DOCUMENT D'HISTOIRE 1980
Saint Maurice, patron des chevaliers, des soldats, du Valais et bien s没r de Saint-Maurice d'Agaune
LE MARTYRE DE SAINT MAURICE et de ses compagnons Consid茅rations historiques et militaires
Avant-Propos Le Symposium de Forteresse 1979 a été l'occasion de rappeler le souvenir de la Légion thébéenne, et les participants à cette rencontre se souviennent avec émotion de la cérémonie organisée à la Chapelle de Vérolliez, au cours de laquelle le major Parvex évoqua de manière saisissante les circonstances de ce haut-fait. Dès lors, il était bon que demeure une trace écrite du récit - il en existe d'autres, sans doute - mais celle-ci devait être facilement accessible, fondée scientifiquement et enrichie de documents iconographiques contemporains de l'événement. Nous exprimons donc notre vive reconnaissance au major Parvex, l'auteur, dont la maÎtrise du sujet n 'a d'égale que la clarté et la vie de la présentation. Nous remercions également L'Ecole Valaisanne, qui a accepté qu'un document destiné à ses enseignants devienne une nouvelle plaquette de notre fonds d'édition. Enfin, nous disons notre gratitude à l'Abbaye de Saint-Maurice, qui met gracieusement à notre disposition les photos reproduites, et à Monsieur le Chanoine DupontLachenal, qui a bien voulu accepter de revoir le texte. /! était bon enfin que l'Association Saint-Maurice pour la recherche
de documents sur la forteresse accueille dans sa collection le récit du martyre de la Légion thébéenne. On sait qu'il existe une géographie de la qualité, que certains lieux sont marqués par l'esprit: Saint-Maurice est un de ces lieux privilégiés où, dès la nuit des temps, il se passe quelque chose, qui est au-delà de l'ordinaire. Comme on le verra dans ces pages, le martyre de la Légion thébéenne est à l'origine de la Laus perennis, raison d'être de la future abbaye, dont l'influence va être si grande sur les destinées politiques et religieuses de l'Occident... Saint-Maurice, lieu de passage, lieu de pèlerinage et de réflexion. .. Haut-lieu de la fortification helvétique .. . C'est donc par fiç/élité à une longue tradition - et dans le sentiment que cette tradition est une force toujours agissante que notre Association a adopté le nom de Saint-Maurice, sa croix et une devise, ((Servin), dont le mot d'ordre nous incite, aujourd'hui comme hier, à toujours mieux remplir la mission à laquelle nous avons été appelés. Photo de la couverture: «Le martyre de sai nt M aurice», déta il du vitrail d'Edmond Bille, 1950, Basilique abbatiale.
Association Saint-Maurice Le Président
Major Rapin
MARTYREDE SAINT MAURICE ET DE SES COMPAGNONS Considérations historiques et militaires « ... Un soir de l'automne commençant, quand les hauts pâturages rougissent déjà sous la morsure du premier gel, quand les forêts de mélèzes se couvrent d'une poussière d'or et que les sapins se détachent plus noirs sur la rouille des hêtres; quand les vergers ploient sous leurs charges de fruits prêts à la récolte et que les pampres fatigués tendent leurs premières grappes gorgées de soleil, la Légion thébéenne, mÛI'e elle aussi pour la récolte et la divine vendange, a fait halte, ici même, aux portes de la cité militaire d'Agaune. Le Primicier Maurice, un fier soldat, commande la Légion, troupe d'élite, levée sur terre chrétienne, en Thébal'de d'Egypte. Il est assisté d'Exupère, son aide de camp, et de Candide, le sénateur des sol· dats». ' Pour présenter à la fois les personnages et le décor de notre étude, il est difficile de trouver un plus beau texte que celui de «La Passion des martyrs d'Agaune», du chanoine Louis Poncet. Cependant, quittons les recherches littéraires pour nous attacher plus particulièrement aux considérations historiques et militaires qui caractérisent le martyre de Saint Maurice et de ses Compagnons. 1 Situation générale
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La période du Bas-Empire qui s'étend de 235 à 305 voit l'Empire romain s'inscrire dans un vaste triangle Atlantique - Mésopotamie - Golfe persique, incluant bien sûr tout le littoral méditerranéen qui constitue la «MARE NOSTRUM». Alix ji'ontières, la menace provient des pressions qu'exercent les peuples de cavaliers: Germains, Sarmates, Perses, Berbères et Maures. L'Empire perse des Sassanides est le plus puissant adversaIre. A l 'intérieur: l'Empire est secoué par des divisions. La peste fait de grands ravages et les effectifs des corps de troupes s'en ressentent gravement.
Les empereurs sont des provinciaux nommés par leurs soldats, comme Dèce (249-251), d'origine illyrienne qui va réformer l'Empire et la religion, ce qui va provoquer une nouvelle persécution des chrétiens. Les Empereurs: Dioclétien tout d'abord, un Dalmate, devient empereur en 285. Devant la nécessité de réorganiser l'Empire il s'adjoint l'année suivante, un Pannonnien, Maximien, général expérimenté. Ce sont donc deux empereurs qui gouvernent l'Empire romain de 286 à 292 formant ainsi une dyarchie. Durant cette période, Dioclétien gouverne l'Orient et Maximien l'Occident. Ce système faisant ses preuves, Dioclétien crée en 292 deux nouveaux empereurs. Dioclétien et Maximien prennent le titre d'Augustes alors que les deux autres empereurs: Galère et Constance Chlore, simplement Césars, leur sont associés. Désormais, les responsabilités sont ainsi partagées: En Occident : Maximien
gouverne:
Constance Chlore : Dioclétien
gouverne:
En Orient
Galère
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l'Italie, la Sicile, l'Afrique la Gaule, l'Espagne, la Bretagne l'Asie, la Thrace, l'Egypte l'Illyricum et les provinces danubiennes, l'Achaïe.
