute la longueur de la façade et offrant une vue panoramique alors qu’Auguste Perret pensait que la fenêtre devait avoir une dimension plus anthropomorphique en étant verticale et ainsi en épousant la silhouette de l’homme. La perception de ces deux types de fenêtres en façade nous raconte des choses totalement différentes. La fenêtre en longueur donne l’impression d’avoir un espace continu et homogène alors que la juxtaposition de fenêtre verticale donne l’impression d’avoir un espace fragmenté à l’intérieur du bâtiment. Ainsi suivant la dimension des fenêtres, la façade nous raconte des choses différentes sur les espaces intérieurs. Mais en plus de leurs dimensions, leur disposition aussi à une influence sur notre perception. Comparons trois exemples frappants. La façade d’un immeuble Haussmannien est composée d’ouvertures toutes alignées à intervalle régulier alors que les pièces à l’intérieur peuvent être aléatoirement disposées, une pièce peut contenir une, deux ou trois fenêtres. Donc ici la composition en façade prédomine sur les espaces intérieurs. Pour Adolph Loos c’est l’inverse, c’est l’espace intérieur qui prédomine sur la composition en façade. Chaque ouverture est définit selon la pièce qui lui correspond. On peut donc presque deviner ce qui se passe derrière la façade alors que pour l’immeuble haussmannien pas du tout. Et enfin, Souto de Moura essaye lui d’allier les deux, à la fois composition en façade et ouverture correspondant à une pièce définie. Il travaille simultanément la composition en façade et les fenêtres selon les espaces intérieurs. L’ouverture peut donc nous orienter pour nous indiquer ce qu’il se passe derrière la façade mais peut aussi fausser notre perception. La position du vitrage peut aussi avoir une influence en façade concernant les ouvertures dans un mur plein car cela peut donner une ombre ou pas. Si le vitrage est situé côté extérieur du mur, il sera sur
le même plan que la façade donc aucune ombre ne sera produite. Par contre, si le vitrage est situé côté intérieur du mur, une ombre apparaitra en façade et cela produira un deuxième plan en plus de celui de la façade. Ainsi cela donnera à la façade une profondeur, une épaisseur et le mur aura plus de présence, il nous apparaitra plus massif. Et pour finir, il y a des aspects plus symboliques. L’ouverture permet au bâtiment de voir, de nous observer, vivre en société c’est être constamment sous le regard de l’autre. L’ouverture est un œil, elle nous observe comme la Villa Arpple dans « Mon Oncle » de Jacque Tatti.
Immeuble Haussmannien
Adolf Loos, Rufer House
Souto de Moura, Couvent des Bernardas
Trois dispositions différentes
Ombre en façade suivant la position du vitrage
Souto de Moura, Couvent des Bernardas
Souto de Moura, maison à Rua Do Crasto, Porto
Kollhoff, Logements à Amsterdam
Villa Arple, « Mon Oncle », Jacques Tati
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Pour ce qui est de l’ouverture dans un mur décomposé, lorsque les différents plans successifs sont visibles de l’extérieur, la façade prend alors une certaine profondeur qui est encore plus forte que lorsque l’on met le vitrage côté intérieur du mur dans une ouverture dans un mur plein. Ainsi nous obtenons un jeu de façade qui brouille les pistes dans le sens où on ne sait pas quel plan est devant l’autre (Kagan, Ciriani). Cela donne donc à la façade encore plus d’épaisseur, elle nous raconte plus de choses, elle est plus vivante. Mais les différents plans de la façade peuvent ne pas tous être visible. On peut par exemple avoir une certaine forme de fenêtre sur un premier plan et après avoir un système de brise soleil identique sur toute la façade permettant d’avoir un aspect uniforme alors qu’en réalité toutes les fenêtres derrière les brises soleil sont différentes. Ainsi nous pouvons concevoir nos fenêtres uniquement par rapport aux espaces intérieurs sans se préoccuper de ce que cela va donner en façade car le dispositif de brise soleil permettra de rétablir une homogénéité. Cela pourrait s’apparenter à une façade rideau où les panneaux de façades sont détachés du système constructif permettant une plus grande liberté d’expression. En effet, pour Souto de Moura, l’ouverture est liée à la trilogie : système constructif / matériaux / langage. Avant, le mur porteur et la façade étaient confondus, les trumeaux entre chaque ouverture permettaient de porter le plancher et les murs supérieurs. Mais depuis que l’on sait faire des murs plus fins et que l’on sait détacher le système constructif de la façade, comme pour la fenêtre en bandeau de Le Corbusier, l’ouverture peut alors évoluer, changer de forme et donner des sensations différentes.
