Louis-Charles Morin, Bois gravé, 1931, publié dans le Livre d’or de Montsoreau, 1933.
Notre-Dame du Boile (puis église Saint-Michel), chapelle nord.
Château et bourg de Montsoreau.
Relevé de l’escalier Renaissance par Jean Trouvelot, 1916-1917 (MPP).
Vue intérieure de l’escalier Renaissance.
Lucarnes de la façade nord.
Art & Language, Flags for Organizations, 2017-2018 (Collection Philippe Méaille).
Détail d’une porte du château (restitution xxe siècle).
SOMMAIRE
INTRODUCTION
NAISSANCE D’UN SITE CASTRAL 16
Montsoreau avant Montsoreau
La naissance du château
Le château de pierre
Les transformations autour du château entre le xiie et le xve siècle
LE CHÂTEAU DES CHAMBES 32
Jean de Chambes et Jeanne Chabot
Le corps de logis principal
Chronologie des travaux
La cour et l’enceinte castrale
La place du château de Montsoreau dans l’architecture du Val de Loire
La basse-cour
Les apports de la Renaissance
DÉSHÉRENCE ET RENOUVEAU 66
Un abandon progressif, du xvie au xviiie siècle
Démembrement et accentuation des dégradations au xixe siècle
Regain d’intérêt et restauration du château
LE MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN 86
Collection Philippe Méaille
Château de Montsoreau
chronologie
Le premier château, édifié à la fin du xe siècle par Eudes de Blois, fut probablement pris dès 996, par le comte d’Anjou Foulques Nerra, qui en confia la garde à un chevalier dénommé Gautier. Ce dernier fonda un puissant lignage. Un de ses successeurs reconstruisit complètement le château au milieu du xie siècle. Les fouilles archéologiques menées en 2000 ont permis d’en retrouver des vestiges importants.
Jean II de Chambes fit l’acquisition de la seigneurie de Montsoreau en 1445. Il fit probablement engager la reconstruction complète du château à partir de 1450. Les travaux sur le grand corps de logis s’achevèrent en 1462, mais d’autres chantiers suivirent probablement assez vite notamment dans la basse-cour.
1579
Le 19 août 1579, le seigneur de Montsoreau Charles de Chambes fit assassiner, au château de la Coutancière, Louis de Bussy d’Amboise à qui il reprochait d’entretenir une liaison avec son épouse Françoise de Maridor. En 1846, Alexandre Dumas s’inspira de ce fait historique pour écrire le fameux roman La Dame de Monsoreau.
chronologie
1804
Le 25 juin 1804, le château et ses dépendances sont mis aux enchères par lots par le dernier seigneur de Montsoreau, Charles du Bouchet de Sourches-Tourzel (1768-1815), qui réside à Paris. Le lot du château est cédé pour 12 000 francs. Le 17 juillet, les acquéreurs partagent entre eux étages, caves et cour en plusieurs propriétés, subdivisées à leur tour au fil du xixe siècle.
1910
Après quelques alertes formulées dès 1908 par des conseillers généraux, le Département décide en 1910 de prendre en charge le château qui menace ruine. L’acquisition se fait successivement auprès de tous les propriétaires, entre 1912 et 1933. Les travaux de restauration commencent dès 1919.
2015
En 2015, le château fait l’objet d’un bail emphytéotique de vingt-cinq ans pour accueillir la collection d’art réunie par Philippe Méaille. Le Château de Montsoreau – Musée d’art contemporain ouvre en 2016 et propose le plus grand fonds au monde d’œuvres du mouvement Art & Language.