Il y a dès lors quatre résidences impériales à proximité des frontières: Milan, Trêves, Nicomédie et Sirmium. Cette organisation tétrarchique dura jusqu'en 305. De nombreuses réalisations sont à son actif: réorganisation des finances établissement du cadastre levée régulière des impôts en justice, procédure simplifiée protection des mineurs, des esclaves et des débiteurs édit du maximum (fixation du prix officiel) aides aux écoles réalisation de grands travaux (thermes de Dioclétien)
Il A l'angle gauche de la façade de la basilique Saint-Marc, à Venise, un bloc de porphyre rappelle le souvenir des tétrarques. D'autre part une colonne milliaire trouvée au XVIII' siècle à Martigny porte l'inscription suivante : (traduction) «A nos seigneurs Dioclétien et Maximien , pieux. heureux , toujours victorieux , Augustes, et à Constance et Galerius Maximin, nobles Césars, nés pour le bien de la chose publique , et princes toujours victorieux. De Forum Claudii Vallensium 1 mille pas» 2
L'armée romaine.
Instrument de conquête, l'armée romaine se signale par sa remarquable discipline et la haute qualification de ses centurions. Chaque armée commandée par un magistrat devenu général, se compose de deux légions.
Cette légion comprend:
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une infètnterie répartie en cohortes, n;anipules e~ centuries une cavalerie, commandée par un prefet, partagee en turmes (escadrons) et décuries (pelotons) un corps auxiliaire, formé de soldats alliés des services spécialisés (génie - musiciens etc .. .)
~---CAVALERIE
ROMAINE INFANTERIE ROMAINEI INFANTERIE DES ALLIEs
C;Z;ZXt::::t:-===b\\
iI\-~~--- CAVALERIE
DES ALLIÉ
Du point de vue des effectifs, les troupes s'articulent de la manière suivante: -
PRI!FETS DES TROUPES ALL/EES
=groupe de 100 hommes 1 centurie 2 centuries = un manipule (200 hommes) 3 manipules = une cohorte = 600 hommes 10 cohortes = une légion = 6000 hommes
"~TROUPES fJfjJ1g
1!J'N
Ces effectifs sont rarement atteints dans la pratique en raison des combats, accidents, décès et désertions. Généralement pour une légion on compte en moy~nne, 2000 à 4000 hommes. En dessous de 2000 hommes, on procede .a une n;fonte avec de nouveaux éléments. A la fin du Haut-Empu'e on denombre environ 35 légions. En raison même de la «PAX ROMANA» , les troupes sont échelonnées sur le limès, la frontière ; l'intérieur du pays ne dispose pas de troupes propres. C'est Dioclétien qui va remédier à cette situation en créant des troupes de campagne. Gallien avait déjà entrepris une telle réforme en 260 en créant des réserves constituées de cavaliers prêts à intervenir rapidement sûr les points menacés. Rappelons enfin que pendant les marches, pour être «à bonne en seigne» les fantassins suivent leurs AIGLES et les cavaliers, leurs ETENDARS (VEXILLA). Lors d'un stationnement, l'armée romaine adopte un dispositif défensif en constituant le fameux CAMP ROMAIN . «L'armée romaine ne s'arrête jamais en rase campagne. Chaque soir elle se met à l'abri dans un camp établi à proximité de l'eau . Le camp romain est un quadrilatère entouré d'un fossé et d'une levée de terre surmontée d'une palissade. Ses quatre portes sont gardées par des sentinelles, tandis que des piquefs de cavalerie font des rondes tout autour pendant la nuit. Au milieu du ca~~ on tr~uv.e un autel où sont déposées les enseignes ; la tente du general (pretOire) ; une place où les cantiniers vendent des vivres aux soldats ; le bureau du questeur où les soldats touchent leur solde. Chaque soldat a une place fixe , où il retrouve chaque soir les mêmes compagnons».3
UGERES
f,!JfJfJ LÉGATS
CAVALERIE EXTRA",' FOl/RNIE PAR LES ALLIÉS
CAVALERIE EXTRAOHD~E
FOUHNIE PAR LES ALliÉS
INFANTER I E EXTRAORD~E DES ALuts
INFANTERIE EXTRAORD~c DES ALLIÉS TROUPES y LEGERES
III
TRIBUNS MIliTAIRE:>
Situation particulière (285-286)
Ce n 'est pas pour se soustraire à «la solitude du chef» ou par simple goût de partager le pouvoir suprême que Dioclétien fait appel à Maximien! C'est bien une décision dictée par les nécessités de l'actualité. En effet, retenu en Orient, Dioclétien ne peut faire face à deux menaces barbares en Occident. D'une part, la révolte endémique des Bagaudes dans le bassin de la Seine et de la Marne préoccupe l'Empire, tout comme la sécession de Carausius en Bretagne. D'autre part les Alamans franchissent le Rhin, pillent A venches, s'emparent de Lausanne et s'apprêtent à marcher vers le Haut-Lac et la Vallée du Rhône . Ils franchissent également le Rhin en direction de la Lorraine et de la Gaule septentrionale. Devant cette double menace , Maximien demande renfort à Dioclétien qui lui envoie la Légion thébéenne.
Ces détachements ad hoc portèrent d'abord le nom de VEXILLA puis de VEXILLA TIONES formant en quelque sorte une unité dans la légion d'incorporation. Par extension on leur attribua égaiement l'étiquette de légion mais il faut alors comprendre qu'il s'agit en réalité d'une unité de cavalerie légionnaire dont l'effectif dépassait rarement un millier d'hommes. C'est précisément le cas de la «legio militum, qui Thebaei appellabantur» ainsi mentionnée dans le récit de la Passion des martyrs par saint Eucher, évêque de Lyon. Si l'on considère qu'il est fait mention d'un seul porte-enseigne (signifer), on peut en déduire qu'il s'agit d'une cohorte dont l'effectif réglementaire ascende à 600 hommes. En tenant compte des grades des officiers cités, on peut évaluer plus ou moins la valeur des effectifs et déterminer le genre de troupes qui leur sont confiées. Cependant il faut remarquer que les structures militaires sont alors en pleine refonte et que le rapport grade/ commandementltroupe peut en être sensiblement modifié.
