Mémoire de Master : Transport for London

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UNIVERSITE DE LILLE INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES DE LILLE

Réinventer l’espace public par les transports : l’exemple londonien Cruells Renaud Mémoire de Master 1

Carrière Publiques

2009 - 2010 Sous la direction de : Emmanuel Brunet-Jailly Membres du jury: - Emmanuel Brunet-Jailly - Elly Harris (Soutenu le : 27 mai 2010 )



Réinventer l’espace public par les transports : l’exemple londonien

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Remerciements

Je tiens sincèrement à remercier toutes les personnes qui ont contribuées à la rédaction de ce mémoire. M. Brunet-Jailly, pour ses conseils et plus généralement pour l’ouverture au monde de l’urbanisme que m’a procuré son enseignement, vaste univers de questions à la fois contemporaines et ancestrales auxquelles je souhaite me consacrer dans les années à venir, M. Menerault, qui m’a aidé à orienter ma réflexion et à trouver un angle d’approche personnel pour me saisir de questions qui me préoccupaient de longue date, Mme Tilly pour sa contribution pleine d’enthousiasme à mes sources et qui a permis de clarifier mes connaissances sur le projet de Stratford, Enfin à mes parents qui m’ont assistés dans cette expérience difficile mais passionnante que fut la rédaction de ce mémoire. Je voudrais aussi remercier quelqu’un qui n’est pas directement intervenu dans la rédaction de ce mémoire (il y a même fait obstruction) en me poussant à me passionner pour des sujets aussi divers que fondamentaux tout au long de l’année ; M JB Decherf, qui a contribué à élargir mes horizons et à élever ma réflexion cette année. En guise d’hommage ce mémoire est dédié à Richard Sennett pour sa vision humaniste de la ville.

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Introduction La ville de Londres est actuellement le lieu de changements urbains considérables. L’obtention des Jeux Olympiques de 2012 est à ce titre une opportunité pour le développement de la ville. Comme cela a été révélé avec les JO de Barcelone (1992), l’ « Olympic bid » constitue une chance pour les villes en compétition afin de mettre en place des politiques urbaines ambitieuses. L’afflux de capitaux et l’aspect emblématique d’un tel évènement permettent ainsi de concrétiser des projets de longue date, mais aussi de réfléchir à de nouvelles perspectives. L’exemple des JO de Pékin est représentatif de ce que peut permettre ce genre de rencontre internationale : révéler au monde l’évolution d’un pays ainsi que lui ouvrir la voie du développement. Le Gouvernement métropolitain londonien, le Greater London Authority (GLA) a été instauré en 2000. Il découle de la volonté du gouvernement de Tony Blair de donner à la métropole londonienne les moyens de faire face aux enjeux contemporains liés à la mondialisation. C’est un véritable retournement de situation, puisque la métropole avait perdu son exécutif en 1986, avec la suppression du Greater London Council (GLC) par le gouvernement conservateur de Mme Thatcher. Le GLA est une structure démocratique, le maire de Londres est élu au suffrage universel direct. Après les deux mandats consécutifs de Ken Livingstone (déjà leader du GLC à l’époque), Boris Johnson a pris ses fonctions le 1er mai 2008 à la tête du GLA. Le remplacement de « Ken le rouge » par son adversaire conservateur a soulevé de nombreuses questions quant aux conséquences de ce changement de personnalité à la tête du GLA pour le développement de la ville. En effet en contrepartie de l’indépendance du Grand Londres et des pouvoirs conférés à son exécutif, le GLA doit rendre des comptes à Westminster. Le maire est chargé d’élaborer un schéma de mise en cohérence du développement de la ville à moyen et long termes. Ken Livingstone a posé la première pierre de ce processus en préparant son Masterplan, le London Plan, dont a hérité en 2008 Boris Johnson.

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Au niveau de la mégapole londonienne le maire ne peut plus se contenter d’une bonne gestion du patrimoine de la ville en parallèle de politiques partisanes. Les enjeux sont trop importants. Les fonctions du maire s’en voient modifiées. Son projet doit être global et durable. Ainsi la vision qu’il propose intègre des mesures politiques au service du développement à long terme de la ville. Afin d’assurer la crédibilité de son statut, il doit respecter le principe de cohérence temporelle1, s’inspirer et compléter le projet dont il hérite. Le changement de majorité ne remet donc pas en cause le London Plan, qui n’est d’ailleurs pas le seul produit de la vision du maire mais le fruit de la collaboration de l’ensemble des partenaires avec le GLA. C’est ainsi que la planification du développement de la métropole londonienne élaborée par le GLA se trouve en décalage avec les cycles politiques. De plus, la longue présence de Ken Livingstone à la tête de cette structure a assuré la stabilité nécessaire au GLA pour recueillir des informations sur les enjeux urbains londoniens. A terme, cela a permis d’enrichir la stratégie de mise en cohérence du développement en la basant sur des données fiables. Ainsi le programme du London Plan s’adresse avant tout à une ville, son développement, ses difficultés... Le but du document est de condenser l’ensemble de la connaissance rassemblée sur ce territoire afin de permettre d’apporter les réponses les plus adaptées à son évolution et d’accompagner ses mutations futures. Aussi son objectif principal semble de maintenir l’unité de la métropole et de préserver sa cohérence malgré d’inévitables transformations. Dans ce contexte le travail du maire est d’initier des politiques de projets, destinées à booster le développement de la ville, tout en les intégrant à une échelle plus globale, dans le schéma destiné à contenir le développement du territoire, limiter son expansion et le re-densifier. Le London Plan est une tentative de maitriser la croissance de la ville, c’est un outil du GLA pour jouer un rôle actif dans l’encadrement du développement du territoire. 1

Le principe de cohérence temporelle s’applique aux structures publiques, originellement à l’Etat et à sa politique monétaire. Partant du principe que les politiques monétaires ont essentiellement un impact ex ante sur la situation économique puisqu’elles s’appuient sur les réactions des agents Kydland et Prescott (1977) démontrent que l’Etat aurait, à court terme, intérêt à ne pas respecter ses promesses puisque la mise en place effective de celles-ci (effet ex post) rapporte beaucoup moins que l’effet ex ante. En partant de cette hypothèse Barro et Gordon (1983) analysent la capacité d’anticipations des agents (adaptatives et rationnelles) et montrent qu’à terme la triche (non réalisation des promesses) répétée suscite des phénomènes de défiance chez les agents à l’égard des annonces de l’Etat, ce qui annihile leur effet ex ante. Afin de se prévaloir contre ce jeu non coopératif qui conduit à l’inefficacité il faut que l’Etat rétablisse sa crédibilité. Pour cela il doit adopter le principe de cohérence temporelle, c'est-à-dire de continuité de son action : il doit respecter sa parole. On peut transférer ce raisonnement en matière de

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Le London Plan sera donc le fil directeur de notre étude car il permet de comprendre « The Mayor’s vision », la vision du maire, qui synthétise une analyse prospective à long terme et un projet politique de réorganisation de l’aire urbaine. Si cette vision politique est susceptible d’évoluer avec le temps, elle laisse des traces pérennes sur le territoire et marque physiquement les lieux de la ville. C’est cet aspect de son urbanisme qui nous intéressera. C’est pourquoi nous étudierons en particulier les évolutions des espaces publics et des infrastructures de transports qui permettent de matérialiser la « nouvelle ville » projetée dans le London Plan. Réciproquement celui-ci nous permettra de saisir les grandes orientations qui décident du nouveau dessin de la ville. Nous verrons que cette vision macroscopique du territoire métropolitain répond aux exigences de sa gestion politique, elle s’adresse à des enjeux globaux : politiques, économiques ou environnementaux. Toutefois cette conception moderne de la mégapole nous écarte du sens originel d’une ville destinée à des hommes. En observant les formes de la ville, il sera possible de comprendre les expériences sociales et individuelles qu’elle influence. Dans le cas de Londres deux études nous permettront de faire le lien entre ces deux conceptions. La stratégie de transport organise les flux humains dans la ville mais influence également la concentration de l’activité sociale et économique. Parallèlement les infrastructures et les espaces publics sont des points d’ancrage qui structurent la ville, ils sont également les lieux où se déroule la vie collective et se développe la vie individuelle. Réinventer l’espace public par les transports ? C’est le processus original dans lequel s’est engagé Londres avec le London Plan. Il est pourtant à l’œuvre dans toutes les métropoles mondiales puisqu’au fur et à mesure qu’elles grandissent la question des transports devient prééminente. La ville permettait originellement la concentration et le rapprochement des hommes générant de la richesse. Cette logique poussée aujourd’hui à son paroxysme a contribué au processus inverse : créer des villes tellement complexes qu’elles séparent et atomisent les individus. Ce ne sont désormais plus les villes mais leurs différents centres, souvent éparpillés sur le territoire métropolitain, qui rassemblent les hommes et maintiennent difficilement un espace public dans la ville moderne. Comment repenser l’unité de cet espace public ? politiques monétaires aux politiques urbaines et appliquer le raisonnement du découplage des cycles électoraux et des cycles politiques au fonctionnement du London Plan.

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C’est surement à travers sa politique de transport que la puissance publique dispose des moyens nécessaires pour remodeler et créer des lieux d’échanges interpersonnels. Nous verrons ici qu’avec une stratégie de transports ambitieuse Londres est à la fois capable de structurer son territoire et d’aménager son domaine public pour relever le défi et construire un nouveau type d’espace public adapté à la modernité. * Le London Plan permet de répondre aux enjeux auxquels doit faire face la ville. Le premier d’entre eux est sans doute l’intégration de nouvelles populations (Londres s’apprête à accueillir plus de 500,000 nouveaux habitants d’ici à 20152) ce qui signifie autant de logements dans une ville déjà aux prises aux problèmes du prix de l’immobilier. Mais la question des transports dans une ville de plusieurs millions d’habitants et à la morphologie moins dense que d’autres mégapoles (Paris, New York) est aussi préoccupant. Il s’agit de permettre à tous une grande mobilité sur l’ensemble du territoire urbain tout en assurant que ce trafic soit fluide. Pour réaliser ce but un des impératifs est notamment la mise en place et l’encadrement d’un réseau de transports en commun extrêmement développé, efficace et fiable. C’est le deuxième enjeu du gouvernement métropolitain de Londres qui en a fait un des axes majeurs de son guide de propositions pour le développement à long terme de la mégalopole. Transport for London (TfL) décrit la stratégie de développement du réseau de transport élaborée par le maire dans le cadre du London plan, la MTS (Mayor’s Transport Strategy). Ces deux axes majeurs de la politique urbaine londonienne sont chapeautés par un troisième impératif également extrêmement ambitieux : la prise en compte de l’impact écologique du développement de la ville. L’intégration des deux politiques précédentes dans un cadre restreint par ce dernier a de nombreuses conséquences. C’est aussi ce qui renforce l’intérêt de notre objet de recherche. Dans le contexte de la ville post-Kyoto, le développement des villes mondiales représente un enjeu à différents niveaux, du local au mondial. Les villes-mondes sont imbriquées dans des réseaux régionaux, transfrontaliers et internationaux. C’est pourquoi les flux

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financiers, migratoires et les enjeux écologiques ont des implications plus concrètes pour les « villes globales »3 que pour les Etats. Réciproquement ce sont elles qui peuvent influencer ces phénomènes. Londres occupe une place centrale dans ce tableau puisqu’elle est l’une des premières villes de rang international à avoir dû se développer rapidement afin de s’adapter aux changements introduits par la révolution industrielle4. Le fait qu’elle soit dotée d’un organe décisionnel puissant et hiérarchisé confirme sa place de leader. C’est sans aucun doute un avantage pour pouvoir réagir efficacement à ces enjeux économiques, sociaux, écologiques et humains. Nous commencerons donc cette étude par présenter la particularité du cas londonien au sein du réseau complexe et de plus en plus développé des métropoles mondiales. Et de montrer qu’afin de donner des réponses cohérentes aux enjeux du troisième millénaire cette ville globale ne peut rester passive ou simplement se contenter de politiques d’ajustement. Le renouveau urbain exigé par l’ère de l’urbain5 n’est pas une révolution mais une adaptation, une mutation du territoire métropolitain à son environnement globalisé. A travers notre étude, nous nous proposerons d’analyser quelques une des solutions qui ont été choisies pour proposer des réponses et initier de véritables changements structurels et fonctionnels dans la logique métropolitaine. La ville de Londres accueillera les prochains Jeux Olympiques de 2012. Il est primordial de rappeler que l’attribution des jeux par le Comité International Olympique (CIO) relève d’un choix minutieux entre les villes candidates. Le choix de Beijing en 2008 correspondait à la volonté d’attester la croissance et le développement extrêmement rapide de la Chine et devait lui permettre d’entrer avec majesté dans la sphère des grandes puissances mondiales. La sélection par le CIO 2

London Plan, The Mayor’s Foreworld ; BURDETT Ricky, The capital sububia, Issues BURDETT p.142 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 3 SASSEN S. The Global City: New York, London, Tokyo (1991) 4 Selon Nicky Gravon, adjointe au maire à la mairie de Londres sous la direction de Ken Livingstone: “In the nineteeth century, London piloted the concept of the industrial megacity and spread it worldwide. We therefore have a special responsability in the twenty-first century to test drive the corollary concept of the sustainable worldcity.” In GRAVON Nicky, Towards a carbon neutral London, Issues GRAVON, p.372 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 5 Le concept d’Urban Age rassemble des chercheurs et des urbanistes de tous les pays afin de saisir les enjeux adressés aux villes contemporaines, voir URBAN AGE PROJECT, BURDETT Ricky, SUDJIC

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représentait également pour la ville une opportunité inédite de développement. Dans le cas de Londres toutefois la situation est sensiblement différente. Première capitale mondiale de convergences des flux financiers mondiaux6, centre économique du continent européen, partenaire autant que rivale de la capitale économique américaine (New York), pôle d’attractivité culturelle et migratoire pour une grande partie de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique et ville la plus peuplée d’Europe depuis plus de deux siècles7, Londres a déjà acquis son statut au cœur du réseau des villes mondiales. L’enjeu des Jeux Olympiques de 2012 est donc à chercher ailleurs. Si elle a réussi à se distinguer de ses voisines c’est parce que les conditions sont réunies sur l’espace Londonien pour y initier des changements structurels : investir considérablement sur le territoire et réinventer l’espace urbain de la mégapole de demain. C’est d’ailleurs l’objectif du gouvernement métropolitain ne cache pas ses ambitions8. Londres est un laboratoire urbain dont les expériences serviront de tests pour ses successeurs. La volonté de créer un espace urbain cohérent, moins inégalitaire, plus responsable et durable est au cœur du projet de planification stratégique métropolitaine. La réalisation de cet objectif à moyen terme dépend de l’utilisation qui sera faite des transports pour organiser le développement de la ville. C’est dans ce cadre que s’insère de manière opportune l’attribution des Jeux. Elle permet de justifier des investissements importants dans les infrastructures de transport, à la fois pour recevoir une rencontre à l’échelle internationale et pour stimuler le territoire et désenclaver des zones en difficultés. L’implantation du site olympique à Stratford va engendrer un remaniement urbain grâce à l’aménagement de nouveaux espaces publics destinés à des centaines de milliers de touristes. Il constitue un élément central pour le dynamisme de la ville, ce qui en fait une priorité dans la stratégie d’organisation du développement. Le site se trouve au cœur de la politique de redéploiement du réseau de transport vers l’Est. Ce choix pour l’implantation du site est à remettre dans l’optique d’une stratégie de développement spatial élaborée en Deyan, The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 6 Voir le classement des villes Globales du GaWC et le classement Mastercard de la City 7 7,56 millions d’habitants en 2007, sources London Plan, Context and Strategy, Chapitre 1,6 8 Dans la dernière version du London Plan présentée au Public pour être amendée (octobre 2009), Boris Johnson fait part aux londoniens de son projet pour Londres et de son espoir d’en faire « The best Big city on Earth ».

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amont et destinée à répartir plus équitablement la croissance londonienne : elle doit permettre le développement de la zone à l’Est de la ville le long du Thames Gateway. La localisation du site olympique est déterminante afin d’influencer l’organisation métropolitaine. Les mégastructures vont créer de nouveaux centres métropolitains solides bien connectés en entre eux et au reste de la ville. Les aménagements sportifs, en matière de logement, ou ceux relatifs aux infrastructures de transportsreprésentent des investissements publics extrêmement coûteux pour la ville même s’ils sont cofinancés par le CIO, mais ils permettront à leur tour d’attirer des investissements privés et de générer de la croissance économique. C’est ainsi que le GLA a intégré les Jeux dans la stratégie du London Plan et qu’il s’en sert de catalyseur pour structurer le développement futur de la ville. Cependant les mégastructures s’insèrent localement dans une matrice urbaine et contribuent à créer de nouveaux espaces de vie. Le potentiel d’appropriation de ces lieux par les citoyens après les Jeux dépend essentiellement de la forme de ces espaces publics. La politique urbaine londonienne s’efforce d’aménager son espace métropolitain de manière efficace et cohérente. Pourtant il est important de rappeler que se sont les occupants et les usagers qui seront amenés à s’approprier cet espace. Ce sont les citoyens qui vont participer à construire et à faire vivre et évoluer ces lieux publics. Comme le rappelle Richard Sennett dans son ouvre La conscience de l’œil (1990), un urbanisme innovant ne signifie pas créer un système clos (Brittle City9), complètement maitrisé et proche de la perfection (« sublime » pour reprendre ses termes). Au contraire les enjeux de la métropole du futur seront plus faciles à appréhender sur un espace urbain « flexible » et « évolutif » destiné à la vie sociale. L’objet de ce mémoire est une réflexion sur la mutation de l’espace public dans une métropole globale décidée à maitriser son développement. Nous verrons que dans le cas de Londres la stratégie de développement urbain s’organise autour d’une vision pragmatique de l’espace urbain, au service de la croissance de la ville (1). Nous pourrons ensuite approfondir l’analyse et montrer que l’articulation multimodale des réseaux de transports constitue la colonne vertébrale structurant les développements futurs et la forme de la mégapole londonienne (2). Enfin nous nous 9

SENNETT Richard, The open city, Issues SENNETT, p.290 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007

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interrogerons sur la mutation physique des lieux publics de la ville engendrée par la stratégie de développement spatial et sur leurs conséquences sur la vie des habitants (3). Nous verrons que la réalisation du projet de rénovation du quartier de New Ham à Stratford City est l’élément moteur de ces phénomènes. Tous semblent y converger à l’horizon 2012 pour accueillir les Jeux. Il est vrai que le site représente un espace unique d’expérimentation pour la métropole. L’enjeu symbolique de la rencontre ne doit pourtant pas cacher une question beaucoup plus profonde : celle de l’héritage urbain que va laisser cet évènement derrière lui. Le site qui s’étale sur une superficie immense (270 hectares) et dont les friches industrielles ont été réaménagées pour l’occasion constitue quasiment un espace créé ex nihilo. Saura-t-il s’adapter à une redéfinition radicale de ses fonctions après les Jeux ? L’urbanisme comme phénomène social montre qu’il devra pour cela réussir à susciter un attachement durable aux lieux. Seul l’avenir nous dira si la planification à long terme du London Plan portera ses fruits. Quoiqu’il en soit les infrastructures de transport devraient faciliter son intégration dans le tissu urbain et permettre le désenclavement de certaines zones défavorisées dans cette région de la métropole.

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I. Maîtriser la ville : une problématique contemporaine ? En 2004, partant du constat qu’en 2007 plus de la moitié de la population mondiale vivrait dans des villes, le programme Cities de la London School of Economics a créé l’Urban Age Project. Le projet rassemble des maires de métropoles européennes et nord américaines, des chercheurs, et des urbanistes pour réfléchir aux conséquences du « phénomène de l’urbain » sur la ville et sur la vie dans la ville, liés à la mondialisation, à l’immigration, à l’économie, au social ou encore à l’écologie et à la qualité de vie. Leurs études sont rassemblées dans un ouvrage publié en 2007, The Endless City (Phaidon). Les intervenants s’expriment sur les évolutions constatées dans 6 métropoles mondiales, dont trois représentant les enjeux urbains dans les pays développés (New York, Londres et Berlin), trois autres (Mumbai, Shanghai et Johannesburg) ceux dans les pays en développement. L’Urban Age considère que la vie dans les grandes métropoles va devenir la nouvelle forme suivant laquelle va s’organiser la vie en société dans les siècles à venir. Ces contributeurs s’appuient notamment sur les travaux de Saskia Sassen10 et de Manuel Castells11 ainsi que ceux du Livre Vert de la Commission Européenne (1990) et du Sommet de la Terre de Rio voulant initier une réflexion sur l’habitat urbain dans le contexte de la postmodernité12. Ainsi les contributions à cette réflexion participent à repenser la ville afin de la rendre plus durable et qu’elle réponde aux attentes et aux besoins de ses habitants dans le contexte de la mondialisation, des flux de capitaux et des nouvelles technologies de l’information et de la communication. 10

SASSEN Sassen, The Global City New York, London, Tokyo (1991), 1991 CASTELLS Manuel, L’ère de l’information, la société en réseau, Fayard 1998 12 Le concept de postmodenité (Léotard) est une doctrine sociologique tendant à expliquer les nouveaux phénomènes sociaux, psychiques et psychologiques des individus en les rattachant aux enjeux d’une époque. La postmodernité s’oppose aux cadres traditionnels de la modernité : culte du progrès, ère des idéologies… Le sens de la postmodernité ne se réduit pas à une étude comportementales des individus mais permet de se référer au nouveau contexte dans lequel s’organise la vie en société, mondialisation, diversité, nouvelles techniques de communications, société de la consommation, prise de conscience écologique, individualisme… 11

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A. Les nouveaux enjeux de l’ère de l’Urbain

Selon Nicky Gavron, ancienne collaboratrice au sein de l’autorité du Grand Londres aux côtés de Ken Livingston dans les années 2000, il est déterminant d’anticiper le développement de la ville pour que la croissance urbaine devienne soutenable pour l’environnement. Compris de cette manière le développement durable appliqué aux villes est un développement contrôlé et maîtrisé par les gouvernements métropolitains.

Cities and urban areas are the main cause of climate change (...) Cities cover about 2 per cent of the Earth’s surface but account for around 75 per cent of world’s energy demand and produce 80 per cent of CO² emission caused by human activity.(...) So cities have a responsability for climate change, the motivation to do something about it but they also have huge opportunities. Globally municipal authorities regulate and manage land use and transport systems (...) municipal governments can promote local initiatives, motivate and build community consensus and lead by example.13

Comme le soulève N. Gavron dans cet article publié dans the Endless City, les villes sont lourdement impliquées dans les phénomènes de changements climatiques. Ces points localisés sur la carte sont des lieux d’une intense activité humaine, qui, avec les transports, la production d’énergie et la production industrielle transforment l’environnement terrestre. Les gouvernements métropolitains détiennent les moyens de

s’attaquer

aux

problèmes

transnationaux :

dérèglement

climatique,

délocalisations, immigration, chômage, pauvreté, délinquance, exclusion… Parce qu’ils agissent sur un territoire urbain délimité ils peuvent même être plus efficaces que les Etats. 13

GRAVON Nicky, Toward a carbon neutral London, The Endless city, Urban Age Project, LSE & Deutsche Bank’s Alfred Herrhausen Society

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Elle explique également que Londres est un exemple édifiant de cette nouvelle tendance. Alors qu’elle fut au XIXe siècle, la première ville-monde de l’ère industrielle, Londres est aujourd’hui dans une position privilégiée pour s’attaquer aux enjeux du XXIe siècle et peut servir de « laboratoire urbain » pour le concept d’une « ville mondiale responsable ». Avec la création en 2000 du GLA (Great London Authority), un gouvernement métropolitain puissant et volontariste, la maîtrise du développement urbain semble désormais possible. C’est l’objet du London Plan, un programme qui définit la stratégie spatiale de développement à long terme (20 ans) pour la métropole. Ainsi nous verrons dans ce chapitre que dans le contexte de l’Urban Age, les phénomènes urbains impliquent pour les autorités métropolitaines un nouveau modèle de gestion et de planification tendant à contrôler le développement de la ville afin de le rendre soutenable. Les propos de Mme Gavron ayant stimulé notre curiosité, nous nous pencherons sur l’exemple de Londres pour voir comment une des villes les plus développées au monde s’attelle à ces nouveaux enjeux. A cette occasion il semble que le London Plan, par son ambition et sa précision, permette d’y répondre. Qu’est ce que le London Plan et permettra-t-il de maîtriser le développement de la ville ? Le London Plan s’adresse à toutes les problématiques qui touchent au développement de Londres. Cette notion regroupe à la fois l’idée de croissance économique et l’attractivité financière, la lutte contre l’exclusion sociale, l’amélioration de la qualité de vie ou de l’empreinte écologique de la ville… C’est un schéma global de mise en cohérence des politiques de la ville afin de la rendre plus durable. Il se traduit par des propositions donnant lieu à des mesures politiques (législatives et fiscales) et se matérialise sur le domaine public de l’espace métropolitain par la réalisation concrète de projets urbains. Nous verrons que la stratégie de transport (The Mayor Transport Startegy) possède une place déterminante dans le London Plan puisque l’intervention sur l’espace physique de la ville doit structurer son développement futur.

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1)

Les enjeux globaux de l’urbanisme moderne Les enjeux qui concernent les gouvernements urbains se confondent

aujourd’hui avec des problématiques qui dépassent largement leur territoire. La mondialisation, les flux de marchandises, de capitaux, l’immigration –légale ou illégale, l’exclusion sociale, la culture, et bien d’autres phénomènes s’entremêlent sur l’espace complexe de la ville. Ces enjeux internationaux ne relèvent pourtant pas tous des compétences de pouvoir exécutif municipal. Les Etats, quand ils n’initient pas eux-mêmes des politiques de la ville destinées à s’emparer de ces problèmes, s’arrogent généralement un droit de regard considérable sur les politiques métropolitaines des exécutifs locaux.

Ainsi les gouvernements métropolitains sont rarement indépendants. Les limites de leur autorité sont à prendre en compte pour étudier les marges de manœuvre et les outils dont ils disposent pour répondre aux enjeux urbains. Gerald Frug14 liste quatre domaines qui influent sur les enjeux métropolitains : le découpage territorial qui fixe les frontières de la ville au sein de son aire métropolitaine, la façon dont la ville est un vecteur pour la mise en place de politiques nationales, les conséquences du statut de ville globale sur les choix métropolitains et enfin l’impact de la libéralisation et de la privatisation sur la planification urbaine.

14

Designing governement,Gerald Frug in the Endless city, Urban Age Proejct

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a) Les enjeux politiques de la gouvernance Les limites de la métropole Les limites administratives de la Greater London Authority s’étendent aujourd’hui sur plus de 1600 km². Londres pèse d’un poids économique et démographique démesuré sur la région du Sud Est de l’Angleterre et même sur l’ensemble du pays. On imagine aisément que la croissance infinie de cette aire urbaine -si elle ne devait pas être limitée et contrôlée- engloberait rapidement la majeure partie du territoire est attirerait vers elle la quasi-totalité des forces actives du pays. C’est pourquoi un des objectifs prioritaires établi dans le London Plan (2001) est la limitation de l’expansion territoriale de la ville dans les limites de la ceinture verte établie par P. Abercrombie en 1943. Cette contrainte autant politique qu’écologique entraine des conséquences importantes sur la morphologie de la ville. Alors que Londres a longtemps été considérée comme une métropole au tissu urbain relâché, les nouvelles limites physiques imposées à son développement devraient entrainer une processus densification dans les années à venir. A ce titre les stratégies de mise en cohérence des transports au niveau régional entre les villes limitrophes et les autres centres économiques du pays constituent une importante initiative pour devancer, réguler et contenir l’expansion de la ville. Le projet de Crossrail par exemple illustre bien ce déséquilibre puisqu’il est financé en grande partie par le gouvernement au motif qu’il doit permettre une meilleure connexion des régions de l’extrême Sud Est à la capitale alors qu’il bénéficiera principalement aux londoniens. Un autre projet : la Porte de la Tamise qui prévoit le développement du territoire métropolitain jusqu’à l’estuaire de la Tamise révèle l’appétit insatiable de Londres pour de nouveaux espaces.

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Organisation interne du gouvernement métropolitain Selon Gerald Frug15 la bonne structure organisationnelle d’une métropole s’évalue au niveau de l’harmonisation des politiques lorsque l’on change d’échelle : de l’arrondissement à la ville, de la ville à la région…

La gouvernance de la

métropole londonienne répond à cet impératif. Au sein du GLA le système de gouvernance qui a été choisi se rapproche du modèle de gestion européenne incarné par le principe de subsidiarité. Les grandes orientations sont élaborées au plus haut niveau, mais la mise en place sur le terrain est confiée à l’organisme le plus compétent. Le GLA est chargé de gérer l’évolution à long terme de l’espace métropolitain et doit présenter au parlement une stratégie de développement spatial. Pour répondre à ses objectifs il dispose de la majorité des pouvoirs en matière de planification (London Development Agency) et de transports (Transport for London). Toutefois le GLA ne dispose pas du pouvoir de s’immiscer dans les affaires des arrondissements ce qui leur garantit une indépendance dans la gestion des politiques urbaines. Ainsi toujours selon Frug : « London is illustrative of the power of neighbourhood governments ». Compte tenu de l’étendue de l’espace métropolitain, GLA doit néanmoins s’assurer de l’articulation harmonieuse des politiques à différentes échelles. Les 33 arrondissements (32 boroughs et la City) sont associés au pouvoir décisionnel mais ils ne sont pas directement représentés au sein de la London Assembly. Les membres de cette institution sont simplement élus par des districts regroupant plusieurs boroughs. C’est donc le maire qui détient la majorité du pouvoir métropolitain en matière de planification. On retrouve dans les propositions et les politiques du London Plan, la formule significative « le Mayor will and boroughs and other stakeholders should… » qui enjoint les arrondissements à se conformer à la ligne directrice initiée par le maire. Toutefois il est vrai que les arrondissements londoniens jouissent d’une grande liberté d’administration en ce qui concerne les politiques de la ville et la distribution des services urbains autres que les transports. Dans l’ensemble ces structures s’avèrent complémentaires. Pour s’assurer 15

idem

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de la cohérence des projets et de la réalisation des grandes orientations, le GLA travaille en étroite collaboration avec les arrondissements londoniens. Il fournit notamment un important service d’encadrement pour aider à la mise en place des schémas directeurs en matière de transport, de design et d’utilisation de l’espace et il informe constamment les arrondissements des nouvelles mesures prises par le maire. Il résulte une bonne négociation entre les différents organes exécutifs. Le pendant de cette organisation régionale est la mise en place d’un fonctionnement démocratique local. Dans sa forme actuelle le GLA accorde une place non négligeable à la participation des citoyens dans la co-définition des politiques touchant directement leurs intérêts. Afin d’assurer une bonne administration métropolitaine le maire se plie au principe de transparence. Il fournit un effort significatif pour faire connaître à l’avance les mesures prises au sein du GLA avant qu’elles ne soient mises en place. Les habitants sont invités à participer au processus de codécision puisqu’ils peuvent s’exprimer entre chaque révision du London Plan et des autres textes de planification stratégique (MTS). Après la publication du projet de révision, ces derniers disposent d’un délai de 6 mois pour s’exprimer sur le texte. Toutes les propositions sont adressées au GLA qui est ensuite chargé d’élaborer la version finale du texte avant qu’elle ne soit entérinée par le maire.