Introduction
Tel qu’il fut réédifié vers 1455, le château de Montsoreau impressionne. Seul parmi les châteaux de la Loire à avoir été bâti au bord même du fleuve, il marque de manière monumentale l’entrée en Anjou pour quiconque descend la Loire. Il est érigé sur une butte bordant une vallée qui, après la confluence avec la Vienne, n’a jamais été aussi majestueuse. Face à la Loire, sa façade semble d’autant plus haute qu’elle repose sur un puissant soubassement. Cette silhouette, aujourd’hui encore spectaculaire, devait l’être bien davantage à l’origine, avant que le château ne soit séparé du fleuve par la construction d’une route le long de la berge vers 1830. Ce site se prête à merveille à une telle manifestation de puissance et, quelques siècles plus tôt, c’est déjà là que l’un des premiers châteaux de pierre angevins avait été bâti, au xie siècle. Mais le joyau que fait édifier Jean II de Chambes au milieu du xve siècle est aussi une résidence aux caractéristiques architecturales inédites. Sa luminosité, son confort, la grâce et l’originalité de ses lucarnes, comme celles des sculptures italianisantes ajoutées au début de la Renaissance, lui assurent une place de choix parmi les châteaux du Val de Loire. Pourtant, Montsoreau est largement délaissé dès le xviie siècle et partagé entre de nombreux propriétaires au xixe siècle. Faute d’entretien suffisant sur une très longue période, le château menace donc ruine. Son apparence comme son histoire inspirent alors les romantiques et La Dame de Monsoreau d’Alexandre Dumas vient assurer sa notoriété. Il est sauvé de la destruction par le Conseil général de Maine-et-Loire qui en fait l’acquisition à partir de 1910 et en entreprend la patiente restauration. Des études archéologiques récentes et une analyse des dépendances du château sont réunies ici pour, tout à la fois, évoquer l’histoire et l’architecture de cet édifice, mais aussi élargir le regard qu’il convient de lui porter à l’ensemble des éléments qui constituaient les dépendances de sa bassecour. Cette histoire se poursuit aujourd’hui avec le musée d’art contemporain dont les collections dédiées au mouvement Art & Language sont déployées dans les salles de ce superbe château.
Le château et la Loire.
NAISSANCE D’UN SITE CASTRAL
Le possesseur de la seigneurie de Montsoreau est apparu dès l’origine comme un des plus puissants barons de l’Anjou […]. La famille seigneuriale descendait de Gautier I de Montsoreau et de son fils Gautier. Elle était apparentée aux principales familles de la région. Par le nombre de ses membres et l’étendue de ses alliances, c’est une des maisons les plus considérables de l’Anjou.
Jacques Boussard, Le comté d’Anjou sous Henri Plantagenêt et ses fils (1151-1204), Paris, Édouard Champion, 1938, p. 38-39.
Montsoreau avant
Montsoreau
L’origine du peuplement de Montsoreau ne se perçoit que par bribes. Un dolmen effondré en bordure de l’actuelle forêt qui couvre le plateau en partie sud de la commune, atteste d’une occupation néolithique au moins ponctuelle.
À l’époque gallo-romaine, une petite agglomération se forme à Candes-SaintMartin, où un pont est construit sur la Vienne, prolongé par un franchissement de la Loire. Dans la périphérie de ce site, des traces attestent d’un petit habitat à Montsoreau, où quelques monnaies, tessons et fragments de tuiles épars ont été trouvés notamment sur le bord du plateau qui surplombe l’actuel bourg.
Là, se trouvent aussi les vestiges maçonnés d’un bâtiment qui devait être très visible depuis la vallée de la Loire. C’est peut-être de ce site qu’est issu un tambour de colonne cannelée antique découvert lors des fouilles du château.
Durant le Haut Moyen Âge, c’est un autre secteur de l’actuelle commune qui semble bien davantage se développer, près de 500 mètres en aval, en bordure occidentale du vallon qui forme le débouché de l’Arceau. Son toponyme, Rest – qui viendrait du latin restis, le filet –, et le choix d’un tel site semblent liés à la Loire, tant pour la pêche que pour les axes d’échanges qu’offrent le fleuve et le petit vallon qui permet un accès en pente douce au plateau cultivé. Au milieu du vie siècle, un officier de l’évêque du Mans, chargé d’assurer pour lui des fonctions militaires et judiciaires, y possédait une résidence. Dans le deuxième quart du ixe siècle, plusieurs textes montrent que Rest est devenu un noyau aggloméré notable, avec des maisons, une pêcherie, un port et un point de franchissement du fleuve. La première mention d’une église paroissiale à Rest date de 1096, mais il est très probable qu’au cours des périodes précédentes il y ait déjà là un édifice de culte.
Premier plan : l’ancien noyau aggloméré de Rest et son église. Arrière-plan : le bourg de Montsoreau formé autour du château.
Vestiges d’un édifice gallo-romain, dominant le coteau en surplomb de l’actuel château.
