École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille
MÉMOIRE :
LE LOGEMENT Son adaptation face à l’évolution des modes de vie
Réalisé par REGIS Anthony Directeur de mémoire : Mr MARCIANO Rémy
3ème année - Semestre 6 - Juin 2013
Remerciements : Je tiens à remercier tous les professeurs de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille pour l’enseignement qu’ils m’ont dispensé durant ces trois années d’études. Je remercie tout particulièrement Monsieur Marciano Rémy, mon directeur de mémoire, pour son soutien, sa gentillesse et sa patience depuis le choix du sujet jusqu’à la dernière lecture. Je remercie les professeurs : GIRARD Muriel, HAYOT Alain, BONILLO Jean-Lucien et BORRUEY René pour leurs enseignements sur lesquels je me suis plus précisément appuyé pour ce mémoire. Je remercie aussi la bibliothèque de l’école pour nous mettre à disposition toute la documentation nécessaire au bon déroulement de nos études.
Et enfin, je remercie tous mes proches, amis et collègues de classe pour leurs soutiens.
2
Tables des matières :
INTRODUCTION..........................................................................................................4 PARTIE I : TROIS MODÈLES DE LOGEMENT................................................................5
I.1. Le logement ouvrier : la cité ouvrière de Mulhouse - Emile Muller......5
I.2. L’Immeuble Haussmannien : le 240 bis boulevard Saint Germain, Paris - Eugène Haussmann........................................................................7
I.3. Les grands ensembles : la cité des Courtillières - Emile Aillaud..........10
PARTIE II : LEUR CAPACITÉ D’ADAPTATION A L’ÉVOLUTION DES BESOINS.........12 II.1. Le logement ouvrier................................................................................12
II.2. L’immeuble Haussmannien....................................................................14
II.3. Les grands ensembles.............................................................................15
PARTIE III : LA REINTERPRETATION DE CES MODÈLES.............................................18 III.1. La cité manifeste de Mulhouse - Lacaton et Vassal..........................18 III.2. L’Immeuble Rue des Suisses - Herzog et de Meuron..........................20
III.3. Nemausus - Jean Nouvel.......................................................................22
CONCLUSION...........................................................................................................24 BIBLIOGRAPHIE..........................................................................................................25
3
INTRODUCTION : La société étant en perpétuelle mutation, l’architecture d’hier ne correspond plus aux besoins d’aujourd’hui et l’architecture d’aujourd’hui ne correspondra plus aux besoins de demain. Plus particulièrement dans le logement, l’évolution des modes de vie à un impact considérable sur les productions architecturales. Les liens familiaux, les parcours de vie, les attentes de la population, le contexte économique et politique ou encore les réglementations, tous ces éléments évoluent au cours du temps et produisent des modes d’habité très diverses suivant les époques. Ainsi le logement est le reflet des modes de vie d’une société à une période précise. Mais le problème est que les sociétés changent plus vite que le parc immobilier. Les bâtiments sont conçus pour durer et il est impossible de tous les détruire à chaque fois que des évolutions sociétales apparaissent et d’en reconstruire de nouveaux pour être plus en phase avec la demande. Ainsi beaucoup d’habitants se retrouvent aujourd’hui à vivre dans des logements qui ont été conçus et pensés il y a plusieurs années et qui ne sont plus en adéquation avec ce que l’on attend d’un logement aujourd’hui. Ce mémoire aura donc pour objectif d’essayer de montrer comment le logement peut-il s’adapter à l’évolution des usages pour lesquels il a été construit ? Pour cela trois modèles de logements apparus à des moments clés de l’histoire seront étudiés : le logement ouvrier, l’immeuble Haussmannien et l’immeuble des grands ensembles, pour comprendre pourquoi ont-ils été créés, pour quels attentes ? Et quels modes de vie reflètentils ? Ensuite nous verrons comment ces modèles se sont adaptés aux nouveaux besoins de la société, au fil du temps. Quels problèmes ont-ils rencontrés ? Et quelles solutions ont été apportées ? Et pour finir nous verrons comment ces modèles ont-ils été réinterprété dans des constructions neuves pour répondre aux nouveaux modes de vie ?
4
I - Trois modèles de logement
PARTIE I : TROIS MODELES DE LOGEMENT : Le logement ouvrier, l’immeuble haussmannien et les grands ensembles sont des modèles d’habité qui ont émergé à des moments précis de l’histoire pour répondre à des problèmes économiques, sociaux et politiques. Ces logements sont donc fortement représentatifs de leur époque, d’une société et des modes de vies pour lesquels ils ont été construits. Leur étude et leur comparaison nous permettront de comprendre pourquoi ces modèles ont-ils vu le jour, pour quel type de population et quels dispositifs ont été mis en place pour répondre à une demande particulière. I.1. Le logement ouvrier : la cité ouvrière de Mulhouse - Emile Muller : Le logement ouvrier apparaît au cours de la révolution industrielle. Les industries ayant besoin de main d’œuvre, le nombre d’ouvrier augmente considérablement, il faut donc trouver le moyen de les loger. C’est alors que les premières cités ouvrières sortent de terre vers 1830. La cité de Mulhouse quant à elle est construite à partir de 1853 sur les plans de l’ingénieur Emile Muller.
Cette cité propose un habitat décent aux ouvriers qui s’entassaient jusqu’alors dans les villes, dans des logements insalubres, surpeuplés et sans confort, où sévissaient les épidémies. Etant conscient de l’attachement des ouvriers à la maison familiale, Muller donne la possibilité aux ouvriers d’avoir leur chez-soi avec une formule mixte, mi-individuelle, mi-collective. Jusqu’ici, les citées ouvrières se composaient de maisons louées aux ouvriers. A Mulhouse on les encourage à devenir propriétaires pour pouvoir les fixer et leur inculquer certaines valeurs morales. 5
I - Trois modèles de logement
Les maisons mulhousiennes sont composées de quatre logements destinés donc à quatre familles. Ce sont des maisons d’un étage avec cave et grenier. Au rez-de-chaussée nous trouvons une pièce commune avec un couchage et une cuisine et à l’étage deux chambres et des toilettes. Elles sont ensuite entourées d’un jardin, divisé en quatre pour chaque famille.