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b) Les enjeux économiques Dans le contexte de la mondialisation et avec la libéralisation des marchés, les capitaux jouissent d’une mobilité presque parfaite et peuvent facilement quitter leur pays d’origine pour des placements financiers plus avantageux. Les mouvements de capitaux sont très sensibles aux taux d’intérêts fixés par des politiques monétaires étatiques (ou supra-étatiques) mais également aux aménités des centres de l’économie mondiale. C’est pourquoi la connectivité d’une métropole et son intégration dans le réseau des échanges mondiaux est un facteur déterminant de son attractivité économique et financière. Ainsi le degré d’intégration de la métropole dans le réseau mondial détermine sa position et son pouvoir sur les autres métropoles.

Londres domine ce réseau. Selon la définition de Saskia Sassen16 c’est une ville globale. C'est-à-dire un « centre de commandement » pour l’économie mondiale et un lieu particulièrement attractif pour l’établissement des entreprises de services et pour les sièges sociaux des compagnies multinationales. Toutefois comme on l’a vu ce statut est très sensible à la conjoncture. Afin de le conserver la métropole doit faire face à une concurrence importante de la part des autres villes mondiales ce qui a des conséquences sur les choix politiques du gouvernement métropolitain qui ne peut pas se permettre de perdre sa position dominante et de voir disparaître les capitaux qui alimentent sa croissance. Frug s’interroge sur les conséquences de cette dépendance métropolitaine au système économique et à la mobilité de capitaux qui n’ont par définition aucune loyauté territoriale. Selon lui l’influence déterminante que représentent ces intérêts sur les décisions métropolitaines est directement visible à travers la politique d’aménagement du territoire. Enrique Penalosa17 soutient l’idée qu’l est possible de constater à partir des inégalités d’aménagements urbains quels aspects de la ville sont favorisés par le gouvernent métropolitain.

- 20


En effet les flux financiers sont paradoxaux, ils circulent indifféremment à travers le monde mais ils convergent invariablement vers des points d’ancrages extrêmement bien délimités géographiquement (les bourses mondiales, Central Business District…). Les quartiers d’affaires matérialisent la concentration d’aménités et rendent visible le besoin démesuré de connectivité au reste du monde que nécessite l’économie mondiale. A Londres, le quartier de la City et le quartier d’affaire de Canary Wharf symbolisent l’hyperconcentration des services au cœur de la ville. Ils sont les points de convergences des flux financiers et de télécommunication mais également des réseaux de transports mis en place par le gouvernement métropolitain (métro, DLR, trains, projet Crossrail…).

16 17

The Global City : New York, London, Tokyo, 1991 Enrique Penalosa, Politics, power, cities, The Endless city, Urban Age Project (2007) p.307

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2)

Et leurs implications

L’organisation des infrastructures de transports autour de « centres métropolitains » est significative de la hiérarchie des espaces et des priorités de développements qui guident les politiques urbaines. Elle inscrit sur le territoire une hiérarchie des valeurs. Nous allons voir que pour certains auteurs cette organisation physique de la ville traduit une vision normative de la ville puisqu’elle favorise certains groupes ou certains types d’activités.

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a) Le diktat économique L’orientation des politiques urbaines n’est pas inféodée à la mondialisation. Il n’y a pas de forces qui contraindraient les gouvernements métropolitains à prendre des décisions qu’ils ne désireraient pas. Gerald Frug18 montre au contraire que les gouvernements métropolitains, conscients de leur dépendance financière envers les partenaires privés, s’investissent volontairement dans la concurrence mondiale pour l’attractivité. C’est pourquoi toutes les décisions en matière d’urbanisme sont prises en considération des retombées économiques qu’elles pourraient générées. Pour arriver à mieux définir ces conséquences et répondre aux enjeux de développement induit par la mondialisation, les gouvernements métropolitains ont besoin de spécialistes et d’expertises. Les partenariats public-privés sont importants dans cette stratégie mais se déclinent sous des formes très différentes suivant les pays. A Shanghai on les retrouve sous une forme inédite puisque la totalité du territoire urbain appartient au gouvernement métropolitain. Mais partout ailleurs, les villes globales sont soumises aux règles du libéralisme et elles sont tributaires des comportements des investisseurs privés. Ainsi à Londres l’entreprise publique chargée d’encadrer le développement du centre d’affaire de Canary Wharf a été rachetée en 1995 par un consortium international d’investisseurs privés et Canary Wharf Group est aujourd’hui une entreprise listée au London Stock Exchange. Désormais les acteurs économiques peuvent donc décider librement de l’utilisation de cette portion congrue de l’espace métropolitain londonien. De manière générale la mondialisation encourage la privatisation et ce phénomène s’impose également aux villes elles-mêmes. Les gouvernements métropolitains créent des organismes semi-publics pour attirer de nouveaux partenaires et des capitaux et organiser le développement économique du territoire, cependant le contrôle de ces entités leur échappe parfois. Dans les années 2000, Ken Livingstone s’est considérablement appuyé sur l’agence d’architecture et d’urbanisme dirigée par Richard Rogers (A+UU) pour élaborer son projet de rénovation urbaine « 100 public spaces ». Cette entreprise créée en 2001 fournissait 18

Ibid

- 23


au GLA un soutien technique sur les questions de design et d’architecture. En 2007 A+UU a été remplacée par Design for London. Alors que DfL était une entreprise totalement privée, elle bénéficiait toujours de sa position privilégiée aux côtés du GLA pour élaborer le design des projets de développement de la capitale financés par le GLA. Ce n’est qu’en 2008 que DfL fut absorbée par la London Development Agency (organe public) et mise sous le contrôle de son directeur Peter Bishop. Depuis 2008 LDA a repris en main la totalité des fonctions de conception et de planification pour les projets de développement dans le cadre du London Plan. Ces exemples révèlent l’influence de l’arbitraire économique et le contrôle limité des gouvernements métropolitains sur leurs projets d’urbanisme. Ils illustrent aussi la complexité de gestion de l’organisation métropolitaine qui tend à favoriser l’influence des investisseurs privés et des acteurs économiques sur le processus d’élaboration des projets urbains.

- 24


b) L’enjeu de la répartition des ressources Les gouvernements métropolitains disposent de ressources limitées. Ils doivent donc opérer des choix entre les différentes perspectives de développement qui s’offrent à eux, Penalosa19 parle d’un arbitrage nécessaire de la part des gouvernements métropolitains qui doivent soit favoriser le développement et lutter contre l’exclusion sociale dans certaines zones, soit encourager la croissance de quartier déjà prospères. Nous allons voir comment se matérialise sur le territoire une politique d’aménagement favorable à l’attractivité économique. Afin de préserver son statut de ville global la métropole doit se doter d’un certain nombre d’aménités. Ces services ne sont pas destinés à faciliter la gestion des flux internationaux mais sont des mesures de confort orientés vers des individus qui sont en charge du pouvoir décisionnel. Les aménagements urbains s’adressent donc à une élite composée de traders, de banquiers, de chef d’entreprises, d’artistes et de scientifiques ... qui sont supposés attirer indirectement avec eux la créativité, la connaissance ainsi que les capitaux et les investissements20. Les exigences de ces classes en matière de services, de connectivité et de qualité de vie sont très élevées. Ces individus sont également très mobiles et n’hésitent pas à aller s’installer là où leur sont proposées les meilleures offres en matière de services urbains. Les décideurs urbains qui ont choisi de privilégier l’intégration de leur ville dans le réseau économique de la mondialisation doivent donc accepter la création de quartiers résidentiels protégés, de galeries marchandes huppées. Dans les pôles de concentration de richesse et autour des centres culturels et économiques, une forte pression s’exerce sur les pouvoirs publics pour que des dépenses soient engagées pour améliorer l’espace public dans ces zones (qualité des matériaux qui constituent le revêtement urbain, services de sécurité renforcés, paysagisme, mobilier urbain de qualité, œuvres d’art). Tous ces investissements coûteux entrent en concurrence avec des objectifs de répartition des finances publiques plus égalitaires. Ils sont engagés au détriment de besoins autrement plus urgents ailleurs dans la ville dans les zones plus défavorisées. 19 20

Enrique Penalosa, Politics, power, cities, The Endless city, Urban Age Project (2007) p.307 Politics, power, cities, Enrique Penasola, in the Endless city, Urban Age Proejct

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De plus comme le remarque Guido Martinotti les bénéficiaires de ces nouveaux services ne sont pas nécessairement les citoyens de la ville, mais des habitants ponctuels d’une grande mobilité internationale, sans appartenance fixe. Il en découle une interrogation quand à la légitimité de ces résidents de passage à bénéficier services urbains qu’ils ne participent pas toujours à financer. Ainsi les mesures prises par les gouvernements en vue de soutenir leur attractivité en temps que villes globales s’avèrent souvent coûteuses alors qu’elles ne s’adressent qu’à une petite partie des utilisateurs de la ville. Il y a là un problème d’égalité dans la répartition des ressources dont disposent les gouvernements urbains et une polémique pour savoir vers qui ils doivent être prioritairement répartis. Pour ces derniers il n’est raisonnablement pas question de négliger les activités et les populations productrices de richesse qui assurent à la ville globale des avantages comparatifs au niveau mondial. Pourtant les impératifs démocratiques et de justice sociale imposent que la richesse générée collectivement dans la ville soit mieux répartie et qu’elle profite à tous. Selon Deyan Sudjic21 il est indéfendable politiquement et même économiquement que les services produits par la puissance publique soient réservés à une élite restreintes et inaccessibles aux populations les plus pauvres (comme c’est particulièrement le cas en Chine pour les travailleurs émigrés) alors même que ces services sont financés par des taxes perçus sur tous les résidants.

Ainsi les intérêts macroéconomiques des villes globales semblent entrer en contradictions avec les intérêts sociaux des habitants à une échelle individuelle. Dans le paragraphe suivant nous allons voir que les critiques de la ville moderne dénoncent conjointement une ville qui perd son humanité. La ville moderne est elle schizophrénique ? Les intérêts qui s’y confrontent sont-il réconciliables ? La mondialisation laisse-t-elle une place à l’humain ? 21

Theory, policy, and practice, Deyan Sudjic, in the Endless city, Urban Age Proejct

- 26


B. La réactivité de la mégapole londonienne

Londres est le cœur de l’activité économique de la Grande-Bretagne, elle a pourtant subi de nombreuses et difficiles mutations au cours du dernier quart du XX° siècle. Sa reconversion post-industrielle en une ville de services orientée par les marchés de la finance internationale a considérablement modifié la structure urbaine et sociale de la ville. Le développement du centre financier de Canary Wharf est un exemple iconoclaste du rapide développement économique qui a permis à la ville de se relever et de rayonner internationalement dans les années 1980. Cependant, ce renouvellement urbain initié par des investisseurs privés, malgré ses tours de verre et de nouveaux espaces publics de qualité, est aujourd’hui critiqué. Ce centre économique est vital pour la capitale, pourtant il n’a pas permis de résoudre les problèmes récurrents de l’intégration et du délitement social qui la touchaient depuis les années 1970 alors même qu’il fut implanté à l’Est de la ville en face de l’Isle of Dogs grâce à une politique d’imposition préférentielle mise en place par le gouvernement libéral de l’époque. Londres a été inégalement touchée par la crise des années 1970. Le centre et la City, de même que West End ont réussi à se maintenir comme les centres dynamiques de la mégapole malgré sa perte de vitalité économique. Il n’en est pas allé de même pour les quartiers Est de la ville qui s’étalent autour des anciens Royal Docklands et dans les quartiers populaires de l’arrondissement de New Ham. Ancien centre marchand où se concentraient les dockers, et ancien cœur industriel de la ville à population essentiellement ouvrière, l’East End a été particulièrement touché par la fermeture des usines et la révolution technologique de la fin du XX° siècle.

- 27


1) La politique de rénovation urbaine des travaillistes Lors de son arrivée au pouvoir, le gouvernement travailliste de Tony Blair a décidé de rompre avec le laisser-faire des conservateurs, et de s’attaquer à bras-lecorps aux problèmes récurrents de l’exclusion sociale générée par le mal-être économique. Partant du constat que les difficultés sociales étaient particulièrement visibles dans les villes, le gouvernement Blair décida de concentrer son action sur ces dernières. La politique travailliste de la ville consista donc en un grand chantier de rénovation urbaine selon une approche holiste, destinée à apporter des réponses au problème de l’exclusion. Une large palette d’outils fut mise en place allant de la revitalisation des centres à l’intégration sociale par la culture en passant par des projets architecturaux de grande envergure destinés à susciter le sentiment d’identification des habitants à leur ville et leur redonner l’espoir de prendre part au développement de celle-ci. L’intérêt porté à la ville par le gouvernement travailliste afin de donner une réponse multisectorielle aux problèmes socioéconomiques n’est pas né de nulle part. Il s’insère dans une dynamique plus générale de prise de conscience environnementale internationale initiée au niveau mondial avec le Sommet pour la Terre de Rio et le Livre vert de la Commission européenne. La recherche de la « durabilité » sollicite de la part des décideurs politiques et des planificateurs une approche holiste des questions urbaines puisque « c’est dans la ville que le concept de développement durable possède la plus grande acuité » (Richard Rogers cité dans Burdett 1996). Afin d’assurer un développement stable et responsable sur le long terme, les villes en général, et les métropoles en particulier, doivent se doter de master plans définissant les grandes lignes de leur orientation stratégique. A cette époque la réflexion de R. Rogers coïncide avec l’initiative du gouvernement Blair que veut insuffler une nouvelle politique du territoire. L’Urban Renaissance va lui permettre de laisser libre cours à sa créativité pour réinventer la ville. En tant que capitale, Londres s’immisce au cœur de cette politique volontariste promouvant un développement maîtrisé.

- 28


2)

« L’Urban renaissance »

Le projet d’« Urban renaissance », selon les termes de Lord Richard Rogers,

architecte-urbaniste

anglais

et

ami

de

Tony

Blair,

influença

considérablement la stratégie de renouvellement du gouvernement travailliste. C’est ce même Rogers qui fut en charge dès 1998 de l’Urban Task Force, un département d’experts chargé de produire des rapports et recommandations pour la rénovation des villes anglaises. Rogers s’intéresse particulièrement au sort de Londres qui selon lui détient un énorme potentiel qui reste à développer.

Au milieu des années 1990 le Royaume Uni subit une crise du logement très importante liée au défaut de planification de la part des gouvernements précédents. Londres est particulièrement touchée par cette pénurie d’autant plus qu’elle est le point de convergence d’une importante immigration internationale et nationale. Cette crise du logement s’ajoute à une crise économique et sociale et au besoin de redynamiser des zones urbaines en déclin. C’est à cette même époque que Richard Rogers publie son ouvrage de référence Des Villes pour une petite planète (1997) où il propose un modèle urbain original : une ville durable, compacte et polycentrique organisée autour d’espaces publics catalyseurs de la richesse et de la diversité sociale. Selon lui c’est par un « Urban Design » bien pensé que l’on peut redonner du sens à la ville, grâce à des continuités urbaines travaillées pour mettre en relations les individus, favoriser l’échange et générer du dynamisme. Cette pensée inclusive caractéristique de l’approche de Rogers correspond à la volonté de Tony Blair d’une approche plus sociale de la résolution des problèmes urbains. En 1998 Rogers préside l’Urban Task Force (UTF) à la demande de John Prescott. La mission de l’UTF est double : repérer les causes du déclin urbain et fournir des solutions afin de rendre à nouveau les villes, leurs centres et leurs quartiers plus attractifs pour les habitants (UTF 1999). En 1999 il publie le rapport Toward an Urban Renaissance, un véritable guide pour la - 29


renaissance urbaine, qui va influencer l’ensemble de la politique travailliste britannique jusqu’à aujourd’hui, en soulignant les efforts nécessaires à accomplir à moyen terme : il est focalisé sur l’importance de la régénération physique et sociale de la ville.

Selon le projet de l’UTF, la ville doit être conçue comme un tout, comme un organisme qu’il s’agit de rendre cohérent dans sa complexité. Cette réflexion s’appuie notamment sur le Livre Vert sur l’environnement urbain publié par la Commission européenne (1990), qui s’attache à développer une argumentation autour

de

la

qualité

de

vie,

des

implications

aussi

bien

sociales

qu’environnementales, afin de rendre à l’espace urbain son attractivité. Ainsi il s’agit d’encourager une meilleure utilisation de l’espace : densification, usage mixte des bâtiments, système de transports en commun plus intégré, brassage social, mais aussi de lutter contre l’étalement urbain, le zonage, la construction de villes nouvelles. Après la course vers le modernisme des années 1950-1960 et la concurrence avec le modèle urbain américain, il faut revenir à une conception plus traditionnelle de la ville européenne avec sa vie de quartier qui permet l’intégration sociale et une économie dans l’utilisation du territoire qui permettront sa durabilité dans un avenir de ressources (foncières) limitées.

- 30


a) Le développement durable de la ville au cœur du concept de l’ « Urban Renaissance »

Richard Rogers a un projet qui lui est propre pour les villes britanniques au centre duquel se trouve cet impératif de durabilité. En 1990, les capitales, et les autres

villes

mondialisées

sont

au

centre

de

processus

internationaux.

L’accroissement des flux, la concentration des activités et des capitaux, autant que des habitants, engendrent la richesse mais aussi le développement rapide et parfois incontrôlé de l’urbain. L’étalement (urban sprawling) caractéristique des villes américaines, guidé par la démocratisation de l’usage de la voiture particulière, est une conséquence directe du besoin d’expansion et du manque de planification dûs au libéralisme économique et au laisser-faire des gouvernements urbains et parfois nationaux. Ce phénomène en pleine expansion est décrié par de nombreux urbanistes sociaux au premier rang desquels figure Jane Jacobs (The death and Life of great American cities, 1961). Rogers souhaite « trouver un mode de croissance plus équilibré et plus respectueux de l’environnement » (Rogers dans Burdett 1996). C’est ce qu’il propose dans un projet de développement durable qui prenne en compte les transformations accompagnant la mondialisation et les échanges qui ont touché la ville à la fin du XX°siècle. L’ « urban renaissance » prend racine dans la conviction que la ville est une source de richesse grâce à la diversité qu’elle nourrit. Pour Rogers, l’enjeu est donc de valoriser et de faire fructifier cette source inépuisable de renouvellement en encourageant la différence et en favorisant les rencontres entre habitants et usagers de la ville. Pour cela il faut prendre en compte l’accélération des changements qui touchent tous les domaines de la vie en commun. L’intérêt de la ville est qu’elle est le lieu démocratique par excellence puisque tous les domaines de la vie s’y rencontrent au sein des sphères mélangées du domaine privé et du domaine public. Ainsi le travail de l’urbaniste se dissocie de celui de l’architecte en même temps qu’il le complète. Il faut repenser l’atmosphère et le potentiel d’un espace, son impact sur ses utilisateurs… et non plus se contenter du design architectural, de la concentration économique, de voies de communication purement fonctionnelles ou de l’usage unique d’un bâtiment. Les dimensions politique et sociale font partie intégrante du - 31


projet de Rogers qui entend redéfinir l’organisation spatiale comme génératrice d’un vécu en commun où l’habitat est conçu comme l’élément de base structurant les comportements individuels. Toujours dans une optique de développement durable, il est nécessaire de proposer une retranscription physique intelligible dans l’espace de ce projet nouveau pour la société.

« Les villes rassemblent des énergies physiques, intellectuelles et créatrices. C’est cette dynamique sociale et culturelle, bien plus qu’un équilibre esthétique né d’un projet urbanistique, qui constitue l’essence de la beauté urbaine » (Burdett 1996). Rogers montre clairement que pour lui le projet urbanistique et architectural n’est en aucun cas une fin en soi mais le support, l’outil nécessaire, pour faire ressortir le potentiel de la ville. Il défend une conception philosophique de la ville comme moteur de développements et de progrès pour la société contemporaine puisqu’elle regroupe une extrême diversité d’hommes. L’enjeu de l’urbaniste comme du politique et dans une moindre mesure de tout ceux qui participent à son évolution, est de mettre en cohérence et de décider des grandes articulations qui vont permettre de saisir ce mouvement organique en constante évolution. Pour cela tous les domaines de la ville doivent être pris en compte (social, culturel, économique, financier, politique), la complexité ne devant pas être sacrifiée mais au contraire articulée autour de l’impératif ultime de durabilité.

- 32


b) La ville un métabolisme selon Rogers Rogers élabore au sein de l’UTF un projet global de ville écologique à l’image d’un métabolisme construit à partir d’une superposition de réseaux. La ville doit être dense et équilibrée mais aussi économe en énergie. La concentration est posée comme un principe-clé puisqu’elle permet de réduire la consommation d’énergie en agrégeant et optimisant la demande des habitants et de réduire les déplacements. La densité d’habitations signifie une multiplicité des fonctions qui se traduit par une organisation compacte et polymorphique (usage mixte des bâtiments). Chaque habitation constitue la cellule de base du métabolisme général autour de laquelle s’organisent l’espace, les transports et les infrastructures… Les services sont ainsi répartis à différentes échelles suivant leur utilité et leur public. Soit ils sont directement intégrés dans l’environnement local de l’habitation (s’ils sont indispensables ou à usage individuel), soit on les trouve dans le centre ville accessible par tous s’ils nécessitent des investissements lourds et ont une vocation commune (musée, théâtre, centre administratifs). Dans ce schéma général, les transports jouent un rôle déterminant puisque dans la ville durable de Rogers les déplacements doivent être réduits, mais aussi efficaces et bien intégrés. Le schéma de la ville polycentrique est donc constitué de nombreux quartiers satellites construits autour de nœuds de connectivité locaux. Les quartiers composent des communautés à différentes échelles qui sont reliées dans un système en réseaux intégrés. La donnée clé dans ce système est le rapport entre usage des infrastructures (concentrant essentiellement des fonctions publiques) et distance pour y accéder. Selon Rogers « c’est le transport qui fera ou défera la durabilité des villes » (2000). On comprend que dans le projet de la « ville compacte » la connectivité est au cœur des problématiques, puisque les transports doivent permettre un accès à tous aux différents centres et espaces publics, en un minimum de temps. Ce sont ces derniers qui constituent les éléments structurants de la région urbaine polycentrique. Ainsi c’est autour de l’articulation du réseau de transports et des centres urbains sur le domaine public que s’organise la vie urbaine et que doit être conçues les stratégies de développement de la ville. Dans cette optique la vision traditionnelle de la ville européenne est complémentaire d’une stratégie de transport intégrée. La densité de - 33


l’habitat et la concentration des services se rendent mutuellement possibles voire nécessaires. Le projet d’une ville compacte et peu consommatrice en énergie implique l’optimisation de l’utilisation de son environnement direct. La prise en compte de la donnée environnementale comme élément déterminant des politiques urbanistiques est à la de base de la réflexion sur le développement des villes de très grandes échelles. Avec Rogers il est clair que l’impératif de durabilité est au cœur du projet de l’urban renaissance. Aussi dès le début des années 2000 cette idéologie se traduit par une orientation spécifique de la perspective de développement à long terme de la ville de Londres, puisque selon lui « les besoins publics à long terme peuvent diriger l’aménagement privé, sans nuire de manière excessive à l’autonomie de l’éventuel aménageur ou architecte … et qu’il est de la responsabilité publique de garantir un urbanisme cohérent ». L’idée d’un premier master plan est déjà ébauchée par Rogers en 1986, avant même qu’il entre en fonction à la tête de l’UTF. Il proposait alors d’établir l’ossature globale du projet métropolitain Londonien autour d’une requalification des berges de la Tamise, en encourageant l’utilisation de cet espace public et en le valorisant comme espace de connectivité guidant les évolutions urbaines sur et entre les deux rives du fleuve. Alors que ce projet n’était qu’une hypothèse dans le cadre de l’exposition « Londres ce qu’elle pourrait être », elle semble avoir considérablement influencée le devenir réel de la métropole puisqu’on la retrouve dans le projet actuel du London Plan.

Ainsi avec la concomitance d’une volonté politique de faire de la durabilité un élément constitutif du développement urbain et l’envergure de la réflexion de Richard Rogers, le Royaume Uni se démarque à la fin des années 1990 par sa volonté de résoudre en profondeur l’équation difficile entre la crise économique et sociale, celle du logement et de la qualité de vie urbaine ainsi que celle de la lutte contre l’étalement périphérique des métropoles. L’UTF fournie dans ce mouvement une réflexion intéressante qui s’attache à repenser la ville pour la mettre en adéquation avec de nouveaux objectifs holistes. Le modèle virtuel d’une ville compacte bien intégrée tel qu’il est alors soutenu va devenir le matériel de base à partir duquel vont être élaborées les politiques de la ville de l’« urban renaissance » sur l’ensemble du territoire britannique. Toutefois c’est à Londres que cette vision va - 34


se concrétiser quelques années plus tard. L’instauration de la Greater London Authority (GLA) et l’élection au suffrage universel du Maire du Grand Londres à partir de 2000 vont permettre d’initier le projet. La concentration des pouvoirs exécutifs au sein de cette autorité unique chapeautée par une personnalité élue au suffrage universel direct et entourée par un nombre restreint de conseillers va permettre la mise en place rapide et efficace d’une véritable politique urbaine pour la capitale. Le London Plan, planification stratégique à moyen et long termes, pour la région métropolitaine, imposée par le gouvernement national au gouvernement local du GLA va coïncider avec la logique de master plan déjà évoquée par R. Rogers et dont elle s’inspirera considérablement.

- 35


3)

La concrétisation avec le London Plan Le London Plan permet la mise en place d’une orientation stratégique pour

le développement métropolitain de Londres. Il permet ainsi d’intégrer les outils fournis

par

le

Compendium

(manuel

des

« bonnes

pratiques »

en

matière d’urbanisme délivré par l’UTF) dans une perspective à plus long terme et plus flexible, favorable à une codéfinition des projets urbains avec les partenaires privés. Il constitue un cadre pour l’espace métropolitain (Framework of urban spaces) qui définit de manière généreuse l’articulation entre espace public et espace bâti grâce à l’urban design qui doit assurer la continuité entre ces espaces et améliorer leur connectivité. Dans cette perspective, c’est un projet de planification à long terme qui s’intéresse tout particulièrement à la maîtrise des réseaux, à la mobilité et aux différents modes de déplacement. Le masterplan sert de régulateur, il oriente les flux vers des nœuds de communication structurant les échanges, en soulignant les continuités et apaisant les ruptures de l’espace métropolitain. De nature évolutive et parce qu’il s’insère dans une temporalité longue, il permet aussi l’insertion de projets ponctuels et une mise en cohérence du projet général avec le contexte environnant.