PRIMICERIUS (Maurice) Au sens propre du terme ce mot désigne celui dont le nom figure à la première ligne de la tablette de cire (cera), donc en tête de liste, centurion commandant. SENATOR MILITUM (Candide) officier du grade de centurion exerçant un commandement doublé d'une fonction d'instructeur. Qualifié de «princeps» , il est le commandant du manipule. C'est le subordonné direct du primicerius.
HAXl t1 \EN
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CAMPI DOCTOR (Exupère) Sous-officier d'infanterie. ou CAMPI DUCTOR: qui connaît les lieux = chef d'exploration /éclaireur. En fonction de ces grades, les spécialistes pensent que la légion thébéenne pouvait compter 550 fantassins et 132 cavaliers (quatre turmes de trente-trois cavaliers). Cela ferait un effectif total de 682 hommes. 4
La légion thébéenne
OCTODURUS -
Nous avons vu que dans l'organisation des ~roupes :o~aines le secteur opérationnel des légions était une portion du ltmes. E:~ termes modernes nous aurions là des troupes de «couverture frontlere» .
Venant d'Augusta Praetoria (Aosta), l'armée de Maximien franchit le Mont-Joux - SUMMUS POENlNUS - et descend sur Octodurus (Martigny) choisi comme tête d'étape alors que la Légion thébéenne poursuit sa marche jusqu'à Acaunus (Agaune/ St-Maurice) au Pays des Nantuates où elle se rétablit. La voie est bien connue: le franchissement du Rhône se fera à Tarnaiae (Massongex) puis successivement Penneloci (Villeneuve), Viviscus (Vevey), avec une bifurcation pour Lousonna (Lausanne), Urba (Orbe), Ariolica (Pontarlier), ou Uromagus (Oron), Minnodunum (Moudon) et Aventicum (A venches) ... Toutes ces localités figurent sur la Table de Peu linger, de même que dans l'Itinéraire d'Antonin , sorte de «Guide de Michelin» de l'époque pour soldats et commerçants!
A défaut de pouvoir disposer d'une .armé~ de ~at;lpag~e, cette pri~ rité d'engagement dans un secteur bien determme .avaIt pour consequence d'obliger les chefs à procéder à. u~ remam~I?ent de troup~s afin d'être en mesure de remplir la miSSIOn premlere quand la s~ tuation exigeait d'entreprendre simultanément une campagne particulière pour répondre par la force à une menace barbare. Il fallait donc détacher des éléments de leur incorporation pr~mière pour les regrouper en corps de troupe susceptibles de remplir une nouvelle mission. (C'est l'engagement d'un groupement de combat).
ordonnances impériales.
Est-ce dans l'optique d' un proche affrontement avec les Alamans ou dans la perspective de réprimer la révolte des Bagaudes, que Maximien ordonne à son armée de prêter le serment militaire à ce moment-là? Il était d'usage pour les troupes de prêter serment avant le début d 'une campagne. (Cela correspond de nos jours à l'assermentation des troupes avant l'accomplissement d'un service actif). Les soldats chrétiens pouvaient prêter ce serment en toute bonne conscience. Cependant dans le cas paiticulier, Maximien demande à la Légion de s'engager à pourchasser les chrétiens, ce qui peut s'entendre d ' un engagement sur les autels des dieux et voilà ce que ne peuvent accepter ces soldats chrétiens.
Premier feuillet du texte de saint Eu cher Bibliothèque na tional e à Paris Classé au N° 9550 5 (format 15 ,5 x 23 ,5) Manu scrit des environs de l'an 600
ACAUNUS -
Prise de position des soldats chrétiens. Décimations puis massacre de la légion thébéenne.
C'est donc à une mission de persécution des chrétiens (et sans doute les Bagaudes sont-ils visés là, car le christianisme avait déjà pénétré dans le bassin de la Seine et de la Marne) que Maximien appelle les soldats de Maurice, appel auquel ces soldats, étant eux-même chrétiens , répondent par un refus. Le refus éta it d'autant plus justifié, que l'engagement auquel Maximien voulait les soumettre devait être pris, selon une opinion traditionnelle , devant les autels païens. Cette attitude va plonger Maximien dans une violente colère et il exigera que la légion soit décimée . Une telle mesure disciplinaire devrait ramener la légion thébéenne à reviser son comportement afin d'exécuter les ordres impériau x. Il n'en est rien. La légion reste inébranlable dans sa foi et comme une de uxième décimation n'obtient pas plus de succès que la première , l'empereur Maximien , furieux , décrète la mort de tous. Le texte de Saint Eucher utilisant une formule de style que l'on rencontre chez les anciens historiens romains tels que Tite-Live Tacite, résume l'argumentation de Maurice sous la forme d'un discours dont voici la teneur. «Nous sommes tes soldats, ô empereur, mais nous sommes avant tout serviteurs de Dieu , nous le confessons librement. Nous te devons l'obéissance militaire. Nous lui devons l'innocence. Nous recevons de toi la paie de notre labeur, de lui nous avons reçu la vie. Nous ne pouvons avec toi , empereur, aller jusqu'à nier Dieu notre Créateur, notre Seigneur, oui , notre Créateur et ton Créateur aussi, que tu le veuilles ou que tu ne le veuilles pas.