CHÂTEAUX DU XIe SIÈCLE
Dans le courant du xie siècle, il existe un contraste assez marqué entre les grandes résidences fortifiées et celles, plus modestes, occupées par les lignages secondaires. Les principaux lieux de pouvoir détenus par le comte d’Anjou, parfois qualifiés de palais, comportent généralement une tour, une grande salle, des pièces d’habitation et une église qui peut abriter un chapitre de chanoines. La puissance du comte se traduit tout à la fois par l’emploi de la pierre et par l’ampleur des programmes architecturaux. À Angers, sous le règne de Foulques Nerra, la grande salle établie sur le promontoire dominant la Maine mesurait près de 40 mètres de long. La tour peut présenter des dimensions très variables. Au palais comtal de Tours, elle est de taille moyenne, accolée à la salle. En revanche, celles de Loches ou de Saumur sont des édifices extrêmement puissants, entièrement construits en pierres de taille de tuffeau.
En fonction des moyens qu’ils peuvent mobiliser, les principaux barons et les seigneurs de moindre importance essayent de trouver un compromis entre les contraintes défensives liées à l’affirmation de leur pouvoir et les besoins d’espace pour déployer les différents bâtiments résidentiels et de service. Si le choix a été fait à Montsoreau de tout regrouper derrière une enceinte en pierre, la solution a généralement consisté à élever une tour sur une butte artificielle – la motte – et à disposer les autres bâtiments dans une basse-cour protégée par un talus surmonté d’une palissade. La majorité des constructions sont encore des bâtiments en bois et torchis.
Graffiti découvert à l’abbaye de Fontevraud représentant un château à motte (début du xiie siècle).
du château de Langeais (fin du xedébut du xie siècle).
salle du château d’Angers (ixe - xie siècle).
Tour
Grande
CARNETS D’ANJOU
LE CHÂTEAU DES CHAMBES
Et premièrement s’ensuyvent les choses que je tiens en ma main et à mon domaine, c’est assavoir mon chastel de Montsoreau assis sur la rivière de Loire ainsi qu’il se poursuit et comporte tant en foussez, murailles, tours esquelles sont mes prisons, foussez à mectre les prisonniers, portal, portes, poternez, arbalestrières et jaynes, barrières et pont leveis fermans à clefz et à claveures et autres deffences, appartenances à chastel et forteresse…
Extrait de l’aveu rendu par Jeanne Chabot au roi René en 1480.
Jean de Chambes et Jeanne Chabot
La maison des Chabot ne va détenir la seigneurie de Montsoreau que pendant quelques décennies. En 1450, lourdement endetté, Louis II Chabot se voit contraint de céder le château à Jean II de Chambes, qui avait épousé sa sœur Jeanne Chabot en 1445. La transaction porte également sur la seigneurie de La Coutancière, à Brain-surAllonnes, sur la rive nord de la Loire. Descendant d’une vieille famille noble originaire de l’Angoumois, Jean II de Chambes, né vers 1405, entre au service de Charles VII en 1426 comme écuyer. Panetier en 1438, conseiller puis chambellan, il devient à partir de 1445 « premier maître d’ostel » du roi. En 1446, il épouse Jeanne Chabot, première dame d’honneur de la reine Marie d’Anjou, puis d’Anne de Bretagne. Par la suite, Charles VII confie à Jean II de Chambes plusieurs missions diplomatiques sensibles à Rome et en Turquie en 1454, à Carcassonne trois
ans plus tard pour présider les États du Languedoc, ou encore à Venise en 1459 dans le but de préparer une nouvelle croisade. Dans ces mêmes années, le seigneur de Montsoreau occupe également différentes charges : gouverneur de La Rochelle et capitaine de Niort, Talmont-sur-Gironde et Aigues-Mortes. Moins proche de Louis XI que de Charles VII, il se retire progressivement de la vie politique à partir des années 1460 et décède en 1474.
Jean II de Chambes disposait de revenus importants tirés de ses charges et d’affaires commerciales. Associé avec Jacques Cœur dans les années 1440, il aurait reçu après la disgrâce de ce dernier une somme considérable que lui aurait due le financier. Par ailleurs, l’acquisition de la seigneurie de Montsoreau lui ouvrait des droits sur la ville fortifiée, ses faubourgs et sur tout le finage, jusque sur les îles de Loire. Le contrôle exercé sur les halles, les marchés et les foires, la possession de deux fours banaux, de plusieurs moulins, de pêcheries, Détail d’un manuscrit du xve siècle enluminé avec les emblèmes héraldiques des Chambes (Biblioteka Jagiellońska, Cracovie).