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C. Le London Plan : schéma organisateur de la complexité urbaine

“Without effective mass transit systems, cities are unlikely to prosper, except as car-dominated, low intensity, polluted supersuburbs. For this reason, transport’s dominance of urban thinking is wholly justified.” Tony Travers 2005

Comprendre l’évolution urbaine de Londres nécessite une compréhension de l’articulation de son système de transport. Devant l’extension considérable de la ville et l’augmentation des distances entre les différents lieux urbains, la ville exige de ses habitants des déplacements constants puisque selon Tony Travers « civility commerce and competitiveness all demand movement ». Ainsi un système de transport intégré répond aux exigences fondamentales pour une ville globale comme Londres. Premièrement c’est un bon moyen pour répondre aux exigences de transports des habitants : dans les grands centres urbains, les transports en commun se sont révélés être le meilleur moyen d’optimiser le ratio espace consommé par le véhicule/coût/temps de transport pour la majorité des usagers. Les travaux de Louis Marchand (1961)22 concernant la consommation d’espace public suivant les modes de transport montrent très clairement que les transports en commun permettent non seulement de réduire la pollution par usager mais aussi d’économiser l’espace utilisé sur le domaine public par les infrastructures de transport. Selon ces estimations (certes un peu datées mais toujours utiles pour prendre conscience de l’échelle de grandeur) un usager de transport en commun utilise 30 fois moins d’espace public pour ses déplacements que le propriétaire d’une voiture individuelle. Marchand remarque également que cette propension à consommer de l’espace public croit exponentiellement avec le temps de stationnement (dû à la congestion du trafic) puisque le véhicule immobilisé ne permet aucun déplacement mais consomme de l’espace sur le domaine public. 22

Transports en milieu urbain : les effet externes négligés, Frédéric Héran, La documentation française, Prédit 2000

- 37


Deuxièmement,

toujours

selon

Travers,

les

transports

contribuent

considérablement à la compréhension de l’environnement urbain et facilitent son usage. Considérant l’exemple du métro londonien il note : « Londoners understand their urban landscape in a particular way because of the false simplicity of Harry Beck’s Tube map”23. Les infrastructures de transport, parce qu’elles fournissent un schéma simplifié et normalisé de la ville, permettent de rendre celle-ci plus accessible. On le remarque lorsque l’on arrive dans une ville pour la première fois : la carte de métro permet de se repérer quasi instantanément. L’idée qui se cache derrière cela est que la structure du réseau de transport n’est pas neutre et qu’elle influence l’usage qui va être fait de la ville à terme. Bien sûr, ce schéma doit-il prioritairement répondre aux impératifs constatés des déplacements les plus massifs et les plus fréquents, cependant il ouvre aussi des marges de manœuvre pour diriger ponctuellement ces flux et les réorienter. L’exemple d’une déviation pour cause de travaux reste à ce titre l’exemple le plus frappant de l’aspect dirigiste que revêtent les infrastructures de transport en commun en opposition par exemple aux voies publiques (routières, piétonnes ou cyclables) qui laissent une plus grande liberté à leurs usagers. On peut donc dire pour illustrer l’exemple de Travers qu’ils influencent la formation du paysage urbain. Enfin un réseau de transport est un véritable outil politique : il permet de canaliser et d’orienter l’extension urbaine de la ville. Comme Travers le rappelle : “London’s original expansion was actively encouraged by its Tube and rail systems.” Dans son approche moderne, le système de transport n’est pas simplement un service fourni aux habitants de communautés qui se sont formées en dehors des zones déjà urbanisées et intégrées ; il devient au contraire l’outil d’une approche volontariste de planification urbaine. Cela permet à Travers de conclure que les transports en commun sont rapidement devenus « an urban obsession ». Alors que les gouvernements des villes ont perdu de nombreux moyens de réguler ou de contrôler leur développement et que les grandes politiques publiques de planification urbaine ou d’aménagement ont été abandonnées à la fin du XXe siècle, les transports sont revenus au cœur de la politique de structuration de l’espace. Avec la création du GLA le Maire de Londres s’est doté d’une stratégie de développement à long terme (2A.2 The Spatial Strategy for Development) dans le cadre du London Plan. 23

Bridging London together, Tony Travers 2005, in the Endless city, Urban Age Proejct

- 38


1)

Le london plan

Le Maire de Londres est chargé de produire une stratégie de développement de la ville à long terme. Après son entrée en fonction en 2000, Ken Livingstone s’est attaché à produire une stratégie de planification urbaine cohérente, appelée le London Plan. Ce document est un véritable manuel exposant la réflexion sur le projet urbain du GLA et la méthode choisie pour transformer la ville de manière durable. Le London Plan est divisé en 10 sections ou Policy Areas : - The Broad Development Strategy - Living in London - Working in London - Transport in London - Enjoying London - Climate change and London's metabolism - Designs on London - The Blue Ribbon Network - The sub regions, CAZ and Govt growth areas - Implementing the London Plan

La première chapeaute le tout, puisque c’est dans le cadre de la stratégie générale de développement que s’insère la philosophie du London plan. La volonté générale est claire : “to accommodate London's growth within its boundaries without encroaching on open spaces” c’est-à-dire concilier les objectifs de croissance de la ville tout en limitant son expansion sur le territoire. Il s’agit de contenir le développement urbain afin de respecter l’objectif primordial de développement durable : « The concept of sustainable development runs throughout the London Plan and all its policies, starting from the Mayor's vision and objectives set out in the Preamble and Introduction. »

- 39


Ce concept est ainsi la clef de voute du projet et l’ensemble des problématiques socioéconomiques est traité dans une optique de respect de l’environnement. Les politiques entreprises dans le cadre du GLA et de ses partenaires, les différents arrondissements (boroughs) et les partenaires économiques doivent respecter un certain nombre de principes afin de minimiser la consommation des ressources naturelles de la capitale, optimiser l’usage des espaces et des bâtiments vacants ou inutilisés… à ce titre le GLA adopte l’approche de l’Urban Design et insiste sur le nécessaire travail d’articulation entre les sites choisis pour le développement et leur connectivité24. Le London Plan reprend les éléments du Compendium proposé par l’UTF de Rogers en promouvant également l’utilisation mixte des bâtiments et en encourageant des projets développant l’esprit de communauté25.

24

“Ensuring that development occurs in locations that are currently, or will be, accessible by public transport, walking and cycling” London Plan, Chapter 3C 25 “Taking account of the suitability of sites for mixed use development and the contribution that development might make to strengthening local communities and economies including opportunities for local businesses and for the training of local people” London Plan see Chapitre 3, Parts A and B, et Chapitre 4B

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2)

La stratégie de développement dans l’espace

La stratégie de développement durable implique en premier lieu une politique d’économie de l’espace utilisé. C’est l’objet de la Spatial Strategy qui s’efforce de favoriser l’intensification du développement dans certaines zones clefs de la région métropolitaine afin de maîtriser l’expansion de la ville. Le London Plan précise que les ères sélectionnées vers lesquelles seront concentrés les investissements pour une intensification des activités doivent être convenablement desservies par les transports en public26. Ainsi la stratégie de développement spatial s’appuie considérablement sur le système de transport puisque c’est grâce à une bonne intégration au sein de celui-ci que les différents projets peuvent trouver une cohérence à l’échelle macroscopique. L’objectif est de renforcer l’articulation entre la ville et la région métropolitaine et ce à différentes échelles27. Le réseau de transports est le support des connexions entre les différentes interfaces de la ville, des arrondissements, des quartiers et de la région. Il permet à la fois l’accessibilité, la connectivité et la coordination des différents espaces publics entre eux28. 26

“This will involve the sensitive intensification of development in locations that are, or will be, well served by public transport” London Plan, Spatial Strategy 27 “supporting and co-ordinating sub-regional initiatives within London, bridging the gap between Londonwide and more local actions” London Plan, Policy 2A.3 et Chaptitre 5 28 “providing a sub regional structure which better integrates the outer, inner and central parts of London and more strongly reflects the key roles of radial linkage” London plan chapitre 2

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3)

Le rôle des transports dans la spacial strategy

« Good public transport access will not in itself guarantee development but is a necessary condition for sustainable development.”29 Il devient évident que la stratégie de planification urbaine vers laquelle s’oriente le London Plan fait une place de choix à l’organisation des transports en commun. Ce choix est doublement justifié. Il permet de répondre à l’objectif de développement durable. Le choix de favoriser les transports publics dans la métropole de plusieurs millions d’habitants permet de restreindre l’usage du véhicule privé et de réduire la consommation d’énergie, tout en limitant la pollution et les problèmes de congestion du trafic. L’objectif clairement affiché de la politique de transport est d’améliorer l’accessibilité de Londres à travers un réseau intégré et développé de transports en commun constituant une alternative fiable et efficace au mode de transport personnel30. Cependant, les transports ne se contentent pas d’améliorer l’accessibilité de Londres : « Improving London's accessibility through the co-ordination of transport and development with an emphasis on improvement to public transport and reducing traffic congestion » (spacial policysous section 3 Chapitre 3C, London Plan). Ainsi les transports constituent un véritable moteur du développement de la ville, l’ensemble de l’objectif 5 du London Plan leur est d’ailleurs consacré. 29 30

Maire de Londres, chapitre 5A1, Transport in London, London Plan « This plan sets out spatial policies to improve travel in London over the next 20 years.” London Plan

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1. TRANSPORT IN LONDON

L’ensemble des infrastructures de transport en commun est géré par un organe du GLA, Transport for London (TfL). Le Maire de Londres a donc une emprise directe sur le développement du réseau de transport. C’est à travers celui-ci qu’il peut mettre en place la dynamique générale du London Plan puisqu’il peut décider d’investir dans de nouvelles infrastructures de manière autonome (dans le cadre du processus décisionnel du GLA).

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2. Le péage urbain La décision controversée de mettre en place un péage urbain (en février 2003) pour accéder en voiture au centre de Londres, dans une zone de 22 km², montre à quel point le volet « Transport » est déterminant dans la concrétisation des objectifs du projet urbain. Cette initiative s’insère dans une politique générale voulue par Ken Livingstone afin de réduire l’usage des véhicules privés dans Londres et de promouvoir l’usage des transports en commun, du vélo et des espaces piétonniers. C’est un des premiers exemples de mise en application de road-pricing theory. Le prix rédhibitoire (8£ par jour pendant les heures de travail) a permis de réduire de 20 % le trafic dans la zone concernée. Le péage a aussi permis de lutter efficacement contre le phénomène de congestion du trafic en régulant l’accès au centre ville (baisse de 21% du trafic). Enfin il a engendré une modification des comportements des Londoniens et les a incités à se tourner vers des modes de déplacement plus propres (les données TfL montre que l’utilisation de l’usage du vélo a doublé depuis les années 2000). Si le péage semble désormais accepté par la population dans le centre, il reste décrié par les commerces qui y voient une atteinte économique, notamment depuis que les prix ont été augmentés (passant de 5£ à 8£ par jour en 2005). De plus, le projet d’extension initié en 2007 dans le West End est aujourd’hui contesté et le nouveau maire Boris Johnson s’est engagé auprès de ses électeurs à le supprimer dans sa nouvelle version du London Plan.

Il convient de rappeler que ce projet a également pour but d’augmenter les ressources du GLA. Les recettes rapportées par le « London Congestion charge » s’ajoutent à une politique d’augmentation du coût des transports en commun décidée à partir de 2004 pour permettre au maire d’investir considérablement dans de nouvelles infrastructures. Ces mesures sont donc doublement utiles à la stratégie de transport de Transport for London. Elles doivent rendre financièrement possible l’amélioration et l’extension du réseau de transport tout en augmentant la demande à son égard. Les espaces libérés sur la voie publique ont été réaménagés en des voies spéciales pour les bus et les vélos afin d’accompagner le redéploiement des modes de transport. - 44


3. L’enjeu des transports

Le but de la stratégie spatiale du GLA est de maîtriser l’évolution de l’extension et du développement de la ville. Dans cette optique, la stratégie de transport a une position déterminante dans le London Plan puisqu’elle permet d’orienter le développement de la ville. La problématique des transports est inextricablement liée avec celle du développement économique : sans une bonne connexion des infrastructures (bureaux, centres d’affaires, industries ou encore zones commerciales), aucune mobilité n’est possible vers ces centres, ce qui est un gros désavantage pour attirer des investisseurs ou des clients comme l’explique le maire : « Implementation of the programme of improvements in the Transport Strategy is vital to achieving the economic growth and development aspirations of this plan. The Transport Strategy will be revised in an integrated process with the review of the London Plan.” 31

Tony Travers, directeur du Greater London Group, remarque : “In today’s London, public transport is increasingly seen as a means to encourage greater intensification of uses, particularly around interchanges and stations. King’s Cross, Stratford, Elephant and Castle and Crisklewood/ Brent Cross each use transport capacity as the catalyst for major developments.”32

Les nœuds de communication sont des lieux clés du développement de la ville. Ils sont caractérisés par une bonne accessibilité, une bonne connexion aux autres centres, ce qui est particulièrement important pour une ville polycentrique comme Londres. Enfin ils sont des carrefours inévitables pour la grande majorité des utilisateurs de la ville. Cette situation stratégique leur donne un fort potentiel de 31 32

London plan, Transports, 5A Bridging London together, Tony Travers 2005, in the Endless city, Urban Age Proejct

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développement économique. Ces zones de connectivité sont le lieu de passage d’un large public et d’une grande diversité. Ils sont le lieu d’une activité et d’un dynamisme intenses qui favorise l’attractivité des investissements. Les orientations de Transport in London montrent la priorité donnée à une stratégie promouvant une utilisation de l’espace qui soit liée au développement du système de transport.

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II. Comment organiser la ville ? L’importance des transports Le chapitre 6 du London Plan rappelle la nécessité pour une ville globale d’être performante dans le domaine des transports afin de soutenir sa croissance. Cela implique notamment la maintenance de la voirie et des réseaux de transports en commun existants, le renouvellement et l’adaptation constante de ce réseau à une demande croissante, proportionnelle à l’augmentation de la population, ainsi que le développement d’alternatives comme l’amélioration des voies piétonnes et cyclables afin d’encourager les modes de déplacements les moins polluants. Les transports font aussi l’objet d’une attention toute particulière de la part du maire qui élabore the Mayor’s Transport Strategy (MTS). Cette stratégie de transport est conçue comme l’investissement majeur qui doit permettre de connecter entre eux les différents centres dynamiques de la métropole. Cette articulation entre transports et espaces publics a pour but de créer un paysage urbain bien intégré, où il soit facile de se déplacer, afin de réduire l’usage de la voiture au profit des modes de déplacement doux (transports en commun, vélo, marche). Un plan spécial lui est dédié, intitulé Transport for London (TfL), qui reprend en détail cette stratégie et explicite, comme pour le London Plan, le moyen d’en réaliser les objectifs. Dans cette partie nous verrons que la stratégie de transport ne fait pas que s’adapter à la croissance de la ville. Dans la vision du maire les transports jouent un rôle moteur : ils sont indispensables à son développement33. En effet, les possibilités de croissance et la qualité de vie dépendent de la bonne organisation de ce réseau qui permet à la fois de canaliser et de faire se rencontrer les habitants de la ville. C’est pourquoi, il est important que la planification de l’extension et du renouvellement des infrastructures de transport soit préparée conjointement avec les stratégies de développement urbain. Nous verrons également que l’organisation des transports modifie l’espace urbain et le réorganise. 33

Transport infrastructure will also have a vital part to play in supporting the capital’s success and a good quality of life. London Plan, 1. 37

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A. Londres et les Transports

Nous avons mentionné l’importance accordée par le GLA à la réflexion sur la question des transports dans le London plan. Il est indispensable d’avoir une vision générale de ce que représente le réseau de transport londonien pour comprendre l’importance de l’influence que ce dernier fait peser sur les développements futurs de la métropole. Le réseau géré par Transport for London, l’entité chargée de l’organisation et de la maintenance du réseau de transports urbains dans la région métropolitaine, s’étire sur plus de 1 500 kilomètres carrés et constitue un tissu extrêmement dense et complexe de ramifications organisant à la fois la vie sociale, économique et culturelle de la ville. Son étude doit permettre la compréhension du fonctionnement interne de la structure métropolitaine à travers ses différents aspects. Elle doit également permettre de comprendre les choix et les décisions politiques entérinées dans le projet de développement de l’agglomération ainsi que les évolutions naturelles qui en découleront.

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1)

Le système de transport londonien Le système des transports londonien est avec celui de Tokyo, l’un des plus

développés et des plus complexes au monde. Il regroupe de nombreuses infrastructures superposées, chacune pertinente à une échelle différente. Les réseaux de bus et de métro (the Tube) s’étirent sur plus de 1 500 km², recouvrant ainsi l’aire métropolitaine mais ils sont complétés par d’autres infrastructures de transport parmi lesquelles on trouve le réseau de tramways, le DLR, l’Overground ou encore le réseau national de chemin de fer qui s’imbriquent dans un même système géré et centralisé par un organe unique du GLA, Transport for London.

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a) Historique

Londres a longtemps été précurseur en matière d’accessibilité. Elle fut la première ville à posséder un métro et jusque dans les années 1930 le Tube était une des meilleures infrastructures de transport au monde. Cependant, à partir de la seconde guerre mondiale, la ville s’est reposée sur ses acquis. Pendant 50 ans la réticence à engager de nouveaux coûts a conduit à un manque d’entretien et d’investissements dans ce système qui s’est considérablement dégradé. A partir des années 1980 les choses ont changé. L’incurie dans les transports, la saturation des réseaux face à l’augmentation de la population et au développement de nouvelles zones d’activité ont poussé le gouvernement métropolitain à réagir. La première initiative, commencée sous et par les conservateurs puis poursuivie par les travaillistes, fut la construction du DLR (the Docklands Light Railway). Ce métro aérien part de la limite du centre ville, juste à l’est de la City pour s’étirer jusqu’au Royal Docklands, au-delà de l’Isle of Dogs, à l’est de la ville. Complété par l’extension de la ligne Jubilee qui se prolonge au sud de la Tamise et relie le quartier d’affaire de Canary Wharf, développé dans les années 1980, l’East End fût ainsi directement connecté au cœur de la ville concentré plus à l’ouest. De nombreuses innovations ont suivi : l’extension de la Ligne Picadilly jusqu’à Heathrow et la construction d’une ligne de tramway au sud vers Croydon. A partir des années 2000, le GLA bénéficiant de nouvelles prérogatives en matière de transport s’est montré volontariste afin de rénover et moderniser son réseau pour accompagner le développement de la ville. La première politique du GLA fut une diminution du coût des transports et une amélioration des services jusqu’en 2004. Puis à partir de cette date, le Maire de Londres a changé de politique en augmentant les tarifs afin de disposer des ressources nécessaires pour investir considérablement dans un redéploiement du réseau de transports.

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b) Le tournant dans la stratégie de transports

Dès lors, le GLA ne s’est plus contenté d’assurer le renouvellement des rames et l’extension des lignes de métro. Il a réfléchi à la mise en place d’une nouvelle stratégie de transports intégrés qui permette de favoriser le développement de la ville. Le territoire a été découpé en zones, chacune regroupant des caractéristiques spécifiques (densité, attractivité, niveau et nature des activités…) et une stratégie globale a été élaborée par le maire et le département des transports pour une mise en cohérence du territoire (The Mayor’s Transport Strategy). L’enjeu principal de cette politique pour la ville était alors de désengorger les réseaux routiers et de transports en commun qui tendent à être fréquemment saturés. De plus, Londres se positionne en leader en matière de développement durable et désire organiser un changement d’habitude chez ses habitants en favorisant des modes de transport plus doux. C’est dans ce contexte que l’attribution de l’organisation des Jeux Olympique de 2012 et leur implantation dans l’est de la ville ouvre de nouvelles potentialités. En implantant ce site de forte attractivité dans une zone située dans l’inner city mais touchée par la paupérisation, le quartier de New Ham, le GLA adopte une position volontariste. Le site olympique est l’occasion de créer un nouveau centre dynamique pour la ville. Il se trouve au cœur de la nouvelle stratégie de transport desservi par des lignes de métro, l’extension du réseau DLR et possède une gare internationale (Eurostar) qui est reliée au réseau de trains métropolitains. L’enjeu de cette politique prioritaire dans le London Plan est de faire de l’accessibilité particulière du quartier de Stratford dans l’East End le moteur d’un redéveloppement de cette zone d’opportunité et de créer un deuxième centre urbain dans la partie est de la ville.

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2)

Pourquoi une stratégie de transport ?

“The Mayor recognises that transport plays a fundamental role in addressing the whole range of his spatial planning, environmental, economic and social policy priorities.” 34

L’impact des transports sur l’organisation de l’espace est reconnu dans le London Plan car c’est avec les transports que peut être améliorée l’accessibilité des différents lieux et ainsi permettre le développement ou le désenclavement des communautés. Les nœuds d’échanges sont très importants dans cette stratégie. Ce sont eux qui donnent une cohérence au réseau de transport mais aussi à la redéfinition des lieux dans lesquels ils s’implantent. En améliorant l’accessibilité, ils ouvrent de nouvelles opportunités de développement et permettre de restructurer l’espace autour de centres secondaires minimisant les déplacements métropolitains.

34

London Plan chapitre 6,2

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a) Désenclaver les communautés Une des solutions privilégiées pour générer de la croissance dans les centres périphériques de Londres est la mise en place d’infrastructures publiques d’utilité métropolitaine afin de rendre ces zones plus attractives mais il est également question d’engager des investissements de grande échelle dans les transports afin de les désenclaver35. En effet il est précisé dans le London Plan que la capacité et la qualité des infrastructures de transports sont complémentaires et décisives dans la politique de création de richesses à l’extérieur de Londres (TfL, Chapitre 2.33). Toutefois compte tenu des problèmes spécifiques liés à ces zones périphériques moins denses (usage de la voiture et habitat clairsemé, déplacements éparpillés qui rendent les investissements de transports en commun moins rentables), les investissements en matière de transport sont focalisés sur des lieux prioritaires de développement stratégique : les centres métropolitains. L’idée d’une ligne périphérique de transports qui relierait entre eux différents centres n’a pas été retenue par la Outer London Commission mais lui a été préférée l’hypothèse d’un système de réseau (mesh-like newtork), organisé en grille autour de centres rayonnants (hub and spoke), afin de développer les déplacements au niveau local dans ces différents centres. Cette approche polycentrique adoptée dans le plan (Transport in London) est censée être mieux à même de mettre en cohérence le développement spatial et économique de la région en favorisant des développements communautaires groupés. (Chapitre 2.34)

35

London Plan, Chap 2.30

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b) Fournir les éléments d’une approche durable du développement

La politique de transport est également très influencée par la volonté de faire du développement durable une priorité. Il est rappelé dans le London Plan que l’objectif est de limiter au maximum l’usage de la voiture. Près de 28 millions de voyages individuels par jour sont prévus d’ici à 2023 contre 24 millions aujourd’hui36, le but des stratégies du maire est de réduire le plus possible ces trajets en quantité de manière durable afin de désengorger le réseau. Le London Plan dresse la liste des mesures suivantes, nécessaires afin d’opérer un changement de comportement dans les modes de déplacement : - réduire l’usage de la voiture, - améliorer l’accessibilité et la capacité des transports en commun ainsi que des voies cyclables et piétonnes, - encourager les déplacements entre des lieux bien reliés par le réseau de transports en commun, - modifier l’approche traditionnelle des transports individuels (Electric Vehicule Delivery Plan for London, mis en place en Mai 2009) ou encore du fret (Travel plan et nouvelles logistiques avec le Blue Ribbon Network), - améliorer la connectivité entre les différents réseaux de transport (train/ métro), - encourager l’utilisation de la Tamise et améliorer le domaine public destiné à l’usage des piétons. En produisant conjointement ces stratégies pour orienter les transports et décider de la gestion de l’espace, le London Plan privilégie les projets de planification qui se focalisent sur des espaces limités, souvent à l’échelle communautaire, afin d’organiser l’usage mixte des bâtiments. Cette stratégie combinée transport/bâti peut permettre de réduire le besoin de mobilité, la durée des trajets et une densification de la ville.

36

London Plan Chap 6, Policy 6,1

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c) Répondre au besoin de développement Historiquement la ville s’est développée selon un schéma rayonnant autour du centre ville. Avec une concentration de l’activité économique dans l’hypercentre, la CAZ (Central Activity Zone), ce schéma lui a permis de devenir un des centres les plus productifs au monde, le reste de la croissance étant répartie dans les centres métropolitains périphériques alors que les logements se sont dispersés dans des banlieues pavillonnaires. Ce développement naturel a eu de bons résultats, notamment, grâce à la complémentarité du système de transport qui a permis un changement important de mentalité en s’imposant sur l’utilisation de véhicule privé ce qui est unique pour une ville de la taille de Londres37. Cependant selon TfL, les perspectives de développement risquent de poser problème. Dans les 20 prochaines années, on devrait assister à une intensification des activités au sein de la CAZ (+ Canary Wharf) supposée connaitre une augmentation de 35% du nombre d’emplois. Ce phénomène va contribuer à affirmer l’importance économique de cette zone et sa prédominance sur l’ensemble de la région métropolitaine. En parallèle, les projections en matière de logements suivent une évolution radicalement différente et devraient se concentrer dans l’Inner London autour des zones moins denses (au nord et dans l’est). Cette inadéquation entre l’augmentation des emplois dans l’hypercentre et la pression foncière dans le centre élargi risque d’accentuer la congestion du réseau de transport. En effet, le système organisé de façon radiale, orienté vers l’hypercentre, a déjà des difficultés à assurer la demande des usagers, il est souvent surchargé. Si le GLA laisse la zone de l’Inner London se développer sans réagir, la demande en capacité de transport va croitre exponentiellement et sera impossible à résorber par une simple augmentation de la capacité des trains. La pression foncière et l’espace restreint réservé au domaine public risquent de limiter les possibilités de construire de nouvelles lignes sur le même modèle. La stratégie du maire est donc de contrôler le développement de la ville, afin de rendre compatible le besoin accru de connectivité entre l’hypercentre attirant toujours plus d’emplois et les logements se construisant dans l’Inner et l’Outer London avec les infrastructures de transports. 37

chap 3.3.101, London plan

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B. Les projets en cours pour organiser le développement Tant que Londres avait pour unique préoccupation la volonté d’accroitre son développement, les investissements en matière de transports répondaient à une logique simple : améliorer la capacité du réseau vers les centres dynamiques, étendre les lignes existantes pour relier les nouvelles concentrations de population qui repoussaient toujours plus loin les limites extérieures de la ville ou encore améliorer l’interconnexion entre les différents modes de transports. Avec la croissance spectaculaire de la ville ces dernières années, en nombre d’emplois et en population, cette réponse, qui consistait en une adaptation au développement naturel ne suffit plus. Afin de faire face à ses responsabilités, le maire de la ville s’est engagé dans une stratégie volontariste de planification qui prépare les développements à venir et co-définit avec le London Plan la stratégie générale destinée à encadrer le développement de la ville. Dans le cadre de la Mayor’s Transport Stratégy, le plan TfL (Transport for London) rassemble les différents projets élaboré par le maire pour organiser le développement de la ville. Nous nous intéresserons surtout aux mesures (Policies) soulignées dans le document. Elles doivent apporter des réponses concrètes aux besoins de la ville détaillés dans le reste du document.

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1)

Elaborer une stratégie de transport cohérente C’est l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone qui a décidé de préparer

en parallèle du London Plan, une stratégie pour les transports, la Mayor Transport Startegy (MTS). La MTS est élaborée au sein du GLA par le maire, ses conseillers et le département responsable des transports TfL (Transport for London). C’est cet organe administratif qui est chargé de réaliser les projets inscrits dans la MTS. La MTS s’insère dans la stratégie globale du maire destinée à organiser le développement de la ville. Ainsi les projets développés dans la MTS sont des projets d’envergure concernant des investissements lourds dans les infrastructures de transports. Les politiques nécessaires quant à la maintenance ou l’entretien du système sont concentrées dans le chapitre 6 du London Plan réservé aux transports et ne font pas l’objet d’une attention primordiale dans la MTS. Comme les autres plans stratégiques, la MTS a fait l’objet d’une révision lors de l’entrée en fonction de Boris Johnson à la mairie de Londres. Le projet révisé (draft MTS) a été amendé par ce dernier et les partenaires institutionnels. Il a été mis à la disposition du public en juillet 2009 et sa version finale, qui incorporera un certain nombre de révisions proposées par les habitants, devrait voir le jour avant l’été 2010. Il est réaliste de considérer que la mise à disposition du public n’entrainera pas de changements fondamentaux dans le texte. Ainsi nous nous baserons sur la draft MTS pour voir qu’elles sont les orientations stratégiques décidées pour le système de transports urbains londonien.

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a) Les principes qui guident la rédaction de la MTS Dans sa profession de foi38 le maire insiste sur la volonté de préserver le dynamisme économique de la ville mais aussi d’encourager la diversité et réduire les inégalités entre les habitants sans pour autant renoncer aux objectifs de réduction de la consommation d’énergie et la lutte contre le réchauffement climatique. “However, in so far as better transport is not an ‘end’ in itself, but a means to improving broader economic, environmental and social outcomes, the MTS seeks to respond to, and support the delivery of, all the London Plan objectives » (2.1.30) La stratégie de transport représente un élément important de la politique du maire parce qu’elle est son outil principal pour achever les objectifs du London Plan.

38

TfL chap 2

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b) Les objectifs généraux L’augmentation de la population (9 millions d’habitants attendus en 2031) et la croissance économique (5,5 millions d’emplois) devraient générer une demande accrue sur le réseau de transport que TfL évalue à 3 millions de voyages supplémentaires par jours. La stratégie prônée pour répondre à ces nouveaux besoins s’organise autour d’une augmentation considérable de la capacité des transports en commun (trains, Overground, métro), l’extension du réseau de trains et de bus, une meilleure connexion entre les transports et l’utilisation de l’espace pour améliorer la capacité des termini et permettre la croissance de nouvelles zones. Si elle ne fait pas partie des priorités l’amélioration du réseau routier reste indispensable tout comme la construction de nouvelles connexions : ponts, tunnels pour traverser la Tamise. Enfin, la MTS propose également une stratégie à l’échelle régionale et internationale avec le développement du High Speed 1 (HS1), la ligne de chemin de fer sur laquelle se déplace l’Eurostar qui relie Londres au reste du continent européen et l’agrandissement des aéroports de la ville.

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2) État des lieux : 3 zones structurant la métropole londonienne Une des priorités de la MTS est de travailler à une meilleure intégration des transports et de la planification de l’espace (land use planning) d’où l’idée de revoir ensemble le London Plan et la MTS. Il y a 3 catégories géographiques à considérer pour cette approche (figure 1) : la Central Activity Zone (CAZ), l’Inner London et l’Outer London. C’est à partir de leurs spécificités que s’articule la politique de transport.

Figure 1 (Source : Mayor's Transport Strategy – october 2009)

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a) La CAZ C’est l’hypercentre historique et économique de la ville39. La zone de Canary Wharf (même si géographiquement éloignée de la CAZ) en fait partie en raison des liens économiques étroits établis entre les deux zones. Elle ne loge que 4% des londoniens mais concentre 25% des emplois : c’est la partie la plus productive de la ville. De plus, elle regroupe des activités à l’échelle globale (finance, affaires) qui nécessitent d’être bien reliées à l’international. - Modalités de transport dans la CAZ Selon TfL 90% des transports vers cette zone se font via les transports en commun et 75% des déplacements au sein du centre de Londres se font à pied. L’utilisation du vélo dans et pour rallier cette zone a été multiplié par 90% entre 2001 et 2007. La CAZ est la zone la plus intensément utilisée et cette tendance va s’accélérant le jour comme la nuit. Il y a donc un véritable défi pour la mairie de répondre aux besoins croissants en matière de transports vers cette zone et sa bordure.

39

the City of London, the majority of the City of Westminster and parts of the London boroughs of Camden, Hackney, Islington, Lambeth, Southwark, Tower Hamlets and Wandsworth and the Royal Borough of Kensington and Chelsea, données Tfl chapitre 3, 3,2, 1

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b) L’Inner London L’Inner London est le centre ville élargi de Londres. Il contient un tiers de la population londonienne mais concentre aussi la majeure partie des poches de pauvreté en cours de régénération de la ville (du nord-est au sud-est). Les zones d’opportunité (Opportunity Areas) encerclent la CAZ et sont susceptibles de bénéficier de leur proximité géographique avec celle-ci. C’est particulièrement le cas de la Lower Lea Valley, où va être implanté le site olympique et du pourtour de la Tamise qui doit supporter le plan de développement, Thames Gateway, d’expansion vers l’Est de Londres. La zone de Canary Wharf constitue une enclave de richesse (considérée comme CAZ) au sein de cette zone, développée en dessous de son potentiel. On peut néanmoins considérer que le potentiel de développement de l’est Londonien est directement lié à sa proximité avec la zone très dynamique de Canary Wharf. C’est au sein de l’Inner London que va être implanté le site olympique de 2012 : principalement dans le quartier de Stratford mais aussi à Greenwich, les Docklands, Earls Court et Wembley. L’enjeu du projet est de mettre en place un système pérenne de transport qui gardera sa pertinence après les JO et doit permettre d’accélérer le développement de la région. - Modalités de transports dans l’Inner London L’Inner London est moins développé que la CAZ mais il est considéré comme centre-ville car il concentre une grande partie de la population métropolitaine et a une densité plus élevée que dans la banlieue proche (Outer London). La voiture y est importante mais elle n’est pas aussi utilisée que dans l’Outer London. La population utilise en grande proportion les transports en commun, sauf dans certaines poches de pauvreté isolées et mal desservies car éloignées des stations de train ou du métro. A l’échelle de la métropole, 24% des déplacements ont lieu dans l’Inner London, 46% d’entre eux se font à pied, 26% en voiture, 18% en bus et seulement 7% en métro ou en train (TfL chap 3.2.2.93). L’enjeu principal concernant l’Inner London - 62


est de permettre une meilleure fluidité des transports (souvent débordés) et de décongestionner les routes pour améliorer à la fois la qualité de vie et assurer le bon développement économique de cette zone. Les habitants du centre élargi sont les plus touchés par les phénomènes de congestion qui découlent de la structure radiale de Londres. Les outer londoners qui rallient le centre utilisent le même réseau que les inner londoners, ce qui surcharge le réseau. On retrouve le même phénomène pour les embouteillages sur les périphériques et les autoroutes reliant le centre ville à la banlieue.