Si nous ne sommes pas contraints à accomplir des actes assez coupables pour l'offenser nou s t'obéirons encore, comme nous l'avon s toujours fait ; s'il en est autrement, nous lui obéirons plutôt qu 'à toi. Nous t'offrons, pour les employer contre qu el ennemi que ce soit, nos mains que nous croyons criminel de rougir d'un sang innocent. Ces ~ains , qui savent combattre les ennemis et les impies, ne savent pomt frapper des hommes pieux et des citoyens. Nou s nous souvenons que nous avons pris les armes plutôt pour les citoyens romains que contre eux. Nous avons ~oujours combattu pour la justice, pour la piété, pour le salut des mnocents : ce fut là pour nous la récompense de nos dangers . Nous avons combattu avec fidélité sous tes drapeaux; mais cette fidélité , comment te la conserverons-nous, si nous la refusons à notre Dieu? «Nous avons d'abord prêté serment à Dieu ; nous avons ensuite prêté serment à l'empereur. Sache bien que notre second serment est illusoire , si nous violons le premier. Tu ordonnes le supplice de~ chrétiens par nos mains : il en est d'autres que tu n 'auras pas la peme de chercher loin de toi; tu vois ici , en nous , des hommes qui confessent Dieu le Père, créateur de toutes choses ; nous croyons en son Fils Jésus-Christ , Dieu .
Nous avons vu les compagnons de nos travaux et de nos dangers égorgés par le fer; leur sang a rejailli sur nous; et cependant nous ne pleurons pas la mort de nos très saints compagnons, nous ne les plaignons pas, mais bien plutôt nous les louons et nous sommes pleins de joie parce qu'ils ont été trouvés dignes de souffrir pour le Seigneur, leur Dieu. Maintenant, le suprême besoin de vivre ne nous a pas poussés à la rébellion; le désespoir, si énergique en face du péril, ne nous a point armés contre toi, ô empereur. Nous voici les armes à la main, et nous ne résistons pas, parce que nous aimons mieux recevoir la mort que la donner, périr innocents que de vivre coupables. Si tu rends encore de nouveaux décrets contre nous, si tu donnes de nouveaux ordres, si tu apportes de nouvelles menaces, feux, torture, glaives, nous sommes prêts · à tout subir. Chrétiens nous nous déclarons: nous ne pouvons persécuter les chrétiens».6
La suite , c'est le massacre de toute la légion thébéenne. Saint Eucher mentionne que pour honorer les restes des martyrs d'Agaune, Théodore, premier évêque connu du Valais, aménagea une petite chapelle au pied des rochers. Le tombeau même de Saint Maurice - arcosolium caractéristique dans la crypte - attira d'embiée de nombreux pèlerins. Le roi Sigismond fonda alors un monastère dont l'inauguration solennelle eut lieu en sa présence, le mardi 22 septembre 515 et l'évêque de Vienne sur le Rhône , Saint Avit, prononça l'homélie dont le texte est conservé dans deux papyrus de l'époque à la bibliothèque nationale de Paris. C'est sur le tombeau de Saint Maurice que s'élève pour la première fois en Occident la Laus perennis, psaln10die ininterrompue en commémoration des martyrs d'Agaune.
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Martyre de saint Maurice Châsse de l'abbé Nantelme 1225 Trésor de l' Abbaye de Saint-Maurice
Martyre de saint Candide Reliquaire de saint Candide XIIe siècle Trésor de l'Abbaye de Saint-Maurice
Homélie de saint Avit pour l'inauguration du monastère d'Agaune le mardi 22 septembre 515 . Bibliothèque nationale, Paris
Tombeau de saint Maurice (crypte des anciennes basiliques) Châsse de saint Maurice construite postérieurement à l'abbé Nantelme (1223-1258) en remployant des éléments d ' un parement d'autel en argent d'époque romane (fin XI!< siècle)
Le texte de Saint Eucher, évêque de Lyon , mort en 449, est le plus ancien récit relatant la PASSIO MARTYRUM ACAUNENSIUM. Des manuscrits plus récents datant des environs du IXc siècle présentent quelques variantes précisant un détail ou complétant telle ou telle description. Le récit d'Eucher a suscité une critique de Denis van Berchem 7 , critique à laquelle Louis Dupraz a opposé une longue étude des divers manuscrits relatant la passion des martyrs d'Agaune. Cette étude souligne l'importance de l'érection d'un sanctuaire en leur honneur par l'évêque Théodore . Cela permet à l'auteur d'y voir une forme véritable de canonisation. Il est bien évident que l'on peut se poser de nombreuses questions par exemple à propos d'un détail mentionné dans l'un des manuscrits tardifs anonyme ne figurant pas dans le texte de Saint Eucher. Il s'agit en l'occurence de l'ordre qu'aurait donné Maximien à la légion thébéenne déjà à Acaunus (St-Maurice) de revenir en arrière, jusqu'à Octodurus (Martigny) pour prêter le serment militaire sur les autels des dieux. Selon ce manuscrit, la légion thébéenne aurait eu le pressentiment de devoir prêter le serment militaire à Octodurus et c'est pour éviter cette obligation qu'elle aurait «brûlé» l'étape de Martigny, poursuivant sa marche directement jusqu 'à Acaunus. L'auteur de ce manuscrit a sans doute voulu exprimer par là son explication des circonstances particulières où se trouvait la légion. Il y aurait beaucoup de choses à dire à ce sujet mais du simple point de vue tactique d'abord, si le gros des troupes de Maximien fait halte à Martigny , il semble d'une élémentaire prudence de s'assurer en poussant son avant-garde dans le compartiment de terrain suivant. Acaunus, lieu de péage bien attesté dans son défilé sur la
voie romaine qu'empruntent régulièrement tout soldat gagnant les frontières du Rhin, paraissait particulièrement bien choisi à cet effet. Si l'on considère que c'est pour s'opposer au double danger des Alamans et des Bagaudes que l'on est en train de faire campagne, il semble pour le moins curieux que Maximien dégarnisse son dispositif précisément en tête de sa marche. De plus, faire revenir en arrière son avant-garde ne paraît pas être la meilleure solution pour gagner du temps! Enfin, il était possible pour Maximien de demander à la légion thébéenne de sacrifier «dans la foulée)) sur les autels des dieux d'Acaunus ou surtout de Tarnaiae (Massongex) où l'on passera obligatoirement pour franchir le Rhône. C'est précisément à T ARNAIAE que l'on a exhumé en 1931 un autel votif «A JUPITER , Très bon, Très grand)) orné des attributs divins: aigles aux ailes déployées, foudre hérissé de dards tenu par une main droite fermée. 9 Cet autel était à proximité d'un labrum, grande vasque de pierre dédiée également à Jupiter par un soldat de la VIlle légion Auguste. C'est un objet de culte qui sert de réceptacle pour l'eau lustrale. lO Ces deux monuments en l'honneur de Jupiter sont élevés par des soldats. Cela montre bien la dévotion des soldats pour Jupiter et la preuve que c'est bien là l'itinéraire militaire emprunté par les troupes romalI1es. D'autre part les historiens reconnaissent dans le mot T ARNAfAE «l'empreinte du dieU)) gaulois T ARANIS, pratiquement l'équivalent de Jupiter auquel les Romains l'auraient progressivement assimilé par la suite. Cela donnerait ainsi à Tarnaiae - Massongex la réputation d'un lieu de culte remontant très haut dans l'histoire." Autre point mystérieux: l'origine exacte des soldats de la légion thébéenne: -
Sont-ils romains? Sont-ils égyptiens?