Anne de Bretagne entourée de Jeanne Chabot et de deux autres dames de compagnie, manuscrit enluminé vers 1493 (Getty Museum).
LES LIENS DES CHAMBES
AVEC L’ENTOURAGE ROYAL
L’achat par Jean II de Chambes de la seigneurie de Montsoreau à son beau-frère Louis Chabot en 1450 ne doit rien au hasard ; comme de nombreux représentants des grandes familles faisant carrière auprès du roi, Jean II de Chambes procède à cette acquisition pour s’installer dans le Val de Loire et se rapprocher ainsi des principaux lieux de séjour de la cour royale, alors fréquemment installée en Touraine (Chinon, Tours, Loches, Amboise…). Il met aussi à profit sa carrière pour nouer des relations avec des lignages prestigieux, notamment par le biais des liens matrimoniaux. Il marie ainsi sa première fille, Colette de Chambes, à Louis d’Amboise, vicomte de Thouars ; durant son veuvage, celle-ci deviendra la maîtresse du duc de Guyenne, frère de Louis XI. Le roi de France intervient quelques années plus tard pour qu’Hélène, la seconde fille de Jean II de Chambes, épouse en 1473 le célèbre Philippe de Commynes, grand officier de la Couronne qui fut également historien et chroniqueur des règnes de Louis XI et de Charles VIII. Des vestiges de leur chapelle funéraire, édifiée dans les premières années du xvie siècle dans l’église des Grands Augustins à Paris, peuvent aujourd’hui s’admirer au musée du Louvre. Au cours de cette période, une élite
urbaine s’établit à Montsoreau, composée de négociants et de familiers de la cour seigneuriale des Chambes. On voit même s’installer des membres de l’entourage royal, comme les Jouvenel des Ursins, de la famille du chancelier de France. Dans le village de Montsoreau, la qualité de quelques réalisations architecturales témoigne plus largement de l’aisance de certains propriétaires.
Écu armorié d’Hélène de Chambes (Musée du Louvre).
Effigie de Philippe de Commynes (Musée du Louvre).
Page précédente Salle du deuxième étage avec les portes ouvrant vers les différents segments du chemin de ronde.
Le grand comble du corps de logis, bien qu’éclairé de lucarnes, ne servait que de grenier.
Le chartrier.
Cheminée de la chambre seigneuriale du deuxième étage.
Grande fenêtre à croisée équipée de coussièges.
DÉSHÉRENCE ET RENOUVEAU
Une impitoyable bande noire s’abattit aussitôt sur le domaine que les jacobins avaient respecté.
On le dépeça, on l’adjugea par lambeaux aux pauvres gens du voisinage ; ses salles de garde furent converties en entrepôts de marchandises. Puis, à la suite de ce premier vandalisme, surgit une idée plus radicale. Les spéculateurs imaginèrent de raser les bâtiments pour en débiter les matériaux. L’abondance du tuf et son bas prix dans le Saumurois empêchèrent seuls la destruction de s’accomplir. Mais le château restait mutilé.
Eugène Berger, citation extraite de Le Maine et l’Anjou du Baron de Wismes, « Montsoreau », 1860, t. 2, p. 188.
Un abandon progressif, du xvie au xviiie siècle
Dans les années 1550, le château resplendit de sa reconstruction du milieu du xve siècle et de ses remaniements de la Première Renaissance. Mais en moins d’un siècle, divers épisodes conduisent progressivement à son déclin.
Les guerres de Religion voient en 1568 un premier passage de troupes huguenotes à Montsoreau, qui ruinent et pillent la collégiale Sainte-Croix, mais il semble que le château leur ait résisté. Engagé dans le parti catholique, Jean IV de Chambes participe à ces guerres : connu pour ses massacres de protestants en Anjou, son zèle est tempéré par le roi qui le récompense tout de même en érigeant Montsoreau en comté, en 1573. Ce sont les années qui suivent cette période très troublée qu’Alexandre Dumas choisit comme cadre de son roman La Dame de Monsoreau
En septembre 1587, Henri de Navarre, chef huguenot qui n’est pas encore le roi Henri IV, occupe ponctuellement le château. Par la suite, la forteresse conserve un temps une fonction militaire et une troupe royale y stationne. On y dénombre en 1591, cinquante arquebusiers, un sergent et un capitaine, effectifs ramenés à vingt hommes en 1593. L’entretien d’une garnison y est définitivement interdit dans le cadre du démantèlement des places fortes initié par Richelieu dans les années 1620.