R+1
RDC
La taille des logements se situe entre des conditions de confort et d’hygiène qui préconisent de grands volumes et une économie de moyens qui tend à rétrécir les surfaces. Dans les autres cités ouvrières, les logements font en général entre 40 et 50m². A Mulhouse les ouvriers ont plus de confort avec une surface habitable de 54m². Concernant le nombre de pièce, il est pensé en fonction de celui des locataires. Pour les familles, trois pièces apparaissent comme un minimum pour la séparation des sexes : une pièce pour les parents, une pour les filles et une pour les garçons. Au rez-de-chaussée, la salle commune de 16m² regroupe l’essentiel des activités diurnes de la famille, on s’y réunit, y prépare les repas, y tricote, mais le soir venu, elle se transforme en chambre à coucher pour les parents. La nouveauté se trouve dans le fait de séparer cette pièce de la cuisine. Dans la plupart des autres cités ouvrières cette séparation n’existe pas, les ouvriers font cuire leurs aliments dans l’appareil de chauffage de la pièce commune. Pour des raisons d’hygiène, la cuisine devient alors une pièce à part entière et doit être assez petite (ici 7.5m²) pour ne pas servir de couchage supplémentaire.
6
I - Trois modèles de logement
A l’étage sont présentes deux chambres pour chacun des quatre logements. Leur disposition peut varier mais leur superficie reste sensiblement identique avec une chambre plus grande que l’autre (environ 11m² contres 7m² pour la deuxième chambre). Cela permet de pouvoir rajouter un couchage dans la grande chambre si la famille s’agrandie, mais surtout de séparer fille et garçons pour des questions morales. De plus nous y trouvons aussi un WC, sa présence dans le logement est une réelle innovation car étant la plupart du temps relégué au fond du jardin. Cela montre que les considérations hygiéniques prennent de plus en plus d’importance chez les concepteurs de logements sociaux. La salle de bains, par contre, n’apparaît pas encore et reste à l’état d’un équipement commun. De plus, le jardin revêt quant à lui une importance particulière. Il ne se limite pas à donner un bout de verdure aux ouvriers, mais a aussi un rôle économique et social. En effet, les produits du potager sont autant de nourritures qui ne seront pas à acheter par la famille. Le jardin représente donc une économie notable pour le budget familial. Son rôle moral réside dans le fait de donner une occupation aux ouvriers quand ils rentrent du travail, pour ne pas qu’ils aillent au bar et permet aussi aux enfants d’avoir un espace de jeux sécurisé, sous le regard de leur mère et les soustrait ainsi aux dangers de la rue qui dépassent ceux de la circulation (délinquance). Toutes ces dispositions présentent dans les logements de la cité ouvrière de Mulhouse tentent d’offrir un habitat décent aux ouvriers qui vivaient jusqu’alors dans des taudis insalubres. L’hygiène et le confort sont les maîtres mots de ces cités et certains dispositifs architecturaux permettent d’éduquer et de moraliser l’ouvrier. De plus l’accession à la propriété est quelque chose qu’ils n’ont pour la plupart jamais connu, cela les rapproche du confort bourgeois et leur permet de ne plus être des oubliés de la société. Ces cités ouvrières sont en quelque sorte les débuts du logement social. I.2. L’Immeuble Haussmannien : le 240 bis boulevard Saint Germain, Paris - Eugène Haussmann : L’immeuble Haussmannien répond à un consensus général qui faisait de Paris une ville insalubre avec des rues sombres et étroites. L’objectif était donc d’élargir ces rues pour créer de grandes voies. Pour cela il a fallu exproprier les habitants des anciens immeubles de chaque côté pour ensuite venir reconstruire par-dessus, l’idée de rénovation n’existait pas encore. Les premiers immeubles Haussmannien furent construits dans les années 1850. Outre le côté hygiéniste de ce remaniement de la ville de Paris, le but était aussi de créer une nouvelle offre immobilière pour garder les bourgeois en centre-ville. Ces immeubles sont donc plutôt destinés à une catégorie sociale élevée, contrairement aux logements ouvriers vus précédemment. Ces deux modèles ayant émergé à la même période, il est intéressant de voir ce qui les différencie. L’immeuble situé au 240 bis, boulevard Saint-Germain a été construit sur une parcelle de 20m de large sur 30m de profondeur. Faisant six étages et avec un appartement occupant chacun d’eux, nous ne sommes plus dans la formule mi-individuelle, mi-collective des maisons de la cité ouvrière de Mulhouse mais bien dans du collectif pur. Il n’y a plus de 7
I - Trois modèles de logement
jardin, remplacé par une cour intérieure, mais pour compenser cela, les logements sont beaucoup plus vastes. En effet, l’immeuble étudié propose par exemple 307m² de surface habitable. On comprend ainsi pourquoi ces appartements ne sont pas destinés aux ouvriers.
Au rez-de-chaussée, comme dans tous les immeubles Haussmanniens, sont présents des commerces, avec une porte cochère permettant d’accéder aux écuries situées derrière, au vestibule d’entrée et à l’escalier permettant de rejoindre les étages. Ensuite nous avons un étage d’entre sol, souvent destiné à loger les gérants des commerces ou à stocker des marchandises. Puis sont présents quatre étages de logements avec une hauteur sous plafond diminuant au fur et mesure que l’on monte. Les appartements situés dans les premiers étages sont donc destinés aux familles les plus riches. Et enfin il y a un point de rupture en arrivant au dernier étage, sous les toits, avec des logements pour les domestiques. Ainsi il y a l’idée de mixité sociale, avec une gradation de population qui habite dans un même immeuble. Cela n’était pas présent dans les cités ouvrières où habitaient uniquement des travailleurs. Cette mixité, même si elle n’est pas aussi nette et caricaturale (on peut avoir quelques fois des familles avec des revenus plus élevés dans les étages supérieurs et des domestiques au-dessus de l’entre sol), permet une ascension sociale plus rapide des classes moyennes. 8
I - Trois modèles de logement
L’ascenseur n’existant pas encore, la circulation verticale se fait avec un escalier d’apparat, pour le propriétaire ou le locataire et un escalier de service, pour les domestiques, qui dessert les cuisines de chaque logement. Cette disposition permet de ne pas croiser les flux, les domestiques devant se tenir à l’écart de la vie bourgeoise. Concernant la disposition des pièces à l’intérieur des appartements, ce qui caractérise le plus ces immeubles est l’enfilade de trois ou quatre pièces sur rue, avec fenêtres identiques en façade même si les pièces derrières sont différentes. Nous pouvons voir cette enfilade sur le plan de l’immeuble étudié avec de gauche à droite : un petit salon, un grand salon et deux chambres. La particularité de cette enfilade est que cela nécessite d’avoir des portes côté façade pour pouvoir circuler de pièce en pièce. Il y a donc une double circulation avec un couloir côté cour et des portes côté rue.