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Michel Kagan, 50 Logements à Paris
Michel Kagan, 86 Logements à Marseille
Giuseppe Terragni, Casa Giuliani-Frigerio à Côme
Trilogie langage / système constructif / matériau
Lucio Costa, Guinle Park à Rio de Janeiro
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Et enfin, pour une ouverture sans mur, la façade sera dans la plupart des cas découpés par les nez de dalles et de planchers qui seront apparents. Aucune lecture des espaces intérieurs n’est possible car toutes les pièces auront les mêmes ouvertures, toute hauteur et toute largeur. La façade nous paraitra donc très régulière et homogène, comme la façade rideau, sauf qu’ici c’est une vraie façade. De plus, la protection solaire étant généralement nécessaire pour des parois entièrement vitrées, la position du vitrage sera la plupart du temps en retrait par rapport aux nez de dalle et de plancher, ce qui donnera une profondeur de façade qui se rapprochera de celle de Michel Kagan mais avec moins de complexité. Ainsi lorsque la limite est franche, c’est seulement des variations sur la dimension des ouvertures et sur leurs dispositions que nous pouvons créer différentes perceptions. Mais lorsque la limite se dissout, c’est sur l’épaisseur et la profondeur de façade que l’on pourra jouer. On aura le choix de laisser parler les ouvertures ou de les recouvrir d’une façade rideau permettant d’avoir un bâtiment homogène. L’usage pour lequel on voudra utiliser cette profondeur de façade sera un élément qui nous aidera à déterminer ce choix. L’habitabilité de l’ouverture aura donc aussi une résonance sur la perception de la façade.
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Souto de Moura, Maison à Cascais
Souto de Moura, Bloc d’appartement à Porto
Souto de Moura, Trois logements sur la Place de Liège à Porto
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3. Passage
L’ouverture traite donc aussi du passage, de la transition d’un espace à un autre. Et cette transition est importante pour l’être humain, à la fois physiologiquement car passer d’un espace sombre à lumineux, chaud à froid ou bruyant à calme, demande à l’œil, au corps et à l’oreille de s’habituer. Mais cette transition peut aussi être symbolique car quelques fois ce sont simplement de petits détails qui nous amènent à penser qu’on passe d’un espace à l’autre comme une marche, une odeur, une couleur, une ambiance, un trait de lumière, etc. Cela renvoie donc à la notion de seuil qui est à la fois un dedans et un dehors, un espace de passage, de transition. On peut aussi mettre en lien la notion de séquence. L’ouverture dans un mur plein ne permettant pas le passage car n’ayant pas de continuité de sol, la transition de l’homme entre intérieur et extérieur n’existe pas. La limite étant brutale, nous passons directement de l’intérieur à l’extérieur inaccessible. Par contre, le passage est possible pour une ouverture dans un mur décomposé, mais nous restons dans un espace assez confiné, nous ne sommes pas encore en relation avec tous les éléments de la nature, notamment le soleil. Un troisième espace fait donc son apparition, l’extérieur privé, permettant de créer une transition entre intérieur et extérieur inaccessible. Mais cet espace reste couvert, ce qui nous donne la sensation d’être plutôt à l’intérieur, contrairement à un balcon où nous sommes à la merci des éléments de la nature et donc où nous nous sentons presque dans un extérieur inaccessible, hors de chez nous. De plus, les éléments en façade de Michel Kagan permettent aussi une certaine transition entre intérieur et extérieur inaccessible. Cette profondeur de façade n’est pas accessible par l’Homme mais constitue tout de même un espace intermédiaire.
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Souto de Moura, Maison Ă Serra Da Arrabida, 1/100
Souto de Moura, Maison Ă Ponte de Lima, 1/100
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Dans une ouverture sans mur, le passage est évidement possible puisque plus rien ne s’oppose à notre passage. Mais ici les différents espaces qui nous amènent vers l’extérieur, où cette fois nous pouvons être totalement exposés aux éléments, ne sont plus des espaces statiques où l’on s’arrête, mais plutôt des espaces de transitions. Ce sont donc des espaces qui sont vécus, où nous sommes en mouvement. Nous pouvons alors vraiment parler de seuil ou plutôt de séquences successives permettant de passer d’un espace à l’autre de manière douce ou pas. Par exemple dans la Olnick Spanu House de Campo Baeza, nous avons deux espaces de transition entre l’intérieur et l’extérieur inaccessible qui sont un extérieur privé couvert et un extérieur privé non couvert.
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Campo Baeza, Olnick Spanu House, 1/200
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Puis dans la maison à patio de Souto de Moura, nous avons quatre espaces de transition, un extérieur privé couvert, un extérieur privé non couvert sur terrasse, un extérieur privé non couvert sur un sol végétal et un deuxième intérieur secondaire. Et nous pourrions imaginer encore beaucoup d’autres espaces de transitions s’il le faut. Ainsi nous avons une succession d’espace fabriquant une épaisseur programmatique entre intérieur et extérieur inaccessible.