Dès lors, le site
castral se fige, d’autant que, parallèlement à ces événements, et à partir de la seconde moitié du xvie siècle, les Chambes délaissent le château de Montsoreau pour leur résidence plus confortable de la Coutancière, en rive droite de la Loire.
La collégiale Sainte-Croix est dans un état tel que l’on renonce à la relever de la ruine et, entre 1605 et 1615, les chanoines investissent l’ancienne église castrale Notre-Dame en y effectuant quelques travaux. Ils la placent sous un nouveau vocable, Saint-Michel du Boile, peut-être à cause de réaménagements liturgiques ou parce que Charles de Chambes (15491621) avait été fait chevalier du prestigieux ordre de Saint-Michel en 1568. L’édifice devient ainsi une collégiale, tout en demeurant l’église paroissiale du château : on y célèbre quelques cérémonies de baptêmes, funérailles et mariages.
Dans l’église elle-même sont pratiquées ponctuellement des inhumations, la dernière ayant eu lieu en 1768. Les vestiges du site de Sainte-Croix et leurs abords restent aux mains des chanoines qui y aménagent divers bâtiments, habitations et dépendances, dont certaines s’adossent aux murs ruinés. Le souvenir de cette église s’efface sous ces constructions, même si le petit cimetière qui avait été établi à côté d’elle sert encore pour la paroisse du château jusqu’en 1785. La maison des Chambes perd peu à peu de son prestige. L’ordonnance du 20 novembre 1631 supprime le droit de péage sur la Loire détenu par les seigneurs de Montsoreau, ce qui les prive d’une
importante source de revenus. René de Chambes, faux-monnayeur et faux-saunier, condamné à mort en 1634, meurt en exil en Angleterre en 1649. Ses héritiers s’endettent et Montsoreau passe par alliance à la maison du Bouchet de Sourches. Ceux-ci en conservent le titre comtal, mais n’y résident pas et renâclent dès lors aux dépenses d’entretien du château. Habité par un régisseur qui ne cesse de se plaindre de son état, le bâtiment voit ses espaces intérieurs être cloisonnés, avec même des niveaux de plancher intermédiaires. Il n’offre, à la fin du xviiie siècle, plus rien de comparable avec la résidence d’agrément des Chambes.
Louis Boudan, Vue du bourg et du château de Montsoreau, 1699, dessin de la collection de François Roger de Gaignières (BNF).
LA DAME DE MONSOREAU
La Dame de Monsoreau, est l’un des grands romans que publie Alexandre Dumas (1802-1870) dans la période la plus intense de sa production littéraire que sont les années 1844-1850. Paru en 1846, l’ouvrage se situe dans son œuvre après Les Trois Mousquetaires ou Le Comte de Monte-Cristo et avant Le Vicomte de Bragelonne ; il est le second opus de sa trilogie « Renaissance », entre La Reine Margot (1845) et Les Quarante-Cinq (1847).
Comme dans ces divers textes, Dumas est largement assisté d’Auguste Maquet (1813-1888) dans la conception du texte. Pour ce roman, Alexandre Dumas usa des éléments qui firent sa renommée et assurèrent ses succès littéraires et populaires : extraordinaire sens du romanesque, du drame et de l’intrigue, insertion dans un contexte historique marqué et connu du grand public et, surtout, écriture foisonnante qui multiplie les scènes et le plaisir des lecteurs. Le récit historique établit qu’en 1579,
Louis Boudan, Vue du château de la Coutancière, 1699, dessin de la collection de François Roger de Gaignières (BNF).
Bussy d’Amboise et la Dame de Monsoreau, gravure d’Eugène Damblans (Journal des romans populaires illustrés, vers 1907-1909).