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c) Outer London : la banlieue proche La périphérie proche concentre 60% des londoniens. Elle s’étale considérablement en raison de la faible densité de l’habitat résidentiel organisé sur le modèle américain de la banlieue pavillonnaire. Elle n’a pas seulement une fonction de dortoir puisqu’elle regroupe 42% de l’activité économique de la métropole, essentiellement répartie dans une douzaine de centres métropolitains. Ce deuxième anneau est plus homogène et concentre moins de poches de pauvreté que l’Inner London. Elles existent néanmoins : les quartiers de Barking et Dagenham, et des parties de Bromley et Enfield. L’accessibilité est un enjeu de taille dans l’Outer London car c’est elle qui conditionne la possibilité de création d’emplois. Une bonne connexion au réseau de transport permet d’attirer les investissements et de lutter contre la paupérisation et l’enclavement. - modalités de transport Dans l’Outer London, la voiture est le principal moyen de transport (52%) et 48% des déplacements dans le Grand Londres s’effectuent à l’intérieur de cet anneau extérieur. En raison de la distance entre les différents centres, les trajets individuels se dissolvent dans un tissu urbain relâché cependant Transport for London remarque que la majorité de ces déplacements a également lieu de manière radiale vers les centres métropolitains secondaires. Les transports en commun sont moins efficaces dans ce contexte puisqu’ils ne permettent pas de coller à la réalité des déplacements clairsemés (pour des visites familiales par exemple) et ne fournissent pas les trajets les plus directs entre des lieux secondaires puisqu’ils relient essentiellement les centres urbains entres eux. Il semble qu’il y ait une meilleure fluidité dans l’Outer que dans l’Inner London ; cependant elle est à relativiser autour des centres métropolitains où se concentre la congestion du trafic. Ce phénomène est appelé à s’amplifier proportionnellement à l’augmentation de la population et au développement de la ville. Un tiers des déplacements dans l’Outer London se fait entièrement à pied (TfL

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chapitre 3.2.3 98), dans le cadre de la vie de quartier, ce qui place ce mode de transport juste derrière la voiture et avant les transports en commun. Dans le London Plan, le maire prend déjà en compte cette répartition des activités et de la population et propose de rééquilibrer le territoire de manière à le rendre plus homogène en réduisant les

inégalités, avec le programme

d’intensification et de concentration des activités dans les Opportuniy Area par exemple. La stratégie de transport doit permettre de soutenir un nouveau schéma organisateur visant à mieux redistribuer la croissance économique dans l’Inner et l’Outer London pour désengorger la CAZ.

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C. La prépondérance des transports dans le London Plan La Central Activity Zone est le cœur économique de la ville et elle est en croissance quasi ininterrompue depuis les années 1980. Située au centre géographique de la ville, vers lequel converge une grande partie des réseaux urbains, elle est en permanence menacée par la congestion de ces réseaux, ce qui nuit à terme à son accessibilité et indirectement à ses capacités de développement pourtant très importantes. Le GLA, la London Development Agency et TfL ont produit en amont du London Plan un travail important de collecte d’informations pour trouver des solutions aux problèmes actuels de congestion et préparer les tendances de développement à moyen terme. Il ressort de ces projections que la croissance de la population et les créations d’emplois vont se concentrer dans l’est de l’inner London et dans les centres métropolitains (figures 2 et 3).

Figure 2 (Source : Mayor's Transport Strategy - october 2009)

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Figure 3 (Source : Mayor's Transport Strategy – october 2009)

Si cette tendance s’avère exacte, le développement de la Outer London devrait rééquilibrer les activités de la ville entre les centres métropolitains et la CAZ. Il serait alors possible d’élaborer une meilleure gestion des transports en réduisant les déplacements vers l’hypercentre et en favorisant l’usage des transports en commun à l’intérieur de l’Outer London, entre ses différents centres. Cette stratégie permettrait notamment de désengorger les infrastructures rayonnantes depuis la CAZ vers la banlieue de la ville. Dans ce chapitre, nous allons voir comment le rôle de TfL a évolué. La centralisation d’informations afin d’anticiper le développement potentiel de la ville pour y adapter les infrastructures de transports s’est transformée en une stratégie active de définition du territoire. En investissant dans des infrastructures de transports TfL répond aux besoins des usagers mais crée également de nouveaux besoins et initie le développement de nouveaux centres urbains. D’après les cartes et les schémas de TfL, on voit clairement comment s’organise le réseau actuel de transport autour de l’hypercentre. En contrepartie, le Strategic Interchange Concept dénote la volonté de développer ce réseau autour de centres secondaires situés dans la couronne de l’Outer London. C’est par exemple le projet de la ligne de trains périphérique, la London Overground Orbital Route qui encercle la Central Activity - 67


Zone (CAZ) et relie entre eux ce que TfL a désigné comme les centres périphériques à développer. Ainsi nous nous baserons sur les mesures prises par le maire pour étudier la stratégie de développement polycentrique de la ville autour de la CAZ. et nous verrons comment s’organise le réseau de transport dans l’inner london autour d’un deuxième centre-ville à Stratford rivalisant avec la CAZ.

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1)

Le redéploiement polycentrique de la ville

Si rien n’est fait, la croissance économique dans l’Outer London risque de favoriser l’accroissement du recours à des modes de transports polluants puisque nous avons vu que le véhicule privé était le moyen de déplacement privilégié dans cette zone. Cette situation est dû au fait que le schéma actuel de transport est organisé de manière radiale pour faciliter les déplacements du centre vers la banlieue (et inversement) et qu’il est peu adapté à des déplacements internes à la périphérie. La stratégie de transport doit accompagner l’évolution du développement spatial qui se concentre dans l’Outer London, cependant la croissance des centres périphériques risque d’altérer le caractère suburbain des quartiers de l’Outer London alors que ces derniers veulent le conserver (3.3.105). Aussi la solution trouvée par la Outer London Commission est d’encourager la croissance de l’Outer London mais de la confiner à des centres déjà dynamiques. Cette stratégie permettra de favoriser le développement et la croissance économique de la périphérie tout en conservant une maîtrise de cette transformation et en évitant qu’elle ne dénature l’organisation actuelle du territoire. TfL a identifié douze centres métropolitains qui devraient regrouper les activités périphériques permettant à la fois de désengorger la CAZ et de mieux répartir les activités dans la métropole : Barking, Stratford, Hackney, Highbury & Isligton, Walthamstow central Queens road, Seven Sisters West Hampstead, Willesden Junction, Clapam Junction, Peckham Rye.

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Figure 4 (Source : Mayor's Transport Strategy - october 2009)

La mise en place de cette stratégie se traduit par un redéploiement du réseau de transports en commun à l’échelle de la métropole pour relier ces centres. Le système radial unique est abandonné pour un système radial polycentrique. Dans le cadre du London Plan, d’autres lieux ont été sélectionnés pour organiser le développement en bordure de la CAZ, le long de la Tamise vers l’estuaire (Thames Gateway), à Croydon, Brent Cross, et autour de l’aéroport d’Heathrow. - 70


a) Désengorger les termini centraux Un des problèmes majeur de la ville est la congestion des gares centrales. Les termini dans le centre de Londres (Victoria Station, St Pancras-King’s Cross) sont surchargés aux heures de pointe alors que la tendance est à l’augmentation de l’utilisation de ces infrastructures. Agrandir ces infrastructures pour les désengorger ne suffit plus et le flot de passagers transitant par ses hubs est susceptible d’augmenter de 25 % d’ici à 2026. Accroître leur capacité ne permettrait pas de résoudre le problème et génèrerait à son tour une utilisation toujours accrue tendant au maximum de capacité de ces gares. Enfin de tels travaux coûtent chers, prennent du temps et gênent l’utilisation normale de ces infrastructures. Des habitants issus de banlieues toujours plus éloignées, voire de villes environnantes, augmentent la pression sur les termini centraux qui doivent redistribuer les flux vers des centres toujours plus éloignés. Pour palier à cela TfL entend favoriser au maximum la marche et le vélo pour les petits trajets dans l’hypercentre où une grande partie des déplacements se font déjà en surface. Cela doit permettre de désengorger les plateformes de changement entre les modes de transport et assurer une meilleure répartition de l’espace, - les petits trajets ne monopoliseraient plus les termini et les libèreraient pour ceux qui ne peuvent faire autrement qu’utiliser les transports en commun car ils doivent parcourir de longues distances-. Cette répartition plus équitable de l’espace public destiné au transport nécessite des investissements sur le domaine public en surface. TfL projette ainsi de rendre les rues plus attractives en élargissant les trottoirs, améliorant la propreté et la sécurité, développant l’information et les aménités voies réservées, chaussées rehaussées, revêtements spéciaux… Ainsi les modes de transport basiques se voient réintégrés dans l’approche globale qui s’attache à réaménager l’espace public piétonnier et cyclable.

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b) Recentraliser les transports sur des town centers A moyen terme, l’accroissement de la population escomptée va accentuer la pression sur les transports en commun (trains et métro) à l’intérieur de la métropole et particulièrement sur les trajets rayonnant jusqu’au centre. L’Outer London sera plus concerné par une congestion du réseau routier. TfL a développé une stratégie de contournement pour désamorcer le risque d’explosion en favorisant le développement autour de centres métropolitains. En plus des douze centres métropolitains identifiés pour organiser le nouveau réseau de transit orbital sur la ligne de l’Overground, on dénombre environ 115 autres centres dans la ville dont une vingtaine localisés dans l’Outer London. Ces centres de développement stratégiques ont été identifiés comme tels parce qu’ils concentrent en des lieux précis l’activité des zones périphériques, comme les centres commerciaux par exemple. L’objectif de TfL est de concentrer les infrastructures de transport autour de « centres métropolitains ». L’idée est d’améliorer leur connectivité et de reproduire des logiques de déplacements rayonnant vers ces centres sur le modèle de la CAZ, mais à une échelle locale (Policy 6). Alors qu’actuellement ces centres sont ralliés en voiture pour la plupart, l’objectif du programme initié par TfL est de développer les réseaux de transports en commun du bus et les voies cyclables ou piétonnes pour encourager la diversification des modes de déplacement alternatifs. Cette logique doit engendrer un développement local durable qui réponde aux exigences de la ville polycentrique imaginée par Rogers, basée sur une structure communautaire de quartier. Les centres doivent être facilement accessibles à pied. Ils doivent concentrer une population répartie dans un rayon de 3 à 5 km. (Policy 8) Cependant, il est peu probable que la stratégie des town centers suffise à fluidifier les transports. Le projet de réorganiser la vie sociale autour de petits centres métropolitains s’inscrit dans le long terme et nécessitera un véritable changement de mentalité basé sur le - 72


local. Si cette initiative est louable elle ne dispense pas le GLA d’apporter des réponses aux problèmes de surchauffe du réseau entre le centre ville et la périphérie. Selon TfL trois quart des trajets entre le centre et l’Outer London se font par le train, le DLR ou le métro. La ville est donc très dépendante du réseau ferré, elle rassemble à elle seule 70% des transports ferroviaires d’Angleterre. Nous allons voir que c’est à travers ce mode de transport qu’il existe des possibilités pour augmenter la mobilité métropolitaine.

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c) London Strategic Interchange

La principale cause de l’engorgement résulte du rayonnement des transports vers le centre. Les trains relient des distances tellement éloignées du centre que la capacité des trains se trouve comblée avant d’arriver dans le centre ville. Il faut donc favoriser les changements en amont de l’hypercentre, au niveau périphérique pour redistribuer les passagers et permettre plus de roulement parmi les utilisateurs d’une même ligne. Cela nécessite le développement de terminaux orbitaux, répartis dans des lieux stratégiques autour de l’hypercentre, les strategic interchanges. (voir figure 4). TfL souhaite mettre en place cette stratégie via l’extension du réseau de train de surface, l’Overground, qui était initialement utilisé pour relier le Nord Ouest de la ville (the North London Railway). Le Inner London Overground orbital rail network devrait être complété pour 2012. Le projet est de réutiliser les anciennes voies ferrées inutilisées pour reconnecter l’est au nord de la capitale. (Dalston – West Croydon). La phase actuelle consiste en l’extension du réseau ferré organisé autour du centre ville et passant par des centres métropolitains (figure 5).

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Figure 5 (Source : Mayor's Transport Strategy – october 2009)

Dans la frange Est de la ville le réseau de DLR permet de compléter ce réseau orbital autour du centre. Un exemple de cette stratégie est la station de DLR de Woolwich Arsenal (à Greenwich) qui permet aux voyageurs ralliant le centre de Londres depuis l’Outer London de se disperser vers des centres périphériques (Stratford, Canary Wharf, London City Airport) sans passer par les gares centrales en utilisant le réseau DLR.

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2) Complété par le plan en croix Crossrail/thameslink La stratégie polycentrique concerne essentiellement l’Outer London. Elle s’organise autour des centres métropolitains qu’elle relie entre eux. Cette stratégie permet d’une part de réduire la dépendance à la voiture et rend possible un développement plus durable et local dans les centres périphériques où se concentreront des infrastructures d’échelle métropolitaine et rendront moins utiles les déplacements vers l’hypercentre. D’autre part, le développement du réseau de transport entre les centres métropolitains doit permettre des trajets alternatifs contournant l’hypercentre et de ce fait le désengorger. Cependant, même si cette politique aboutit, il est peu probable que les déplacements vers l’hypercentre diminuent considérablement. Pour répondre aux besoins de déplacements rayonnant, des aménagements du métro sont prévus ainsi que deux projets de grande ampleur : Crossrail et Thameslink.

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a) Crossrail C’est le plus gros projet de transport en Europe, il consiste en une voie de chemin de fer rapide qui traverserait la capitale d’est en ouest. Ce projet cofinancé par le gouvernement à hauteur de 600 millions de pounds devrait être opérationnel en 2017. Il doit permettre de soutenir le développement de la ville en augmentant considérablement la capacité de transport (+10%40 soit environ 1,5 million de personnes) pour la desserte de Westend, la City et l’Isle of Dogs. Selon le GLA41, les enjeux de crossrail sont énormes : assurer la place centrale de la City et de Canary Wharf dans la ville globale en favorisant la croissance des secteurs d’affaires et financiers dans le centre de la ville, soutenir le développement de West end comme premier centre de loisir et de commerce de la ville, enfin il permettra de relier ces différents centres à l’aéroport d’Heathrow et d’améliorer leur connectivité internationale. Pour le maire, c’est aussi le moyen de générer de la croissance au niveau des autres connexions multimodales puisque ce projet va s’accompagner d’une large réorganisation du territoire et permettre le développement de la partie est de la ville autour du site olympique après les jeux. Enfin, Crossrail permettra d’initier la deuxième partie de la stratégie du London Plan. Il devrait notamment dégager une nouvelle zone de développement pour la construction de logements en désenclavant la partie la plus à l’Est du Thames Gateway. En reliant les deux rives depuis les Docklands vers l’Essex et grâce à leur connexion au réseau de DLR (Dockland Light Railway) il devrait permettre de redessiner des espaces de connectivité et les transformer en lieux de densification de l’activité économique dans cette même zone. Ce schéma doit permettre un développement horizontal de la ville avec des points clés : Heathrow, la CAZ, Canary Wharf, Stratford…. et certains centres métropolitains de l’Outer London (Romford, Ilford, Ealing) (cf figure 6). 40

MTS Chap 5 avec plus de 24 trains de 10 wagons par heure dans chaque direction au maximum de sa capacité 41 London Plan, chapitre 6, 19

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C’est le moyen privilégié pour accompagner efficacement la croissance de la ville, développer les emplois et éviter son engorgement42. Par son ampleur ce projet s’inscrit à la fois dans le cadre du London Plan mais il doit également être compris comme un élément moteur de l’économie au niveau national. Il est supposé rapporter plus de 36£ milliards au PIB en 60 ans43. Il devrait employer un millier de personnes pour la maintenance et jusqu’à 14 000 pour sa construction entre 2013 et 2015 avant d’être achevé en 2017. En attendant c’est le HLOS (High level Outpout Specification) qui est chargé depuis 2007 d’améliorer le réseau de train dans la capitale. Les projets à court terme (2014) s’inscrivent directement dans la stratégie du MTS avec l’augmentation de la capacité des lignes rayonnant vers le centre, l’amélioration de l’accessibilité et l’utilisation de la carte Oyster pour les trains.

Figure 6 (Source : Mayor's Transport Strategy – october 2009)

42

“Without Crossrail, London would have been prevented from continuing the development of its second business centre at Canary Wharf, which will allow this area to maximise its contribution to the wider UK economy.” MTS Chap 5 261 43 MTS CHap 5 263

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b) Thameslink Thameslink est un projet de 5,5£ milliards qui doit traverser la ville du nord au Sud en passant par le centre ville, il est complémentaire du projet Crossrail, mais devrait être achevé plus tôt (en 2015). Il va permettre de mieux relier Londres à la région du Sud Est et notamment la section entre Blackfriars et Farrington. Blackfriars sera la première station qui reliera les deux rives de la Tamise alors que Farrington sera le lien avec Crossrail. London Bridge bénéficiera d’une restructuration pour être adapté à sa position privilégiée sur le Thames Link. La régénération engagée à Brent Cross/ Cricklewood sera poursuivie avec la construction d’une nouvelle station. La figure 7 récapitule l’ensemble de ces projets

Crossrail 2 (Chelsea

Hackney Line) proposal 9 Les deux projets de Crossrail et Thameslink s’insèrent dans la volonté du maire d’encourager le transport du fret à l’intérieur de la ville sur de nouvelles voies de distribution, en augmentant la capacité de transport et une meilleure accessibilité au centre de Londres à travers des corridors rayonnant (Policy 4).

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Figure 7 (Source : Mayor's Transport Strategy - october 2009)

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3) Répartir la richesse dans l’inner london : le redéveloppement à l’est de la ville Le site olympique de Stratford se trouve au cœur de la deuxième stratégie du London Plan pour désengorger la CAZ et recréer un nouveau centre plus à l’est de la ville. Il permettra également d’initier des projets à long terme comme celui de la Porter de la Tamise (qui s’étale le long du fleuve jusqu’à l’estuaire). Le but est de profiter de la position géographique privilégiée de cette Opportunity Area, dans l’Inner City dense et proche de Canary Wharf, bien reliée par les réseaux de métro, de DLR et désormais par le HS1. Cette complémentarité doit permettre d’accentuer le développement de Stratford et d’en faire le deuxième centre d’activité de la ville regroupant de nouveaux logements, des immeubles de bureaux et les infrastructures publiques construites pour les Jeux Olympiques (stades, piscine…) dans une optique modulable pour une adaptation à un usage normal à long terme. La mise en place de Crossrail en parallèle du réseau orbital doit permettre d’assurer la pérennité du projet et de repousser toujours plus à l’est les limites de mégalopole. Il va permettre de fluidifier les transports entre le centre et les Docklands et faire de Stratford un centre hyperintégré dans le réseau de transport. Ce projet important est initié par les infrastructures mises en place pour les jeux dans l’arrondissement de NewHam mais il dépasse largement cette perspective et s’inscrit à long terme comme la clé de voute du redéploiement urbain londonien. Il illustre notamment la philosophie de la stratégie de transports qui veut que tous les équipements générateurs de voyages longs (infrastructures publiques lourdes) soient dotés d’une bonne accessibilité, connectivité et capacité. (policy 9)

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a) Reproduire l’expérience de Canary Wharf Dans les années 1980, la mise en place d’un réseau de transports en commun innovant (le Docklands Light Railway) en parallèle du projet de développer un nouveau centre d’affaire à Canary Wharf a été décisive pour la réussite de ce projet. L’ouverture du DLR en 1987 en parallèle de l’extension de la ligne de métro Jubilee (1999) et d’une meilleure connexion routière (Limehouse link) ont permis une bonne accessibilité destinée à relier ce qui devait devenir le second centre économique après de la CAZ. Le DLR est aujourd’hui un exemple en matière de développement durable. Les hommes d’affaires et les travailleurs se rendent en grande majorité sur leur lieu de travail grâce aux transports en commun et très peu utilisent un véhicule privé alors même que cette zone n’est pas concernée par le péage urbain (plus à l’ouest). Cela a été rendu possible car le projet de renouvellement urbain s’est articulé autour des accès au réseau de transport pour proposer une desserte efficace du centre d’affaires. Aussi les critiques concernant le centre de Canary Wharf concernent essentiellement les immeubles de bureaux et leur usage réservé aux travailleurs du centre, pourtant le projet est une réussite du point de vue de l’accessibilité du site. Ainsi constitue-t-il la preuve qu’une planification en amont est nécessaire pour s’assurer de la viabilité d’un projet sur le long terme. Aujourd’hui, les quartiers qui ont besoin d’être revitalisés soit qu’ils soient touchés par une perte de vitesse économique initiée dans les années 1970 avec la désindustrialisation, soit qu’ils concentrent une population majoritairement jeune, en marge socialement et très marquée de part ses origines ethniques, se trouvent toujours dans l’inner london, à l’est de la ville. Leur avantage est leur proximité géographique par rapport à l’hypercentre par rapport aux zones périphériques de l’Outer London. Ces poches de pauvreté possèdent aussi un fort potentiel pour augmenter la densité et permettre la concentration d’activités nouvelles pour le business et le monde des affaires à l’étroit dans le square miles de la City et désormais dans la presqu’île de Canary Wharf. Le redéploiement du réseau de transports urbains vers la zone de Stratford doit permettre de la désenclaver - 82


notamment puisque cette stratégie sera accompagnée d’une politique volontariste de régénération urbaine comme cela est prévu dans la stratégie de développement spatial du LP44. Dans le cadre de la stratégie de l’Opportunity Area Planning Frameworks (OAPF) tous les projets de régénération urbaine doivent faire l’objet d’une planification spatiale qui prenne en compte l’élément transport. Sur ce site particulièrement, il s’agit de mieux relier Startford aux nœuds de connexion les plus proches pour assurer un développement harmonieux et viable. Enfin, compte tenu de l’ampleur des infrastructures olympiques, une attention particulière a été fournie de manière à assurer que la capacité des infrastructures nouvelles stations de métro, places … seront proportionnelles à la capacité du réseau de transports destiné à connecter le site au reste de la ville. Concernant les autres zones de densification des activités, les Intensification Area : il s’agit de mettre à profit leur bonne situation d’élaborer des stratégies de densification de ces espaces (augmentation de la taille des immeubles, multiplication des activités au sein du même bâtiment, taxes préférentielles pour attirer de nouveaux commences) afin de les rendre plus rentables et de leur faire atteindre le maximum de leur potentiel économique et foncier. Les projets de redéveloppement doivent là encore être encadrés de près de manière à s’assurer que la capacité des moyens de transport à ces endroits correspondent aux besoins de la croissance escomptée.45 Cette stratégie se trouve confirmée par la Policy 23 où le maire s’engage à travers toutes les infrastructures de transport à soutenir les projets de régénération établis dans le London Plan sous les sigles Opportunity Area et Intensification Area

44 45

MTS 4.5.3 Supporting regeneration and tackling deprivation 213 MTS 4.5.3 Supporting regeneration and tackling deprivation 215

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b) L’opportunité de créer une ville propre

L’ambition de faire de Londres une ville iconoclaste du développement durable se traduit également dans les projets de transport de marchandises à travers la ville. Le projet du maire est notamment de développer un système de fret performant utilisant différents modes de transports afin d’acheminer les biens dans toutes les extrémités de la ville et particulièrement en son centre souvent congestionné. La stratégie privilégiée pour parvenir à cet objectif est d’intensifier l’utilisation de la Tamise et des autres voie fluviales. Ce projet est développé dans le London Plan, dans le sous chapitre consacré au Blue Ribbon Network. Des équipements importants ont déjà été mis en place pour concrétiser le projet avec le nouveau port à container au bout de l’estuaire, au niveau de Tilbury qui sera à l’image de Rotterdam le port de déchargement de la Porte de la Tamise. Il est également prévu dans le London Plan de construire de nouvelles gares de déchargement de marchandises sur le parcours de la ligne de trains intercontinental HS1, dans les environs, au cœur de la Lower Lea Valley. Une articulation entre ces deux canaux de transport de marchandises à l’international est à l’étude (London Plan, Proposal 2). Concernant le transport de personnes, les infrastructures développées à l’Est de la ville doivent permettre d’initier le changement de comportement tant attendu dans les villes globales et réduire drastiquement l’usage de la voiture. En plus des réseaux de trains et de métro un système intégré d’infrastructures légères -bus, tramway et surtout l’extension du DLR- devrait permettre de relier les points clés dans l’est de l’Inner London. Ce sera le mode de transport privilégié pour assurer des déplacements restreints et fréquents à heures fixes (commuting). Des connections avec l’Orbital Interchange Strategy permettront de relier les centres métropolitains par Overground, tandis que l’hypercentre sera toujours accessible via Crossrail. Ainsi, alors qu’il était au départ excentré dans les marges de la ville (1987), le DLR se trouve aujourd’hui au cœur du réseau de transport métropolitain parce qu’il relie l’important quartier d’affaire de Canary Wharf à la City. Il va aussi permettre la politique de régénération des Opportunity Areas concentrées à l’Est de - 84


la ville le long de la Thames Gateway en assurant le lien avec Canary Wharf et à terme jusqu’à Victoria station (une extension vers l’ouest est prévue Proposal 15). C’est par exemple un équipement moteur qui doit faciliter l’implantation d’un important programme national de logements à Barking Riverside (station Dagenham Dock). En 2007, suite à l’obtention des Jeux, c’est cette infrastructure qui a bénéficié du plus généreux investissement pour créer une extension du réseau et la Gare de Stratford International pour un montant de 238£ millions.

Cet

investissement dans une structure pourtant relativement jeune indique sa place déterminante pour desservir les Jeux. TfL et l’Olympic Delivery Authority ont consacrés près de 67£ millions pour permettre l’extension des lignes et la construction de quatre nouvelles gares (Star Lane, Abbey Road, Stratford High Street and Stratford International) dans ce schéma. En 2009, un effort conjoint de 18,2£ millions entre la London Development Agency (2£ millions), l’Olympic Delivery Authority (10,8£ millions) et la Homes and Communities Agency (5,4£ millions) a été dédié à l’amélioration de la Bekton Line pour permettre d’augmenter la capacité de trains plus longs -3 voitures- et plus nombreux ( un train toutes les trois minutes) jusqu’à la station Taylor Woodrow. La position stratégique du réseau DLR entre la gare de Stratford et le centre ville devrait faire de lui un des moyens de transport privilégiés pour se rendre sur le site olympique. Cette optique permettra de limiter de façon concrète l’impact écologique des jeux puisque ce réseau est peu polluant.