Saint Eucher écrit «Thebaei appelabantu[")) - on les appelait «Thébains)) - On peut comprendre que ces soldats ne sont pas nécessairement thébains d'origine mais qu'il ont pu recevoir ce titre à la suite d'une occupation.
Autel découvert à Massongex en 1931 Son inscription: J (0I'i) 0 (plimo) M (axill/a) 1' (01/11/1) S (a/vit) J (ibel/s Daplllllls dispel/sala [ris} vicar
[ill~j
«A Jupiter Très bon , Très grand, Daphnus, suppléant du quartier maître ' s'est volontiers acquitté de son vœu comme il convenait» Dimensions : h. 100 cm ., larg. 57 cm., épaiss. 27 cm. , lettres 3 cm. Placé dans le vestibule de l'Abbaye de Saint-Maurice
Il est aussi intéressant d'apporter ici un élément nouveau qUI permet d'approcher peut-être de la réalité hi storique .
NOT ES
Selon des avis de milieux copts actuels dont nous avon s eu connaissance l'insubordination endémique que manifestaient les Egyptiens n'aur~ it pas été le fait de toute l'Egypte , m~is seul~ment d 'une région. Cette attitude d'opposition aux Romall1s serait surtout le fait de la Haute-Egypte plus proche de l'Ethiopie.
1. PONCET , Louis. La Pass ion des mart yrs d'Agaun e. Jeu liturgique. Ed. OSA 51Mauri ce, 1940 (page 9) 2. WALSER , Ge rold. ITI N ER A ROMA NA . Die romi sc hen Strasse n in der Schweiz 1 Teil Die Meilensteine Ed . Kümm erly & Frey Berne 1967 (page 27 ) 3. SECHER , J. et BRAND, Ch. Rome et le Moye n Age Ed . de G igord Pari s 1967 (page 3 1)
D ans d'autres région s, les populations auraient mie~x admis l'occu pation romaine, surtout celles des régions plus fert.Iies dans les le ~' l'es noires nourries par les crues du Nil où les habitants se montrerent plus favorables à la romanisation que ce n'était le cas dans la Haute-Egypte.
4. DU PRAZ, Louis. Les Passions de Saint Mauri ce d'Agaun e Ed . Uni ve rsitaires Fribourg 196 1 (page 271) 5. BESSON , Mariu s, Antiquités du Vala is Ed. Fragnières Fribourg 19 10 (pages 54-55 )
C'est donc dans ces régions plus soumises que Rome aura it pu lever des troupes pour les envoyer plus au sud , occuper la région de Thèbes qui était hostile à Rome. Le Fayoum aurait été rallié assez tôt à l'autorité romai~e. Or da~s le no rd du Fayoum on trouve un lac /v/o eris -:- Lac nOir et /vIaun.cifls pourrait justement provenir d'un mot déSignant la co uleur no~ re. On retrouve la même signification dans le mot MAURE, habitant de l'Afrique. Même sens également pour le surnom du duc de Milan, Ludovic Sforza - Le More - soit qu'il ait eu le teint basané , soit qu 'il ait porté une cuirasse noire. , . . . On se trouve donc en présence ... d'une sene NOIRE qUI pourrait bien être le dénominateur commun associant ces divers éléments dans un même contexte. Ce sont là quelques considérations particulières à ajouter à celles exprimées dans les études de MM . van Berchen: et ~upraz auxquelles nous renvoyons bien sûr les lecteurs pas~lO~nes de .rec,herches historiques. En y trouvant une foule de detaiis ~o~t lI1te,re~ sants ils découvriront simultanément toute la complexite des evenem~nts en cherchant la concordance entre les faits historiques et la relation même de la Passion des Martyrs d 'Agaune. En remerciant tout particulièrement l'Abbaye de Saint-Maurice et M. le Chanoine Dupont Lachenal pour leur précieuse collaboration .