Louis de Clermont d’Amboise (1549-1579), seigneur de Bussy et gouverneur de l’Anjou, se serait vanté d’avoir séduit Françoise de Maridor (1558-1620), épouse du chambellan et grand veneur du roi, Charles de Chambes (1549-1621). Celui-ci est informé de cette indiscrétion par le roi Henri III lui-même, qui haïssait Bussy d’Amboise, favori de son frère le duc d’Alençon. Charles, qui aurait bénéficié de la complicité de sa femme afin de laver leur honneur, attire Bussy au château de la Coutancière, à Brainsur-Allonnes, où sont désormais établis les Montsoreau : avec l’aide de quelques hommes d’armes, il se saisit du gouverneur et le tue. Il n’est pas inquiété pour cet assassinat et devient même conseiller d’État quelques années plus tard.
De cet épisode, Alexandre Dumas tire le sujet de son roman. Il modifie à peine le nom de l’héroïne, devenue sous sa plume Diane de Méridor, mais tisse une passion entre elle et un Bussy charismatique et noircit divers protagonistes, dont Montsoreau. Sur fond de guerre de religion et de rivalités entre princes, il accumule les intrigues et les péripéties, accorde une large place à des personnages secondaires parfois de fiction – comme Chicot, le bouffon du roi –et nourrit cette trame de jeux de pouvoir, de tromperies, de calculs et de désirs de vengeance. Le drame est doublé de la mort de Charles de Montsoreau, et le récit transgresse en partie le genre romanesque par la difficulté à établir clairement l’héroïsme de Bussy.
Cette œuvre a fait l’objet de diverses adaptations, pour le théâtre (1860), l’opéra (1888), puis le cinéma et la télévision.
avancé de dégradation, sont réalisés entre 1886 et 1888 par l’architecte René Salleron, et de premiers projets de restauration sont proposés, notamment en 1892.
La Société archéologique de France, dont le 77e congrès se tient entre Angers et Saumur en 1910, alerte les autorités publiques sur la situation du château.
Dès 1912, le Conseil général de Maine-etLoire en entame l’acquisition, par étapes, auprès de chacun de la quinzaine de copropriétaires. L’essentiel, cour et douves comprises, est acquis dès 1914, mais la procédure ne s’achève qu’en 1933, parfois au prix d’expropriations. De 1914 à 1919, le château sert de cantonnement militaire, ce qui occasionne de nouvelles dégradations (huisseries et planchers utilisés comme bois de chauffe).
En 1919, le Conseil général de Maine-et-Loire et l’État décident de financer les restaurations : les travaux sont lancés peu après, sous l’enthousiaste impulsion du conseiller général Jean de Geoffre de Chabrignac.
Madame Rouillé devant la porte du château, 1925 (ADML).
La cour intérieure du château en 1919 (ADML).
Chantier de restauration, deuxième quart du xxe siècle (ADML).
CARNETS D’ANJOU
Les premiers travaux sont conduits par les architectes Jean Hardion et Ernest Bricard, entamant la destruction d’éléments qui s’étaient greffés sur le site et sur des consolidations. Puis les restaurations débutent, à commencer par les couvrements et parties hautes. Pour réduire les coûts et renforcer les structures, ces architectes usent parfois de techniques originales et modernes, réalisant des éléments de charpente, planchers et poutraisons en béton armé peint en imitation bois.
En 1931, le clos et le couvert du corps de logis ainsi que la stabilisation des niveaux sont assurés pour l’essentiel : le château est sauvé, mais des travaux restent à faire. L’année suivante, Jean de Geoffre publie le
Inauguration du musée des Goums par le maréchal Juin, le 15 juin 1957 (ADML).
Restitution imaginaire et état des restaurations réalisées et projetées, dessin de Jean de Geoffre, 1961 (ADML).
Livre d’or de Montsoreau, pour célébrer cette première phase de travaux. Pour les textes, il réunit des contributions d’auteurs divers, archivistes, érudits, architectes, écrivains et poètes. Jean de Geoffre réalise une partie notable des illustrations, copie parfois des vues anciennes, mais sollicite aussi d’autres artistes, angevins ou non, tels Charles Tranchand, Henri Cordier ou Louis Morin. Ralenti en 1932 par la mort de Hardion, à qui succède Maurice Lotte, le chantier est interrompu par la Seconde Guerre mondiale. Les travaux s’achèvent dans les années d’après-guerre, sous la conduite des architectes Bernard Vitry et Henri Enguehard. Le marquis de Geoffre reste conservateur du monument jusqu’au milieu des années 1960, rêvant continuellement
d’une restitution complète des bâtiments, qu’il imagine parfois sans tenir compte des réalités archéologiques.