Ensuite, nous pouvons observer une division tripartite avec pièces de réception, cuisine et chambres. Le nombre de pièce est donc beaucoup plus important que dans le logement ouvrier où il y a une pièce commune qui sert un peu à tout. Ici chaque pièce a un usage précis, on a une cuisine bien éloignée du reste de l’appartement, une salle à manger, un salon et des chambres. Chaque pièce est bien cloisonnée et identifiée. Cela permet notamment de mieux séparer les espaces de réception des espaces plus privés. De plus, comme dans le logement ouvrier, cela permet aussi de mieux séparer les différents membres de la famille car les enfants ne couchent plus avec les parents dans la même pièce. Il faut étendre l’appartement et séparer les choses pour justement mieux vivre ensemble. Pour ce qui est des espaces d’aisance et d’hygiènes, comme à Mulhouse, seul des toilettes sont présents. Ils occupent en général des recoins dont on ne sait pas trop comment occuper, souvent le résultat d’un agencement de pièce particulier, mais ils sont quand même au nombre de deux dans l’immeuble étudié. La salle de bain n’existe pas encore et reste là aussi à l’état d’établissement public. L’immeuble Haussmannien se différencie donc surtout du logement ouvrier par la classe de population à laquelle il est destiné. Les surfaces sont plus grandes, il y a plus de confort et plus de pièces. Chaque pièce à un usage bien définit, ce qui n’est pas le cas avec la pièce commune du logement ouvrier et on a même des pièces en plus comme le salon qui n’existe pas dans le logement ouvrier. Concernant les espaces de soin du corps les deux modèles restent assez similaires. 9
I - Trois modèles de logement
I.3. Les grands ensembles : la cité des Courtillières - Emile Aillaud : Les grands ensembles ont émergés après la seconde guerre mondiale lorsque le pays meurtris et grandement détruit (1800 communes détruites à 75% en 1945) eu besoins de se reconstruire. La France doit donc faire face à une pénurie de logements sans précédent, avec plus de cinq millions d’habitants sinistrés. Commence alors une période d’activité constructive très grande. Pour les architectes c’est même resté comme une période d’âge d’or, il y avait des commandes et du travail pour tout le monde. Les logements des grands ensembles étaient principalement destinés aux classes populaires car le pays comptait trop de logements pour les classes moyennes et aisés. Les ouvriers ne trouvaient pas à se loger dans des logements moins vastes et moins équipés qui correspondait plus à leur revenu. L’objectif était là encore de proposer à ces ouvriers des logements confortables pour les éloigner de leur taudis qui occupaient encore toutes les villes de France. Les cités ouvrières telle Mulhouse ne concernaient qu’une faible partie des ouvriers.
Cité des Courtillières
Emile Aillaud développa son idée de cité-parc avec la cité des Courtillières à Pantin (Seine Saint-Denis), d’environ 1500 logements, dont les travaux commencèrent en 1954. Opposé à la Chartes d’Athènes définie par Le Corbusier en 1933, Aillaud propose une architecture en marge de ce qu’il se fait à l’époque avec un immeuble en forme de serpentin, de cinq étages, faisant 1.5 kilomètres de long et entourant un parc de quatre hectares. Ce serpentin, complété par des tours en étoile de 13 étages, casse la monotonie des grands ensembles qui se construisent ailleurs. Cette cité fut imaginée comme une ville où il faisait bon vivre, avec des arbres, des couleurs et des bâtiments bas. Cette forme urbaine est déjà complètement à l’opposé de ce que l’on avait conçu à Mulhouse. La maison individuelle si recherché par les ouvriers tombe dans l’oubli pour laisser place à de longues barres ou de grandes tours comportant plusieurs centaines de logements. La pénurie de logement en est la cause, il fallait construire beaucoup et vite. Cependant, nous pouvons observer qu’il y a toujours un attachement aux espaces verts, le jardin individuel devient un grand parc public. 10
I - Trois modèles de logement
Pour le logement, l’idée est donc de donner une qualité de vie plus confortable aux travailleurs et salariés et cela passe notamment par une meilleure hygiène. Il devient donc indispensable d’équiper tous les logements d’un WC et d’une salle de bains. C’est l’un des grands changements par rapport à l’époque des cités ouvrières. De plus, comme nous pouvons le voir sur les plans d’un étage courant d’une tour tripode de la cité des Courtillières, les espaces sont beaucoup plus différenciés que dans les maisons ouvrières de Mulhouse. On se rapproche donc ici de ce que proposait déjà les immeubles Haussmanniens pour les classes bourgeoises. Il n’y a plus de salle commune où l’on pouvait à la fois manger, faire la cuisine, se distraire et dormir, mais des pièces qui ont chacune leur usage avec une salle à manger, une cuisine et des chambres bien distinctes. Par contre, les surfaces des pièces sont beaucoup plus réglées que dans l’immeuble haussmannien. Là où l’on avait des pièces de surfaces quasiment identique pour des usages différents, on a ici une gradation bien visible qui fait de la salle à manger la pièce la plus grande (18m²), puis viennent les chambres (11m² pour celle des parents et 10m² pour celle de l’enfant), la cuisine (6m²), la salle de bains (4m²) et enfin le wc (1m²), pour un total de 64m² pour un T3, ce qui est seulement 10m² plus grand que les logements des maisons quadruples de Mulhouse.
