Héloïse & Abélard

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Héloïse Abélard

Héloïse & Abélard L’INVENTION D’UN MYTHE

Pierre Abélard est né au Pallet, près de Nantes, en 1079. Aîné d’une famille de petite noblesse, il renonce au métier des armes pour étudier la dialectique à Paris, où il ne tarde pas à contester l’enseignement de son maître, Guillaume de Champeaux, et à ouvrir sa propre école, à Melun d’abord, puis à Corbeil, avant d’enseigner notamment à Paris. Fier de son succès, il devient le précepteur d’une jeune fille instruite, Héloïse, nièce du chanoine Fulbert, et la séduit. De leur amour naît leur fils Astrolabe. Ils se marient pour répondre à la demande de Fulbert mais gardent leur mariage secret pour ne pas compromettre la brillante carrière d’Abélard. Furieux, l’oncle fait émasculer l’époux. Les deux amants entrent alors en religion, elle à Argenteuil, lui à SaintDenis. Abélard continue d’enseigner la philosophie et la théologie tandis que ses écrits lui valent d’être condamné pour hérésie par le concile de Soissons (1121). Après des querelles successives avec ses collègues, il reprend son enseignement, en pleine campagne, près d’un oratoire qu’il a dédié à la Trinité et qu’il nomme ensuite le Paraclet. Vers 1125, il est élu abbé de Saint-Gildas-de-Rhuys, dans le diocèse de Vannes, où il passe une dizaine d’années. Il meurt en 1142, après avoir été recueilli à Cluny par son ami Pierre le Vénérable qui, à la demande d’Héloïse, fera transférer en secret sa dépouille au Paraclet afin que les époux puissent être réunis dans la mort.

L’histoire d’Héloïse et Abélard, telle qu’elle est racontée par ce dernier dans une lettre, parfois sujette à controverse et forcément subjective, L’Histoire de mes malheurs1 , a été qualifiée de légende2 ou de mythe3 par les historiens et historiens de l’art qui s’y sont

Trois études d’un moine, Édouard Toudouze. Mine de plomb et rehauts de craie blanche. Musée des Beaux-Arts de Rennes.

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intéressés. Si l’authenticité de leur correspondance, dont le manuscrit original n’a jamais été retrouvé, a parfois été remise en cause4 , leur existence même ne fait aucun doute et le romanesque de leurs vies a largement contribué à installer la légende. Tous les ingrédients sont réunis pour cela : personnages déjà célèbres en leur temps, amours contrariées, séparation forcée, entrée dans les ordres.

Le premier à forger ce mythe n’est autre qu’Abélard luimême en relatant sur le papier ses souvenirs. D’autres prendront sa suite, et pas des moindres : d’Alexander Pope à Jean-Jacques Rousseau, les écrivains ne se trompent pas quand ils cherchent l’inspiration auprès de ces amants célèbres. Depuis leur décès, chaque siècle a ainsi vu naître une œuvre littéraire donnant du couple, notamment de sa protagoniste féminine, une vision différente : à la période médiévale, Le Roman de la Rose la décrit en « tres

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Abélard meurt le 21 avril 1142, à l’âge de 63 ans, au monastère de Saint-Marcel près de Chalon, en Bourgogne. Le clergé local lui fit ériger un monument dans son église, dans le goût de l’époque. Son corps reposa sur place pendant plus d’un an. Héloïse obtint de l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable, ami d’Abélard, qu’il fît transférer au Paraclet la dépouille de son mari. À sa mort, une vingtaine d’années plus tard, Héloïse fut enterrée auprès de lui.