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c) Stratford International et les Jeux “With £9.3 billion going into the Games, we need to do everything we can to regenerate the area and to ensure the crowds are still coming here in 2013 and beyond. Our ambition is to turn the Stratford site into a place of destination, a must-see item on the tourist itinerary and we believe the ArcelorMittal Orbit will help us achieve that aim.” Mayor Boris Johnson L’ensemble des projets détaillés ci-dessus s’organise autour du site olympique, l’élément central du nouveau réseau de transport urbain. De plus, la livraison de la station Startford International sur la ligne du HS1 (Eurostar) va permettre de désengorger la gare centrale de St Pancrass International. Les deux gares seront connectées pendant les Jeux sur ce tronçon rebaptisé pour l’occasion Javelo Line et permettra de rejoindre la CAZ depuis le site olympique en 30 min. Cette gare permet également de relier l’Est de la ville et l’Isle of Dogs à l’international et ce sans passer par l’hypercentre. Cette réorganisation, si elle sera en grande partie finalisée pour accueillir les Jeux, s’inscrit donc dans une perspective bien plus large destinée à relancer le dynamisme de la ville et à permettre son redéveloppement vers l’est. A ce titre les infrastructures de transport, en plus des lieux de rencontres sportives, constituent l’héritage des jeux pour la ville, inscrit et préparé dans le cadre du London Plan. Les jeux seront néanmoins une période test pour le réseau puisque celui-ci sera utilisé intensément pendant deux semaines. Près de 50 000 athlètes seront logés sur le site, 100 000 organisateurs se rendront sur place chaque jour pour encadrer le déroulement des Jeux alors que jusqu’à 800 000 spectateurs seront attendus lors des journées les plus importantes. La capacité du réseau de transports en commun sera donc utilisée à son maximum puisque ce sera le seul moyen d’accéder directement au site, aucune place de parking supplémentaire n’étant prévue afin de minimiser les embouteillages et la pollution. C’est le Olympic Transport Operations Centre qui s’occupera de la gestion du réseau pendant cette période d’intense utilisation et sera charger d’assurer le bon fonctionnement du reste du réseau de transport. Un des enjeux est d’éviter la saturation du réseau pendant les jeux pour ne pas perturber l’activité économique normale de la ville. - 86


III. Une redéfinition de l’’espace public par les transports

Le gouvernement londonien à travers le London Plan et la MTS propose un schéma organisateur de la ville destiné à en maitriser le développement à long terme. Nous avons vu que la stratégie de transport était organisée autour de nœuds de connectivité qui relient les différents lieux publics de la ville et s’insèrent dans un réseau structuré qui organise la mobilité londonienne. Dans cette partie, nous changerons d’échelle pour nous intéresser à ces points de convergence pour voir dans quelle mesure ils redessinent l’espace public londonien. La notion d’espace public est difficile à définir en urbanisme. Dans une certaine mesure la ville entière représente l’espace public. Dans son acception commune, l’espace public est assimilé au domaine public (places, rues et voies fluviales) appartenant à tous. C’est un lieu de rencontres qui réunit des individus aux qualités et aux intérêts différents. La définition philosophique de l’espace public proposée par Jürgen Habermas dans son ouvrage éponyme (1962) évoque un espace d’échange et d’argumentation entre des points de vue différents. L’espace public de J. Habermas relève du monde des idées, il correspond en quelque sorte à l’espace de la pensée. L’origine philosophique de la définition conditionne sa forme purement théorique. Suivre cette définition de l’espace public nous éloignerait de notre sujet, toutefois réduire le concept d’espace public à celui de domaine public semble réducteur. C’est pourquoi nous nous tournerons dans cette dernière partie vers des auteurs ayant tenté de faire coïncider ces deux notions ce qui implique de théoriser la ville comme un ensemble de lieux. Richard Sennett, Jane Jacobs ainsi que d’autres auteurs plus anciens, proposent dans leurs travaux sur la ville une réflexion sur son aspect social. Ils s’interrogent sur l’influence que peut avoir sa forme sur les modes de vie et l’appropriation qui en sera faite par les habitants. Selon eux, la ville est avant tout un phénomène humain et il est important de toujours garder à l’esprit que si elle doit être organisée, cela doit être fait en fonction des individus. - 87


C’est dans cette perspective qu’un changement de point de vue s’avère pertinent pour notre d’étude. Les grands schémas organisateurs de la ville tel que le London Plan, et les autres réflexions destinées à produire des masterplans de mise en cohérence sont élaborés de manière à répondre à des impératifs macroéconomiques, à répondre à des enjeux globaux ou à des phénomènes transnationaux figurés par des données chiffrées difficiles à relier au monde sensible. Il nous semble important d’opposer à cette vision globalisante une approche plus concrète de la ville qui se rapproche de l’expérience individuelle vécue par ses habitants. Il est très difficile de savoir quel peut être l’impact de la morphologie de la ville sur le comportement et le bien-être des citoyens. L’histoire de l’urbanisme montre néanmoins que depuis l’antiquité cette interrogation accompagne de manière récurrente la recherche d’un « bon urbanisme ». Pourquoi ne pas utiliser ce questionnement dialectique pour interroger le projet londonien. Respecte-t-il ses objectifs initiaux ? L’aspect pragmatique du London Plan ne tend-il pas à minimiser le projet de société contenu dans les projets de Rogers et de l’Urban Renaissance ? Enfin la planification du GLA envisage-t-elle et se donne-t-elle les moyens de donner un « sens » à la ville afin d’assurer la cohésion et l’identification de sa population. Londres est-elle porteuse d’une signification commune pour tous ses habitants dans leur diversité ? Ce questionnement guidera notre réflexion tout au long de ce chapitre. Pour y répondre nous passerons par plusieurs étapes. Nous reviendrons d’abord sur les critiques contemporaines des grandes métropoles réputées être déshumanisantes. Nous verrons ensuite les théories qui s’attachent à donner du sens à la ville en tant qu’elle pourrait permettre de réunir différentes conceptions de l’espace public. Enfin nous verrons de quels moyens disposent les urbanistes pour retranscrire celui-ci dans la forme physique de la ville. Pour conclure nous verrons quelle forme prend l’espace public à Londres à travers ses différentes mutations physiques.

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A. Frénésie urbaine : mais où est passé l’humain ? Nous avons vu dans les chapitres précédents quel était le projet de masterplan développé par le gouvernement métropolitain de Londres. Ce projet à l’échelle de la ville nécessite une vision d’ensemble des enjeux auquel elle est confrontée. Dans ce chapitre, nous revenons à une échelle humaine pour voir quelles sont les conséquences des politiques urbaines au niveau de l’expérience individuelle.

Nous avons vu que dans le contexte de l’Urban Age, les impératifs écologiques avaient considérablement influencé la philosophie des urbanistes et introduit de nouvelles contraintes sur la planification du territoire. L’étude des projets de « Renaissance urbaine » et de « ville métabolisme » conçus par Richard Rogers traduisait ce souci de créer, de concevoir une nouvelle ville. Pourtant certains enjeux urbains

restent

irrésolus.

La

gentrification,

processus

indissociable

du

renouvellement urbain s’il en est, mais aussi le droit à la ville pour les plus démunis entrent dans une perspective plus générale des conséquences sociales de l’organisation du territoire urbain. A l’heure où le projet du London Plan affiche l’objectif ambitieux de faire de la ville globale « une des villes les plus agréables sur Terre » ces questions doivent légitimement être posées.

- 89


1)

Les critiques de l’urbanisme moderne Deyan Sudjic46 définit trois types d’acteurs dans la formation de la ville : les

théoriciens, les décideurs politiques –planificateurs- et les city-makers (investisseurs, architectes, ingénieurs, constructeurs). Nous allons nous intéresser à la première catégorie pour développer une approche sociale de la ville qui s’oppose à celle des deux autres groupes. Mais avant cela à nous de rappeler que dans le contexte de libéralisation et de dérégulation, ce sont ces deux catégories d’agents qui donnent libre cours à leur créativité, leurs espoirs et leurs calculs pour « faire la ville ». Les planificateurs considèrent le territoire urbain comme un ensemble de données chiffrées et de statistiques, une relation de flux représentant des valeurs économiques et humaines. Ils utilisent un vocabulaire spécialisé tel que « nœuds urbains » ou « centres métropolitains » pour le décrypter et le comprendre. Les city maker s’inscrivent dans la perspective économique des villes globales. Ils s’allient aux économistes pour concevoir le territoire urbain comme un potentiel qu’il s’agit d’exploiter au maximum de ses capacités, en développant chaque parcelle de terrain et en concentrant l’activité productrice pour générer des économies d’échelle. Ce sont ces deux catégories d’agents qui créent la ville. Leurs visions de l’espace urbain, l’une virtuelle, l’autre pragmatique fusionnent dans une troisième où la ville est considérée pour ce qu’elle est et ce qu’elle permet (de la création de richesse, la construction de nouveaux bâtiments où infrastructures…) et non pas pour ceux à qui elle est destinée. L’histoire de Canary Wharf à Londres permet de saisir à la fois la force et les limites de ce raisonnement. Il nous permet de prendre du recul par rapport à la perspective économique et de voir la ville dans toute sa complexité et son imprévisibilité. Aussi nous permettra-t-il de relever l’importance de prendre en compte une dimension sociale dans la formation de la ville.

46

Theory, policy, and practice, Deyan Sudjic, in the Endless city, Urban Age Proejct

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a) la contradiction avec une ville sociale La vision de la ville que nous venons de décrire considère l’espace urbain comme un ensemble de données chiffrées, une relation de flux représentant des valeurs économiques et financières qui convergent vers la ville et y trouvent un point d’ancrage sur le réseau mondial des échanges internationaux. Dans la perspective des villes globales c’est la conception dominante de la ville. Les agents économiques utilisent l’espace comme un potentiel qu’il s’agit d’exploiter au maximum de ses capacités, en développant au mieux chaque parcelle de territoire et en concentrant l’activité productive afin de générer des économies d’échelle. Cette conception virtuelle de la ville utilisée par les économistes et les marchés s’allie pourtant avec une conception beaucoup plus matérialiste de l’urbain. Celle des citymakers, ceux qui « font » littéralement la ville, les constructeurs, les investisseurs, les architectes, les developers et les ingénieurs. Ces deux catégories d’agents, qui interviennent de manière prééminente dans la formation de la ville moderne, adoptent une même optique pragmatique où la ville est considérée moins pour ce qu’elle est que pour ce qu’elle permet (de la création de richesse, la construction de nouveaux bâtiments ou infrastructures…) et voient dans ces espaces un potentiel de développement. Dans un contexte de libéralisation et de dérégulation, ce sont ces agents qui donnent libre cours à leur créativité, leurs espoirs et leurs calculs pour « faire la ville ». L’exemple de Canary Wharf à Londres permet de saisir à la fois la force et les limites de ce raisonnement. Il nous permet de prendre du recul par rapport à la perspective économique et de voir la ville dans toute sa complexité et son imprévisibilité. Aussi nous permettra-t-il de relever l’importance d’autres acteurs et d’autres données dans la formation de la ville.

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b) La vision normative de la ville et l’exemple de Canary Wharf Avant l’implantation du quartier d’affaire sur le site de Canary Wharf, la zone de l’Isle of Dogs, excentrée par rapport au cœur de la ville connaissait d’importantes difficultés socioéconomiques dues à la désindustrialisation initiée dans les années 1970. Pour lutter contre le phénomène de paupérisation et tenter de redynamiser l’emploi à l’est de la ville, le gouvernement Thatcher prit les mesures nécessaires. Depuis qu’il avait aboli un Grand London Council (GLC) trop puissant, il devait s’assurer que les politiques libérales initiées au niveau national seraient mises en place au niveau local. Afin d’encourager la reprise économique, le gouvernement conservateur établit une politique de taxation incitative et abaissa les contraintes de construction. Le but était d’attirer les commerces et les industries légères afin de redynamiser l’ancien centre industriel des Royals Docklands. C’est par hasard qu’un groupe de développers (Credit Suisse First Boston G Ware Travelstaed) saisit cette opportunité pour construire des immeubles de bureaux et un quartier d’affaires, en marge de la City, surchargée et aux règles strictes en matière de construction. Le troisième quartier d’affaires (derrière la City et West End) le plus puissant de la ville fut donc construit sur un malentendu. Devant ce développement rapide et inattendu les règles qui protégeaient de manière draconienne le développement du square mile furent allégées et ce libéralisme permis l’apparition de gratte-ciels dans le centre historique. Encore une fois, la silhouette de la ville en sortit considérablement modifiée, les investissements se redirigèrent vers le centre géographique et délaissèrent Canary Wharf. L’est de la ville se trouva de nouveau en difficulté. Une des raisons pour lesquelles Canary Wharf risquait la faillite était sa localisation hors du centre ville, alors même qu’aucun moyen de transport en commun ne permettait de le relier au reste de la ville. Devant les difficultés grandissantes de la zone à la fin des années 1980 le gouvernement Thatcher décida de réinvestir dans les infrastructures de la ville (après des années d’indifférence au réseau de transport public) et commanda l’extension de la Jubilee Line le long de la Tamise jusqu’à Canary Wharf. Cette initiative, appuyée plus tard par la mise en place du Docklands Light Railway, permit de sauver la mise et de redynamiser le secteur. - 92


Le centre de Canary Wharf est désormais désigné comme un succès en matière d’urbanisme, puisqu’il a permis l’implantation ex nihilo d’un quartier d’affaires à haute valeur ajoutée contribuant pleinement au dynamisme de la ville dans un des secteurs les plus porteurs de l’économie. Pourtant comme le montre l’histoire, il est clair que son succès doit moins à une planification prévue à l’avance qu’à la réactivité conjoncturelle des différents acteurs face à des crises successives. Le projet fait polémique étant donné qu’il résulte d’un « heureux concours d’évènements ». Il aurait aussi bien pu se terminer de manière bien moins enviable. Les investissements qui se sont imposés aux autorités pour éviter la banqueroute, et qui ont été levés par un gouvernement conservateur réticent à engager des dépenses publiques ont montré quelles priorités étaient les siennes alors que d’autres projets dans le sud de Londres auraient sans doute pu générer autant de croissance pour un même montant d’investissement. Ainsi ce que nous révèle le cas de Canary Wharf, c’est que sans planification l’évolution de la ville est un mélange d’imprévu et d’arbitraire. La ville laissée aux promoteurs et aux investisseurs est capable de grandes réussites comme de catastrophes si les risques pris ne sont pas amortis par la puissance publique. Ce mode de gestion de la ville serait défendable si les ressources de cette dernière étaient illimitées. Or les investissements des gouvernements urbains résultent toujours d’un arbitrage entre stimulation économique et réduction de l’exclusion sociale sous la contrainte d’un budget serré. Les politiques urbaines sont donc adressées à deux catégories opposées de populations qui évoluent dans la ville. Favoriser les intérêts des uns implique nécessairement de décevoir les attentes des autres. Les choix opérés par les gouvernements traduisent donc une certaine vision normative de la ville. Dans le cas de Canary Wharf, un gouvernement conservateur qui ne voyait pas la nécessité d’engager des dépenses dans les infrastructures de transport pour désenclaver des régions isolées a changé de point de vue quand il a fallu venir en aide au secteur privé au bord de la faillite.

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Pour approfondir cette question de la normativité de la ville il est indispensable de changer d’optique et d’utiliser les travaux des théoriciens de la ville qui souvent s’opposent à ceux des « faiseurs de ville ». En étudiant l’aspect social de la ville nous pourrons amorcer un débat important tendant de savoir pour qui elle est faite ?

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c) L’aspect social Au début de cette étude nous avons vu que les villes globales faisaient des efforts considérables pour attirer les entreprises et les capitaux. Nous avions aussi montré que cette attractivité se matérialisait sur le territoire par la concentration d’aménités et d’aménagements spéciaux mis en place par les gouvernements métropolitains pour attirer une élite directoriale. L’analyse sociologique montre que ces centres économiques hyper connectés génèrent dans la ville des logiques d’exclusion et de ségrégation sociale. Dans un article du New York Times, Anthony Vidler47 montre comment la dynamique sécuritaire née du 11 septembre 2001 encourage la ségrégation urbaine dans des lieux que Teresa P. R. Caldeira a défini comme étant des « enclaves fortifiées »48.

« In the 1980s, Canary Wharf took the bold steps of investing in high quality open spaces for its privileged users in what was then an unknown location. This has paid off handsomely. »49

A l’origine les enclaves fortifiées sont issues de la privatisation qui s’accompagne d’une tendance à la ghettoïsation des espaces. Les investisseurs privés et les developers, lorsqu’ils produisent ces espaces, créent des enclaves de richesse dont l’usage est réservé à des utilisateurs privés. Ces espaces ne répondent pas aux impératifs d’ouverture et de démocratie inhérents aux espaces publics. L’apogée de ce phénomène se trouve dans les « gated communities ». Sécurisées et refermées sur elles-mêmes elles s’adressent à ceux qui décident de quitter les lieux traditionnels de l’espace public (rues places…) pour éviter de rencontrer certaines populations (pauvres, marginaux, sans abris) pour des raisons de sécurité ou simplement par confort. Le phénomène des « enclaves fortifiées » s’est beaucoup répandu dans les grandes métropoles, notamment dans les pays en voie de développement où les inégalités et la violence augmentent la tension entre les communautés et les 47 48

Anthony Vidler, NYT 2001 cité dans Don Mitchell, The Right to the City, 2003, The Guilford Press Teresa P. R. Caldeira, Fortified enclaves : the new urban segregation, 1996

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individus. Dans son étude Caldeira prend l’exemple de Sao Paulo où les inégalités sont si fortes que ces espaces sont les dernières enclaves où les plus riches se sentent en sécurité. Mais ce phénomène se retrouve partout ailleurs où les différences sont exacerbées (Mexique, en Chine, en Afrique du sud…). La thèse de Caldeira est de montrer que ce phénomène contribue à la ségrégation au sein de la ville et condamne la diversité, l’ouverture et le multiculturalisme pourtant moteurs de la richesse des villes modernes.

Alors que ce phénomène était circonscrit à des lieux de pouvoir dans les pays en développement, Vidler montre que la logique sécuritaire dans les pays développés s’allie à la logique économique, dénature l’environnement urbain et crée de nouvelles formes de ghettos fortifiés. Le phénomène est préoccupant parce qu’il se propage dans les lieux publics sensés être des espaces démocratiques et ouverts à tous. Cela a des conséquences à la fois sur la nature de l’espace public et sur les comportements des habitants. Au nom de la « logique sécuritaire » les lieux publics sont de plus en plus contrôlés. Ils sont transformés en « espaces clos, surveillés 24 heures sur 24 par des caméras de surveillance et des agents de sécurité employés par des entreprises privées, avec des normes de sécurité accrues et des restrictions de libertés individuelles ». On assisterait selon lui à une évolution de l’espace public sur le modèle du centre commercial, fermé et destiné à la consommation, où les seuls aménagements s’adressent à des clients. Dans son ouvrage, The right to the city, Social justice and the fight for public space (2003), Don Mitchell50 reprend cette hypothèse et montre que la logique du contrôle permet de rejeter en dehors de l’espace public les occupants considérés comme indésirables (sans domicile fixe, mendiants, bandes de jeunes). Les pouvoirs publics semblent avoir abandonné la volonté de créer de véritables « espaces publics ». Selon lui, l’argument sécuritaire permet de dissimuler une logique de ségrégation sociale extrêmement forte. Sa vision marxiste (il s’inspire beaucoup des travaux d’Henry Lefèvre) le pousse à voir dans la ville la confrontation entre des forces : les forces conservatrices défendant une vision normative de l’ordre qui s’impose à une masse populaire diversifiée, identifiée par le 49 50

Ricky Budett, 2005, Changing Values, Thes Endless City, Urban Edge Project Don Mitchell, The Right to the City, 2003, The Guilford Press

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premier groupe comme potentiellement dangereuse car composée de marginaux, de déviants et de critiques. Selon lui, les mesures sécuritaires mises en place dans les espaces publics ne servent pas seulement à empêcher les attentats et les violences mais elles traduisent également un climat de défiance au sein de la population et contribuent à transformer l’espace public destiné aux classes moyennes et aisées en un « bunker sécuritaire ».

Dans son ouvrage il élabore une théorie de la justice sociale reliée à l’espace de la ville, selon laquelle le droit à la ville est le prérequis inaliénable de toute vision progressiste, ouverte et démocratique. S’inscrivant dans la lignée d’une « conception démocratique et moderne de la ville », il défend l’idée que personne ne peut être exclu des lieux publics (ni parce que quelqu’un dort sur le trottoir, urine dans la rue ou mendie). Ces « droits dérisoires » sont pourtant essentiels selon Mitchell car ils constituent les derniers refuges pour les plus démunis dans les sociétés occidentales où le néolibéralisme a évacué les questions plus fondamentales d’égalité et de droit à une vie descente. Ainsi selon lui le droit d’accès à l’espace public est révélateur du degré de justice sociale en vigueur dans la ville. Il dénonce la lutte contre les sans abris qui constitue une tentative non démocratique de limiter la notion d’espace public. Et les législations pour limiter l’accès à l’espace public transforment la sphère publique en un monde aseptisé pour les besoins esthétiques de certains. Comme le révèle Richard Sennett, de telles stratégies sont en partie guidées par la peur de l’autre. Mitchell dénonce une hiérarchie des droits où les convenances des uns (plus favorisés) a plus de poids que la survie des autres (dans la mesure où il faudrait interdire d’uriner dans la rue à un sdf pour ne pas gêner un touriste). Il dénonce une vision normative de la ville qui serait retranscrite dans la forme même des lieux. L’intérêt de la réflexion de Mitchell est de rappeler que la lutte pour les droits civiques n’est pas acquise pour tous et qu’elle n’est pas terminée. Il montre que l’occupation des lieux publics par les sdf traduit généralement des problèmes structurels latents bien plus profonds que ceux générés par leur présence (absence d’aide aux plus pauvres, exclusion sociale, délitement social, recours à la drogue…). Ainsi Mitchell fait le lien entre l’espace public matériel (où vivent les sdf) et l’espace public théorique (la lutte des intérêts). - 97


Ce qui est intéressant dans ce processus c’est que la forme physique de l’espace public a révélé une réalité sociale qui a attisé son combat. La « fortification » des enclaves de richesse révèle les injustices flagrantes de la société et le cynisme des plus privilégiés.

De leur côté, les artistes du Survival Group soulignent les outils matériels de ce processus d’exclusion. Ils photographient dans les capitales mondiales les éléments urbains « anti-sdf ».

Leurs travaux révèlent des approches différentes

suivant les pays : en France le mobilier anti-sdf est esthétisé (aménagement pour occuper des espaces vides disponibles pour le « squattage ») et ne dit pas son nom, alors qu’il est plus explicite dans les pays anglo-saxons (pics, grilles qui refusent plus franchement le droit à la ville à certains). Ces stratégies d’exclusion transforme considérablement l’espace urbain et le Survival Group indique que dans les nouvelles constructions les architectes font disparaître les recoins susceptibles d’être squattés dès la conception. Il s’agit donc bien là d’une véritable conception normative de la vie sociale qui est véhiculée par la forme des lieux. Pour Charles Muray, l’objectif de cette philosophie de la ville aux Etats-Unis est de faire disparaître le problème des « sous classes », la ségrégation géographique des villes permettant de rendre invisible le problème. Il parle d’une « démocratie de la détention » qui emprisonne l’underclass dans des quartiers-ghettos, hors de la vue du reste de la population.

Ainsi à travers les questions de la justice sociale on voit que les politiques d’urbanismes renseignent sur les valeurs qui organisent le développement de la ville. Surtout elles les cristallisent dans la forme que prend l’espace urbain à travers la ségrégation géographique. L’enjeu de la réflexion sociale est de s’interroger sur un espace particulier de la ville : l’espace public.

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2) La recherche du sens : replacer l’espace public au centre de la réflexion sur le développement urbain Les théoriciens de l’urbain tel que définit Deyan Sudjic51 constituent un troisième groupe détaché des praticiens qui construisent la ville et des politiques qui la gèrent. Les géographes, les sociologues, les anthropologues adoptent la même approche que des philosophes (et élaborent souvent des philosophies de la ville) et se posent en observateurs pour tenter d’apporter des réponses aux problématiques contemporaines de la ville. Il est intéressant de se pencher sur les hypothèses qu’ils ont formulées pour s’adresser à la question sociale. Au cœur de leur réflexion se trouve l’espace public qui se trouve être le dernier lieu d’échange démocratique au sein de la ville moderne privatisée. Ils pensent que c’est à travers les différents lieux qui le composent qu’il est possible de réinsuffler de l’humain dans la ville moderne.

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Theory policy and Practise, The Endless City, Urban Age project

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a) Réintroduire l’’humain au cœur de l’’urbanisme L’essai de Mitchell pour un droit à la ville illustre une vision complètement opposée à la conception économique et virtuelle de la ville des flux. Au contraire elle incarne la volonté de replacer l’Homme et l’Humain au centre de la réflexion urbaine. Il formule ainsi sa critique contre l’urbanisme moderne : “The city as landscape does not encourage the formations of community or urbanism as a way of life; rather it encourages the maintenance of surfaces, the promotion of order at the expense of lived social relations, and the ability to look past distress, destruction, and marginalisation...” 52. Il évoque ainsi le fait que la forme de la ville est néfaste aux relations sociales. Cette critique est partagée par d’autres théoriciens de l’urbanisme. Parmi les sociologues de l’école de Chicago qui ont fait de leur objet d’étude la culture urbaine, Robert Parks et Louis Wirth caractérisent la culture de la ville par l’expérience de la différence que l’on peut y faire sur l’espace public. Ils montrent que les différences urbaines sont des provocations étonnantes et stimulantes pour les individus. C’est l’absence d’ordre moral qui autorise et encourage la concentration des différences. La diversité qui est exposée sur l’espace public pousse les citadins à se construire une « personnalité fragmentée »

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qui rend elle-même possible plus

d’interactions entre les individus. Ainsi selon l’école de Chicago c’est dans la densité de la ville que réside le secret de son pouvoir de stimulation.

Dans son ouvrage de référence Death and Life of Great American Cities (1961)54 Jane Jacobs décrit un espace de diversité d’où naissent les interactions sociales qui font la richesse d’une ville. Son modèle de l’open city a contribué à lui donner le titre d’urbaniste anarchiste puisque dans sa conception de la ville la 52

Don Mitchell, The Right to the City, 2003, The Guilford Press “Chacune de leurs appartenances ne correspond qu’à une fraction de leur personnalité.” Louis Wirth, Urbanism as a way of life, in Sennett, Classic Essay on the culture of Cities New York, Prentice Hall 1969 54 Jacobs, J. (1961) The Life and Death of Great American Cities, London Peregrine Books. 53

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créativité et la richesse urbaine naissent des relations anarchiques qui éclosent dans la ville moralement et physiquement ouverte. C’est parce qu’elle est le lieu d’une concentration extrêmement dense de la diversité sociale, intellectuelle, raciale, sexuelle, et artistique qu’elle rend possible des interactions entre les êtres humains, d’où naissent à leur tour des combinaisons improbables mais uniques. Cette conception d’une ville déconstruite ou plutôt reconstruite par l’homme - avec les moyens du bord et sans planification préalable sur l’héritage historique existant s’oppose frontalement à la tendance moderne de l’urbanisme guidée par les principes capitalistes de la rentabilité, de l’homogénéisation des espaces et des formes ou encore de la concentration des activités par zones. La ville ouverte de Jacobs qui a inspiré de nombreux urbanistes après elle (Sennett), répond au concept d’une ville refermée sur elle-même, privatisée, rendue prévisible et déterminée. Au contraire elle ne prend de sens que sur le domaine public, dans les espaces partagés par tous, dans les rues et les places où se rencontrent par hasard les individus les plus différents. Son principe organisateur est le désordre, l’absence d’une définition trop restrictive des lieux qui laisse au contraire libre cours à l’interprétation par les habitants et qui leur permet de s’approprier les espaces dans lesquels ils évoluent. La ville selon Jacobs doit s’adapter à l’humain et cela n’est possible que si elle retranscrit toute la complexité des différences humaines. Elle s’oppose aux masterplans prônant la réorganisation de vastes espaces, comme ceux de Le Corbusier en son temps. Sa ville organique n’évolue pas selon les schémas rigides de la planification mais est le fruit d’une évolution naturelle de l’espace, modelé par l’usage que ses habitants en ont fait. Enfin dans sa conception c’est le sentiment d’attachement des habitants à leur lieu de vie qui donne toute sa force et sa richesse à la ville.

Dans un article publié sur le site de l’Urban age55, à propos de l’importance accordée à la sécurité dans les nouveaux espaces publics, Sophie Body-Gendrot 55

Body Gendrot, S. (2005), “Knoledge area : Public life and urban spaces, the urban visions of London: Is safety in public space the major issue?” London Conference Novembre 2005, Cities programme LSE

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s’interroge sur l’espace qui va être créé pour accueillir le site olympique de 2012 dans la Lower lea Valley : “Can then Olympic Park become a vibrant and lively neighbourhood like any other? How much can it catalyse a regeneration of the surrounding derelict environment? Will a community form or will it remain a token of the fact that the Games took place in 2012? What will its identity be? Will it be entirely conceived out of design? The question on the transformation of architectural planning into a fine-grained and subtle community is what the challenge is about.” Les questions qu’elle pose s’inspirent nettement de la pensée de Jacobs. Ce faisant, Body-Gendrot souligne que les enjeux de la sécurité des lieux sont intimement liés au sentiment d’attachement que celui-ci sera capable de susciter chez les habitants. C’est la vie du lieu et le sentiment de vivre dans une communauté unie qui génèrera le sentiment de sécurité ou de malaise que ressentiront les individus dans cet espace. Le principe d’ « eye on the street », élaboré par Jane Jacobs56 illustre bien cette conception de la ville comme un lieu organisant des réponses humaines aux problèmes urbains : la fenêtre donnant sur la rue (l’oeil) assure un sentiment de sécurité au passant qui sent la présence d’autres individus prêt à intervenir en cas de danger. Il existe un veille permanente qui est assurée naturellement par la participation civique et qui n’a rien à voir avec une surveillance policée et formelle assurée par des caméras de surveillance. C’est la présence de l’humain qui réconforte l’individu. Ainsi la critique de Jacobs contre l’urbanisme moderne même si elle pourrait paraître datée, semble toujours pertinente dans le contexte actuel où les logiques de la ségrégation sont toujours d’actualité. Surtout sa conception organique de la ville comme « un tout » dont la configuration en détermine l’esprit semble toujours utile pour y trouver les formes susceptibles de recréer un espace de vie en commun dans les projets les plus modernes. Jane Jacobs n’est pas seule à défendre cette vision humaine de la ville. Richard Sennett par exemple s’inspire considérablement de cette vision de la ville ouverte dans ses écrits57. Mais de 56 57

Jacobs, J. (1961) The Life and Death of Great American Cities, London Peregrine Books. Richard Sennett The Open City, Uban Edge Project ; Richard Sennett, The conscience of the eye : The design and social life of cities 1990

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manière générale son influence a essaimé à travers toute la pensée urbanistique. Quand Peter Hall voit dans la ville une fonction de représentation58, il s’inspire du pouvoir de la ville de créer parmi ses habitants un imaginaire commun qui constitue pour Jacobs l’esprit de la communauté. Ailleurs, Saskia Sassen affirme : "the intersection of differences produces something new (...) a structuring sort of logic, a dash of anarchy, inefficiency, disorder (and) because in that possibility lies this making, such intersections can be productive"59 , dans un esprit proche de l’anarchisme de Jacobs. Ce que révèle la réflexion urbanistique c’est qu’il est impossible de ne pas considérer l’aspect humain de la ville. C’est non seulement un devoir moral mais également une nécessité pragmatique. Comme le rappelle Body Gendort “Too often new urban spaces betray the democratic appeal of the city raison d'être.”60 Notamment parce que les nouvelles réalisations donnent une place trop importante à la surveillance (privatisée) qui génère un sentiment fort d’exclusion et d’isolement61, pousse au repli sur soi et retire son sens à l’espace public. A propos du projet d’aménagement de la gare internationale à King’s Cross, Nigel Coats s’inspire des mêmes arguments pour dénoncer un projet à l’utilité purement fonctionnelle (où les intérêts économiques ont imposé une planification sans âme qui méconnait l’histoire et l’identité complexe du lieu. Coats résume toute l’essence de la critique contre les projets d’aménagement moderne en un formule simple « King’s cross should be much more body like »62. Les oppositions des sociologues contre la ville moderne ne sont pas des critiques stériles. Nous allons voir qu’ils appellent de leur voeux un changement de paradigme dans les priorités à accorder dans la formation de la ville. En se basant sur l’idée que la ville est le fruit des rencontres fortuites de pratiques sociales différentes ils renouent avec le concept d’espace public. 58

“the postmodern vision of the city as a place of images, images that are design to protect the city in competition with other cities” Peter Hall Technopoles of the World: The Making of 21st-Century Industrial Complexes (with M.Castells), London, Routledge, 1994 59 Sassen, S. (2005) "Cityness in the urban age", Urban Age Bulletin 2. Autumn 60 ibid 61 “When privatised, surveillance generates feelings of exclusion among some who feel not welcome or intimidated in such and such public space”, Lyon, D.(2003) Surveillance after September 11, London, Polity. 62 Nigel Coats, King’s Cross-roads, november 2007, bulletin 3, The Urban Age Project

