
L’appel du fleuve
La Loire en bande dessinée
L’appel du fleuve
La Loire en bande dessinée
La revue 303 entretient des liens fidèles et réguliers avec la bande dessinée : L’appel du fleuve est ainsi le troisième numéro consacré au neuvième art… Un tous les dix ans. La Loire elle-même, par son omniprésence, semble profondément et indéfectiblement liée à 303. Y aurait-il alors une forme d’évidence à inviter aujourd’hui les auteurs et autrices habitant le territoire ligérien à créer des récits autour dudit fleuve ?
En ce qui me concerne, oui.
Si, de Paris, je suis retourné vivre à Nantes – ma ville de naissance très vite quittée –, il y avait, entre autres raisons, l’envie de me rapprocher de la Loire. Si, de Nantes, je suis allé vivre à Saint-Florent-le-Vieil, c’était, entre autres raisons, pour ressentir plus vivement ce fleuve qui m’aimantait. « L’appel de la Loire », je crois l’avoir entendu tout au long de ma vie. J’ai fini par y répondre plus franchement. Vivre en ville, quelle que soit la « qualité de vie » de celle-ci, je ne connaissais que trop. À Nantes, je ressentais davantage la ville en tant que telle que la Loire qui la traverse. À Saint-Florent-le-Vieil, la Loire est véritablement le centre de gravité. Habiter un lieu c’est, à mes yeux, ressentir cette gravité qui permet l’appartenance. Faire partie du monde, c’est ressentir pleinement dans notre quotidien les nécessaires interdépendances. Tenter de choisir ses liens sans s’aliéner me paraît être l’un des plus beaux buts de l’existence. Et c’est une forme de luxe que de réussir à habiter un lieu qui nous convient, qu’on l’ait choisi ou que l’on s’y soit adapté. L’équipe de 303 a donc visé juste en me proposant un projet sur lequel j’aurais pu avoir envie de me pencher moi-même si l’idée m’était venue plus tôt et si les conditions avaient été réunies. Mais leur esprit a précédé le mien et l’effet de surprise n’a fait qu’accroître mon plaisir… Orchestrer un hors-série sur la Loire « tout en bande dessinée » pour une revue que j’apprécie tant, au sein d’un collectif dans lequel je peux également m’exprimer comme auteur, est un véritable cadeau. C’est donc avec un sentiment de gratitude et « d’évidence » que je me suis attelé à la conception de L’appel du fleuve. Mais qu’en était-il des auteurs et autrices des Pays de la Loire que nous voulions contacter ?
Est-ce que la Loire fait partie de leur quotidien ? Qui a conscience de sa présence ? Exerce-t-elle une influence sur leur vie et, si oui, à quel degré ? A-t-elle participé à l’élaboration de leur identité, ou bien est-ce une rencontre trop récente ? Qui se sent « ligérien·ne » ? Qui a envie de s’emparer du sujet ? Qui a des choses à en dire ? Qui croit n’avoir rien à en dire ? Qui se sent légitime ?!
Bien sûr, « la Loire » est un sujet extrêmement vaste et il ne s’agissait pas de tenter, vainement, d’en faire le tour. Il ne s’agissait pas non plus d’en faire un « pur » travail de commande mais d’inviter les auteurs et autrices à réaliser des récits « comme ils l’entendaient ». Notre rôle était de leur proposer un cadre, des consignes, des sujets, des ressources, parfois de créer des liens et souvent d’ouvrir des discussions. Libre ensuite aux artistes de s’en emparer ou non, le plus librement possible, avec leur subjectivité et leur personnalité. Les accompagner, sans injonctions. Des récits de tous genres et d’une grande diversité sont apparus. Parfois intimes, personnels, autobiographiques, parfois documentaires, pédagogiques. De fiction, de non-fiction, de fiction non fictive et de non-fiction fictive. Beaucoup de porosité, d’hybridité, de contrastes ou d’échos entre leurs histoires, où l’on célèbre le vivant, où l’on côtoie la mort et les fantômes. La Loire se raconte par le biais de la poésie, de la magie, du fantastique, de la science-fiction, de la sociologie, de la biologie, de l’écologie…
Rien d’étonnant à retrouver cette richesse et cette variété ici… Elles sont à l’image de la bande dessinée contemporaine, grandement représentée dans les Pays de la Loire. Ses différents courants, mues, flux, fluides et fluctuations, viennent se mêler dans ce recueil à ceux de la Loire en crue, au service d’un grand cru.