COLLECTIONNER LES RELIQUES

Les ossements reposèrent au Paraclet jusqu’en 1792. À cette époque, ils avaient déjà subi deux vérifications et cinq transferts, dont deux avaient nécessité un changement de cercueil7. La Révolution française poursuivit cette histoire en mettant un terme à la présence des époux au Paraclet. Alors que ce dernier allait être vendu, les autorités de Nogent-sur-Seine, commune située à quelques kilomètres du Paraclet, firent transférer les dépouilles dans l’église de la commune et les déposèrent dans un caveau afin de les protéger. Les reliques furent toutefois rapidement convoitées par Alexandre Lenoir, le fondateur du musée des Monuments français, qui reçut l’autorisation de faire venir les restes aux PetitsAugustins, avec ceux d’autres personnages illustres tels Descartes, Molière, La Fontaine ou Turenne. Lenoir avait la ferme intention de construire dans le jardin du musée un mausolée pour y déposer les deux cercueils.

Portrait d’Alexandre Lenoir (1762-1839), fondateur du musée des Monuments français, Marie-Geneviève Bouliard, vers 1796. Huile sur toile. Musée Carnavalet –Histoire de Paris.

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Ce monument est une véritable création. Seuls les hautsreliefs des pans verticaux de la tombe et le gisant d’Abélard proviennent du tombeau dressé en 1142 au prieuré Saint-Marcel, les autres éléments sont issus de monuments d’origines et d’époques diverses. Pour le gisant d’Héloïse, Lenoir fit sculpter une tête par Pierre-Nicolas Beauvallet8 .

Alexandre Lenoir vouait un véritable culte laïc aux deux amants et se fit confectionner un reliquaire pour accueillir une partie de leurs ossements. Il offrit aussi quelques fragments d’os à ses amis, à ses supérieurs hiérarchiques ou à des visiteurs de marque du musée. Des échanges épistolaires attestent ces largesses et l’existence de « certificats d’authenticité » de sa main, qui permettent de connaître l’identité des personnes qui en ont bénéficié, comme les citoyens Lesieur, de Villenave et Moët. Cette pratique va perdurer au moins jusqu’en 1831 selon les dires de Louis Courajod, historien

Alexandre Lenoir s’opposant à la destruction du mausolée de Louis XII à Saint-Denis, octobre 1793, Pierre Lafontaine, 1793. Dessin. Musée Carnavalet –Histoire de Paris.

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Le Jardin du musée des Monuments français, ancien couvent des Petits-Augustins, Hubert Robert, 1803. Huile sur toile. Musée Carnavalet –Histoire de Paris.

Double page suivante Tombeau d’Héloïse et Abélard, Réville. Estampe, eau-forte. Musée Carnavalet –Histoire de Paris.

RELIQUES ET RELIQUAIRES DE NOS JOURS

Le reliquaire de Lenoir

Le couple mythique formé par Héloïse et Abélard occupait une place centrale au sein du musée des Monuments français, fondé en 1795 par Alexandre Lenoir. Initialement destiné à préserver les biens confisqués aux religieux et aux émigrés, ce musée lui permit de concrétiser sa vision, à la fois politique, chronologique et sensible, de l’histoire monumentale française. La façon dont il s’empara de l’infortune des deux amants dont la triste aventure, faite d’éloignement physique et de proximité intellectuelle, inspira les poètes dès le Moyen Âge pour devenir, avec Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761) de Jean-Jacques Rousseau un symbole de la subjectivité moderne, incarne de manière exemplaire ses ambitions et ses méthodes. En 1800, Lenoir fit revenir à Paris pour son musée la sépulture des deux amants, conservée dans l’église de l’abbaye du Paraclet, qui avait été sauvée par les notables de Nogent-surMarne lors de l’évacuation de l’abbaye en 1792. Il passa ensuite sept années à concevoir une chapelle funéraire, imaginée à partir d’éléments provenant du tombeau d’Abélard de l’abbaye Saint-Marcellès-Chalon et d’une chapelle de l’abbaye de Saint-Denis14. Avec ce monument, appelé à prendre place dans le jardin du musée, le célèbre jardin Élysée, Lenoir souhaitait constituer un exemple emblématique de l’architecture du xiie siècle mais aussi parvenir à « fixer […] l’attention des cœurs sensibles ». Transféré au cimetière du Père-Lachaise à la fermeture du musée des Monuments français, en 1817, il devint un but de promenade particulièrement apprécié des cœurs romantiques.