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b) Dans le but de recréer un espace public Le concept d’espace public contient différentes acceptions. A l’origine concept philosophique développé par Kant et Hannah Arendt (La condition de l’Homme Moderne), il a été considérablement enrichi par Jurgen Habermas63 dans le domaine des sciences sociales. L’espace public est incarné par la sphère des idées où se confrontent des arguments et où s’exerce l’usage public de la raison. A travers l’échange et les interactions entre les individus, l’espace public s’enrichit et permet à une pensée de s’organiser et de s’imposer comme conscience collective au point de pouvoir défier l’autorité établie. C’est en considérant l’espace public comme le lieu où prennent forme les débats dans les sociétés démocratiques qu’on le matérialise souvent dans une conception urbaine à travers le domaine public. L’espace public urbain est composé de l’ensemble des espaces où convergent et circulent librement les hommes. Cet espace n’appartient à personne. Sa gestion est généralement confiée à la puissance publique au nom de l’intérêt général, dont elle est la garante. Ainsi répondent à cette définition de l’espace public les voies de communications, les routes, les rues, les canaux, les ponts, les voies piétonnes et cyclables ainsi que les places et les parcs et les infrastructures de transports en commun (chemin de fer, métro). C’est sur cette matière que travaillent les urbanistes. Comme cet espace est accessible à tous il s’oppose aux logiques des lieux privés, sur le modèle des gated communities ou des enclaves fortifiées. Il permet aux théoriciens de l’urbanisme d’y concevoir le centre humain de la ville. Toutefois comme nous l’avons vu avec l’exemple du droit de cité (Mitchell) cet espace est menacé par la privatisation. La puissance publique se montre de moins en moins capable d’assurer la protection de cet espace contre les dérives économiques qui tendent à le « marchandiser ». Jean François Bayard, directeur de recherche au CNRS (Paris) montre dans un article critique sur la privatisation de l’espace public64 comment les logiques économiques se jouent des règles sensées le protéger. Les terrasses de cafés, le stationnement des véhicules de services, les livraisons sur le domaine public entament à petit feu l’espace dédié à tous pour le 63 64

Jürgen Habermas, L’espace Public 1962 Jean Francois Bayard, La privatisation de l’espace public, Sociétés politiques comparées, novembre 2009

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résumer à une somme d’usages privés. Mais le problème découle surtout des externalités65 de l’activité économique qui se propagent sur l’espace public. A travers elles les individus entrent en confrontation directe. Dans le quartier de Soho à Londres, la piétonisation des rues a été abolie en 2005 car l’activité nocturne du quartier dérangeait trop les résidents et rendait la zone plus invivable que quand la circulation y était autorisée66. Ce phénomène montre comment l’utilisation économique de l’espace public accentue les tensions entre les individus67. Il devient un lieu de lutte d’intérêts qui désunit les gens, chacun voulant y imposer une utilisation privative qui est à l’opposé du concept même de l’espace public au service de l’intérêt commun. Ricky Burdett, directeur de l’Urban Age, rappelle qu’à Londres, malgré la récente volonté du maire d’améliorer la forme du public realm, la qualité de l’environnement n’est pas à la hauteur de son statut de la ville globale : « London may be one of the world’s greatest cities, yet its physical environment does not live up to this reputation, and in many ways it epitomises JK Galbraith’s maxim of “private affluence, public squalor”. The so-called public space of many housing estates is “SLOAP”(Space Left Over After Planning); abandoned territories of fear and conflict which only now are receiving attention. Much of London remains gritty to the point of squalor, with cracking pavement, unsafe lighting, an incoherent clutter of street furniture, poor design and shoddy workmanship. »68 Et à Burdett de s’interroger si la ville de Londres est encore capable de produire un véritable espace public qui ne soit pas exclusivement conçu par des promoteurs privés. “While this signals a new-found engagement with the civic, the increasing privatisation of the “public” realm raises questions about whether and how London’s public spaces can create the spontaneous possibilities of truly urban places”69 65

En économie les externalités positives ou négatives sont les conséquences indirectes d’une activité privée qui s’impose à tous : la pollution atmosphérique, le bruit, les odeurs qui détèriorent l’espace public sans aucun coût pour celui qui les produit sont des externalités négatives. En 1921 l’économiste Pigou inventa l’idée d’une taxe qui permettrait de comptabiliser ses coûts dans la production de l’activité pour encourager des comportements plus responsables. 66 Ricky Budett, 2005, Changing Values, Thes Endless City, Urban Edge Project 67 “The mantra of mixed-use development, its combination of different and at times incompatible activities can engender conflict and fuel a sense of increasing social exclusion.” idem 68 idem 69 idem

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c) Sous quelles formes ? Dans son essai L’art de bâtir des villes70, l’architecte viennois Camillo Sitte (1889) lui aussi proposait une vision à contre-courant de ses contemporains. Il défendait notamment l’idée que l’environnement créé par les paysages internes de la ville et par leur « beauté artistique » avait un impact considérable sur l’attachement des habitants à celle-ci, sur leurs comportements et leur investissement politique en tant que citoyens. Selon Sitte un « bon urbanisme » ne se dessine pas « sur la planche à dessin » mais relève d’une interprétation intelligente et de l’observation judicieuse du contexte dans lequel doit s’implanter le projet urbain en question. Il donne une importance particulière aux rues et aux places qui constituent selon lui les éléments les plus fondamentaux de la ville car destinés à l’usage de tous. Son travail se concentre sur l’étude des places, leur orientation, leurs dimensions et leurs effets artistiques. Il utilise l’exemple de l’urbanisme antique, où grecs comme romains s’attachaient à embellir de statues et d’œuvres d’art leurs places et leurs forum, car elles constituaient le cœur de l’activité de la cité. Toutes les activités sociales s’y déroulaient, du marché aux déclarations politiques. La place constituait en cela un lieu de rencontre entre les citadins. Un lieu doté d’une grande richesse conséquence de l’échange d’idées ou du commerce. Enfin elle était un lieu symbolique du pouvoir politique qui y déployait ses techniques de manifestation de l’autorité. En ce sens la place antique constituait une véritable matérialisation de l’espace public au sein d’un lieu d’échange entre les citoyens tel que conçu plus tard par Habermas. Camillo Sitte n’analyse pas les évolutions qui ont contribuées à rendre désuet ces différents usages de la place publique. Il s’attache seulement à décrire la mutation physique des places dans l’histoire pour montrer que les impératifs architecturaux et urbanistiques qui s’imposent à la modélisation des places ont perdu une grande partie de la richesse du passé. Alors qu’il s’agissait autrefois de rendre ces places belles et agréables pour le bénéfice de l’ensemble des habitants ; à son époque, les places « modernes » sont 70

Camillo Sitte, L’Art de bâtir des villes, L’urbanisme selon ses fondements artistiques (original 1889) traduction 1996 Editions du Seuil

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souvent des « résidus » issus du tracé des blocs ou des voies de communications. Elles ne possèdent plus aucune cohérence car elles ne sont plus pensées en fonction de l’impact qu’elles auront sur leurs usagers mais simplement dans un but de les rendre fonctionnelles. Elles perdent ainsi leur caractère public ou obtiennent simplement un caractère public secondaire, dérivé d’une utilité première autre que leur fonction sociale : souvent destinés à s’adapter à l’augmentation du trafic des voitures. Camillo Sitte révèle donc à travers son analyse des places au XIXe siècle la perte du sens artistique, qu’il considère pourtant comme le pré requis, sinon indispensable, au moins nécessaire à tout urbaniste qui voudrait produire un espace public cohérent et agréable. Evidemment l’évolution au cours des siècles de l’espace public a rendu nécessaire une adaptation de la retranscription physique de ce dernier dans la ville. Néanmoins la critique de Sitte contre la perte de goût artistique chez les urbanistes de son temps et contre la planification administrative sans âme soumise aux nécessités pratiques de l’économie n’est pas exclusive à son époque... Il dénonce par exemple avec ferveur le système des blocs parcellaires qui répondent à un impératif de rentabilité du foncier mais négligent toute considération esthétique. La critique urbanistique que fait Sitte de la ville n’est pas simplement due à une sensibilité artistique mais doit être comprise dans une conception holiste de la ville. Plus d’un siècle avant ses successeurs, Sitte décrypte ce qui est en jeu dans la forme de la ville. Les belles statues et les aménagements soignés de l’antiquité ne sont pas à admirer ou à regretter dans l’époque contemporaine pour leur seule valeur esthétique ; mais parce que l’intelligence de leur agencement, sur et autour des places publiques et leur mise à la disposition de tous, contribuaient à faire naître chez les habitants le sentiment partagé et démocratique de fierté d’appartenir à une communauté créative et artistique. Sitte se fait d’ailleurs un critique virulent du musée qui enferme les œuvres d’art dans un « tombeau » à l’abri de tous, y compris de leur public. Dans le musée, les œuvres d’art perdent une partie importante de l’effet qu’elles produiraient sur le spectateur si elles étaient librement disposées au cœur de la ville (comme le David de Michel Ange), dans ce que Sitte appelle l’arrière plan scénique que constitue l’architecture de la ville.

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Voyons ce que nous dit Sitte de ses contemporains à propos de l’aménagement des villes : « L’investissement artistique y est nul, et par conséquent l’impression produite est nulle elle aussi ; dès lors, le plaisir que les habitants prennent à leur ville est nul, et aussi, en dernière instance, leur attachement, leur fierté, et en un mot leur sentiment d’appartenance à une communauté, comme on peut l’observer chez l’habitant de nos villes modernes, ennuyeuses et sans art. » Ainsi ce premier critique de « l’art de bâtir des villes » tel qu’il le définit lui-même s’attache à décrypter les conséquences politiques et sociales de la perte du sens esthétique dans l’agencement des espaces publics. Sitte souligne le manque de sensibilité et l’absence de perspective de la part des responsables administratifs d’alors. Ils démontrent qu’ils dessinaient les projets urbains selon les impératifs modernes de l’hygiène ou de la circulation (théorie de la planche à dessin) et allaient jusqu’à en oublier le bon sens, alors que les anciens utilisaient avant tout leurs yeux71 conjointement avec le goût et les arts pour seuls outils d’une construction humaine des villes. Dans la critique de Sitte contre la rationalisation à outrance des espaces il y a un humanisme, il s’agit de rappeler que les villes sont faites pour des hommes, qu’elles sont utilisées par des hommes et qu’à ce titre la perception subjective des espaces a parfois plus de valeur qu’une considération rationnelle réputée objective de la gestion de l’espace.

Une telle approche paraît bien éloignée de la méthode actuelle de « bâtir des villes » notamment parce que la maîtrise d’une telle œuvre est désormais partagée par une multiplicité d’acteurs, de codes et des intérêts divergents. Les urbanistes modernes sont conscients de ces phénomènes. Enrique Penalosa, maire de Bogota, dans un article pourtant intitulé “Politics, power, cities” semble donner raison à Sitte : 71

Voir Richard Sennett, La chair et la pierre, 2002, Les Editions de la Passion

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“Defining what makes a good city is more a matter of heart and soul than engineering. It is more akin to an art than to a science”72. Dans le cas de Londres, les projets urbains semblaient jusqu’ici minés par un manque de créativité73. Les impératifs économiques se traduisaient sur le territoire par un usage mécanique des règles d’urbanisme pour réguler le trafic74 et optimiser la densité selon le mantra75 de l’usage mixte des bâtiments pour répondre aux besoins de densité. Sitte était conscient de ces impératifs et ne les dément pas. Néanmoins cela ne l’empêche pas de proposer une approche holiste de la ville qui prenne en compte ses fonctions aussi bien sociales que politiques : « Comme l’art possède aussi une valeur sociale et économique, il se pourrait que mêmes les responsables les plus bornés de nos finances municipales s’avisent qu’en fin de compte il ne serait pas mauvais de réaliser dans l’aménagement artistique de leur villes quelques investissements dont ils tireraient profit sous forme de civisme, de patriotisme local, et, éventuellement, d’un essor de tourisme. (…) Si l’on voit les choses sous cet angle peut être sera-t-il plus facile de persuader notre époque essentiellement matérialiste de l’importance d’intégrer aussi la dimension esthétique dans l’aménagement de la ville. » C’est le défi qui semble justement lancé à Londres avec le site des Jeux Olympiques. Le maire a déjà montré les signes d’un changement d’approche en matière d’urbanisme par rapport aux autres réalisations. Le projet est conçu comme un immense espace public de 270 hectares destiné a suscité de nouvelles formes de vie en commun pour la ville.

72

Enrique Penalosa, Politics, power, cities, The Endless city, Urban Age Project (2007) p.307 Nigel Coats, King’s Cross-roads, november 2007, bulletin 3, The Urban Age Project 74 Design for movment, Hugh Barton 1998, in Introducing urban design intervensions and responses in Clara Greed & Marion Roberts 1998 Longman Singapour 75 Ricky Budett, 2005, Changing Values, Thes Endless City, Urban Edge Project 73

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B. Agir sur l’espace public (par les transports)

Jusqu’au XIXe siècle les déplacements, les rencontres et la vie publique se déroulent naturellement sur les espaces publics. Kevin Lynch (1987) décrit une vision historique de la ville où « ritual and place fitted together »76 . La vie en ville était structurée autour de cette règle et la planification de l’Etat se résumait à trouver un équilibre entre le respect de l’usage traditionnel de la ville et les besoins de terrains et de routes, il parle ainsi d’un « uncounscious urban design ». Comme nous l’avons expliqué, cette stratégie a été abandonnée avec les impératifs de l’ère industrielle, le développement des réseaux de transport et la rapide urbanisation, c’est pourquoi la question des principes influençant la modélisation de l’espace public se pose différemment aujourd’hui. Dans cette partie, nous verrons que les transports constituent un élément déterminant de la reconfiguration physique de l’espace public. Cela nous permettra de mieux comprendre l’impact de la stratégie de transport étudiée précédemment.

76

Kevin Lynch, l’Image de la cité, 1954

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1) L’importance de la forme physique de l’espace public

Il s’agit de revenir à une compréhension pleine et entière de l’urbanisme à la fois comme un outil politique d’aménagement des villes mais aussi comme un facteur structurant de la vie sociale future des habitants. La prise en compte des conséquences sociales des formes de la ville sur l’organisation de la vie en société a initié dans les années 1970 un tournant depuis un design based planning vers une planification basée sur les sciences sociales. Une approche holiste est alors adoptée pour la résolution des problèmes de la ville. Ce changement de perspective, plus attaché aux effets dérivés socio-économiques de l’urbanisme, s’accompagne de nouvelles pratiques dans la prise de décision. Dans les années 1970 une importance accrue est donnée à la participation des habitants dans la définition des projets et aux partenariats avec des acteurs privés. A Londres dans les années 1980 Norman Foster propose un masterplan ambitieux : le projet de rénovation Broadgate development dans le quartier de Spitalfields market. Ce projet ne fut pas retenu par les responsables du quartier car il était jugé trop axé commercialement et qu’il ne bénéficierait pas assez aux locaux. Même le Prince Charles dénonce la perte de cohérence des villes modernes britanniques. A cette époque, Leon Krier veut restituer l’image de l’historic city. Il développe un nostalgic urban planing qui réhabilite une vision de la ville à une échelle modérée construire autour de quartiers de taille réduite (33 hectares) qu’il serait possible de parcourir à pied et qui concentreraient des activités mixtes de travail, d’habitation ou de loisir. Les idées de Krier et celles de Jacobs, même si elles sont qualifiées par certains d’ « urban village movement »77 sont ainsi parvenues à influencer la politique du gouvernement britannique et l’ont incité à réagir contre le zoning et l’extension incontrôlée des banlieues périurbaines. Plus récemment, on a retrouvé les fruits de cette réflexion dans le manuel de l’Urban Task Force et les 77

Aldous 1998, cité dans Introducing urban design intervensions and responses Clara Greed & Marion Roberts 1998 Longman Singapour

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travaux de Richard Rogers78. Pourtant l’analyse critique de la ville comme un espace trop rigide, trop codifié découle directement de cette volonté de la concevoir comme un tout, une entité maîtrisable à travers un masterplan détaillé laissant peu de place au hasard.

Richard Sennett est un sociologue et théoricien de la ville qui participe au programme de recherche sur l’Urban age à la London School of Economics. Ses idées sont fortement influencées par celles de J. Jacobs. Il s’intéresse aux phénomènes urbains dans les métropoles contemporaines, à ce titre sa critique de la ville est importante pour comprendre les influences qui animent les débats actuels sur l’espace public. Sennett montre que la ville en ce qu’elle est destinée à des hommes doit être conçue comme un organisme vivant. Il est certes utile et nécessaire d’orienter ses transformations, néanmoins une planification trop rigide, à l’exemple de la grille urbaine américaine ou encore du strict Plan Voisin de Le Corbusier, tend à neutraliser la ville, la segmenter et la catégoriser. Selon lui : « This critical imagination of the city is weak(...) we have more ressources to use than ever before, but we simply do not use them creatively (...) That fault is over-determination both of the city’s visual forms and its social functions. The technologies that make experiment possible have been subordinated to a regime of power that wants order and control”.

Nous retrouvons là les critiques que nous avions développées plus tôt. En tant que théoricien, R. Sennett propose une vision radicalement opposée de la ville et de l’urbanisme. Selon lui, cette dernière doit s’adresser aux hommes et permettre à ces derniers de s’approprier la ville. Le nouvel urbanisme qu’il appelle de ses vœux prend en compte le dualisme de la ville moderne qui oscille en permanence entre usage privé et usage public. Ses travaux se concentrent sur l’espace public pour démontrer en quoi les formes de l’espace urbain influencent son usage en commun. 78

UTF (Urban Task Force) 1999, Towards an Urban Renaissance, Londres HMSO

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Sennett est sociologue, sa vision de la ville n’est pas objective et la force de sa réflexion est de montrer que l’urbanisme est doué d’une valeur normative. La vie sociale n’échappe pas aux contraintes de l’architecture et de l’urbanisme. L’urbanisme possède donc une valeur morale. Comme Sitte, il évoque l’exemple antique dont l’espace public destiné à tous était conçu pour renforcer le sentiment d’appartenance par l’exaltation de valeurs collectives. Selon lui ce n’est pas le cas dans une ville comme Londres ou New York, « où les lieux sont souvent vides de tous sens moral » et « où rien ne pourrait éveiller chez les citoyens le sentiment d’une conscience civique ». Comme le remarque très justement Sennett, les « galeries marchandes, parkings et ascenseurs ne suggèrent pas par leur forme la complexité du mode de vie que l’on pourrait y connaître ». Or pour répondre à l’isolement et au délitement social caractéristique de la vie/ville moderne il faut encourager l’ouverture des uns vers les autres. En tant qu’urbaniste il montre que l’environnement doit encourager ce type d’attitudes volontaires.

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a) La conscience de l’oeil Dans La conscience de l’œil79, Sennett date aux Étymologies de Saint Isidore de Séville (VIIe siècle) la double origine du mot « cité »: l’urbs et la civitas. L’urbs s’intéresse aux pierres d’une ville et ramène à la nécessité pratique qu’ont les hommes de s’abriter, de commercer, de faire la guerre. Dans sa dimension moderne on pourrait comprendre l’urbs comme l’architecture ou encore l’urbanisme qui répond aux besoins matériels et pragmatiques des hommes. La civitas concerne l’aspect immatériel de la ville : les émotions, les rituels et les traditions ainsi que les convictions qui prennent forme dans une ville. Dans son travail Sennett réfléchit comment transformer l’urbs pour influer sur la civitas. Dans son ouvrage sur l’Image de la cité (1954), l’urbaniste américain Kevin Lynch insiste sur l’importance du travail de l’urbaniste de se concentrer sur la lisibilité du paysage urbain. Selon lui un schéma clair permet aux habitants de se repérer facilement. Sennett en déduit qu’il est possible de répondre aux maux de la ville en travaillant sur la cohérence de son organisation : « les maux de la ville moderne pourraient être soignés par une imagerie définie »80. « Nous nous projetons dans les espaces dans lesquels nous nous trouvons, nous les emplissons en esprit de notre mouvement ». Geoffrey Scott81 Ainsi « un lieu est mal conçu si l’espace qu’il représente -trop grand ou trop petit- n’entretient aucune cohérence avec les mouvements qui peuvent s’y effectuer ». Sennett utilise cette remarque pour comprendre l’effet que produit l’espace dans la conscience individuelle.

Sennett renoue avec les découvertes de la Renaissance est montre que l’outil le plus puissant de l’urbanisme réside dans le principe de la perspective. « La 79

Richard Sennett, The conscience of the eye : The design and social life of cities 1990 idem 81 Geoffrey Scott, “The architecture of Humanism : A story of the history of taste” (1914) 80

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perspective est créée quand l’œil construit un triangle, il mesure ce qui est proche ou lointain, haut ou bas en imaginant un triangle dont il forme lui-même un sommet et l’objet de coté opposé»82. Ce phénomène humain permet de faire le lien entre l’environnement extérieur et la psychologie des individus, puisqu’en utilisant leur perception les individus sont engagés activement dans ce qu’il regarde. Les règles de la perspective étant universelles, l’œil peut calculer la forme qu’aurait un bâtiment selon que l’on s’en approche ou s’en éloigne, ou encore l’évolution de cette forme selon que l’on change de position. Il est donc possible de modifier ce que l’on voit : « En changeant de perspective on change l’aspect du monde »83. En d’autres termes la perspective donne conscience de l’endroit ou l’on se trouve. Elle permet de donner une cohérence à l’espace sans imposer un point de vue privilégié. Camillo Sitte qui s’est également penché sur les architectes de la Renaissance, explique également l’impact de la forme des bâtiments sur les individus à travers la perception. Selon lui ces effets physiologiques sont dus aux effets de la « beauté artistique ». Elle repose sur le principe de la perspective qui permet de créer des « effets architectoniques » mis en valeur par notre perception de l’espace par rapport à un point de fuite en profondeur. Si l’agencement des éléments urbains répond à cet impératif de concavité alors il se produit un effet visuel maximal pour l’observateur. Dans les deux cas, on comprend que le spectateur de la scène urbaine ne reste pas insensible à ce qu’il voit. C’est d’ailleurs pour souligner l’importance de cet effet visuel que Sennett a décidé d’intituler son ouvrage « La conscience de l’œil ». Pour rendre plus compréhensible ce rapprochement, il souligne le lien qui existe entre la perception de la perspective et la notion philosophique de perspectivisme. « Le perspectivisme consiste en une évaluation de possibilités non exclusives les unes des autres. L’individu évalue des hypothèses à partir de différents points de vue pour prendre une décision et se projeter dans l’avenir… » Ainsi l’urbain n’est pas neutre, au contraire il peut générer une forte émotion qui pousse l’individu à interagir avec le lieu. Sennett prend l’exemple des travaux que Sixte Quint a initié à Rome. Il montre que son utilisation de la perspective (l’érection d’obélisques disposés sur les grandes artères pour relier les places) génère une expérience de la rue inédite qui pousse les individus à « s’emparer de l’espace » et les engage au mouvement. Les 82 83

Richard Sennett, The conscience of the eye : The design and social life of cities 1990 idem

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possibilités de perceptions sont tellement nombreuses que ces derniers tentent de « contrôler ce qu’ils voient », et cherchent à créer de nouvelles combinaisons grâce à la perspective pour engendrer des découvertes visuelles.

Sennett montre qu’il est possible pour l’urbaniste de manipuler cette perspective. Il prend l’exemple d’un décor de théâtre : La scène tragique, également conçue par un architecte de la Renaissance Serlio. Dans ce décor le fait que l’obélisque qui attire tout de suite le regard soit décentrée par rapport au point de fuite naturel constitue une « provocation visuelle » déstabilisante pour celui qui la regarde, par rapport au reste du décor. Sennett en conclut que le décor suscite un sentiment de tragique parfaitement adapté aux scènes que le décor devait accompagner, en plongeant le spectateur dans l’incertitude. Cet exemple lui permet d’affirmer qu’il est possible d’utiliser les effets de la perspective pour déstabiliser l’œil et la perception visuelle afin de susciter le doute et la réflexion chez les spectateur/habitants. Cette situation d’indétermination (psychologique) assouplit les défenses des individus, les rend moins sûrs d’eux même et les expose à la différence. A partir du moment où l’urbanisme peut générer des sentiments universels sur les individus qui évoluent dans un espace, il est possible de les faire se tourner les uns vers les autres et de créer un contexte favorable à l’échange. L’apport considérable à l’urbanisme de Richard Sennett, dans « La conscience de l’œil », est d’expliciter l’impact psychologique et sensoriel de l’urbs sur les individus. Selon lui « Il y a une conscience des objets matériels qui peut résonner dans la conscience que les gens ont les uns des autres dans la ville ». L’architecture définit la perspective, elle fixe donc le cadre dans lequel se fera l’expérience de la perception des rues. En créant des espaces où il est impossible d’avoir une vision d’ensemble mais où plusieurs points de vue simultanés permettent d’embrasser la perspective il est possible de susciter un sentiment d’incertitude et donc d’agir sur l’état d’esprit des spectateurs de la scène urbaine. . - 116


b) La critique de l’’urbanisme moderne Dans un article plus récent de l’Urban Age, Sennett critique la vision de la ville moderne. Selon lui « what is missing in modern urbanism is sense of time »84. Les urbanistes ont perdu la capacité de créer des lieux capables d’évoluer avec le temps et qui intègrent la complexité. Pour Sennett, cela est du à une volonté plus profonde de vouloir maîtriser l’espace urbain. Il illustre son propos avec le concept de « Brittle city ».

Les villes modernes fonctionnent comme des systèmes fermés sur le modèle des « gates communities ». Ces villes sont chargées d’une symbolique, elles trahissent « the twenthieth-century bureaucrat’horror of disorder ». La particularité du système fermé est d’être conçu comme un tout incapable d’évoluer. Sennett prend l’exemple des masterplans de Le Corbusier qui devaient s’imposer en bloc sans aucune considération pour le terrain. Au Etats Unis c’est la logique de la grille qui illustre ce phénomène. Ce schéma s’accompagne d’une organisation rigide où l’ensemble de l’activité urbaine est codifié dans le but d’établir un équilibre mais aussi de fixer des règles. Ainsi le système fermé s’apparente à une camisole de force qui s’étend sur la ville et s’impose de manière normative aux habitants. « A closed system is also meant to be an integrated system » dans lequel chaque chose a une place assignée et dont il ne peut sortir. Il est possible de reconnaître dans cette description quantité de projets urbains actuels. Comme il l’indique, les stratégies de renouvellement urbain en Grande Bretagne comme aux Etats-Unis incarnent l’idéologie de la Brittle city. Ces projets suivent la même logique que celle qui guide la réalisation de gratte-ciels et des logements sociaux, dont la durée de vie est estimée à moins d’un demi-siècle, après quoi on les démolira pour en reconstruire de nouveaux. Les projets de régénération s’accompagnent souvent du processus de gentrification qui vide les quartiers de leurs habitants pour les remplacer par de nouveaux plus aisés. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la « perte du sens du temps ». Dans la ville moderne plus rien n’est fait pour durer, les bâtiments sont fait de matériaux économiques mais fragiles ou et trop rigides (le verre et l’acier des gratte-ciels). Ils ne sont destinés qu’à 84

Richard Sennett, The Open City, The Endless city, Urban Age Project (2007)

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un usage défini dans la durée et inadaptables aux évolutions des besoins de leurs habitants.

Le projet de Rogers rentre également dans le schéma de la « Brittle city ». Même s’il est étudié pour répondre aux enjeux environnementaux et recentrer l’activité à l’échelle de la vie locale, il n’en reste pas moins un masterplan complexe, aux règles rigides où tout doit être planifié à l’avance pour trouver sa place au sein d’un fragile mais supposé « durable » équilibre… Toutefois Sennet n’est pas un cynique : « The Brittle City is a symptom » et il a tôt fait d’assortir sa réflexion de proposition pour proposer un modèle concurrent inspiré de Jane Jacobs, l’ « Open City ».

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c) Quelle forme donner à l’espace public ?

Partant du constat qu’ « une rue de New York ressemble à l’atelier d’un peintre qui y a réuni toutes les toiles, tous les livres d’autres artistes et les esquisses dont il aura besoin pour un grand triptyque qui sera le couronnement de sa carrière puis qui a quitté la ville sans explication » et « que le même constat serait valable pour Londres » et puisqu’il est possible de transformer à travers l’urbs des concepts en une « expérience physique », Sennett prône l’idée d’une ville ouverte qui matérialiserait l’espace démocratique. Cette ville moderne s’oppose presque symétriquement à la Brittle City. C’est un espace déstructuré, anarchique et presque chaotique… Pour autant Sennett n’abandonne pas son travail d’urbaniste, il est simplement convaincu –comme Jane Jacobs- que la richesse nait de la confrontation des individus et de leur diversité. « The art result from the overcrowding » (William Empson) il s’agit de recréer des espaces complexe où les différences se mélangent intelligemment et d’où émerge le sentiment d’appartenance au lien en même temps qu’à la communauté. L’espace constitué sur les bords de la Tamise avec le Pont de Millénaire (Millenium Bridge85) constitue un exemple du type d’espaces démocratiques qu’il faut essayer de recréer. Le Millinium bridge est une victoire de l’urbanisme humaniste car il permet de créer un espace d’échange démocratique entre de parfaits inconnus. Les effets de cet aménagement public déborde largement les limites de sa structure et relie entre eux « deux mondes » : celui du quartier de la City au Nord de la ville à un centre culturel implanté au beau milieu d’une ancienne friche industrielle au Sud. Cette implantation urbaine libère un sentiment d’unité entre des communautés différentes. « This corridor has stimulated informal mixings and connections among people walking the span within its confines, prompting an ease among strangers »86. 85

Le Millenium bridge a été construit par Foster & partners en 2002 pour une somme de 28,4 millions d’euros. Il relit les deux berges de la Tamise au niveau de la Cathédrale St Paul au nord et de la Tate Modern au sud et a participé à la régénération du quartier de Southwark au début des années 2000. 86 Richard Sennett, The Open City, The Endless city, Urban Age Project (2007)

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Afin de réitérer ce genre d’expérience urbaine enrichissante, R. Sennett donne quelques pistes aux urbanistes contemporains. Le fil conducteur est que l’expérience de la diversité dans une ville doit permettre un plus grand développement des être humains. Il s’agit donc de trouver les moyens d’encourager cette expérience. «Le génie de Sixte Quint, de Serlio ou de Scamozzi fut de créer des rues et des places qui conduisent du « je » de la perspective à un « ça » plus troublant. »87. Le but de la ville moderne est de faire en sorte que les gens se tournent vers l’extérieur (les autres) au lieu de se tourner vers l’intérieur (eux mêmes) et de rendre palpable l’expérience de l’altérité.