Jlt/aurice Parvex
6. G ROS , Eugène. Histoire du Mart yre de Saint Mauri ce et de la légion th ébée nne. Ed . OSA St-M a urice 1900 (pages 16-1 8)
7. Van BERCHEM , Denis. Le mart yre de la légion th ébée nn e Essai sur la form ation d'un e lége nde Ed. Reinh ardt Bâle 1956 8. Cf note 4 ouvrage cité 9. COLLART, Paul. Inscriptions latines de St-M auri ce et du Bas-Valais. Rev ue suisse d'Art et d'Archéologie vol 3 N° 1-2 Ed . Birkhaeuse r Bâle 1941 (page 2) 10. COLLART , ouvrage cité
Il . VAN BERCHEM , Denis. Le sa nctuaire de Tarnai ae. Rev ue d'histoire va udoise N° 4, 1944. BIBLIOG RAPHIE 1. Ouvrages cités en notes 2. BESSON, Marius. Monasterium Aca un ense. Etudes critiqu es sur les origines de l'Abba ye de St -Mauri ce en Va la is. Fribourg 19 13 3. BLONDEl, Loui s. Les anciennes basiliques d'Aga un e, étude a rchéologique. Vallesia, III , Sion , 1948 + suppl. , V, 19 50 VI , 195 1; VIII , 1953; XII , 1957; XX II , 1967 4. DU PONT LA CHENAL, Léo n. A Saint-M a urice au XIII' siècle: l'abbé Na ntelme (12 23-1 258) et la « l'élévation » des Ma rt yrs de 1225 An'n a les vala isa nn es 1956 5. THE URILLAT, Jea n-M a rie. L'Abba ye de Sa int-Mauri ce d'Aga un e des origines à la réform e ca noni ale (51 5-830 environ), Vallesia, IX , Sion , 1954 6. de RIEDMA TTEN , Henri . L' hist ori cité du ma rt yre de la Légion th ébéenne, Annal es val a isa nnes 1962 7. PARVEX , Maurice. Saint-Maurice, Site hi storiqu e. Emission radi ophonique sur casse tte 30' OfIice bas-va la isa n de la Bibliothèqu e ca ntona le et OOlS , St-Maurice.
Mosaïque du maître-autel Mosaïque de Maurice Denis au chœur de l'église abbatiale (1920)
ANNEXE TEXTE de saint EUCHER traduit par le chanoine Eugène Gros PRÉFACE À LA PASSION DES MARTYRS D'AGAUNE Eucher au Seigneur Sylvius. évêque. Saint et bienheureux en Jésus-Christ
La basilique abbatiale de Saint-Maurice, construite de 1614 à 1627 ' rénovée et agrandie de 1943 à 1949
«J'envoie à ta béatitude le récit de la Passion de nos martyrs; car je craignais que le manque de soin ne permit au temps d'effacer de la mémoire des hommes les Actes d'un si glorieux martyre. Je me suis enquis de la vérité de cet événement auprès de personnes de poids, de ceux-là même qui affirmaient avoir appris les circonstances de cette Passion, telles que je les rapporte ici , de saint Isaac, évêque de Genève, qui les tenait, je le crois, du bienheureux évêque Théodore , beaucoup plus ancien que lui . Ainsi , pendant que d'autres viennent de différents lieux et de diverses provinces offrir à l'honneur et au service des Saints des présents d 'or, d'argent et d'autres choses, moi , je leur offre cet écrit qui est mon œuvre, si vous daignez l'honorer de vos suffrages ; et je les supplie en retour d'intercéder auprès de Dieu , pour en obtenir la rémission de mes péchés, et de me continuer toujours à l'avenir leur protection. Souvenez-vous aussi de moi devant le Seigneur, saint et justement bienheureux Frère, et vous tous qui êtes spécialement attachés au service de ces Saints. PASSION DES MARTYRS D'AGAUNE «A l'honneur des Martyrs qui ont illustré Agaune par la glorieuse effusion de leur sang, nous avons mis par écrit le récit de leur Passion; et nous l'avons fidèlement rapportée dans le même ordre qu 'elle nous a été transmise ; car une tradition successive et suivie a dérobé jusqu'ici à l'oubli la mémoire de cet événement ; et si un lieu particulier, si une ville est illustrée par la possession des reliques d'un seul martyr (c'est non sans raison , puisque ces saints ont fait au Très-haut le sacrifice de leur vie précieuse), avec qu'elle vénération ne doit-on pas visiter le lieu sacré d'Agaune, où ['on sait que tant de milliers de martyrs ont été mis à mort pour JésusChrist. Venons maintenant à la cause même de cette bienheureuse Passion. «Sous Maximien, qui gouvernait l'empire romain avec Dioclétien , son collègue, des peuples de martyrs furent tourmentés ou mis à mort dans la plupart des provinces. Ce prince, ajoutant aux fureurs de l'avarice , de la luxure, de la cruauté et des autres vices un entêtement excessif pour le culte exécrable des idoles et le mépris sacri-
lège du vrai Dieu, avait armé son impiété pour détruire jusqu 'au nom même du Christianisme. . Quiconque osait alors faire profession de la vraie religion était traîné aux supplices ou à la mort par des troupes de soldats postés de toutes parts ; et ce prince semblait avoir fait trève avec les nations barbares, pour tourner toute la force de ses armes contre la religion. Il y avait alors dans l'armée une Légion de soldats appelés Thébéens ; or, on donnait en ce temps le nom de Légion à un corps de 6600 hommes d'armes. Appelés des contrées de l'Orient , ils étaient venus au secours de Maximien ; habiles dans l'art de la guerre , distingués par leur courage et plus encore par leur foi , également zélés pour servir l'empereur par leur bravoure , et Jésus-Christ par leur piété, ils se souvenaient du précepte de l'Évangile, et rendaient à Dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui est à César. «Comme on les destinait donc, ainsi que les autres soldats de l'armée, à arrêter la grande multitude des chrétiens, ils furent les seuls qui osèrent se refuser à ce ministère de cruauté, et ils déclarèrent qu'ils n'obéiraient point à de tels ordres. Maximien n'était pas loin, car il s'était arrêté près d'Octodure , pour se reposer des fatigues de la route. Lorsque des courriers vinrent lui annoncer que cette Légion, rebelle aux ordres impériaux, s'était arrêtée dans les défilés d'Agaune, son indignation le rendit furieux . «Mais, avant de poursuivre ce récit , il me paraît à propos de faire connaître la situation de ce lieu. Agaune est à environ 60 milles de Genève et à 14 milles de la tête du lac Léman , dans lequel se jette le Rhône. Il est situé dans une vallée entre les montagnes des Alpes. On y aborde difficilement par un chemin rude et étroit; car le Rhône , minant les rochers à leur base , laisse à peine aux passants un chemin praticable. Mais, les gorges une fois franchies , on découvre tout à coup, entre les pentes rocheuses des montagnes, une plaine assez spacieuse. C'est là que s'était arrêtée la Légion sainte. «Maximien ayant donc appris , comme nous l'avons déjà dit , la réponse des Thébéens, s'abandonne aux transports de la colère qu'excite en lui leur désobéissance à ses ordres ; il commande que la Légion soit décimée, afin d'amener plus facilement par la crainte les autres à se soumettre ; et il ordonne de nouveau de les contraindre à poursuivre les chrétiens. «Mais lorsqu 'on eut signifié cette nouvelle injonction aux Thébéens et qu'ils eurent appris qu'on exigeait encore d'eux des exécutions impies, un murmure se fit e·n tendre de toute part dans le camp: tous affirmaient qu'en vue de personne ils ne se prêteraient à de sacrilèges fonctions; qu'ils auraient toujours en horreur le culte profane des idoles; qu'élevés dans la pratique de la religion sainte et divine, ils n'adoraient que le seul Dieu de la Trinité sainte ; qu'ils aimaient mieux endurer les derniers supplices que de rien faire qui fût contraire à la foi chrétienne.