Restauré, le château est ouvert au public et ses salles accueillent, dès août 1956, le musée des Goums marocains, inauguré par le maréchal Juin le 15 juin 1957. Ces collections sont transférées à Montpellier en 1997. Le château connaît ensuite une nouvelle campagne de restaurations, en 1999-2001, conduite par l’architecte
Gabor Mester de Parajd, laquelle avait été précédée et accompagnée par des
fouilles archéologiques de 1993 à 2001, réalisées par le Service archéologique départemental de Maine-et-Loire. Le château abrite ensuite, pendant quelques années, une scénographie consacrée, d’une part, au patrimoine ligérien et, d’autre part, au personnage de La Dame de Monsoreau et à l’ensemble du roman d’Alexandre Dumas. En 2015, le château est confié au collectionneur Philippe Méaille pour y ouvrir l’année suivante un musée d’art contemporain dédié au mouvement conceptuel Art & Language.
MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN
COLLECTION
PHILIPPE MÉAILLE
Qu’il soit lieu de culte, maison d’un illustre, lieu de reconstitution historique, maison d’habitation ou musée d’art, le patrimoine est contemporain.
Philippe Méaille
Fondé en 2016 par le collectionneur et mécène Philippe Méaille, le Château de Montsoreau – Musée d’art contemporain est un lieu qui met en lumière l’art de notre époque. Composée de plus de mille œuvres, la collection Philippe Méaille représente le plus important fonds mondial d’œuvres d’Art & Language, groupe d’artistes majeur de la deuxième moitié du xxe siècle. Art & Language désigne en effet un collectif d’artistes, créé à la fin des années 1960 en Angleterre, et le nom de la revue fondée en 1968. Aujourd’hui porté par deux de ses membres fondateurs – Michael Baldwin et Mel Ramsden – Art & Language voit, au fil des années, plus de cinquante artistes et théoriciens participer aux activités d’un collectif à géométrie variable. Ils orientent leur questionnement sur le statut de l’œuvre d’art et de ses limites, avec une analyse critique des relations entre l’art, la société et la politique.
En réaction à l’art expressionniste, les artistes d’Art & Language préfèrent accorder davantage d’importance aux modalités de conception, de définition et de perception de l’œuvre d’art plutôt qu’à sa matérialisation. Ils furent à l’origine de l’art conceptuel. Dans une scénographie minimale et épurée qui exalte la modernité du bâtiment et ses volumes grandioses, la collection Philippe Méaille retrace l’apparition de ce nouveau mouvement artistique, né en 1965, en Angleterre. Des œuvres participatives, parmi les premières de l’histoire de l’art – comme Mirror Piece, ou The Air-Conditioning Show – proposent aux visiteurs de prendre part à une conversation sans limites ni fin sur l’art et le monde, une grande discussion amorcée il y a cinquante ans et destinée à se poursuivre, encore et encore.
À gauche : Art & Language, Index: The Studio at 3 Wesley Place in the Dark, 1982 (Collection Philippe Méaille). À droite : Art & Language, Index: Incident in a Museum XVI, 1986 (Collection Philippe Méaille).
Art & Language, Mirror Piece, 1965 (Collection Philippe Méaille).
Montsoreau
Orientation bibliographique
Jean de Geoffre de Chabrignac, Livre d’or de Montsoreau, Angers : Éditions de l’Ouest, 1933.
Jean Hardion, Une visite au château de Montsoreau, Tours : 1933.
Viviane Manase, « Montsoreau romantique », 303, Arts, Recherches et Créations, n° 58, 3e trimestre 1998, p. 4-9.
Emmanuel Litoux, Daniel Prigent et Jean-Yves Hunot, « Le château de Montsoreau », in Congrès archéologique de France, 155e session, 1997, Touraine, Paris : 2003, p. 255-280.
Florian Stalder, Fontevraud-l’Abbaye et Montsoreau Un regard sur le Saumurois, coll. « Images du patrimoine », n° 283, Nantes : Éditions 303, 2013.