La Loire en bande dessinée
3
Éditorial
Gwen de Bonneval, auteur de bande dessinée
6
Histoire(s) d’un paysage
Maël Rannou, directeur des bibliothèques de Caen
18 la loire en bande dessinée
20
1024 kilomètres
Benjamin Bachelier
◊
Roue dans roue
Stéphane Melchior, scénariste
32
Les bascules
Gwen de Bonneval
◊
Clairvoyance
Fabien Vehlmann, scénariste de bande dessinée
42
Boucles d’eau
Olivier Josso Hamel
◊
Huit couché
Laure Del Pino, auteur et enseignante de bande dessinée
52
Lettre à un ancêtre
Tanitoc
◊
Les mystères de Tanitoc
Laurence Grove, professeur et directeur du Stirling Maxwell
Centre à l’université de Glasgow
62
Mes voisins les indienneurs.
Beauté et laideur
Charles Dutertre
Passager clandestin
Alex Cousseau, auteur de romans et d’albums illustrés
72
Une fabuleuse épopée
Mathieu Demore (dessins) et Anne-Sophie Dumeige (scénario)
◊
Une parenthèse
Mathis, auteur-illustrateur
82
Alluvion
Mélanie Allag
Chère Mélanie
Annaïg Plassard, autrice
90
Loire Sentinelle
Pauline Hébert
Les pieds dans le milieu
Sébastien Rochard, journaliste
98
Le come-back du castor d’Europe
Leslie Plée
◊
Castor, j’adore !
Doan Bui, autrice et journaliste
104
Des fraises sur la Lune
Vincent Sorel
◊
Des phrases sur la Lune
Gregory Buchert, écrivain et plasticien
114
Marie-Aline Le Cler : Total Combat
Ariane Hugues (dessins) et Sébastien Rochard (scénario)
◊
La bonne fée de l’estuaire
Tiphaine Crézé, journaliste et rédactrice
124
Dans mes eaux
Tangui Jossic
◊
La forme d’une île
Caroline Amouraben, autrice
130
Fleuve fantôme
Adèle Verlinden
◊
Droit dans les yeux
Maxime Gueugneau, journaliste spécialisé dans le dessin
138
Le Marais de la Roche
Laure Del Pino
◊
Les eaux croisées de Laure Del Pino
Olivier Josso Hamel, auteur de bande dessinée et professeur d’enseignement artistique
144
Béhuard. Sauf en temps de crue, le village se visite à pied
Pascal Rabaté
◊
Disons-le !
Alain Kokor, auteur de bande dessinée désaccordé et musicien accordé
154
Le Cygne Noir
Benjamin Adam
◊
Des fictions comme des cygnes noirs
Hélène Gaudy, écrivaine
162
Neoned
Fred Blanchard
◊
Fred Blanchard : anatomie d’un concept artist
Lloyd Chéry, rédacteur en chef adjoint de Métal Hurlant
168
Comment j’ai failli mourir !
Glen Chapron
◊
Le pouvoir du plongeur
Yann Le Bras, auteur-illustrateur
178
Paimblotin d’occasion
Nina Lechartier (dessins) et Henri Landré (scénario)
◊
Ce que je sais, ce que je crois, ce que je devine
Éva Prouteau, critique d’art
188
Le partage des eaux
Jérôme Mulot
◊
Accueilli par le paysage
Dominique A, artiste
198
Traversées
Thierry Bedouet
◊
Croisements
Fabien Grolleau, auteur et éditeur de bande dessinée
206 À vélo !