Nous pouvons aussi noter l’apparition d’un couloir juste après l’entrée qui permet de distribuer les différentes pièces, chose qui n’existait pas dans le logement ouvrier où l’on rentrait directement dans la salle commune ou la cuisine. Cet espace permet de mettre les pièces à vivre à distance de l’entrée et ainsi de créer une gradation de l’espace semi-public du palier jusqu’à l’espace le plus intime du logement. De plus, cette forme en tripode, avec trois appartements dans chaque branche, permet d’avoir une distribution centrale éclairée par une lumière naturelle. C’est un luxe rarissime dans les logements sociaux de l’époque, avec des cages d’escaliers qui y sont toujours closes. La qualité architecturale commence dans les espaces les plus anodins, comme les paliers d’accès aux logements. Ainsi les grands ensembles correspondent à une nette amélioration du confort proposé aux classes populaires par rapport aux cités ouvrières de Mulhouse. Notamment au niveau de la qualité d’hygiène qui leur est proposé avec des toilettes et une salle de bain dans tous les logements, mais aussi par rapport à l’organisation des pièces. Ces dernières ont des tailles qui correspondent plus aux usages pour lesquels elles sont destinées et leur différenciation stricte permet à chacun de pouvoir s’échapper de la promiscuité familiale. Outre le fait qu’ils aient permis de résoudre la crise du logement, les grands ensembles représentent aussi l’accès au confort matériel et l’accès à l’intimité. Ce n’est pas rien. 11
II - Leur capacité d’adaptation à l’évolution des besoins
PARTIE II : LEUR CAPACITÉ D’ADAPTATION A L’ÉVOLUTION DES BESOINS
Lors de l’émergence de ces trois modèles, ils ont chacun été perçu comme porteur de modernité et d’innovations censé améliorer la vie des citoyens. Mais au fil des années, certains problèmes commencent à apparaître, les bâtiments se dégradent, les besoins en matière de logements changent, les modes de vies évoluent, les problématiques économiques, sociales et politiques ne sont plus les mêmes, etc. Ces modèles doivent donc s’adapter aux nouveaux enjeux. Nous verrons ici comment chacun d’entre eux ont-ils vécu le poids des années.
II.1. Le logement ouvrier :
Dans le logement ouvrier, la surface habitable donnée aux locataires ou propriétaires étant assez faible et le nombre de pièce réduit au minimum, les problèmes viennent en général de l’utilisation multi-usage de ces pièces. En effet, la pièce commune du rez-de-chaussée pouvait à la fois servir de pièce à vivre, de salle à manger, de cuisine et de chambre le soir pour les parents. Pour pallier à cela, les maisons ouvrières de Mulhouse se sont cloisonnées au fur et à mesure des années. Les cuisines ont fait leur apparition en premières, puis le couchage des parents se trouve peu à peu séparer de la pièce commune. Mais la définition du rôle de chaque pièce peut différer du tout au tout entre les plans et la réalité. Les architectes commencent donc à qualification les différentes pièces sur les plans en représentant les lits, les éviers de cuisines et autre élément de mobilier afin de bien distinguer leurs usages et ainsi à éduquer les habitants des taudis aux règles de la vie bourgeoise.
Différentes version de maisons de la cité ouvrière de Mulhouse plus ou moins cloisonnées.
De plus, dans la première cité, les maisons quadruples avec quatre chambres, une cuisine et un cabinet ou l’on couche se sont révélées trop grandes pour des familles de cinq ou six personnes. Les logements de grandes tailles coûtent plus cher et sont plus difficiles à chauffer et à meubler. Un loyer plus cher peut pousser le chef de famille à prendre un locataire qui logerait avec eux. Mais à l’époque il est impensable de mélanger célibataire et famille, ils mettraient en péril les ménages, dévoieraient les garçons et dévergonderaient les filles. Ainsi pour éviter les logements trop grands et ne pas avoir de célibataire en plus, la taille des habitations passe de 6x5.25m à 5x5.25m où on se limite à des maisons à rez-dechaussée seul, prévues au départ pour de petites familles. 12
II - Leur capacité d’adaptation à l’évolution des besoins
Ensuite, le principal défaut de la maison à quatre logements et le manque d’aération, puisque chacun d’entre eux n’est ouvert que sur deux côtés. Cela rend les courants d’air et surtout l’ensoleillement plus difficile. Ainsi les zones d’ombres en fond de logement sont occupés par un escalier, un cellier ou une pièce aveugle éclairé de manière indirecte soit par une cloison vitrée (cuisine), soit par des tuiles en verre (cabinet de toilette). La position de l’escalier en fond de logement nécessite de traverser la cuisine ou la pièce à vivre pour y accéder. De plus, l’entrée directe dans la pièce à vivre pose la question du froid qui s’engouffre dans le logement à chaque fois que la porte s’ouvre. Mais les logements étant étroits, on ne peut pas se permettre d’avoir un vestibule dont le rôle est presque exclusivement réservé à la distribution des différentes pièces. Par la suite, il sera préféré les maisons en bandes traversantes pour avoir une meilleure exposition, une meilleure aération et limiter les espaces sans lumière naturelle. Enfin il y a une tendance des ménages modestes à élever quelques poules pondeuses et des lapins nourris par les déchets du jardin, ce qui entraîne l’apparition de poulaillers qui viennent s’accoler aux habitations. Mais ce n’est pas du goût des politiciens, car ils pensent que les habitants vont retourner à leurs habitudes de taudis et veulent raser ces poulaillers. Et pour finir, les maisons quadruple étant très petites pour les besoins actuels, on observe que les habitants cherchent de l’espace en plus soit à l’extérieur, en comblant les vides entre les maisons pour y mettre un garage ou un abri de jardin, soit en réunissant plusieurs logements des quatre initialement prévu, soit en agrandissant pour le haut, en ajoutant un étage. Cela provoque aujourd’hui une difficulté à lire les différentes typologies de départ lorsque l’on se promène dans une rue de la cité ouvrière de Mulhouse. Les logements de la cité ouvrière de Mulhouse se sont donc adaptés aux nouveaux modes de vies en recloisonnant l’espace intérieur pour mieux différencier les pièces. On rejoint ainsi ce qui a été mis en œuvre dans les grands ensembles un siècle plus tard. Mais l’espace intérieur étant relativement réduit, les habitants ont dû aller chercher à l’extérieur les mètres carrés qu’il leur manquait en comblant les interstices entre chaque maison quadruple par de petites constructions. 13