«Apprenant cela, Maximien , plus cruel qu'une bête féroce, se livre de nouveau à son caractère sanguinaire , les fait décimer une seconde fois, et commande néanmoins que l'on contraigne les survivants à exécuter ce qu'ils avaient méprisé. Ces ordres ayant été de rechef apportés au camp, on procéda à une seconde décimation; mais la multitude des soldats qui survivaient, s'exhortaient mutuellement à persister avec courage dans une si belle résolution. Dans ces circonstances, le plus grand soutien de la foi fut saint Maurice qui, selon la tradition, était alors primicier de cette Légion, et dont les exhortations furent appuyées de celles d'Exupère , son aide-de-camp, (comme l'on dit dans les armées), et de Candide, sénateur des soldats; il animait chaque soldat à persévérer dans la foi. En leur rappelant l'exemple de leurs compagnons martyrs , il les engageait tous à mourir, s'il était nécessaire, pour le sacrement de leur Christ, pour la loi de leur Dieu; il leur montrait l'obligation de suivre leur frères d'armes, qui déjà les avaient précédés dans le ciel. Et la glorieuse ardeur du martyre embrasait ces bienheureux guerriers. Animés donc et autorisés par leurs principaux officiers, ils adressent à Maximien , que la rage brûlait, des représentations courageuses autant que respectueuses, que l'on dit avoir été conçues en ces termes: «( Nous sommes tes soldats, ô empereur, mais nous sommes avant tout serviteurs de Dieu, nous le confessons librement, Nous te devons l'obéissance militaire, nous lui devons l'innocence, Nous recevons de toi la paye de notre labeur, de lui nous avons reçu la vie. Nous ne pouvons avec toi, empereur, aller jusqu 'à nier Dieu notre Créateur, notre Seigneur, oui, notre Créateur et ton Créateur aussi, que tu le veuil/es ou que lU ne le veuil/es pas. Si nous ne sommes pas contraints à accomplir des actes assez coupables pour l'offenser nous t'obéirons encore, comme nous l'avons toujours fait ; s 'il en est autrement, nous lui obéirons plutôt qu 'à loi. Nous t'offi'ons, pour les employer contre quel ennemi que ce soii, nos mains que nous croyons criminel de rougir d'un sang innocent. Ces mains, qui savent combattre les ennemis et les impies, ne savent point ./i'apper des hommes pieux et des citoyens. Nous nous souvenons que nous avons pris les armes plutôt pour les citoyens romains que contre eux.
«Nous avons toujours combattu pour la justice, pour la piété, pour le salut des innocents: ce fut là pour nous la récompense de nos dangers, Nous avons combattu avec fidélité sous tes drapeaux ; mais celle fidélité, comment te la conserverons-nous, si nous la refilsons cl notre Dieu ; nous avons ensuite prêté serment à l'empereur. Sache bien que notre second serment est illusoire, si nous violons le premier. Tu ordonnes le supplice des chrétiens par nos mains: il en est d'autres que tu n'auras pas la peine de chercher loin de toi; tu vois ici, en nous, des hommes qui confessent Dieu le Père, créateur de toutes choses ; nous croyons en son Fils Jésus-Christ, Dieu.