Pour cela il faut créer des « espaces narratifs ». Les lieux doivent raconter une histoire : « Construire un espace au caractère précisément défini n’aurait pas plus d’intérêt qu’écrire un roman dont on connaît déjà la fin »88. Il ne faut pas se contenter de simplifier les espaces pour faciliter leur usage, comme le supposait Kevin Lynch. Quand ils sont trop prévisibles, trop aseptisés ou trop simples, les « espaces linéaires » perdent de leur attractivité. Les hommes ont besoin de complexité pour attiser leur curiosité et s’approprier un lieu. « Dans un lieu l’intérêt de ce qui va arriver dépend de sa capacité à receler de l’inattendu ». Comme « On ne peut rien commencer d’important en créant immédiatement la totalité » les espaces qui sont trop étudiés perdent de leur spontanéité et de leur humanité. Au contraire en créant « des lieux de début » c'est-à-dire des espaces où quelque chose commence, où l’on peut se projeter dans le futur, on permet à chacun de se l’approprier et de s’inventer son histoire. La formation de l’urbain s’étale sur le temps long et l’action de concevoir ne peut être que provisoire. Elle n’est qu’ « un point qui se prolonge dans la durée ». Il faut créer les espaces comme on donne naissance à un organisme vivant qui va évoluer. Cela permet d’inscrire l’œuvre perpétuellement dans le présent. Les réalisations de Dominique Perrault se plient bien à cet impératif temporel. En tant que paysagiste, Perrault conçoit des schémas d’évolution à long terme pour des 87 88

Richard Sennett, The conscience of the eye : The design and social life of cities 1990 idem

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espaces délimités. Il fixe la forme générale de l’espace urbain dans lequel sera contenu son évolution (volume, hauteurs, emprise au sol) mais en laissant une grande flexibilité quant à la qualification de cet espace (fonctions, matériaux, design…).

Créer des « lieux indéfinis » afin de générer le sentiment de désorientation pour lier les gens les uns aux autres. Il s’agit de réhabiliter l’enracinement qui unit les hommes à leur environnement et que les gens prennent conscience de leur dépendance les uns envers les autres. Des lieux où les frontières sont mal définies permettent la tolérance des différences et rendent possible des connections improbables. Les bains turcs du Lower East Side (New York) dans les années soixante, où se mélangeaient les générations en quête de repos ou de désir sexuel par exemple, évoquaient cette tension ou « chacun longeait ses propres frontières » car il était confronté à la différence. Les abords de King’s Cross avant que ne soit implantée la gare internationale de King’s Cross-St Pancrass (décrit par Nigel Coals), représentent le même genre de « lieux souples » où se mêlent dealer de drogues, junkies, prostitués et passants pressés. Dans ces lieux naît la spontanéité qui permet aux individus de se les approprier le moment de leur utilisation. Ces lieux ne sont qu’un support, une atmosphère qui n’impose rien que le repos et ouvre des possibilités pour une durée limitée dans le temps. Enfin il est nécessaire que ces espaces soient conçus comme des « frontières poreuses ». Les interactions ont lieu dans les zones de rencontre, au niveau des frontières. L’activité sociale se concentre donc aux limites physiques des zones à l’usage déterminé, dans des « espaces de confrontation », alors que les centres de zones homogènes sont moins conflictuels donc moins actifs. Pour que l’espace puisse être modifié par le temps il faut que l’urbaniste créé des frontières faibles. Il faut que les frontières soient les plus poreuses possibles pour encourager les mélanges d’utilisation par des habitants de la ville aux activités diverses. Plus les constructions sont simples plus il sera facile d’y introduire des modifications. Les murs doivent être pensés comme les membranes d’une cellule organique pour encourager ces échanges : « les murs de briques sont des frontières faibles, les murs

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de verre ne le sont pas »89. Ainsi l’urbaniste ne doit pas séparer de façon étanche des parties dissonantes. Il faut lutter contre le zoning et la spécialisation fonctionnelle qui génèrent la discontinuité urbaine. Et abandonner l’utilisation du tracé des autoroutes et des voies de chemins de fer (qui constituent des frontières rigides pour les piétons) pour séparer des communautés différentes et organiser leur rencontre au niveau des frontières perméables. Les chevauchements de zones sont des moyens de créer des frontières complexes et ouvertes.

Dans la ville ces types d’espaces portent en eux le germe du changement, ils contribuent à faciliter les échanges et transforment la ville en un métabolisme susceptible d’évoluer à l’image des hommes qui les composent. A ce titre les transports en communs jouent un double-jeu. D’une part, ils génèrent la discontinuité des espaces : ils contraignent leurs passagers à des déplacements arbitraires le plus souvent sans vue sur le paysage (métro). Mais les moyens de transports sont également en eux-mêmes des frontières poreuses où se concentre la diversité.

89

idem

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2)

Les transports structurant l’espace public « Tout comme une page imprimée est lisible si on peut la concevoir comme un canevas de symboles reconnaissables et liés entre eux, de même une ville lisible est celle dont les quartiers, les points de repère ou les voies sont facilement identifiables et aisément combinés dans un schéma d’ensemble. » Kevin Lynch90 Cette description ne décrit pas le plan d’une carte de métro. Pourtant le

concept qu’il y a derrière la vision de la ville de Lynch repose sur les mêmes principes. Selon Lynch la ville doit être rendue cohérente par l’urbanisme. Nous avons vu que Sennett s’inspirait en partie de sa réflexion pour décrire l’influence de la forme urbaine sur les comportements sociaux. Enrique Penalosa adhère également à ce raisonnement, mais en tant que maire (Bogota) il y ajoute une dimension politique importante. L’intervention de l’Etat est essentielle pour rééquilibrer les inégalités. Penalosa montre qu’en modelant l’espace le pouvoir politique transforme durablement l’aspect social de la ville. Parmi les outils dont disposent les gouvernements métropolitains le contrôle des moyens de transports constitue l’élément qui est le mieux maîtrisé. Dans le cas de Londres, nous avons vu que la MTS (Mayor’s Transport Stratey) constituait le bras armée de la ville pour « maîtriser » son développement futur. Il est nécessaire de comprendre pourquoi et comment les transports ont acquis une telle influence dans la formation de l’espace urbain. « The way cities are built determines to a large degree the quality of life of their citizens for hundreds of years in the future”.91 Dans cette démonstration nous verrons également que la prise de conscience écologique a considérablement renforcé la crédibilité des systèmes de transport en commun ce qui donne déjà des éléments de réponse. 90

Kevin Lynch Reconsidering the image of the city 1984, Traduit pas Maris françoise Vénard Paris Dunod 1976 original 1954, cité dans Richard Sennett, The conscience of the eye : The design and social life of cities 1990 91 Enrique penalosa Politics, Power, Cities The Endless City, Urban Age Project 2007 p. 307

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a) En route vers la démocratie ? Suivant la conception de Penalosa : démocratie, transports et espaces publics sont trois données indissociables. Analysant la situation de son propre pays (Colombie) Penalosa constate que dans les pays en voie de développement les utilisateurs de véhicules privés exercent une pression sur les ressources publiques. Ces derniers exigent des aménagements routiers et des infrastructures destinés à désengorger le trafic, ce qui réduit les revenus disponibles pour d’autres investissements publics dont a la charge le gouvernement urbain (écoles, hôpitaux..). Investir dans des infrastructures routières pour fluidifier le trafic ne servirait à rien. Penalosa affirme d’ailleurs « It is the amount of infrastructure available for cars that determine the level of car-use”92. Hugh Barton qui a travaillé sur l’importance du design urbain en matière de transports partage cet avis : « if sustainable development is the goal the needs of public transport, pedestrians and cyclists should come first and car access should be made to fit »93. Dans la perspective du développement durable il devient urgent d’opérer un « changement de paradigme »94 vers des modes de transports plus doux, de ne pas augmenter la capacité des routes, de limiter leur emprise sur l’espace public (nombre de voies, stationnement), de réguler la vitesse (ralentisseurs, chicanes) et si nécessaire de dénier l’accès des automobilistes au domaine public pour fluidifier le trafic. « Car focused thinking has changed social values »95 La voiture n’est pas un moyen de transport démocratique. Elle est réservée à certaines catégories de personnes : ceux qui peuvent se la payer, ceux qui peuvent la conduire… Elle exclue les pauvres, les jeunes, les personnes âgées ou à mobilité réduite et tous ceux qui ne peuvent se déplacer qu’à pied ou en transport en commun. Pourtant la voiture occupe une place de plus en plus envahissante dans les grandes 92

idem BARTON Hugh, Design for Movement in GREED Clara, ROBERTS Marion, Introducing urban design Interventions and responses, Longman Singapour, 1998 94 KNOFLACHER Hermann, RODE Philipp, TIWARI Geetam, How roads kill cities, Issues p340 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 93

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métropoles (particulièrement dans les pays en voie de développement) par défaut de réglementation ou pour compenser les insuffisances des transports publics. Avec la monopolisation de l’espace public qu’elle entraîne, les déplacements des piétons ont été relégués sur les trottoirs et on leur a même banni l’accès à certains espaces (autoroutes, voies rapides…). Le dense lacis du réseau routier fonctionne aussi comme une frontière étanche (Sennett) qui obstrue et parfois empêche les déplacements humains s’ils ne sont pas orchestrés et aménagés (passages cloutés, passerelles, tunnels), à quoi s’ajoutent les externalités de l’usage de la voiture : pollution, bruit, danger… Les limites de cette organisation ont permis de s’interroger sur la vraie nature de la vie urbaine et sur les priorités qu’il fallait privilégier dans le développement de la ville. Les urbanistes tirent désormais les conséquences d’une obsession qui a durée pendant toute la deuxième partie du XXe siècle : la priorité des planificateurs urbains d’adapter la ville à la voiture afin de fluidifier le trafic. Le résultat : toujours plus de consommation d’espace public et de goudronnage, rendant son utilisation impropre aux piétons. Hermann Knoflacher, Philipp Rode and Geetam Twari remarquent96 que cette « philosophie du transport»97 a considérablement endommagé la qualité de vie urbaine, transformant l’espace public en un espace dédié aux machines (carriage way) et négligeant les besoins des humains réduits à la portion congrue. Selon eux, non seulement « transport in its original sense lost its meaning and car traffic flows became the dominant parameter for planners and decision makers » mais, en plus de l’occupation de l’espace, l’utilisation accrue de la voiture a conduit à un réaménagement de la ville. Les routes larges et linéaires étant les mieux adaptées aux besoins du trafic et de la vitesse, ces structures urbaines monotones et antipathiques à l’échelle humaine, souvent dangereuses… se sont multipliées. 95

KNOFLACHER Hermann, RODE Philipp, TIWARI Geetam, How roads kill cities, Issues p340 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 96 KNOFLACHER Hermann, RODE Philipp, TIWARI Geetam, How roads kill cities, Issues p340 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 97 BARTON Hugh, Design for Movement in GREED Clara, ROBERTS Marion, Introducing urban design Interventions and responses, Longman Singapour, 1998

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Enfin l’augmentation du trafic routier a considérablement réduit les interactions sociales, le trafic opérant comme un véritable « mur » entre les deux cotés d’une même rue98. Ce qui réduit les échanges, empêche de s’approprier cet espace, rendant dangereux les déplacements piétonniers.

Désormais une augmentation non régulée du trafic est une hypothèse inenvisageable pour les formes denses et complexes des centres des villes globales. Il est très difficile de réguler les trajets effectués en véhicule privé, ce qui provoque indubitablement les problèmes de congestion que connaissent toutes les grandes villes. C’est pourquoi Londres s’est doté en 200399 d’un péage urbain pour réduire la demande en matière de trafic. Cette mesure est un relatif succès puisqu’elle a permis de réduire de 21% l’usage de la voiture dans les zones les plus utilisées de la ville. Toutefois il reste critiqué, notamment par les commerçants qui y voient un risque de baisse de leur chiffre d’affaire. Le péage urbain pose également la question de la tarification de l’usage de l’espace public qui va à l’encontre du principe de son usage démocratique, libre et gratuit… A cause des problèmes de stationnement. Les déplacements en voiture sont destinés au transport plutôt qu’à la mobilité100. Contrairement aux déplacements effectués à pied, à vélo ou en transport en commun le rapport à l’accessibilité est différent pour les voitures qui doivent trouver un stationnement pour mettre fin à leur trajet. Cette différence technique modifie considérablement l’usage social des lieux comme le montre l’exemple de Trafalgar Square. L’aménagement extensif de l’espace pour la voiture a conduit à réduire l’usage public des places et des autres lieux publics où le stationnement était difficile. Ce n’est qu’après la décision de piétonniser la place et la réaménager (juillet 2003) pour le besoin des piétons que les londoniens sont revenus se joindre aux touristes et se sont réappropriés les lieux. Trafalgar Square était devenu le centre surchargé de la ville par le trafic. Le fait que ce lieu traditionnel de rassemblement 98

idem Le projet a été proposé par TfL en 2001 et validé par le maire Ken Livingstone en 2002. Il est entré en vigueur en 2003. En 2005 les tarifs ont été augmentés passant de £5 à £8 par jours (pendant les heures de travail en semaine). Une extension de la limitation dans la zone de West End a été mise en place en 2007 mais devrait être supprimé par le nouveau maire Boris Johnson. 100 Design for movment, Hugh Barton 1998, in Introducing urban design intervensions and responses Clara Greed & Marion Roberts 1998 Longman Singapour 99

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pour les londoniens soit devenu inaccessible traduisait le malaise dans la capitale. En 1997 seul 10% de ses utilisateurs étaient des londoniens,101 ce qui illustre bien le rôle d’attraction touristique auquel avait été réduite la place qui avait totalement perdu son aspect fonctionnel. Dans les années 2000 la décision a été prise de piétonniser la place et de rediriger les routes pour faire place à une grande esplanade publique (ré ouverte en 2003). On a relié la place à la National Gallery et monté un escalier monumental au nord qui sert désormais de place publique pour les londoniens. Le site répond désormais aux exigences d’une place bien conçue : fermée et perméable. Elle a été transformée en un lieu vivant et dynamique de la ville. La transformation de l’espace public en voie de transit pour des voitures a vidé la rue de son aspect social et en a augmenté l’insécurité. Elle a contribué à reléguer l’expérience individuelle dans le champ de la vie privée, l’indifférence à l’autre et le désintérêt pour le monde extérieur (perte de la fonction sociale de l’eye on the street - Jacobs) et a détourné les individus des espaces publics. C’est pourquoi l’intégration des modes de transports dans l’espace public est devenue un problème social majeur pour préparer l’avenir de la ville. 101

Interventions, Trafalgar Square, The Endless City, Urban Age Project

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b) Quand les transports décident Le mouvement des marchandises permet le commerce et l’échange. Les mouvements individuels permettent les interactions entre les habitants de la ville. Les mouvements de population structurent donc l’activité de la ville. Les transports en commun qui canalisent ces flux constituent un élément déterminant pour comprendre l’organisation de la ville. Comment expliquer que les transports se soient imposés au sommet de l’agenda des politiques urbaines ? Pour atteindre le stade où « Transport is an urban obsession » 102 ? En comparaison avec la voiture, les transports publics ont montré qu’ils étaient plus avantageux (rapport espace consommé/ temps de transport) et qu’ils étaient plus respectueux de l’environnement. Comme ils se développent sur des réseaux réservés (train, métro) ils n’entrent pas en concurrence sur le domaine public avec les autres utilisateurs : piétons, vélos ; ce qui réduit considérablement les dangers et les externalités négatives. De plus les transports en communs sont souvent complémentaires des modes de transports doux (bonne accessibilité des stations directement dans les centres, park-&-ride, bike-&-ride). Mais si les transports se sont imposés dans l’agenda politique c’est parce qu’ils permettent le contrôle des flux. Celui qui détient les clés de l’organisation des transports a les moyens de réguler et d’organiser les déplacements dans la ville. Il ne faut pas considérer les transports en commun comme une fin en soi. Le but d’une bonne gestion n’est pas seulement d’améliorer les performances techniques, la capacité ou la rapidité pour les adaptés à la pression des utilisateurs…Les transports en commun ont une fonction sociale. Les technologies modernes en matière de transport permettent de réduire considérablement les distances entre les différents lieux de la ville. Comme tout le monde a accès à ces modes de déplacement (sous réserve du prix du billet), ils permettent d’accroître la mobilité de tous et de réduire la ségrégation sociale. Ils participent également à la cohésion sociale puisqu’ils nécessitent que les déplacements soient « effectués en commun », ce qui fait de la structure de transport elle-même (wagon, rames) un 102

Tony Travers, Brindging London 2005 The Urban Age Project

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espace où sont concentrées les différences et qui permet l’interaction sociale entre les passagers. On peut même en arriver à la conclusion que les transports imposent le contact social si cette confrontation avec des étrangers n’est pas désirée. Si l’on poursuit la logique de Sennett c’est un avantage car ce genre de situation suscite l’attention sur les autres et permet le lien social. D’un autre coté les transports en commun revêtent un aspect arbitraire. En imposant des parcours et des arrêts aux passagers, ils réduisent considérablement la liberté de mouvement dans les limites des réseaux sur lesquels s’organise l’infrastructure de transport.

Les transports en commun permettent d’améliorer

l’utilisation du domaine public en le reliant en différents points. Les nœuds de communication où s’entrelacent les réseaux de transport renforcent la structure du réseau urbain existant en s’ancrant sur les points clés de son organisation. Comme le relève Ricky Burdett, à Londres, les points de convergence des flux ont accentué la concentration de l’activité économique. Ces lieux sont des espaces publics d’une nouvelle forme : celle de la « culture cappuccino » : “ Along Kingsway, a busy thoroughfare split by an underpass and polluting traffic, and you will find nearly twenty new bars, cafes, sandwich shops and fusion-food takeaways, all of them opened in the past five years. They are crowded and thriving, and they spill out onto the street.”103 Les transports créent donc de nouveaux carrefours d’échange et du dynamisme dans la ville. L’avantage pour les gouvernements urbains est qu’à travers les transports publics les flux peuvent être directement contrôlés. Les infrastructures de transports relèvent généralement des pouvoirs publics chargés de leur construction, maintenance, entretien et extension. En échange, ces derniers contrôlent la gestion des flux et l’augmentation de leur capacité… Ils peuvent donc aisément décider d’influencer par l’offre de transport les comportements des usagers (à l’occasion d’une simple déviation pour travaux ou alors avec la mise en place de nouvelles stations et de nouvelles lignes). L’exemple de la régénération de Southwark (voir plus loin) a montré que la présence de deux stations de métro (Southwark et London Bridge) a permis de désenclaver un quartier entier de la ville. 103

Ricky Budett, 2005, Changing Values, Thes Endless City, Urban Edge Project

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c) Les transports redessinent-ils l’espace public ? « Londoners understand their urban landscape in a particular way because of the false simplicity of Harry Beck’s Tube map” Tony Traver104

Tous les organes de transports publics disposent de planificateurs afin de s’assurer que les besoins des usagers sont satisfaits par l’offre de transport. La planification peut aussi prendre un aspect normatif si elle est décidée en amont et si elle est mise au service du développement de nouveaux territoires comme c’est le cas avec la planification Londonienne. La MTS (Mayor’s Transport Startegy) utilise la répartition des flux via la création de nouveaux tracés de lignes et l’implantation des stations afin de dynamiser la ville, désengorger les régions centrales (CAZ) et développer de nouveaux centres dans la périphérie (Outer London) ou bien de régénérer les Opportunity Areas de l’Inner city. L’aménagement des stations transforme aussi indirectement l’espace public, notamment au niveau des connexions avec la surface et avec les autres modes de transport (comme pour la station DLR (WoolWich Arsenal détaillée plus haut IC1c). Les transports sont un outil du pouvoir métropolitain. Il peut s’en servir pour canaliser les flux de population (gestion) promouvoir le désenclavement d’un quartier, organiser l’activité économique de certains sites (création des centres métropolitains). Enfin les pouvoirs publics peuvent utiliser les investissements dans les infrastructures de transports pour soutenir un projet de planification urbaine généralisé à l’ensemble de l’échelle métropolitaine. Londres « is internationalily recognized innovator for urban transport »105 depuis que le maire s’est attaché à engager d’importants investissements dans les infrastructures de transport que nous avons détaillé. Cette stratégie a permis d’initier le changement d’habitudes chez les habitants. Le péage urbain a permis de réduire l’usage de la voiture et donc le trafic (moins 80 000 voitures) ce qui améliore la fluidité des transports en commun en 104 105

Tony Travers, Brindging London 2005 The Urban Age Project How road kill Cities, Hermann Knoflacher, Philipp Rode and Geetam Twari, The Endless city, Urban Age 2007

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surface et procure des revenus (120£ million par an) destinés à être réinvestis dans le réseau de bus (40% d’augmentation de la capacité depuis 2000). Paradoxalement on constate que les effets d’une augmentation de l’investissement dans les transports en commun en réseau (bus train, tram) ne peuvent être appréciés qu’indirectement. Il est très difficile de mesurer l’impact direct de l’augmentation de la capacité d’une rame sur le comportement des usagers ou de la pertinence d’une nouvelle ligne. Ces investissements ne donnent de réponses qu’en cas de saturation (si les moyens étaient insuffisants) ou en amont (au niveau de la planification et de l’effet d’anticipation qu’ils génèrent). Un autre moyen pour apprécier la pertinence d’une stratégie de transport se fait par l’observation d’un changement d’habitudes chez les habitants mais nécessite une approche à long terme. C’est au niveau des points d’ancrage du réseau que les transports modifient l’espace public dans lequel ils s’implantent à travers l’aménagement des termini.

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C. La redéfinition des espaces publics londoniens

C’est au niveau de la matérialisation de la grille du réseau de transport sur l’espace public que se produisent les connexions les plus intéressantes. Les places publiques et les stations de métro constituent les infrastructures physiques par lesquelles circulent les flux. Ce sont également les lieux où ces « flux » canalisés par le réseau de transport de masse (le meilleur exemple est le métro) se subdivisent en des mouvements individuels. Et réciproquement c’est aussi le lieu où des milliers de parcours individuels fusionnent en une demande commune de transport de masse. Toute la difficulté dans la création des stations de métro (et de l’aménagement des places) est d’arriver à faire coïncider la théorie des données immatérielles avec l’expérience individuelle physique. Ce sont des lieux particulièrement intéressants de l’urbs, et c’est ici que se trouve tout le potentiel de la civitas et de l’échange. Il est donc important de compléter une étude du réseau de transports par une étude de ses ancrages physiques. Cette analyse nous permettra de comprendre comment les transports redessinent l’espace public londonien.

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1)

Modeler les espaces par le design La création des centres de connectivité au sein de lieux publics est

complexe. Il ne s’agit pas seulement de trouver l’endroit précis où l’implanter (avec toutes les conséquences que cette localisation aura) ni même d’en assurer la bonne connectivité avec les autres infrastructures en réseaux. La difficulté réside dans la gestion du facteur humain et dans la nécessité de trouver dans les formes et le design du lieu les moyens de susciter « une atmosphère favorable à l’échange » (Sennett), un sentiment de sécurité (Gendrot, Coats) et à terme le sentiment d’identification et d’attachement au lieu (Jacobs). Pour parvenir à de tels objectifs les urbanistes londoniens s’appuient sur des agences de design (Design for London, London Development Agency, Space Syntax) qui étudient la topographie du terrain, les mouvements humains (constatés et escomptés) et les autres facteurs susceptibles d’interférer dans la relation entre les hommes et le lieu. Nous allons d’abord nous pencher sur les méthodes utilisées par les organismes de design urbain pour ensuite nous interroger sur les réalisations qu’ils permettent.

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a) Une nouvelle technique pour l’urbanisme La space syntax est un système informatique qui permet de créer des connectiques efficaces au niveau urbain. Des chercheurs en design urbain organisés autour de l’équipe de Bill Hillier l’utilisent pour fournir des études complémentaires afin de contrôler la viabilité des projets urbains de grande envergure. Leur agence (Space Syntax) a été sollicitée pour travailler sur le projet du Millenium Bridge et sur celui de Trafalgar Square et plus récemment sur le masterplan de Stratford City. De manière générale, la space syntax a été utilisée dans les projets où il fallait réfléchir à l’articulation des transports publics sur les espaces publics où se concentre l’activité humaine. L’exemple du projet de Stratford permet de se faire une meilleure idée de la pertinence de cette technique de design. Dans ses recommandations (2002) Space Syntax indiquait que le projet soit réorganisé autour d’un «épine dorsale verticale » constituée par le système de transport qui reprendrait la morphologie existante du lieu et permettrait une meilleure connexion : « We found that the proposed development would be insufficiently connected to the surrounding urban context and would lack a ‘sense of place’. To remedy this, we refocused the design strategy around a new, sinuous urban ‘spine’, connecting Stratford City to Old Stratford town centre in the south and the Lea Valley to the north.”106

Or la version actuelle de l’aménagement du site de Stratford City consiste en « un vaste corridor paysagé exclusivement piétonnier qui assure l’interface entre le nouveau quartier de Stratford City et le site des Jeux olympiques. Il est alimenté au nord et au sud par des dessertes en bus et des accès vélos/piétons. Son tracé s’appuie sur la géographie fluviale du site tandis que son paysagement est assuré par l’utilisation des terres excavées du Channel Tunnel Rail Link »107. Les conseils en matière de design ont considérablement influencé l’organisation générale du projet et 106

Stratford City, East London, Town CentreMasterplan Dossier Space syntax voir http://www.spacesyntax.com 107

Dossier Londres IPRAUS – PREDIT. Cahier de référence Mobilité et projet – Rapport intermédiaire juillet 2007

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son « mouvement » sur le territoire a été conservé. La rénovation de la place de Trafalgar Square fournit un autre exemple de la modélisation du site avec la space syntax : “We undertook an intensive observation study of pedestrians in the area and developed the most advanced pedestrian movement model of that time. This model allowed us to quickly diagnose problems throughout the masterplan area and identify design solutions. These included a major, new staircase into Trafalgar Square, selective pedestrianisation of the public realm and the reconnection of Parliament Square to the wider area. »108 La piétonisation de la place a permis avec le projet de Norman Foster de recréer un véritable centre dynamique sur cet espace autrefois délaissé par le public109.

108 109

Trafalgar Square a World Space, dossier Space syntax, http://www.spacesyntax.com ICHIOKASarah, Interventions: New life in the city, Taming the car, Congestion charge, London, p. 442 – Trafalgar Square, London, p.444 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007

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b) Comment fonctionne la Space Syntax ?

L’activité humaine est profondément influencée par l’environnement et la matérialisation de l’espace. Space Syntax prend en compte cette influence qui peut être mesurée et même modelée avec la planification et le design : « We show how value can be created through the analysis, understanding and skilful manipulation of space. A key role of spatial layout in shaping patterns of human behaviour.These patterns include movement on foot, on cycles and in vehicles; wayfinding and purchasing in retail environments”110 Le Space Design utilise une technologie spatiale (étude des mouvements sur l’espace) pour donner plus de cohérence aux projets urbains. Elle prend en compte les déplacements qui ont lieu sur le territoire et tente de leur apporter une cohérence maximale. « I know that these techniques work from tough environment of practice. I love the world analysis, observation, of research, but also passion, imprecision, the hunch. Space Syntax is the testing of the interaction of these opposing worlds”. Norman Foster111 La space syntax est avant tout un modèle théorique explicatif. Il retranscrit comment la ville organise l’accessibilité en prenant en compte les différents comportements humains grâce à l’informatique. La réflexion théorique se traduit sur le terrain par l’articulation de l’espace grâce au design urbain. Cette approche a été élaborée à la UCL Bartlett School dans les années 1970 par Bill Hillier112. Elle permet d’intégrer la complexité de la société et de l’espace urbain dans un schéma globalisant. L’approche adoptée par Space Syntax est de considérer que la forme urbaine de la ville se traduit directement par des conséquences sociales (ségrégation, exclusion) empiriquement mesurables. On peut donc influer sur les problèmes 110

STONOR Tim, “An evidence-based approach to spatial planning & design”, Space Syntax 2006 Publication space syntax oct 2006, http://www.spacesyntax.com 111 ibid

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urbains à travers un design mieux conçu qui permette de lutter contre les phénomènes d’exclusion. Pour cela la première étape consiste à mettre en relation les mesures scientifiques des caractéristiques physiques et spatiales des villes avec l’activité humaine qui en découle ou s’y adapte. L’enjeu consiste ensuite à mettre en cohérence des données sociales au niveau local (small area scale : environ 15 maisons). Pour plus d’efficacité, les recherches sur l’isolement spatial nécessitent d’étudier les effets microscopiques de la morphologie urbaine et les données sociales. Selon Tim Stonor113 : Plus on zoome à l’échelle individuelle (pas de porte/ ouverture du bâtiment sur la rue) mieux on est en mesure de comprendre les liens entre les phénomènes spatiaux et sociaux. Il est donc possible de réfléchir à des modèles d’articulation spatiale du terrain qui rendent cohérents les résultats des études sociospatiales du territoire et permettent de s’adresser efficacement aux problèmes de ségrégation sociale en rapport avec l’organisation de l’espace. Les exemples de cette étude montrent dans quelle mesure le design urbain et la planification peuvent influencer les problèmes d’isolement social et d’inégalités économiques. Les études de Space Syntax sont des outils utiles pour générer la cohésion et gérer des différences au sein d’une même communauté, elles nécessitent une approche tant sociale que spatiale de ces problématiques. Cet outil d’analyse est complémentaire des statistiques en sciences sociales. Il est utile pour le design urbain et la planification, notamment dans la mise en cohérence des enjeux locaux et globaux. Il permette un meilleur travail sur les connexions entre les réseaux qui orientent les flux à différentes échelles. Le Congrès international sur la space syntax à Istanbul en 2006 a souligné l’évolution de l’urbanisme vers une compréhension plus scientifique de la planification urbaine qui s’allie aux données sociologiques pour plus d’efficacité. Cette nouvelle logique d’articulation de l’espace grâce au design urbain prend de plus en plus d’importance dans l’élaboration de projets partout dans le monde (projet du Louvre à Abou Dhabi). Il propose une réponse originale au modèle de ville flexible proposé par R. Sennett. La space syntax est utilisée pour donner une cohérence à des masterplans de grande envergure. Pourtant comme le souhaite Sennett, il prend en compte l’histoire 112 113

ibid ibid

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du lieu et les matrices informatiques qu’ils génèrent sont destinées à en restituer la complexité. La space syntax permet une approche plus intégrée et humanisante des flux sur les places et dans les lieux publics.