II - Leur capacité d’adaptation à l’évolution des besoins
II.2. L’immeuble Haussmannien : Depuis la construction des premiers immeubles haussmanniens, ces derniers ont aussi été contraints de s’adapter au changement de notre société jusqu’à aujourd’hui. Ces immeubles étant en ville, sur des parcelles pour la plupart très contraintes, l’extension du logement comme nous venons de le voir avec le logement ouvrier reste très difficile. C’est plutôt au niveau de l’organisation interne que les modifications auront lieu. La plus grande métamorphose que subira cet immeuble arrivera avec l’invention de l’ascenseur. Au départ les étages inférieurs sont les plus prisés par les classes bourgeoises car on a une grande hauteur sous plafond et surtout moins de marches à monter. Les derniers étages étaient réservés aux domestiques. Mais l’ascenseur a totalement bouleversé les valeurs. Il est beaucoup mieux de vivre en hauteur car c’est plus calme, on est plus éloigné des nuisances sonores de la circulation, c’est plus aéré, on a un meilleur ensoleillement et on peut même parfois avoir une vue. L’immeuble se retrouve alors inversé. Les derniers étages seront beaucoup plus prisés par les familles riches malgré une hauteur sous plafond plus faible et les domestiques descendront dans les étages inférieurs. La disparition de la domesticité dans les années 30/40 viendra ajouter un autre petit bouleversement, les escaliers de services n’ayant plus d’utilité, ils seront soit détruit pour agrandir les pièces adjacentes, soit remplacés par un ascenseur. L’occupation des combles a ainsi beaucoup évolué. Comme nous venons de le voir, après avoir été réservés aux domestiques, puis recherchés par les familles plus aisées, ils sont dans les années 1970 à 1990 louées à bas prix, ou même squattées, par des travailleurs pauvres immigrés et depuis une quinzaine d’années, ces chambres sont rachetées par des marchands de sommeil, qui les aménagent en studettes meublées, louées à prix d’or à des étudiants ou à des travailleurs étrangers temporaires. La composition sociale de ces immeubles a donc fortement évoluée au fil des années, provoquant des chamboulements importants à l’intérieur de ces immeubles mais au final, la mixité recherchée au départ est toujours présente.
Exemple de studette étudiante
Ensuite, la disposition des pièces à l’intérieur des logements a aussi subi quelques modifications. Pour encore plus se protéger de la rue qui est aujourd’hui un espace moins valorisant, moins agréable, on a tendance à retourner les pièces, à mettre les espaces de vie côté cour et services côté rue. Cela implique parfois une restructuration complète de l’étage car les pièces côté cour n’étaient généralement pas destinées à des salons où salle à manger et n’avaient donc pas les surfaces adéquates pour ces usages. Et pour ne pas arranger les choses, l’appartement moderne étant scindé en deux entre jour et nuit, cela induit d’avoir plus de gaines techniques pour un confort plus grand (salle d’eau et cuisine). Avant on rassemblait les points d’eau au maximum, maintenant c’est moins une obligation. Mais toutes ces rénovations d’intérieur ne sont pas données à tout le monde. Cela dépend des moyens financiers des habitants, de leur statut d’occupation ou de leur âge. Les capacités, attitudes et besoins varient selon ces éléments. Pour ces gens-là, l’immeuble 14
II - Leur capacité d’adaptation à l’évolution des besoins
haussmannien peut avoir un avantage. Le charme de ces appartements réside dans ces pièces qui permettent des usages plus variés car elles ont toutes des surfaces à peu près identiques. Les salons sont petits par rapport aux chambres ou les chambres grandes par rapport aux salons, suivant de quel point de vue on se place. Les chambres à l’époque on ne sait pas trop ce que c’est, ça laisse beaucoup de possibilité (bureau, chambre à coucher, salon). Il n’est alors pas difficile des faire permuter ces différentes pièces et cela permet de garder l’emplacement des cloisons tel qu’elles étaient au départ.
Exemple de réhabilitation d’un immeuble haussmannien
Les immeubles Haussmanniens se sont donc adaptés au fil des années aux évolutions des besoins par le biais de restructurations internes allant parfois jusqu’à la démolition complète de tous les planchers, seule les façades étaient conservées. Mais il est aussi possible de réinvestir les pièces d’origine grâce à leurs surfaces permettant des usages variés. II.3. Les grands ensembles : Alors qu’au départ ils étaient porteurs d’une modernité et d’un confort sans précédents et permettaient à la classe ouvrière d’accéder aux modes de vie bourgeois, les grands ensembles subissent aujourd’hui de nombreuses critiques. En effet, les familles ont rapidement été conquises par les bonheurs liés au confort de leurs nouveaux logements, mais l’euphorie n’a pas duré très longtemps. Ce qui est pointé du doigt ne sont pas vraiment les logements eux-mêmes, car comme on l’a vu avec la cité des Courtillières, ils sont viables, plutôt bien hiérarchisés et avec des surfaces raisonnables. Les cellules types du T1 au T5, prises seules, répondent encore assez bien aux besoins des familles d’aujourd’hui. Ce qui pose problème c’est l’ensemble, la superposition, la multiplication de ces logements, dans des barres uniformes, homogènes et monotones. Les habitants ont l’impression d’être mis dans des cages, toute identiques et empilées les unes sur les autres. Ils disent s’ennuyer dans ces grands ensembles. 15
II - Leur capacité d’adaptation à l’évolution des besoins
Paris - Montparnasse