Région des Pays de la Loire, Inventaire général / Florian Stalder, notices en ligne : https://gertrude.paysdelaloire.fr/dossier/ IA49009670 (château), IA49009679 (église castrale), IA49010739 et IA49010785 (ancienne collégiale Sainte-Croix et pavillon xixe), IA49009669 (tribunal), IA49009606 (autres parties constituantes), IA49010823 (présentation de la commune)
Crédits photos —
Emmanuel Litoux : p. 6, 27 (haut et bas), 56, 60, 64, 93.
Bertrand Rieger : p. 24-25.
Jean-Yves Hunot : p. 20, 26.
CC0 Biblioteka Jagiellońska (Cracovie), Berol. Ms. Gall. Fol. 205 : p. 34.
CC0 Getty Museum Collection (Los Angeles). Digital image courtesy of Getty’s Open Content Program, Ms 121 : p. 35.
Daniel Prigent : p. 51 (bas).
BnF : p. 69, 71.
Virginie Desvigne et Florian Stalder : p. 92.
Abréviations
ADML : Archives départementales de Maine-et-Loire (Angers).
MPP : Médiathèque du patrimoine et de la photographie (Charenton-le-Pont).
CCE49 : Centre de conservation et d’étude de Maine-et-Loire (Angers).
Plans des différents niveaux du corps de logis dans son état du xvie siècle.
La Loire
La Loire
Double page suivante Dessin du corps de logis représenté depuis le sudest par Jean Hardion dans les années 1920 (ADML).
La Loire
de la basse-cour du château
Église Saint-Pierre de Rest
Château
Chapelle castrale
Palais du Sénéchal
Maison » du Sénéchal
Collégiale Sainte-Croix (détruite)
1. Église Saint-Pierre de Rest
1. Église Saint-Pierre de Rest
2. Château
2. Château
3. Chapelle castrale
3. Chapelle castrale
4. Palais du Sénéchal
4. Palais du Sénéchal
5. « Maison » du Sénéchal
5. « Maison » du Sénéchal
6. Collégiale Sainte-Croix (détruite)
6. Collégiale Sainte-Croix (détruite)
Proposée par le Département de Maineet-Loire, la collection Carnets d’Anjou est une invitation à découvrir la richesse du patrimoine à travers la diversité des lieux, des œuvres et des mémoires de notre territoire.
Le château de Montsoreau a été réalisé par la Conservation départementale du patrimoine.
Remerciements
Ce travail rend compte des recherches conduites sur le château, à la fois lors des opérations archéologiques et dans le cadre de l’Inventaire général du patrimoine culturel : nos remerciements vont à l’ensemble des équipes de la Conservation départementale du patrimoine de Maineet-Loire et du Service du patrimoine de la Région des Pays de la Loire, et tout particulièrement à Daniel Prigent, Jean-Yves Hunot et Virginie Desvigne.
Tous nos remerciements à Philippe Méaille et à l’équipe du Château de Montsoreau –Musée d’art contemporain.
Nous remercions également :
Théo Ben Makhad, Mme et M. Bondin, Mme et M. Boyer, Alain Cléry (†), Christophe Gazon, Marie-Paule Schmitt, Champignonnière Le Saut-aux-Loups.
Carnets d’Anjou
Direction éditoriale
Thierry Pelloquet
conservateur en chef du patrimoine
Texte
Emmanuel Litoux
conservateur du patrimoine
Florian Stalder
conservateur en chef du patrimoine
avec la participation de
Marie-Caroline Chaudruc
directrice du Château de Montsoreau –
Musée d’art contemporain
Photographies
Armelle Maugin, Bruno Rousseau
Documentation
Véronique Flandrin-Bellier
Éditions 303
contact@editions303.com www.editions303.com
Direction
Aurélie Guitton
Coordination éditoriale
Alexandra Spahn
Édition
Emmanuelle Ripoche
Carine Sellin
Correction
Edwige Fontaine
Diffusion
Élise Gruselle
Conception graphique
BURO-GDS
Photogravure
Pascal Jollivet
Impression
Edicolor, Bain-de-Bretagne
Papier Arena ExtraWhite Smooth
Typographies Alegreya Sans & Mina Light
Les Éditions 303 bénéficient du soutien de la Région Pays de la Loire.