Lenoir affirma avoir prélevé quelques reliques des deux amants lorsqu’en 1800 le tombeau arriva à Paris et fut ouvert15. Ce geste était conforme au goût de l’époque, partagé entre le rationalisme des Lumières et une sensibilité préromantique. De nombreux exemples illustrent cet intérêt, qui fut à l’origine d’un véritable marché. Sous la Révolution, une « dent d’Héloïse » pouvait se vendre entre 1 000 et 3 000 francs, et des témoignages rapportent que l’éditeur de l’Encyclopédie, Charles Joseph Panckoucke, détenait dans son musée personnel des éléments de la sépulture des deux amants, tout comme Vivant Denon, le fondateur du musée

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Reliquaire d’Héloïse et Abélard, Alexandre Lenoir, époques diverses (objets rassemblés entre 1816 et 1871). Coffret en maroquin noir et filets d’or à motif central néogothique contenant deux actes (1816, 1817) de la main de Lenoir, frappés du cachet du musée des Monuments français. École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.

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ILLUSTRER LA VIE DU COUPLE

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L’histoire du couple ne s’arrête pas au culte de ses reliques. L’engouement qu’elle suscite se perçoit à travers l’importante production artistique qui fait perdurer la légende. Romans, pièces de théâtre et arts plastiques s’en emparent. Ce sont principalement ces derniers qui ont retenu notre attention. Les premières représentations du couple sont anciennes, puisque l’on en trouve dès le xiiie siècle24, mais un renouveau d’intérêt pour la vie romanesque d’Héloïse et Abélard se fait sentir, à la suite de la création du musée des Monuments français, chez les sensibilités romantiques25. C’est surtout leur vie amoureuse que les artistes s’attachent à illustrer. Ils sont souvent figurés ensemble ; quand ce n’est pas le cas, le protagoniste manquant est évoqué par un objet, comme une lettre ou un portrait. Leur vie est contée en épisodes aisément identifiables ; des artistes troubadour aux peintres d’histoire, les amants se hissent progressivement au rang de personnages de l’Histoire de France.

Histoire d’Éloise et d’Abeilard. Imprimerie Pellerin, lithographie coloriée. Mucem, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée.

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REPRÉSENTER UN RÉCIT EN ÉPISODES

Le mythe d’Héloïse et Abélard se fonde sur un texte littéraire, leur correspondance, rassemblée sous le titre L’Histoire de mes malheurs. Il n’est donc en rien étonnant qu’en premier lieu des écrivains, tel Jean de Meung, au xiiie siècle, dans son Roman de la Rose, ou le poète François Villon, qui écrit en 1461 La Ballade des dames du temps jadis, s’y intéressent et contribuent à le faire perdurer. Les traductions successives de l’œuvre d’Abélard, notamment par Alexander Pope, jouent un rôle important. Les premières représentations des époux se situent logiquement dans cette veine éditoriale puisqu’elles viennent illustrer le récit. La vie des amants est séquencée en épisodes que l’on retrouve dans des gravures d’illustration mais aussi sur d’autres supports présentant des scènes issues de la littérature, telles les indiennes. Cette iconographie se diffuse par le biais de l’impression sur étoffe, particulièrement active à Nantes, ville proche de la « patrie d’Abélard », par l’imagerie populaire – en particulier les images d’Épinal – et le décor d’objets du quotidien ou décoratifs, comme des éventails.