Nous avons vu les compagnons de nos travaux el de nos dangers égorgés par le fer ; leur sang a rejailli sur nous; et cependant nous ne pleurons pas la mort de nos très saints compagnons, nous ne les plaignons pas, mais bien plutôt nous les louons, el nous sommes pleins de joie parce qu'ils ont été trouvés dignes de souffrir pOlir le Seigneur, leur Dieu . lvfainlenant, le suprême besoin de vivre ne nous a pas poussés à la rébellion; le désespoir, si énergique en face du péril, ne nous a point armés contre toi, ô empereur. Nous voici les armes à la main, et nous ne résistons pas, parce que nous aimons mieux recevoir la mort que la donner, périr innocents que de vivre coupables. Si tu rends encore de nouveaux décrets contre nous, si tu donnes de nouveaux ordres, si tu apportes de nouvelles menaces, feux, tortures, glaives, nous sommes prêts à tout subir. Chr~ tiens nous nous déclarons: nous ne pouvons persécuter les chretiens. » Maximien, après avoir entendu ces représentations et reconnu l'attachement inviolable des Thébéens à la foi de Jésus-Christ, désespérant de pouvoir vaincre leur glorieuse constance, décréta, d'un seul arrêt, la mort de tous et ordonna que l'exécution se fit par des troupes qui les investiraient. Lorsque ces troupes furent arrivées près de la bienheureuse Légion , elles tirèrent leurs épées sacrilèges contres ces saints qui, par amour pour la vie, ne refusaient point de mourir. Livrés de toute part au massacre, ils ne se plaignaient pas, ils ne résistaient pas; ils déposèrent au contraire les armes et livrèrent leurs têtes aux persécuteurs et présentèrent leurs cous et leurs corps sans défense à leurs bourreaux. Ni la considération de leur grand nombre, ni la confiance dans les armes dont ils étaient munis ne les portèrent à soutenir par la force la justice de leur cause; se rappelant uniquement qu'ils confessaient Celui qui fut conduit à la mort sans se plaindre, et qui comme un agneau n'ouvrit point la bouch~ , ils se laissèrent massacrer, eux aussi, comme un troupeau ~e brebIS consacré au Seigneur, par ceux qui comme des loups fondIrent sur eux. «La terre , en cet endroit, fut couverte des corps morts des saints; elle fut arrosée par des ruisseaux de ce sang précieux. Quelle fureur donna jamais, hors de la guerre, le spectacle d'un si horrible carnage de corps humains? Quelle barbarie condamna jamais tant d'hommes à périr à la fois, fussent-ils des coupables? La multitude ne sauva pas des innocents, quoiqu'il soit ordinaire de laisser impu nies les fautes de la multitude. Ce fut donc par cette cruauté inouïe du plus féroce des tyrans que périt ce peuple de martyrs, à qui l'espérance des biens futurs fit mépriser la réalité des choses présentes. «Ainsi fut massacrée cette Légion vraiment angélique, qui, on ne peut en douter, maintenant est unie dans les cieux aux légions des anges, et loue avec eux le Seigneur Dieu des armées. «Le martyr Victor n'était point de cette légion, ni même actuellement soldat; c'était un vétéran. Chemin faisant, il se trouva totit à
couI? au milieu des soldat~ q!Ji, charmés de s'être enrichis des dépouIlles des martyrs~ festmalent de .tous côtés. Ils l'invitèrent à manger a~ec eux; maiS l~rs9ue dans l'Ivresse de la joie ils lui en eurent .appns la ~~us.e en de!aIl , pren~nt e~ horreur et festin et convi~es" ,Il ~oulut s el,o~gner; . Ia-~essus, ~Is lUI demandèrent si par hasard Il n eta.Jt pas. chretIen IU.I-,!TIe.me; V.lct,or leur répondit qu'il l'était et I~ sera.l,t touJo.urs: Aussltot I~S se ~eterent sur lui et le tuèrent; ils 1 assoclerent am SI .dans le meme he~ aux autres martyrs dont une mort semblable lUI fit partager la glOIre . «De ce, gra~d . nombre de ~lartyrs nous ne connaissons que ces nom.s, c est-a-dlre ceux des blen.heureux Maurice, Exupère, Candide e.t Vlctor ;.l es autres noms so~t mconnus, mais ils sont écrits dans le lIvre de vIe. On reg~rde aussI comm,e. membres de cette Légion les m~rt~rs U l'SUS et V Ictor qu~ I~ tradItIOn nous dit avoir été massacre~ a Soleure , forteresse sItuee sur l'Aar, à peu de distance du Rhm. «Il est à propos d'.indiquer qu~1 fut. le prix d' un pareil acte, en rappe.lant la mort qUI dans la sUIte Vll1t frapper le cruel tyran MaximIen. Ayant dressé des embûches pour faire périr son gendre Constantin, qui régnait alors dans les Gaules, sa trahison fut découverte Arrêté aux environs de Marseille, il fut étranglé peu après. Cet infâ~ m~ ~upplice termina sa vie criminelle et fut bien la mort qu'il avait mentee. «Les corps des bienheureux martyrs d'Agaune furent révélés, com1~1~ on le rapP?rte , longtemps après le massacre , à saint Théodore eveque de ce lIeu; et tandis qu'il faisait construire en leur honneul: une basilique q,ui ~ adossée à un i.mmense rocher, n'est accessible que par un cote , Il apparut un mIracle que je ne crois pas devoir passer sous silence. A
«Parmi les ouvriers qui avaient été appelés à concourir à cette œuvre, il y avait un forgeron qui était encore païen. Un dimanche tandis que les autres artisans s'étaient éloignés pour assister aux fê~ t~s de ce jour, cet ouvrier était seul dans le bâtiment en constructIon ; tout à coup, dans cette solitude, les saints se manifestèrent au milieu d'une vive lumière ; cet ouvrier est saisi , traîné à la mort étendu pour subir le supp li ce . Il distingue nettement la foule de~ martyrs tandis qu'on l'accable de coups en lui reprochant de manqye,r s,euI à l'égli.se un jour de dimanche et d 'oser, lui païen concoul'Ir ~ 1. œuvre sal!1te de cette construction . Ce fait cependant fut accueIllI par les samts avec une telle miséricorde que l'ouvrier, plein de frayeur et de trouble, demanda pour lui-même le nom sauveur et se fit chrétien sur-le-champ. ' <de ne passerai pas non plus sous silence cet autre miracle des saints, parce qu'il est célèbre et connu de tous. La femme de Quintius, homme distingué, et revêtu des fonctions publiques, était at-
teinte d'une paralysie qui lui avait fait perdre l'usage des pieds; elle demanda instamment à son mari de la faire transporter à Agaune malgré la longueur de la route. Lorsqu'elle y fut arrivée on la porta sur les bras dans la basilique des Saints martyrs; elle regagna à pied son hôtellerie, et ses membres déjà morts étant rendus au mouvement, elle promène aujourd'hui le miracle dont elle a été l'objet. «J'ai cru ne devoir insérer que ces deux miracles dans mon récit de la passion des Saints martyrs. Il y en a beaucoup qu'opère en ce lieu la volonté du Seigneur par l'intercession de ces saints, qui chassent les démons et guérissent les malades.»
(GROS, Eugène, Histoire du martyre de saint Maurice et de la légion thébéenne, OSA ST-Maurice, 1900, extrait).
Document tiré à part de L'Ecole valaisanne Revue mensuelle du personnel enseignant du canton du Valais Sion , février 1980
Illustrations fournies par l'Abbaye de Saint-Maurice