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2)

Le programme des 100 places

Nous avons vu à dans la partie précédente l’impact que pouvait avoir les transports sur la transformation de la ville et qu’une grande partie de l’enjeu de cette transformation se jouait sur la modification des espaces publics. Nous avons également montré que la politique de transport du maire de Londres était indissociable d’une vision plus générale de la rénovation urbaine. Au centre de cette réflexion se trouve la volonté de susciter chez les londoniens le sentiment d’appartenance à la ville. C’est dans cette optique que doit être compris le programme « 100 Public Spaces » initié par Ken Livingstone et qui (bien qu’officiellement supprimé) perdure encore aujourd’hui dans les projets de design de la London Development Agency (LDA) sous d’autres objectifs plus modestes114.

La rénovation de Trafalgar Square n’est pas le projet de Ken Livingstone mais il en a hérité lors de son élection. La réalisation de la place en 2004 a permis de relancer le Programme des 100 places que le maire avait initié en 2002. Le but est de piétonniser ces espaces envahis par le trafic et de restituer aux places leur aspect social. En améliorant la qualité de l’espace public, le maire espère améliorer la qualité de vie à Londres et ramener les gens dans les centres de la ville pour les rendre plus vivants. Le projet de Trafalgar Square est le plus emblématique mais le Programme des 100 places concernait une trentaine d’autres places dans la ville.

114

London: Mayor & More, Guardian Writer Dave Hill, August 4th 2008, http://davehill.typepad.com/london3ms/2008/08/100-public-spac.html

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a) Le Programme des 100 espaces publics

Ce programme initié par Ken Livingstone en juillet 2002 avait pour but une amélioration de l’espace public londonien (public realm) nécessaire à la renaissance urbaine de la ville à travers l’aménagement des lieux et des places publiques. Il devait permettre une meilleure accessibilité de celles-ci aux piétions et aux vélos et encourager le changement des habitudes en matière de transports vers une ville plus écologique. Enfin le programme 100 Public Spaces s’intégrait dans la logique du redéploiement des infrastructures de transports. Il devait accompagner la création de nouveaux centres névralgiques (stations multimodales) et permettre un aménagement en surface des lieux où seraient implantées les nouvelles stations de métro, de tram ou de DLR. La phase 1 de ce programme a débuté en 2002 : l’agence A+UU de Lord Richard Rogers était chargée de réaliser le design de la plupart des dix projets pilotes115 pour initier la rénovation des espaces publics de la ville. La deuxième phase du projet a été lancée en 2003 pour 14 autres sites116, alors que la réalisation des 10 premiers n’était pas encore terminée. Cependant la réussite de l’aménagement de Trafalgar Square en 2004, même s’il représentait un projet indépendant, a permis de donner une bonne image de la politique de transformation de l’espace public. Enfin la phase 3 en 2005 a ajouté 10 nouveaux projets117, le but étant de remodeler l’image de la ville à l’approche des JO de 2012. A partir de 2007, l’agence A+UU est devenue Design for London (DfL) qui travaillait en étroite collaboration avec la London Development Agency (LDA) -affilié au GLA- sur les projets de réaménagement. Avec le changement de majorité le maire Boris Johnson a décidé de 115

Brixton Central Square, Coulsdon Town Centre, Exhibition Road, Gillett Street Square, Lewisham Town Centre, Emma Cons Gardens - Lower Marsh, Marylebone – Euston Road, Rainham Village Centre, Sloane Square, Victoria Embankment 116 Southall, Harrow, Tottenham Hale, A4 Green Corridor, Little Wormwood, Scrubs, Collindale, Aldgate Union, Barking Town Centre, Chequers Lane, Gallions, Canning Town, Acton Town Central Square, Ealing Broadway, Mitcham Fair Green 117 A1/Highbury Corner, Bow Church, Erith Town Centre, Gants Hill, Kender Triangle/New Cross Gate, Potters Fields Park, The Romford Ring/North Street, Silvertown Quays/Pontoon Dock, Wembley Stadium station square, West India Quay

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mettre fin au programme le 4 aout 2008 tout en indiquant que la politique d’aménagement de la ville serait poursuivie de manière plus libre. Le programme des 100 places publiques s’est rapidement avéré être un projet long et coûteux. Ken Livingstone tenait à le poursuivre mais sa défaite électorale a permis au nouveau maire de se défaire de ce projet encombrant. Au final, seulement 6 projets ont été totalement achevés. La philosophie du renouvellement urbain n’est pas pour autant abandonnée. Depuis juillet 2008, DfL a été intégré au sein de la LDA et continue de s’occuper de la planification d’une centaine de projets mis en place dans le cadre du London Plan pour la LDA118.

118

LDA dirigée par Peter Bishop est intégrée au GLA est dispose d’un budget de 70$ millions elle est chargé du design, de la planification du développement du territoire en parallèle des programmes de développement durables.

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b) L’espace public évolue Les points multimodaux attirent depuis les années 2000 les bars, les cafés et les petits commerces. A l’origine, l’espace public londonien était composé des parcs et de squares résidentiels. Désormais, les espaces publics sont moins verts et plus densément construits ce qui correspond à un changement de mode de vie notable. Cela montre que l’activité de la ville se concentre là où se trouve l’activité économique. Cela signifie aussi que l’espace public urbain va être amélioré (trottoir, lampadaires, bancs, poubelles, paysagisme). Selon Burdett119 une nouvelle image de la ville émerge après des années de désintérêt. Les projets d’aménagement de Trafalgar Square mais aussi de la gare de King’s Cross, le site de Stratford… dénotent le processus de transformation à l’œuvre concernant l’espace public londonien. Ils soulignent aussi l’importance de la connectivité dans ces projets. Pour conclure nous reviendrons sur la revitalisation des bords de la Tamise autour du Millenium Bridge et de la Tate Modern qui constitue sans doute l’exemple le plus emblématique de la nouvelle forme que prennent les espaces publics à Londres. La régénération de Southwark est due au hasard plutôt qu’à une planification. Surtout c’est la complémentarité des différentes politiques de transport qui a permis de redynamiser cet ancien quartier oublié. Le phénomène est lié à l’extension de la ligne Jubilee et au projet de Canary Wharf déjà évoqué qui a permis une première connexion de cette zone au sud de la ville avec le nord dynamique. Les stations de Southwark et London Bridge ont mis en valeur la position géographique de cet arrondissement tout proche du centre dynamique de la City et de Westminster, ce qui a développé le marché du logement. En parallèle, la décision de la Tate Gallery d’implanter le vaste projet de la Tate Modern dans une ancienne centrale électrique désaffectée a transformé le lieu en un nouveau centre culturel pour la ville et a permis d’illustrer la stratégie de régénération urbaine par la culture prônée par le gouvernement Blair de l’époque. Enfin le Pont du Millénaire construit par Norman 119

Ricky Budett, 2005, Changing Values, Thes Endless City, Urban Edge Project

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Foster a permis de recréer une nouvelle connexion entre le Nord et le Sud de la ville pour les piétons. Cette stratégie a permis le développement des espaces publics alentour ce qui a contribué à donner une forte identité au quartier et à attirer les visiteurs de la Tate modern. Les commerces et les investissements ont suivi métamorphosant Southwark en un des lieux les plus attractifs de la ville. Ce lieu est désormais un des symboles de la diversité intégrée dans la ville avec les populations des quartiers communautaires qui se mêlent et celles issues de la gentrification. Un nouvel espace public bien connecté, relié au reste de la ville est propice à l’échange a été créé.

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Conclusion « Only Connect ! » Edward M. Forster Nous avons choisi de nous intéresser à la métropole londonienne car elle est à la tête de l’innovation urbaine. Son mode de gouvernement lui permet de produire une stratégie de développement global qui intègre les enjeux de la mondialisation et de répondre aux attentes locales de développement. Parmi les six métropoles qui ont fait l’objet d’investigations par les enquêteurs de l’Urban Age, Londres se montre la mieux à même de relever les enjeux du nouveau millénaire. Ce qui fait la force de cette métropole est son intégration dans le réseau des flux mondiaux. Sa capacité à attirer les capitaux, les individus et la connaissance sont les facteurs déterminants de sa compétitivité et jusqu’à présent Londres a réussi à se positionner au sommet de la hiérarchie des villes globales grâce à son centre d’affaire actif et bien relié. Cependant la convergence des flux macroéconomiques a des conséquences sur l’organisation de la ville. La concentration d’activités au sein de la CAZ et autour des principaux termini fait peser, à terme, le risque de surcharge des réseaux et de nuire au fonctionnement de la ville. La politique de transport élaborée par le maire (MTS) est destinée à contrôler l’évolution de la ville, pour éviter qu’un tel processus ne se produise. L’objectif du London Plan est de restructurer la ville autour de centres métropolitains, afin de réorganiser les flux internes de déplacements de population dans l’Inner et l’Outer London. Ce projet est guidé par les impératifs pragmatiques de l’économie (assurer une bonne fluidité des déplacements vers les centres d’activité) mais également par une vision globalisante de la ville.

Dans le contexte de l’Urban Age les gouvernements métropolitains sont conscients de l’impact écologique des villes sur l’environnement. A mesure qu’elles - 144


s’étalent, comme Londres, sur un schéma suburbain à faible densité120, elles accroissent la pression sur les ressources foncières et la qualité de l’environnement de leur territoire en polluant l’atmosphère. Dans ce domaine une politique de transports associée à des objectifs de développement spatiaux permet d’apporter des réponses. La MTS est conçue par le maire comme un outil pour rendre effective la vision qu’il développe dans le London plan. Elle lui permet de restructurer les flux autour de points de convergence. Elle permet également d’influencer l’évolution de la croissance future de la ville vers certaines zones qu’il aura identifiées. L’exemple du site olympique de Stratford illustre bien comment une stratégie de transports en commun alliée à des investissements considérables sur le territoire doit permettre de créer un nouveau centre dynamique. Stratford se trouve au cœur des enjeux métropolitains londoniens car il a été implanté dans une Opportunity Area. C'est-àdire une zone en retard économique, touchée par les problèmes structurels de chômage, de pauvreté et de ségrégation sociale, alors même que située au cœur de l’Inner London. La constitution du GLA en 2000 avait été clairement conditionnée par la nécessité de maitriser de l’expansion du territoire. Une des premières mesures de Ken Livingstone en tant que maire de Londres fut d’interdire l’expansion de la ville en dehors des frontières de la Green Belt (2001). La planification du London Plan a pour but de redensifier la ville et de concentrer la croissance future dans les zones du centre utilisées en deçà de leur potentiel (brownfields et greenfields). Le brownfield de Stratford permet une expérimentation à grande échelle de cette stratégie. Il est conçu comme la première pierre du redéveloppement futur de la ville le long de la Tamise (Thames Gateway), une zone sous exploitée au niveau du foncier. C’est à l’Est que le maire souhaite trouver l’espace pour construire 200, 000 nouveaux logements destinés à accueillir les 500, 000 nouveaux londoniens escomptés d’ici à 2016. Pour éviter que la zone ne se transforme en une cité-dortoir il s’agit de la rendre dynamique et attractive. Le but est de faire de Stratford un des nœuds de communication les mieux connectés au reste de la ville (gare internationale de Stratford International, lignes de métro Central et Jubilee, réseau Docklands Light Railway, connexions à l’Overground et à moyen terme projet Crossrail). Cela doit 120

BURDETT Ricky, The capital sububia, Issues BURDETT p.142 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007

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permettre d’en faire un point d’ancrage solide pour la régénération de la Thames Gateway. Le site des jeux est donc à restituer dans la perspective à long terme de la planification de la ville.

Le deuxième enjeu et le rééquilibrage social de la ville. L’hyperconcentration des activités dans le centre n’altère pas seulement la fluidité du trafic. Elle traduit aussi des inégalités de développement flagrantes qui conduisent à la ségrégation géographique du territoire. Londres est une des villes les plus riches au monde (où le prix du foncier y est très élevé) pourtant elle concentre de nombreuses poches de pauvreté (43% des enfants de l’Inner London vivent dans la pauvreté121). Si l’on ne peut pas parler de ghettoïsation comme aux Etats-Unis, on observe un processus similaire où les populations riches se concentrent dans la banlieue alors que l’innercity concentre les zones en difficulté (Camden, Kesington, Fulham). Un développement métropolitain durable tel qu’il est envisagé par R. Rogers122 passe par le développement de la vie locale et communautaire. Cela permet la densification du bâti, la réduction des transports, mais surtout le recentrage des activités et de la vie en commun. Pour s’attaquer aux enjeux sociaux, l’organisation du territoire est un moyen efficace pour répartir la croissance. Le maire de Londres a bien compris ce processus. L’initiative 100 public spaces initiée par K. Livingstone en 2002 a permis de modifier l’expérience urbaine des habitants. Alors que la vie sociale était organisée autour de vastes « Open Spaces » au début du siècle (square résidentiels, grands parcs), l’espace public est aménagé par petites touches dans les différents centres de la ville. La stratégie est de se concentrer sur les points d’interconnexion des flux humains. L’enjeu est de renouveler la notion d’espace public en travaillant sur « ces espaces plus denses et moins verts »123. Les places et les centres multimodaux (stations de métro, tram) détiennent un fort potentiel démocratique. La généralisation du recours aux transports en commun et l’aménagement de la ville pour les modes de déplacements doux 121

ibid ROGERS (Richard), Cities for a small planet, London, Faber and Faber Ltd, 1997 123 BURDETT Ricky, The capital sububia, Issues BURDETT p.142 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 122

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(cyclisme, marche) permettent d’y faire converger les différents flux individuels. En rendant ces centres plus attractifs il est possible d’améliorer considérablement la qualité de vie dans la métropole. Puisque chacun fait l’expérience des transports en commun ou d’un déplacement sur l’espace public dans la journée, la mise en valeur du « public realm » londonien est porteuse d’une valeur symbolique. Des réalisations urbaines récentes illustrent ce changement d’idéologie (« paradigm shift »124) et l’importance de la qualité de la forme urbaine sur les pratiques sociales des habitants. Le réaménagement de Trafalgar Square a permis de réinsuffler la vie au cœur de la métropole et a restitué à la place sa fonction d’intégrateur social. Elle symbolise l’émergence d’un nouveau type d’espace public adapté à la mondialisation. C’est à la fois le lieu de convergence des flux et d’une activité économique dense, qui n’a plus grand-chose à voir avec la conception traditionnelle d’un espace public sur le modèle du parc en plein air. Pourtant cet espace sert de support à la vie de la cité puisque s’y mêlent la diversité et les échanges de la vie économique, sociale et culturelle. Cette mutation de l’espace public n’a été rendue possible que par une forte intervention conjointe du GLA et de TfL pour réguler les flux, redistribuer la circulation et replacer les déplacements humains au centre des priorités. Les initiatives allant dans ce sens permettent de répondre à l’enjeu contemporain de la ville globale qu’est celui de la réinvention de son espace public. Pour encadrer cette transformation la maitrise des transports est un outil déterminant des gouvernements métropolitains. Cependant comme le remarque R. Sennett125 il y a un danger et une certaine inefficacité à vouloir totalement maitriser l’espace. L’extrême complexité de la ville laisse à penser qu’il est impossible d’en concevoir une vision totalisante, comme le montre d’ailleurs l’étude du réseau de transport londonien. L’humain introduit indubitablement de l’incertain et de la complexité qu’aucun masterplan n’est capable de condenser. Les marges de manœuvres du maire semblent donc moins liées à une régulation minutieuse de l’organisation du territoire -comme on pouvait la trouver dans les travaux de l’UTF- mais plutôt dans la décision de grandes orientations destinées à donner une cohérence globale au schéma de développement. Une 124

KNOFLACHER Hermann, RODE Philipp, TIWARI Geetam, How roads kill cities, Issues p340 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 125 SENNETT Richard, La conscience de l’œil, Verdier 2009 traduit de l’anglais par Dominique Dill original The Conscience of the Eye, The Design and Social Life of Cities, 1990

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politique de projets et d’interventions ponctuelles grâce au design (Design for London) sur des investissements massifs (comme à Stratford et sur les autres espaces publics sélectionnés pour faire l’objet de nouveaux aménagements) permet d’accompagner cette stratégie du territoire et de la matérialiser physiquement sur l’environnement urbain. L’espace public londonien est donc à réinventer dans ses gares, sur ses places, dans ses stations de métro et dans toutes les infrastructures de transports. Ces lieux sont des points de jonctions aussi bien physiques que culturels, leur forme définira à l’avenir l’expérience sociale et individuelle de la ville et le sentiment d’appartenance des londoniens à une même communauté. Leur redéfinition doit permettre le phénomène d’attachement au lieu si cher à J. Jacobs.

Londres a dés aujourd’hui les moyens de ses ambitions pour demain : un gouvernement fort, une place déterminante dans l’économie mondiale, un réseau de transport intégré, une population dynamique et l’opportunité des Jeux Olympiques. Pourtant si elle veut devenir « The best Big City ever »126 ses urbanistes devront une nouvelle fois faire preuve d’inventivité et de créativité. Depuis les années 1990 sa forme changeante, tel un métabolisme, a permis le renouvellement de la ville et l’évolution de la skyline symbolise bien que les enjeux métropolitains sont retranscris à travers la forme de la ville. C’est en prenant les devants et en appliquant les principes d’une « Open City »127 : development narratives, porosité des frontières, espace inachevés… et en engageant la transformation de l’espace qu’il sera possible d’agir sur les enjeux modernes et de créer une ville globale à échelle humaine. L’évolution récente de l’espace public le place désormais dans les points de connectivités intégrés dans le réseau de transport. Le plus grand potentiel pour l’espace public de demain réside donc dans la transformation des espaces de transit en des espaces d’échanges interpersonnels.

126 127

JOHNSON Boris, London Plan, october 2009 SENNETT Richard, The open city, Issues SENNETT, p.290 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007

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Bibliographie 1- Ouvrages - URBAN AGE PROJECT, BURDETT Ricky, SUDJIC Deyan, The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 Articles - BURDETT Ricky, The capital sububia, Issues BURDETT p.142 - BURDETT Ricky, RODE Philipp, The Urban Age Project, Introduction p 8 - CLOS Joan, The European City model, Issues CLOSp.160 - FRUG Gerald, Designing government, Issues FRUG, p.298 - GRAVON Nicky, Towards a carbon neutral London, Issues GRAVON, p.372 - KNOFLACHER Hermann, RODE Philipp, TIWARI Geetam, How roads kill cities, Issues p340 - SENNETT Richard, The open city, Issues SENNETT, p.290 - PENALOSA Enrique, Politics, power, cities, Issues PENALOSA p.307 - SUDJIC Deyan, Governing the ungovernable, Issues SUDJIC p.142 - SUDJIC Deyan, Theory, policy and practise, Introduction p.32 The Endless City, The Urban Age Project by London School of Economics and Deutsche Bank’s Alfred Heerhausen Society, Phaidon 2007 - SASSEN Saskia, Seeing like a city, Issues SASSENp.276 - TRAVERS Tony, Towards a Europe of Cities, Issues TRAVERS p.155 - ICHIOKASarah, Interventions: New life in the city, Bankside London p.436 – Tate Modern, London, p.438 ; Taming the car, Congestion charge, London, p. 442 – Trafalgar Square, London, p.444 Sur le site de l’Urban Age - Archives http://www.urban-age.net/ 2005-11 Body-Gendro, Sophie, The New Urban Visions of London : Is safety in public space the major issue? 2005-11 Burdett, Ricky, Changing Values Public Life and Urban Space Newspaper, Essay, London 2005-11 Clos, Joan Towards A European City Model?, Overview Newspaper Essay, London 2005-11 Coates Nigel, King's Cross-Roads Mobility and Transport, Bulletin Essay, London 2005-11 Frug Gerald, Delivering Urban Governance In London(?), Planning and Legal Structures, Bulletin Essay, London 2005-11 Sudjic Deyan, Governing The Ungovernable?, Planning and Legal Structures Newspaper, Essay, London 2005-11 Sudjic Deyan, London Visions, Overview Bulletin, Essay, London 2005-11 Travers Tony, Transport and Mobility, Mobility and Transport, Newspaper Essay, London - CALDEIRA Teresa P.R. Fortified Enclaves : The New Urban Segregation, Public Culture 1996 - 149


- FEE David, NAIL Sylvie, Vers une Renaissance anglaise? 10 ans de politique travailliste de la ville, Presse Sorbonne Nouvelle, 2008 - Dont : SADOUX Stéphane, NOVARINA Gilles, AMBROSINO Charles, L’Urban Renaissance : la ville selon Richard Rogers ? - Dont : DOUSTALSY Cécile, Le rôle de la culture dans la renaissance urbaine depuis 1997 en Angleterre : de l’économique au socioculturel ? - MURIE Alan, Urban Regeneration and Renaissance in England : Tensions, Exclusion and Market Responses - GREED Clara, ROBERTS Marion, Introducing urban design Interventions and responses, Longman Singapour, 1998 - Dont : BARTON Hugh, Design for Movement - HERAN Frederic, Transports en milieu urbain: les effets externes négligés, La Documentation française, Prédit 2000 - MITCHELL Don, The right to the city, Social justice and the fight to public space, The Gilford Press 2003 - ROGERS (Richard), Cities for a small planet, London, Faber and Faber Ltd, 1997 - JACOBS Jane, TheDeath and Life of Great American Cities, Vintage books 1992, original 1961 - LEFEBVRE Henry, La production de l’espace, Editions Anthropos 2000 - SASSEN Saskia, The Global City: New York, London, Tokyo, Broché 2001, original 1991 - SENNETT Richard, La conscience de l’œil, Verdier 2009 traduit de l’anglais par Dominique Dill original The Conscience of the Eye, The Design and Social Life of Cities, 1990 - SENNETT Richard, La chair et la Pierre, Le corps et la ville dans la civilisation occidentale, Editions de la Passion 2002, Traducton Zoé Andreyev original 2001 - SITTE Camillo, L’Art de bâtir des villes, L’urbanisme selon ses fondements artistiques, Editions du Seuil Traduction Wieczorek Daniel original 1889

2- Articles - APPERT Manuel, Londres 2012 : 100 mètres ou course de fond ? 18 avril 2007, http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1081 - BAYARD Jean-François, La privatisation de l’espace public, Société Politiques comparées n019, novembre 2009 - 150


- APPERT Manuel, Métropolisation, mobilités quotidiennes et forme urbaine : le cas de Londres, Géocarrefour [En ligne], vol. 79/2 | 2004, mis en ligne le 25 octobre 2007. URL : http://geocarrefour.revues.org/index621.html - BAYARD Jean-François, La privatisation de l’espace public, Société Politiques comparées n019, novembre 2009 - MoLAS-PCA and the 2012 Games, http://www.molas.org.uk/projects/reportPrint_tei.asp?report=olympics

3- Article de presse - Mercer Karl, Trafalgar Square public spaces back to the people, BBC, 2004 http://www.bbc.co.uk/london/travel/features/trafalgar_square/politics.shtml

- HILL Dave, 100 Public Spaces: The End, Dave Hill http://www.typepad.com/services/trackback/6a00d83451ef7969e200e553cb955b8833 - SOLONEL Julien, Paris se hérisse de mobilier anti-SDF , Le Parisien, 30.12.2009 http://www.leparisien.fr/paris-75/paris-se-herisse-de-mobilier-anti-sdf-30-12-2009759673.php

Sur le site http://www.spacesyntax.com/ - HILLIER & VAUGHANVaughan, The spatial syntax of urban segregation, 2007 - STONOR, Spatial modelling for complex materplans 2009

4- Documents de travail - Mayor’s Transport Strategy, Public Draft october 2009 - The London Plan, Spatial Development Strategy for Greater London, october 2009, Consultation draft replacement plan - TILLY Corinne, IPRAUS – PREDIT. Cahier de référence Mobilité et projet – Rapport intermédiaire juillet 2007 - WERQUIN Ann Caroll, Conférence “Londres, The thames Path : le fleuve et sa promenade, moteurs de la régénération urbaine”, 10 octobre 2007 - CARABINE Dick, Poverty, deprivation and development in working class communities, Govan Community Council Report of The conference held in Govan, 22 November 2004

5- Sites internet Transport for London http://www.tfl.gov.uk/ - 151


Design for London http://www.designforlondon.gov.uk/ Greater London Authority http://www.london.gov.uk/thelondonplan/ London Development Agency http://www.lda.gov.uk/ Space Syntax http://www.spacesyntax.com/ Projet Stratford Station : http://www.wilkinsoneyre.com Stratford City http://www.futurestratford.com High Speed 1 http://www.highspeed1.com/ Projet Channel Tunnel Rail Link!: http://www.lcrhq.co.uk Thames Gateway http://www.thames-gateway.org.uk Survival Group http://www.survivalgroup.org/ Cahier de référence, mobilité et projet (TILLY Corinne) http://www.la-mobilite-en-projet.archi.fr/londresABCD.html

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Table des matières Introduction....................................................................................................................................5 I.

Maîtriser la ville : une problématique contemporaine ? ................................................13 A.

Les nouveaux enjeux de l’ère de l’Urbain.......................................................................14 1) a) b) 2) a) b)

B.

Les enjeux globaux de l’urbanisme moderne .............................................................16 Les enjeux politiques de la gouvernance ...............................................................17 Les enjeux économiques ........................................................................................20 Et leurs implications ...................................................................................................22 Le diktat économique.............................................................................................23 L’enjeu de la répartition des ressources.................................................................25

La réactivité de la mégapole londonienne.......................................................................27 1) 2)

La politique de rénovation urbaine des travaillistes ...................................................28 « L’Urban renaissance » .............................................................................................29 a) Le développement durable de la ville au cœur du concept de l’ « Urban Renaissance »...................................................................................................................31 b) La ville un métabolisme selon Rogers ...................................................................33 3) La concrétisation avec le London Plan .......................................................................36

C.

Le London Plan : schéma organisateur de la complexité urbaine..................................37 1) 2) 3)

II.

Le london plan ............................................................................................................39 La stratégie de développement dans l’espace .............................................................41 Le rôle des transports dans la spacial strategy ............................................................42

Comment organiser la ville ? L’importance des transports...........................................47 A.

Londres et les Transports ................................................................................................48 1) a) b) 2) a) b) c)

B.

Le système de transport londonien .............................................................................49 Historique...............................................................................................................50 Le tournant dans la stratégie de transports.............................................................51 Pourquoi une stratégie de transport ?..........................................................................52 Désenclaver les communautés ...............................................................................53 Fournir les éléments d’une approche durable du développement..........................54 Répondre au besoin de développement .................................................................55

Les projets en cours pour organiser le développement ...................................................56 1)

Elaborer une stratégie de transport cohérente .............................................................57 Les principes qui guident la rédaction de la MTS .................................................58 Les objectifs généraux ...........................................................................................59 2) État des lieux : 3 zones structurant la métropole londonienne....................................60 a) La CAZ ..................................................................................................................61 b) L’Inner London......................................................................................................62 c) Outer London : la banlieue proche ........................................................................64 a) b)

C.

La prépondérance des transports dans le London Plan..................................................66 1)

Le redéploiement polycentrique de la ville.................................................................69


a) b) c) 2) a) b) 3) a) b) c) III.

Désengorger les termini centraux ..........................................................................71 Recentraliser les transports sur des town centers...................................................72 London Strategic Interchange................................................................................74 Complété par le plan en croix Crossrail/thameslink ...................................................76 Crossrail .................................................................................................................77 Thameslink.............................................................................................................79 Répartir la richesse dans l’inner london : le redéveloppement à l’est de la ville........81 Reproduire l’expérience de Canary Wharf ............................................................82 L’opportunité de créer une ville propre .................................................................84 Stratford International et les Jeux ..........................................................................86

Une redéfinition de l’espace public par les transports ...............................................87

A.

Frénésie urbaine : mais où est passé l’humain ? ............................................................89 1)

Les critiques de l’urbanisme moderne ........................................................................90 la contradiction avec une ville sociale ...................................................................91 La vision normative de la ville et l’exemple de Canary Wharf .............................92 L’aspect social .......................................................................................................95 2) La recherche du sens : replacer l’espace public au centre de la réflexion sur le développement urbain ..........................................................................................................99 a) Réintroduire l’humain au cœur de l’urbanisme ...................................................100 b) Dans le but de recréer un espace public...............................................................104 c) Sous quelles formes ? ..........................................................................................106 a) b) c)

B.

Agir sur l’espace public (par les transports).................................................................110 1) a) b) c) 2) a) b) c)

C.

L’importance de la forme physique de l’espace public ............................................111 La conscience de l’oeil ........................................................................................114 La critique de l’urbanisme moderne ....................................................................117 Quelle forme donner à l’espace public ? .............................................................119 Les transports structurant l’espace public.................................................................123 En route vers la démocratie ?...............................................................................124 Quand les transports décident ..............................................................................128 Les transports redessinent-ils l’espace public ? ...................................................130

La redéfinition des espaces publics londoniens.............................................................132 1) a) b) 2) a) b)

Modeler les espaces par le design .............................................................................133 Une nouvelle technique pour l’urbanisme ...........................................................134 Comment fonctionne la Space Syntax ?...............................................................136 Le programme des 100 places...................................................................................139 Le Programme des 100 espaces publics ..............................................................140 L’espace public évolue ........................................................................................142

Conclusion ..................................................................................................................................144 Bibliographie ..............................................................................................................................149


Tables des illustrations

Figure 1 (Source : Mayor's Transport Strategy – october 2009) .........................................60 Figure 2 (Source : Mayor's Transport Strategy - october 2009) ..........................................66 Figure 3 (Source : Mayor's Transport Strategy – october 2009) .........................................67 Figure 4 (Source : Mayor's Transport Strategy - october 2009) .........................................70 Figure 5 (Source : Mayor's Transport Strategy – october 2009) .........................................75 Figure 6 (Source : Mayor's Transport Strategy – october 2009) .........................................78 Figure 7 (Source : Mayor's Transport Strategy - october 2009) ..........................................80


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