L’ouvrage Lettres d’Héloïse et d’Abailard, édité en 1796 chez Fournier et Didot, orné de gravures d’après Moreau le Jeune, contribue à diffuser ces épisodes à travers l’illustration de huit scènes : une leçon chez Fulbert, la castration d’Abélard, Héloïse prenant le voile à Argenteuil, Abélard donnant des leçons à ses disciples de Champagne, la réception d’Héloïse au Paraclet, un jeune religieux expire dans les bras d’Abélard par l’effet d’un poison préparé pour ce dernier, Héloïse pleurant sur le tombeau d’Abélard et enfin la mort de cette dernière. Il est aisé

L’une des huit scènes, gravées d’après Moreau le Jeune, qui illustrent les Lettres d’Héloïse et d’Abailard, J.-B. Fournier et fils, Didot le Jeune, Paris, 1796. BnF.

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à des paysages d’architecture et révèlent les connaissances de l’artiste dans ce domaine, ainsi dans Abeilard s’éloignant de ses religieux pour lire une lettre d’Héloïse, réalisé dans les années 1830, ou dans Un intérieur de couvent. Abeilard relisant une lettre d’Héloïse, peint par Henri Édouard Truchot et présenté au Salon de 1819. En d’autres occasions ce sont bien les protagonistes qui sont mis en évidence. Granet retient ainsi le thème d’Héloïse devant le tombeau de son époux dans une aquarelle de petit format. Réalisée vers 1817-1820, à la même période qu’une œuvre de Leblanc, Héloïse au tombeau d’Abeilard ; effet de lune, présentée au Salon de 1817, elle montre l’abbesse seule alors qu’au loin s’éloigne une sœur. Héloïse se retrouve dans la solitude du tombeau tandis que le personnage à l’arrière-plan nous rappelle qu’elle vit entourée de religieuses. Ce tombeau, sur lequel est inscrit le nom d’Abélard, est imposant. Le décor, particulièrement détaillé pour une œuvre de ce format, reprend quelques poncifs de la peinture troubadour – cathèdre, architecture gothique – alors qu’un bouquet de fleurs rouges et la lettre que l’épouse tient dans ses mains symbolisent la relation du couple.

Le tombeau, peint ou édifié, invite le spectateur à méditer sur les beautés d’un temps révolu, à réfléchir sur le caractère éphémère de la vie humaine mais permet également l’exaltation de la passion amoureuse. Aussi le thème de la veuve au tombeau de son mari est-il très présent, soulignant la séparation mais aussi les vertus et la force de l’amour. La représentation d’Héloïse et Abélard s’inscrit dans une production qui met en scène d’autres couples légendaires aux amours contrariées, qu’il s’agisse de personnages purement littéraires ou dont l’existence est avérée : Paolo et Francesca, Roméo et Juliette… Des peintres qui se sont penchés sur l’histoire d’Héloïse et Abélard ont aussi pu s’intéresser à un autre duo. C’est le cas d’Ingres qui, dans ses carnets, a noté son intérêt pour le sujet des amants que nous étudions tandis qu’il peignait Paolo et Francesca et Raphaël et la Fornarina, qu’il exposa au Salon de 1814. L’intérêt d’Ingres pour ce genre a été démontré par plusieurs historiens de l’art27, même s’il s’en démarque en montrant que ce genre populaire pouvait être traité comme une peinture d’histoire.

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27 — « Un nouveau troubadour », dans Vincent Pomarède, Stéphane Guégan et Louis-Antoine Prat (dir.), Ingres 1780-1867, Paris, Éditions du Louvre, p. 214 ; Marie-Claude Chaudonneret et Sébastien Allard, Ingres, la réforme des principes, 1806-1834, Lyon, Fage, 2006, p. 106-108.

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— Voir M. Briat-Philippe, St. Bann et St. Paccoud (éd.), op. cit. note 3.
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Paolo et Francesca, Pierre Delorme, vers 1820. Huile sur toile. Musée de la Vie romantique.

