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LA RENOMMÉE

Et voilà Jules Desbois qui va bougonner lorsqu’il lira le début de cet article, que nous aurons bien soin de lui envoyer, non pour le faire bougonner, mais pour qu’il finisse par se persuader que son nom prendra place à côté des plus grands, à côté de Houdon, de Rude, de Carpeaux et de ce Rodin, de qui il taillait dans la pierre, récemment, une image si vivante, si évocatrice. Oui, Desbois bougonne et bougonnera toujours quand on lui dira qu’il est un des maîtres de cette statuaire française qu’il aime passionnément, parce qu’il a un idéal de beauté plastique dont il ne croit jamais assez se rapprocher, alors même qu’il l’a atteint ; enfin parce que, malgré son tempérament robuste, son opiniâtre joie au travail, il demeure anxieux, comme tout véritable créateur. Arsène Alexandre, 1920.

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Broche, or et perles fines, 1901-1905, l. : 8,3 cm (Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris).

Pendentif, argent et rubis, 1901-1905, l. : 5,5 cm (Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris).

Broche, argent et rubis, 1901-1905, l. : 5,4 cm (Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris).

Petites et grandes sculptures

Ces expériences collectives tournent court, mais Jules Desbois poursuit ses activités. Il est installé depuis 1900 dans l’ancien atelier de Charpentier, boulevard Murat, dans le 16e arrondissement. Là, il poursuit, mais à un rythme moins soutenu, sa production d’objets d’art décoratif dont une série de bijoux. S’il est tenu par contrat de conserver l’exclusivité des tirages en étain, en bronze, voire en bronze doré, de ses anciennes créations à Siot-Decauville, Desbois s’ouvre à d’autres éditeurs.

Dans le domaine de la céramique, Sèvres lui a commandé en 1897 une jardinière qu’il a présentée à l’Exposition universelle de 1900, et il réalise aussi pour Haviland, vers 1904, deux versions d’un chien – un grand et un petit – et d’un éléphant – un noir et un blanc – en porcelaine. Dans un tout autre genre, il poursuit les expériences entamées avec Delaherche et reprend le Masque de la Mort, présenté en 1896, pour en proposer, en 1902-1904, des versions en grès émaillé réalisées cette fois par un disciple de Carriès, Paul Jeanneney (1861-1920).

Il se lie surtout vers 1903 à un fondeur et éditeur d’art de très haute qualité, AdrienAurélien Hébrard (1865-1937). La galerie que tient Hébrard pour commercialiser ses productions permet aussi à Desbois de diffuser, outre des épreuves en métal, des tirages en terre cuite voire des exemplaires en marbre de ses œuvres, réalisés à la demande. Parmi divers autres objets, bijoux ou plats, c’est dans l’atelier d’Hébrard qu’est

Repr Senter Le Corps

De Jules Desbois, le critique d’art Paul Gsell écrit en 1922 qu’il est « un poète de la chair » dont « nul mieux que [lui] n’a traduit les tressaillements ».

À quelques exceptions près, toutes les œuvres de Jules Desbois ont pour sujet ou pour motif principal tout ou partie du corps humain. S’il sculpte aussi des corps masculins, c’est surtout la représentation de la femme qui marque son œuvre, sous les traits de figures souvent associées à la séduction ou à la tentation, d’Ève à Léda, de Salomé aux sirènes.

Jules Desbois représente les corps à divers âges : si l’enfant est rare, le corps est jeune dans nombre de ses œuvres, mais il mûrit aussi sous les traits de L’Été , et vieillit plus encore dans L’Hiver. Dans La Mort et le Bûcheron, La Misère, La Guerre ou La Mort casquée, un réalisme qui tend à l’expressionnisme s’attache à le montrer usé par le travail, outragé par le temps et la misère, décharné dans la mort. Desbois figure ces corps dans des positions variées, voire inédites, mais il revient souvent à quelques compositions majeures, conçues assez tôt dans sa carrière, telle la figure ramassée, assise ou penchée, ou à l’inverse une autre présentée en extension. Ses personnages jouent de souples courbes et contre-courbes, parfois animés d’une torsion où épaules et bassin sont placés sur des plans différents.

Surtout – sans doute incité par l’art de Rodin –, Jules Desbois confère un extraordinaire réalisme et une grande sensualité à ses œuvres par un modelé très attentif à l’épiderme et à la musculature.

L’anatomie de ses modèles, hommes ou femmes, est ici déterminante et Desbois les choisit avec soin. Observateur scrupuleux, travailleur acharné, il s’attache à sculpter le corps au plus près, à transcrire dans le marbre le « frémissement de la vie ». Il est à noter qu’il traite les dos avec une attention singulière. Raymond Huard et Pierre Maillot ont ainsi proposé de voir, dans le modelé noueux et la tension musculaire que l’on observe entre le haut et le bas du dos de Léda, l’ambiguïté entre son acceptation et sa retenue face à l’assaut divin. Dans L’Hiver ou le Sisyphe, c’est toute la puissance des personnages que leur dos exprime. Le modelé du dos de la Dryade et de nombre de figures féminines présentes sur ses objets d’art décoratif est si vigoureux qu’il en devient presque une signature de Desbois.

Dryade, vers 1904, marbre, H. : 26 cm (dépôt du Département de Maine-et-Loire au musée Jules-Desbois).

Plat La Houle à la sirène de dos, 1893, étain, diam. : 29 cm (musée Jules-Desbois).

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