C’est d’autant plus vrai qu’au départ ils étaient construits loin des villes, sans transport en commun permettant de s’y rendre. Mais aujourd’hui, avec l’ère du péri-urbain, ils se retrouvent dans les zones intermédiaires des villes et généralement bien desservis par les métro, bus et tramway. En fait ils ne sont pas isolés physiquement mais socialement en raison d’un processus de ghettoïsation. Les familles stables se satisfont assez bien, dans un premier temps de ce nouvel habitat, mais les familles ascendantes vont le critiquer très vite. Elles n’ont qu’une envie : continuer leur ascension, pour elles les grands ensembles ne sont qu’une étape entre l’habitat vétuste et la maison individuelle. Seules les familles à bas revenus restent, le taux de chômage montent, l’ennui augmente et la délinquance avec. Quant à la monotonie des constructions, on essayera de tordre les barres, de les dessiner avec des angles ou des courbes comme à la cité des Courtillières, on fera des barres plus petites, moins hautes, mais elles resteront des barres, des unités conçues comme autonomes, coupées de l’urbain, sans arrière ni avant, isolées dans un no man’s land de verdure. Face à cela, le 21 mars 1973, une circulaire ministérielle signée par Olivier Guichard, ministre de l’Équipement, du Logement et des Transports, interdit toute construction d’ensembles de logements de plus de 500 unités. L’un des grands problèmes de ces grands ensembles vient aussi de leur manque de maintenance. Les immeubles qui n’étaient prévus que pour durer 45 ans se dégradent. Ils souffrent d’infiltration d’eau par les terrasses, façades ou huisseries de fenêtres, de mauvaise isolation, d’ascenseurs en mauvais états, de matériaux qui vieillissent mal et ne font l’objet d’aucunes réhabilitations. Les procédés de préfabrication de l’époque ont montrés leurs limites. Tout cela peut entraîner leur démolition si aucun programme n’est prévu pour les remettre en état. Aujourd’hui l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) a lancé un grand programme de réhabilitation des grands ensembles. Les premiers essais semblent concluant, mais étant donné le nombre de cités attendant d’être réhabilitées, l’opération risque de durer indéfiniment. De plus ces réhabilitations coûtent chères et les élus préfèrent souvent démolir les tours plutôt que de les remettre en état. Des opérations dites de requalification urbaine voient alors le jour consistant en des actions plus globales visant à transformer le cadre de vie des habitants et à modifier le mode d’organisation spatiale des quartiers. 16
II - Leur capacité d’adaptation à l’évolution des besoins
Exemple de renouvellement urbain d’un grand ensemble à Marseille
Les grands ensembles ont donc moins bien vécu les affres du temps. Malgré qu’ils aient permis d’enrayer une crise de logement sans précédent et d’offrir un confort inégalé aux classes populaires, ils n’ont pu suivre l’évolution des modes de vies. Leur salut ne peut alors passer que par des opérations de réhabilitation ou de requalification urbaine si l’on ne décide pas de leur démolition.
17
III - La réinterprétation de ces modèles
PARTIE III : LA REINTERPRETATION DE CES MODÈLES : Les trois modèles que nous venons d’étudier ont été réinterprétés par la suite dans des constructions neuves pour tenter de les reformuler et de les réadapter aux besoins actuels. Les exemples utilisés ont été choisis car ils ont des situations urbaines identiques aux modèles d’origine et sont destinés aux mêmes classes de populations. Dans ces réinterprétations nous verrons ce qui a été retenu, ajouté, supprimé ou modifié de la cité ouvrière de Mulhouse, de l’immeuble haussmannien ou des grands ensembles. III.1. La cité manifeste de Mulhouse - Lacaton et Vassal : La cité manifeste de Mulhouse est une opération de 61 logements HLM commandée par la Société Mulhousienne des Cités Ouvrières (SOMCO). Inaugurée en 2005, elle s’inscrit dans la continuité des travaux commencés par Emile Muller en 1853, à la fois du point de vue des innovations apportées au logement social, mais aussi au niveau spatial étant située en bordure de l’ancienne cité ouvrière. Le but de ce « manifeste » est de prouver qu’il est possible de réaliser un habitat proposant une qualité de vie supérieure à la moyenne dans un cadre économique ordinaire. L’écart entre ce que désirent les habitants et la production normalisé du logement social doit être réduit au minimum pour offrir aux locataires d’autres modes de vie, avec des possibilités diverses d’appropriation d’espaces internes et externes. L’objectif est donc le même qu’au temps des cités ouvrières, c’est-à-dire donner aux classes populaires un logement plus confortable que ce qui leur est proposé habituellement. Le projet a été confié à Jean Nouvel qui propose de se joindre à d’autres jeunes architectes pour le réaliser. Au total cinq équipes se verront attribuer un lot chacune, dont une composée de Anne Lacaton et Jean Philippe Vassal. Leur projet nous intéressera plus particulièrement.
Les deux architectes veulent introduire dans le logement social ce qui est normalement réservé à l’habitat privé, c’est-à-dire de grands espaces, plus lumineux et plus confortable tout en gardant un coût de construction raisonnable. Cela est possible grâce notamment à l’emploi de structures agricoles industrialisées. Ils utiliseront une serre horticole posée sur un soubassement en béton, recoupée en 12 travées pour 12 logements sur deux niveaux. On observe donc qu’au niveau de la morphologie, les habitations de la cité manifeste sont identiques aux maisons en bande des citées ouvrières. Collées les une à côté des autres et sur deux niveaux les habitations occupent de manière assez dense l’espace foncier. Elles permettent aussi aux habitants d’avoir quasiment leur chez-soi car ces logements sont presque assimilables à des logements individuels, il n’y a pas de voisin du dessous, ni de voisin du dessus, seulement sur les côtés. 18
III - La réinterprétation de ces modèles
Les surfaces des logements sont très généreuses, avec par exemple des T2 de 100m² et des T5 de 175m², ce qui est 40% supérieur aux logements HLM standard et 50% par rapport à ceux de la première cité ouvrière. L’esprit est celui du loft. Avec de grands espaces appropriables comme bon lui semble par l’habitant, ces logements proposent une nouvelle manière d’habiter. L’idée des architectes est que l’ampleur de l’espace préserve l’intimité, sans la nécessité de pièces fermées. La notion d’appropriation de l’espace fait alors son apparition. On se rappelle que la salle commune des logements ouvriers avait presque déjà cette particularité, mais comme elles étaient plus étroites, elles permettaient beaucoup moins d’avoir un espace d’intimité pour soi.