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Souto de Moura, Maison Ă Patio de Matosinhos, Porto 1/200
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De plus, nous pouvons observer une différence entre espace physique et espace perçu, notamment pour la Olnick Spanu House. Le vitrage détermine un espace physique alors que la terrasse détermine un espace perçu plus grand que l’espace physique grâce à la continuité de sol. La différence entre les deux crée un espace imaginaire qui donne plus d’ampleur à l’espace intérieur physique. Si cet espace imaginaire n’existerait pas, nous nous sentirions dans un espace physique plus petit. Cela agit donc sur notre perception de l’espace qui nous entoure. La première chose à retenir est que la transition entre intérieur et extérieur n’est possible que lorsqu’il y a une continuité de sol. Ensuite, le traitement de cette transition dépend de ce que l’on recherche, si on veut qu’elle soit brutale et contrasté ou la plus progressive possible. Et cela passe par la manière dont nous allons traiter la limite, les protections de la nature et de l’Homme et l’habitabilité de l’ouverture. En qualifiant ces espaces, qu’ils soient couvert ou non, accessible ou non, avec sol construit ou sol végétal, cela crée une succession d’espaces virtuels permettant la transition de l’intérieur vers l’extérieur.
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Campo Baeza, Olnick Spanu House, 1/200
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CONCLUSION Pour conclure, nous avons donc vu comment le mur peut-il être retranscrit dans l’ouverture et ce que ces différentes solutions produisent sur notre perception de l’ouverture. La manière dont nous répondront aux questions posées par l’ouverture résidera donc dans les choix que nous ferons pour y rétablir les caractéristiques du mur. Il faut d’abord se demander ce que l’on veut faire ressentir à la personne qui parcourra nos espaces et ensuite on pourra choisir comment rétablir la limite, la protection contre la nature, la protection sociale, et l’usage dans l’ouverture. Ainsi, c’est dans l’épaisseur de l’ouverture que l’on peut définir les rapports entre intérieur et extérieur que nous recherchons pour notre projet, selon le programme, le type de pièce, l’orientation, le voisinage, etc. Et cette importance de l’épaisseur de l’ouverture se ressent très bien dans l’ouverture sans mur car justement, pour palier à ce manque, l’ouverture doit se déployer dans toute son épaisseur. Plus le mur se déconstruit, plus l’épaisseur devient riche et complexe pour définir les rapports entre intérieur et extérieur. Le mur physique n’existant plus, c’est un mur imaginaire qu’il faut mettre en place. Toutes les variantes exposées ici montrent toutes les possibilités que nous offre l’épaisseur d’une ouverture pour pouvoir construire ce mur imaginaire. J’ai voulu avoir une vision d’ensemble de ces possibilités pour comprendre la portée architecturale d’une ouverture. Chaque point étudié pourrait faire l’objet d’un travail futur plus approfondi. Il m’intéresserait par exemple de poursuivre le thème de la relation du corps au paysage au travers de l’ouverture, notamment avec la notion de cadrage. Comment mettre en relation l’Homme avec le paysage ? Par quels moyens ? Comment intégrer la notion de mouvement du corps dans le rapport au paysage ? Qu’est-ce que cela implique ? Etc. Toutes ces questions m’interrogent, parmi tant d’autres, et méritent de s’y pencher.
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BIBLIOGRAPHIE Livres : - CUITO Aurora, Eduardo Souto de Moura, Te Neues Gb, 2004. - ESPOSITO, Antonio et GIOVANNI, Leoni, Eduardo Souto de Moura, Phaidon Press, 2006. - MACHABERT Dominique, Souto de Moura au Thoronet, le diable m’a dit... , Marseille, Parenthèses, 2012. - SOUTO DE MOURA, Eduardo, Eduardo Souto de Moura, The 2011 Pritzker Architecture Prize, Design Media Publishing Limited, 2012. - LE CORBUSIER, Une petite maison, Basel, Birkhäuser, 1954. - COHEN Jean-Louis, Le Corbusier, Köln, Taschen, 2006. - VON MEISS Pierre, De la forme au lieu, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1986. - ALVARO Siza, Imaginer l’évidence, Marseille, Parenthèse, 2012.
Revues : - TC Cuadernos N°64, Eduardo Souto de Moura, Obra reciente, Ediciones Generales de la Construccion, 2004. - L’Architecture d’Aujourd’hui N°293, Faloci / Melnikov, Juin 1994.
Conférences : - SCOFFIER Richard, Où commence l’architecture – Cours #01 : Le Mur, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2011. Lien : http://www.dailymotion.com/video/xhlhbe_universite-populaire-cours-01-le-mur_creation - SCOFFIER Richard, Où commence l’architecture – Cours #02 : L’Ouverture, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2011. Lien : http://www.dailymotion.com/video/xi64ek_universite-populaire-cours-02-l-ouverture_creation?start=65
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