L’HÉROÏNE HÉLOÏSE

La représentation d’Héloïse a varié au fil du temps. Dans la première partie du xixe siècle, l’héroïne c’est elle. La description d’Abélard que donne Lamartine dans sa Vie de quelques hommes illustres est évocatrice de l’idée que l’on se faisait alors de son époux : « Lâche à la fois envers l’amour et envers la vertu, Abélard flotta entre deux faiblesses, il n’eut ni le courage de sa passion ni celui de sa gloire28 . »

Si Héloïse est souvent représentée seule, cette réputation explique que ce fut rarement le cas pour son époux. Perçue à travers le prisme du regard masculin que posent sur elle les artistes, l’héroïne romantique vit des passions fortes, des moments dramatiques, elle se caractérise par une certaine mélancolie et pleure son amour perdu. Son histoire, ancrée dans l’imaginaire collectif de l’époque par la diffusion d’images en série et d’objets, nourrit les fantasmes des peintres, avides de ces femmes à la beauté diaphane, fragiles mais résignées à un destin qui les dépasse. Si les couples sont représentés, les héroïnes sont mises en lumière29. Deux tableaux retiennent particulièrement l’attention.

Celui de Jean-Antoine Laurent représente le moment où la vie d’Héloïse bascule puisqu’elle entre au couvent à la demande de son mari. On y voit une jeune femme à genoux, une bible ouverte devant elle sur laquelle elle pose sa main gauche tout en se tournant pour regarder un portrait, probablement celui d’Abélard, qu’elle tient dans sa main droite. Sa chevelure soigneusement tressée, sa tunique bleue ornée de pierres précieuses, son manteau posé sur une chaise à ses côtés, sa boîte à bijoux et des lettres sont les témoignages de sa vie publique tandis qu’une religieuse la prenant par les épaules éloigne le portrait de sa main. C’est un moment de tension, la jeune femme semblant quitter à regret sa vie laïque pour entrer dans les ordres.

Héloïse embrassant la vie monastique, Jean-Antoine Laurent, 1812. Huile sur toile. Musée des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau.

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L’huile sur toile de Jean-Baptiste Mallet, montrant Héloïse à l’abbaye du Paraclet, présente quant à elle la jeune femme en habits religieux. Elle s’investit pleinement dans la vie religieuse, bien que sans réelle vocation initiale, et sera abbesse du Paraclet. Le décor médiéval sobre et dépouillé – symbolisé ici principalement, comme c’est souvent le cas, par un vitrail – et la lumière qui éclaire les deux protagonistes contribuent à créer une atmosphère apaisée au sein d’un espace religieux clos, d’où l’extérieur n’est apparemment pas visible. Si plusieurs éléments de décor, au pittoresque médiévalisant, contribuent à contextualiser la scène, ce sont bien les personnages qui priment et Héloïse en particulier. L’intimité des deux femmes est traduite par leur proximité physique et le fait qu’elles lisent toutes deux la même lettre, écrite par Abélard, l’échange épistolaire constituant une ouverture sur le monde extérieur.

28 — Alphonse de Lamartine, Vie de quelques hommes illustres, t. II, Héloïse, Abélard, dans Ch. Charrier, op. cit. note 2, p. 500.

29 — Collectif, Héroïnes romantiques, Paris, Paris Musées, 2022.

Héloïse à l’abbaye du Paraclet, Jean-Baptiste Mallet, vers 1815.

Huile sur toile. Musée Jean-Honoré Fragonard, collection Hélène et Jean-François Costa.