Ensuite, au rez-de-chaussée de chaque logement sont présents les garages et alternativement les espaces de jour et de nuit. Ainsi nous avons deux configurations possibles, soit des logements avec séjour au RDC et chambres à l’étage, soit l’inverse. Mais dans tous les cas, les espaces du RDC sont mis en relation avec les jardins et ceux de l’étage avec la serre. Les habitants ont donc un rapport à l’extérieur permanent quelque soit la pièce dans laquelle ils se trouvent. Ce rapport à l’extérieur qui était déjà présent avec un jardin pour chaque logement dans les cités ouvrières de Mulhouse est donc décuplé avec deux espaces extérieures à la fois en rez-de-chaussée et au premier étage. De plus, chacun des cinq projets devait proposer aux habitants une pièce complémentaire dont l’implantation et l’usage varie. Pour A. Lacaton et J-P. Vassal ce sont ces jardins d’hiver, de 6.40 de profondeur, plein Sud, qui prolonge l’espace intérieur des logements. De plus, les garages isolés et chauffés peuvent aussi éventuellement être aménagés en pièce de vie. L’innovation principale réside ici, dans cette fameuse pièce en plus, qui n’était pas présente dans les premiers logements ouvriers et qui est aujourd’hui une réelle valeur ajoutée à un logement avec une composition des ménages de plus en plus changeants qui nécessite parfois le retour d’un enfant après un divorce par exemple. 19
III - La réinterprétation de ces modèles
La cité manifeste de Mulhouse a donc su garder ce qui avait fait le succès des premières cités ouvrières avec notamment des habitations quasiment individuelles ayant des espaces extérieurs, tout en ajoutant plus d’espace permettant une meilleure appropriation des lieux. L’objectif de donner un confort supérieur aux classes ouvrières est là aussi atteint. III.2. L’Immeuble Rue des Suisses - Herzog et de Meuron : L’immeuble Rue des Suisses, a été réalisé en 2000 par les architectes Herzog et De Meuron. En plein centre-ville, le projet s’inscrit sur une parcelle de 150m de long et comporte trois bâtiments, deux sur rue et un en cœur d’îlot. Au total, 57 appartements PLI (logement intermédiaire) ont été aménagés dans ces immeubles. Celui qui nous intéressera plus particulièrement est le bâtiment donnant sur la rue des Suisses car ayant la même morphologie urbaine qu’un immeuble Haussmannien. Il est construit sur une parcelle entre deux bâtiments existants, fait six étages en plus du rez-de-chaussée et a une façade sur rue et une sur cour.
Tout d’abord, si l’on regarde le bâtiment de l’extérieur, nous observons un réel contraste entre la façade qu’il propose et celle d’un immeuble Haussmannien. Il n’y a plus de fenêtres identiques et disposées régulièrement le long d’un étage, mais un grand rideau métallique mouvant. Les architectes ont voulu jouer avec l’austérité des façades parisiennes leur conférant un certain anonymat, car des pièces aux usages différents ont des fenêtres identiques et ont plutôt proposés une façade vivante, que les habitants animeraient tout au long de la journée au gré de leurs envies. Au niveau de la composition des étages, les commerces au rez-de-chaussée ont disparus, laissant place à la loge du gardien côté rue et à deux autres logements côté cour. L’accès aux étages se fait de la même manière que dans l’immeuble haussmannien, une circulation verticale est au centre du bâtiment et les appartements sont distribués par des coursives intérieures. Ce qui diffère ici est le nombre d’appartement par étages. Dans l’immeuble Haussmannien il y avait un seul appartement par étage qui pouvait être très vaste, alors que dans le projet d’Herzog et de Meuron, nous avons cinq appartements par étages. Le fait est qu’aujourd’hui il est très difficile de construire un logement de 300m² en plein centre-ville. Avec la demande en logement actuelle, c’est plus rentable de faire construire plusieurs logements pour pouvoir loger plusieurs familles. De ce fait, sur les cinq appartements, seul le T3 est traversant comme l’été celui de l’immeuble Haussmannien. 20
III - La réinterprétation de ces modèles
Les autres, deux T1 et deux T2, sont mono orientés sur rue ou sur cour. Aucune différenciation n’est faite selon que les appartements se trouvent d’un côté où de l’autre, tant au niveau de la disposition des pièces que de la façade comme c’était le cas pour l’immeuble haussmannien. Cependant, l’enfilade est presque conservée pour les T2 où la salle à manger et deux chambres sont alignées sur la façade. Cela permet d’avoir une lumière naturelle pour chacune de ces pièces, la salle de bain et la cuisine étant en fond de logement dans les parties plus sombres. Pour finir, les pièces sont beaucoup plus hiérarchisées que dans l’immeuble Haussmannien, avec des surfaces correspondant à leur usage. L’immeuble Rue des Suisses a donc surtout gardé le gabarit des immeubles Haussmanniens, ainsi que leur dispositifs de circulations verticales et l’enfilade permettant aux pièces les plus importantes d’avoir une lumière naturelle. Les surfaces de logement sont revues à la baisse, mais les pièces sont mieux hiérarchisées. 21
III - La réinterprétation de ces modèles
III.3. Nemausus - Jean Nouvel : Nemausus est un ensemble de 114 logements sociaux construit par Jean Nouvel en 1987. Ces logements sont divisés en deux bâtiments de cinq étages chacun. Pour ce projet, le défi a été de donner plus d’espace à vivre aux habitants avec des logements plus beaux, plus grands, plus lumineux et tout cela pour un même coût de construction. L’architecte pense qu’ « un beau logement, c’est un grand logement ; une belle pièce, c’est une grande pièce ». Il était impératif pour lui de sortir des normes sociales de l’époque où un T3 devait faire 63m². C’est pour cela que la superficie des appartements de Nemausus est 30% à 40% supérieure à celle des HLM ordinaires, allant de 90m² à 160m². Les logements qu’il propose sont donc beaucoup plus grands que ceux proposé dans les grands ensembles. Alors que les six pièces ne dépassent pas 90m² dans les HLM traditionnels, les trois-quatre pièces de Nemausus frôlent plutôt les 110 m2.