Mathis (scénario) et Aurore Petit (dessins)
◊
À hauteur d’insectes et de brins d’herbe
Coline Pierré, écrivaine
214
La Marche du Fleuve
Anna Conzatti (dessins) et Fabien Vehlmann (scénario)
◊
Plongez !
Henri Landré, programmateur musical
Maël Rannou
Paysage et bande dessinée ont toujours été très connectés. Du simple décor au carnet de voyage, les récits se sont développés en grandes aventures épiques, jusqu’à atteindre des paysages intimes. Des approches qui se croisent plus que l’on ne pourrait le croire.
Pour les profanes, dont je suis, évoquer un « paysage » fait surtout penser à la nature, à des paysages a minima boisés, montagnards… sauf si le terme est suivi d’une précision comme « urbain ». Tout ceci est un peu illusoire tant les paysages « naturels » n’existent pas, les bocages très présents dans les Pays de la Loire nous le rappellent, comme les pâturages ailleurs. Le paysage est aussi, de manière plus large, tout ce que l’on voit à travers quelque chose : on regarde le paysage par une fenêtre, et ce peut être n’importe quoi – d’un désert aux toits, en passant par un port ou un terrain vague. La bande dessinée, qui utilise massivement le système de cases découpant la page, offre autant de points de vue et pourrait nous faire dire, avec l’architecte Lucien Kroll (qui n’en demandait pas tant), que « tout est paysage ». Au-delà de la boutade, ce penseur associait bien le paysage, dans une globalité, avec l’action humaine, l’environnement, les espèces vivantes… Dessiner un paysage est nécessairement faire un ensemble de choix de représentations, on montre une chose plutôt qu’une autre, on sélectionne plus ou moins consciemment ce que l’on a sous les yeux (ou en mémoire) pour faire récit, à travers une intervention très humaine sur cette « nature » soudain figée. Avec cette représentation, les paysages dessinés incarnent des paroles, portant des visions préservatrices, intimes, folkloriques (au pire, coloniales), racontant les liens de leurs auteurices aux territoires représentés : du touriste au porte-parole, il y a mille manières.
Rodolphe Töpffer, le Suisse inventeur de la « littérature en estampes », a ainsi publié, à côté de ce qui est considéré comme les premières bandes dessinées, plusieurs dizaines de récits de voyages illustrés entre 1825 et 1842, se joignant dès l’origine au neuvième art. Durant tout le xixe siècle, les dessinateurs mettront en scène des paysages, parfois pittoresques ou exotisants, parfois pour porter un propos humoristique, comme Gustave Doré et sa Sainte Russie, ou Martial Potémont documentant l’abolition de l’esclavage à La Réunion en 1848 avec une verve féroce. La bande dessinée décrivant des lieux lointains, mais aussi des marchés, des scènes de vie, autant de territoires ainsi fixés, rendez-vous centraux des planches publiées jusqu’à la Première Guerre mondiale, que ce soit en France ou ailleurs : comme l’a découvert Thierry Smolderen, le journal anglais The Graphic publie de nombreux reportages dans ses pages – rappelant bien que la BD documentaire n’est pas une innovation récente. Ces descriptions précises, instructives, et parfois décalées, se retrouvent pleinement dans les pages de Leslie Plée, ou dans celles de Charles Dutertre qui, d’un paysage urbain et d’une toponymie mystérieuse, retrace l’histoire d’un lieu et de ceux qui l’ont habité.
Si la mer et les fleuves ont surtout nourri une BD d’aventures maritimes, avec des classiques reconnus comme Les Passagers du vent de François Bourgeon ou L’Épervier de Pellerin, nombreux sont les dessinateurs à avoir aussi mis leurs pas dans ceux des arpenteurs. C’est aussi la grande
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Planche extraite de Loire, d’Étienne Davodeau. Étienne Davodeau © Éditions Futuropolis 2023.
Benjamin Bachelier
Gwen de Bonneval
Olivier Josso Hamel
Charles Dutertre
Mélanie Allag
Pauline Hébert
Leslie Plée
Vincent Sorel