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Héloïse Abélard

ABÉLARD, HOMME DE LETTRES

Héloïse Abélard

Aîné d’une famille de la petite noblesse, Pierre Abélard délaissa au profit de son cadet la carrière militaire à laquelle il était destiné et décida de se consacrer aux Lettres, particulièrement à la dialectique. La première partie de sa vie se passa en études, avant qu’il n’enseignât à son tour dans différentes villes : à Melun, ville royale où il fonda sa propre école, à Corbeil et à Paris. Il devint rapidement célèbre, et ses leçons faisaient se déplacer de nombreux étudiants. Après son entrée en religion à Saint-Denis (1118), il continua d’enseigner la philosophie mais surtout la science sacrée, rédigeant une  Théologie qui sera condamnée pour hérésie par le concile de Soissons. Après de nombreuses vicissitudes, il reprit son enseignement et fonda l’abbaye du Paraclet33. La castration n’est pas, de son propre aveu, le seul ni même le plus terrible des « malheurs » qui l’ont frappé : sa condamnation et la destruction de ses premières œuvres, qu’il dut lui-même brûler en public, semblent l’avoir marqué bien plus encore. Dans la seconde moitié du xixe siècle et surtout au tournant du xxe siècle, ce n’est plus l’image du couple mais cet aspect de la vie d’Abélard que les sculpteurs et les peintres français vont retenir, à la différence de leurs homologues étrangers chez qui perdure l’intérêt pour ses amours contrariées34. C’est donc seul, ou accompagné d’une Héloïse dont les traits se confondent avec ceux d’une figure allégorique, qu’il est représenté.

Le sujet d’Abélard enseignant avait été très peu traité auparavant par les artistes. On mentionnera une toile du peintre paysagiste Jean-Achille Bénouville, Abélard parle à ses élèves aux

Un cours de théologie, Édouard Toudouze, vers 1902. Huile sur toile, esquisse. Musée des Beaux-Arts de Rennes.

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alentours de Melun, qui fait la part belle au paysage, Melun étant ici évoquée par sa proximité avec la forêt de Fontainebleau. Les paysages ont une réelle importance, permettant de contextualiser la scène et ainsi, à l’instar du titre de l’œuvre, de repérer le lieu et le moment de la vie d’Abélard qui sont représentés. Le peintre Adolphe Steinheil propose quarante ans plus tard, au Salon de 1877, Une leçon d’Abélard, l’année de la réédition de l’ouvrage de Rémusat. Cet élan dépasse les intérieurs privés pour prendre place sur les façades et les murs des édifices publics, dans des décors peints ou sculptés. Abélard fait ainsi partie, dans une certaine mesure, de la longue liste des hommes célèbres censés participer à la monstration des valeurs impériales mais surtout républicaines.

Dès le début du Second Empire, le grand dessein du Louvre mené par Napoléon III avec les architectes Visconti puis Lefuel, à partir de 1853, offre l’occasion au sculpteur académique PierreJules Cavelier, sollicité comme près de trois cents de ses confrères pour décorer le palais de statues monumentales représentant des hommes illustres, de concevoir une statue de Pierre Abélard. Le choix des personnages historiques fut guidé par la volonté de donner de la France de l’Empire l’image d’un pays pacifique, avec une longue lignée d’hommes de lettres, de scientifiques et de politiciens dont la célébrité était antérieure au xixe siècle. Les figures littéraires sont les plus représentées (vingt-cinq statues sur quatrevingt-six). Placée, sans logique apparente, sur l’aile Turgot, entre les statues de Malherbe et de Colbert, celle d’Abélard, finalisée en 1857, reprend le principe qui a présidé au programme architectural : composer, grâce au costume et aux accessoires, des effigies historiquement vraisemblables et évocatrices.

Mais c’est surtout la IIIe République qui va permettre à Pierre Abélard de devenir l’un des personnages importants figurant sur les projets de décor des bâtiments civils. Cette période a vu bâtir de nouveaux édifices, à Paris notamment, du fait du développement de la ville et des destructions de la Commune. Hôtels de ville, mairies, écoles, tribunaux et églises fleurissent. Les grandes compositions de peinture décorative y ont toute leur place et sont exécutées directement sur le mur ou marouflées35. L’Université ne fait pas exception et les nouveaux bâtiments de la Sorbonne sont inaugurés en 1889 par le président de la République, Sadi Carnot36. Moins représenté que d’autres personnalités (Jeanne d’Arc ou Henri IV, notamment), Abélard figure tout de même dans trois programmes décoratifs, ceux de la Sorbonne, du Petit Palais et du Parlement de Bretagne, confiés à trois peintres renommés dans la décoration et aujourd’hui oubliés, respectivement François Flameng, Fernand Cormon et Édouard Toudouze. Les artistes ont choisi le même sujet : c’est l’homme de lettres et l’un des fondateurs

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Abélard et son école sur la montagne SainteGeneviève, François Flameng, 1887. Grand décor peint. La Sorbonne, grand escalier du péristyle.