Afin de donner le plus d’espace aux logements et de ne pas investir dans des couloirs difficiles à entretenir Jean Nouvel rejette les circulations verticales et horizontales à l’extérieur. L’accès aux appartements se fait par des coursives qui servent à la fois de circulation et de lieu d’échange. Ainsi elles ont une double utilité, c’est un espace convivial telle une rue de quartier où tous les habitants peuvent se rencontrer, se réunir, échanger et où les enfants peuvent jouer sans le beau soleil de Nîmes. Ce genre de dispositif architectural contraste donc fortement avec les circulations des grands ensembles qui sont le plus souvent au centre des bâtiments, sans lumière naturelle, mal entretenu et où aucune vie n’est possible. De plus tous les appartements sont traversants, donnant d’un côté sur cette coursive et de l’autre sur une terrasse, de même dimension. Ils peuvent être en simplex, duplex ou triplex. Les deux derniers assemblés l’un sur l’autre permettent notamment d’avoir seulement deux coursives pour cinq étages. En plus de donner de grandes surfaces, Jean Nouvel donne aussi de grands volumes, avec des hauteurs sous plafond atteignant trois étages dans les triplex et chaque séjour est en double hauteur. Les appartements ne font plus 2.50m sous plafond comme dans la plupart des grands ensembles. 22
III - La réinterprétation de ces modèles
Ensuite dix-sept typologies d’appartements différents sont présents, sur un même schéma de base : un grand espace qui se déploie autour d’un bloc central composé d’un placard, d’un escalier et d’une chaudière, avec les chambres sur les côtés ou audessus. La diversité des typologies permet à chaque appartement de se différencier par un aménagement spécifique. Chaque habitant vie donc dans un espace différent de celui de son voisin justement pour ne pas reproduire les cellules standardisée des grands ensembles empilées les unes sur les autres. Les logements sont conçus comme de grands espaces décloisonnés, où chacun peut venir s’y installer comme bon lui semble. C’est un appartement des possibles qui appel à l’imagination et à l’esprit créatif de ces habitants. Nouvel invente le loft, pour lui « un loft, ce n’est rien, et c’est parce que ce n’est rien que l’on peut y faire ce que l’on veut ». Concernant la disposition intérieure des pièces, nous entrons par la cuisine qui est presque considérée comme public car donnant sur la coursive et étant visible de l’extérieur. De l’autre côté du bloc central nous avons le salon en double hauteur donnant sur la terrasse pouvant servir de jardin ou de débarras. Les espaces extérieurs sont aussi un plus par rapport aux logements des grands ensemble qui n’ont que de petits balcons dans le meilleur de cas. Pour obtenir un prix de construction réduit, Jean Nouvel utilise des matériaux industriels détournés : bardage métallique, tôle perforée, portes de garage. Le budget du bâtiment a été en tout point contrôlé et rationalisé. L’ensemble de ces mesures entraîne une économie permettant d’offrir des logements plus spacieux pour le même coût de construction qu’une « barre » classique. 23
CONCLUSION : Pour conclure, nous avons vu que les modèles étudiés ont tous été conçus pour répondre à des besoins liés à leur époque, au contexte économique et social, aux idéologies alors en place ou encore aux classes de populations auxquelles ils étaient destinés. Mais face à l’évolution de la société et des modes de vies, chacun a eu un comportement différent. Les architectes ont su plus ou moins les réadaptés pour qu’ils puissent convenir à la réalité des besoins d’aujourd’hui. Il suffit parfois seulement de rajouter quelques cloisons, de mieux définir les espaces et le tour est joué. Mais ce n’est pas le cas pour tous, certains bâtiment nécessitent de lourdent réhabilitations et si on ne peut vraiment plus rien faire, ils sont détruits. Les réinterprétations de ces modèles montrent aussi comment les architectes ont tiré partis des erreurs du passé en proposant des bâtiments pouvant prendre en compte les futures évolutions de la société. Je pense que notre salut viendra de là. A l’avenir il faudra construire des bâtiments et plus particulièrement des logements avec l’idée qu’ils puissent évoluer dans le futur. Après faut-il créer des loft pour laisser une libre interprétation de l’espace à l’habitant, faut-il créer du rien pour que toutes les possibilités soient possible, je ne sais pas. Mais ce qui est sûr c’est que les sociétés n’arrêteront pas d’évoluer et que les logements devront suivre la cadence.
24
BIBLIOGRAPHIE : Livres : CARBONNIER, Youri.
Les premiers logements sociaux en France. Paris : Documentation Française, 2008. DEVILLERS, Christian.
Le Creusot, Naissance et développement d’une ville industrielle, 1782-1914. Seyssel : Champ Vallon, 1981. ELEB, Monique.
Architectures de la vie privée, XVIIe-XIXe siècles. Paris : Editions Hazan, 1999. ELEB, Monique.
L’apprentissage du « chez-soi ». Le groupe des Maisons Ouvrières. Cahors : Editions Parenthèses, 1994. ELEB, Monique.
Vu de l’intérieur, habiter un immeuble en île-de-France, 1945-2010. Paris : Archibooks, 2011. TOMAS, François.
Les grands ensembles, une histoire qui continue. Saint-Etienne : Université de Saint-Etienne, 2003. DVD : CANTALAPIEDRA, Sonia.
Emile Aillaud, un rêve et des hommes. Paris : L’Harmattan, 2010. RAMADE, Frédéric.
Ode pavillonnaire.
Paris : Atopic, 2006. Vidéos : http://www.dailymotion.com/video/xqb3pn_16-le-logement-ouvrier-de-l-utopie-a-larealite_creation#.UZAdkLXILwF http://www.dailymotion.com/video/xmtqrw_21-l-architecture-de-la-reconstruction-etdes-trente-glorieuses_creation#.UZAdl7XILwF http://www.dailymotion.com/video/xmssot_13-la-residence-de-villegiature-aux-xixe-etxxe-siecles_creation#.UZAdsLXILwF http://www.dailymotion.com/video/xl2w7t_23-le-logement-sous-toutes-ses-formes_ creation#.UZAdp7XILwF
25