3 minute read

ABÉLARD, HOMME DE LETTRES

Aîné d’une famille de la petite noblesse, Pierre Abélard délaissa au profit de son cadet la carrière militaire à laquelle il était destiné et décida de se consacrer aux Lettres, particulièrement à la dialectique. La première partie de sa vie se passa en études, avant qu’il n’enseignât à son tour dans différentes villes : à Melun, ville royale où il fonda sa propre école, à Corbeil et à Paris. Il devint rapidement célèbre, et ses leçons faisaient se déplacer de nombreux étudiants. Après son entrée en religion à Saint-Denis (1118), il continua d’enseigner la philosophie mais surtout la science sacrée, rédigeant une Théologie qui sera condamnée pour hérésie par le concile de Soissons. Après de nombreuses vicissitudes, il reprit son enseignement et fonda l’abbaye du Paraclet33. La castration n’est pas, de son propre aveu, le seul ni même le plus terrible des « malheurs » qui l’ont frappé : sa condamnation et la destruction de ses premières œuvres, qu’il dut lui-même brûler en public, semblent l’avoir marqué bien plus encore. Dans la seconde moitié du xixe siècle et surtout au tournant du xxe siècle, ce n’est plus l’image du couple mais cet aspect de la vie d’Abélard que les sculpteurs et les peintres français vont retenir, à la différence de leurs homologues étrangers chez qui perdure l’intérêt pour ses amours contrariées34. C’est donc seul, ou accompagné d’une Héloïse dont les traits se confondent avec ceux d’une figure allégorique, qu’il est représenté.

Le sujet d’Abélard enseignant avait été très peu traité auparavant par les artistes. On mentionnera une toile du peintre paysagiste Jean-Achille Bénouville, Abélard parle à ses élèves aux alentours de Melun, qui fait la part belle au paysage, Melun étant ici évoquée par sa proximité avec la forêt de Fontainebleau. Les paysages ont une réelle importance, permettant de contextualiser la scène et ainsi, à l’instar du titre de l’œuvre, de repérer le lieu et le moment de la vie d’Abélard qui sont représentés. Le peintre Adolphe Steinheil propose quarante ans plus tard, au Salon de 1877, Une leçon d’Abélard, l’année de la réédition de l’ouvrage de Rémusat. Cet élan dépasse les intérieurs privés pour prendre place sur les façades et les murs des édifices publics, dans des décors peints ou sculptés. Abélard fait ainsi partie, dans une certaine mesure, de la longue liste des hommes célèbres censés participer à la monstration des valeurs impériales mais surtout républicaines.

Advertisement

Un cours de théologie, Édouard Toudouze, vers 1902. Huile sur toile, esquisse. Musée des Beaux-Arts de Rennes.

Dès le début du Second Empire, le grand dessein du Louvre mené par Napoléon III avec les architectes Visconti puis Lefuel, à partir de 1853, offre l’occasion au sculpteur académique PierreJules Cavelier, sollicité comme près de trois cents de ses confrères pour décorer le palais de statues monumentales représentant des hommes illustres, de concevoir une statue de Pierre Abélard. Le choix des personnages historiques fut guidé par la volonté de donner de la France de l’Empire l’image d’un pays pacifique, avec une longue lignée d’hommes de lettres, de scientifiques et de politiciens dont la célébrité était antérieure au xixe siècle. Les figures littéraires sont les plus représentées (vingt-cinq statues sur quatrevingt-six). Placée, sans logique apparente, sur l’aile Turgot, entre les statues de Malherbe et de Colbert, celle d’Abélard, finalisée en 1857, reprend le principe qui a présidé au programme architectural : composer, grâce au costume et aux accessoires, des effigies historiquement vraisemblables et évocatrices.

Mais c’est surtout la IIIe République qui va permettre à Pierre Abélard de devenir l’un des personnages importants figurant sur les projets de décor des bâtiments civils. Cette période a vu bâtir de nouveaux édifices, à Paris notamment, du fait du développement de la ville et des destructions de la Commune. Hôtels de ville, mairies, écoles, tribunaux et églises fleurissent. Les grandes compositions de peinture décorative y ont toute leur place et sont exécutées directement sur le mur ou marouflées35. L’Université ne fait pas exception et les nouveaux bâtiments de la Sorbonne sont inaugurés en 1889 par le président de la République, Sadi Carnot36. Moins représenté que d’autres personnalités (Jeanne d’Arc ou Henri IV, notamment), Abélard figure tout de même dans trois programmes décoratifs, ceux de la Sorbonne, du Petit Palais et du Parlement de Bretagne, confiés à trois peintres renommés dans la décoration et aujourd’hui oubliés, respectivement François Flameng, Fernand Cormon et Édouard Toudouze. Les artistes ont choisi le même sujet : c’est l’homme de lettres et l’un des fondateurs

Abélard et son école sur la montagne SainteGeneviève, François Flameng, 1887. Grand décor peint. La Sorbonne, grand escalier du péristyle.

This article is from: