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NAISSANCE D’UN SCULPTEUR

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chronologie

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Cette façon épanouie et concentrée à la fois, ce beau modelé souple et ferme, cette audace dans le mouvement, pourtant nullement forcé, de la femme toute repliée sur l’oiseau vainqueur, et conquérante involontaire ; un accent, avec cela, indéfinissable, mais présent, toutefois, d’une certaine âpreté, d’une certaine tristesse, dans la chair ; voilà quelques-unes des qualités qui nous firent, dès cette époque, et malgré la réputation commençante de Rodin, malgré la sévère et altière carrière de Dalou, pressentir en Desbois un maître de la même lignée, et placer son nom dans notre esprit à côté des leurs.

Arsène Alexandre, 1920.

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de 1886 le plâtre du petit groupe Satyre et nymphe et celui d’Acis changé en fleuve, qui est le projet de fontaine commandé par le baron de Rothschild. Au Salon de l’année suivante, il présente ces deux mêmes œuvres en marbre et obtient une médaille de 1re classe. Le marbre d’Acis est acquis par l’État : présenté à l’Exposition universelle de 1889, il est ensuite envoyé à Sétif, en Algérie, comme fontaine ornementale du jardin d’Orléans. Pour cette même exposition de 1889, Desbois réalise aussi deux grandes figures féminines qui encadrent le fronton à la gloire de l’électricité du décor intérieur de l’immense dôme central du Palais du Champ-de-Mars. Cette participation à la glorification de l’art français lui vaut une médaille d’or à l’Exposition universelle et il est fait chevalier de la Légion d’honneur, l’insigne lui étant remis par Rodin en 1890. Auguste Rodin soutient en effet constamment son ami dans ces années décisives pour l’essor de sa carrière. En retour, Desbois l’assiste comme praticien, notamment lors de la réalisation de la statue de Claude Gellée, dit Le Lorrain, que Rodin exécute pour Nancy : Desbois en conduit le chantier du piédestal en 1889-1890 et se serait vu déléguer un rôle de premier plan dans les sculptures qui l’ornent.

Satyre et nymphe, 1886, marbre, H. : 70 cm (musée Jules-Desbois).

Albert-Ernest CarrierBelleuse, esquisse pour L’Enlèvement de Flore, reproduction imprimée, 1884.

L’Enlèvement de Flore, 1887, biscuit de porcelaine, H. : 48 cm, édité par la Manufacture nationale de Sèvres après 1906 (collections du Mobilier national, photographe Isabelle Bideau).

L’OMBRE DE RODIN

Par manque d’informations ou parce que le regard porté sur son œuvre n’est pas assez approfondi, Jules Desbois a bien souvent été catalogué comme un imitateur, voire un simple praticien d’Auguste Rodin. Mais l’étude de sa production – notamment grâce aux travaux universitaires fondateurs de Véronique Wiesinger, dans les années 1980 – et le regard affûté des critiques qui lui étaient contemporains ont clairement montré que son art lui est propre. De 1884 au début des années 1890, période où se cimente leur amitié, Desbois réalise la pratique de quelques œuvres de Rodin, avec d’ailleurs une singulière autonomie. Mais cette proximité de travail marque en retour très fortement l’œuvre de Desbois : au contact de Rodin, il a la révélation de ce vers quoi il veut orienter sa propre sculpture. Il rompt définitivement avec l’esthétique académique de ses premières œuvres et établit les principes qui vont être les siens sa carrière durant. Desbois manifesta toujours à Rodin une inébranlable reconnaissance pour cet accompagnement, et une profonde et sincère admiration.

Dès lors, il emprunte parfois certains chemins ouverts par le maître, peuple ses œuvres de sirènes et de faunes, et use, après Rodin, du non finito, du fragment ou des assemblages. Surtout, il s’efforce à son tour, par une observation scrupuleuse, de saisir la vie même pour la traduire en sculpture. En tout cela, il s’apparente à un « rodinesque ». Cependant, Jules Desbois a ses propres voies : son œuvre respire son humanisme et sa sensibilité personnelle, il a de la sculpture une maîtrise technique absolue quel que soit le support, et il s’attache à l’objet d’art plus que ne le fit Rodin. Il s’inscrit également, comme son ami, dans la filiation ou la proximité d’autres grands sculpteurs : l’élégance de son art le relie à Jean-Baptiste Carpeaux et Albert-Ernest Carrier-Belleuse – auquel Rodin aussi doit beaucoup – et son regard sur la condition humaine ou son attention à l’art décoratif le rapprochent de Jules Dalou.

Au-delà donc des influences – qui purent d’ailleurs être réciproques – ou de leurs limites, on observe que de lui-même Jules Desbois se plaça toujours dans l’ombre de son ami, qu’il considérait comme le plus génial sculpteur de son temps. Il eut avec lui, quarante années durant, des rapports que peu d’autres sculpteurs entretinrent, nés à l’époque où tous deux étaient sans le sou. Rodin, de son côté, aida régulièrement Desbois ; il appréciait sa sculpture et savait aussi reconnaître ses torts quand Desbois se permettait de les lui rappeler.

Buste d’Auguste Rodin, vers 1911, pierre, H. : 64 cm (dépôt du Centre national des arts plastiques au musée Jules-Desbois).

Buste de femme [portrait de Lili Grenier], vers 1896, marbre, H. : 54 cm (Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris).

L’Arc ou Dryade au saule, marbre, H. : 49 cm (musée Jules-Desbois) ; en 1896 était proposée une version en plâtre patiné bronze. Ce marbre est postérieur.

Léda, 1896, marbre, H. : 83 cm (dépôt du musée d’Orsay au musée Jules-Desbois).

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