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Crédits

CC0 Paris-Musées / musée Carnavalet –Histoire de Paris : p. 4-5, 6, 18, 19, 20-21, 22-23, 26-27, 28-29, 31, 40-41 (haut).

CC0 Paris-Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris : p. 58.

CC0 Paris Musées / musée de la Vie romantique : p. 44-45.

© Adélaide Beaudouin – musée des BeauxArts de Rennes : p. 52-53.

© BnF : p. 39.

© Chancellerie des Universités de Paris : p. 61.

© Christian Devleeschauwer - musée des Beaux-Arts de Reims : p. 8.

© Collections musée Bertrand de la ville de Châteauroux : p. 33.

© Collection particulière Paris, avec la courtoisie de la galerie La Nouvelle

Athènes : p. 43.

© Dépôt au musée Dobrée – archives Lemot/ Grand Patrimoine de Loire-Atlantique : p. 35 (haut et bas).

© Jean-Manuel Salingue – musée des BeauxArts de Rennes – 2015 : p. 12-13.

© Jean-Manuel Salingue – musée des Beaux-Arts de Rennes, dépôt du Mobilier national : p. 61.

© Marion Kalt : p. 41 (bas).

© Musée d’arts de Nantes – Photographie :

Cécile Clos : p. 2, 3, p. 48-49.

© Musée Jean-Honoré Fragonard, collection

Hélène et Jean-François Costa : p. 47.

© NPL - DeA Picture Library/Bridgeman

Images : p. 42.

© Paris, musée des Arts décoratifs : p. 14-15.

© Paris, musée des Arts décoratifs / Jean Tholance : p. 34.

© RMN-Grand Palais / Beaux-Arts de Paris : p. 24-25.

© RMN-Grand Palais / Daniel Arnaudet / musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau : p. 40 (bas), 46.

© RMN-Grand Palais / image BStGS / Galerie

Neue Pinakothek : p. 56-57, 62-63.

© RMN-Grand Palais / Mucem / Franck Raux : p. 38.

Remerciements

Cet ouvrage a été réalisé par le service Patrimoine du Syndicat mixte du Pays du Vignoble nantais dans le cadre de l’exposition temporaire au musée du Vignoble nantais Héloïse et Abélard : l’invention d’un mythe (13 mai au 15 août 2023). Le Syndicat mixte remercie la DRAC Pays de la Loire et le Conseil départemental de Loire-Atlantique pour leur accompagnement technique et financier dans l’élaboration de cet ouvrage et de l’exposition. Le service Patrimoine tient à remercier tout particulièrement l’Association culturelle Pierre Abélard qui a apporté un réel soutien tout au long de ce projet.

Musée du Vignoble nantais

Direction

Clotilde Dupé-Brachu

Coordination éditoriale

Charline Peres

Textes

Anne-Lise Auffret et Alice Thomine-Berrada

Communication

Ludivine Jourdan

Éditions 303

contact@editions303.com

www.editions303.com

Direction

Aurélie Guitton

Coordination éditoriale

Emmanuelle Ripoche

Édition

Carine Sellin

Alexandra Spahn

Correction

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Diffusion

Élise Gruselle

Conception graphique

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Photogravure

Pascal Jollivet

Impression

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Papier

Arctic volume white

Typographie

Maipo Sans

Les Éditions 303 bénéficient du soutien de la Région Pays de la Loire.

Dépôt légal : mai 2023

ISBN : 979-10-93572-83-3

© Éditions 303 et musée du Vignoble nantais, 2023. Tous droits réservés.

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